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Recherche et développement technologique 271 Mai 2011 Le mag’ scientifique www.athena.wallonie.be · Mensuel ne paraissant pas en juillet et août · Bureau de dépôt Bruxelles X ... Faites de beaux rêves...... ... Miroir..., mon beau miroir... ATHENA 271 · Mai 2011 > ÉDITO Édito Entre gris clair et gris foncé Texte: Géraldine TRAN • Rédac’chef • Photo: BSIP / REPORTERS (titre) I l y a quelques mois, Jean-Michel Debry nous parlait de l’épineuse question des cellules souches issues d’embryons humains (Voir Athena n° 268, p. 33) et de l’interdiction, dans la plupart des pays, de les exploiter pour en faire une source de cellules et non des enfants. Dans cette saga scientifique mais aussi éthique et religieuse, nouveau rebondissement: aux États-Unis, l’Administration Obama vient de recevoir le feu vert pour la poursuite du financement public de ce type de recherches, interdites par G.W. Bush depuis 2001. C’est un grand pas en avant, qui plus est dans un pays ultra puritain et pointilleux sur les questions morales. 2 En Europe, en mars dernier, un procureur de la Cour européenne de justice a rendu un avis négatif, soumis à l’appréciation de 13 juges de la Cour européenne dont on attend la décision dans les mois à venir. Pour de nombreux chercheurs, une interdiction de brevetabilité serait une aberration et empêcherait de valoriser les recherches en cours. À ce débat éthique se rajouterait une question économique: les industries pharmaceutiques intéressées pourraient décider d’investir en dehors de l’Europe. Sans parler de la question de l’image d’une Europe sans cesse «outsider»… Que sait-on de ce débat ? Le doute subsiste quant à la nature de ces cellules souches, issues de l’embryon humain dans ses tout premiers jours de développement, alors qu’elles ne sont que quelques-unes. Doivent-elles être considérées comme des êtres humains à part entière ? C’est souvent formulée telle quelle que vous lirez ou verrez la question dans les «mass» médias. Avec pour seule réponse, une réponse dichotomique: oui ou non. Sauf que rien n’est ni noir, ni blanc et la science ne livre pas de réponse implacable à ce sujet. Aux communs des mortels, il manque un bout de l’histoire, souvent coupé au montage: dans la plupart des pays, les cellules souches proviennent d’embryons humains congelés et cédés par des parents ayant déjà réussi leur fécondation in vitro. Aucun nouvel embryon n’est créé pour la recherche. Non seulement ces embryons sont donc voués au «repos éternel», mais ils sont surtout le cadeau offert à la science par des parents comblés et certains de ne pas souhaiter renouveler la démarche. C’est une information dont on se doute mais qui peut changer l’opinion publique. Je vous laisse vous faire un avis sur la question. En attendant, bonne lecture ! n Erratum Une erreur s’est glissée dans le n° 270 du mois d’avril. En p. 43, dans l’article intitulé Rembrandt, artiste expérimentateur ?, les grains blancs de la photo n° 3 ne correspondent pas à des grains d’amidon car ceux-ci, en présence d’une solution aqueuse d’iodure de potassium et d’iode se colorent en violet foncé. Toutes nos excuses. ATHENA 271 · Mai 2011 Tirée à 15 000 exemplaires, Athena est une revue de vulgarisation scientifique du Service Public de Wallonie éditée par le Département du Développement technologique de la Direction générale opérationnelle Économie, Emploi et Recherche (DGO6). Place de la Wallonie 1, Bât. III - 5100 JAMBES Elle est consultable en ligne sur http://athena.wallonie.be Abonnement (gratuit) Vous souhaitez vous inscrire ou obtenir gratuitement plusieurs exemplaires, contactez-nous ! · par courrier Place de la Wallonie 1, Bât.III - 5100 JAMBES · par téléphone au 081/33.44.76 · par courriel à l’adresse [email protected] SOMMAIRE SOMMAIRE 12 Actualités 04 Actualités Exp’Osons 2011 10 Le Dossier Faites de beaux rêves... 12 L’ADN de ... Charlotte RINGLET • Logopède 20 Technologie J’y suis, j’y reste ! 22 Internet Le Web pour les Nuls et les Professionnels Comment les Receveurs reçoivent 26 Biologie 30 22 38 34 Chimie Miroir, mon beau miroir ... 38 Physique 42 Astronomie 44 Espace 46 Agenda 50 46 Éditeur responsable Impression Michel CHARLIER, Inspecteur général Ligne directe: 081/33.45.01 [email protected] Les Éditions européennes Rue Thiefry, 82 à 1030 Bruxelles Rédactrice en chef Collaborateurs Géraldine TRAN Ligne directe: 081/33.44.76 [email protected] Graphiste Nathalie BODART Ligne directe: 081/33.44.91 [email protected] ISSN 0772 - 4683 Dr Valérie Burguière Christiane De Craecker-Dussart Alain de Fooz Jean-Michel Debry Paul Devuyst Henri Dupuis Philippe Lambert Jean-Luc Léonard 3 Neurologie Le libre arbitre n’est-il qu’une illusion ? Yaël Nazé Théo Pirard Jean-Claude Quintart Christian Vanden Berghen Dessinateurs Vince Comité de rédaction Laurent Antoine Michel Charlier Jean-Marie Cordewener Couverture Première Crédit: REPORTERS / Photononstop Quatrième Crédit: Science ATHENA 271 · Mai 2011 > ACTUALITÉS Un secret bien gardé Je suis sur toutes les tables des terrasses, dans tous les frigos, tous les distributeurs de boissons; je suis vendu partout dans le monde; je coule dans la gorge des «7 à 77 ans»; je suis centenaire. Qui suis-je ? Le coca ! Tout le monde en a déjà bu au moins une g orgée, certains en boivent des litres, d’autres le prennent comme un médicament, un morceau de sucre booster d’énergie, mais le mystère reste entier: que se cache derrière cet autre «or noir» ? 4 Texte: Jean-Claude QUINTART [email protected] D u pharma au coca ou de la recherche à la richesse. On refuse de le croire ou on l’ignore, mais la boisson numéro un au monde, le Coca-Cola a bien été créé aux États-Unis, à Atlanta, en 1886, par un pharmacien, John Pemberton, dont l’invention portait sur un sirop destiné, comme bien souvent à l’époque, à divers maux tels que maux de tête, de ventre, etc. La potion reposait sur un mélange de vin de Bordeaux et de feuilles de coca. Chaque verre contenait alors neuf milligrammes de cocaïne ! De l’espoir au flop, le sirop est un échec ! À quelque chose malheur est bon, note la sagesse populaire. Franck Robinson, comptable de John Pemberton, a l’idée de génie de diluer le soda dans de l’eau gazeuse à la place d’eau plate et d’appeler le tout «Coca-Cola». Mise en vente à la soda-fountain de la Jacob’s Pharmacy, la boisson commence à faire parler d’elle au Photos:MGM Photography, Coca-Cola company, Themysteryman/Flick’r point qu’en 1887, Asa Griggs Candler flaire la bonne affaire, rachète tous les droits à Pemberton et retravaille la composition, aujourd’hui l’une des mieux gardées au monde connue sous le nom: «7x». En 1892, The Coca-Cola Company est fondée à Atlanta et en 1895, Asa Cand ler déclare aux actionnaires: «À partir de maintenant, Coca-Cola se boira dans chaque état et territoire des États-Unis». Ses successeurs feront mieux encore, aujourd’hui, Coca-Cola est présent dans plus de 200 pays avec une déclinaison d’environ 500 produits ! En 2009, la société a produit quelque 41 milliards de bouteilles et canettes ! Le groupe emploie près de 140.000 personnes dont 3.000 chez nous, où la marque à la célèbre bouteille est apparue en 1927. Aujourd’hui, Coca-Cola fête ses 125 ans. Déjà ! 125 ans durant lesquels la société n’a cessé d’innover en boissons, embal lages, techniques de vente, de production, de distribution, etc. Bref, un plan d’affaires exemplaire, un exemple à suivre ! http://www.coca-cola.com Jean-Claude QUINTART · ACTUALITÉS Actus... d’ici et d’ailleurs Texte: Jean-Claude QUINTART • [email protected] • Photos: ULB (p.5), PFIZER (p.6) R&D Nez optique… pour votre chien G énérer une onde de seconde harmonique avec seulement une centaine de molécules, voilà l’exploit réalisé par des chercheurs du Service Optique non linéaire théorique de la Faculté des Sciences de l’Université libre de Bruxelles (ULB), associés pour la circonstance à des confrères de l’Institut des sciences photoniques de Barcelone. Une première publiée dans l’édition du 29 mars de la célèbre revue Nature Communications (http://www.nature.com/ ncomms/index.html). Pour appréhender le travail des chercheurs, il faut savoir qu’une onde de seconde harmonique est un processus optique non linéaire par lequel une onde, à une fréquence optique déterminée, donne lieu à une nouvelle onde, généralement de très faible intensité, à la fréquence double. Cette génération de seconde harmonique fut observée pour la première fois en 1961, année qui suivit l’invention du laser. Ce phénomène est maintenant utilisé couramment pour obtenir de nouvelles fréquences optiques à partir du nombre limité de fréquences disponibles avec des lasers. À l’origine de cet effet, on trouve les charges électriques de molécules qui, sous l’effet du champ électrique d’une onde optique, oscillent autour d’une position d’équilibre. Quoi qu’il en soit, cette matière n’est pas évidente pour les néophytes ! «On peut se représenter une molécule comme des points reliés par des ressorts et sur lesquels le champ électrique pousse et tire périodiquement. Aux faibles intensités lumineuses, les ressorts de la molé- cule sont suffisamment peu étirés pour que les charges électriques de la molécule oscillent fidèlement à la fréquence de départ», nous éclaire Gregory Kozyreff, membre du Service Optique non linéaire théorique. Qui s’empresse de poursuivre: «En revanche, quand l’intensité lumineuse augmente, les ressorts de la molécule se déforment tellement que les forces de rappel ne sont plus uniquement proportionnelles au déplacement; le carré de celui-ci intervient aussi. Et quand on prend le carré d’une onde sinusoïdale, on obtient une onde qui comporte une fréquence double de la fréquence initiale. Dès lors, le mouvement oscillant des charges électriques comporte une petite composante à la fréquence double et c’est cela qui donne lieu à un rayonnement de seconde harmonique». Dans la réalité, le signal émis par molécule est très faible et un très grand nombre d’entre-elles est nécessaire pour générer un signal détectable. Obtenir une onde de seconde harmonique avec seulement quelques centaines de molécules comme vient de le faire l’ULB est donc bel et bien un exploit ! Pour le signer, les chercheurs et expérimentateurs ont fabriqué une microsphère de silice, qu’ils ont recouverte d’une couche très fine et très diluée de molécules non linéaires. «Lorsqu’on injecte de la lumière dans une telle sphère, elle peut y rester pendant un temps extrêmement long en tournant un grand nombre de fois le long de l’équateur», expliquent les chercheurs. Ajoutant «qu’il s’agit là d’un mode de galerie, par analogie au phénomène acoustique dans la coupole de la cathédrale Saint-Paul de Londres, les modes de galerie chuchotants, décrits pour la première fois par Lord Rayleigh en 1910 et qui permettent à deux personnes diamétralement opposées dans la cou- pole de se comprendre en chuchotant près du mur incurvé de la coupole». Dans le cas des microsphères, le même phénomène se produit mais avec des ondes lumineuses ! Une onde piégée peut interagir un très grand nombre de fois avec une molécule située près de l’équateur, ce qui démultiplie les effets non linéaires. Au total, ceci pourrait être exploité dans la détection d’un faible nombre de molécules voulant s’attacher à la sphère. «En préparant la sphère pour qu’elle n’accepte qu’un type de molécule bien choisi à sa surface, on pourrait détecter des concentrations infimes de ces molécules dans un environnement donné par l’émission de seconde harmonique qu’elles génèreraient. Ceci pourrait, par exemple, être utile pour détecter la présence de molécules toxiques, voire compléter l’odorat des chiens par un nez optique, pour la recherche d’explosifs !», termine Gregory Kozyreff. http://www.ulb.ac.be et http://www.icfo.es Grâce au nez des chercheurs de l’ULB, des molécules chuchotent maintenant des photons dans des microsphères ! 5 ATHENA 271 · Mai 2011 > ACTUALITÉS Aujourd’hui, c’est déjà demain S 6 i tous les jours, nous entendons cette réflexion, nous ne voyons pas tous les jours un Gouvernement prendre celle-ci à ma lettre. Le Gouvernement wallon l’a fait ! Avec le Centre hospitalier universitaire de Liège (CHU), l’Université de Liège (ULg) et Meusinvest, il a porté sur les fonts baptismaux, le Centre d’innovations médicales (CIM) en lui assignant pour mission de préparer la Wallonie aux innovations médicales de demain. «La Wallonie génère 79% du revenu total national du secteur des biotechnologies et abrite 74% de la main d’œuvre belge du secteur», pointe avec un large sourire Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l’Économie. Et d’enchaîner de suite: «La richesse de ce secteur est due à un faisceau d’éléments qui se renforcent mutuellement: entreprises innovantes, pôles de recherche et développement performants, enseignement de qualité, incubateurs spécialisés, mécanismes financiers adaptés, etc.» Dans la tradition wallonne de cette dynamique d’équipe, le CIM s’attachera à développer les compétences wallonnes en médecine translationnelle pour les promouvoir ensuite auprès des industriels de la pharmacie et du biotech. La médecine translationnelle est une évolution inéluctable des processus de recherche médicale. Pour speeder l’arrivée de traitements innovants et relever les défis contemporains de la médecine personnalisée, chercheurs et cliniciens se doivent d’instaurer entre eux la trame d’un dialogue permanent. Le but ? Permettre à la recherche fondamentale et clinique d’aboutir à une application sécurisée et plus rapide des connaissances médicales (pronostiques, diagnostiques et thérapeutiques) pour le plus grand bénéfice du patient. À leur santé ! O n oublie souvent, mais ils sont comme nous ou nous sommes comme eux ! Aussi, la santé des animaux fait-elle la Une, notamment à Louvainla-Neuve, où Pfizer investit pour eux quelque 22 millions d’euros ! La nouvelle ne pouvait que combler Rudy Demotte, Ministre-président de Wallonie et médecin. Une nouvelle pour ses deux casquettes: Pfizer agrandit son usine-pilote de Louvain-la-Neuve et y installe un laboratoire de recherche et développement en médecine vétérinaire. Plus concrètement, Pfizer Animal Health transforme son implantation néo-louvaniste en fer de lance des solutions dédiées aux maladies infectieuses émergentes. «Nous sommes particulièrement heureux de réaliser cet investissement en Wallonie, sur notre plate-forme de Louvain-la-Neuve», claironne fièrement Christian Borgniet, responsable du site. «Cette nouvelle étape nous permettra d’ajuster rapidement la production, d’être proactif et flexible aux changements et de pouvoir fournir les vaccins à grande échelle lors d’une pandémie. Grâce à cette flexibilité, nous pouvons être les premiers à lancer sur le marché de nouveaux vaccins vétérinaires contre les maladies infectieuses émergentes. Un atout unique !» Un grand jour pour la Wallonie et aussi pour Pfizer qui, avec cet investissement de 22 millions d’euros, se dote de moyens uniques en termes de santé animale. Grippe H1N1 ou maladie de la langue bleue sont deux exemples de pandémie ayant touché récemment l’Europe, et dont chacun se souvient encore de l’impact économique et de l’importance d’un traitement rapide des foyers d’infections. Voilà pourquoi Pfizer, géant de la pharmacie humaine et animale, entend pouvoir produire sans délai et livrer à très court terme de grandes quantités de vaccins. «La manipulation d’ingrédients biologiques actifs viraux nécessite des mesures de sécurité particulières. Notre usine-pilote sera donc à la pointe du progrès en la matière. Sa conception répondra aux plus hauts standards biologiques exigés». D’une superficie de 1.300 m², elle sera une chaîne comprenant recherche, développement et production de nouveaux antigènes. Avec comme atout majeur, une flexibilité à l’extrême ! De son côté, le laboratoire s’attachera à la mise au point de nouveaux vaccins, à l’étude des résultats des tests cliniques et au développement de procédures de contrôle. «Ces nouvelles installations offriront aussi des opportunités uniques de collaborations avec les universités de la région, les centres de recherche spécialisés et les entreprises», précise la direction. Le groupe Pfizer est la première entreprise biopharmaceutique au monde depuis le rachat, en 2009, de Wyeth. Tout a commencé en 1849, à New York, avec Charles Pfizer, chimiste allemand, et son cousin confiseur, Charles Erhart, qui fondèrent à Brooklyn (New-York) une entreprise chimique spécialisée dans le tartre, le borax et le camphre raffiné et dont la première substance produite sera la santonine, utilisée alors comme vermifuge. Dès 1945, la société devient le plus grand producteur de pénicilline au monde; et en 1960, le principal fabricant d’un nouveau vaccin contre la poliomyélite, etc. Une entreprise remarquable dans sa longévité, qui a encore un bel avenir devant elle. http://www.pfizer.com et http://www.pfizer-vet.be Le CIM s’installera au sein du CHU de Liège, dans un nouveau bâtiment de 1.000 m² et occupera à son démarrage quelque 15 emplois hautement qualifiés. http://www.ulg.ac.be et http://www.chuliege.be We protect every pig as if it were the last one * (* Nous protégeons chaque cochon comme s’il était le dernier) Jean-Claude QUINTART · ACTUALITÉS Récurrent mais pas lassant ! C ar, il est toujours agréable d’entendre une entreprise wallonne annoncer presque mensuellement de nouveaux succès ! Après Seattle aux États-Unis et Dresde en Allemagne, IBA empoche sa troisième commande de l’année avec la vente à la Skandionkliniken d’une instal lation de protonthérapie, la première en Scandinavie ! Montant du contrat: entre 50 et 60 millions d’euros. Lorsqu’il sera pleinement opérationnel, en 2015, environ mille patients seront traités annuellement par faisceau de protons à la demande des cliniciens des hôpitaux de Göteborg, Linköping, Lund, Malmö, Stockholm, Uumea et Uppsala. Pour Pierre Mottet, administrateur délégué d’IBA, «Ce partenariat entre les comtés et les sept hôpitaux, devant améliorer le traitement du cancer chez l’enfant et l’adulte, est extraordinaire !» Et de préciser, «Les cliniciens de la Skandionkliniken traiteront bien plus de types de cancer avec les protons, y compris le cancer du sein et le cancer du poumon, ainsi que les cancers récurrents déjà traités par rayon X». Par ce contrat, l’entreprise wallonne noue des liens avec l’histoire, sachant que le centre de recherche d’Uppsala a tenu un rôle crucial dans le développement de la protonthérapie. En 1957, l’Institut Gustaf Werner de l’Université d’Uppsala était le deuxième établis sement au monde à traiter le cancer avec des protons sur base d’un protocole utilisé en 1948 par le Lawrence Berkley Laboratory de Berkeley, en Californie. À ce jour, IBA a vendu 24 centres de protonthérapie dont 11 sont déjà au service des patients, et les 9 autres en construction. http://www.uu.se; http://www.skandionkliniken.se; http://www.lbl.gov et http://www.iba-worldwide.com Le chiffre 7 Q À peine l’encre séchée… u’IBA signait une prise de participation minoritaire dans le capital de l’allemand PET Net, boostant ainsi son réseau mondial de radio-pharmaceutiques PET. En effet, le wallon est aujourd’hui le seul à posséder un réseau PET (ou tomographie par émission de positrons) mondial, avec 57 centres de production PET et un site SPECT ultramoderne. Par cette infrastructure, IBA gère directement la distribution vers les États-Unis, l’Europe et l’Inde et livre ses produits dans plus de 60 pays. Bref, avec une stratégie de croissance axée sur l’expansion de son réseau de fabrication et de distribution sur chaque marché majeur de la médecine nucléaire, l’acquisition de cette infrastructure PET en Allemagne constitue un formidable facteur de développement pour IBA. «Cette prise de participation, conforte le caractère unique de notre réseau mondial et confirme le leadership d’IBA sur la niche des nouveaux radio-pharmaceutiques utilisés dans le cadre d’une médecine personnalisée à l’échelle mondiale», note Pierre Mottet, administrateur délégué d’IBA. «Nous partageons une mission commune: améliorer les soins médicaux», ajoute de suite le professeur Willi Kalender, fondateur et propriétaire de PET Net. Pour rappel, la PET est une méthode non invasive utilisée en imagerie médicale moléculaire pour visualiser des processus biologiques en vue de déceler les maladies à un stade précoce et suivre leur évolution en temps réel. http://www.iba-worldwide.com et http://www.petnet-gmbh.de % ... de déforestation…Tel est l’un des souhaits du WWF pour les cinquante prochaines années ! Une organisation qui a célébré le 29 avril dernier son cinquantième anniversaire ! Parmi ses autres vœux pour le demi-siècle à venir, on retiendra l’espoir d’une réduction de 80% des émissions de gaz à effet de serre et que nos besoins énergétiques soient produits à 100% par des sources renouvelables. http://www.wwf.org ATHENA 271 · Mai 2011 L > ACTUALITÉS Études et récompenses a recette du succès ? Mettre et remettre son travail sur le métier ! Malgré sa position et son histoire, Baxter n’a pas hésité à rencontrer les professionnels de la santé en milieu hospitalier pour évoquer ensemble et approfondir les connaissances mutuelles lors d’un symposium axé sur la nutrition du patient stressé. «La maladie provoque un stress qui s’accompagne d’une augmentation de la dépense énergétique et d’une diminution des apports nutritionnels, générant ainsi une dénutrition. Selon une étude récente, environ 40% des patients séjournant dans les hôpitaux bel- ges souffrent de malnutrition. Or, un déficit en énergie, protéines et autres nutriments comme les vitamines et les oligo-éléments ont une influence néfaste sur le fonctionnement optimal de nombre de nos organes ainsi que sur le pronostic du patient», expliquent les responsables de Baxter. Aussi, la Baxter Nutrition Academy s’estelle plus particulièrement penchée sur la mesure de la dénutrition, le rôle des acides aminés et des vitamines lors de maladies aiguës, le soutien nutritionnel aux patients vulnérables: patients atteints d’un cancer, âgés ou souffrant d’obésité, de patients en postopératoire ou atteints d’insuffisance rénale chronique. Sur un registre proche, l’hôpital oncologique de jour du Centre Hospitalier du Bois de l’Abbaye et de Hesbaye, à Seraing, s’est vu décerner le Baxter Belgian Clinical Pharmacy Award 2011 pour la partie francophone. Largement développée chez les anglo-saxons et en plein boom chez nous, la pharmacie clinique est une discipline axée sur l’utilisation appropriée et sécuritaire des médicaments par les patients. Dans ce contexte, les pharmaciens hospitaliers collaborent étroitement avec le corps médical et les infirmières pour conseiller le choix des médicaments, surveiller leur administration et évaluer la qualité de la thérapie médicamenteuse, notamment au niveau d’effets secondaires inattendus. L’hôpital oncologique de jour du Centre