The Laman Encounter

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The Laman Encounter
The Laman Encounter
Le document présenté ici est le fruit d'une rencontre informelle ayant eu lieu le 13 juillet 2011 dans
la bibliothèque du Centre Universitaire de Missiologie (CUM) à Kinshasa.
La réunion avait pour but d'initier une discussion en français autour d'une photographie
représentant un groupe de trois missionaires suédois (C.W. Linström, P.A.Westlind et K.E. Laman)
faisant la démonstration d'un phonographe à une assemblée de villageois vers 1910,
vraisemblablement dans la région sud de l'actuelle République Démocratique du Congo, alors
Congo Belge.
Les participants étaient: Gilles Aubry (artiste et initiateur de la rencontre), le Pasteur Sylvain
Bongese (bibliothécaire du CUM), le Révérend Delphin Kapay (professeur assistant au CUM),
Jean-Claude Elumba (aumônier du CUM), Innocent Kabesha (doctorand au CUM) et Bienvenue
Nkelani (écrivain et ancien étudiant du CUM).
Jean-Claude Elumba (JCE): Bon c'est une photo en noir et blanc où l'on voit des hommes de type
européens, des blancs comme on dit ici en Afrique, des blancs en casque colonial, assis sur des
tabourets entrain de parler à des hommes noirs, la plupart sans habits, les enfants sont nus, assis par
terre, quelques adultes qui sont en pagne. Je vois aussi devant un de ces blancs un phonogramme...
Gilles Aubry (GA): un phonographe...
JCE: un phonographe. Ils sont sous une tente, il y a aussi des bananiers à côté, c'est une très belle
photo. Bon c'est une photo historique, qu'est-ce que vous voulez.
Révérend Delphin Kapay (DK): Oui, quand on voit le décor, comme l'a dit Jean-Claude, la présence
des bananiers, la forme de la flore qui est là sur la photo, montre que c'est une photo qui a été prise
en Afrique et pas ailleurs. Donc c'est une photo qui a été prise en Afrique, c'est d'abord la flore qui
me pousse à le dire et puis, il y a un vieux tam-tam sur lequel un enfant est assis et ce genre de tamtam c'est typiquement africain. Donc c'est ce qui confirme que la photo a été prise ici en Afrique.
GA: D'autres remarques?
Sylvain Bongese (SB): Bon, décrire un peu la photo, je vois le tam-tam comme le pasteur vient de
dire, pour ne pas peut-être dire ce qu'il signifie... parce que c'est significatif. Comme nous sommes
entrain de décrire un peu la photo, j'étais entrain de voir aussi, j'ai fait un peu l'examen de
conscience pour voir un peu les gens nus, si peut-être on doit parler de l'actualité, parce que c'est
une photo qui date de 1910... Jusqu'à aujourd'hui je vois un peu peut-être l'évolution, aujourd'hui, là,
par rapport à la carte et aussi les missionnaires, ils sont là attentifs entrain d'observer, et je vois
aussi la concentration de l'africain, entrain de suivre le missionnaire, ils sont vraiment attentifs, de
l'écouter et ils ont même fixé leur regards, entrain de le regarder attentivement. Je vois l'endroit où
ils sont, je me dis c'est une tente ou bien? C'est comme une tente fabriquée par deux bâches, c'est un
peu ça.
GA: Est-ce que c'est plutôt une tente coloniale ça? Enfin, de missionnaires à l'époque, ou pas
forcément, plutôt dans un village?
SB: je ne sais pas si ces missionnaires sont venus avec. En voyant un peu les villageois je ne pense
pas que eux ils pouvaient avoir cette tente-là. C'est comme si ce sont des missionnaires qui l'ont
amenée pour faciliter l'entretien, la causerie avec la population, c'est un peu ça. Je vois aussi le type
de coiffe, je me dis est-ce que c'est... la façon dont les enfants sont entrain, leur coiffure disons...
GA: Vous pouvez la décrire, peut-être?
DK: Moi cette coiffure, ça m'a amené aussi à me poser un certain nombre de questions parce que je
sais qu'il y a eu une période où l'être humain utilisait des histoires comme coiffure, comme tatouage
pour lui servir de carte d'identité, alors quand je vois cette coiffure je me suis posé la question: ça
c'est quel groupe ethnique qui avait l'habitude de se raser partout et laisser juste un peu de cheveux
au milieu de la tête, donc j'ai commencé à me poser du coup des questions comme ça, pour savoir
cette carte d'identité-là c'est pour quel peuple?
GA: D'après les quelques éléments d'information supplémentaires, je sais que ce missionnaire, Karl
Laman, qui est la personne qui figure plus ou moins au centre de la photo, a beaucoup séjourné dans
le Bas-Congo. Donc il y a de fortes chance que cette photo ait été prise dans le Bas-Congo, sans
garantie, c'est la seule information que j'ai à propos de cette photo jusqu'ici.
DK: Oui, c'est fort probable car je me rappelle qu'il y a des gens dans le Bas-Congo qui avaient
aussi une coiffure à peu près comme cela, donc c'est fort probable que ce soit une photo prise dans
le Bas-Congo, dans la République Démocratique du Congo, évidemment.
Bienvenue Nkelani (BN): Moi, si je peux faire la lecture, je vois c'est comme si c'est un
rassemblement où les gens sont réunis pour écouter un message et nous voyons des missionnaires
entrain d'enregistrer le message. Ce qui m'a beaucoup plus touché: je vois le tam-tam comme un
instrument de communication au Bas-Congo, et je vois les jeunes qui sont attentifs au message
donné par les missionnaires. C'est en fait un rassemblement, une réunion, on ne sait pas qu'est ce
que les missionnaires disaient, mais, en voyant la photo, cela prouve que c'est une réunion.
GA: Donc on peut se poser la question de savoir qu'est-ce qu'ils sont entrain d'écouter, parce que
manifestement le missionnaire est entrain de diffuser quelque chose...
BN: Quelque chose, et puis enregistrer, parce que là on voit leur attention vers le missionnaire.
GA: D'accord, alors là pour clarifier les choses, avec cet instrument, le phonographe, il est vrai
qu'on pouvait autant l'utiliser pour diffuser, comme pour enregistrer, mais pas simultanément. C'està-dire que à la fois on ne peut faire que l'un ou que l'autre, et je pense que là, sur cette photo, il est
plutôt entrain de l'utiliser comme moyen de diffusion...
BN: Moyen de diffusion, parce qu'il y a quelque chose, comme, on dirait aujourd'hui comme un
baffle-là.
GA: c'est un pavillon...
DK: Un pavillon, c'est juste pour amener le son un peu loin. À voir l'attention des gens, c'est comme
si c'est pas vraiment sur la personne du missionnaire, mais c'est comme c'est sur l'instrument, donc
c'est ce qui me fait croire que le missionnaire était entrain plutôt de diffuser un message sonore et
que les gens étaient attentifs à ce message-là. Donc c'est comme ça que l'attention est beaucoup plus
sur l'instrument qui diffuse le son, plutôt que sur le missionnaire qui est là, entrain de manier
l'appareil.
Innocent Kabesha (IK): Moi quand je regarde cette image, la première chose vraiment qui saute aux
yeux, je vois d'abord une bâche, je commence par la bâche, je me dis: ça d'abord c'était un début, ça
doit être un début d'une église. Je me dis ça ça doit être une implantation qui a été faite ici et c'était
ça le modèle peut-être de regrouper les gens, ceci remplaçait déjà un cadre. Je me dis le cadre c'est
ça, ce qui était le plus efficace, c'est qu'à ce moment là il y a avait pas de tôle pour pouvoir au moins
ériger un cadre qui pouvait être fiable. Pour que les gens se réunissent, il fallait qu'on ait une
histoire comme la bâche je vois au dessus là, ce qui remplace déjà un cadre, je vois les piliers qui
soutiennent, je comprends que c'était un cadre qui était démontable. Donc toutefois qu'il y avait
culte, on devait le monter et les gens se réunissent là-bas. Et ici je me dis, ça doit être vraiment une
église. Je me dis, c'est comme ça que l'église pouvait commencer, je vois presque tous les sexes là,
je vois, quelque part j'ai vu une femme, c'est comme si celle-ci était une femme et il y a des
hommes là-bas.. ça me laisse croire que c'est une église vraiment est déjà en implantation. Parce
que, quand on voit aussi les tam-tams, j'ai vite compris que, il y a des rites, il y a eu des chansons
peut-être, danses et consort, surtout que l'africain aime la danse, il se munit souvent de son tam-tam
pour bien danser. Là je comprends qu'ils ont dansé ici et ils ont ça pour danser, pour animer un
culte. Maintenant, ce qui frappe encore à mes yeux, c'est... les problèmes de la civilisation, là je vois
déjà des hommes nus, à moitié nus aussi, sous des intempéries qu'on ne connait pas deviner ici,
espérons que il n'y a pas la pluie, mais au fait ils sont nus, ils ne se gênent pas, ils sont aussi en
bonne santé, ça m'étonne aussi, quelqu'un qui est nu et durant des années, comment il peut avoir
cette bonne santé? Ça me fait croire que peut-être le manger était encore... surtout qu'on exportait
pas.. on pouvait manger tout ce qu'on a vite récolté dans son champ qui était frais et ça contenait
encore des éléments nutritifs qui peuvent aider à la santé. Ça m'a aidé aussi à comprendre que
vraiment la situation était bonne, ces gens ne manquaient peut-être rien que l'habit, mais
l'alimentation, en tout cas, les photos nous rassurent qu'ils étaient bien nourris.
