L`Agefi : 2015-11-11 mer - S46 - J315 - Edition n°201

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L`Agefi : 2015-11-11 mer - S46 - J315 - Edition n°201
SUISSE
PAGE 4 mercredi 11 novembre 2015
Les avoirs de Gérin ne
sont pas aux Bahamas
JEAN-MARIE LE PEN. Son majordome a régularisé
fiscalement sa fortune en France. Où il l’a transférée.
Une mesure très favorable
pour les trusts en Suisse
Les trustees devront obtenir une autorisation pour exercer d’ici 2017-2018. Ce qui réjouit les représentants du secteur.
IAN HAMEL
Interrogé par L’Agefi à Genève,
l’avocat et ancien bâtonnier Marc
Bonnant est catégorique: c’est lui
qui gère le trust Balerton Marketing Limited, immatriculé aux Iles
Vierges britanniques. Contrairement à ce qui a beaucoup été écrit
dans la presse française, «les actionnaires ne sont toutefois ni Jean-Marie Le Pen, ni sa fille Marine, ni aucun autre membre de la famille. Il
s’agit d’un Français, un proche de
Jean-Marie Le Pen.» Une autre
source confirme en France qu’il
s’agit bien de Gérald Gérin, le majordome de Jean-Marie Le Pen, par
ailleurs trésorier de deux de ses associations de financement, Cotelec
et Promelec. C’est ce qu’affirmait
le site d’information Mediapart en
avril dernier, mais les intéressés
avaient toujours démenti.
Gérald Gérin, 41 ans, dont le domicile à Rueil-Malmaison a fait
l’objet de perquisitions la semaine
dernière (diligentées par le parquet national financier français),
vit dans une annexe de la résidence de Jean-Marie Le Pen et de
son épouse Jany. Depuis que JeanMarie Le Pen, fondateur du Front
national, a été couché sur le testament d’Hubert Lambert, héritier
de la dynastie des ciments Lam-
bert disparu en 1976, des centaines d’articles de presse et
quelques ouvrages ont évoqué des
montagnes d’argent cachés dans
les banques suisses. Depuis bientôt
quarante ans toutefois, les preuves
de ces accusations font régulièrement défaut.
Le compte de la société Balerton,
d’abord géré par HSBC, puis par
la Compagnie bancaire helvétique
(CHB), était crédité de 2,2 millions d’euros, dont 1,7 million en
lingots et pièces d’or. Toutefois,
contrairement à des informations
publiées par la presse française,
l’argent détenu sur le compte appartenant au trust Balerton Marketing Limited n’a pas été viré aux
Bahamas en mai 2014. «Les avoirs
ont été transférés en France, répond Marc Bonnant. Ils sont aujourd’hui aux mains du fisc. Le détenteur a simplement voulu
régulariser sa situation.» Marc
Bonnant précise avoir rencontré
une seule fois le leader d’extrême
droite, mais dans d’autres circonstances. «C’était il y a un quart de
siècle. Avant un débat télévisé,
Jean-Marie Le Pen tenait à connaître mon opinion sur la liberté d’expression en Suisse. C’est un
homme intelligent et cultivé. Je
suis plus réservé concernant ses
positions politiques…»n
A partir de 2017 ou 2018, l’ensemble des fournisseurs de services financiers devraient être
soumis à autorisation en Suisse,
y compris les trustees. C’est ce
que prévoit le projet de loi définitif du paquet LSFin-LEFin (lois
sur les services et les établissements financiers), qui sera soumis au Parlement en début d’année prochaine (L’Agefi d’hier).
L’opinion d’Alexandre von Heeren, président de la SATC - la
Swiss Association of Trust Companies.
Que pensez-vous de l’obligation
pour les trustees d’obtenir
une autorisation en Suisse?
Nous sommes très contents car
nous voulions cette mesure et
nous y avons travaillé depuis
longtemps. Depuis que nous
avons créé la Swiss Association
of Trust Companies, lorsque la
Suisse a ratifié la Convention de
La Haye sur les trusts en 2007,
nous avons essayé de convaincre
les autorités de réglementer ce
secteur. Cette obligation d’autorisation pour les trustees constitue une première étape que nous
saluons.
Pourquoi la Suisse ne s’est-elle
pas dotée d’une réglementation
sur les trusts?
La Suisse est la seule place financière qui se permet de ne pas offrir à ses clients un mix de services bancaires et de structuration
patrimoniale. Pour des familles
ayant des liens avec différentes
juridictions, les services de structuration constituent le seul
moyen de ne pas être exposées à
des lois qui n’ont pas été pensées
pour un contexte international.
