revue des opinions1 février 2013.pub

Transcription

revue des opinions1 février 2013.pub
DDP
R E V U E S
D E S
O P I N I O N S
"Toute opinion est assez forte pour se faire épouser au prix de la vie." Montaigne
VENDREDI 1 FÉVRIER 2013
MAGHREB / MOYEN ORIENT
SOMMAIRE :
Quelle Coalition pour israel?
Le Monde diplomatique? Par Dominique Vidal
Quelle Coalition pour israel?
Encore une défaite cinglante pour les
sondages : les résultats des élections
Deux ans après le Printemps législatives du 22 janvier en Israël ne
arabe, l'intégration économique
ressemblent guère à leurs pronostics.
Une responsabilité partagée
du Maghreb est indispensable
Avec 31 députés, la coalition du Likoud et du
parti russophone Israël Beitenou (« Israël,
notre maison ») perd 11 sièges, compensés
Al Qaîda, un «produit» made par la poussée de Habayit Hayehoudi (« La
in USA, selon Hillary Clinton Maison juive ») du très nationaliste Naftali
Bennet (12 sièges) et la progression des partis
Grande-Bretagne: l'Europe,
ultra-orthodoxes (18 sièges au lieu de 16). Le
version Groucho
parti centriste Yesh Atid (« Il y a un
avenir »), créé il y a moins d’un an par le
Coup de froid
présentateur de télévision Aïr Lapid., rafle
Cameron à Alger : une visite, un 19 sièges, au détriment de Kadima (« En
message
avant », 2 sièges au lieu de 28) et de la
nouvelle formation de Tzipi Livni (Hatnouah
La France, d'une guerre à
– « Le Mouvement » – 6 sièges). La gauche
l'autre
sioniste reprend quelques couleurs, avec
Immigration : les non-dits du 15 sièges pour le Parti travailliste et 6 sièges
pour le Me Retz. Quant aux partis arabes et
discours d'Obama
communistes, ils stagnent, avec 11 députés.
Mali
John Kerry, le nouveau diplomate de l’Amérique
La Constitution, un thème sensible
C’est dire combien la formation du
gouvernement sera malaisée pour
M. Benyamin Netannyahou, avec une seule
voix de majorité. Mais une ouverture au
centre, notamment avec Aïr Lapid,
impliquerait de rompre avec une partie des
religieux. D’autant que les principaux
clivages portent sur la place de la religion
dans la société israélienne, à commencer par
l’extension du service militaire aux Juifs ultra
orthodoxes. La question palestinienne, elle, a
été quasiment absente de la campagne
électorale. Face à une extrême droite prônant
l’annexion de la zone C (60 % de la
Cisjordanie), les rares ouvertures ont porté
sur la reprise des négociations avec l’Autorité
palestinienne, seuls les partis arabes et
communiste ainsi que le Me Retz acceptant
l’établissement d’un véritable État
palestinien.
Une responsabilité partagée
Al Ahram
L’irruption de la violence meurtrière lors du
deuxième anniversaire du soulèvement du 25
janvier démontre, une fois de plus, les graves
difficultés que traverse la chaotique transition
démocratique en Égypte. Elle souligne
clairement que les vertus du dialogue, de la
négociation, du compromis et de la décision
collective sont encore loin de faire leur
chemin dans la vie politique post-révolution,
qui sera sans doute marquée, et pendant une
bonne période, par des flambées de violence
et par une polarisation politique entre les
principaux acteurs. Ce qui rend presque
impossible toute entente sur le minimum
nécessaire de principes permettant d’aller de
l’avant et l’enracinement de la démocratie. La
responsabilité de la violence incombe aux
deux principaux protagonistes de la vie
politique : l’opposition et le pouvoir. La
première n’arrive ni à contrôler ses troupes,
AVERTISSEMENT : LES OPINIONS EXPRIMEES N’ENGAGENT EN AUCUN C A S
ni à condamner fermement tout acte de
violence, satisfaite de voir le pouvoir mis sur
la défensive pour son incapacité à prévenir les
violences et à protéger les citoyens et les
biens publics. De son côté, le pouvoir se
trouve incapable et/ou ne désire pas faire les
concessions nécessaires permettant un
rapprochement avec l’opposition. Des
concessions pourtant indispensables et qui se
justifient par la période exceptionnelle que
traverse le pays et qui nécessite de part et
d’autre un sens aigu de la responsabilité
permettant de traverser au moindre coût la
période transitoire. Nul doute que l’Égypte
court un vrai danger en cas de poursuite de ce
même état d’esprit qui prévaut aussi bien
chez le pouvoir que chez l’opposition et qui
se focalise sur les intérêts politiciens étroits
de chaque camp, au détriment de ceux du
pays à long terme .