Quand je vois aussi l'appareil, je me dis, je ne le vois pas entrain de parler, il n'ouvre pas la bouche,
je me dis: est-ce que le message est déjà enregistré? Et que ce message sort de l'appareil, parce que
la bouche est fermée, tout trois ne parlent pas, ils sont bouche fermée.
Enfin je peux dire que, la question que je me sui posée c'est: comment ils ont commencé avec un
instrument qu'on ne voit pas ici, parce que ce n'est pas du premier coup qu'ils sont arrivés à cet
instrument, donc ils devaient avoir commencé quelque part pour arriver à ce niveau quand-même,
donc il devait qu'il y ait développement, donc ils ont développé ça... je vois notre tam-tam ici... qui
reste jusqu'à aujourd'hui l'instrument qui émet le son mais qui ne capte pas le son, on ne l'a pas
développé... voilà ce qui m'a encore un peu découragé.
GA: Découragé? Le fait que le tam-tam n'aurait pas évolué depuis...
IK: Oui, ça n'a pas évolué. Ça émet le son mais ça ne capture pas le son.
BN: ici je voulais aussi émettre un commentaire en disant qu'on voit un peu un problème de
civilisation, on voit l'homme blanc, bien habillé, mais l'africain, ou l'évangélisé, moins habillé, mais
surtout, ayant l'amour d'écouter, la soif d'écouter la parole de dieu et c'est ainsi qu'ils sont réunis
sous cette tente.
GA: Pour vous ça paraît évident qu'ils sont entrain d'écouter un message religieux?
BN: Pour moi, évident, c'est vrai qu'ils sont entrain d'écouter un message religieux.
GA: Est-ce qu'on pourrait imaginer que, il y a plusieurs rouleaux qu'on voit à côté de Laman, une
série de rouleaux, on sait qu'ils ne contenaient pas plus de quelques minutes de matière enregistrée,
c'était des rouleaux en cire donc ils n'avaient pas une capacité très longue, peut-être 1-2 minutes de
message qu'on pouvait diffuser, donc la question se pose: qu'est-ce qui était diffusé?
DK: On se pose la question sur le message, quel est le message qu'ils étaient entrain de diffuser? Ce
sont des missionnaires, généralement, quand ils venaient comme ça, ils présentaient au peuple le
message d'amour de Dieu. (..) Je vois le nombre de rouleaux, je me dis: qu'est-ce que le
missionnaire était entrain de faire? Le rouleau était certainement codé, il savait que non je dois
commencer par celui-ci, puis ce sera celui-là, et puis et puis, alors les gens devaient maintenant
faire la collecte dans leur tête des informations contenues dans les rouleaux, donc ils devaient
suivre, ils ont entendus et là il y a des questions aussi: Pour un être qui découvre une machine
comme ça, qui émet le son humain, la première réaction c'est dire tient, est-ce que on a pris des être
humains, comment on les a miniaturisé si vous me permettez l'expression, et puis on les a mis dans
ces machines, c'est comme ça qu'ils sont entrain de parler dedans. Parce que l'homme africain à
cette époque-là n'avait pas la compréhension de l'idée d'enregistrement. Il ne savait pas que le son
pouvait se conserver. Donc cette expérience-là lui échappait. Il avait découvert des instruments qui
pouvaient émettre le son et il avait aussi découvert déjà des instruments qui pouvaient amplifier le
son, mais pour conserver le son et l'écouter au besoin quand on le veut, cette expérience-là, l'homme
africain ne l'avait pas encore. Donc cette photo présente une époque où pour la première fois,
l'homme africain commence à découvrir des instruments qui conservent le son et peuvent le
reproduire au besoin. Donc la première réaction comme je l'ai dit, était de se dire: est-ce qu'il y a
des petits bouts d'hommes dedans là qui sont entrain de parler, ou bien, qu'est-ce qu'on a fait, quelle
est cette magie? Parce que la magie c'était la seule explication de ce qui ne pouvait pas être
expliqué, ils se disaient: quelle est cette magie que l'homme blanc nous a amené où il est entrain de
prendre le son humain et le diffuser à travers cet objet qu'il nous présente. Donc le message, c’est un
peu difficile, qu'on ait une précision de message, parce que la photo est muette, mais en regardant
les gens, comme nous savons que ce sont des missionnaires, certainement ça pouvait être un hymne
chanté ou bien peut-être un message d’amour de dieu, un message évangélique qu’ils étaient en
train de diffuser à travers donc cet instrument. La tension est vraiment soutenue, on voit que les
gens autour du missionnaire écoutent avec beaucoup d’intérêt.
GA : Je m’étonne, vous aviez ajouté la dernière fois que vraisemblablement le message enregistré
avait été enregistré en langue kikongo…
DK : Certainement parce que ça c’était un des objectifs des missionnaires, quand ils arrivaient
quelque part, ils s’efforçaient d’apprendre la langue du coin et de voir un peu comment véhiculer le
message dans cette langue là. Parce que, comme on l’a dit, ce que l’on appelle la surprise, on joue
sur la surprise où l’homme (le receveur du message, le destinataire) reçoit le message dans sa
langue de cœur et il se dit, tient donc le Dieu qu’on est en train de me présenter par ces
missionnaires n’est pas un étranger comme eux, eux sont étrangers mais leur Dieu n’est pas un
étranger parce qu’il me connaît, il connaît ma langue, il est en train de s’adresser à moi dans ma
langue. Donc c’était vraiment un élément très important que tous ces missionnaires qui nous ont
visité pendant cette époque coloniale étaient en train de jouer sur. Donc ils s’arrangeaient pour
diffuser des messages dans des langues que la population cible maîtrisait, comme ça ça leur
épargnait de faire des traductions parce qu’ils ne trouvaient pas des interprètes partout et ça leur
permettait donc de communiquer directement donc avec le peuple.
GA : Pour information, ce Karl Laman, il effectuait des travaux de recherche linguistique sur la
langue du Kikongo, il est connu pour avoir traduit je crois l’ancien testament en kikongo, le
nouveau testament avait déjà été traduit mais il l’a révisé, et puis ça conduit à la publication de la
première bible en kikongo en 1905. Par la suite il a aussi fait un dictionnaire français-kikongo.
Donc cet intérêt pour la langue, effectivement j’ai un peu recherché à son sujet, il était motivé…
SB : Dictionnaire français-kikongo, je l’ai.
