EFFICACITE DU DICHLOROMETHYLENE BIPHOSPHONATE
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EFFICACITE DU DICHLOROMETHYLENE BIPHOSPHONATE
EFFICACITE DU DICHLOROMETHYLENE BIPHOSPHONATE (Cl2MBP) POUR LA DEPLETION FONCTIONNELLE EN MACROPHAGE IN VIVO CHEZ LE POULET Quéré Pascale1, Rivas Christelle1, van Rooijen Nico2 1 INRA, BioAgresseurs, Santé et Environnement, 37380 Nouzilly, Department of Cell Biology and Immunology, Faculty of Medecine, Vrije Universiteit, Amsterdam, Pays-Bas. 2 Résumé L’objectif de cette étude est de déterminer si le traitement par le dichloromethylène biphosphonate (Cl2MBP), encapsulé dans des liposomes (Lip/ Cl2MBP) déplète efficacement les macrophages chez le poulet. Trois jours après l’injection intraveineuse de Lip/ Cl2MBP, la réponse proliférative des lymphocytes aux mitogènes T in vitro est fortement réduite dans la rate. La production de NO (monoxyde d’azote) par les macrophages de la rate, spontanée ou inductible par l’interféron-γ, diminue. Néanmoins, la capacité des monocytes à produire du NO in vitro n’est pas modifiée. En parallèle, la capacité globale de l’organisme à produire du NO dans le sang, mesurée par le taux de nitrates sériques après injection de lipopolysaccharide (LPS), s’avère réduite de moitié de 3 à 9 jours après le traitement. Le traitement intraveineux par les Lip/ Cl2MBP augmente, par contre, la réponse systémique en anticorps contre un antigène thymo-dépendant. En conclusion, les Lip/ Cl2MBP injectés par voie intraveineuse chez le poulet sont capables d’affecter transitoirement les macrophages et leur fonction, au niveau de la rate essentiellement, et d’inhiber la réponse effectrice en NO. NO étant une molécule inhibant la réplication de nombreux virus, cette méthode de déplétion en macrophages in vivo présente un intérêt pour définir le rôle du NO et du macrophage dans certaines affections virales chez le poulet. Introduction L’élimination des virus par l’hôte dépend des mécanismes d’immunité innée et acquise. Les effecteurs non-spécifiques tels que interférons, cellules NK, monocytes du sang et macrophages tissulaires limitent la réplication virale durant la phase précoce d’infection avant la génération de la réponse immune spécifique des antigènes (anticorps et lymphocytes T cytotoxiques). Les macrophages sont des cellules multifonctionnelles qui ont en particulier un rôle clef dans l’orchestration des réponses immunes innées et spécifiques. Outre leur rôle important dans le processus de l’inflammation et comme cellules phagocytaires éliminant les agents infectieux, les macrophages stimulent l’activité antivirale des cellules NK et les lymphocytes T via la sécrétion de cytokines et de chimiokines. La déplétion sélective des macrophages in vivo est une approche employée pour étudier leurs divers rôles. Chez le poulet, comme chez la souris, l’injection de différents composés a été employée comme la silice, le bleu de trypan, les carraghénanes et les sérums anti-macrophage. Néanmoins, certains composés peuvent affecter d’autres cellules, en particulier les lymphocytes, et donc les effets de ces traitements ne seraient pas dus à la seule action sur le macrophage. De plus, ces composés peuvent n’avoir qu’une action variable, n’affectant que certaines fonctions du macrophage (Wirth et al., 1980 ; Kagan and Hartman, 1984 ; Pinto et al., 1989). Van Rooijen et collègues (1989) ont donc développé une nouvelle stratégie de déplétion des macrophages, plus spécifique et plus efficace, reposant sur la phagocytose ciblée d’un composé toxique pour le macrophage (le dichlorométhylène biphosphonate, Cl2MBP) car encapsulé dans des liposomes (van Rooijen et Sanders, 1994). L’injection intraveineuse de liposomes contenant du Cl2MBP élimine physiquement de façon efficace les macrophages de la rate et du foie. Néanmoins, la suppression est transitoire. En particulier au niveau de la rate, différentes catégories de macrophages sont affectées avec un temps de repopulation différent après le traitement selon la sous-population considérée (van Rooijen et al., 1989). L’objectif de cette étude est d’évaluer, chez le poulet, la capacité d’un traitement intraveineux par les liposomes contenant du Cl2MBP à dépléter la fonction macrophagique au niveau de la rate et à affecter les réponses immunes. 