LA DIRECTION. ELLES REFLETENT LA POSITION DE LEURS AUTEURS.
Deux ans après le Printemps arabe, l'intégration économique du Maghreb est indispensable
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Le Monde , Par Nizar Babaka
De nombreux pays arabes connaissent depuis deux ans une
vague de bouleversements profonds initiés par le
" printemps Arabe " dont les effets perdurent et dont il est
prématuré de dresser un bilan politique . Néanmoins, l'élan
démocratique que connaît le Sud de la Méditerranée
combiné aux urgences dictées par la conjoncture fait qu'il
est pertinent de s’interroger sur la réponse à apporter aux
défis économiques que doit relever la région dans son
ensemble. Au premier chef, la stabilité s'impose à tous
comme l'élément central, un préalable indispensable pour
l'ensemble des acteurs économiques d’Afrique du
Nord et leurs partenaires internationaux. Ainsi, il
est clair que les pays de la région doivent se mettre
en situation d ‘assurer une stabilité pérenne afin de
mobiliser les investissements étrangers et les
financements internationaux nécessaires à la
relance de leurs machines économiques et au
rétablissement de leurs équilibres fondamentaux.
Ceci est d'autant plus crucial que les pays ne sont
pas tant appréciés de manière statique - selon une
photographie du moment - mais bien selon la dynamique
qu'ils présentent, tant au niveau politique que financier.
L'enjeu pour la région est en réalité de générer de la
croissance, de lutter contre le chômage, notamment celui
des jeunes, et de répondre aux fortes attentes sociales afin
de produire une dynamique de confiance permettant aux
différents pays de s’engager à nouveau sur les chemins de
l'émergence, qu'ils ambitionnaient d’emprunter avant même
le déclenchement de la crise financière internationale de
2007.Cette crise a contribué à dégrader sensiblement les
comptes publics de plusieurs pays de la Région et à mettre
sous tension les instruments de pilotage de l'économie qui
sont à la disposition des pouvoirs publics. L'installation de
la crise dans la durée, notamment en Europe , pèse
aujourd'hui de manière " mécanique " sur la dynamique de
relance économique dans les pays du Maghreb, faisant
apparaître l'impérieuse nécessité d’imaginer des moyens
complémentaires de renouer avec une croissance soutenue.
CROISSANCE ENDOGÈNE
Parmi ceux ci, le premier d'entre eux est sans conteste le
potentiel de croissance endogène d'une Région mieux
intégrée, dans lequel il conviendrait de puiser au plus vite
tant il paraît substantiel. Le choix de l'intégration
économique – qui nécessite une décision politique pourrait ainsi se matérialiser autour d'un " pacte de
croissance transmaghrébin " qui transcenderait aussi bien
les agendas particuliers que les rivalités de voisinage, au
nom d'une ambition commune et d'un projet fédérateur :
une prospérité partagée par tous et l'instauration d'une
société de confiance au Sud de la Méditerranée.
Selon les estimations les plus pessimistes, la
complémentarité des économies du Maroc , de l’Algérie, de
la Mauritanie , de la Tunisie , de la Libye mais également
de l’Egypte pourrait en effet générer près de deux points de
PIB supplémentaires par an et par pays, permettant ainsi à
chacun de mieux répondre aux aspirations des populations.
Les bénéfices de cette " union sacrée économique ", dictée
par les exigences du contexte actuel, seraient en effet
déterminants pour conforter les différents processus de
transition des pays du Maghreb et garantir davantage de
sérénité à leur ancrage démocratique.
Le modèle économique alternatif ainsi mis en œuvre - plus
intégré et par conséquent plus
performant - qui résulterait de cette
exigence forte de solidarité régionale,
consoliderait ainsi cette nécessaire
stabilité. Par extension et selon un effet
ricochet immédiat, ce modèle permettrait
de poser les jalons d'une zone de
prospérité partagée pour l'ensemble de la
Région euro méditerranéenne.