GA : D’accord. Et donc d’après ce que j’ai pu lire dans les biographies liées à Laman, c’est que lui
insistait vraiment sur le fait qu’il était important de connaître la culture et la langue locale des
populations qu’on voulait évangéliser afin de pouvoir les approcher au plus près et de leur diffuser
la parole de la meilleure manière possible. Bon, il y a différents aspects que j’aurais voulu peut-être
discuter plus précisément, si on considère cette photo en termes de relations de pouvoir, on a déjà
dit qu’il y a trois hommes blancs, ces missionnaires qui sont assis et donc qui surplombent quelque
part les villageois ou les fidèles qui sont réunis autour donc, ils les surplombent un peu par leur
position assise alors que les autres sont plutôt assis au sol. Je ne sais pas si on pourrait essayer de
décrire un peu les expressions du visage de ces gens, est-ce qu’ils ont l’air plutôt sévère ou…
JCE : Moi justement j’étais en train de réfléchir un peu sur ce choc de civilisation, ce choc un peu
de culture, je me posais la question un peu sur la motivation de ces blancs qui sont venus en
Afrique, ils paraissent un peu comme des extraterrestres, comme des dieux et devant une population
– n’ayons pas peur des mots – de type un peu primitif, sans habits, alors que eux sont habillés
comme des anges, ils ont vraiment un visage impassible alors je me pose la question : qu’est-ce qui
les motive de venir un peu en pleine brousse comme ça, eux qui semblent venir d’une civilisation
un peu avancée où les gens sont habillés, ça c’est un peu le premier choc qu’on voit, d’une part des
hommes et des femmes sans habits et d’autre part ces trois hommes qui sont habillés comme des
dieux. Et je me pose la question de comment est-ce que ces noirs percevaient ces blancs, est-ce
qu’ils les percevaient comme des hommes comme eux, ou bien comme des extraterrestres, ou bien
comme des fantômes, est-ce que l’attention de ces gens était plus captivée par la machine qui émet
ces sons ou par ces gens qui utilisent cette machine ? et comme en Afrique on explique tout à peu
près par la magie, la magie c’est la clé explicative de tous les évènements, peut-être pensait-on
qu’on avait à faire à des esprits, à des fantômes, à des dieux et cette machine là également, on
pourrait croire que c’est le fruit de la sorcellerie des blancs. Et je parle un peu en tant qu’africain, ça
c’est le premier constat. Mais il y aussi, en observant un peu ces hommes nus, ils avaient quand
même la notion de la beauté parce qu’ils avaient leurs modes, leur style, leur façon de se vêtir bien
qu’ils n’avaient pas de vêtement.
SB : Ils se coiffaient aussi.
JCE : Rien qu’en regardant leur coiffure, ils étaient bien coiffés, la tête presque partout rasée à part
une sorte de crête. Donc ils avaient une notion d’esthétique, de beauté, à leur manière.
SB : Malgré leur condition.
JCE : Malgré qu’ils étaient nus sans habits, mais les jeunes surtout les plus jeunes étaient tous très
très bien coiffés, je me pose la question même de quels instruments ils utilisaient pour se raser la
tête comme ça parce qu’à cette époque là je crois qu’ils n’avaient pas de ciseaux, de rasoir, ils
utilisaient peut-être des pierres, je ne sais pas ce qu’ils utilisaient. Et puis ils sont à l’aise tant en
public nus, hommes et femmes, mais ça ne les gêne pas, même devant les étrangers ils ne sont pas
gênés, ils sont bien dans leur peau. Et les missionnaires aussi, c’est comme s’ils n’étaient pas gênés
de se retrouver habillés face à des hommes et à des femmes nus, ce choc des civilisation-là... Mais
je crois que ces missionnaires doivent avoir beaucoup d’amour parce que quitter une civilisation
déjà avancée où les gens sont déjà dans un certain confort et venir passer toute sa vie – certains sont
morts en Afrique ici, certains sont restés jusqu’à en mourir – je crois que ce sont de vrais croyants.
Si le message qu’ils diffusent – pour moi c’est l’évangile, alors je crois qu’ils doivent être animés
d’un cœur de quelqu’un qui connaisse le seigneur, à moins qu’ils soient comme d’autres
colonialistes qui ont été motivés plus par les richesses de l’Afrique plutôt qu’à l’homme africain.
(Mais eux je crois qu’ils s’intéressent plutôt à l’homme africain plutôt qu’aux richesses de
l’Afrique. C’est ça qui me pousse à dire qu’ils ont beaucoup d’amour, parce que je vois qu’ils se
préoccupent beaucoup plus du Salut de l’homme africain, que d’exploiter les richesses de l’Afrique.
Ils s’intéressent beaucoup plus à promouvoir l’homme africain plutôt que de l’utiliser comme
instrument pour recueillir les richesses de l’Afrique.)
Nous sommes dans une école où nous formons des missionnaires, c’est vraiment une interpellation
pour moi, pour cette école de missiologie, pour voir un peu le risque, tout ce qu’ils ont abandonné
comme confort pour venir dans une situation un peu inconfortable partager les conditions de
l’africain de cette époque-là pour moi il faut être rempli de beaucoup d’amour. Mais je ne voudrais
pas monopoliser…
GA : Non, non mais écoutez, sentez-vous libre. On va revenir tout à l’heure si vous voulez bien sur
les activités du centre de missiologie. Pour rester encore un peu dans le passé, dans cette image, je
parlais de rapports de pouvoir, peut-être aussi de violence latente, est-ce que .. bon, moi
personnellement, dans les expressions des visages qui sont là, bon c’est un peu difficile de lire, d’y
voir une attitude violente ou dominatrice ou je ne sais pas une espèce de côté agressif qui pourrait
témoigner que les habitants ont été forcés de se réunir là, par contre il y quand même, pour moi le
fait que le tam-tam soit allongé par terre et qu’il y ait des gens assis dessus, dans l’équilibre de la
composition de la photo, il est de nouveau plus bas que le phonographe et on se dit qu’alors peutêtre finalement il est un peu de côté ce tam-tam. Je ne sais pas si c’est usuel de s’asseoir dessus
comme ça, mais en tous cas il n’est pas dans une position où il est très mis en avant.
BN: Peut-être qu’avant on l’avait déjà utilisé, donc après l’animation son rôle était fini et on le fait
tomber parterre et on continue le programme.
GA : D’accord donc ça c’est pas du tout un sacrilège ou c’est pas …
DK : Non non non ça c’est pas un sacrilège.
BN: comme il n’y avait pas de banc
SB : l’autre se sert du tam-tam comme un banc
IK: ça doit être un batteur…
DK : Généralement c’est le batteur lui-même, celui qui gère le tam-tam, le tam-tam on avait
l’habitude de le poser comme ça donc c’est pas forcément une façon de le diminuer par rapport à
l’instrument de l’homme blanc, mais c’est comme ça qu’on le mettait, c’était la meilleure position
d’ailleurs pour le protéger parce que debout ça risque de tomber et de se casser donc après l’avoir
joué, des fois on le mettait couché parterre comme ça pour que ça ne tombe pas et ne se casse pas.
Donc il n’y a pas vraiment, entre les deux instruments, un rapport de force. C’est comme ça qu’on
l’utilisait. C’est vrai que pour l’homme africain, la machine amenée par l’européen est sujet de
beaucoup d’admiration parce que comme je l’ai dit au début, c’est la première fois qu’il entend le
son humain, que l’africain entend le son humain, une voix qui prononce des mots distinctifs, qu’on
peut reconnaître, ça c’était la première fois, c’est ce qui fait qu’il y a cette admiration, cette
étonnement qui accompagne un peu une surprise, on se dit « ah bon, donc on peut émettre le son
humain à travers cet instrument là » donc cela ne diminue pas le tam-tam, le tam-tam a sa place et
cet instrument qui est en train d’émettre un son humain, a aussi sa place. Donc par rapport aux
visages des gens, comme vous l’avez dit aussi, que l’on ne sait pas bien lire le rapport de force,
c’est vrai, mais ayant un peu en tête l’histoire de notre passé, je sais qu’il y a eu des blancs qui ont
exercé des violences dans des milieux et cette violence il faut comprendre que des fois ils ne la
voulaient pas aussi. Il y a ceux qui l’ont fait exprès et il y en a d’autres qui ne l’ont pas fait exprès
parce que, on a parlé de choc de culture, on est là et puis subitement on voit quelqu'un qui est
totalement différent de soi. On se demande, la première réaction, comme l’a dit Jean-Claude, est-ce
que c’est un extraterrestre ? Est-ce que ce n’est pas un être divin qui se manifeste à moi ? On se
pose beaucoup de questions. Alors il y en avait d’autres qui se demandaient est-ce que ce n’est pas
un autre type d’animal que j’ai jamais vu mais qui est là parce que j’ai appris dans les alentours de
mon village qu’il y avait des gens qui avaient tué l’homme blanc et qui avaient goûté à sa chair.