1. Matériels et méthodes 1.1. Animaux Les poulets Leghorn blancs (SPF) des lignées histocompatibles B13/B13 et B21/B21, respectivement très sensibles et résistants à la maladie de Marek, sont utilisés à l’âge de 4-6 semaines. 1.2. Schéma expérimental Les poulets sont répartis en deux lots de 10-12, l’un traité par les liposomes contenant du Cl2MBP (Lip/ Cl2MBP) (0.3 ml/poulet) et l’autre par des liposomes (Lip). L’effet du traitement sur la fonction Cinquièmes Journées de la Recherche Avicole, Tours, 26 et 27 mars 2003 macrophagique est testé 3 et 9 jours après (5-6 poulets par lot et par jour). 1.3. Préparation des cellules de rate Les rates sont broyées sur une grille métallique. Les suspensions cellulaires sont centrifugées à 400g pour éliminer les érythrocytes (Djeraba et Quéré, 2000). 1.4. Mesure de la production de monoxyde d’azote (NO) La production de NO par les splénocytes est mesurée par la quantité de nitrites (NO2-) produits dans le milieu de culture. Les splénocytes sont stimulés par de l’IFN-γ de poulet (50 U/ml) ou de la PHA (Phytohémagglutinine : 10 µg/ml) pendant 48h (Djeraba et Quéré, 2000). La mesure des nitrates (NO3-) sériques est effectuée avant et 5h après injection du stimulant LPS (Lipopolysaccharide). Les nitrates sont réduits en nitrites par du cadmium (Djeraba et Quéré, 2000). Les nitrites sont dosés par la méthode de Griess. 1.5. Mesure de la réponse proliférative aux mitogènes T Les splénocytes sont stimulés avec les mitogènes Concanavaline A (Con A : 2,5 et 5 µg/ml) ou PHA (5 et 20 µg/ml) pendant 48h. La prolifération lymphocytaire est quantifiée par l’incorporation de thymidine tritiée (Djeraba et Quéré, 2000). 1.6. Mesure de la réponse spécifique anti-KLH Les poulets sont immunisés par injection intraveineuse de KLH (Keyhole limpet hemocyanin : 100 µg/poulet). Le sérum et la rate sont prélevés 7 jours après. Les anticorps (IgM et IgG) spécifiques anti-KLH sont dosés dans le sérum par ELISA (Quéré et Girard, 1999). La prolifération spécifique anti-KLH des lymphocytes de rate est mesurée par incorporation de thymidine tritiée 4 jours après restimulation in vitro (5 µg/ml) (Quéré et Girard, 1999). 1.7. Analyse statistique Les résultats sont exprimés par la moyenne des valeurs (écart type de la valeur). L’analyse de variance et la comparaison des moyennes sont effectuées par un test non-paramétrique (Simstat, N. Peladeau, Provalis Research, Canada). 2. Résultats NO est une molécule qui a de puissantes propriétés antivirale et antitumorale (Liew et Cox, 1991). NO est produit en grande quantité par le macrophage à partir de la L-arginine sous l’action de l’enzyme NO synthase activée par des stimuli comme LPS et l’ IFN-γ (Xie et Nathan, 1994). NO a un temps de demivie très bref : il est immédiatement transformé en nitrites dans le surnageant de culture et en nitrates dans le sérum. Le taux de nitrates sériques après activation par le LPS permet d’évaluer la réponse systémique en NO reflétant la capacité globale d’activation des macrophages (Smith et al., 1997). La rate et le foie sont les organes impliqués majoritairement dans cette production de NO (Salkowski et al., 1997). Nous avons observé une forte réduction, mais incomplète (de moitié), de la quantité de nitrates sériques en réponse au LPS 3 et 9 jours après le traitement par le Cl2MBP à la fois pour les poulets B13/B13 et B21/B21 (Tableau 1), comme chez la souris (Salkowski et al., 1997). Au niveau de la rate, la production de nitrites par les macrophages, spontanée ou en réponse à l’IFN-γ, apparaît significativement réduite au 3ème jour post-traitement (Tableau 2). Par contre, la capacité de production en NO est récupérée au 9ème jour post-traitement. En parallèle dans la rate, la réponse aux mitogènes T, comme la PHA pour les poulets B13/B13 et la Con A pour les poulets B21/B21, est drastiquement réduite au 3ème jour post-traitement, mais retourne aussi à la normale au 9ème jour post-traitement (Tableau 3). La réponse aux mitogènes T est en effet dépendante de la présence des macrophages en culture, qui produisent des cytokines. Par contre, la réponse spécifique en anticorps, IgM et IgG, dans le sérum après immunisation par un antigène thymo-dépendant, apparaît augmentée significativement (Tableau 4). Ceci avait déjà été observé par Jeurissen et al. (1998), chez le poulet, après traitement par le Cl2MBP. La réponse proliférative des lymphocytes de rate en réponse à l’antigène immunisant KLH reste fortement inférieure chez les poulets traités par les liposomes contenant du Cl2MBP comparativement à ceux traités par les liposomes seuls 3 et 9 jours post-traitement. Ce défaut de prolifération pourrait être le résultat d’un défaut de présentation de l’antigène en culture lors de la restimulation in vitro du fait d’un déficit numérique en macrophages, alors que les lymphocytes répondants sont bien présents. Conclusion Le traitement intraveineux par les liposomes contenant le Cl2MBP apparaît efficace chez le poulet pour dépléter majoritairement les macrophages de la rate. Jeurissen et al. (1998) avait observé une disparition physique des macrophages spléniques dès 48h post-traitement avec un début de repopulation dès la première semaine post-traitement. Nos résultats montrent que cette disparition des macrophages s’accompagne fonctionnellement d’un défaut drastique de production de NO in vivo et in vitro, accompagnée d’un défaut in vitro de stimulation dans la réponse aux mitogènes ou de présentation de l’antigène. Elle est transitoire, le défaut étant maximum au 3ème jour post-traitement. Cette méthode de déplétion en macrophages in vivo pourrait donc présenter un intérêt pour définir le rôle du NO et du macrophage dans certaines affections virales chez le poulet. Références bibliographiques Djeraba A., Quéré P., 2000. Int. J. Immunopharmacol., 22, 365-372. Jeurissen S.H.M., Jansen E.M., van Rooijen N., Claassen E., 1998. Immunobiol., 198, 385-395. Kagan E., Hartman D.P., 1984. Methods Enzymol., 108, 325-335. Liew F.Y., Cox F.E., 1991. Immunol. Today, 12, A17-21. Pinto A.J., Steward D., Volkman A., van Rooijen N., Morahan P.S., 1989. In : Lopez-Berestein G. Fidler I (Eds) Liposomes in the therapy of infectious diseases and cancer. Liss, New York, pp441-451. 576-582 Quéré P., Girard F., 1999. Vet. Immunol. Immunopathol., 70, 135-141. Salkowski C.A., Detore G., McNally R., van Rooijen N., Vogel S.N., 1997. J. Immunol., 158, 905-912. Smith S.R., Manfra D., Davies L., Terminelly C., Denhardt G., Donkin J., 1997. J. Leukoc. Biol., 61, 24-32. van Rooijen N., Kors N., Kraal G., 1989. J. Leukoc. Biol., 45, 97-104. van Rooijen N., Sanders A., 1994. J. Immunol. Methods, 174, 83-96. Wirth J.J., Carney W.P., Wheelock E.F., 1980, J. Immunol. Methods, 32, 357-373. Xie Q., Nathan C., 1994. J. Leukoc. Biol., 56, TABLEAU 1 : Effet du traitement intraveineux par le Cl2MBP sur la production de nitrates sériques Lip/Cl2MBP Lip 13 13 Poulets B /B J+3 J+9 Poulets B21/B21 J+3 J+9 0 LPS 0 LPS 15,2 (± 1,7) 286,1 (± 16,1) 11,2 (± 1,1) 269,7 (± 31,3) 0 LPS 0 LPS 9,2 (± 0,7) 138,5 (± 10,7) 9,3 (± 0,9) 147,0 (± 12,5) NO3-+NO2- (µM) 14,6 (± 2,7) 207,8 (± 19,1)∗∗ 20,1 (± 3,0)∗∗ 143,2 (± 19,8)∗∗ 6,0 (± 0,2)∗∗ 75,2 (± 5,9)∗∗ 8,2 (± 0,9) 75,4 (± 7,9)∗∗ 3 et 9 jours après l’inoculation