Les atouts compétitifs des pays du Maghreb, leur
intégration économique ainsi que la dynamique nouvelle de
co-localisation d'ailleurs soutenue par Paris, seraient autant
de leviers permettant d’attendre une meilleure compétitivité
globale en zone Euromed. Une initiative commune euro
méditerranéenne, porteuse d'espoir pour les deux rives de la
Méditerranée, et allant dans le sens de cet intérêt partagé,
n'en devient ainsi que plus pressante. Plus intégrée, la
Région pourrait également faire face aux défis sécuritaires
et géostratégiques de son environnement et notamment à la
crise malienne qui entre aujourd'hui dans une phase
cruciale.
En effet, un Maghreb plus prospère et mieux intégré
impacterait conséquemment la création de richesses dans
les pays subsahariens et en favoriserait donc la stabilité. A
cet égard, et partant de sa proximité civilisationnelle et de
ses liens historiques avec le Sahel, le Maroc est à même
d’apporter sa contribution à l'établissement d'un climat de
stabilité dans la région.
Fort de ses institutions et de ses acquis démocratiques,
déclinés dans sa nouvelle Loi Fondamentale, jouissant de
sa stabilité, bénéficiant de la confiance de ses partenaires
économiques internationaux et engagé dans un processus
de réformes économiques et sociales profondes, le Maroc
est à même de participer de façon active à une intégration
économique réelle du Maghreb et à faciliter une articulation
harmonieuse entre le Moyen-Orient et l'Afrique
sub-saharienne, réconciliant la capacité d'investissement
des pays du Golfe avec le potentiel de croissance du sud,
selon un schéma triangulaire.
Une partie de l’avenir du monde se jouera sur cette capacité
de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à endosser ce
rôle.
REVUES DES OPINIONS
AFRIQUE
Mali
Les Echos
La crise ouverte au Mali et la prise d'otages en Algérie nous
apportent d'Afrique quelques enseignements sur notre
monde comme il va. Ils sont des confirmations. La plus
manifeste est naturellement sa stupéfiante fragilité au
terrorisme « islamiste » (quel que soit son nom). Les Etats
d'Afrique de l'Ouest se révèlent pour la plupart incapables
d'y répondre par une capacité politique et militaire crédible.
Et la « Communauté internationale » se contente une fois
de plus de déclarations de soutien et d'aides ou
symboliques, à une France maintenant engagée sur le
terrain, décidément enchaînée à son passé africain. Les
tribunes certes l'encouragent, mais c'est elle qui affronte le
taureau dans l'arène.
Face à cette impuissance des puissants, la puissance des
débiles impressionne. Leur indigence politique, leur
ignorance, leur obscurantisme seraient autant de faiblesses
s'ils jouaient dans notre cour. Mais leur atout est que,
contrairement à nous, ils ne prétendent aller nulle part et
n'ont rien à défendre, y compris leur propre vie. L'Afrique
le confirme, après l'Afghanistan : ce nouveau nihilisme
barbare tire son efficacité des armes perfectionnées que
nous lui vendons, dégât collatéral de l'économie de marché.
Il reste heureusement aux Occidentaux, notamment aux
Américains, la ressource de pouvoir observer dans le
moindre détail, grâce à leurs moyens sophistiqués
d'observation, les crimes commis aux détours des chemins.
Communication aidant, nous nous piégeons nous-mêmes à
cette société de spectateurs que nous avons créée.
Tels que nous voilà embarqués, nous peinons à l'évidence à
trouver la bonne réplique. Experts en nuances, certains
pays reprochent à la France d'être intervenue
« précipitamment » au Mali, et aujourd'hui à l'Algérie
d'avoir réprimé dans le sang la prise d'otages d'In Amenas.
Mais ce pays est encore marqué par sa guerre civile de
1990-2000, avec ses 100.000 morts et plus. D'où la
brutalité de sa réponse en forme de règlement de comptes,
peut- être l'« ultima ratio » face à ces actes barbares… On
allait oublier l'Europe, menacée au premier rang. Mais
quelle Europe ? L'Afrique nous confirme qu'on peut
l'oublier, en effet.
Al Qaîda, un «produit» made in USA, selon Hillary Clinton
The new york times
Étonnante et même détonante
cette révélation faite vendredi dernier
par la désormais ex-secrétaire d’État
américaine aux Affaires étrangères,
Hillary Clinton, devant le Congrès.
ce que nous allons le récolter.» Clinton poursuit l’histoire
jusque-là secrète de la liaison dangereuse des USA avec
«l’embryon» d’Al Qaîda, en précisant : «Nous avons dit aux
militaires pakistanais, débrouillez-vous avec les missiles
(sol-air) Stringer qu’on a laissés un peu partout dans votre
pays et les mines disséminées tout au long de la frontière.