Parce qu’ils se disaient ce type d’animal c’est la première fois qu’on le voit, est-ce que sa chair est
amère, est-ce que c’est succulent… Ils ont osé tuer et goûter un peu pour voir ce type d’animal
parce que c’était la première fois qu’on le voit. Vous voyez un peu dans le coin, l’homme blanc,
l’européen arrivé a été victime un peu de violence comme ça, il ne pouvait répondre que par la
violence donc c’est tout à fait normal, mais il y a aussi des coins où l’homme blanc a commencé à
manifester de la violence pour chercher à s’imposer, surtout dans des cultures où les gens ont une
culture guerrière, quand vous venez ils disent non, il refusent tout et donc l’homme blanc a osé
utiliser la violence dans ces coins là. Mais le missionnaire, quand il arrivait dans des endroits
comme ça, d’abord le missionnaire s’informait s’il n’y a pas eu passage d’autres blancs dans le coin
et quel était l’attitude vis-à-vis de la population et vice versa, et quand le missionnaire arrivait, il
savait comment jouer, jongler pour ne pas se laisser confondre avec le colon, parce que du point de
vue présentation physique ils étaient le même, ils avaient la même couleur de peau, ils s’habillaient
de la même manière et Jean-Claude l’a souligné, ils sont coiffés de la même manière que les colons
alors l’africain qui le recevait ne savait pas distinguer le colon du missionnaire. Ce n’est que par le
message, les expressions et le comportement qu’ils savaient dire que non le blanc que j’ai reçu dans
mon village est différent de celui qui a visité le village avant ou qui était chez le voisin. Donc c’est
là où ils savaient maintenant faire la part des choses entre le missionnaire et le colon. Donc quand
on voit sur la photo les missionnaires qui sont posés, qui sont calmes, ils n’ont pas de visage crispé
ou fermé manifestant la colère ou une façon de traumatiser l’homme noir, donc on se rend compte
qu’ils se sentaient acceptés auprès de la communauté à laquelle ils s’adressaient dont les
missionnaires sont à l’aise, ils se sentaient acceptés par la communauté, ils n’avaient rien à craindre
parce qu’il y avait cette ambiance de paix qui régnait entre le missionnaire et la communauté.
SB : Moi je voulais peut-être aussi ajouter là où le pasteur vient de dire, en regardant un peu
l’attitude, c’est un peu plus réceptif qui a reçu, JC était en train de dire ça, les extraterrestres, mais
ils sont attentifs, en regardant un peu d’autres histoires, en suivant un peu d’autres commentaires,
on voyait un peu l’agressivité comme on vient de le dire, dans des coins quand on voit des gens
comme ça « il faut qu’on les tue », mais en regardant un peu ce peuple-ci, c’est un peu plus réceptif
qu’ils aient accepté d’écouter les missionnaires parce qu’ils pouvaient même fuir, en écoutant un
peu ceux qui viennent chez les pygmées là-bas, quand vous approchez d’eux ils sont en train de
reculer, de fuir dans la forêt, et quand tout ce peuple-ci vienne, écouter les missionnaires, écouter
les messages qu’ils ont amené, ce qui prouve que c’est vraiment un peuple réceptif.
J’étais en train de me poser la question en moi-même, aujourd’hui, peut-être depuis 1910, si les
missionnaires étaient vivants et qu’aujourd’hui ils devaient rentrer dans ce même coin-là, est-ce
qu’ils auraient trouvé le peuple toujours comme ça ou bien il y a un grand changement ? Entre nous
nous allons dire que non, on doit plus les trouver dans cet état ici, donc il y a quand même un
développement, un grand changement même dans l’habillement, il y a même des écoles aujourd’hui
alors qu’à l’époque il n’y en avait pas, il y a une évolution, un changement dans le temps.
GA : Bien sûr, c’est évident, ça fait cent ans que cette photo a été prise, ça permet peut-être de faire
une transition avec aujourd’hui, la situation actuelle, je suis là, je pourrais être quelque part un peu
la contrepartie du missionnaire qu’on voit là à l’image, bon je ne suis pas moi-même missionnaire,
mais je suis venu avec aussi un équipement d’enregistrement, de diffusion, il y aura peut-être aussi
une émission à la radio ce samedi organisée avec SSM. Donc, si j’ai l’occasion je vais aussi diffuser
des sons que j’ai pris avec moi, notamment certains enregistrements de Karl Laman que j’ai trouvés
dans une archive à Berlin, une archive de son, et j’ai pensé que c’était intéressant peut-être pour un
public à Kinshasa d’écouter ces enregistrements qui datent d’une centaine d’année et qui ne sont
pas trouvables si simplement. J’ai aussi des enregistrements avec moi de l’église congolaise à
Berlin où on entend un chœur d’enfant qui chante tantôt en lingala tantôt en allemand, donc ça
donne l’occasion de se faire une impression sur comment sonne et comment se déroule un culte
congolais à Berlin par exemple. Et puis donc voilà mes instruments d’enregistrement, on est en train
d’enregistrer cette conversation donc il y a un léger parallèle avec ces missionnaires simplement
dans le fait de se rendre sur ces lieux ici et puis de se dire voilà je voudrais enregistrer quelque
chose, témoigner un peu de ce que je rencontre. Laman lui-même donc était avant tout missionnaire,
mais il était aussi ethnographe, il utilisait avant tout son appareil pour enregistrer les langages qu’il
rencontrait et les étudier. La reproduction sonore permet de réécouter plusieurs fois, donc d’écouter
vraiment en détail un langage et puis de le noter, moyen d’analyse linguistique. Et puis après on a
une population locale dont vous êtes les représentants aussi. Et puis on se rencontre, et entre les
deux il y a cent ans d’histoire avec tout ce qu’on sait et tout ce qu’on ne sait pas, les nombreuses
années de colonisation et puis l’après-colonisation. Enfin vous connaissez l’histoire beaucoup
mieux que moi évidemment, et moi, qui viens et qui me rend ici pour étudier d’une part le
fonctionnement d’une partie des églises et notamment des églises de réveil, mais enfin bref de tous
les groupes religieux dans l’espace urbain, et aussi en particulier l’utilisation de la technologie
audio, audio-visuelle de reproduction et de diffusion. Donc par exemple je me suis intéressé d’une
part aux médias, audio-visuels, les stations de radio, de télé, mais aussi peut-être l’emploi des hautsparleurs dans les places publiques, dans les marchés, les prédications, dans les bus parfois de la
musique religieuse, dans les foyers. Il y a toutes sortes de signes comme ça de religiosité qu’on peut
reconnaître dans l’espace, et certains d’entre eux sont sonores. Il y a des croisades aussi ou des
campagnes d’évangélisation qui se font dans la ville et c’est ça que je suis venu un peu documenter
mais avec l’idée un peu de moi-même apprendre quelque chose et réfléchir un peu sur ma propre
présence ici, qu’est-ce que ça peut avoir comme sens en fait de venir ici dans une culture que je
connais vraiment pas plus que ça et finalement qu’est-ce qui m’autorise à venir ici, et pourquoi pas,
si j’ai l’occasion d’y venir après tout, en face de moi vous messieurs qui faites tous plus ou moins
partie du centre universitaire de missiologie qui est donc un organisme dédié au projet missionnaire.
Là je serais curieux d’en apprendre un peu plus sur comment vous vous positionnez dans la
perspective de l’histoire dont témoigne cette photo par exemple. On a des blancs qui viennent avec
une technologie, qui importent en même temps une religion et une technologie et puis aujourd’hui
tout cela a été approprié et les habitants locaux se sont appropriés ces outils et cette religion pour en
faire quelque chose de propre donc là je serais curieux de savoir comment on peut expliquer cette
appropriation, quels ont été les moments importants et comment vous voyez les choses.
SB : Ok, moi là-dessus je voulais aussi faire mention de missionnaires, je me pose moi-même des
questions. D’abord premièrement de voir un peu leur disponibilité, à part la disponibilité je vois un
peu les sacrifices parce qu’à l’époque, arriver dans de tels coins, je me dis mais est-ce qu’il y avait
des routes ? Combien de kilomètres à pied, je ne sais même pas s’il y avait des véhicules
disponibles à l’époque qui pouvaient le ramener. Etant un missiologue de formation je lis un peu les
sacrifices de ces missionnaires et aussi la disponibilité, ils ont accepté d’aller dans un coin où ils
pouvaient être attaqués par des animaux féroces, mais ils ont accepté d’y aller, ils sont arrivés ils ont
fait leur travail tout ça et je me dis, il faut, peut-être là entre nous en tant que missionnaire de
formation, il faut une relecture du sacrifice et aussi de la disponibilité. C’est ce que je lis au travers
des missionnaires, c’est très capital en tant que missionnaire tout ça.
GA : Le sacrifice ?
SB : oui le sacrifice.
BN : Je n’ai pas encore commenté. Comme l’a aussi dit Pasteur Jean-Claude, on voit que ces
missionnaires avaient le fardeau de l’évangélisation, pour venir dans un tel coin, si Dieu ne vous a
pas mis un fardeau, vous ne le pouvez pas, donc... Voulant, à tout prix communiquer l’évangile, ils
ont accepté de tout laisser et surtout, étant missionnaire, il faut être sur le terrain, connaître la
population que vous voulez évangéliser. Voilà pourquoi ils sont présents. Ils ne parlent pas de ?