Or les trusts sont une réalité en
Suisse, donc le pays a besoin de
les encadrer.
L’administration ne voulait
peut-être pas encourager
le développement d’outils
comme les trusts, qui n’ont pas
exactement bonne réputation,
non?
Le trust n’a effectivement pas la
meilleure réputation du monde,
à tort car cette réputation provient d’abus constatés ces trente
dernières années dans le domaine
fiscal essentiellement, alors que
le trust existe depuis des siècles.
Les places financières concurrentes comme Bahamas, les BVI
ou Jersey se sont dotées de cet instrument afin de favoriser leur développement, en créant des in-
teractions avec l’activité bancaire.
Le succès des banques suisses a
été tel que le pays n’a apparemment jamais eu besoin de s’intéresser aux trusts. Mais le trust
conservera des atouts uniques
avec l’échange automatique de
renseignements, sans aucune
considération fiscale d’ailleurs.
Quels atouts?
Le trust restera le seul moyen
d’éviter une double transmission
dans le cadre de l’échange d’information. Prenons l’exemple
d’un trustee basé à Singapour, qui
détient le pouvoir sur un compte
bancaire à Genève, pour un ayant
droit économique italien. Sans
trust, le fisc italien recevra des informations sur le compte genevois et de la part du trustee basé
à Singapour. Comme les règles
ne sont pas exactement identiques dans tous les pays, le fisc
italien recevra deux types de données sur un même montant. Le
client devra peut-être expliquer
qu’il ne détient pas deux fois ce
montant, et il supportera en tout
cas deux fois les frais liés à la double transmission de renseignement.
FINANCEMENT PARTICIPATIF. La Suisse se place en 13e position en Europe. En cause, la difficulté de trouver des banques agissant comme dépositaire.
Quelles sont les règles qui encadrent le financement participatif
en Suisse?
Il existe plusieurs règles auxquelles on peut faire référence,
mais il n’existe pas de loi spéciale
couvrant le financement participatif en Suisse, contrairement à
nos voisins européens, notamment anglo-saxons. La Circulaire
Finma (2008/3) concerne les dépôts du public auprès d’établissements non bancaires. La Finma
considère - dans certains cas - que
l’activité des plateformes de
crowdfunding ou celle des entreprises (start-up) qui lèvent des
fonds via de telles plateformes
pourrait être considérée comme
une activité de dépôt et tomberait
ainsi sous l’application de cette
circulaire. Cela étant, l’activité de
crowdfunding ne vise pas une activité dépôt et ne devrait en principe pas être considérée comme
une activité d’appel au public
pour obtenir des fonds en dépôt,
dès lors que sont typiquement des
actions (crowdinvesting) ou des
obligations (crowdlending) qui
seront attribuées aux investisseurs, et non des dépôts.
Une activité de crowdfunding
signifie-t-elle forcément
un dépôt?
C’est là tout le débat. Pour ma
part, j’estime que l’investisseur
achète une action ou une obligation, mais ne recherche pas un
«dépôt» au sens de la Loi sur les
banques, de son ordonnance d’application et de la Circulaire Finma
susmentionnée. L’Ordonnance
sur les banques ainsi que cette Circulaire indiquent même expressément que les emprunts par obligations (émis en grand nombre et
sous une forme standardisée) ne
sont pas considérés comme des
dépôts. Cela étant, la question
d’un dépôt peut se poser par
exemple dans l’hypothèse où le
projet inhérent au crowdfunding
ne voit jamais le jour et que l’argent levé est rendu (par hypothèse
avec des intérêts) au client. Cette
problématique est traitée au cas
par cas. Il convient de structurer
la plateforme de crowdfunding
afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas
d’une activité bancaire soumise à
autorisation, et de demander le cas
échéant une confirmation (demande de ruling) à la FINMA.
Chaque dossier est différent et requiert une structuration juridique.
Il existe quatre formes d’investissement participatif: le crowdinvesting ou crowdfunding equity
(sous forme d’investissement en
actions en faveur de l’investisseur), le crowdlending (sous
forme de prêt), le crowdfunding
reward based (sous forme de
contre-prestation en nature en faveur de l’investisseur) et le crowddonating (sous forme de don sans
contre-prestation en faveur de
l’investisseur).
La Circulaire FINMA 2008/3, d’un
côté et la règle des 20 du Code
des Obligations, de l’autre,
constituent-elles un obstacle
à l’essor du crowdfunding
en Suisse?
La problématique est complexe.