intraveineuse de Cl2MBP (Lip/Cl2MBP) ou de liposomes seuls (Lip), le taux de nitrate sérique est mesuré avant et 5 heures après injection intraveineuse de LPS (5 à 6 poulets par lot). Les différences significatives sont indiquées par comparaison avec le lot Lip (∗p≤0.05 ; ∗∗ p≤0.01). TABLEAU 2 : Effet du traitement intraveineux par le Cl2MBP sur la production de NO par les monocytes et splénocytes Traitement 13 13 Monocytes B /B J+3 J+9 Splénocytes B13/B13 J+3 J+9 Lip/Cl2MBP Lip 0 IFN-γ LPS 0 IFN-γ LPS 2,7 (± 0,7) 20,9 (± 3,5) 4,8 (± 0,5) 3,0 (± 0,5) 39,6 (± 4,2) 4,4 (± 0,8) 0 IFN-γ PHA 0 IFN-γ PHA 5,2 (± 1,1) 14,3 (± 1,7) 12,0 (± 1,2) 3,4 (± 2,2) 12,7 (± 1,6) 9,2 (± 1,4) NO2- (µM) 4,5 (± 0,7) 24,2 (± 4,3) 5,4 (± 1,2) 2,6 (± 0,5) 33,6 (± 8,2) 3,1 (± 0,5) 2,5 (± 0,9) 8,22 (± 1,1)∗ 5,6 (± 0,5)∗∗ 8,5 (± 0,9)∗ 12,4 (± 1,4) 11,3 (± 1,3) 3 et 9 jours après l’inoculation intraveineuse de Cl2MBP encapsulé dans des liposomes (Lip/Cl2MBP) ou de liposomes seuls (Lip) (5 à 6 poulets par lot), les leucocytes du sang et de la rate sont mis en culture, puis stimulés pendant 48 heures avec de l’IFN-γ (SnREV, 50 U/ml) ou du mitogène PHA (10 µg/ml). La production de nitrite (NO2-) est mesurée par la réaction de Griess. Les différences significatives sont indiquées par comparaison avec le lot Lip (∗p≤0.05 ; ∗∗ p≤0.01). TABLEAU 3 : Effet du traitement intraveineux par le Cl2MBP sur la prolifération lymphocytaire induite par les mitogènes T Traitement (µg/ml) Lip/Cl2MBP Lip Incorporation de thymidine-H3 (CPM +/-SEM) splenocytes B13/B13 J+3 J+9 splenocytes B21/B21 J+3 J+9 0 PHA 5 PHA 20 677 (± 120) 12062 (± 1801) 102822 (± 7628) 392 (± 29)∗ 5573 (± 459)∗∗ 58704 (± 4241)∗∗ 0 PHA 5 PHA 20 784 (± 111) 24996 (± 4801) 128210 (± 12197) 568 (± 94) 24634 (± 6483) 129479 (± 20200) 0 PHA 5 PHA 20 Con A 2 Con A 5 125 (± 11) 5052 (± 492) 25868 (± 2513) 16140 (± 5674) 68220 (± 11340) 132 (± 3) 4293 (± 1159) 20745(± 4267) 1669 (± 901)∗ 18829 (± 4267)∗∗ 0 PHA 5 PHA 20 Con A 2 Con A 5 257 (± 48) 4895 (± 975) 33686 (± 5935) 15004 (± 62064) 68025 (± 16064) 154 (± 10) 4095 (± 595) 39470 (± 6418) 20478 (± 8209) 81127 (± 14692) 3 et 9 jours après l’inoculation intraveineuse de Cl2MBP encapsulé dans des liposomes (Lip/Cl2MBP) ou de liposomes seuls (Lip) (5 à 6 poulets par lot), les leucocytes de la rate sont mis en culture, puis stimulés pendant 48 heures avec les mitogènes PHA ou Con A. La prolifération lymphocytaire est mesurée par l’incorporation de thymidine tritiée. Les différences significatives sont indiquées par comparaison avec le lot Lip (∗p≤0.05 ; ∗∗ p≤0.01). TABLEAU 4 : Effet du traitement intraveineux par le Cl2MBP sur la réponse immune spécifique contre un antigène T-dépendant (KLH) Lip/Cl2MBP Lip DO Réponse sérique en anticorps anti-KLH J+3 J+9 IgM (1 :80) IgG (1 :2560) IgM (1 :80) IgG (1 :2560) Réponse proliférative splénique anti-KLH J+3 J+9 0 + KLH 0 + KLH 0,578 (± 0,076) 0,434 (± 0,110) 0,698 (± 0,056) 0,925 (± 0,140) 0,601 (± 0,079) 0,629 (± 0,165)∗ 0,842 (± 0,110) 1,548 (± 0,133)∗∗ Incorporation de thymidine-H3 (CPM +/-SEM) 480 (± 99) 34234 (± 5385) 564 (± 54) 18487 (± 5612) 338 (± 86) 15432 (± 3689)∗∗ 290 (± 72)∗ 9586 (± 4386)∗ 3 et 9 jours après l’inoculation intraveineuse de Cl2MBP encapsulé dans des liposomes (Lip/Cl2MBP) ou de liposomes seuls (Lip) (5 à 6 poulets par lot), l’antigène KLH (100 µg/poulet) est injecté par voie intraveineuse. Le sérum et la rate sont prélevés 7 jours après. Les anticorps spécifiques anti-KLH sont mesurés par ELISA (IgG, phosphatase ; IgM, peroxydase). Les résultats sont exprimés en densité optique (DO). Les leucocytes de la rate sont mis en culture et stimulés pendant 4 jours avec KLH. La prolifération lymphocytaire anti-KLH est mesurée par l’incorporation de thymidine tritiée. Les différences significatives sont indiquées par comparaison avec le lot Lip (∗p≤0.05 ; ∗∗ p≤0.01).