Avec la population en face, dans le souci de communiquer l’évangile du Christ. Moi c’est ce qui me
touche beaucoup plus, leur sacrifice et leur amour envers ce peuple. S’ils n’avaient pas l’amour ils
ne pouvaient pas laisser leur pays pour venir dans un coin si reculé pour évangéliser la parole de
Dieu. Voilà un élément que je voulais ajouter à ce stade des choses.
IK : Moi aussi je pourrais ajouter quelque chose. En dehors des sacrifices, si je peux même aller
dans le sens des sacrifices, pour accentuer pour moi ce que les frères ont dit, je vois cet homme
blanc qui a abandonné son milieu, où il est habitué, il arrive en Afrique où il va tomber dans
d’autres situations de vie, il y peut-être des intempéries en Afrique qui sont différentes de celles de
l’Amérique et de l’Europe, quand je le vois vêtu comme ça je me dis que peut-être est-il arrivé dans
une période un peu compliqué, je le vois vraiment couvert, c’est comme s’il faisait froid et en bref,
il y a un problème de temps chez nous qui est différent de l’Europe et cet homme est venu aussi
accepter tout ce qu’il a trouvé ici. Je pense aussi à l’alimentation quand je le vois je me dis « est-ce
qu’il s’est accompagné des aliments qui peuvent suffire jusqu’à ce qu’il rentre ? » non, il n’en a pas,
il va manger ce qu’il trouve sur le champs, et que ça soit bon ou mauvais, il va accepter, il va
supporter parce qu’il y a un but, et ce but nous comprenons que c’est l’évangélisation, c’est vrai
c’est l’évangélisation et c’est là où je me dis en tous cas cet homme s’est donné corps et âme car il y
en a d’autres qui mouraient qui ne supportaient pas l’atmosphère, les intempéries, qui ne
supportaient pas l’alimentation, il y en a qui sont morts du choléra, d’autres de diarrhées, d’autres
de fièvre, donc je vois une personne qui se sacrifie à cause de l’autre, ça c’est l’amour de Jésus
aussi. Ensuite je me dis, cet homme blanc ici qui vient souffrir en Afrique, pourquoi il souffre,
pourquoi il accepte cette souffrance ? Je lis en lui cet amour, l’amour de Jésus, qui l’a poussé à
quitter chez lui, là où la situation était encore mieux par rapport à chez nous ici, parce que même en
le voyant, leur accoutrement par rapport à l’accoutrement sur place, on peut vite conclure que la
situation était mieux là-bas qu’ici. Ils ont accepté de se dégrader, descendre, se rabaisser et venir
vivre avec des hommes déguenillés pour au moins un jour aussi que ces hommes deviennent ce que
nous sommes aujourd’hui. Je peux encore dire une chose : À travers ce qu’on a lu, je vois que cet
homme est attentif, son attention n’est pas seulement la parole, il voit aussi le comportement, il voit
aussi l’aspect physique extérieur, il peut aussi envier cet aspect se dire non moi aussi un jour
m’habiller comme un blanc, son intention est de s’habiller un jour comme le blanc. Son intention
est encore de prêcher, de dire, de s’asseoir comme un blanc, de se tenir comme un blanc. Et cela a
fait que l’homme noir que nous voyons ici copie petit à petit l’homme blanc, et c’est là aussi on
peut dire qu’il va rejeter sa propre culture parce qu’il voulait imiter le comportement du blanc et
c’est ce que nous vivons aujourd’hui parce que nous sommes vraiment aculturés, je ne dirais pas
que nous vivons à 100% notre culture, c’est suite à la culture qui nous vient d’ailleurs et qui venait
nous civiliser. Maintenant ce qui m’encourage est qu’en cherchant aussi à imiter l’homme blanc, le
noir est arrivé à faire ce que le blanc était venu faire chez nous ici, le même message que le blanc
nous amenait, on les suivait pas à pas, l’homme que l’on voit ici allait avec le même message aussi
en Asie, en Amérique, en Europe, partout chez le blanc, c’est ce qui m’encourage aussi, ces
hommes bien qu’ils soient plongés dans une souffrance terrible, leur souffrance n’était pas vaine, ils
ont quand même bénéficié parce qu’aujourd’hui il y a expansion de l’évangile et il y a aussi la
mission qui part de l’Afrique vers l’Europe, mais en tous cas il y a eu vraiment transfert d’habitude,
de connaissance, de tout, et aujourd’hui on se retrouve.
GA : Qu’est-ce qui s’est passé entre deux alors ? Parce que c’est vrai qu’on pourrait imaginer
presque une photo prise aujourd’hui dans une ville d’Europe où un pasteur noir serait en train de
prêcher devant des fidèles noirs, il y aurait aussi d’autres compatriotes africains parmi les fidèles
mais il y aurait certainement aussi des blancs, donc la situation est presque renversée par rapport à
celle-là. Comment vous interprétez ce qui s’est passé entre les deux ?
IK : Ce qui s’est passé entre les deux ici, c’est ce que je dis, que cet homme noir ici assis, attentif,
n’admirait pas que l’accoutrement de l’homme blanc mais il admirait aussi ce qui sortait de sa
bouche, il admirait aussi son comportement et il devait aussi imiter, donc suivre pas à pas tout ce
que faisait l’homme blanc dans l’intention de le faire un jour. Il y a aussi une forme de révolution
parce que cet homme qui était assis en train d’écouter l’homme blanc ne pouvait pas manquer de
prendre une décision, de se dire qu’aussi un jour j’arriverai chez lui avec le même message et c’est
ce qui se fait aujourd’hui.
GA : Oui, sauf qu’entre temps il y a eu quand même aussi une grande baisse de la pratique
religieuse en Europe depuis 1910, donc c’est aussi ça qui mène à une situation, de la perspective
africaine, de se dire qu’en Europe il y a du boulot à faire parce que les gens ne croient plus. Donc
durant ces cent années que s’est-il passé et comment expliquer les mécanismes qui ont fait qu’une
religion plus ou moins imposée de l’extérieur quand même par les européens dans les populations
ici, soient maintenant, bon dans un cas extrême on peut parler d’évangélisation à l’envers vers
l’Europe, c’est pas pourtant le phénomène le plus important à discuter, mais plutôt c’est le fait que
vraiment ça soit aussi maintenant des africains qui revendiquent cette religion, qui se sentent
investis d’une mission pour la propager et qui utilisent aussi la technologie qui va avec, qui donne
un certain pouvoir, moi c’est comme ça que je l’interprète, l’idée même déjà sur cette photo, peutêtre les missionnaires auraient pu demander à un habitant local de lire ou de réciter un texte en
kikongo à l’intention des habitants, mais le fait d’avoir un phonographe qui est posé sur un socle et
qui diffuse cette voix enregistrée ça donne encore plus de prestige, ça démontre une espèce de
maîtrise technologique, une espèce de puissance et donc ça c’est quelque chose que j’observe aussi
ici dans les églises il y a de grands haut-parleurs, les médias aussi sont très présents, il y a toujours
des équipes de caméras, des micros qui se baladent dans les plus grandes églises, des canaux de
télévision qui servent aussi d’une part à propager le message mais aussi à montrer que finalement
on a déjà les moyens financiers de payer ce matériel et ce savoir, cette technologie, qu’on le
maîtrise et qu’on a aussi une puissance qui est conférée par les watts, la puissance électrique de
l’amplification des sons. Voilà, je ne sais pas comment vous vous situez par rapport à cet héritage.
Est-ce que vous vous reconnaissez plutôt dans les missionnaires blancs, dans les villageois qui sont
là ou dans un mélange des deux sans doute…
JCE : Je voudrais dire d’abord que c’est la preuve que le message de l’évangile est un message qui
répond à un besoin universel. Si aujourd’hui l’africain s’est approprié un message de l’évangile
c’est que ça satisfait un besoin qui est propre à tout homme qu’on soit blanc noir, jaune, rouge, vert,
le message de l’évangile répond à un besoin universel et si l’africain s’est approprié ce message
c’est qu’il a trouvé satisfaction à travers ce message. Parce qu’il faut faire la part des choses entre
évangélisation et civilisation, c’est vrai que la civilisation nous a aculturés, nous a déculturés, nous
avons perdu nos valeurs, enfin tout ce qu’ont nous a apporté n’était pas bon. Il y a eu de bonnes
choses, l’alphabétisation, le progrès sur le plan de la santé, la connaissance de l’écriture, l’ouverture
au monde, il y a eu de très bonnes choses, mais nous avons perdu entre temps aussi beaucoup des
valeurs culturelles que nous avions par le passé, la connaissance des plantes médicinales par
exemple. Nous aujourd’hui nous avons perdu tout ça alors que pendant des millénaires l’homme
noir s’est soigné lui-même par des plantes, ça c’est le côté civilisation, la civilisation n’a pas
apporté nécessairement des progrès dans tous les domaines, mais l’évangile oui, l’évangile est un
facteur de développement intégral, l’évangile a apporté une certaine satisfaction à un besoin
spirituel de l’homme, qui soit blanc ou noir, et deuxièmement l’évangile aussi a apporté un certain
développement sur le plan social, l’évangile est un instrument de progrès. C’est ce qui nous étonne.