hospitalier du Bois de l’Abbaye et de Hesbaye a ainsi vu récompensé son projet de détection à temps des éventuelles interactions médicamenteuses liées à des traitements différents, associés à un traitement chronique du patient cancéreux. Cette initiative de Baxter est soutenue par l’Association francophone des pharmaciens hospitaliers de Belgique. http://www.baxter.be; http://www.baxter.com et http://www.afphb.be 8 Chaire électrique ! A vec plus de 75% des réseaux de distributions d’électricité et de gaz naturel de Wallonie, ORES estime qu’il est temps de passer aux réseaux intelligents (smart grid) et compteurs intelligents (smart metering). Une tâche complexe pour laquelle l’entreprise fait appel à la Faculté Polytechnique de l’Université de Mons (UMONS) et plus particulièrement aux services de génie électrique, électromagnétisme et télécommunications. Pour mener à bonne fortune ce projet, une convention, d’une durée de trois ans reconductible, a été signée entre les partenaires en vue d’ouvrir, dès la rentrée prochaine, une Chaire ORES. Soutenue par un financement de 100.000 euros par an, les thèmes de cette Chaire permettront à l’UMONS de se concentrer sur l’étude de l’impact sur les réseaux de distribution du développement de la production décentralisée; sur ces mêmes réseaux du développement du véhicule électrique; la problématique de la sécurité informatique du transfert de données sur les réseaux de distribution d’électricité; et la gestion de la demande d’électricité et de son adéquation avec la production de celle-ci. «Un partenariat gagnant-gagnant grâce auquel notre université valorise ses savoirs et renforce ses activités de recherche dans un domaine porteur tout en permettant à ORES d’améliorer la qualité ses services à clientèle», exprime avec satisfaction Paul Lybaert, doyen de la Faculté Polytechnique. Accueil de la production décentralisée, véhicules électriques, etc. Des défis qui excitent Jacques Lobry, professeur, membre du service Génie électrique de la Faculté Polytechnique. Qui explique «D’un point de vue technique, disons qu’il s’agit de superposer au réseau électrique un réseau informatique et de télécommunications qui permettra un meilleur contrôle grâce à des communications entre le gestionnaire de réseaux, les fournisseurs, les clients et aussi le réseau lui-même. Une situation similaire à celle dont Internet a transformé les télécoms». Un changement de paradigme estime Jacques Hugé, administrateur délégué d’ORES, «Si hier, la production d’électricité était centralisée, parfaitement contrôlable et suivant une demande relativement prévisible, dorénavant, c’est la demande qui devra s’adapter à une offre dont le caractère imprévisible augmentera au fur et à mesure de la montée en puissance des productions décentralisée, rendant toujours plus complexe la gestion des réseaux». Sur base du «Gouverner, c’est prévoir», ORES entend passer immédiatement à l’action en matière d’intelligence des réseaux afin de mieux surveiller les flux d’énergie et les comportements de la clientèle. Un sacré programme qui vaut bien une Chaire dont les thèmes à développer toucheront à la conception de réseaux de distribution basse tension présentant une pénétration d’énergies renouvelables; la gestion de la tension sur les réseaux de distribution moyenne tension; l’impact du parc croissant des véhicules électriques sur les réseaux électriques; l’accessibilité aux réseaux; le développement des réseaux de télécommunications adaptés pour les smart grids; et les équipements de mesures appliqués aux réseaux électriques. http://www.umons.ac.be et http://ores.net Jean-Claude QUINTART · ACTUALITÉS Illustration : VINCE Coup d’crayon Ça fait débat ! CO2 attention au raccourci ! L L’avion Solar Impulse, conçu par Solvay, qui a effectué le premier vol sans carburant durant 26 heures, sera présenté à l’aéroport de Bruxelles du 23 au 29 mai. À ne surtout pas rater ! Remise des Prix de l’Odyssée de l’Objet 2011 Ce mercredi 27 avril 2011 avait lieu à l’Institut Saint-Luc de Liège la remise des Prix de l’édition 2011 du concours phare du Département du Développement technologique de la DGO6: l’Odyssée de l’Objet. Voici le palmarès en attendant la fin de l’odyssée dans le prochain numéro ! Félicitations à tous ! n é d iti o Les prix Premier Niveau (1ere - 2e année): 1er prix: Le Crac-ou-Cass (1e G de l’Institut de la Providence de Champion) 2e prix: Le S+che (2e T de l’Institut Don Bosco de Woluwé Saint-Pierre) 3e prix: l’Écofour (2e G de l’Institut des Ursulines - Site du Sacré Cœur de Koekelberg) Deuxième Niveau (3 - 4 année): 1er prix: Le Bulb’O (3e G de l’Athénée Royal Prince Baudouin de Marchin) 2e prix: Le Packahuile (4e T de l’Institut Saint-Roch de Marche-en-Famenne) 3e prix: Le Top-Coper (4e T de l’Institut des Arts et Métiers Pierrard de Virton) e e Troisième Niveau (5e - 6e année): 1er prix: La Butter box (5e P de l’Institut Sainte-Julienne de Fléron) 2e prix: La Magictable (5e et 6e P de l’Institut Sainte-Claire de Verviers) 3e prix: Le Support d’œuf (5e G de l’Athénée Royal Jean Absil de Charleroi) Le Prix du Public Le Kit-Kot-Kub (5e T de l’Institut Marie-Thérèse de Liège) Les premiers prix consistent en trois séjours à l’étranger: Paris, Londres et Lisbonne. Les groupes récompensés par les seconds prix visiteront une exposition et recevront un chèque de 1.250 euros pour l’achat de matériel didactique. Les lauréats des troisièmes prix gagnent la visite d’une exposition avec leur classe. Les élèves ayant reçu le Prix du public visiteront également une exposition et recevront un chèque de 1.250 euros pour l’achat de matériel didactique. e CO2 carburant de demain, titrions-nous en page 4 du numéro 269 de mars dernier. Un titre «bling-bling», voire ravageur, estiment Jean-Marie Frère, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain (UCL) et Edwin De Pauw, professeur ordinaire. «Les lois de la thermodynamique sont implacables. Pour réduire le CO2 en produits utilisables comme carburant, l’énergie nécessaire sera supérieure à celle qu’on pourra récupérer en brûlant lesdits produits. Alors, pourquoi passer par le CO2 et ne pas utiliser directement l’électricité obtenue par ces moyens ?», interrogent les deux professeurs. Et de répondre, «La raison la plus évidente serait la nécessité de stocker l’énergie sous forme chimique, l’énergie électrique étant difficile ou impossible à stocker. Mais de nouveau, l’énergie dépensée pour ce stockage sera plus grande que celle qu’on pourra récupérer… À moins de réaliser deux transformations infiniment lentement !» Bref, «Le CO2 est certainement transformable en composés utiles comme ceux qui entrent dans la fabrication du plastique mais cette transformation demande et deman dera toujours l’injection dans le système d’une quantité énorme d’énergie. Ainsi et hélas, le CO2 ne sera jamais un carburant, ni demain, ni après-demain». Jean-Marie Frère et Edwin De Pauw ajoutent: «Les plantes vertes et les cyanobactéries exploitent un procédé efficace, la photosynthèse, pour réduire le CO2 en utilisant l’énergie lumineuse fournie gratuitement par le Soleil. La maîtrise de l’utilisation des produits de la photosynthèse pour la mise au point de systèmes qui imitent cette suite de réactions en utilisant directement l’énergie solaire pour obtenir, par exemple, de l’hydrogène semblent bien plus prometteurs. Le développement de capteurs photovoltaïques plus efficaces est une autre alternative». Des précisions bien utiles sur un thème dont on reparlera à n’en pas douter. http://www.uclouvain.be 9 ATHENA 271 · Mai 2011 > ACTUALITÉS Des jeunes qui osent... se détacher du clavier Texte: Jean-Luc LÉONARD • [email protected] • Photos: PhotoAlto / REPORTERS (p.10), J.-L. LÉONARD (p.11) 10 L’initiation scientifique des jeunes doit les inciter à dépasser le clavier de l’ordinateur pour concevoir et réaliser des projets concrets. C’est l’optique défendue par MarieJeanne Matagne, professeur de science en retraite (très active) et cheville ouvrière de l’asbl Ose la Science L ’asbl proposait les 28 et 29 avril, à Namur, dans le grand hall du centre administratif du Service public de Wallonie, au boulevard du Nord, son événement Exp’Osons 2011. Comme d’habitude, les organisateurs avaient dû limiter à 140 le nombre de projets, présentés par quelque 350 candidats à cet exercice annuel d’émulation scientifique destiné aux élèves de l’enseignement primaire et secondaire. À noter que les contributions pouvaient être individuelles ou collectives. Marie-Jeanne Matagne a un faible pour les participants individuels, plus motivés, du fait de leur démarche personnelle, et aussi plus créatifs et innovants. Mais les groupes de classes étaient également les bienvenus, étant entendu qu’Ose la Science ne veut en aucune façon se substituer à l’école, souligne-t-elle. Le président de l’asbl, Frédéric Peters, abonde dans le même sens en accueillant les invités à l’inauguration de l’exposition. Il insiste également sur la nécessité de «sortir les jeunes du cocon confortable de l’Internet et du copier-coller», observant que, pour eux, «le grand danger lié à cette passivité est de croire indistinctement à tout ce qu’on peut lire sur le Web». Le directeur d’Ose la Science, Didier Duchêne, souhaite pour sa part la bienvenue aux représentants de l’ambassade du Maroc et d’une asbl marocaine partenaire, joliment nommée Goûte la Science, ainsi qu’à des délégations venues d’Espagne et de Slovaquie. Dernier orateur, le professeur Robert Sporken, doyen de la faculté des sciences des Facultés universitaires NotreDame de la Paix (FUNDP), souligne que, sur un total de 6.000 étudiants, l’université namuroise en compte 1.300, dans les branches scientifiques. Pour dissiper un éventuel malentendu, il tient à préciser que les chercheurs ne vivent pas enfermés dans leurs laboratoires. «Au contraire, nous voyageons beaucoup», dit ce physicien qui est aussi professeur adjoint à l’université de l’Illinois, à Chicago. Il rappelle encore que les jeunes qui font des études scientifiques se placent dans la meilleure perspective pour trouver un emploi, tout simplement parce que «la société a besoin de connaissances pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain.» Un inventaire à la Prévert La liste de thèmes abordés cette année sur les stands d’Exp’Osons occuperait pratiquement une page d’Athena. Elle illustre l’immense variété des sujets qui peuvent être objets de curiosité scientifique car, comme le disait le chanoine Lemaître, l’initiateur de la cosmologie du Big Bang, «il n’y a pas de limitation naturelle à la puissance de la pensée». En dehors des dix prix d’excellence (Voir encadré), les jeunes participants au concours se sont donc emparés de questions aussi diverses que «pourquoi y a-t-il des pyramides en Égypte ?», «d’où viennent les couleurs du ciel ?», «nos émotions provoquent-elles vraiment un impact irréversible sur notre corps ?», «l’évolution de la médicalisation gynécoobstétrique est-elle dangereuse ?», «la nourriture a-t-elle une influence sur l’intelligence et le comportement ?», «6 juin 44, oui mais pourquoi ?»,... Parmi les thèmes que l’on retrouve assez systématiquement ici comme dans tous les concours scientifiques, comment ne pas citer l’effet de serre, le sida, les OGM, l’avion Solar Impulse, la couleur de peau, les énergies renouvelables ou non, la nocivité du tabac, les effets du Soleil sur la peau, les nanotechnologies, le nucléaire ou les aurores polaires ? Plus insolites: le hoquet, les montagnes russes, le mentalisme, le lait de jument, la stévia (une Jean-Luc LÉONARD · ACTUALITÉS plante qui secrète une sorte d’édulcorant naturel), l’ocytocyne (l’hormone de la confiance et de l’amour), le vortex (tourbillon de fluide) et les croyances des peuples, vaste sujet s’il en est. Quelques autres matières abordées par les «Exp’osants» de Namur ouvrent encore davantage l’éventail de leurs recherches: cela va du téléphone à ficelle à la transformation d’excréments en gaz, en passant par la mémoire, les catastrophes naturelles, les trous noirs, le cerveau, l’abat- toir, les effets de l’alcool sur l’organisme, les requins blancs, le squelette, les feux d’artifices, le diabète, le sommeil, les glaciers, le train à sustentation magnétique, la grossesse, les lasers, le Cern, le monde des tortues, les images 3D, le chewinggum, le basket, les momies, la delphinothérapie, le moustique, l’huile de palme, le somnambulisme et l’œuf. Pour conclure cet inventaire très incomplet, comme l’aurait fait Prévert, il ne manque que le raton laveur. L’an prochain, peut-être ? + Pour en savoir plus http://www.oselascience.be http://exposons.wordpress.com/ rès a Le palm Les gagnants du concours d’Ose la Science sont, comme toujours, très nombreux. Nous en extrayons les dix premiers prix d’excellence distingués dans les trois catégories d’âge (entre parenthèses: le ou les auteurs du projet et éventuellement leur école), ainsi que les prix remis par l’Agence de stimulation économique (ASE) et le prix de la créativité. Les prix d’excellence Niveau primaire: Des volumes, des surfaces... comment les mesurer avec du sable ? (Luna Gérard) Les instruments de musique de mon jardin (Héloïse Wilkin) Le train à sustentation magnétique (Simon Lejoly) Niveau secondaire inférieur: Les abeilles, indispensables mais menacées (Christophe Lacroix - Providence Champion) De l’assiette à la compet’ (Bastien Libotte - Jean XXIII) La vie d’un sac en plastique (Valérie Sprockeels, St Guibert) Niveau secondaire supérieur: L’hémiplégie (Damien Boclinville, St Hubert) Arthrose= vieillesse ? pas sûr, pas sûr... (Manon Lavis et Sophie Noël - Jean XXIII) Ados Love (Sophie Malburny et Julien Matagne - Félicien Rops) Le radon (Nicolas Herman et Florent Lamotte - Jean XXIII) Prix de l’Agence de stimulation économique (ASE) Les instruments de musique de mon jardin, d’Héloïse Wilkin, projet «club-sciences» d’Ose la Science. Les couleurs du ciel, d’Alexandra Berger et Marie-Alix Mouchet, projet «club-sciences» d’Ose la Science. Prix de la créativité de Ose la Science L’influence de la nourriture sur le comportement, du Collège Saint-Servais (secondaire supérieur) 11 ATHENA 271 · Mai 2011 12 > LE DOSSIER Faites de beaux rêves... Texte: Philippe LAMBERT · Photos: L.CLARKE et M.FARMER/Flickr (p.12), Ph.LAMBERT (p.14) Philippe LAMBERT · LE DOSSIER Manque chronique de sommeil: santé en danger ! le même sens et corroboraient les données épidémiologiques. + Vous souhaitez en savoir plus sur le sujet? Rendez-vous dans la seconde partie de ce dossier ! Pour diverses raisons, le temps moyen de sommeil des individus s’est sensiblement réduit dans les pays industrialisés au cours des cinquante dernières années. Selon toutes les études disponibles, cette tendance draine dans son sillage des risques pour la santé. Plusieurs voyants sont à l’orange, si pas au rouge. Des chercheurs de l’ULB se proposent d’étudier ce que pourrait apporter aux petits dormeurs une extension de sommeil d’une heure par jour A ux États-Unis, par exemple, la durée moyenne du sommeil quotidien des adultes serait passée de 8 heures 30 minutes en 1960 à 6 heures 40 minutes de nos jours. Une chute vertigineuse partagée, à quelques nuances près, par l’ensemble des pays industrialisés. Études épidémiologiques et travaux en laboratoire dessinent une même vérité: l’érosion du temps de sommeil n’est pas sans répercussions sur la santé et les perfor mances cognitives. Le professeur Philippe Peigneux, responsable de l’Unité de recherches en neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle à l’Université libre de Bruxelles (ULB), et Rachel Leproult, qui a longtemps travaillé à l’Université de Chicago avant de rejoindre l’ULB, nous parlent de cette problématique et des recherches qu’ils vont entreprendre sur l’intérêt d’une extension de la durée de sommeil chez les sujets considérés comme de petits dormeurs. INTERVIEW I l ressort des données actuel lement disponibles dans la littérature scientifique que le manque de sommeil prédispose notamment au diabète et à l’obésité ? Rachel Leproult - C’est ce que révèlent les études épidémiologiques, mais également les expériences menées en laboratoire. Ainsi, à l’Université de Chicago, nous avons montré que si l’on demandait à des jeunes gens habitués à dormir en moyenne 8 h par nuit de ne dormir que 4 h par nuit pendant 6 jours, certains d’entre eux arrivaient au terme de l’expérience dans un état prédiabétique. Leurs analyses biologiques étaient caractérisées par une diminution de la tolérance au glucose et une résistance à l’insuline. Nous nous sommes également intéressées, avec Ève Van Cauter (1) et Karine Spiegel (2), au risque d’obésité. Il nous est apparu que les sujets en manque de sommeil avaient tendance à vouloir manger davantage et, qui plus est, surtout des aliments riches en graisses et en sucres. Les dosages hormonaux que nous avons effectués épousaient cette réalité. Ainsi, les taux de leptine étaient diminués chez les participants après 6 jours de déficit en heures de sommeil, alors que les taux de ghréline étaient augmentés. Rappelons que la leptine est l’hormone de la satiété, celle qui nous indique que nous sommes rassasiés, et que la ghréline stimule l’appétit. Vu la réduction de la durée quotidienne de sommeil dans des pays comme les États-Unis ou la France, il paraît tout à fait fondé de penser que le manque chronique de sommeil puisse jouer un rôle non négligeable dans l’«épidémie» de cas d’obésité que connaît actuellement le monde industrialisé. Une extension du temps de sommeil des petits dormeurs pourrait peut-être participer à la prévention de la prise de poids et faciliter l’élimination de l’excès pondéral. Cette voie mérite d’être explorée, en particulier chez les enfants, où elle est de nature à réduire les risques d’apparition et de développement de l’obésité. C es résultats ont-ils été reproduits par des études au «design» un peu différent ? R.L. - Absolument. Et dans tous les cas, les résultats expérimentaux allaient dans Une courbe en U I l y a des personnes qui sont considérées comme naturellement de petits dormeurs et d’autres, naturellement de grands dormeurs. Vous n’avez pas pu inclure ces populations dans vos travaux expérimentaux ? R.L. - Un souci d’homogénéité nous l’interdisait. Nous avons recruté des personnes qui dormaient habituellement de 23 h à 7 h ou de minuit à 8 h. Pas plus que les petits et les grands dormeurs, les travailleurs postés, par exemple, ne pouvaient entrer dans nos protocoles expérimentaux. Certes, il y a des individus qui ont besoin de moins de sommeil ou de plus de sommeil que d’autres, mais je crois que les «vrais» petits dormeurs relèvent de l’exception. Parmi les gens qui dorment très peu, beaucoup se forcent à écourter leur temps de sommeil pour des raisons familiales, sociales ou professionnelles. Ils finissent par s’habituer à la situation et à ne plus se rendre compte de leur état de fatigue. Placezles en pleine journée dans une chambre obscure, la plupart s’endormiront directement. En fait, ils sont à haut risque face aux problèmes de santé et aux pro blèmes cognitifs favorisés par le manque de sommeil. Philippe Peigneux - Il a été montré que les personnes qui ne dorment que 4 h par nuit ont un risque cardiovas culaire nettement accru. Mais là, évidemment, nous avons affaire à des cas assez extrêmes. On ne peut néanmoins nier l’existence d’une variabilité d’origine génétique entre les individus quant à leur besoin de sommeil et à leur résistance à la privation de sommeil. Certains semblent pouvoir se contenter de façon habituelle d’une nuit de repos de 6 h. Endeçà, cela paraît incompatible avec une absence de risque pour la santé. 