Nous avons donc arrêté de traiter avec l’armée pakistanaise
En effet, accablée de critiques sur la faillite sécuritaire qui et l’ISI.
avait provoqué la mort de l’ambassadeur américain à
Benghazi, Mme Clinton a d’abord accusé le coup avant de Et nous devons maintenant compenser tout ce temps perdu»,
lâcher sa «bombe». «Souvenons-nous que les gens contre conclut Hillary Clinton dans ce qui a l’air d’être son baroud
qui nous nous battons aujourd’hui, nous les avons créés il y d’honneur face à un Congrès qui lui cherchait noise. Tout
a 20 ans.» Et d’ajouter : «nous l’avons fait pour faire face compte fait, et au-delà de cette explication américanoaux Soviétiques qui avaient envahi l’Afghanistan de peur américaine, on retiendra de ce rare moment de vérité au
qu’ils ne dominent l’Asie centrale.» Mme Clinton précisera Congrès que les histoires pas très croyables qui circulent
aussi que le président Reagan, en accord avec le Congrès sont parfois d’une véracité cinglante. Si tout le monde
dominé par les démocrates, avait même ordonné qu’on doutait un peu des origines d’Al Qaîda, on sait désormais
«importe» des «extrémistes d’Arabie Saoudite et leur qu’elle est un enfant légitime de la CIA et donc un pur
mouvement wahhabite».
produit «made in USA».
Elle a souligné également que les États-unis ont chargé les C’est bon à savoir et cela vaut beaucoup mieux de
services secrets du Pakistan de recruter des moudjahidine l’entendre de la bouche d’un responsable américain.
qui luttaient contre le gouvernement communiste de
Najibullah à Kaboul. Et la secrétaire d’État de dire la vérité
toute crue : «A l’époque, on disait que ce n’était pas un
mauvais investissement puisqu’on en avait fini avec l’Union
soviétique. Mais soyons prudents avec ce qu’on a semé par
REVUES DES OPINIONS
Page 4
EUROPE
Grande-Bretagne: l'Europe, version Groucho
L’Express , Par Jacques Attali
En demandant à renégocier le traité de l’UE , avant de
soumettre par référendum à ses concitoyens la décision d'y
rester ou de la quitter, le Premier ministre britannique,
David Cameron , applique la célèbre maxime de Groucho
Marx: "Je ne serai jamais membre d'un club qui m'accepterait comme membre."
Aussi surréaliste qu'elle soit, cette demande est d'abord une
manoeuvre de politique intérieure: la droite anglaise est au
bord de l'implosion, le Parti conservateur étant désormais
composé de deux courants, fort hostiles l'un à l'autre. Le
premier est proeuropéen (Cameron en fait partie), le second
est nationaliste (à l'image du Tea Party aux États-unis). Et
c'est pour tenter de maintenir une unité de façade entre ces
deux factions, et réduire son impopularité personnelle, que
Cameron a fait cette proposition. Il espère ainsi fournir un
exutoire à tous ceux qui, en Grande-Bretagne, considèrent
l'Union européenne comme une sorte de dictature
bureaucratique, à la réglementation tatillonne et
envahissante. En apparence, cette offre est habile: personne
ne peut être contre un référendum, et les travaillistes seront
obligés de s'y rallier, pour ne pas paraître se défier des
électeurs. Cameron applique la doctrine qui réussit si bien
aux Anglais depuis le xviiie siècle : diviser les autres
Européens. Et il espère obtenir d'eux une ou deux
concessions qui lui permettront de remporter les prochaines
élections législatives et le référendum qui les suivra.
suivront - en France même, il y en aura. Ce serait la fin de
l'Union européenne, qui ne peut être une collection
d'accords bilatéraux sur mesure, sans solidarité. La France et
l'Allemagne doivent donc répondre au plus vite, d'une même
voix. Renégocier les traités, pour faire progresser l'Union,
évidemment: on le fait tous les jours et ce sera de toute
façon nécessaire pour accomplir l'union monétaire. Mais
accorder un statut spécial à la Grande-Bretagne ou à tout
autre pays, pas question. Quiconque voudrait obtenir un
traitement particulier devra d'abord sortir de l'Union, puis
négocier un statut d'association. Cela doit être dit clairement
et constituer une ligne infranchissable.