C’est que l’homme blanc aujourd’hui a connu un essor sur le plan technologique, économique etc.
mais il y a une certaine régression sur le plan spirituel. Il y a une crise sur le plan spirituel et ça se
ressent, les familles se sont disloquées, la famille n’est plus ce qu’elle était, il y a beaucoup de
suicides, malgré l’abondance, la prospérité matérielle, mais les gens ne sont pas heureux, n’ont pas
la paix du cœur. C’est ce qui nous pousse parce que justement nous cet évangile, malgré notre
misère, c’est ce qui nous maintient, l’évangile. Parce que dans le contexte africain actuel, dans la
souffrance africaine où les gens mangent difficilement, où 95% des gens sont au chômage, et les
enfants étudient difficilement, la dictature, l’injustice sociale, tout ça, mais ce qui nous empêche de
sombrer justement c’est l’évangile. Nous croyons que dans la crise actuelle en Europe, ce qui peut
résoudre également rendre l’homme blanc heureux, c’est l’évangile qu’ils nous ont apporté. On
raconte l’anecdote qu’on a pris tous les paramètres de la vie au Congo, qu’on les a mis dans un
ordinateur et il a répondu que la vie est impossible au Congo. Et lorsque les blancs viennent ils
trouvent quand même les gens souriant. Et qu’est-ce qui fait que nous sommes souriants alors que
nous vivons dans la misère ? C’est l’évangile, ça nous donne l’espérance, l’espoir, et l’homme blanc
est comme quelqu'un qui n’a plus de boussole, il est désorienté. L’évangile c’est la boussole.
DK : Je suis d’accord avec Jean-Claude quand il fait ces déclarations, j’aurais bien aimé qu’il parle
d’avantage parce qu’il a fait beaucoup de réflexion sur la communication dans le milieu religieux
aussi, parle de l’évangile en Afrique. Je me dis que l’évangile a trouvé en Afrique un terrain fertile
par le simple fait que l’homme africain est religieux de nature. Si à plusieurs reprises chacun de
nous considérait par exemple la sorcellerie comme étant l’instrument qui permettait de donner une
réponse à toutes les questions auxquelles on ne pouvait pas répondre autrement, c’est par le fait que
l’homme africain est religieux de nature. Donc quand il y a une situation, il essaie de voir comment
transcender ça pour résoudre ça en utilisant des procédés purement religieux et dans ce contexte
parler de l’évangile, parler de Jésus qui libère, qui sauve, qui répond aux besoins, n’est qu’un écho
réactualisé s’il faut le dire de ce que l’homme africain voulait et a cherché. C’est ce qui a fait que
l’homme africain à s’approprier le message de l’évangile et maintenant est en train aussi de le
diffuser dans d’autres milieux. Nous avons parlé de cette forte régression de l’aspect religieux en
occident, moi je parle plus d’un changement de pôle parce que là je prends un angle purement
théologique, je me dis qu’on a fait que quitter la bonne religion pour une autre religion qui n’est pas
la bonne. Parce que nous savons qu’en Europe maintenant il y a aussi la sorcellerie qui est en train
de battre des records dans certaines villes, il y a aussi la franc-maçonnerie et …
JCE : Le New Age.
DK : et d’autres philosophies religieuses qui sont en train d’évoluer à très grande vitesse, malgré
que l’évangile pur que l’homme blanc nous a amené en Afrique est en train de perdre les pédales
dans ce coin là. Et une crainte que j’aie du côté de l’homme africain, lorsque celui-ci s’est approprié
l’instrument de sonorisation en fait ça n’était pas facile parce que pendant cent ans c’était une lutte,
une guerre, est-ce qu’il faut accepter tout ce que l’homme blanc apporte au moment où lui refuse
nos instruments de musique dans l’église. Donc c’était une lutte et finalement on a compris que
l’homme blanc qui avait refusé qu’on batte le tam-tam c’était un blanc qui n’avait pas bien compris
le tam-tam, qui l’avait vu juste sous cet angle de la sorcellerie mais quand l’autre homme blanc est
venu il a compris que le tam-tam ce n’est qu’un instrument de musique, de communication et donc
on peut l’accepter. Ce qui fait que l’homme noir s’est dit que si lui accepte notre instrument ça
signifie que celui qu’il nous a amené lui n’était pas simplement une magie pour qu’il nous domine
alors est-ce que je peux aussi comprendre son instrument et voir comment ça fonctionne, est-ce que
je peux aussi m’en servir. Et de deux, il y avait aussi au niveau des églises, beaucoup d’églises de
Réveil qui avaient versé dans l’utilisation de ces instruments qui amenaient la voix à très longue
distance, il y avait des églises officielles qui utilisaient ça aussi, ça dépendait aussi de la grandeur de
la salle, de la taille de l’auditoire, donc au début, même à l’heure de la colonisation, il y avait des
micros, des baffles étaient utilisés, mais on adaptait le son de manière à ce que ceux qui sont dans la
salle n’est pas un son trop fort, comme si c’était une voix naturelle rapprochée. Donc c’était
vraiment bien organisé de cette manière là. Aujourd’hui personne ne contrôle à combien de décibels
on règle les instruments et moi ça commence à me faire peur parce que vous verrez dans une très
petite église on met une sonorisation qui va à des centaines de kilomètres et on ne se demande pas
le fait que cette voix portée à un niveau très haut de décibels, quel est son effet dans les oreilles et
dans la conscience même parce que être dans un endroit où il y a trop de bruit, ça crée aussi des
surcharges au niveau psychologique, au niveau du mental. Donc l’homme africain s’est approprié
des instruments mais n’a pas bien calculé comment il faut l’utiliser parce qu’il n’a pas appris à bien
gérer le son alors il découvre l’instrument et il l’utilise comme ça. Dans les campagnes en plein air
là ça se justifie parce qu’on veut que la voix puisse aller très loin, mais quand on est dans une petite
pièce de 10 mètres sur 18 par exemple et mettre une sonorisation à tue-tête, on se demande quel est
l’objectif, qu’est-ce qu’on veut. Est-ce que c’est utilisé, comme j’ai entendu quelqu'un le dire, en
lieu et place de la cloche qu’on a supprimé, parce que la cloche on da dit bon ça c’est l’imposition
de l’église – permettez-moi de citer – l’église catholique, on s’est dit c’est l’église catholique et
protestante qui nous ont emmené la cloche, nous nous ne sommes ni catholiques ni protestants, nous
sommes des Réveils, on ne veut pas de cloche. Alors pour que les gens se situent qu’ils sachent que
l’église se trouve à tel endroit alors on met la sonorisation amplifiée comme ça les gens disent ah
c’est telle direction et ils peuvent venir à l’église. Si c’est ça je me dis qu’ils ont gagné, mais est-ce
qu’ils réfléchissent sur les effets de cette amplification forte de la voix dans l’être humain. Ca c’est
le côté négatif de cette appropriation de la technologie par l’homme noir aujourd’hui.