13 ATHENA 271 · Mai 2011 > LE DOSSIER Bio express Nom: LEPROULT Prénom: Rachel 14 Formation: Licenciée en sciences mathématiques et docteur en sciences biomédicales Profession: Après 15 ans passés à l’Université de Chicago, elle travaille actuellement comme chercheuse à l’ULB sur un projet de recherche relatif à l’impact neurophysiologique, cognitif et biologique d’une extension de sommeil. E-mail: [email protected] Ê R.L. - Une courbe en U se dégage des études épidémiologiques. Dormir trop ou trop peu accroît les risques d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires, notamment. Pourtant, il s’agit de deux phénomènes différents. Le fait de peu dormir a généralement une origine comportementale. Quant à ceux qui se déclarent grands dormeurs, dormentils vraiment 10 h par nuit, voire plus, ou restent-ils simplement au lit ? En outre, un sommeil de longue durée peut parfois trouver son origine dans l’hypersomnie, affection dont l’origine reste encore incertaine, ou dans des pathologies telles que des problèmes cardiovasculaires, qui fatiguent l’organisme. V Nom: PEIGNEUX Prénom: Philippe Formation: Docteur en sciences psychologiques Profession: Responsable de l’Unité de recherches en neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle à l’Université libre de Bruxelles (ULB) Collaborateur du Centre de recherches du cyclotron (ULg) E-mail: [email protected] Le masque du visage tre en dette de sommeil est néfaste. Et à l’inverse, dormir beaucoup ? ous avez évoqué un risque cardiovasculaire lié au déficit de sommeil. Au-delà des études épidémiologiques, sa réalité a-t-elle été établie en laboratoire ? R.L. - Oui. À l’Université d’Harvard, par exemple, Janet Mullington a mis en évidence - et nous l’avons confirmé à Chicago - que le taux de la protéine C-réactive (CRP), un indicateur spécifique du risque cardiovasculaire, était augmenté à la suite d’une privation de sommeil. Divers travaux expérimentaux ont également décelé une élévation de la tension artérielle chez les sujets en manque de sommeil. D iabète, obésité, maladies cardio vasculaires... D’autres pistes ont-elles été explorées à ce jour ? R.L. - On pourrait citer la fonction immunitaire, pour laquelle Karine Spiegel a souligné aussi un impact négatif du déficit en heures de sommeil. Comment estelle arrivée à cette conclusion ? En comparant l’effet d’une vaccination contre la grippe sur des individus en carence de sommeil et sur des individus contrôles. Chez les premiers, la bonne qualité de l’immunisation s’est avérée plus tardive. Dans une expérience où étaient rassemblés des participants âgés de 35 à 49 ans appelés à dormir soit 5,5 h, soit 8,5 h, il est apparu que la prescription d’un régime alimentaire entraînait une perte de poids équivalente dans les deux groupes, mais que les membres du premier perdaient plus de muscle et moins de graisse que ceux du second. P.P. - Récemment, une équipe de chercheurs suédois et néerlandais conduite par John Axelsson, de l’Institut Karolinska, à Stockholm, a montré, par le biais de la présentation de photos d’individus ayant passé une nuit normale ou, au contraire, ayant été privés de sommeil, que les personnes en manque de sommeil étaient perçues comme moins Philippe LAMBERT · LE DOSSIER Ceux qui se déclarent grands dormeurs, dorment-ils vraiment 10 h par nuit, voire plus, ou r estent-ils simplement au lit ? En outre, un sommeil de longue durée peut parfois trouver son origine dans l’hypersomnie, affection dont l’origine reste encore incertaine, ou dans des pathologies telles que des problèmes cardio vasculaires, qui fatiguent l’organisme. Quoi qu’il en soit, dormir trop ou trop peu accroît les risques d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires, notamment. attirantes et en moins bonne santé. Une expression faciale plus figée - ce qu’on appelle le «masque du visage» - devait probablement contribuer grandement à ces appréciations. Une heure supplémentaire de sommeil U ne façon positive d’aborder la question du manque chronique de sommeil est d’étudier les effets bénéfiques éventuels d’une extension de la durée de sommeil chez les petits dormeurs. C’est l’objectif du projet que vous venez d’initier à l’ULB ? P.P. - Oui. Dans la plupart des études en laboratoire, les participants sont privés quotidiennement d’une ou plusieurs heures de sommeil pendant quelques jours, puis replacés durant une courte période expérimentale dans un régime de sommeil normal. Elle est trop brève pour juger d’effets à long terme. L’originalité de notre projet est double. D’une part, nous allons étudier l’impact d’une extension de sommeil d’1 h par nuit durant 6 semaines chez 20 adultes (2550 ans) en bonne santé et dormant, en moyenne, moins de 7 h par nuit en raison de leur style de vie. D’autre part, nous ne circonscrirons pas nos recherches à la sphère physiopathologique, même s’il n’est pas dans nos intentions de négliger les mesures du glucose, de l’insuline, de la protéine C-réactive, du cholestérol, etc., mais nous étendrons nos travaux au domaine cognitif et de l’activité cérébrale sous-jacente. Vu la longueur de l’expérience, elle ne pourra se dérouler en laboratoire. Aussi les participants continueront-ils à vivre dans leur cadre de vie habituel. Toute la difficulté sera de faire en sorte qu’ils puissent s’organiser pour majorer d’1 h leur durée moyenne de sommeil. Outre un questionnaire axé sur leurs périodes de veille et de sommeil, nous disposerons d’un moyen de contrôle indirect: chaque participant portera un moniteur d’activité motrice au poignet pendant 8 semaines, à savoir les 2 semaines précédant la période expérimentale proprement dite et les 6 semaines que durera cette dernière. R.L. - De surcroît, nous enregistrerons au domicile des participants 2 polysomnographies, l’une avant le début de la période d’extension de sommeil, l’autre vers la fin de celle-ci. Chaque sujet participera également à 2 sessions d’enregistrements électroencéphalographiques (EEG) et magnétoencéphalographiques (MEG), avant et après l’intervention. L’utilisation des EEG/MEG a pour objectif de mettre en évidence les processus neurophysiologiques intervenant dans l’accomplissement de diverses tâches. En effet, durant les 2 sessions EEG/MEG, les volontaires compléteront des questionnaires et participeront à des tâches cognitives. Q ue rechercherez-vous précisément à travers l’étude de ces tâches ? P.P. - Nous essayerons d’abord de déterminer dans quelle mesure l’extension de sommeil améliore les performances des sujets. Ensuite, la magnétoencéphalographie, qui est une technique d’imagerie de l’activité cérébrale dont la résolution temporelle est de l’ordre de la milliseconde, devrait nous permettre de déceler les stratégies mises en œuvre pour la réalisation d’une même tâche selon que le sujet est ou non en manque de sommeil. En effet, il est tout à fait possible que, même pour une performance équivalente, le cerveau se révèle plus efficient et plus rapide dans le traitement de l’information lorsque le sujet a bénéficié d’une extension de sommeil. Évidemment, nous ne pensons pas qu’1 h supplémentaire de sommeil puisse engendrer des effets massifs à ce niveau. Nous attendons plutôt des effets subtils s’exprimant, par exemple, en termes de vitesse de traitement de l’information. C’est pourquoi la magnétoencéphalographie nous semble particulièrement indiquée. 15 ATHENA 271 · Mai 2011 > LE DOSSIER Architecture déstructurée ? D e quelle nature seront les tâches cognitives proposées aux volontaires ? R.L. - Elles seront au nombre de trois. La première, qui est un grand classique pour l’étude de la vigilance, aura trait à l’attention soutenue. Assis pendant 10 min devant un écran sur lequel apparaîtra, toutes les 2 à 10 s, un compteur de chiffres qui se mettent à défiler, les participants auront pour mission de pousser le plus vite possible sur un bouton dès l’apparition de la séquence. Nous mesurerons leur rapidité et leur taux d’erreurs. 16 Deuxième tâche: un test d’inhibition, le «Stroop». Ici, on mesure la capacité d’une personne à résister à l’interférence. Il lui appartient, par exemple, de dénommer la couleur dans laquelle sont écrits des mots désignant eux-mêmes une couleur. Imaginons le mot «jaune» écrit en «bleu». La rapidité et le nombre d’erreurs commises sont à nouveau les paramètres pris en considération. Enfin, la troisième épreuve concernera la mémoire de travail. Une tâche appelée «2back». Le sujet voit des chiffres défiler sur un écran, à une vitesse prédéterminée, et doit réagir lorsque le chiffre qui apparaît est identique à celui qui a été présenté deux étapes auparavant. Ce test permet de mesurer la capacité de l’individu à mobiliser ses ressources attentionnelles et ses capacités dynamiques de traitement de l’information. V ous réaliserez aussi des enregistrements EEG/EMG en condition de repos. Pourquoi ? P.P. - Effectués au début et à la fin de l’expérience d’extension de sommeil, ces enregistrements de l’activité cérébrale auront d’abord lieu dans deux conditions voisines chez le sujet au repos. Primo, lorsqu’il maintient les yeux ouverts durant 5 min; secundo, lorsqu’il les ferme pendant le même laps de temps. Ces deux situations permettent d’aborder l’activité spontanée du cerveau selon deux modalités impliquant des réseaux cérébraux différemment distribués. En mettant notamment en lumière l’importance relative de la production d’ondes delta et d’ondes alpha, les enregistrements ainsi réalisés constituent des indicateurs du fonction nement cérébral au repos susceptibles de refléter l’effet d’une accumulation de fatigue chez le sujet en manque de sommeil et celui de la restauration d’un état d’équilibre chez le sujet ayant joui d’1 h de sommeil supplémentaire pendant 6 semaines. Toujours en début et en fin d’expérience, les volontaires auront par ailleurs la possibilité de faire une sieste de 30 min. Au cours de celle-ci, nous nous interrogerons particulièrement sur l’influence du manque chronique de sommeil, d’une part, et de l’extension de sommeil, d’autre part, sur la pression de sommeil l’envie de dormir - et sur la qualité même du sommeil. De fait, dans des états de pression constante de fatigue, l’architecture de ce dernier pourrait être déstructurée. Par exemple, une entrée très rapide dans le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal pourrait s’opérer au détriment du sommeil lent léger, qui représente normalement environ 50% de notre temps de sommeil total. (1) Physicienne d’origine belge, Ève Van Cauter a fondé un laboratoire de référence à l’Université de Chicago dans le domaine de l’étude du sommeil et des hormones. (2) Karine Spiegel est actuellement chercheuse à l’Université de Lyon au sein d’une unité INSERM. Dormir pour rester mince: mythe ou réalité ? Un bon sommeil est indispensable pour bien récupérer après une journée fatigante et être en forme le lendemain. Le manque de sommeil aurait toutefois des répercussions bien au-delà de notre forme, sur notre santé. Des chercheurs postulent en effet qu’un manque régulier de sommeil pourrait être en cause dans l’épidémie galopante de diabète de type 2 et d’obésité à laquelle on assiste actuellement de par le monde Texte: Valérie BURGUIÈRE · Photo: Phanie / REPORTERS (p.17) Valérie BURGUIERE· LE DOSSIER U n temps de repos quotidien minimum est nécessaire à chacun d’entre-nous pour être en forme le lendemain. Qui ne s’est jamais senti mal, vaseux, après une nuit blanche ou simplement un lendemain de fête prolongée tardivement dans la nuit ? Des chercheurs ont réalisé des expériences de privation de sommeil chez des jeunes gens, des étudiants, choisis pour être en bonne santé. Ils ont ainsi pû mettre en évidence que les sensations désagréables que l’on éprouve après une nuit éveillée résultent de perturbations métaboliques, notamment dans l’homéostasie des glucides. Dans la population générale, le temps moyen de sommeil est passé en cinquante ans de 9 h à 6 h, et la tendance actuelle est à se priver toujours davantage. De là à soupçonner le manque de sommeil de jouer un rôle dans les épidémies de diabète de type 2 et d’obésité, deux pathologies qui constituent aujourd’hui de véritables problèmes de santé publique, il n’y avait qu’un pas. Ce pas a été franchi par plusieurs équipes de chercheurs américains qui se sont penchées sur l’hypothèse. Sommeil et glycémie Le sommeil réalise des conditions métaboliques particulières, et la balance énergétique globale est facilement déstabilisée si le repos nocturne est insuffisant. Le manque de sommeil agit à deux niveaux de régulation de la balance, celui du métabolisme du glucose et celui de la régulation de l’appétit. Dans des conditions physiologiques normales, l’ingestion de glucides provoque une sécrétion d’insuline, laquelle stimule l’absorption du glucose par les tissus périphériques insulino-sensibles, ramenant la glycémie à des valeurs normales. L’insuline agit également en inhibant la production hépatique du glucose. Ces deux actions normalisent la glycémie post-prandiale. Dans des conditions de prédisposition au diabète, l’intolérance au glucose reflète l’incapacité de l’organisme à métaboliser une surcharge glucidique (ingestats, injection intra-veineuse lors d’une épreuve d’hyperglycémie orale provoquée) et à ramener la glycémie à son niveau basal. Parallèlement, l’insulino-résistance des tissus périphériques implique que de plus grandes quantités d’insuline sont nécessaires pour faire baisser la glycémie. Le métabolisme glucidique a été étudié chez des sujets sains au cours du cycle nycthéméral (jour et nuit). Pour cela, il a été choisi de pratiquer soit une injection intra-veineuse à infusion constante, soit une nutrition entérale continue en glucose. Les résultats de ces analyses montrent que la tolérance au glucose varie de façon physiologique chez les sujets sains, minces, au cours du nycthémère. Elle est maximale le matin et passe par un minimum en milieu de nuit. Réponse insulinique diminuée Cette intolérance nocturne est physiologique et s’explique par une diminution de l’insulinémie (taux d’insuline dans le sang) associée à une réduction de la sensibilité tissulaire périphérique à l’insuline pendant la nuit, et les taux de glucose tendent à rester élevés, de 20% en moyenne par rapport à la glycémie basale, malgré la période de jeûne. Une étude a montré que l’élévation des taux du glucose sanguin pendant le sommeil est indépendante de la période pendant laquelle le repos survient: un sommeil diurne est également associé à des glycémies élevées. L’analyse plus poussée de l’homéostasie glucosée montre que le sommeil de première partie de nuit est associé à des glycémies croissantes, tandis que les taux de glucose sanguin sont stables pendant le sommeil paradoxal de fin de nuit. À la tomographie par émission de positrons (PET scan), le métabolisme cérébral diminue de 11% pendant le sommeil lent de première partie de la nuit. Dans le même temps, l’utilisation périphérique du glucose est nettement ralentie. Le retour à des valeurs normales basses le matin en phase d’éveil passe par la survenue de phases de sommeil paradoxal, consommateur d’énergie, de plus en plus longues en fin de nuit. La tolérance au glucose redevient maximale dans la matinée, les glycémies se normalisant progressivement au cours de l’éveil et lors de la reprise d’une activité. Des expériences réalisées chez de jeunes adultes sains ont montré qu’après une privation partielle en sommeil (<6,5 h), la réponse insulinique - le taux d’insuline dans le sang - au test d’hyperglycémie orale provoquée diminue de 30% par rapport à celle mesurée après un repos normal (7,5 à 8,5 h). Ce résultat est comparable aux valeurs enregistrées chez des patients atteints de diabète de type 2. Une baisse de la réponse insulinique est un marqueur précoce de développement d’un diabète et des baisses précoces similaires sont obser- 17 ATHENA 271 · Mai 2011 > LE DOSSIER vées dans le diabète de type 2 et le diabète gestationnel. Après avoir avalé un petit déjeuner riche en hydrates de carbone, les jeunes gens privés de sommeil dans l’expérience pré- sentaient des glycémies supérieures à celles mesurées dans un groupe témoin après un sommeil normal, et ce malgré une sécrétion d’insuline retrouvant des valeurs normales. Cette élévation de la glycémie post-prandiale avec insulinémie préservée répond à la définition d’une intolérance au glucose. Toutefois, les glycémies revenaient à des valeurs normales après récupération sur plusieurs nuits. Des perturbations dans la régulation de l’appétit La régulation de l’appétit fait intervenir le noyau arqué hypothalamique. Deux types d’hormones agissent sur le noyau arqué, l’une stimule l’appétit, l’autre exerce un rôle freinateur. La leptine est sécrétée par le tissu adipeux en réponse à la prise d’aliments et déclenche des sensations de satiété par le biais du centre hypothalamique. En conditions normales, les taux de leptine augmentent en début de nuit jusqu’à un pic physiologique observé en milieu de nuit, pour redescendre ensuite progressivement. 18 À l’inverse, la ghréline stomacchale stimule l’appétit et réduit l’oxydation des lipides, cette dernière action déséquilibrant davantage la balance énergétique. La ghréline montre également une rythmicité circadienne, les concentrations nocturnes étant maximales, de telle sorte que les deux hormones antagonistes, leptine et ghréline, exercent leurs effets freinateur ou accélérateur sur l’appétit de façon synchrone, équilibrant ainsi mutuellement leurs actions. Au cours d’une nuit blanche, la prolongation de la période d’éveil se traduit par une augmentation des taux de leptine dans le sang, en relation avec des taux diurnes élevés. Toutefois les taux tendent à diminuer si l’éveil se prolonge trop. En cas de privation partielle en sommeil, situation la plus habituellement retrouvée chez les petits dormeurs, on a observé une diminution moyenne de 15 à 19% des taux de leptine sérique. Le rythme circadien de l’hormone satiétogène est également perturbé, et son acrophase (phase de sécrétion maximale) est avancée de 2 h et diminuée de 26%. La ghréline montre la tendance inverse. Les taux moyens augmentent jusqu’à 28% dans une étude en condition de restriction du sommeil, et son action stimulante sur l’appétit s’en trouve accrue. La ghréline, qui a une action rapide sur la régulation de l’appétit, est plus volontiers corrélée à une privation de sommeil à court terme, tandis que la leptine, un facteur de régulation à long terme de la balance énergétique, est préférentiellement associée aux privations chroniques. De plus, une étude a montré que les taux de leptine plasmatique des petits dormeurs (entre 5 et 6 h) étaient significativement plus bas que ce que l’on attendait au vu de leur masse grasse. Enfin, les volontaires soumis aux expériences de privation de sommeil décri- LA CHRONOBIOLOGIE EN QUELQUES EXPLICATIONS L a chronobiologie est l’étude des rythmes biologiques d’un individu. Ces rythmes, génétiquement déterminés, sont propres à l’espèce et conditionnent la survie de l’espèce et de l’individu dans leur environnement. Ils représentent une adaptation évolutive aux modifications cycliques de cet environnement (alternance du jour et de la nuit, saisons, etc…), mais doivent également prendre en compte les variations extrêmes (froid inhabituel, sècheresse,…). En effet, la survie d’un organisme est conditionnée par la constance de ses paramètres internes (température, taux du glucose sanguin, …), dont les valeurs ne peuvent varier que dans des limites restreintes et bien définies. La rythmicité d’un paramètre biologique se caractérise par une période (le temps), ou une fréquence, qui est l’inverse de la période du point de vue mathématique, et par une amplitude, et passe donc par une acrophase (le maximum) et une bathyphase (un minimum). Ainsi par exemple, notre tempé rature corporelle présente une rythmicité circadienne (période de 24 h), passe par un maximum vers 17 h et par un minimum entre 3 et 5 h du matin. Le cycle veille sommeil nous est plus familier. Il existe également des périodicités sur une semaine ou sur un mois (cycle menstruel) et des rythmes circannuels: la graisse brune, qui brûle des calories, est plus active en hiver, les températures froides stimulant spécifiquement le tissu adipeux brun. La plupart des paramètres biologiques évoluent toutefois sur plusieurs périodes, montrant plusieurs rythmes cycliques imbriqués les uns dans les autres. Les rythmes biologiques ont une origine endogène et sont entrainés par l’horloge biologique interne, constituée d’amas de neurones occupant notamment le noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus, cette glande située profondément dans notre cerveau. Les petits neurones de ces noyaux sont animés d’une activité électrique et biochimique automatiques, entraînant avec elles nos fonctions vitales. C’est Valérie BURGUIERE· LE DOSSIER vaient des sensations de faim et d’appétit accrues respectivement de 24 et 23% sur des échelles d’analogie visuelle, par rapport aux sujets contrôles. Ils faisaient en outre des choix alimentaires inappropriés et montraient une nette préférence pour les aliments carbohydratés. Des voies de recherche à suivre Les conclusions des travaux déjà effectués suggèrent donc que le manque de sommeil peut entraîner des dysfonctionnements dans le métabolisme du glucose, associés à une élévation des taux d’insuline sanguine pouvant être à l’origine d’un risque accru de développer un diabète. La privation régulière de sommeil est également corrélée à des changements dans les concentrations sériques en hormones régulatrices de l’appétit - leptine et ghréline - ces modifications allant de pair avec des modifications du comportement alimentaire, conduisant probablement ceux qui se privent de sommeil à manger plus en contrepartie et à prendre du poids. Dans les expériences réalisées en laboratoire, les sujets testés n’avaient pas un accès libre aux aliments et ne pouvaient donc pas manger davantage. des épidémiologiques ont observé une association entre des durées de sommeil réduites et un risque accru de développer un diabète ou une obésité. De nouvelles recherches sont nécessaires toutefois pour incorporer des mesures objectives du sommeil et du poids dans les études épidémiologiques, et également pour mieux comprendre les mécanismes reliant le manque de sommeil et les altérations du métabolisme. Par exemple, des études interventionnelles pourraient déterminer si, inversément, le fait de dormir plus longtemps est en mesure d’améliorer la tolérance au glucose. D’autres études également devront examiner si le manque de sommeil conduit bien à manger plus, donc à augmenter ses apports caloriques, à réduire ses activités physiques, donc à diminuer ses dépenses, et au final à un déséquilibre important de la balance énergétique. Remerciements au Dr Kristen L. Knutson, PhD, Department of Health Studies, University of Chicago, Chicago, USA Il semble que les données épidémiologiques recueillies sur des échantillons de la population confirment ces découvertes de laboratoire. En effet, les étu- ainsi que le rythme veille sommeil spontané présente une période comprise entre 24 h 30 min et 25 h, parfois plus selon les individus. Mais alors, nous devrions nous décaler chaque jour un peu plus, penserez-vous. La réponse est bien évidemment non, et l’explication réside dans l’existence de synchronisateurs externes. Les synchronisateurs environnementaux naturels sont les plus intuitifs. Ainsi l’alternance du jour et de la nuit entraîne notre rythme veille sommeil sur 24 h, notamment par l’intermédiaire de la lumière, grâce à un petit faisceau de filets nerveux issus de la rétine transmettant à notre hypothalamus des informations sur la luminosité ambiante. Des hormones tel- les que la mélatonine entrent également en jeu. Il existe également des synchronisateurs sociaux, qui peuvent être très puissants. La sonnerie d’un réveil à heure régulière tous les matins entraîne chez certains individus un éveil quelques minutes avant le déclenchement de la sonnerie au bout d’un certain temps. Autre exemple, les horaires de travail imposés finissent par entraîner le rythme du retour de la faim plutôt vers midi ou vers 2 h, en fonction des habitudes de la «boîte» où l’on bosse. Toutes ces adaptations comportementales passent par un entraînement, ou synchronisation, de notre horloge biologique interne au niveau de l’hypotha lamus. et étudiants O n ne saurait que conseiller aux étudiants qui révisent leurs examens de ne pas se priver de sommeil, ni de façon chronique, ni même en aigü. En effet, une simple nuit blanche, en plus des désordres de la glycémie qu’elle provoque, engendre des troubles de l’ordre de la vigilance et de la concentration. Les fonctions cognitives d’individus en bonne santé ont été évaluées dans divers protocoles de privation de sommeil. Les sujets privés montrent un déficit rapide de leurs performances. Ces diminutions dans les performances seraient dues à un déficit d’attention sélective ou à une augmentation de la distractibilité, à rapporter à un dysfonctionnement des lobes frontaux, très sensibles au manque de sommeil. Les fonctions exécutives des lobes frontaux, telles la capacité à planifier, à coordonner et à mettre à jour des actions, toutes tâches dont les étudiants reconnaîtront la pertinence dans leur apprentissage, ont été évaluées au moyen de différentes tâches spécifiques. Les résultats indiquent une baisse de toutes les capacités spécifiques. Les lobes frontaux ont également un rôle d’inhibition, processus cognitif qui consiste à ignorer les informations nombreuses et parasites que l’on reçoit en permanence, pour se focaliser sur les entrées sensorielles, cognitives, les représentations, etc… pertinentes. Reconnaissons qu’il serait dommage de se priver de tels mécanismes, qui facilitent le tri et l’apprentissage, dans la somme des données que l’on engrange lors des heures de cours passées sur les bancs de l’école. 