Pour imposer cette ligne, la France doit savoir et faire savoir
que la sortie de l'UE de la Grande-Bretagne serait fort triste
(au regard du rôle de ce pays dans l'histoire de l'Europe, et
en particulier dans la victoire contre les forces totalitaires,
qui donna naissance au projet européen), mais qu'un tel
départ serait beaucoup moins tragique que le maintien dans
l'Union, avec un statut spécifique l'exonérant de tout
contrôle, d'un pays qui devient chaque jour davantage le
principal lieu de blanchiment de l'argent du monde entier, et
qui s'obstine à freiner tout progrès dans la construction de
l'Union, et même de la zone euro, dont elle ne fait pourtant
pas partie. Seule une telle fermeté fera comprendre aux
Anglais qu'en quittant l'UE ils ont plus à perdre que leurs
partenaires : l'essentiel de leurs échanges commerciaux et
financiers se font avec le continent et grâce à l'Union. Alors,
En réalité, cette proposition est fort dangereuse: d'autres
en dignes héritiers de la "nation de boutiquiers", selon la
pays pourraient s'engouffrer dans la brèche et demander, eux
formule que George Bernard Shaw prêta à Napoléon, les
aussi, des statuts spéciaux. D'ores et déjà, des partis
Anglais feront leurs calculs, et ils resteront.
politiques, en Suède et en Italie, semblent tentés; d'autres
Coup de froid
Libération, Par ERIC DECOUTY
Ils étaient en train de retrouver
des couleurs. Salué pour son
volontarisme militaire au
Mali, François Hollande a
gagné en quelques jours une
stature présidentielle que six
mois de pouvoir avaient à
peine esquissée.
Au même moment, son Premier ministre a trouvé dans le
débat sur le mariage pour tous l’occasion d’afficher une
posture de gauche soutenue par une majorité ravie d’en
découdre enfin avec une droite caricaturale ou pathétique.
Et la victoire annoncée de l’armée française au Mali avant
le succès assuré de Christiane Taubira à l’Assemblée
devaient souligner la soudaine embellie hivernale pour le
couple exécutif. Seulement voilà, le coup de froid lancé par
Goodyear a rappelé que la crise sociale demeurait la
première réalité politique du pays. Il a surtout renvoyé le
Président à ses engagements de campagne et à cette
promesse que l’État pouvait agir sur le réel. Car à Amiens,
comme à Florange, chez Peugeot, Renault ou ailleurs, c’est
ce volontarisme qui est attendu mais que ne perçoivent pas
les salariés menacés.
Si l’État ne peut pas tout, partout, il y a pour le
gouvernement une urgence politique à donner une
traduction concrète aux promesses sociales du candidat
Hollande. La loi sur les licenciements boursiers, évoquée
sur le parking de l’usine d’Amiens en octobre 2011, doit
revenir en débat, comme les autres solutions avancées
avant les élections.
REVUES DES OPINIONS
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EUROPE
Cameron à Alger : une visite, un message
Quotidien d’Oran, Par Moncef Wafi
la visite à Alger de David Cameron, la première du genre
pour le Premier ministre britannique, intervient, pour le
moins que l'on puisse dire, dans une conjoncture assez
particulière. Si elle n'était pas programmée depuis
longtemps, on aurait pu aisément faire le lien avec l'attaque
terroriste du complexe gazier d'In Amenas géré par
Sonatrach en partenariat avec British Petroleum et Statoil.
Mais difficile d'y échapper et surtout de l'éluder dans la
mesure où aux lendemains de l'assaut des forces spéciales
algériennes pour libérer les otages, Londres s'est fendue d'un
maladroit communiqué reprochant au gouvernement
algérien de ne pas l'avoir informé de la suite des opérations.
Si par la suite, et à l'image des autres capitales occidentales,
Londres s'est rendue à l'évidence après analyse de la
situation, le mal est là puissions-nous dire puisque pour
Alger, et au plus fort de la crise des otages, les vieux
réflexes européens ont ressurgi comme au plus fort de la
guerre contre le terrorisme.
réaffirmer le soutien de la GrandeBretagne à l'Algérie et le volet
sécuritaire et la coopération dans
le domaine de la lutte antiterroriste
seront au centre des intérêts
communs entre les deux capitales. Mais ce qui reste comme
une certitude c'est que les compagnies britanniques
continueront à activer en Algérie, mais en proposant l'aide
du Royaume-Uni dans la sécurisation des sites pétroliers où
BP est présente. Une demande déjà clairement refusée par
Alger aux lendemains de l'assaut contre le commando
islamiste, le ministre de l'Energie et des Mines déclarant que
pour l'Algérie « il n'est pas question d'accepter des forces de
sécurité extérieures » pour sécuriser les installations
pétrolières et gazières dans le sud du pays.