GA : Je fais juste un petit commentaire parce que c’est vrai que la cloche avait plutôt un rôle de
signalisation, tout le monde savait où était l’église et puis ça annonçait certains évènements précis
d’un mariage etc. Je dirais que dans les églises de Réveil que j’ai pu observer, par rapport à
l’utilisation de l’amplification électrique, c’est que ça n’est pas seulement pour signaler la présence
ou le début d’une cérémonie, mais c’est vraiment utilisé tout au long de la cérémonie. Donc il y a
une expérience en tant qu’auditeur d’une voix amplifiée, du pasteur d’une part, peut-être des
musiciens, des chanteurs, à un volume effectivement assez élevé, souvent aussi le public chante
également, tout le monde participe et le volume très élevé comme ça ça donne une dimension un
peu corporelle à la pratique religieuse, c'est-à-dire qu’à travers la danse notamment mais aussi avec
ce volume sonore qui vient englober comme ça tout le corps et tout le groupe, c’est une pratique de
groupe aussi, on prie ensemble, il me semble qu’il y a une dimension aussi un peu de transe qui
entre en jeu. C'est-à-dire où vraiment ce niveau particulièrement élevé vient un peu surexciter la
conscience et l’intensité du moment et ça a un côté aussi tantôt défoulant, tantôt jubilatoire, tantôt
sans doute aussi gênant, on se dit tient aujourd’hui ça me paraît très fort je ne peux pas entrer
dedans. Ca dépend donc si on arrive à entrer dedans. Mais j’ai l’impression que le service religieux
adopte une autre dimension à travers l’utilisation de cette technologie. C’est un peu comme un
concert de rock parfois…
DK : Oui vous avez fait allusion au concert de rock. Moi ma préoccupation, je ne suis pas contre le
fait d’amplifier la voix, je ne suis pas contre ça, mais je me dis que si c’est dans une pièce enfermée,
le technicien de son qui est en train de régler l’appareil, doit tenir compte qu’il y a aussi un aspect
négatif, il y a des effets négatifs dans le corps humain, par exemple dans lui, celui qui est toujours à
un endroit, parce que nous savons que dans nos églises il y a des gens par exemple qui n’arrivent
pas à changer de place. Chaque dimanche lorsqu’ils viennent vous savez où ils se mettent. Alors
imaginez un monsieur qui se met toujours à côté du baffle et qui reçoit tout ce son là directement
dans son oreille, vous voyez ce que ce son là fortement amplifié va produire comme conséquence
dans son oreille après un certain laps de temps. Donc cette personne ne pourra plus entendre une
voix, un son émis à faible fréquence. Parce que son oreille a été abîmée par le fait de s’habituer à
une voix très forte. L’aspect transe, j’étais justement en train de réfléchir à ce genre de choses parce
que je connais une église dont j’aimerais taire le nom, qui joue sur cet aspect là. Donc en tous cas,
personnellement j’ai essayé d’y réfléchir, je me suis demandé pour quoi est-ce que les gens y vont ?
Il y a même des intellectuels qui se retrouvent dans cette église et quand j’ai essayé d’écouter les
témoignages de certains, je me suis rendu très vite compte que les gens sont tellement rusés qu’ils
jouent sur l’instrument du son. On vous met un son très aigu et ils maintiennent ça pendant un
temps, ce qui fait que vous ne pouvez plus réfléchir, à un certain moment vous ne pouvez plus
réfléchir, vous êtes en train d’accepter tout ce qu’on vous dit parce qu’il y a cette forme d’extase où
la mémoire humaine s’arrête à cause de se bruit, ne peut plus bien réfléchir et maintenant les gens
sont en train d’enregistrer tout ce qu’on leur dit sans réfléchir et lorsqu’ils vont rentrer ils vont
devenir juste des bobines de cire. Donc ils ne peuvent que reproduire le son qu’ils ont enregistré
sans avoir eu le temps de réfléchir. Or la foi chrétienne ce n’est pas ça, la foi chrétienne c’est une foi
qui laisse l’homme dans sa toute conscience et dans toute liberté parce que nous parlons du libre
arbitre dans le christianisme, donc l’être humain est libre de réfléchir et de choisir ce qu’il veut et ce
qu’il ne veut pas. Donc s’il y a cette ruse à travers les instruments de son, on amène l’être humain à
être limité, on limite ses facultés mentales, c’est comme une contrainte inconsciente pour cet être
humain là, c’est comme si on lui a imposé la foi, or la foi chrétienne ne s’impose pas, c’est une foi
qui se communique dans la liberté. Donc c’est juste cet aspect là, négatif, avec lequel
personnellement je ne suis pas d’accord. Pour le reste la sonorisation ça aide, je suis d’accord pour
qu’on puisse utiliser la sonorisation comme il faut pour porter la voix très loin parce qu’il y a aussi
des gens qui nous écoutent de loin, ils ne veulent pas venir dans notre église, ils ne veulent pas
entrer, ils écoutent le message de loin. Donc si on a cette amplification du son ça permet qu’on soit
écouté à très longue distance et de ce côté-là on peut gagner aussi. Mon problème, comment situer,
les appareils, les baffles qu’on est en train d’utiliser, de sorte à ce qu’il n’y ait pas cet apport négatif
–s’il faut le dire ainsi – dans l’être humain qui est membre de l’église et qui est tout près souvent de
ces instruments. C’est cet aspect là aujourd’hui je pense que dans nos églises on n’a pas encore
réfléchi sur ça. Donc c’est là où pour moi c’est comme si j’étais en train d’interpeler l’auditoire
chrétien sur le méfait d’avoir fortement amplifié le son dans une pièce étroite et mettre l’être
humain juste à côté. Je me dis amplifions le son mais essayons de profiter les membres de nos
églises, pour qu’on n’abime pas leurs oreilles parce qu’on veut qu’ils continuent à nous écouter.
GA : Si l’église voisine emploie elle-même une amplification un peu poussée est-ce que ça n’est pas
naturel qu’il y ait une tendance un peu comme ça à la compétition ?
DK : Des fois oui !
JCE : Sans rejeter ce que mon collègue Delphin a dit, c’est vrai que c’est vraiment un danger pour
la santé des oreilles, mais il y a aussi, nous sommes d’une culture qui aime le bruit, depuis les temps
anciens nous aimons le bruit, l’africain n’a pas tellement une culture de silence. Dans notre façon de
parler nous avons tendance à crier, même dans nos fêtes de village il y a du bruit, ça trouve un
terrain favorable, mais évidemment il faut tenir en compte cet aspect là sur le plan du danger pour la
santé. Mais moi ce qui me frappe ici, le tam-tam a été combattu, par la colonisation, par la
civilisation des blancs, on a exclu le tam-tam de l’église mais le tam-tam est très résistant.
Aujourd’hui le tam-tam est revenu depuis les années 70 en force, que ce soit dans les églises
catholiques, protestantes et surtout dans les églises des Réveils. Bien qu’il y a les instruments
modernes, les synthétiseurs, guitares électriques, tout ça, qui sont entrés dans les églises, mais le
tam-tam est toujours présent. Le son du tam-tam joue un grand rôle, a un effet d’entraînement dans
la louange, l’homme africain ne peut pas adorer, louer sans tam-tam et rien ne peut remplacer le
tam-tam, même la batterie moderne ne peut pas remplacer le tam-tam, la guitare, le piano. Ce son là
du tam-tam est tellement dans le cœur de l’africain que cet instrument ne peut pas disparaître. Les
missionnaires blancs ont diabolisé le tam-tam, mais depuis les années 70 nous voyons que le tamtam a refait surface, qu’il est dans toutes les manifestations que ce soit dans le deuil, dans les
cérémonies de naissance, lorsqu’il y a une naissance de jumeaux, le tam-tam est là, dans les fêtes le
tam-tam est là, dans l’église, le tam-tam est partout, le tam-tam résiste et évidemment quelqu'un a
dit qu’il regrette qu’il n’y a pas eu d’évolution technologique pour le tam-tam, c’est ce qui fait la
beauté du tam-tam, c’est un instrument qui est resté primitif, naturel, un instrument qui ne demande
pas beaucoup d’effort pour être transporté, pas d’électricité pour être joué, c’est un instrument
adapté à tous les rythmes possibles, on peut le jouer selon sa propre culture, un sénégalais le jouera
à la façon d’un sénégalais, un français à la façon des français, un chinois à la façon des chinois et
vraiment c’est l’instrument de base, c’est l’instrument pas excellence. Ici nous avons au moins deux
ou trois instruments, il y a le tam-tam, le battement des mains et puis il y a les maracas, ces trois
instruments là sont omniprésents et ça résiste, ça traverse des siècles, ce sont des instruments
millénaires. C’est aussi la particularité de l’africain le tam-tam. C’est un instrument de
communication, avant qu’il y ait le téléphone etc. on annonçait les nouvelles comme ça. Il y avait
une façon de jouer pour annoncer le deuil, une pour annoncer la joie et aujourd’hui aussi il y a une
façon de jouer pour adorer le seigneur, pour danser et tout ça. C’est un instrument qui continue à
avoir sa place même dans l’église. Ce n’est pas un instrument diabolique, l’inspiration pour créer
cet instrument est venue de Dieu. Donc ce n’est pas incompatible avec l’évangile et nous pouvons
donc l’exporter sous d’autres cieux, aujourd’hui même dans toutes les musiques du monde il y a cet
aspect de percussion qui est toujours là. C’est donc ce qui m’a frappé un peu en observant cette
photo et l’évolution dans le temps un siècle après, parce que c’est une photo qui a maintenant un
siècle.