19 ATHENA 271 · Mai 2011 > PORTRAIT L’ADN de... Propos recueillis par Géraldine TRAN • [email protected] Photos: BSIP/REPORTERS (fond) Côté pile Nom: RINGLET Prénom: Charlotte Âge: 29 ans État civil: Mariée Enfants: une fille, Zoé 20 Profession: Logopède. Logopède au sein d’une école fondamentale spécialisée de type 1-3‑8 (1) à Visé, et indépendante complémentaire. Formation: Études secondaires au Lycée Saint-Jacques à Liège. Diplômée en logopédie à l’Université catholique de Louvain. (1)Type 1: Déficiences mentales légère; type 3: troubles du comportement; type 8: troubles instrumentaux. Logopède, c’est une vocation que vous avez depuis toute petite ? Comment l’idée d’exercer ce métier vous est-elle venue ? Non, ce n’est pas une vocation que j’ai depuis l’enfance. J’ai découvert que ce métier pourrait me convenir en rhéto, au moment de choisir des études supérieures. J’envisageais un métier social, créatif, avec des enfants, et j’aimais beaucoup les branches littéraires. Ce métier regroupait donc toutes mes attentes... Comment devient-on logopède ? Vous travaillez actuellement dans une école spécialisée, y a-t-il une formation complémentaire pour ce type d’enseignement ? J’ai suivi une formation universitaire à l’UCL (deux candidatures en Psychologie et trois licences en Logopédie). La dernière année était exclusivement consacrée au mémoire et aux stages, que j’ai effectués dans un hôpital pédopsychiatrique et dans un centre neurologique pour enfants. Il y a également moyen de devenir logopède en faisant un graduat dans des hautes écoles, en trois ans. Il n’y a pas de formation spécifique pour travailler dans l’enseignement spécialisé. Par contre, il existe de nombreuses formations accessibles en cours de carrière sur des troubles précis ou des techniques de rééducation ciblées. Quels sont vos rapports avec la science ? Quels sont vos premiers souvenirs «scientifiques» ? J’avoue ne jamais avoir adoré les sciences exactes à l’école… Mais dans le cadre de ma formation universitaire, nous avions un certain nombre de cours scientifiques (anatomie oro-faciale, neurologie, neuropédiatrie, ORL) qui m’ont plus intéressés car ils étaient en rapport direct avec mon métier, en complément, bien entendu, des nombreux cours de sciences humaines. Quelle est la plus grande difficulté rencontrée dans votre métier ? Ce qui est difficile mais qui fait également la richesse du métier, c’est que nous sommes face à des enfants qui sont tous différents, uniques dans leur mode de vie et dans leur mode de pensée. Ils ont donc besoin d’un suivi personnalisé. Il n’y a pas de «recette de cuisine» à appliquer pour tel ou tel trouble, il faut partir de chaque enfant et des difficultés qui lui sont propres pour construire la rééducation logopédique. Il faut sans cesse se remettre en question, partir du mode de pensée de l’enfant sans lui imposer le nôtre, être créatif et s’adapter à chacun. Notre métier est souvent méconnu ou mal connu, on pense souvent qu’on rééduque juste les troubles articula toires. Or la logopédie est une discipline beaucoup plus large et plus complexe. Quelle est votre plus grande réussite jusqu’à aujourd’hui ? Je trouve que dans notre métier, la plus grande réussite est quand on arrive à l’objectif visé d’une rééducation, quand les difficultés d’un enfant disparaissent alors que la tâche s’avérait difficile au départ. Pour les enfants qui ont des troubles plus profonds, la plus belle récompense est d’observer des progrès qui leur redonnent confiance en eux et en leurs capacités, qui les rendent épanouis et plus sûrs d’eux pour affronter le monde extérieur. Quel conseil donneriez-vous à un quelqu’un qui aurait envie de suivre vos traces ? C’est un métier magnifique, mais on peut parfois se sentir fort seul face à la mul- Géraldine TRAN · PORTRAIT Charlotte RINGLET titude de troubles à rééduquer. Il ne faut donc pas hésiter à poser des questions à d’autres logopèdes, à organiser des réunions avec des collègues, et à continuer à se former. Côté face Je vous offre une seconde vie, quel métier choisiriez-vous ? Dessinatrice, si le talent est offert avec bien sûr ! J’envie beaucoup les gens qui ont ce don, et qui créent des merveilles en un coup de crayon... Je vous offre un super pouvoir, ce serait lequel et pour quoi faire ? Le pouvoir de ralentir le temps, car 24 heures dans une journée, c’est beaucoup trop court ! Je vous offre un auditoire, quel cours donneriez-vous ? Un cours pratique, parce qu’on n’est jamais assez bien préparé à la réalité du terrain. Je vous offre un laboratoire, vous plancheriez sur quoi ? Un remède pour guérir le cancer. Je vous transforme en un objet, ce serait lequel ? + Plus d’infos: http://www.ucl.ac.be/psp Un appareil photo, pour garder une trace des plus beaux souvenirs et pour être de tous les voyages… 21 ATHENA 271 · Mai 2011 > TECHNOLOGIE J’y suis, j’y reste ! 22 643 millions d’utilisateurs Facebook dans le monde. Et moi ! Et moi ! Et moi ! Exister sur Facebook, c’est très simple. En revanche, il est plus difficile de se faire oublier. Or, l’oubli est un droit. Comment le défendre ? Ou, plutôt, comment relever ce défi ? Quels sont nos moyens et nos droits en tant que consommateurs ou utilisateurs, face au premier réseau social ? La question fait débat P our Facebook, le droit à l’oubli n’intéresse pas fondamentalement les internautes. Le site communautaire préfère mettre l’accent sur ses paramètres de confidentialité. Ce n’est pas l’avis de la Commission européenne qui se bat, aujourd’hui, pour défendre le droit à l’oubli sur les réseaux sociaux. Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice, plaide pour un renforcement de la protection de la vie privée et souhaite donner aux internautes un meilleur contrôle sur les informations privées qui sont collectées, archivées, exploitées et éventuellement vendues par des sociétés comme Facebook, Google ou tout autre site Internet communautaire permettant à ses utilisateurs de poster des photos, des informations privées ou quoi que ce soit de potentiellement embarrassant. Cette nouvelle réglementation, dont la mise en place est prévue dans le courant de l’année, placera l’Union européenne à la pointe de la protection de la vie privée sur Internet et pourrait inspirer d’autres pays à mesure que le débat sur la réglementation en ligne devient plus pressant et polémique. Pour la Commission européenne, nous devrions avoir le droit - et pas seulement la possibilité - de retirer notre consentement à la collecte d’informations. Quant à la charge de la preuve, elle devrait être du côté de ceux qui utilisent nos données personnelles. Entre curiosité, intérêt ou voyeurisme Les réseaux sociaux ont toujours existé ! Depuis les origines se sont constitués des communautés, des guildes, des congrégations, des clubs «d’hommes» autour Texte : Alain de FOOZ [email protected] Photos:CLUBIC.com (p.24), BSIP / REPORTERS (p.25) d’intérêts communs. Des Facebook, LinkedIn ou Twitter, pour ne citer qu’eux, n’en sont que des extensions électroniques, via Internet. L’échelle a changé, pas la finalité. Leur force s’inscrit dans un contexte de modernité marqué à la fois par l’individualisation des rapports sociaux et la globalisation des espaces d’échange. Ces réseaux apparaissent comme autant d’espaces de rencontre et de liberté où l’on peut non seulement se construire en tant qu’acteurs sociaux, mais aussi fédérer et rassembler rapidement autour de causes personnelles ou publiques. Aujourd’hui, sans acquitter de droit d’entrée, il est possible de créer un «profil» et de regarder «qui en est». La rencontre, la convivialité, la relation professionnelle ont donné lieu à l’émergence de sites spécifiques qui ont suscité un engouement rapide. Entre curiosité, intérêt ou voyeurisme, tout un chacun peut maintenant établir des contacts en ligne. Pour parler de ses goûts, de ses convictions, de ses attentes ou échanger sur des sujets plus intimes, plus polémiques aussi.... Alain de FOOZ ·TECHNOLOGIE Par le jeu du référencement, on gagne en visibilité. Et on pourra être retrouvé aisément à l’aide de quelques données de base soumises à des moteurs de recherche. Le réseau social sert à développer notre notoriété et, par voie de conséquence, notre influence. Si la génération «Y» y voit un moyen facile de devenir rapidement célèbre, les entreprises commencent à comprendre tout l’intérêt à pénétrer ces nouveaux réseaux. Un laboratoire sur les concepts fondamentaux Si les réseaux sociaux présentent de nombreux avantages, ils ne sont pas non plus sans risques, prévient le CRIDS, le Centre Recherche Information Droit et Société, des Facultés universitaires NotreDame de la Paix à Namur (FUNDP). Ainsi, les utilisateurs doivent-ils, pour y participer, adhérer à une trame contractuelle et technique sans toujours ni comprendre, ni maîtriser les termes de celle-ci. Par ailleurs, les individus s’exposent les uns aux autres et prennent le risque d’en subir des conséquences néfastes. Pour les juristes et les sociologues du CRIDS, le réseau social est donc un laboratoire intéressant pour tester les limites de nombreuses réglementations dont il remet parfois les concepts fondamentaux et champs d’application en question et pour s’interroger sur les nouvelles normes sociales auxquelles ces réseaux semblent donner lieu, élevant popularité d’une part, et voyeurisme de l’autre, au rang de principes de vie en société. Le regard sur les réseaux sociaux peut se faire à différents niveaux. Sur le L’émulation des réseaux sociaux fonctionne sur deux principes que l’on peut résumer par : «Les amis de mes amis sont mes amis» et par «Les personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêts que moi sont mes amis»... même si, à l’origine, on ne fait partie du même groupe d’amis ! plan sociologique et juridique, l’analyse de l’outil, et plus particulièrement ses hypothèses de conception quant à l’organisation des données personnelles et des liens sociaux, est incontournable. Cette organisation peut en effet avoir des impacts importants non seulement sur la vie privée, mais aussi sur la maîtrise que chacun peut avoir de ses données comme de son réseau. lisé, exploité. Aujourd’hui, si le modèle d’affaire des réseaux sociaux n’est pas encore finalisé, il apparaît de plus en plus clairement que son exploitation peut constituer un énorme «business». D’autant que rien n’empêche une personne morale de s’inscrire sur le réseau et de proposer de nouveaux contenus susceptibles d’influencer le comportement d’internautes physiques. De ce point de vue, il est essentiel de comprendre ce que deviennent toutes ces «traces» - a priori anodines - que nous laissons sur les réseaux, analyser les «trajets» qu’elles opèrent pour se retrouver agrégées dans des profils à des fins de contrôle ou de marketing. En renseignant son état civil, en diffusant une photo, en écrivant un texte original, en «twittant» un lien, chacun, sans réellement s’en rendre compte, délègue une part de sa personnalité au réseau social où il «existe». Le plus souvent, d’ailleurs, sans se soucier des réalités juridiques concernant les droits et jurisprudence en vigueur. Ainsi, il ne faut pas confondre confidentialité des données personnelles (obligation légale pour toute entreprise) et commerce de données personnelles (évoqué généralement dans les conditions générales d’usage de chaque site, que personne ne lit véritablement dans le détail…). Le commerce de données personnelles numériques n’en est qu’à ses débuts. Ne nous leurrons pas: si en mars 2011, Chacun délègue une part de sa personnalité Car dans chaque réseau social se constitue un formidable patrimoine de données confiées par les internautes; un patrimoine qui sera, à terme, uti- 23 ATHENA 271 · Mai 2011 > TECHNOLOGIE Bref, il est important de développer et maîtriser son identité numérique afin de mieux organiser ses échanges à travers le réseau social. La maîtrise de ce changement se jugera dans le temps: le monde numérique a cette particularité de conserver longtemps les traces de ses acteurs. Inconséquent, on devra assumer sa réputation; anonyme, on n’existera que par procuration. Sans oubli numérique, il faudra apprendre à composer avec l’éternité. T witter a été «valorisé» entre 8 et 10 milliards de dollars et Facebook à 50 milliards, ce n’est pas sans arrière-pensée ! C’est aujourd’hui cette face cachée de ces sites qui inquiète. D’emblée, on songe aux pratiques commerciales douteuses. À toutes sortes de menaces virtuelles, mais bien réelles dans les 24 faits. On oublie que Facebook, en particulier, est désormais le paradis des voleurs d’identité et des informations personnelles (détournement de photos par exemple) avec des intentions certainement peu louables. Rien de plus facile: pour se faire passer pour une autre personne, il suffit de créer un profil au nom de cette personne ! Rien de plus, rien de moins. Le droit à l’oubli n’est qu’une modernisation de lois existantes, rassure la Commission européenne. Ce droit existe déjà au sens où tous les résidents européens ont le contrôle de leurs données personnelles. Ne manque plus que la déclinaison pour ce qui concerne les nouveaux usages apparus sur Internet. «Sur Internet, ce que vous ne contrôlez pas est définitivement hors de votre portée !» Jean-Philippe Moiny, Licencié en Droit, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur L e droit à l’oubli, qui mobilise aujourd’hui l’Union européenne, pose une question plus large au sujet des réseaux sociaux: nos législations peuvent-elles répondre aux différentes problématiques, notamment en termes de respect de la vie privée ? Je ne pense pas qu’il y ait des lacunes dans le droit, mais nos législations ne sont pas forcément adaptées aux nouveaux usages. Ceci dit, elles sont suffisamment souples pour répondre aux diverses problématiques. Ici, on aura recours au droit à l’image, là au respect de la vie privée. En revanche, on voit apparaître de nouvelles notions. Peut-on, par exemple, considérer une adresse IP comme une donnée à caractère personnel ou est-ce seulement une indication technique ? Jusqu’ici, on ne sait pas. Pour moi, la difficulté est ailleurs: il n’y a pas un réseau social, mais des réseaux sociaux. Chacun avec ses particularités, ses spécificités. Facebook, le plus populaire, définit techniquement et contractuellement les finalités et les outils informatiques de traitement de données qu’il met en place via ses services; il fixe et modifie les conditions d’utilisations et en particulier, la politique de confidentialité qui peuvent limiter le comportement de l’utilisateur. On peut émettre des jugements de valeur. Pour ma part, je me contenterai d’affirmer qu’on reste libre d’adhèrer ou non, et si on le fait, de limiter nos usages... P lusieurs raisons, plusieurs conceptions du respect de la vie privée; on voit aussi que le principe de respect de la vie privée n’est pas perçu de la même façon d’un pays à l’autre... Rien n’est simple, non plus, en droit ! De fait, nous avons des conceptions différentes du droit, en particulier du respect de la vie privée. Selon certains chercheurs, le principe du respect de la vie privée met la culture anglo-saxonne à part de la plupart des cultures occidentales. On notera aussi que le concept n’est pas universel. D’ailleurs, pour certains linguistes, l’expression «vie privée» est parfois considérée comme intraduisible ! Qui plus est, le concept de vie privée évolue. Si l’on vous voit sur une séquence vidéo ou une photo en train de boire dans une fête, ce peut être gênant vis-à-vis de vos collègues ou votre employeur. Vous aurez le sentiment que votre vie privée n’a pas été respectée. En même temps, si la fête en question s’est passée dans un lieu public, on n’est pas dans l’intimité... La question est sensible. Quand des caméras de vidéo surveillance permettent d’apporter les preuves d’un délit, est-ce là une atteinte à la vie privée ? Autrement dit, peut-on accepter une preuve obtenue au départ d’une violation du respect à la vie privée ? La réponse revient aux juges. Certains exploiteront ces informations, d’autres les rejetteront. Alain de FOOZ ·TECHNOLOGIE E n rendant publiques, à travers nos statuts, nos informations personnelles et nos conversations, Facebook élimine le contexte de ces échanges. Par défaut, le réglage est public... Gênant, non ? ne sert que des intérêts commerciaux, voire fiscaux. Mais ne perdons pas de vue que sans elle, les mouvements au Moyen-Orient de ce début d’année n’auraient sans doute pas connu la même ampleur... C’est une particularité de Facebook, pas une généralité. Ce n’était pas le cas avant, c’est le cas aujourd’hui. Ce qui démontre, encore une fois, que les réseaux évoluent, que leurs conditions évoluent au fil du temps. On l’a vérifié pour les clauses d’exonération de responsabilité, également pour les clauses d’archivage... Cette évolution n’est pas toujours négative, elle résulte le plus souvent de situations que le promoteur du réseau n’avait pas envisagées. Il s’adapte. Le droit, aussi, s’adapte. Nous sommes dans les nouvelles technologies, ne l’oublions pas; on peut imaginer le futur, pas le prévoir ! P L a protection des données relève du droit commercial aux États-Unis; du droit fondamental en Europe. Pour le consommateur, c’est à s’y perdre. Que faire ? Comment se protéger ? C’est bien là le nœud du problème ! La question relative aux flux transfrontaliers de données à caractère privé est fondamentale. Où cette information estelle traitée ? Aux États-Unis, chez le promoteur du site ? Ou chez un prestataire indépendant, dans un autre pays ? Pour ne rien arranger, certains promoteurs de réseaux sociaux nord-américains opèrent, au sein de leur pays, dans différents États, profitant de spécificités réglementaires ici ou là... Cette «délocalisation» est critiquable, car le plus souvent elle our le consommateur, la première question, en cas de litige, est de savoir à qui s’adresser. Et là, force est de reconnaître qu’il risque de se perdre dans un véritable labyrinthe. L ’affaire Sony est révélatrice. Des pirates informatiques ont dérobé les noms, adresses, dates de naissance, mots de passe et probablement les numéros de cartes bancaires de millions de détenteurs de compte de son service de jeux vidéo en ligne PlayStation Network. Contre qui se retourner ? Bonne question ! A priori contre Sony. Mais où ? Dans quel pays ? Sony peut avoir externalisé cette activité. Il s’agira, alors, de se retourner contre le prestataire qui recueille et traite les informations pour son compte... Si l’information figure sans doute dans le contrat, force est de reconnaître que la question dépasse les millions de jeunes qui y ont souscrit, et tout autant leurs parents. C’est le genre de problème qu’on n’imaginait pas. Or, aujourd’hui, le problème est posé. Se retourner contre Sony ? Difficile ! D’autant qu’en Belgique, contrairement à la plupart des pays anglo-saxons, nous n’avons pas de «class action» Autrement dit, la notion de recours collectif n’existe pas. Or, cette affaire le démontre, c’est pour les consommateurs le moyen le plus efficace de faire respecter leurs droits. Aujourd’hui, ils sont démunis parce que, pris séparément, aucun des préjudices dont ils sont victimes n’est suffisamment important pour couvrir les frais d’une action en justice... R ésumons: nous ne sommes pas dans le non-droit, mais dans un certain flou. Quel ultime conseil donneriez-vous ? Toujours bien garder à l’esprit que ce qu’on publie devient public et que sur Internet, tout ce que vous ne contrôlez pas est définitivement hors de votre portée. Le réseau n’oublie rien ! Il faut apprendre à maîtriser ce que l’on publie. Après tout, on peut partager des photos avec ses amis sans passer par Facebook... Des travaux de recherche sans précédent menés en Wallonie L a problématique des réseaux sociaux a suscité diverses recherches au sein du CRIDS (Centre de Recherche Information Droit et Société, dépendant des FUNDP à Namur) que ce soit dans une perspective juridique, sociologique ou communicationnelle. Au niveau juridique, en particulier, les réseaux sociaux posent de multiples questions comme l’autonomie des volontés et du consentement, le droit d’auteur sur des créations partagées et mises en lignes dans des espaces certes publics, mais vécus comme privés, la transparence et l’information de l‘utilisateur et sa protection en tant que consommateur sur ces réseaux, la détermination du droit applicable et du juge compétent en cas d’éventuel litige sur ces espaces globalisés. 25 ATHENA 271 · Mai 2011 > INTERNET Le Web pour les Nuls et les Professionnels 26 Comment les Receveurs reçoivent Texte : Christian VANDEN BERGHEN • http://www.brainsfeed.com • [email protected] Illustrations : VINCE Dans l’article précédent de cette série, nous avons vu comment les Receveurs se font envoyer de l’information fraîchement apparue sur les pages qui les intéressent. En raison de la facilité de sa mise en œuvre et surtout de sa gratuité, nous avons décidé d’expliquer une méthode de veille basée sur la technologie des fils RSS. Nous avons également expliqué comment créer un agrégateur de fils (Google Reader, en l’occurrence) afin de les concentrer sur une seule page et de faciliter ainsi leur suivi. Bien entendu, parce que nous sommes convaincus que les outils sont toujours plus pratiques lorsqu’ils nous permettent d’être nomades, nous avons choisi un agrégateur en ligne plutôt qu’un agrégateur qui collecterait les informations sur un disque dur R appelons que nous en sommes au huitième article de cette série consacrée aux quatre profils identifiés et couramment rencontrés qui sont les suivants: • les Chercheurs • les Trouveurs • les Receveurs • les Passeurs Ces quatre catégories correspondent aux différentes méthodes de recherche adoptées par les utilisateurs du Web en fonction de leur niveau de formation à l’utilisation du Web: » les Chercheurs manquent de méthode et d’une vue d’ensemble de tout ce qui est disponible sur le Web; » les Trouveurs ont une bonne connaissance du Web et de ses coins et recoins. Christian VANDEN BERGHEN · INTERNET Et surtout, ils ont appris une méthode non empirique de recherche sur le Web; » les Receveurs (et ce sont ceux-là que nous étudions dans cet article) ne se contentent plus de trouver l’information, ils se la font envoyer automatiquement par la mise en place d’un processus de veille; » quant aux Passeurs que nous étudierons le mois prochain, ils savent comment diffuser l’information de manière automatique vers leurs différents profils sur les réseaux sociaux, vers des blogs ou des collaborateurs. Nous allons apprendre quelques astuces permettant de manipuler les fils RSS, de les trier, de les stocker et de les partager. Ne pas s’endormir sur ses lauriers ! Avant toute chose, il ne faudrait pas que, dans l’euphorie induite par la magie de l’information qui «arrive toute seule», on oublie une chose essentielle: le Web est en perpétuelle évolution. Des sources d’information se tarissent et de nouvelles apparaissent presque quotidiennement. Le danger de la veille est de perdre de vue les changements qui surviennent dans le paysage de l’information sur le Web. Chaque jour, de nouveaux outils de veille apparaissent également. C’est pour cela qu’un bon Receveur veille aussi sur de nouvelles sources et réévalue très régulièrement la pertinence de sa collection de liens et de sa boîte à outils. Veiller sur d’autres sources La technologie des fils RSS est tellement pratique qu’on se demande - une fois qu’on y a goûté - comment on a pu vivre sans. Car ils nous donnent accès, pratiquement en temps réel, à tout ce dont nous pouvons rêver en matière d’information: actualité, mises à jours de blogs, de journaux ou de magazines, articles parus sur des sites n’importe où dans le monde, nouvelles thèses mises en ligne, évolution des cours de la Bourse, alertes météorologiques, bonnes affaires sur des sites de ventes en ligne, etc. Dans son article présentant le Web 2.0, Tim O’Reilly dénote les possibilités qu’offrent les flux RSS: «RSS n’est désormais plus seulement utilisé pour afficher les actualités des blogs, mais aussi pour toute sorte de données régulièrement mises à jour: cours de la bourse, météo, disponibilité de photos». Même si O’Reilly ne parle pas encore de vidéo, cela se présente comme l’évolution logique de la syndication des contenus. Mais les fils RSS permettent bien d’autres choses ! 