Hormis cette donne, les analystes sont tous d'accord
pour confirmer l'excellence des relations politiques et
économiques bilatérales. Les chiffres sont là pour le
souligner puisque la coopération algéro-britannique a
Ainsi, et au-delà des discours de circonstance et des enregistré une avancée substantielle en 2012, dans
apparences toutes diplomatiques, l'Algérie, pour le reste du l'ensemble des domaines, franchissant un palier supplémenmonde en hibernation économique, est un fabuleux marché taire par rapport aux années précédentes.
ouvert. David Cameron, tout comme François Hollande, ne
veut pas que des interférences extérieures viennent gâter les
bonnes relations, surtout économiques, qui unissent les deux
pays. Le Premier ministre british devra certainement
La France, d'une guerre à l'autre
La Tribune , Par Philippe Mabille
L'intervention de la France
au Mali, décidée dans
l'urgence
par
François
Hollande le 11 janvier, et le
carnage de la prise d'otage
qui a suivi dans le complexe
gazier d'In Amenas, dans le
Sahara algérien, ont
brutalement révélé au monde stupéfait que les risques
géopolitiques sont en train de s'étendre à l'Afrique.
Mali s'est de facto mondialisé. Le problème n'est plus
seulement le rétablissement de l'intégrité d'un petit pays sans
grand enjeu stratégique et dont, à part la France, l'Europe se
désintéresse. Ce qui est en jeu avec le Mali va bien au-delà
de la stabilité d'une région déshéritée, le Sahel. C'est la paix,
dans un continent qui va connaître dans les quarante
prochaines années la plus forte poussée démographique
(2 milliards d'habitants au sud du Sahara en 2050) et dont
l'entrée dans la mondialisation risque d'être bloquée ou
retardée par la multiplication de conflits locaux ou
régionaux menés par des groupes mafieux s'abritant derrière
Avec 37 civils étrangers tués, de huit nationalités
le paravent de l'islamisme. La France, pour l'instant encore
différentes, la répression sanglante par l'armée algérienne de
bien seule, doit se préparer à un long conflit, dont les
cette prise d'otages est la pire catastrophe de ce type jamais
conséquences à long terme restent difficiles à anticiper.
connue en temps de paix par des entreprises privées (BP et
Statoil, en joint-venture avec le groupe algérien Sonatrach). On ne peut exclure qu'en faisant monter le risque algérien,
notre principal fournisseur en gaz, cette nouvelle guerre
Même si on peut comprendre les raisons qui ont conduit le
contre le terrorisme ne conduise François Hollande à changouvernement algérien à une riposte aussi violente, cela
ger de
position sur l'exploitation des gaz et pétrole de
aura forcément des conséquences radicales sur les projets
schiste situés dans notre sous-sol. La guerre à l'extérieur de
d'investissement des entreprises qui ne peuvent pas laisser
nos frontières, mais aussi la guerre, économique et sociale, à
leurs ingénieurs se faire enlever ou tuer sans réagir, même
l'intérieur.
s'il s'agit d'une région stratégique pour ses ressources en
énergie. Avec la tragédie d'In Amenas, le conflit du Nord
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REVUES DES OPINIONS
AMERIQUES
Immigration : les non-dits du discours d'Obama
NPR, Par Corey Dade
Le discours tant attendu que le président Obama a prononcé
le 29 janvier sur ses projets de réforme de l'immigration est
peut-être plus remarquable par ses non-dits que par son
contenu lui-même. Au lieu de s'aventurer sur un terrain
délicat et de mettre en péril l'entente entre les deux partis qui
règne au Sénat sur la question, le président a adopté le ton
optimiste, populiste, de celui qui fixe le cadre. "La bonne
nouvelle, c'est que, pour la première fois depuis de
nombreuses années, républicains et démocrates semblent
prêts à s'attaquer au problème ensemble, a-t-il déclaré. La
question est : est-ce que nous avons la détermination en tant
que peuple, en tant que pays, en tant que gouvernement de
régler enfin cette question ? Je pense que oui." Barack
Obama a appelé clairement à naturaliser les plus de 11
millions d'immigrés en situation irrégulière qui vivent aux
États-unis. Cette question devrait être l'une des plus
problématiques lors de la bataille qui s'annonce au Congrès.