BN : Je voulais ajouter un aspect important, c’est l’homme blanc avait le souci de l’évangélisation
de l’Afrique, maintenant c’est l’africain maintenant qui a le souci de l’évangélisation en Europe.
Une fois ? disait que l’Afrique va réévangéliser le monde, maintenant nous commençons à voir les
effets que l’Afrique commence à faire ce travail d’évangélisation à fond, où il y a des hommes et
des femmes qui vont partout dans le monde apporter l’évangile du Christ. Parce qu’on a remarqué
en Europe qu’il y a une crise profonde sur le plan évangélique et que l’homme africain s’est
maintenu. Maintenant nous voyons que l’africain va vers l’Europe et que ce souci d’évangélisation
anime maintenant l’africain. Et vous voyez, il y a des hommes et femmes qui sont formés dans le
centre universitaire de missiologie et partout ailleurs, mais ils ont à cœur l’évangélisation de
l’Europe. Et nous trouvons des églises en Europe où il y a des noirs, en Belgique, en France, en
Allemagne, en Hollande, tout ça, c’est dans ce souci là. Est-ce que ces pasteurs qui sont en Europe
ils essaient d’atteindre l’homme blanc ? C’est aussi une question à se poser. Parce que si nous allons
là-bas pour la réévangélisation de l’Europe, nous devons aussi viser ou atteindre notre objectif.
C’est encore un problème, mais on retrouve maintenant des églises de noirs en Europe qui sont en
train de continuer le travail de réévangélisation. Voilà ce que je voulais ajouter.
GA : Comment vous définiriez le projet missionnaire du CUM aujourd’hui ? brièvement
JCE : Faire de toutes les nations des disciples, c’est ça en gros. Nous voulons faire de toutes les
nations, de toutes les ethnies du monde, les disciples de Jésus Christ. C’est ça le projet du CUM,
l’évangile pour tout homme et pour tout l’homme, quelle que soit son ethnie, sa race, ses origines,
son évolution, sa position sociale, nous voulons atteindre les hommes parce que l’humanité tout
entière a un dénominateur commun, nous avons un même problème, c’est le problème du pécher.
Qu’on soit blanc ou noir, nous avons un même problème, c’est le problème du pécher et c’est ce qui
fait que nous n’avons pas la paix du cœur. Toutes les crises que nous connaissons, les guerres, les
injustices sociales, les massacres, les terrorismes, la dictature, l’impérialisme, c’est le problème du
pécher et l’évangile c’est la réponse au problème de l’humanité, le problème de l’humanité c’est le
pécher parce que l’homme s’est déconnecté de son créateur Dieu et il est en crise, on ne peut pas
vivre sans Dieu, sans contact avec Dieu et le fait de ne pas vivre en intimité avec Dieu c’est ce que
la bible appelle le pécher.
GA : Vous disiez vous-même au début que finalement ces individus sur la photo qui ont vécu des
centaines d’années sans ce Dieu-là avaient l’air de finalement pas si mal se porter, étaient même
beaux, on peut dire un beauté primitive, alors comment …
JCE : oui, c'est-à-dire que l’africain avait conscience de Dieu, dans toutes les langues de l’Afrique il
y a le nom de Dieu. Mais le problème c’est comment entrer en contact avec ce Dieu-là. C’est là où
on a fait fausse route parce que l’africain pense que Dieu a créé l’univers et puis Dieu ne se
préoccupe plus des affaires des hommes, il a remis tout entre les mains des ancêtres qui sont morts.
Or c’est un mensonge, ce qui sont morts sont morts, ils ne peuvent rien pour nous. C’est là où
l’évangile est venu corriger, rétablir la vérité, c'est-à-dire que les ancêtres ne peuvent rien faire pour
nous, que le seul médiateur entre Dieu et les hommes c’est Jésus Christ et ce correctif-là nous a
apporté la paix, la joie de vivre. C’est vrai qu’on connaissait Dieu mais nous l’adorions d’une façon
fausse, c’était de l’idolâtrie, on adorait des morts, des statues, des esprits, et c’est ce que la bible
appelle des démons bien qu’il y avait un Dieu dans toutes les langues, en Lingala on l'appelle
'Nzambe', en Kikongo 'Nzakomba', en Kimbuza 'Akongo', etc...
Dans toutes les langues il y a le nom de Dieu mais la façon de célébrer ce Dieu, la façon de
communier avec ce Dieu, c’est là où nous faisions fausse route, maintenant l’évangile est venu nous
ramener sur le droit chemin, depuis que nous connaissons l’évangile nous avons la paix. Il a résolu
beaucoup de problèmes, entre autres ce problème de la sorcellerie, la croyance et la pratique de la
sorcellerie c’est le grand problème contre le développement de l’Afrique. C’est une prison la
sorcellerie…
GA : La civilisation c’est toujours un de vos chevaux de bataille ?
JCE : Oui évidemment parce que là où les missionnaires ont commis certaines erreurs, parce qu’en
amenant l’évangile ils nous ont aussi imposé leur civilisation, ça c’est une erreur sur le plan
missiologique…
GA : Votre projet est différent de …
JCE : Oui, il faut faire la part des choses entre l’évangélisation… Moi lorsque je vais en France il ne
faut pas que je fasse des français des congolais, non les français doivent rester français pas accepter
l’évangile. Mais eux ils ont amené c’est vrai l’évangile mais ils ont voulu faire de nous des blancs à
peau noire, ils nous ont mis un masque qui ne répond pas à nos façons si bien que nous sommes
désorientés à cause de ça, nous par exemple les jeunes d’après la colonisation nous sommes un peu
des aculturés, nous ne savons plus trop est-ce que nous sommes des africains, est-ce que nous
sommes des blancs ? Nous sommes un peu une culture métisse. C’est ça l’erreur, il ne faut pas
changer la civilisation de quelqu'un, mais lui apporter l’évangile dans son contexte culturel. La
culture n’est ni bonne ni mauvaise, la culture est culture, il faut que la personne garde sa culture, ses
valeurs culturelles mais que cette personne puisse accepter l’évangile. L’évangile c’est ce qui va
faire le nettoyage de ce qui est mauvais dans la culture. Or, par exemple nous venons de parler du
tam-tam. Ils ont diabolisé le tam-tam, ils ont diabolisé nos statuettes, il y avait un musicien
congolais qui avait composé une chanson dans les années 70 où il se posait la question sur l’homme
noir, il dit « je me pose la question d’où vient l’homme noir » parce que dans les églises catholiques
à cette époque là on représentait le diable comme étant un noir avec des cornes et une queue et tous
les saints étaient des blancs. Alors lui s’est posé la question « quand nous allons à l’église tous les
saints sont des blancs et le diable c’est le noir », nos statuettes à nous on les diabolise mais lorsque
nous allons à l’église on trouve plein de statuettes des blancs. « Dieu dis-nous d’où venons-nous ?
Qui est l’homme noir qui est notre ancêtre ? Est-ce que tu es vraiment le Dieu des noirs, tu es un
Dieu universel ou tu es seulement le Dieu des blancs ? » C’est une chanson que les gens méditent
jusqu’aujourd’hui, évidemment, c’est une question réelle…
GA : Comment s’appelle l’artiste ?
JCE : Verckys.
GA : Et la chanson, vous me rappelez son titre ?
JCE : Nakomitunaka, ça veut dire « je m’interroge », (il chante) « Nzambe Nakomitunaka … » il
s’adresse à Dieu, c’est une forme de prière, « Dieu je me pose la question, l’homme noir qui estil ? » parce qu’à l’église il y a une contradiction, on nous dit que voilà le diable c’est le noir, on
rejette nos statuettes mais à l’église nous trouvons le contraire. Il y avait une contradiction entre le
message qui était prêché et la pratique. Alors c’est ça un peu la difficulté que les missionnaires
avaient connu, c’est de faire la part des choses entre, parce que eux sont partis de l’idée que
l’homme noir n’était pas civilisé, or l’homme noir avait sa civilisation à lui qu’il fallait préserver et
apporter l’évangile, c’est ce qu’on appelle la contextualisation, introduire l’évangile dans la culture.
C’est ça un peu l’erreur d’hier que nous voulons un peu corriger lorsque nous partons en mission
nous voulons respecter la culture de l’autochtone tout en lui apportant la Bonne Nouvelle de Salut
en Jésus Christ.
GA : Je vous remercie on va conclure ici. Messieurs merci beaucoup pour votre participation.
J’espère que ça vous a aussi apporté quelque chose et je vous ferai savoir si cet enregistrement est
diffusé.
Tous : Merci beaucoup.

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