1 Créer votre revue de presse personnalisée Chacun connaît Google Actualité. Mais savez-vous que vous pouvez très facilement vréer une revue de presse personnalisée, sur les sources et les sujets qui vous intéressent ? Comment procéder ? • Allez sur Google Actualité (http://news. google.com/) et choisissez la langue dans le menu déroulant en haut à droite (cliquez sur US Edition) • Tapez un sujet dans le champ de recherche • Quand la page de résultats s’affiche, copiez l’adresse de la page. Si vous regardez attentivement cette (longue) adresse, vous verrez qu’elle contient une série d’informations relative à votre requête, dont la langue choisie et les mots-clés recherchés • Ouvrez votre agrégateur, cliquez sur «Ajouter un abonnement» et collez l’adresse de la page. C’est tout ! Et les informations arriveront dès qu’elles sont publiées. 2 Podcast Le podcast est un mot-valise composé de iPod (le lecteur de mp3 de Apple) et de broadcasting (diffusion en anglais). Ce terme a donné «podcasting» pour désigner la pratique de mettre à disposition ou d’écouter des podcasts. En France, on parle de baladodiffusion et au Québéc, de balados. 27 ATHENA 271 · Mai 2011 > INTERNET Ils sont émis par différents types de diffuseurs (par exemple des chaînes de radio) et automatiquement reçus dans un lecteur qui cumule les émissions. Par la suite, l’auditeur peut les écouter directement sur ce lecteur, les télécharger sur son ordinateur personnel ou les transmettre sur son lecteur de mp3. De quel matériel faut-il disposer pour écouter des podcasts ? Pour écouter des podcasts, il faut un ordinateur connecté à Internet. Et sur cet ordinateur, il faut un agrégateur de flux RSS pour collecter les émissions au fur et à mesure de leur mises à jour. Il s’agit donc bien d’une forme de veille puisque l’agrégateur va récupérer automatiquement les nouveaux épisodes des émissions auxquelles vous êtes abonné sans que vous ayez à vous soucier de vérifier si des mises à jour sont disponibles. 28 Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/ Podcast) définit le podcasting de la Le podcasting permet aux utilisateurs l’écoute ou le téléchargement automatique d’émissions audio ou vidéo en vue d’une écoute immédiate ou ultérieure.» Il abolit ainsi la contrainte du temps. manière suivante: «Par l’entremise d’un abonnement aux flux RSS ou Atom, le podcasting permet aux utilisateurs l’écoute ou le téléchargement automatique d’émissions audio ou vidéo pour les baladeurs numériques en vue d’une écoute immédiate ou ultérieure.» Le podcasting est né avec le Web 2.0. Il abolit la contrainte du temps. Votre émission favorite est diffusée durant vos heures de travail ? Qu’à cela ne tienne ! Vérifiez si cette émission est disponible en podcast, abonnezvous et écoutez-la lorsque vous êtes disponible. C’est désormais où vous voulez, quand vous voulez ! Les podcasts, audio comme vidéo (on parle alors parfois de vidéocast ou de vodcast), sont disponibles sur Internet. Serveur (« Podspace ») fusionne .rss renvoie fournit Baladodiffuseur (Podcaster) (au moyen d'un lecteur de flux RSS) télécharge dépose .mp3 appelle .mp3 Utilisateur Lecteur mp3 ou Ordinateur Vous pouvez utiliser Google Reader, mais l’outil idéal pour collecter les podcasts est probablement iTunes (http://fr.wikipedia. org/wiki/ITunes), un programme distribué gratuitement par Apple, mais proposant une version pour Windows. Il est particulièrement adapté à l’iPod et à l’iPad. Il suffit de le télécharger et de l’installer, ce qui prend quelques minutes et ne requiert aucune compétence technique. Les émissions téléchargées peuvent ensuite être écoutées directement sur l’ordinateur, soit synchronisées avec votre lecteur de mp3. Trouver des podcasts Il existe des podcasts dans tous les domaines du savoir et du divertissement. La plupart des grandes chaînes de radio proposent leurs émissions en podcast, mais on peut aussi trouver des cours universitaires, des interviews, des concerts... Les manipulations sont extrêmement simples. Lancez-vous si ce n’est déjà fait ! Cherchons par exemple dans Google les podcasts de Radio France. On trouve la page suivante: http://bit.ly/i7pnK2 qui rassemble les icônes de chacune des chaînes. Choisissons France Culture. Nous obtenons une page reprenant la liste des émissions disponibles, classées par thèmes, par titres et par producteurs. Chaque émission est accompagnée d’une petite note précisant sa fréquence et sa durée. Cliquez sur Christian VANDEN BERGHEN · INTERNET l’icône de chaque émission pour arriver sur la page qui la présente. Après un petit résumé du contenu de l’émission, la page présente des petites images: iTunes, Google Reader, etc. Il suffit de cliquer sur l’image correspondant à votre agrégateur pour y ajouter le fil. Vous voilà abonné ! souhaitez améliorer votre maîtrise de la langue anglaise ? Les solutions gratuites abondent. Testez par exemple: Les grands magazines scientifiques possèdent également des podcasts: • ESL - English as a Second Language (http://bit.ly/elUQvR), une formidable initiative qui vous permet d’écouter votre cours d’anglais chaque jour à l’heure qui vous convient et où vous voulez (le bouton iTunes se trouve dans la marge de gauche). • Le site de l’Académie Aix-Marseille propose une page de liens (http:// bit.ly/fSYsQ5) vers des sites destinés à enseigner l’anglais aux élèves francophones. Trouver des podcasts avec un moteur de recherche Une requête toute simple dans un moteur de recherche peut être intéressante pour trouver des podcasts. • Essayez par exemple: science podcast; • site:edu science podcast pour obtenir des podcasts scientifiques provenant d’universités; • site:be inurl:ac géologie podcast pour obtenir des podcasts provenant d’universités belges et traitant de géologie; • podcast directory / annuaire de podcast pour trouver des annuaires de podcasts en anglais ou en français; • site:www.nasa.gov podcast pour chercher des podcasts sur un site dont on connaît l’adresse. Dans cet exemple, la recherche est limitée au site de la Nasa. Ceci dit, les grands moteurs de recherche n’indexent malheureusement pas les podcasts dans un format qui facilite leur découverte. Il existe quelques autres solutions: • Podscope (http://podscope.com/) est un moteur de recherche spécialisé dans les podcasts. Il est même capable de trouver des mots à l’intérieur du discours des podcasts ! • NPR Podcast Directory (http://n.pr/ dYUzPK) est un annuaire regroupant des centaines de podcasts (en anglais), classés par titres et par sujets. • PodcastBunker (http://bit.ly/fXd0aa) a pris le parti de privilégier la qualité et non la quantité. En anglais et vraiment excellent. Les podcasts sont un excellent moyen d’apprendre une langue étrangère. Vous Bien entendu, de très nombreux podcasts sont disponibles dans le monde scientifique: • FuturaSciences (http://podcasting. futura-sciences.com/) propose un épisode hebdomadaire (en français); • Radio France diffuse plusieurs émissions scientifiques, toutes disponibles en podcast. Quelques exemples: “La tête au carré” (http://bit.ly/e8PG57), “Continent Sciences” (http://bit.ly/ gqeh2n), “Science publique” (http://bit. ly/f2rKDe); • La Radio Suisse Romande n’est pas en reste avec des émissions comme “Impatience” (http://bit.ly/eTgSVo) et une page de liens RSS “Savoirs” (http:// bit.ly/g1QoNw); • La RTBF propose “Semences de Curieux” (http://bit.ly/ezEEiX). • • • Nature (http://www.nature.com/ nature/podcast/); Scientific American (http://www. scientificamerican.com/podcast/); Science Magazine (http://bit.ly/ hpWEXM). Les podcasts sont nés avec le Web 2.0 qui permet à chacun, sans compétence technique, de diffuser de l’information et de recevoir de l’information avec un minimum de matériel. Le podcasting nous libère des contraintes de temps et d’espace puisque le savoir est désormais accessible n’importe quand et peut être acquis n’importe où. Vous avez aimé les fils RSS, vous adorerez le podcasting. Le prochain article de la série sera consacré aux Passeurs d’information. 29 ATHENA 271 · Mai 2011 > BIOLOGIE Personnalité, Vous le constatez chaque mois dans cette rubrique, la science avance, trouve des solutions et des remèdes: le café contre le cancer, des médicaments contre l’obésité génétique et même un remède contre la criminalité ! Mais contre le tabac, il n’y en a toujours pas... Heureusement, il en est un universel: le bonheur! poumons, café, idées: tout est noir ! Texte : Jean-Michel DEBRY • [email protected] 30 Photos : A. IACOB/DeviantArt (p.30), SORDALAB (p.30), IFA-BILDERTEAM/IRP/REPORTERS (p.33), WALLPAPERSWIDE.com (p.33) Des experts qui devraient l’être de plus en plus ? P lus personne n’ignore aujourd’hui qu’avec quelques traces d’ADN relevées sur une scène de crime, on peut confondre un suspect. Encore faut-il avoir un suspect à confondre, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Reste aux enquêteurs à relever le maximum d’indices de toutes natures pour tenter cette identification et remonter au coupable recherché. Au besoin, on peut faire appel à un profiler qui, capable de se glisser virtuellement dans la peau d’un coupable, peut en préciser les possibles motivations et pulsions criminelles. La génétique pourrait toutefois apporter bientôt des éléments supplémentaires déterminants en matière d’identification. Pas des certitudes, mais des pistes qui, on va le voir, permettraient de dresser une sorte de portrait-robot plus vrai que nature. Condition de base: disposer d’un peu d’ADN. Quelques cellules suffisent, comme on le sait. Plutôt qu’identifier ensuite quelques portions hautement variables de cet ADN permettant de cibler un individu en particulier, il faut établir la séquence aussi complète que possible de la molécule, ce qui est rendu possible aujourd’hui grâce à des séquenceurs à très haut débit. Sur base du résultat, il reste à tabler sur les GWAS, ces développements de la biologie moléculaire qui ont permis au cours des dernières années d’établir des marqueurs génétiques de traits divers ou de prédispositions à des maladies graves. Des exemples ? Grâce à l’identification de quelques petites modifications ponctuelles dorénavant identifiées de l’ADN (le test est connu sous le nom d’Irisplex), on peut connaître la couleur des yeux, en tout cas s’ils sont bleus ou bruns, avec un coefficient de certitude de 90%. La couleur des cheveux peut, d’une façon similaire, être connue avec une précision de 80 à 90%. Le continent d’origine peut d’ores et déjà être identifié lui aussi. L’âge pourrait l’être grâce à l’étude du nombre de mutations de l’ADN des mitochondries (des organites cellulaires qui ont leur propre matériel héréditaire) ou à la longueur des télomères - les extrémités des chromosomes - dont on sait qu’ils se raccourcissent à chaque division cellulaire. Enfin, plusieurs autres traits morphologiques font aujourd’hui l’objet d’études circonstanciées d’identification: structure capillaire, alopécie, préférence manuelle (gaucher ou droitier), etc. Ils pourront aussi, à terme, être exploités dans le contexte criminalistique. Dans tous les cas, on ne disposera que d’une probabilité; mais on conviendra qu’un faisceau complet devrait permettre de dresser le portrait-robot évoqué et d’identifier des suspects potentiels. Il restera alors à leur appliquer le désormais classique test ADN pour les confondre, à la lueur additionnelle des autres indices relevés par les enquêteurs. Bref, les temps s’annoncent de plus en plus durs pour les criminels à venir… Science 2011; 331: 838-840 Jean-Michel DEBRY · BIOLOGIE Un (petit ?) commerce qui ne connaît pas la crise D epuis deux ans, le spectre d’une crise qui hypothèquerait le panier de la ménagère fait planer, sur la vie économique, un voile de récession que la presse nous rappelle chaque fois qu’il faut. Il existe pourtant quelques domaines qui résistent étrangement. Celui des armes, notamment. S’eston demandé d’où viennent celles dont sont équipés les insurgés libyens et, au-delà de ceux-ci, tous les contre-pouvoirs du monde ? Autre secteur - plus transparent, celui-là - qui se porte plutôt bien: celui du tabac et surtout de la cigarette. Les maîtres du monde en la matière - Imperial Tobacco et Philip Morris - ont récemment fait connaître leurs bénéfices pour l’année 2010. Le premier avoue par exemple avoir accru ses rentrées financières de 2,7 milliards d’euros l’an dernier pour les seules ventes en Afrique, Moyen Orient, Europe de l’est et dans les pays d’Asie en bordure du Pacifique. Si ces ventes en hausse doivent beaucoup à la stratégie du marketing, elles devraient pourtant être pénalisées par toutes les campagnes de dissuasion orchestrées un peu partout, lesquelles ont notamment des relais sur les paquets eux-mêmes: la sinistre indication en gros caractères «fumer tue» et les images peu ragoûtantes qui les accompagnent. On peut y ajouter les campagnes de sensibilisation, les émissions radio et télé qui reviennent sur le thème, la dissuasion née des interdits (dans les avions, sur les lieux de travail, dans les restaurants,...). Or, apparemment, rien n’y fait puis- T que le tabagisme ne diminue pas dans les pays d’Europe occidentale en tout cas, se stabilisant à une valeur proche de 30% pour chacun des deux sexes. Au-delà de l’accoutumance, de l’assuétude et de l’intoxication demeurent ces clichés qui font de l’homme qui fume un être viril et de la femme quelqu’un qui fait «ce-qu’il-faut-pour-ne-pas-grossir»; des a priori - évidemment sans fondement - qui ont la dent dure et qui font les beaux jours des cigarettiers. Et puis, au-delà de l’âge minimum imposé dans certains pays (qui contrôlent peu, il faut bien le reconnaître), la cigarette qui, bien qu’en vente libre, l’est pourtant à un prix voulu dissuasif. Alors, pourquoi ce commerce planétaire reste-t-il aussi florissant ? Mystère. Il est clair que l’interdit entre en conflit avec la liberté individuelle - en particulier chez l’adolescent - et que le spectre de la mort annoncée demeure bien lointain pour un jeune qui brûle ses premières «clopes». Il reste néanmoins des réalités affirmées incontournables: le tabac est responsable d’un cancer sur quatre et de 10.000 morts chaque année en Belgique. Il raccourcit aussi en moyenne, la vie de 20 ans. N’est-ce pas suffisant pour, au moins, songer à arrêter ? Lancet 2011377: 528 «Petit noir»... petit risque ? out excès dont l’humain peut se rendre coupable est systématiquement passé au crible de l’exploration sanitaire et c’est tant mieux. On sait ensuite s’il existe un risque réel de poursuivre l’addiction, qu’elle appartienne au domaine alimentaire, récréatif ou autre. Depuis son arrivée au 17e siècle en Europe occidentale, le café s’est offert une place de choix dans l’univers gastronomique et dans celui, beaucoup plus personnel, des petites habitudes du quotidien. Si certains l’aiment serré, d’autres le préfèrent long, éventuel lement agrémenté de lait, sucre, chicorée, ou tout autre additif jugé améliorant. Si nombre d’Européens en consomment beaucoup, ce sont les Finlandais qui détiendraient le record avec une moyenne de 10 tasses par jour et par individu. C’est dire s’il y en a qui sont accros ! Tout tenant à un facteur de dilution, il est préférable de ramener cette consommation au poids sec de café: si la moyenne européenne tient à 5 kg par individu et par an, elle atteint 11,6 kg pour le Finlandais moyen. Faut-il y voir un risque majoré de pathologie digestive ? La question a plusieurs fois été posée et des études ont été menées sur ce thème. Récemment, une d’entre elles - dont le résultat n’est pas passé inaperçu - a rapporté qu’il existerait une relation inverse entre la consommation de café et l’incidence du cancer colorectal; autrement dit, le café induirait une sorte de prévention. Mais jusqu’à quelle dose ? C’est ce qu’il restait à prouver et une étude finnoise vient d’apporter un élément de réponse. Elle a porté sur plus de 16.000 adultes pour lesquels on a recherché les traces du cancer incriminé pendant une période de 18 ans. L’incidence de la pathologie relevée à été comparée à celle qui a, dans le même temps, été notée chez des non consommateurs. Le résultat est clair: il n’y a pas d’association apparente entre cette (sur)consommation et le cancer en question. Voilà de quoi en rassurer plus d’un(e). Pour rappel, le cancer colorectal est un des plus fréquents dans le monde puisqu’il atteint 1 million d ’individus chaque année. Est-ce ici un réquisitoire pour renforcer la consommation du «petit noir» ? En aucun cas: C’est seulement une affaire de goût, largement connotée d’un geste social de partage. À défaut de se montrer nocif ou toxique, il semble simplement que jusqu’à un niveau de consommation élevé, il ne soit pas associé à une dérive pathologique sévère. European Journal of Clinical Nutrition 2010; 64: 917-923 31 ATHENA 271 · Mai 2011 > BIOLOGIE Don’t worry, be happy ! La question du mois Q ue peuvent bien manger les poissons rouges de nos aquariums ? Réponse: la daphnie ! Daphnia pulex est un tout petit crustacé des eaux douces donné entre autres comme base alimentaire - sous forme desséchée - aux poissons d’aquarium. Elle compte plus de 30.000 gènes (30.907 pour être précis), soit 1,5 fois le nombre connu pour notre espèce (environ 20.000), pour un matériel héréditaire (tout de même !) beaucoup plus petit: 200 millions de paires de bases pour la daphnie contre 3 milliards pour l’humain, soit 15 fois de moins. Ouf, notre égo reste sauf ! 32 Établir le nombre exact de gènes d’un animal tel que celui-là signifie aussi que l’espèce est à la fois connue et «utile». Et pour cause: non seulement son élevage en laboratoire est facile, peu coûteux et d’accroissement rapide, mais c’est également un petit animal de plus en plus impliqué dans l’évaluation de la qualité des eaux de surface. Il est par conséquent élevé au rang de bioindicateur, ce qui, par les temps d’environnement perturbé qui courent, est tout à notre avantage. Cela valait bien une étude en détail du génome, notamment pour en savoir un peu plus sur les aptitudes à la détoxification de ce crustacé. Un dernier mot encore à propos du génome humain: son nombre de gènes plutôt réduit dissimule évidemment des systèmes multiples d’expression génique et polygénique. L’homme dispose donc de proportionnellement peu de gènes, mais le fonctionnement de ceux-ci est complexe. C’est évidemment là que l’humain se retrouve ! Science 2011; 331: 555-559 D ans la mesure où on a le choix, il est vraisemblable que les contemporains - émules de Houellebecq à part (cf. La poursuite du bonheur) - ont en majorité plutôt envie d’être heureux. C’est une réalité qui demeure toutefois subjective et qu’il appartient à chacun d’apprécier en fonction des critères qui le gouvernent: âge, sexe, profession, niveau social, etc. Pourquoi évoquer ce truisme ? Simplement parce qu’il semble démontré sur base scientifique que les gens heureux vivent plus longuement. Tant qu’à vivre longtemps, autant en effet se placer dans cette bonne disposition. L’inverse est sans doute potentiellement vrai aussi. ple montré que la mortalité des hommes qui viennent de perdre leur épouse est deux fois plus élevée que la normale au cours du premier mois du deuil. Pour les femmes, cette proportion atteint même un facteur trois. Dans un tout autre registre, des études menées sur des populations de nonnes ont rapporté que celles qui entrent en communauté, conscientes de leur bonheur, vivent 7 ans de plus que celles qui le sont moins. Pour mémoire et pour celles qui souhaiteraient prolonger réellement leur vie, les âges moyens au décès rapportés par les études menées dans ces communautés de religieuses sont respectivement 86,6 et… 93,5 ans. L’avantage en terme de longévité n’apparaît pas du tout anodin. Une méta-analyse (en l’occurrence l’inventaire des résultats de 24 études sur ce thème) porte à 14% le gain potentiel. En clair, cela signifie par exemple que plutôt que vivre 70 ans, un individu heureux peut espérer vivre 10 ans de plus. Ce n’est pas négligeable si, de surcroît, on est en bonne santé (un élément qui favorise plutôt le bien-être). Il va de soi que toute évaluation, même menée dans le respect strict des contingences scientifiques, ne permet évidemment pas de superposer les réalités observées dans une partie du monde à une autre; dans un contexte social à un autre, d’une époque à une autre. On a toutefois une indication utile. Utile ? À voir, tant il est vrai que chacun a une perception intuitive de son propre bonheur. Mais la confirmation d’une bonne disposition reste toujours bonne à saisir ! Les études menées sur le sujet revêtent parfois un aspect déroutant voire cocasse. On a par exem- Science 2011; 331: 542-543 Jean-Michel DEBRY · BIOLOGIE Obésité réversible ? I nutile - une fois de plus - de revenir sur l’incidence croissante de l’obésité dans les populations de très nombreux pays, principalement occidentaux. L’aptitude décroissante à l’exercice physique et son corollaire d’alimentation plus abondante et riche sont évidemment à mettre en cause dans l’émergence du surpoids et de l’obésité. Mais on sait aussi Ô injustice ! - qu’il existe des humains qui bougent peu, mangent beaucoup et qui conservent néanmoins un profil mince. C’est donc qu’il existe des «causes» diverses qu’il faut impliquer. Celles-ci sont génétiques: la résorption et l’élimination sont bien entendu sous contrôle génique et on sait à quel point on peut être très différents de ce point de vue. Mais ce n’est pas tout. Depuis longtemps déjà, on a remarqué que les individus qui naissent trop petits à la naissance présentent un risque étran- gement accru de devenir trop ronds, arrivés à l’âge adulte. D’une façon convergente, ceux qui sont trop bien nourris dans la petite enfance présentent le même risque. Dans ce dernier cas, on