Le président a approuvé les propositions faites le 28 janvier
par un groupe de sénateurs démocrates et républicains,
parmi lesquelles la possibilité de naturaliser les personnes
vivant dans le pays en situation irrégulière. Comme eux, il a
également appelé à un renforcement de la sécurité des
frontières, à la vérification obligatoire du statut des salariés
vis-à-vis de l'immigration et à "faire entrer notre système
d'immigration régulière dans le XXIe siècle" en adoptant
des processus plus rationnels pour gérer le flux de nouveaux
venus. Obama a cependant prévenu les législateurs qu'il
présenterait son propre projet et insisterait pour qu'ils se
prononcent à son sujet immédiatement si les négociations
sur une loi au Congrès se trouvaient bloquées par des
considérations partisanes.
Des questions laissées de côté
Avant ce discours, Marco Rubio, sénateur républicain de
Floride et membre du groupe bipartisan, a pris la parole au
Sénat et a pressé le président de ne pas aller au-delà du
soutien aux principes définis par le groupe de sénateurs.
Pour Rubio, qui est fils d'immigrés cubains, le groupe a "du
bon sens partagé et un ensemble raisonnable de principes".
L'une des questions qu'Obama a évitée, c'est la proposition
du groupe stipulant que les immigrés clandestins ne
pourraient pas demander la carte verte [permis de travail
temporaire] tant que la sécurité des frontières ne serait pas
assurée.
Cette proposition a les faveurs des républicains du Congrès,
mais inquiète beaucoup les associations de défense des
immigrés. Obama ne prévoit pas de lier l'éligibilité à la carte
verte à la sécurité des frontières, ce que Rubio a dénoncé par
la suite dans une déclaration en réaction au discours du
président. Patrick Leahy, sénateur démocrate du Vermont et
président de la commission des Affaires juridiques, a
qualifié dans une déclaration le discours d'Obama de
"courageux". Il a fixé le début des débats sur l'immigration
au 13 février.
John Kerry, le nouveau diplomate de l’Amérique
Malgré ses talents politiques, l'ancienne secrétaire d'État
d'Obama, Hillary Clinton, n'a pas donné naissance à une
doctrine. Kerry peut être un grand secrétaire d’État – si
Obama ne l’en empêche pas. Président du comité des
Affaires étrangères du Sénat, il s’est rendu un nombre
incalculable de fois au Moyen-Orient, en Europe, en Asie dans toutes les régions en crise du monde— il connaît les
personnalités qui comptent et le terrain politique aussi bien
que quiconque aurait pu prétendre à ce poste, et mieux
même que la plupart (dont Susan Rice à mon avis). Comme
l’a dit Obama lorsqu’il a annoncé sa nomination:«Il ne va
pas avoir besoin d’une formation intensive pour le
poste.»On peut donc parier que Kerry obéira avec
professionnalisme aux ordres d’Obama, quels qu’ils soient.
La question est de savoir s’il décidera au moins d’une
partie de ce programme lui-même, que ce soit dans le cadre
des sujets qu’il traitera ou dans les politiques qu’il
privilégiera –c’est-à-dire de savoir si le talent qu’il a
montré et la confiance qu’il a gagnée lui vaudront la liberté
de jouer un rôle de leadership dans la politique étrangère
américaine. Kerry semble à la hauteur de la tâche.
La réponse est entre
les mains d’Obama. Kerry, fils de diplomate qui a passé la
plus grande partie de sa jeunesse à l’étranger, a déjà fait
pendant sa carrière au Sénat ce qu’il est d’usage de faire
lorsque l’on est diplomate. Sous la présidence de Bill
Clinton, il a passé de longues heures à rétablir les relations
avec le Vietnam et s’est rendu plus d’une dizaine de fois
sur son ancien champ de bataille, en collaboration avec le
sénateur républicain John McCain, autre vétéran de cette
guerre dont le point de vue était totalement différent (Kerry
a dirigé une grande organisation contre la guerre après
avoir quitté la Marine; McCain a croupi cinq ans dans une
prison nord-vietnamienne. C’est Kerry qui a tendu la main
à McCain; et ils sont restés bons amis à ce jour). Il a aussi
contribué à la mise en place d’un tribunal sur le génocide
au Cambodge et dirigé les initiatives d’aide au nouveau
régime démocratique des Philippines après l’éviction de
Marcos.