sait qu’une surnutrition favorise la multiplication des cellules de stockage graisseux - les adipocytes - dont le nombre ne change plus ensuite (Voir Athena n° 270, p. 31). On peut veiller à ne pas trop les remplir de graisse, au prix d’un peu de modération dans l’alimentation et d’accroissement de la dépense physique. Ce qu’on vient de découvrir vient s’ajouter à ce tableau: nous sommes également conditionnés par des facteurs épigénétiques. Sans que l’on en maîtrise encore bien les liens, une surou sous-alimentation du fœtus ou du nourrisson induit des changements dans la régulation subtile (et épigénétique, par conséquent) de quelques gènes impliqués dans le contrôle des graisses et des sucres ainsi que dans celui de l’appétit. S’il faut d’abord élucider les mécanismes responsables, on sait d’ores et déjà une chose: comme ce ne sont pas directement les gènes qui sont principalement impliqués mais l’un ou l’autre de leurs mécanismes biochimiques de régulation, on peut espérer pouvoir agir sur ces derniers par le biais d’un moyen nutritionnel ou pharmacologique encore à identifier. Cela ne signifie évidemment pas encore qu’on va y arriver; au moins dispose-t-on dorénavant d’une voie d’accès supplémentaire offrant des possibilités potentielles de lutte contre une dérive génératrice, entre diabète et maladies cardio-vasculaires, de bien des déboires au long terme. International Journal of Obesity 2011; 35: 72-83 33 ATHENA 271 · Mai 2011 > MÉDECINE Le libre arbitre n’est-il qu’une illusion ? Texte: Philippe LAMBERT • [email protected] 34 Photos: REPORTERS / Food & Drink Photos (p.34), Ph. LAMBERT (p.35), Yves Dethier / REPORTERS (p.37) Longtemps tenue à l’écart des champs de l’investigation scientifique, la conscience est aujourd’hui au cœur d’un foisonnement de recherches. Les techniques d’imagerie médicale montrent sans ambiguïté qu’elle est sous-tendue par des corrélats neuraux et, partant, que l’activité cérébrale précède l’activité mentale. Dans ces conditions, peut-on encore sauver la conception intuitive que nous avons du libre arbitre ? L a conscience est restée un territoire inexploré par la science jusqu’à l’avènement des techniques d’imagerie médicale qui ont permis d’ouvrir une fenêtre sur le fonctionnement dynamique du cerveau. Auparavant, la psychologie expérimentale avait beau donner accès à l’étude du comportement, elle ne pouvait pénétrer dans l’univers intime des pensées, des sensations, de la petite voix intérieure qui nous habite, bref au cœur d’un phénomène aussi privé et subjectif que la conscience. Aujourd’hui, malgré des difficultés méthodologiques résiduelles, l’imagerie médicale n’a cessé de conforter l’assertion déjà émise en 1980 par le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, dans L’homme neuronal: «L’identité entre états mentaux et états physiologiques et physicochimiques du cerveau s’impose en toute légitimité». En effet, sur la base de l’ensemble des travaux réalisés à ce jour, tout indique que l’activité cérébrale est l’unique support de notre vie mentale. À l’heure où, poursuivant leur marche en avant, les neurosciences s’attellent à l’identifica- tion systématique des corrélats neuraux de la conscience, cette conception des rapports entre le corps et l’esprit sonne le glas de la perspective dualiste. Une tout autre vérité Se pose alors la question clé du libre arbitre. Sommes-nous maîtres de nos choix ? Ou, au contraire, la conscience ne serait-elle qu’un épiphénomène nous permettant d’apprécier la réalité après coup et le libre arbitre, qu’une illusion ? Dans la vie quotidienne, nous interprétons nos états mentaux comme étant la conséquence d’états mentaux antérieurs qui nous ont habités ou ont habité d’autres agents. Par exemple, un individu considérera que s’il est en colère, c’est parce qu’une autre personne s’est montrée désagréable à son égard. Le langage courant, mais aussi le langage de la science, demeurent le plus souvent imprégnés de dualisme: nous continuons à raisonner comme Phillipe LAMBERT · MÉDECINE si ce qui se passe dans notre tête n’était pas entièrement produit par l’activité de notre cerveau. Mais si l’on adopte la perspective matérialiste des rapports «corps-esprit», à laquelle aucun argument rationnel ne semble actuellement en mesure d’apporter le contredit, l’activité cérébrale précède forcément l’activité mentale qu’elle produit. «Le scénario selon lequel notre conscience déciderait d’accomplir une action, puis en informerait le cerveau afin qu’il mette en branle les mécanismes qui aboutiraient à l’exécution de l’action projetée est un scénario naïf impliquant le retour à une forme de dualisme», dit Axel Cleeremans, directeur de recherches au FNRS et professeur de sciences cognitives à l’Université libre de Bruxelles (ULB). La science nous dévoile une tout autre vérité: ce n’est pas tant que l’état mental numéro 1 cause l’état mental numéro 2, mais plutôt que l’état physique numéro 1 cause l’état mental numéro 1 et a pour conséquence l’état physique numéro 2, qui est lui-même perçu comme état mental numéro 2. Pour l’heure, de nombreux débats portent cependant sur la réalité, mais surtout sur la forme, de cette causalité descendante où les niveaux les plus organisés (états mentaux) d’un système complexe influencent, par effet de feed-back, les niveaux d’organisation inférieurs (états physiques). Des recherches très actives sont menées sur ce thème, notamment à partir d’un concept appelé «Granger causality», initialement appliqué en économie, mais qui a essaimé aujourd’hui vers l’étude des relations de causalité dans le cadre de l’analyse de la connectivité des circuits cérébraux. Dans l’existence de tous les jours, nous nous situons à un autre niveau de description. D’une part, nous nous référons à notre vécu subjectif et nous ne nous imaginons pas que l’ordre des choses puisse être différent de celui que nous donne à voir notre propre conscience. D’autre part, évoquer l’activité des neurones ne nous est pas nécessaire à la compréhension des événements de la vie quotidienne, pas plus que ne l’est l’évocation du mouvement des électrons dans les circuits électroniques de notre téléviseur pour saisir le sens des images que nous regardons sur l’écran. «Il serait tout aussi inconfortable de se dire que nos décisions sont le fruit du hasard que de penser qu’elles sont totalement déterminées.» Axel Cleeremans, directeur de recherches au FNRS et professeur de sciences cognitives à l’Université libre de Bruxelles (ULB) Quand nous parlons de neurones, nous devrions d’ailleurs descendre en cascade à des niveaux d’organisation plus élémentaires encore, puisque leur activité trouve elle-même son fondement aux échelons moléculaire, atomique et des particules élémentaires. «Ce qui, in fine, nous entraîne dans le monde de la mécanique quantique», commente Axel Cleeremans. S’identifier à son cerveau Pour Daniel C. Dennett, de la Tufts University, aux États-Unis, la définition communément donnée du libre arbitre (en substance, avoir la liberté de faire ce que l’on veut) est incompatible avec la causalité physique qui sous-tend la conscience. «Ainsi, les êtres humains ont le sentiment qu’ils pourraient changer d’avis jusqu’au moment ultime précédant l’accomplissement d’une action projetée, indique Axel Cleeremans. Cela est impossible, car à partir d’un certain moment, l’influx nerveux qui va conduire à la réalisation effective de cette action est en route et ne peut être arrêté.» De façon cruciale, Dennett estime qu’un individu qui a opéré un choix dans les conditions physiques particulières où il se trouvait n’aurait pas pu faire un autre choix. «Imaginons que quelqu’un prenne la décision de pousser sur un bouton A plutôt que sur un bouton B. S’il est replongé exacte- ment dans la même situation, son choix sera inévitablement le même, ou alors il faut invoquer une intervention extérieure, ce qui est en désaccord avec l’idée que l’activité cérébrale est à l’origine de l’activité mentale», dit Axel Cleeremans. Dans son ouvrage Freedom evolves, Dennett, toujours lui, estime en outre que le libre arbitre n’est compatible qu’avec un univers déterministe. Voilà a priori une assertion qui a de quoi surprendre ! Comment l’auteur justifie-t-il sa position ? Si l’Univers n’était pas déterministe, il serait chaotique, imprévisible, et aucun agent intelligent ne pourrait prendre des décisions en pouvant en prévoir les conséquences. Justement, certains voient dans la mécanique quantique, plus particulièrement dans le principe d’indétermination (ou d’incertitude) formulé en 1927 par Werner Heisenberg, un argument fort en faveur du libre arbitre. Même si le déterminisme n’est pas absolu, comme le suggère la mécanique quantique - certains physiciens défendent néanmoins la thèse d’un déterminisme sous-jacent -, cela conduit-il pour autant à la liberté ? Non. S’il existe un indéterminisme au niveau du comportement des particules élémentaires, notamment au sein de nos neurones, l’individu n’en est pas responsable. Ainsi que le suggère le philosophe Jean-Noël Missa, professeur à l’ULB et directeur de recherches au FNRS, comment 35 ATHENA 271 · Mai 2011 > MÉDECINE Loin d’être une machine qui se contenterait d’exécuter les instructions de l’âme, le cerveau est extraordinairement plastique. Notre trajectoire individuelle à travers l’existence s’y inscrit en permanence, de sorte qu’il possède une structure tout aussi unique que notre personnalité. 36 pourrait-on conclure à son libre choix à partir d’un indéterminisme ayant trait à des particules microscopiques qui lui échappent totalement ? Pour Axel Cleeremans aussi, il ne faut pas chercher secours dans la mécanique quantique pour sauver le concept de liberté. «Il serait tout aussi inconfortable de se dire que nos décisions sont le fruit du hasard que de penser qu’elles sont totalement déterminées», fait-il remarquer. Pour notre interlocuteur, ces difficultés pourraient être éliminées en abandonnant l’idée que «je» suis différent de l’activité de mon cerveau. Nous avons l’impression de perdre quelque chose en acceptant cette réduction, mais cette impression disparaît quand on reconnaît que le cerveau, loin d’être une machine qui se contenterait d’exécuter les instructions de l’âme, est en réalité extraordinairement plastique. Notre trajectoire individuelle à travers l’existence s’y inscrit donc en permanence et sa structure est dès lors tout aussi unique que notre personnalité. Faire comme si... Pour de nombreux auteurs, le libre arbitre tel que nous le concevons habituellement est une illusion. Selon le psycho- sociologue américain Daniel Wegner (Université Harvard), auteur de Illusion of free will, la conscience serait une fonction ancrée dans la nécessité qu’ont les espèces sociales de partager leurs états mentaux. Elle nous aurait été transmise par l’évolution, au même titre que le sentiment erroné que nous éprouvons d’avoir prise sur les événements - sans ce sentiment, une espèce complexe ne pourrait survivre. Dennett est du même avis quand il estime que nous devons «faire comme si», sans quoi la vie en société et les progrès de l’humanité deviendraient impossibles. Il propose de surcroît une redéfinition de la notion de libre arbitre, qu’il conçoit comme la liberté de faire des choix intelligents. «Par choix intelligents, il entend des choix informés par l’expérience que nous avons du monde», explique Axel Cleeremans. Grâce à cette expérience, nous serions en position d’opérer des choix plus appropriés, plus pertinents qu’à une époque antérieure de notre vie. Ici encore, la plasticité cérébrale jouerait à plein, dans la mesure où, partant du principe que nous serions à chaque instant la résultante de notre patrimoine génétique et de notre histoire, intimement «gravée» dans notre cerveau, la possibilité de réaliser de meilleurs choix émanerait de la configuration de nos circuits neuraux au moment de la prise de décision. Ce libre arbitre auquel se réfère Dennett n’est concevable, à nouveau, que si nous nous identifions à notre cerveau. Mais cette «liberté de choix», compatible avec un Univers totalement déterministe, en est-elle vraiment une ? Elle Phillipe LAMBERT · MÉDECINE une horloge le moment où ils avaient pris la décision d’appuyer sur le bouton. Parallèlement, leur activité cérébrale était enregistrée par électroencéphalographie (EEG). suggère en fait celle d’un superordinateur qui effectuerait des «choix» tellement complexes que s’en dégagerait une impression d’intentionnalité, de libre arbitre, alors même que toutes les opérations qu’il réalise sont déterminées en ultime ressort par des procédures prédéfinies. Dennett, qui qualifie d’illusion la notion commune du libre arbitre (1), semble se contenter ici d’un ersatz pour «sauver ce qui peut l’être». D’un ersatz, du moins d’une liberté qui n’en est pas une au sens où on l’entend habituellement. De toute façon, la conception matérialiste de l’esprit, quelles qu’en soient les modalités, ne peut lui «rendre son âme». Et celle-ci se dissout davantage encore quand, après avoir célébré l’identité entre l’activité cérébrale et les états mentaux, les neurosciences mettent en lumière l’importante implication de processus inconscients (2) dans les phénomènes conscients. Processus inconscients En 1983, le neurophysiologiste américain Benjamin Libet, aujourd’hui décédé, réalisa une expérience dont les résultats, reproduits ensuite par d’autres, continuent à susciter des débats passionnés. Les participants avaient pour instruction de pousser sur un bouton quand ils le souhaitaient, dans un délai de dix secondes. Ils devaient également repérer sur un indicateur temporel figurant On sait que l’exécution du mouvement de flexion du poignet pour pousser sur un bouton est précédée de quelque 500 millisecondes par une variation lente du potentiel électrique du cerveau, baptisée «potentiel de préparation motrice» (PPM). Or, dans l’expérience de Libet, les sujets ne rapportaient avoir éprouvé l’intention d’effectuer ce geste que 250 millisecondes avant son déclenchement, soit après le début du PPM. En d’autres termes, tout se passait comme si la conscience des participants était informée après coup qu’un mouvement allait être exécuté. Pour Axel Cleeremans et Lionel Naccache, neurologue à l’hôpital de la PitiéSalpêtrière et chercheur à l’Institut du cerveau et de la mœlle épinière (ICM Paris), la principale réserve qu’on pourrait émettre à l’égard de ces résultats tient au fait que, même si on laisse au sujet le choix du moment où il appuiera sur le bouton, il connaît la tâche qui lui incombe. En quelque sorte, il a reçu une «méta-instruction». Aux yeux d’Axel Cleeremans, cela ne remet cependant pas fondamentalement en cause les conclusions que Libet a dégagées de son expérience: l’intervention première de processus non conscients dans la programmation volontaire du mouvement et, partant, le caractère illusoire du libre arbitre. Pour sa part, Lionel Naccache propose une lecture, qu’il qualifie de «plausible», des résultats expérimentaux susmentionnés. «Il se pourrait que des schémas moteurs soient préactivés dans notre cerveau, dit-il. Prendre une décision ne consisterait pas à produire quelque chose ex nihilo, mais à procéder à une sélection au sein d’un répertoire préexistant. Dans l’expérience de Libet, les participants savent que l’action à laquelle ils doivent penser est d’appuyer sur un bouton. On pourrait alors imaginer que cette action est préactivée en permanence, auquel cas il ne serait plus paradoxal qu’un corrélat cérébral puisse préexister à la datation subjective que fait le sujet du moment où il a eu l’intention de pousser sur le bouton.» Il ne s’agit toutefois que d’une hypothèse. En mai 2008, Nature Neuroscience publia un article de Chun Siong Soon, Marcel Brass, Hans-Jochen Heinze et John-Dylan Haynes: Unconscious determinants of free decisions in the human brain. Les quatre auteurs y présentaient des résultats expérimentaux qui allaient dans le sens de ceux de Libet, mais avec plus de force encore. Des volontaires, dont l’activité cérébrale était enregistrée au moyen de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf ), étaient appelés à pousser au choix sur un bouton gauche ou sur un bouton droit, quand bon leur semblait. Lorsqu’ils prenaient conscience de leur intention d’agir, ils devaient mémoriser une des lettres qui se succédaient toutes les 500 millisecondes sur un écran. «En mettant en relation tous les éléments recueillis, les chercheurs montrèrent, grâce aux techniques sophistiquées d’analyse multivoxels, que l’activité des cortex préfrontal et pariétal permettait de prédire, dans 80% des cas, l’action que le sujet allait poser (bouton gauche, bouton droit) jusqu’à dix secondes avant que lui-même ne soit conscient de sa décision», rapporte Axel Cleeremans. Hallucinant et interpellant ! Aujourd’hui, le libre arbitre semble moribond dans son acception courante. Pourra-t-on encore le sauver ? (1) Voir par ailleurs l’interprétation, différente, que donne Lionel Naccache de la notion de libre arbitre – La conscience a horreur du non-sens dans Athena, n° 270, pp. 34-37. (2) Nous nous référons ici à l’inconscient cognitif, théâtre de processus s’exécutant à notre insu, et non à l’inconscient psychanalytique. 37 ATHENA 271 · Mai 2011 > CHIMIE Miroir, mon beau miroir... 38 Dans l’Égypte des pharaons, tout le monde se maquillait au moyen de fards parfois toxiques. Aujourd’hui, par contre, fleurissent les préparations respectueuses des ressources de la nature, estampillées «bio» pour coller p arfaitement à l’air du temps et aux attentes d’une société soucieuse de l’environ nement... V ous n’y pensez pas le matin en vous rasant ou en vous maquillant, mais la chimie se cache aussi dans les tiroirs de votre salle de bain. Elle a beau s’y faire discrète, on lui doit d’innombrables propriétés des produits cosmétiques, depuis la haute tenue des rouges à lèvres jusqu’aux teintes irisées des ombres à paupière en passant par les vertus antirides de certaines crèmes. L’inventaire serait trop long à faire ici mais c’est au rayon «cosmétiques» que se cache l’un des plus gros Texte : Paul DEVUYST défis actuels de la chimie: introduire le maximum d’ingrédients naturels dans les recettes de beauté pour répondre à nos attentes. Si la cosmétique est devenue aujourd’hui aussi technique, c’est parce qu’elle s’est allouée les services de scientifiques pour consolider son expertise. Mais les textes anciens nous indiquent que les Égyptiens aimaient déjà se maquiller avec des produits pas toujours inoffensifs. Hommes, femmes et enfants de toutes classes sociales s’enduisaient la peau de produits colorés et de fards, les yeux étant particulièrement choyés. Une cosmétique millénaire Les très nombreux objets découverts dans les tombes égyptiennes sont en effet une extraordinaire source d’étude des coutumes de la vie quotidienne durant l’Antiquité. Les fouilles de certaines sépultures ont ainsi livré de véritables coffrets de maquillage contenant miroirs, épingles à cheveux, stylets et autres récipients, parfois encore remplis de mix tures. Les Égyptiens se maquillaient avec des cosmétiques blanc, vert, gris ou noir, principalement formulés avec des composés de plomb. Des échantillons de fard ont été prélevés dans des récipients en pierre (albâtre, hématite, marbre), céramique, bois ou roseau, provenant de plusieurs sites datés entre 2.000 et 1.200 avant J.-C. Comme dans toute analyse concernant les œuvres d’art ou les objets archéologiques, les prélèvements nécessaires aux analyses chimiques furent les plus petits possible (1 mm3 environ). Ces prélèvements ont dans un premier temps été observés par microscopie électronique à balayage qui renseigne sur la morphologie et la composition chimique élémentaire des grains de la poudre. Des mélanges complexes de composés de plomb ont ainsi été observés, mais cette analyse élémentaire restait insuffisante pour reconnaître les phases minérales. C’est la diffraction des rayons X réalisée en laboratoire qui a cependant permis leur identification minéralogique. Une quantification précise des phases a alors été possible pour déterminer les formulations cosmétiques. Paul DEVUYST · CHIMIE Des mélanges complexes Quatre phases principales ont été identifiées: la galène (PbS), la cérusite (PbCO3), la laurionite (PbOHCl) et la phosgénite (Pb2Cl2CO3). La galène est le minéral principal, bien connu des fards noirs de l’Égypte ancienne, mais aussi de khôls encore traditionnellement employés aujourd’hui dans certains pays d’Orient, d’Asie et d’Afrique du Nord. La cérusite, minéral blanc, apparaît comme composant principal pour des fards à teinte plus claire. L’usage de tels fards peut surprendre aujourd’hui mais des études sur la toxicologie du plomb ont montré qu’aucune corrélation ne pouvait être établie entre l’usage de khôl et le taux de plomb dans le sang, s’il n’y a pas d’ingestion accidentelle. Les présences de la laurionite et de la phosgénite étaient inattendues. Ces deux phases sont en effet très rares, parfois observées dans les produits de corrosion d’objets en plomb ou dans des scories de plomb rejetées dans la mer lors d’anciennes opérations minières (par exemple aux mines du Laurion en Grèce). La phosgénite est cependant un peu plus fréquente car elle se forme également naturellement par oxydation des minéraux de plomb lorsque ceux-ci viennent en contact avec des eaux carbonatées et chlorées. En supposant que de tels produits naturels aient été extraits, leur quantité dans la nature est de toute façon trop faible pour avoir été intensément utilisés comme base cosmétique pendant une période d’au moins huit siècles. D’autre part, l’extraordinaire état de conservation des objets étudiés exclut un apport de chlore par des eaux de ruissellement et donc une altération chimique des poudres dans leur récipient originel. Aucune source naturelle et aucun mécanisme d’altération ne permettent d’expliquer la présence de ces deux phases chlorées: les Égyptiens devaient donc synthétiser ces produits. Un savoir chimique surprenant Certaines recettes de préparation de produits médicaux décrites par Pline l’Ancien et Dioscoride au 1er siècle après J.-C. expliquent comment l’écume d’argent purifiée (en fait l’oxyde de plomb - PbO) était broyée et mélangée dans de l’eau avec du sel gemme et parfois du natron (des carbonates de sodium principalement) puis filtrée, la procédure étant répétée chaque jour pendant plusieurs semaines. Ces réactions chimiques ont été reconstituées en mélangeant des poudres de PbO et de NaCl (chlorure de sodium) dans de l’eau. Une lente réaction produit une solution alcaline qui peut être maintenue à un pH neutre pour simuler les remplacements journaliers de l’eau. Le précipité obtenu a été identifié comme de la laurionite par diffraction des rayons X. L’observation des cristaux au microscope électronique à balayage a montré qu’ils avaient une morphologie similaire à celle de la laurionite archéologique. En présence de carbonates, on obtient aisément de la phosgénite. Cette étude des produits de maquillage égyptiens modifie notre regard sur les connaissances chimiques dans l’ancienne Égypte: les technologies utilisant les arts du feu étaient donc maîtrisées dès 2.500 avant J.