REVUES DES OPINIONS
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ASIE
La Constitution, un thème sensible
Courrier internationale, par He Sanwei
"L'existence et l'autorité de la Constitution dépendent de sa
bonne application." Le 4 décembre, Xi Jinping [alors tout
nouveau secrétaire général du Parti communiste chinois] a
prononcé un discours à l'occasion du trentième anniversaire
de l'entrée en vigueur de la présente Constitution. L'agence
officielle Xinhua en a extrait la phrase ci-dessus pour en
faire un titre. Je pense qu'il s'agit bien de la question de
fond. En apparence, cette phrase est d'une grande banalité,
mais, si l'on observe la
réalité, on en comprend
mieux le sens profond.
A bien y réfléchir, ce titre
n'aurait pas de raison d'être si
la Constitution veillait en
permanence sur le pays et la
population, et si son autorité
n'était jamais remise en
cause.
Dans son discours, Xi Jinping a certes "pleinement
reconnu les acquis" de la
Constitution, mais il a
dénoncé certaines "insuffisances" en la matière.
"Le système de contrôle et les institutions garantissant la
bonne application de la Constitution sont encore
imparfaits : il arrive encore qu'en certaines régions et dans
certains services, on n'ait pas recours aux lois existantes,
que celles-ci ne soient pas appliquées correctement et que
ceux qui les violent ne soient pas poursuivis. L'application
des lois protégeant les droits des individus pose toujours
problème." Dans le monde actuel, tout pays civilisé place la
Constitution au-dessus de tout. La Constitution chinoise
indique que la Chine populaire ne fait pas exception sur ce
point. Dans son discours, Xi Jinping a clairement insisté sur
la primauté de la Constitution et sur l'absence de tout autre
principe supérieur à elle.
Par conséquent, dès aujourd'hui, tout acte juridique
ou administratif jugé anticonstitutionnel devrait être
immédiatement invalidé. Pourtant, dans notre pays, où
"certains citoyens, dont des cadres dirigeants, auraient
besoin de mieux prendre conscience de l'importance de la
Constitution", on n'a jamais entendu dire que quiconque ait
été poursuivi pour avoir violé la Constitution ! Qu'est-ce
que cela prouve, si ce n'est que l'existence et l'autorité de ce
texte n'ont pas été respectées, et qu'il n'est pas
suffisamment appliqué ?
En même temps, la Constitution chinoise affirme la
position dirigeante du Parti communiste chinois. Comment
garantir ce principe constitutionnel ? Le secrétaire général
Xi Jinping a précisé que "tout en gardant la maîtrise de
l'ensemble de la situation" le Parti doit parvenir à exceller
dans trois domaines : il lui faut "faire en sorte que les
préconisations du Parti deviennent politique nationale en
passant par les processus légaux ; faire élire les candidats
proposés par le Parti à la tête des organes gouvernementaux ; enfin, par l'intermédiaire des organes du pouvoir
appliquant les principes directeurs du Parti, encourager les
différentes instances
exécutives, administratives
et judiciaires à assumer
leurs responsabilités en
toute indépendance dans le
respect de la Constitution et
des lois, et à mener leur
action de façon concertée".
la Constitution assure que la
liberté individuelle des
citoyens est inviolable et
qu'aucun citoyen ne peut
être mis en état d'arrestation
sans l'approbation d'un
parquet ou d'une cour de
justice, mais, en réalité, la procédure d'envoi en camp de
rééducation par le travail reste aux mains des services de la
Sécurité publique [la fin de ce système de détention
administrative très décrié a été annoncée pour 2013]; la
Constitution dispose que les citoyens bénéficient de la
liberté de parole, de presse, de réunion, d'association, de
défilé et de manifestation, mais, cette semaine, plusieurs
parents d'élèves et leurs enfants qui revendiquaient
pacifiquement l'égalité en matière d'accès à l'université
dans toutes les régions ont été placés en détention par la
police...
Tout citoyen place naturellement de grands espoirs dans le
caractère sacré de la Constitution et dans l'impartialité de la
justice.
Le problème est que les instances exécutives et judiciaires
locales, qui détiennent les rênes du pouvoir, ne subissent
pas la contrainte de la Constitution et des lois. Selon la
Constitution, les organes administratifs et judiciaires sont
issus des assemblées populaires, ils sont responsables
devant elles et subissent leur contrôle.
Mais, dans les faits, les relations qu'entretiennent les
assemblées avec ces institutions sont souvent inversées, et
il est donc logique que ces dernières ne respectent pas les
lois. Aussi, ce n'est qu'en rectifiant cet ordre des choses que
l'on pourra permettre à la Constitution et aux lois de
retrouver leur prestige et leur dignité.