-C. pour synthétiser le pigment bleu égyptien par exemple. La preuve de la synthèse de la laurionite et de la phosgénite montre que la chimie des solutions était également employée dès 2.000 avant J.-C. pour la fabrication de matériaux entrant dans la composition des cosmétiques. Les réactions chimiques mises en jeu étaient relativement simples mais le procédé, incluant des opérations répétitives, devait cependant être difficile à mettre au point. Des fards… à l’œil Les fards sont par tradition les compositions les plus délicates de l’esthétique. Ils s’appliquent sur la peau (fond de teint), les cils (mascaras), le pourtour de l’œil (crayon, khôl, eye liner) ou les lèvres (rouge à lèvre). Leurs formulations sont conçues pour obtenir un effet généralement multiple: masquer ou atténuer les imperfections de la peau, apporter un velouté et une couleur nuancés, donc transformer subtilement l’apparence mais aussi protéger contre l e s agressions externes. La palette de couleurs utilisée aujourd’hui dans les fards s’est beaucoup développée. Il n’en reste pas moins que leur utilisation répond à certains codes dépendants de l’image de soi que l’on désire renvoyer: femme fleur, femme précieuse, femme rebelle, femme fatale ou encore femme actrice pour ne citer que ceux là. Les fards sont composés de matières compactes et non abrasives qui ne doivent pas perdre leur tenue et leur texture après dépôt. Ce type de composition s’obtient par dispersion de pigments colorés, le plus souvent d’origine minérale, tels que les oxydes de fer, de chrome, de manganèse ou l’oxychlorure de bismuth et d’autres compositions mixtes dont le mica associé à l’oxyde de titane. Des colorants de synthèse peuvent être aussi utilisés: composés azoïques, phénols dispersés dans une phase condensée solide ou semi-solide émulsionnée. Il y 4.000 ans, les Égyptiens utilisaient le plomb afin de concevoir des fards dotés de vertus médicales. Pour mieux comprendre cet usage, des chimistes ont tenté d’évaluer l’impact de très faibles quantités de plomb sur une cellule de la peau. Résultat: à très faibles doses, le plomb ne tue pas la cellule. Il induit la production d’une molécule, le monoxyde d’azote, connue pour activer le système immunitaire. Appli- 39 ATHENA 271 · Mai 2011 > CHIMIE 1 2 quer des fards à base de plomb peut donc déclencher un mécanisme de défense qui, en cas d’infection occulaire, limite la prolifération des bactéries. 40 Voilà donc pourquoi un Égyptien à l’œil maquillé de fard noir voyait son liquide lacrymal enrichi en ions Pb2+ suite à une faible dissolution du produit, ce qui devait stimuler la production de macrophages. Ceux-ci constituent un environnement redoutable pour toute bactérie qui y serait projetée accidentellement et expliquerait les propriétés médicales des fards conçus par les anciens Égyptiens. On comprend mieux pourquoi ces derniers les considéraient comme des émanations des yeux des dieux protecteurs Horus et Ra. La biodiversité cosmétique La cosmétologie a bien évolué depuis l’Antiquité: au-delà du simple plaisir associé à l’utilisation des produits, elle démontre aujourd’hui son rôle psychosocial. C’est ainsi que l’on recommande aux personnes déprimées ou malades à l’hôpital de se maquiller parce que l’on sait que le cortex réagit dans le cerveau au toucher d’une peau maquillée, prouvant que «se faire beau» procure une émotion réelle. Parmi les recherches les plus folles des chimistes de la beauté, figurent sham- poing à l’huile de jojoba, crème de jour à la lécithine de soja, parfum aux extraits naturels de vanille… des produits qui ne se privent pas de mettre en avant leur profil «bio». Pour enrichir la palette des ingrédients disponibles, les laboratoires explorent la biodiversité - des plantes aux champignons en passant par les micro-organismes - à la recherche des nouvelles stars de la cosmétique. Parmi les dernières trouvailles: le resvératrol (sur lequel Athena reviendra bientôt), une molécule que l’on trouve notamment dans le raisin et qui augmente l’espérance de vie des cellules de la peau, ou encore le pro-xylane, un sucre extrait du bois de hêtre qui stimule la synthèse de collagène et rend ainsi les tissus plus fermes. Les méthodes qui permettent d’utiliser ces molécules naturelles sont en pleine évolution actuellement. nutriments dont la plante a besoin pour vivre. Rapidement un petit amas de cellules, appelé «cal primaire», apparaît sur son pourtour, signe que le processus de dédifférenciation cellulaire est enclenché. La cellule, placée dans un environnement différent de celui qu’elle connaît habituellement, ne se sent plus obligée de produire une feuille ou un autre organe de la plante et se met à proliférer joyeusement. Les cellules souches, également appelées cellules «natives» ou «germinatives», sont prélevées de façon «discrète» sur les plantes (quelques cellules suffisent) et capables de se multiplier à l’infini pour régénérer des champs entiers, c’est pourquoi elles présentent de multiples intérêts pour les cosmétologues. Outre garantir la parfaite reproductibilité des extraits végétaux d’une année à l’autre (contrairement aux extraits issus de l’agriculture qui subissent les aléas climatiques) et donner accès à des plantes rares ou menacées sans perturber la biodiversité, elles seraient douées de propriétés étonnantes pour la peau. C’est alors le moment de passer en milieu de culture liquide dans une fiole puis dans un fermenteur de 10, 50, 300 litres et enfin de plusieurs mètres cubes pour une production à l’échelle industrielle. Ces cellules fraîches sont ensuite coulées dans les produits cosmétiques. Toutefois, vu les moyens mis en œuvre pour les cultiver, elles n’ont d’intérêt pour le cosmétologue qui si leur bénéfice pour la peau est attesté. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas ! Travaux pratiques Comment procèdent les chercheurs ? Un minuscule fragment de plante est posé sur un milieu de culture riche en Pour optimiser ce processus, il suffit alors de prélever quelques spécimens bien choisis sur le cal et de les placer sur un milieu de culture favorable à la réplication. Après un certain nombre de repiquages (ce qui peut prendre entre six mois et dix ans !), on obtient une lignée stable et immortelle de cellules souches végétales. Des ressources bien cachées Cette matière puisée au cœur des plantes révèle une activité biologique insoupçonnée. Il faut savoir que, dans des conditions de vie normale, les plantes n’expriment que 20% de leur potentiel. Elles ne mobilisent leurs ressources cachées que pour affronter des Paul DEVUYST · CHIMIE 1. L’œil gauche d’Horus symbolisait le triomphe de la lumière sur les ténèbres , c’est pourquoi on regardait cet œil guéri comme bienfaisant. On le représentait sous la forme de l’œil Oudjat dans les talismans, les amulettes afin de se protéger contre les blessures et les maladies. 2. L’engouement des Egyptiens pour certains fards répondait à certaines préoccupations compte tenu de leurs compositions chimiques. 3. Les maquillages protègent de la pollution, apportent des vitamines, filtrent le soleil, soignent l’acné et… effacent les rides pour reculer l’effet du temps. 3 stress importants: fortes irradiations solaires, pluies diluviennes… C’est ce qui s’appelle la «plasticité génétique». La plante, qui n’a pas de mobilité, puise dans sa réserve génétique pour s’adapter aux conditions de son environ nement. Les chercheurs se sont rendus compte qu’elle fait pareil dans la boîte de Petri ! Les scientifiques estiment ainsi à 50% les composés qui peuvent être synthétisés en plus, dont 20 à 25% seulement sont identiques à la plante mère. Les nouvelles molécules produites signalent une redistribution des gènes, comme si la plante s’était soudainement réveillée. Ce miracle végétal passionne évidement tous les chercheurs qui, aussitôt ont eu l’idée de «taquiner» les végétaux en modifiant leur environnement afin de leur faire produire des molécules spécifiques pour rajeunir la peau, l’hydrater, la protéger des UV… Les poils à gratter utilisés pour ce faire sont appelés des «éliciteurs». Ce peut être une molécule ou un pH particulier appliqué au contact de la plante, un stress thermique ou un choc hydrique. Faire mieux que la plante elle-même, voilà l’idée de cette nouvelle technologie qui progresse à pas de géant. Le retour à la nature Répondre à la soif de bio des consommateurs, trouver de nouvelles propriétés… La recherche de molécules naturelles a aussi un autre but: trouver des remplaçantes inoffensives pour l’homme et l’environnement à toutes les molécules dont l’innocuité est actuellement remise en cause. On pense tout de suite au parabène, un conservateur de synthèse dérivé du pétrole, largement utilisé pour protéger les cosmétiques des moisissures et des bactéries mais aussi accusé d’être toxique et cancérigène. Pour lui trouver un substitut, les chimistes tentent d’isoler et d’identifier les principes actifs de certaines plantes (guyanaises entre autres) réputées antimicrobiennes. Mais un certain nombre de molécules naturelles sont également mises sur la sellette. L’huile essentielle de rose contient par exemple du méthyleugénol, suspecté LE ROUGE À LÈVRES C ette émulsion pâteuse contient jusqu’à quinze constituants. Des cires lui donnent sa consistance; des huiles sont responsables de la brillance, de l’onctuosité et de l’adhérence. Quant à la couleur du rouge, elle est obtenue non plus à partir de l’éosine, colorant allergène, mais avec des dérivés de l’érythrosine ou de la shikonine. C’est une formulation particulière, où l’on place le colorant dans la phase aqueuse en solution ce qui confère son caractère indélébile au rouge. Quand un rouge à lèvres est brillant, on parle d’«effet gloss» et par extension, on désigne sous le terme «gloss», les rouges à lèvres brillants. Ils peuvent aussi être désignés par l’expression «brillant à lèvres». d’être cancérigène; et les extraits de lichens renferment des composés chlorés qui provoquent des réactions cutanées. Seulement voilà, une odeur donnée contient des dizaines, voire des centaines de composants et si l’un de ceux-ci est toxique ou allergène, il peut gêner la mise sur le marché du produit final: s’il n’est pas intéressant d’un point de vue olfactif, les chimistes essayent de l’inactiver. Pour cela, ils travaillent sur une méthode de biocatalyse sélective, l’objectif final étant de transformer sélectivement la structure et donc la toxicité des molécules réglementées à l’aide de microorganismes, ce qui permet de conserver un label naturel. Au final, la molécule gênante est inactivée et l’odeur de l’extrait reste la même. La déferlante verte gagne également les tensioactifs, ces molécules qui poussent l’eau et les corps gras à se mélanger et à former, par exemple, une crème onctueuse. Des équipes travaillent aujourd’hui à remplacer la partie hydrophile de ces molécules, aujourd’hui d’origine pétrochimique, par des sucres extraits de végétaux. Sauf que la molécule n’est pas tout, c’est la réaction chimique qui permet de transmettre dans le cerveau le message répondant à la question «Suis-je belle ?». Mais ça, c’est encore une autre histoire... 41 ATHENA 271 · Mai 2011 > PHYSIQUE limite Texte : Henri DUPUIS • [email protected] • Photos : S.FORGET (p.42), J.MARTIN/ULg (Schéma p.43) 42 Toute mesure d’une grandeur physique est entachée d’un bruit. Aux précisions extrêmes, ce bruit est de nature quantique: c’est la limite d’Heisenberg. Des chercheurs viennent d’imaginer un dispositif qui permet d’atteindre plus facilement cette limite L a physique a besoin de mesures de plus en plus précises, mais toute mesure physique est entachée de bruit: une préparation imparfaite du système à mesurer, une perturbation thermique, etc. Aux échelles les plus extrêmes, cela se joue au niveau des particules comme les photons, et ce bruit est donc de nature quantique. C’est ce qu’on appelle la limite d’Heisenberg, une limite indépassable qui traduit le fait qu’aucune mesure ne peut être d’une précision absolue, infinie. Mais il y a des moyens plus faciles que d’autres d’approcher cette limite. Daniel Braun, de l’Université de Toulouse, et John Martin, responsable du Service d’optique quantique de l’Université de Liège, viennent d’imaginer un dispositif théorique qui va sans doute favoriser les applications dans de nombreuses disciplines scien- tifiques. Leurs travaux viennent de faire l’objet d’une publication dans Nature Communications (1). Bruit de grenaille Avant de décrire le dispositif théorique mis au point par les deux chercheurs et les avancées que cela représente, il convient de revenir sur la notion de mesure physique et de ses limites. Considérons une cavité, c’est-à-dire deux miroirs entre lesquels de la lumière peut être piégée. Il est possible de mesurer une variation de longueur de cette cavité en envoyant sur elle un faisceau laser. Comme les miroirs ne sont pas totalement réfléchissants, une partie du faisceau va sortir de la cavité. Lorsqu’on utilise une source classique de lumière (c’est à dire de la lumière provenant d’un laser par exemple), les variations de longueur de la cavité vont être déterminées en mesurant les variations de la lumière transmise. La sensibilité fondamentale avec laquelle on pourra mesurer ces variations de longueur va être donnée par le bruit qui affecte la mesure de l’intensité de la lumière de sortie. Parmi les bruits de diverses origines, il en existe un lié aux lois quantiques, appelé le bruit de grenaille. Ce bruit va déterminer la limite quantique standard, limite fondamentale qu’il ne sera pas possible de franchir. Il va déterminer une sensibilité optimale qui ne pourra être dépassée. De quoi va-t-il dépendre ? De la nature quantique du rayonnement. La lumière est une collection de photons et la mesure de l’intensité du faisceau est affectée par la nature granulaire de la lumière. On ne détectera pas toujours le même nombre de photons même si la lumière est dans le même état et ne varie pas au cours du temps ! Lorsqu’on mesure une grandeur physique d’un système (ici le nombre de photons), on obtient une série de résultats qui vont se disperser autour de la moyenne. Cette dispersion traduit le bruit qui affecte la mesure. Le signal de sortie est proportionnel au nombre de photons (N) que contient le faisceau. On a montré que le bruit est proportionnel à la racine carrée du nombre de photons (√N). Autrement dit, la précision sur la longueur, la sensibilité, décroît comme l’inverse de la racine carrée du nombre de photons, c’est-à-dire l’inverse de la racine carrée de l’intensité du faisceau lumineux. Plus on utilise un faisceau lumineux intense, meilleure est la précision avec laquelle on va pouvoir mesurer les variations de longueur de la cavité. Notons encore que si N représente ici des photons, la loi qui détermine la Henri DUPUIS · PHYSIQUE John Martin, responsable du Service d’optique quantique de l’Université de Liège sensibilité a une portée plus large et N désigne en fait le nombre de ressources dont on dispose, l’intensité de la lumière n’étant qu’un exemple. Atomes dans un état sombre Peut-on améliorer ce résultat, c’est-à-dire dépasser cette limite de sensibilité qui se comporte comme 1/√N ? Oui, mais pour cela, il faut utiliser des sources de lumière non classiques. Une des méthodes proposées, avant que Daniel Braun et John Martin n’imaginent leur dispositif, était d’utiliser de la lumière dans un état intriqué, état dans lequel les grains de lumière sont liés par des corrélations. Ces corrélations vont permettre d’augmenter le rapport signal/bruit, soit en augmentant le signal, soit en diminuant le bruit. Avec de telles sources non classiques de lumière, la limite de sensibilité qu’on peut atteindre se comporte cette fois comme l’inverse du nombre de photons (1/N), ce qui représente bien un progrès par rapport à la limite 1/√N obtenue avec de la lumière classique. Cette limite est appelée la limite d’Heisenberg. C’est une limite fondamentale en dessous de laquelle on ne peut descendre avec de la lumière non classique. La méthode proposée par le chercheur liégeois et son collègue toulousain est très différente. «Dans notre cas, explique John Martin, nous avons considéré l’interaction d’un ensemble d’atomes piégés à l’intérieur de la cavité avec un mode de la cavité, une fréquence particulière de la lumière qui peut exister à l’intérieur de la cavité. Tous les atomes vont se coupler à ce même mode et c’est cette interaction collective qui va permettre d’obtenir un signal qui possède un rapport signal/bruit qui se comporte comme l’inverse du nombre d’atomes présents dans la cavité.» Tout l’intérêt de la méthode est qu’elle ne repose pas sur l’utilisation d’états intriqués, ce qu’on pensait impossible jusqu’à aujourd’hui. En quoi est-ce une avancée ? Lorsqu’on veut atteindre la limite d’Heisenberg en utilisant des états intriqués, un problème surgit rapidement: ces états intriqués sont très sensibles aux perturbations extérieures. Ils se détruisent très rapidement à cause de leur couplage avec le monde extérieur. C’est ce qu’on appelle le phénomène de décohérence, phénomène fondamental en physique quantique. Et celui-ci s’accroît au fur et à mesure que le nombre de ressources (N) augmente. Mais nous avons vu que si on veut une grande précision dans la limite d’Heisenberg, il faut augmenter N. Or si on augmente N, les états dont on a besoin pour atteindre cette limite deviennent de plus en plus difficiles à produire. Au point que les expériences qui ont été réalisées jusqu’ici avec des états intriqués l’ont été avec un «faisceau» de... 4 photons. Comment Daniel Braun et John Martin sont-ils parvenus à contourner cette difficulté ? «Nous n’utilisons pas de la lumière qu’on envoie dans la cavité, explique le chercheur liégeois, mais plutôt des atomes excités qu’on place à l’intérieur de la cavité. Ces atomes vont se désexciter en émettant des photons (lumière) qui vont s’échapper hors de la cavité en traversant les miroirs; c’est ce signal qui va nous permettre de mesurer les variations de longueur. Notre idée a été de préparer les atomes dans un état sombre: lorsqu’on place ces atomes dans cet état particulier, la probabilité qu’ils se désexcitent en émettant de la lumière est nulle. Mais cet état possède cependant des composantes excitées et c’est l’interférence entre ces différentes composantes qui maintient les atomes dans cet état sombre. Cependant, cet état n’est sombre que pour une longueur précise de la cavité. Lorsque la longueur de la cavité varie, l’état qui était initialement sombre cesse de l’être et donc les atomes émettent de la lumière. La mesure de cette lumière nous permet de dire de combien a varié la longueur de la cavité. Et nous avons montré par calcul que la sensibilité qu’on peut atteindre se comporte comme la limite d’Heisenberg, donc comme 1/N.» Le but était atteint: se débarrasser de la méthode des états intriqués tout en atteignant des performances de sensibilité extrêmes: on parle ici d’un ΔL/L (variation relative de longueur) de l’ordre de 10-21 à 10-23 ! (1) Braun D. and Martin J., Heisenberg-limited sensitivity with decoherence-enhanced measurements. Nature Communications. 2:223 doi: 10.1038/ncomms1220 (2011). Schéma du dispositif théorique pour mesurer la longueur d’une cavité. 43 ATHENA 271 · Mai 2011 > ASTRONOMIE À la Une du Cosmos Texte : Yaël NAZÉ • [email protected] • http://www.astro.ulg.ac.be/news La sonde Cassini a dévoilé, grâce à une équipe internationale comprenant des Liégeois, le lien électrique unissant Saturne et Encelade. Entre les amas de galaxies, l’espace est quasi vide. Près de nous, un «vide local» contient ainsi... une seule galaxie, ESO 461-36, qui accumule les particularités: très peu lumineuse comparée à la masse, avec un disque de gaz anormalement grand et très incliné par rapport au plan des étoiles... Photo: UDS/CNRS Photo: Cassini 44 Après des observations suivies des anneaux de Jupiter et Saturne, certaines de leurs structures ont pu être attribuées à des événements précis (impact des fragments de la comète Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter en 1994, d’un autre nuage de débris avec Saturne en 1993). Photo: Nasa En analysant les petits tremblements de la surface de 500 étoiles semblables au Soleil, le télescope spatial Kepler a montré qu’elles sont un peu trop légères par rapport aux modèles: il faudra donc les réviser ! Photo: Science Tycho Brahe avait observé l’apparition d’une «étoile nouvelle» en 1572. Le résidu de cette supernova donne aujourd’hui des informations sur l’origine de l’explosion, et sur le compagnon de l’étoile morte. Ce compagnon aurait survécu à l’explosion: il se déplace cependant à grande vitesse, comme s’il avait reçu un énorme «coup de pied». Il y a juste un peu de matière qui a été arrachée à sa surface - comme en témoigne un arc brillant en rayons X, qui serait l’onde de choc créée par cette matière. Photo: Chandra Yael NAZÉ · ASTRONOMIE Selon un astronome amateur belge, Charles Messier, le célèbre chercheur de comètes, aurait observé le troisième plus gros corps de la ceinture d’astéroïdes en 1779, 23 ans avant sa découverte par Friedrich Olbers. D’autre part, l’explosion de la supernova liée à Cas A - un résidu extrêmement brillant en rayons X, ondes radio, et IR - aurait pu se produire en 1630, le jour de la naissance du futur roi anglais Charles II. Photo: C&E 45 À gauche: En décembre dernier, un nuage de poussières a soudain enveloppé l’astéroïde Scheila. On a alors pensé à une activité de type cométaire, mais cela serait plutôt dû à l’impact d’un petit astéroïde. Photo: HST. À droite: On ne sait pas très bien comment les étoiles massives se forment, mais de nouvelles observations infrarouges et en rayons X devraient faire progresser ce domaine: elles ont permis de trouver 4 bébésétoiles ayant au moins 25 masses solaires ! Photo: Chandra/Spitzer Un minéral inconnu découvert dans une pierre venue de l’espace et tombée dans les régions polaires... Non, ce n’est pas «L’Étoile Mystérieuse» et son calystène, mais bien une découverte scientifique annoncée ce mois-ci : le minéral inconnu a été baptisé «wassonite» et est composé de soufre et de titane. D’autres minéraux restent à identifier. Photo: Nasa Les télescopes infrarouges apportent aussi des infos sur la formation d’étoiles peu massives. En effet, l’européen Herschel livre des images inédites des réseaux de filaments interstellaires au sein desquels se formerait la majorité des étoiles; l’américain Spitzer a montré que les jets émis par l’étoile jeune HH 34 sont parfaitement symétriques, mis à part un écart temporel de quatre ans et demi entre leur activité... Tout cela permet d’améliorer notre connaissance de la formation des étoiles. Photo: Spitzer ATHENA 271 · Mai 2011 > ESPACE C e 25 mai, il y a 50 ans, le Président John F. Kennedy (1917-1963) lançait un défi audacieux dans un discours mémorable au Congrès des USA. L’Amérique, aux prises avec l’Union Soviétique (dont faisait partie la Russie), était invitée à tenir le pari suivant: avant la fin de la décennie, envoyer un homme sur la Lune et le ramener sain et sauf sur Terre. Conscient de l’importance de ce programme technologique, il précisait: «Aucun autre projet durant cette période ne sera plus impressionnant pour l’humanité, ni plus important pour l’exploration de l’espace à long terme. Aucun ne sera aussi difficile ni aussi coûteux à réaliser.» Cette initiative prendra le nom de programme Apollo. Sa réalisation est confiée à la Nasa (National Aeronautics & Space Administration), mise en place le 1er octobre 1958. Le chef d’orchestre de ce travail d’Hercule est un Européen: Wernher von Braun (1912-1977), qui sera à l’origine des sinistres des fusées V2 du IIIe Reich, mais qui avait sauvé l’honneur américain après les deux premiers Texte: Théo PIRARD · Photo: Nasa O 46 ser décrocher la Lune en 1961: le Président Kennedy avait-il bien mesuré l’ampleur des efforts à consentir ? Il fallait une dose d’inconscience pour entreprendre pareille aventure. Mais les Américains se sentaient humiliés par les 108 minutes du vol spatial, le 12 avril 1961, de Youri Gagarine (1934-1968), jeune officier de l’Armée Rouge. Pour redorer la bannière étoilée, ils mobilisèrent leurs talents et leur potentiel. Il fallait, coûte que coûte, être les premiers sur la Lune. Cette Amérique qui balbutiait alors en matière de technologie des vols spatiaux habités, avait seulement 104 mois - jusqu’en décembre 1969 - pour gagner l’audacieux pari du Président Kennedy. Elle y est arrivée en 98 mois ! Tout est allé très vite à une époque où il fallait tout découvrir sans avoir de PC portables, ni Internet à portée de clic. Spoutniks autour de la Terre L ’informatique fonctionnait avec d’énormes machines utilisant des milliers de cartes perforées… La mémoire des ordinateurs était ridiculement faible comparée à ce qu’on trouve dans les smartphones d’aujourd’hui. Cette génération des «golden sixties» était animée par la volonté de se surpasser, donnant libre cours à sa matière grise. U ne véritable course contre la montre était engagée. La Nasa n’allait-elle pas faire confiance à un ingénieur discret qui suggérait un raccourci pour le chemin vers notre satellite naturel ? Elle devait à tout prix gagner du temps. La principale inconnue, en 1961, fut la trajectoire à privilégier pour aller sur la Lune avant la fin de la décennie. Il y avait trois possibilités: le vol direct, l’assemblage d’un vaisseau en orbite terrestre, la séparation puis le réassemblage de deux vaisseaux autour de la Lune. Cette dernière option, dite du rendez-vous en orbite lunaire, était proposée, non sans difficultés, par John Houbolt, ingénieur du Nasa Langley Research Center. Si elle permettait de gagner du temps et de l’argent, sa réalisation était fort risquée. La Nasa l’adopta en juin 1962 lors de la finalisation de sa feuille de route lunaire. L es États-Unis ont mis le paquet pour réussir les premiers pas lunaires. Mais quelques citoyens américains ont mis en doute que leur ation soit allée sur la Lune. Qu’en n est-il aujourd’hui ? Cette thèse dite du «grand complot» fait partie des fabulations de la conquête spatiale. Des extrêmistes américains, dès 1971, ont cherché à démontrer que l’Amérique n’était jamais allée sur la Lune. Pour eux, l’aventure Apollo était impossible à réussir. On aurait fait de cette affaire d’état une œuvre de propagande, en filmant, dans un environnement désertique, la simulation d’activités d’astronautes «à la surface lunaire». La «conspiration» a voulu dénoncer que l’investissement du programme Apollo, qu’on estime aujourd’hui à quelque 150 milliards d’euros, aurait financé secrètement l’industrie américaine de l’armement. Mais les faits vont à l’encontre des «conspirateurs». Tout qui a vécu l’impressionnant décollage de la fusée Saturn V (110 m de haut, 3.000 t au décollage, 34.000 kN de poussée), l’œuvre de von Braun, qui expédiait les astronautes vers la Lune s’interroge: à quoi pouvait servir cette débauche de puissance qui faisait vibrer le sol de Miami à New York ? On dispose depuis 2009 d’excellentes prises de vues des sites qui furent explorés par douze astronautes entre 1969 et 1972: la sonde Lro (Lunar Reconnaissance Orbiter) de la Nasa a montré la présence de six modules lunaires et les traces d’activités humaines sur notre satellite naturel. Vu l’absence de vents, ces marques terrestres sont là pour des siècles. Théo PIRARD · ESPACE La Chine en route vers l’espace L e 15e Symposium Isu (International Space University) de Strasbourg, qui était consacré à l’exploitation de la Station spatiale internationale (voir Athena n° 270, pp. 47-48) a accueilli une importante délégation composée de représentants de l’Astronaut Center of China (Aca) ainsi que d’académies chinoises des lanceurs et de technologie spatiale. Ces institutions sont placées sous l’autorité du Costind (Commission of Science, Technology and Industry for National Defence), lié au Parti communiste chinois. L’ingénieur en chef Jiang Guoha, responsable de l’entraînement des candidats taïkonautes près de Beijing - ils sont une vingtaine, parmi lesquels deux femmes -, a présenté la feuille de route de la Chine dont l’objectif est d’avoir une station spatiale permanente à l’horizon 2020. En octobre 2010, le gouvernement chinois a donné le feu vert à la réalisation de cet important programme. En fait, la «longue marche» vers cette station spatiale chinoise se fait pas à pas de manière économique. Chaque mission n’est pas une répétition de la précédente, mais elle est une étape essentielle dans la mise au point de nouveaux systèmes. Le programme a commencé dans les années 90 avec la phase Shenzhou (1999-2008) marquée par trois missions habitées, qui ont vu six taïkonautes autour de la Terre. Cette première étape a consisté en la mise au point du Shenzhou («Vaisseau divin») avec des vols de plus en plus longs, plusieurs taïkonautes sur orbite et une activité extra-véhiculaire (sortie dans l’espace). Le vaisseau chinois de 7,8 t, lancé de la base de Jiuquan (Mongolie) par une La grande absente dans la mise en œuvre de l’Iss (International Space Station) est la Chine, troisième nation à maîtriser la technologie des vols spatiaux habités. En septembre prochain, elle d evrait amorcer une nouvelle étape pour ses taïkonautes (astronautes chinois) dans l’espace. Au sujet de la possibilité de leur participation à l’Iss, l’astronaute canadien Bob Thirsk, qui a s éjourné dans la station aux côtés de Frank De Winne, se montre r éservé: elle ne sera guère possible, tant que le programme spatial chinois a une coloration militaire Texte: Théo PIRARD [email protected] Photos: AP / REPORTERS (pp.47-48) fusée Longue Marche 2F spécialement conçue pour les missions habitées, est un modèle modernisé, plus spacieux et performant, du Soyouz russe. Après que quatre missions automatiques aient testé le Shenzhou, le taïkonaute Yang Liweï, pilote de 38 ans, devient le premier Chinois dans l’espace avec, le 15 octobre 2003, un vol de 21 heures à bord du vaisseau Shenzhou-5. Il faut attendre octobre 2005 pour que soit lancée la mission Shenzhou-6 de près de 5 jours avec deux taïkonautes. Le vol Shenzhou-7 (dont on aperçoit ci-dessus le décollage le 25 septembre 2008) comportait un équipage de trois taïkonautes, dont deux ont effectué une brève sortie en scaphandre. Cette année, la Chine entame la deuxième phase, appelée Tiangong («Palais céleste»). Elle va permettre des 47 ATHENA 271 · Mai 2011 > ESPACE 1 48 2 1. Les Taïkonautes Jing Haipeng, Zhai Zhigang and Liu Boming dans le vaisseau Shenzhou-7. 2. Le drapeau de la Chine brandi autour de la Terre par le taïkonaute Zhai Zhigang dans un scaphandre de fabrication chinoise. 3. Un policier armé monte la garde près d’une maquette du vaisseau Shenzhou-7, exposée au Shanghai Science and Technology Museum. activités de quelques semaines autour de la Terre, avec la maîtrise des techniques de rendez-vous et d’arrimage sur orbite et l’utilisation à bord de systèmes régénératifs d’eau et d’oxygène. Le Tiangong-1, de 8,5 t (10,5 m de long, 3,4 m de diamètre maximum), sera satellisé en août-septembre par une Longue Marche 2F modifiée. Après ses essais sur orbite, il sera rejoint en octobre par le vaisseau Shenzhou-8 inhabité qui démontrera les manœuvres de rendez-vous et d’arrimage en mode automatique. Si cet essai est concluant, le Shenzhou-9 rejoindra Tiangong-1 trois mois plus tard, au début de 2012, avec 2 ou 3 taïkonautes à son bord. L’équipage y séjournera une semaine. Le vol du Shenzhou-10, avec 3 taïkonautes (dont la première Chinoise dans l’espace), est prévu pour l’été 2012. 3 Le module-laboratoire Tiangong-2, dont le lancement est planifié pour 2013, sera un modèle amélioré en fonction des enseignements de son prédécesseur. Il servira à des séjours de 20 jours autour de la Terre. Le Tiangong-3, à lancer en 2015, permettra des missions de trois taïkonautes pendant quelque 40 jours. On y expérimentera la technologie d’un support-vie régénératif avec production d’oxygène et de propergol. Cette décennie doit être mise à profit pour tester toutes les composantes qui serviront à la phase suivante: la station spatiale de longue durée d’une masse totale de quelque 60 t, qui comprendra un module central de contrôle, deux modules-laboratoires (Tiangong améliorés), de vaisseaux Shenzhou de deux modèles (habités par les taïkonautes, cargo pour le ravitaillement). Il n’est pas exclu que les Tiangong-2 et Tiangong-3 fassent leur jonction afin de créer un long ensemble habitable. Le démarrage de la construction de la station spatiale chinoise est planifié pour 2020 avec la mise sur orbite de l’élément central avec le lanceur lourd Longue Marche 5 depuis le centre de Hainan. Cet élément, doté de plusieurs colliers d’arrimage, recevra le premier module-laboratoire en 2021, puis le second en 2022. La station sera alors opérationnelle. Après avoir décrit quelques résultats d’expériences en microgravité à bord des vaisseaux Shenzhou, Jiang Guoha a invité les chercheurs de tous les pays à utiliser la station avec leurs instruments et pour leurs travaux… Message adressé sans aucun doute à ceux qui préconisent d’arrêter l’Iss après 2020 ! Théo PIRARD · ESPACE Brèves spatiales... d’ici et d’ailleurs Texte: Théo PIRARD • [email protected] • Photos: Nasa, Esa, Euro Space Center E uro Space Center Belgium (Transinne-Libin): 20 ans au service des jeunes ! Centre de loisirs éducatifs sur le thème de l’exploration et des applications spatiales, l’Euro Space Center Belgium a été inauguré le 19 juin 1991. Il a représenté un investissement de plus de 12,5 millions d’euros (le demi-milliard de francs belges). On doit cette infrastructure unique en Europe à la volonté d’un homme du terroir: Léon Magin (1920-1991), bourgmestre de Redu dans les années 70 puis de Libin, décédé six mois après son ouverture. Dès 1972, Léon Magin entend redonner vie à son village en tirant parti de la proximité de la station Esa (Agence spatiale européenne). Après avoir organisé des expositions temporaires - elles connaissent un beau succès de foule sur l’Europe et la Belgique dans l’espace, il s’entête à mettre sur pied un musée sur l’astronautique avec, pour vedette, un exemplaire complet du lanceur Europa à trois étages. Cet héritage de l’Europe spatiale a été parqué, sans grande protection, à l’orée d’un bois près de la station. Il a fallu batailler pendant quinze ans, surtout que la commune de Redu a entretemps été intégrée dans l’entité de Libin. Le Feder (Fonds européen de développement régional), Idelux et la société italienne Ciset ont manifesté un grand intérêt à ce projet d’un musée européen de l’espace. Un consultant américain, qui a réalisé l’étude de marketing, met la province de Luxembourg en contact avec l’US Space & Rocket Center de Huntsville (Alabama). Dans les années 80, dans cette cité, où Wernher von Braun (1912-1977) et son équipe d’ingénieurs ont conçu les fusées Redstone et Saturn, a été lancé le concept du «space camp» ou camp de l’espace pour les jeunes. Vingt ans après sa création, l’Euro Space Center Belgium a pris son autonomie par rapport au partenaire américain des débuts. Ayant comme co-propriétaires (chacun pour 1/3) la Politique scientifique fédérale, la province de Luxembourg et Idelux, il a trouvé son régime de croisière avec des classes de l’espace et l’organisation de séjours pédagogiques d’aventures spatiales, sur les thèmes de l’entraînement d’astronaute, la propulsion par fusée, la découverte du ciel (astronomie)... Un circuit «visiteurs», grâce à un spectacle permanent «son & lumière», permet à chacun de faire connaissance avec le nouveau monde du Cosmos, de découvrir les réalisations de l’Europe spatiale, de se familiariser aux défis des systèmes dans l’espace… Voisin de l’Euro Space Center, désormais dissimulé par une muraille de panneaux photovoltaïques, il y a l’ensemble de bureaux et laboratoires Galaxia, alimenté en énergie solaire. Il abrite WslLux (Wallonia Space Logistics/Idelux), l’un des six incubateurs technologiques reconnus par l’Esa comme Ebic (Esa Business Incubation Center). Ce site en bordure de l’autoroute E411, à mi-chemin entre Bruxelles et Luxembourg, attire les investisseurs. Idelux, avec des partenaires financiers, projette d’y construire un hôtel et centre de conférences, ainsi qu’une extension à Galaxia. U n Belge, trésorier de l’Esa. À partir de ce 1er avril, la direction des achats, opérations financières et affaires juridiques à l’Agence spatiale européenne est confiée à Éric Morel de Westgaver. Né en septembre 1954, il obtient une maîtrise en sciences économiques à l’Université catholique de Louvain en 1977. Dans les années 80, il gère le budget de la politique scientifique belge, puis le programme Airbus et les affaires spatiales. Depuis 1987 à l’Esa, il devient un fin connaisseur de la stratégie et du potentiel des industries de l’Europe dans l’espace. Il était chef du département des approvisionnements et chargé des affaires industrielles au siège de l’Esa à Paris. 49 ATHENA 271 · Mai 2011 > AGENDA À vos AGENDAS ! Plastic Planet de Werner Boote Actuellement dans les salles C 50 ommode et bon marché, le plastique semble être devenu incontournable dans notre vie quotidienne. tous les secteurs de l’industrie mondiale dépendent aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, du plastique. Il est présent partout (emballages, matériaux de construction, électronique, vêtements...). Pourtant, le plastique est devenu un danger global, tant pour l’homme que pour la planète, symbole de surconsommation et de pollution à grande échelle. Werner Boote nous offre une réflexion personnelle, sarcastique et critique sur un matériau à la fois controversé et fascinant qui a désormais toute sa place dans notre vie quotidienne: le plasti- que. Sous la forme d’un voyage autour du monde, il nous fait découvrir son véritable impact sur notre civilisation, prouve, à travers de nombreux témoignages d’éminents spécialistes, que les produits synthétiques rejettent des produits chimiques qui passent à travers la chaîne alimentaire jusque dans le corps humain et pose une question qui nous concerne tous: «Pourquoi ne changeons-nous pas nos habitudes de consommation ?». Complément indispensable du film, le livre Plastic Planet est une source d’informations essentielles pour comprendre les enjeux d’une problématique peu abordée et peu connue, voire occultée. Avec la complicité du journaliste scientifique Gerhard Pretting, Werner Boote propose une véritable réflexion sur le sujet mais aussi des pistes pour remplacer cette substance si nuisible pour notre patrimoine génétique. Werner Boote et Gerhard Pretting, Plastic Planet. La face cachée des matières synthétiques, Actes Sud À Bruxelles, Liège et Gand... Plastic Planet est un documentaire qui ne tourne pas autour du pot et montre sans détour ce que le plastique inflige à la Terre et ceux qu’elle porte. Bien documenté, riche en faits bruts et en interviews, tous les points de vue - économique, social, écologique, culturel, médical - sont représentés, permettant ainsi de se faire une idée précise et complète de l’impact de cette invention révolutionnaire. Où ? Dans les cinémas Actor’s studio de Bruxelles, Sphinx de Gand et Churchill de Liège Pour qui ? Pour tous ! (Une fiche pédagogique existe pour les enseignants) Tarif ? Selon le cinéma Infos ? Cinéart Tél.: 02/245.87.00 E-mail: [email protected] Site: http://www.cineart.be et sur les sites Internet des cinémas: http://actorsstudio.cinenews.be; http://www.lesgrignoux.be et http:// www.sphinx-cinema.be Quelle mobilité dans les villes du 21e siècle ? À Liège... Le 27 mai 2011 L e transport des biens et des personnes a pris une importance capitale dans notre vie. Ses répercussions sur notre mode de vie, nos emplois, notre santé et nos loisirs ne peuvent être ignorées. Nous sommes confrontés aux impacts sur l’environnement de l’utilisation des modes de transport classiques, dont l’usage intensif pourrait être freiné suite à la diminution des réserves en énergies fossiles. L’aménagement du territoire et l’organisation de l’habitat sont influencés par les choix de mobilité que nous réalisons, sans en être toujours conscients. Il n’existe pas de solution miracle à ces problèmes. Toutefois des solutions technologiques sont proposées (véhicule «propre», traction électrique), et des solutions parfois abandonnées, comme le tramway, sont à nouveau à l’honneur. Le colloque organisé par l’AILg (Association des Ingénieurs diplômés de l’Université de Liège) a pour but de faire le point sur les développements récents en matière de transport. La première partie du colloque présentera l’état de l’art et les perspectives de développement de plusieurs tech- nologies de transport qui pourraient être mises en œuvre dans la région liégeoise. Où ? Château de Colonster, Allée des Érables à 4000 Liège (SartTilman) Tarif ? Entreprises: 200 euros; membres AILg, enseignants et administrations publiques: 150 euros; étudiants, retraités: 60 euros Infos ? Tél: 04/254.08.25 E-mail: [email protected] Site: http://www.ailg.be Géraldine TRAN · AGENDA Sorti de PRESSE I l importe de revenir sur cet ouvrage de Yaël Nazé, astrophysicienne FNRS à l’Université de Liège. Récompensé du Prix Jean Rostand 2009, il est considéré comme un travail de vulgarisation scientifique de premier plan et peut ainsi contribuer à attirer les jeunes vers les sciences, objectif louable et vital s’il en est... Yaël Nazé insiste ici sur la nécessité de connaître le passé astronomique pour comprendre notre Univers. Disposer d’une base de temps plus large que les 50 dernières années s’avère très utile: les observations anciennes sont parfois très méticuleuses, précises et pleines d’enseignements. Par contre, il importe de mettre à mal certaines croyances, basées sur des études incomplètes, erronées et avides de sensationnalisme. La prédiction de fin du monde le 23 décembre 2012 est de celles-là: il suffit d’étudier le calendrier maya, très élaboré, pour s’en rendre compte. Il faut aussi éviter d’attribuer aux esprits anciens nos motivations scientifiques actuelles: le site de Stonehenge (avec ses alignements circulaires de mégalithes), par exemple, a donné lieu à de nombreuses théories parfois excessives. Le ciel a de tout temps intéressé ou même fasciné. Mais toutes les civilisations n’ont pas développé les connaissances astronomiques de la même manière. La civilisation égyptienne, pourtant prestigieuse, fait montre de connaissances relativement limitées établies dans un but éminemment pratique: l’établissement du calendrier, avec le jour de 24 heures et l’année de 365 jours, pour régler les activités autour des crues du Nil. De même, les Chinois ne tirent pas de théorie de leurs observations méticuleuses mais une science appliquée. Les astronomes visent, outre l’établissement du calendrier, l’annonce aux empereurs, et à eux seuls, des événements funestes Christiane DE CRAECKER-DUSSART [email protected] ou heureux: éclipses, comètes, aurores boréales, météores, etc. En Mésopotamie et en Inde, par contre, les astronomes conçoivent des théories mathématiques abstraites, basées sur l’observation systématique du ciel et de longs calculs, pour décrire les phénomènes naturels et prédire des phénomènes astronomiques. Les Grecs montrent que l’Univers est mesurable: circonférence de la Terre, rayon de la Lune, distance Terre-Lune et Terre-Soleil, catalogue d’étoiles... Leurs calculs et réflexions les amènent à bâtir de vrais modèles mathématiques écrits, qui aboutiront à construire un Univers purement intellectuel. Au cours du Moyen Âge, les progrès scientifiques du monde arabo-musulman sont avérés, notamment sous la pression des obligations religieuses: établissement du début du ramadan, des heures de la prière, de la direction de La Mecque. Le commerce et les voyages amènent également la nécessité de s’orienter et d’améliorer des instruments, comme l’astrolabe des Grecs. Les Amérindiens, surtout les Mayas, croyaient en des cycles cosmogoniques (relatifs aux récits mythiques de la formation de l’Univers) successifs: le Soleil était le cinquième et peut-être pas le dernier. D’où leur obsession pour le temps et le développement de leurs modèles numériques pour mieux prédire les mouvements célestes. En conclusion, l’histoire de l’Astronomie ancienne a son importance. Les observations sont parfois systématiques, au point de donner lieu à de véritables bases de données. En Chine, on peut parler de pléthore d’observations précises. Chez les Arabes, elles concernent surtout les événements associés à la Lune, au Soleil et aux planètes. En Europe médiévale, les moines, qui ne sont pas astronomes, mentionnent pourtant, comme les Chinois, des événements spectaculaires. Reste aux historiens et archéoastronomes à décrypter ces données et à distinguer celles qui sont fiables des mythes. Yaël Nazé rappelle que notre vie de tous les jours contient encore les apports fondamentaux de ces héritages: semaine de 7 jours, journée de 24 heures, année de 365 jours, chiffres dits arabes, navigation à partir du ciel (satellites et GPS). N’oublions pas de souligner les très utiles et clairs rappels d’astronomie, ainsi que le glossaire, la bibliographie et l’index détaillés, qui rendent ce livre passionnant, de très grande qualité et richement illustré, accessible au plus grand nombre. 51 © REPORTERS L’astronomie des Anciens de Yaël NAZÉ Belin Visitez nos sites : http://athena.wallonie.be http://recherche -technologie.wallonie.be/ http://difst.wallonie.be/ DIRECTION GÉNÉRALE OPÉRATIONNELLE DE L’ÉCONOMIE, DE L’EMPLOI ET DE LA RECHERCHE