La situation doit être analysée au
cas par cas (selon la structure de
la plateforme de crowdfunding).
Il est clair que ces problématiques
doivent donc être adressées.
S’agissant de la règle des 20 en
vertu du Code des obligations, ce
chiffre de «20» ne figure pas en
tant que tel dans le Code des obligations. Le Code des obligations
indique simplement qu’en cas de
mise en souscription publique
d’une action nouvelle ou d’emprunt, il convient d’établir un
prospectus respectant un contenu
minimum déterminé par le Code
des obligations. La question se
pose pour le crowdinvesting et le
crowdlending. Il est clair qu’une
diffusion par internet remplit a
priori le caractère «public» de l’offre. Cela étant, la préparation
d’un prospectus ne devrait pas
constituer un obstacle majeur à
l’essor du crowdfunding, dès lors
que ce dernier peut être établi
dans des coûts raisonnables.
S’agissant de la Circulaire
FINMA 2008/3, cela requiert
également une analyse au cas par
cas. La structuration de la plateforme liée à une demande de ruling auprès de la FINMA permettent de s’assurer que le projet
n’est pas considéré comme un appel public pour du dépôt. Cela a
certes un coût, mais encore une
fois sous contrôle. L’une des règles à respecter pour éviter que
la plateforme de crowdfunding
ne soit pas considérée comme faisant de l’appel public pour du dépôt est de ne jamais avoir l’argent
des investisseurs sur le compte de
la plateforme. Enfin, il ne faut
pas mélanger ces deux règles.
L’exigence de prospectus en
vertu du Code des obligations relève du droit privé, alors que la
question du «dépôt» relève de la
Loi sur les banques et par conséquent de la réglementation (obligation d’être titulaire d’une autorisation en tant que banque).
Je précise qu’il y a d’autres lois
qui s’appliquent, notamment la
Loi sur le blanchiment d’argent
et la Loi sur les bourses et le com-
Le trustee devra avoir des
connaissances dans le domaine
des trusts, il devra suivre des règles d’organisation internes et disposer d’une garantie financière.
Nos membres sont déjà tenus
d’avoir une assurance professionnelle adaptée à leur activité.
Finalement, quelle importance
a le secteur des trusts en Suisse?
C’est difficile à dire, car les trustees ne sont pas supervisés sauf
pour le blanchiment. On estime
que parmi la clientèle internationale des banques suisses, au-delà
d’un certain montant, plus de la
moitié de ces clients sont structurés d’une manière ou d’une autre, avec un fonds familial, une
fondation ou un trust. Dans le détail, on compte une centaine de
trustees professionnels dans le
pays et de trois à quatre fois plus
de trustees occasionnels, qui sont
par ailleurs gérants, avocats ou fiduciaires. En tout, le secteur des
trusts occupe probablement entre
2000 et 3000 personnes en
Suisse.
INTERVIEW:
Quelles seront les conséquences
Les limites légales du crowdfunding
De nombreuses initiatives voient
le jour en matière d’investissement participatif en Suisse. Une
trentaine de sites existe, mais le
pays n’occupe que la 13e position
en Europe après l’Estonie et loin
derrière le Royaume-Uni et la
France. La réglementation n’explique qu’en partie ce retard pris
sur les voisins européens. La culture anglo-saxonne traditionnellement est bien plus avancée visà-vis du crowdfunding. En outre,
en tant que «simple» banque dépositaire, les gains pour les
banques sont limités, ce qui ne les
incite pas forcément à soutenir
ces nouveaux modes de financements concurrentiels, sous réserve des quelques banques.
Alexandre de Boccard, avocat en
l’Etude Ochsner & Associés à Genève, répond aux questions de
L’Agefi sur les limites légales au
crowdfunding en Suisse.
pratiques de cette obligation
d’autorisation, si le projet de loi
est accepté tel quel?
SÉBASTIEN RUCHE
Event sur le
crowdfunding
à Genève
merce de valeurs mobilières
(LBVM). La présence d’une
banque agissant comme escrow
agent permet de résoudre un certain nombre de questions sur le
plan réglementaire.
L’association dédiée
organise une table ronde
lors de la présentation
du premier livre blanc.
L’occasion de débattre
de la réglementation suisse.
La taille du marché du crowdfunding en Suisse a atteint 15 millions en 2014.
Quels sont les autres facteurs
limitatifs à son développement?
Le 17 novembre à l’Impact Hub
Geneva aura lieu la soirée de lancement du premier livre blanc
sur le financement participatif
en Suisse. L’initiative de cet évènement revient à la Swiss
crowdfunding Association qui
invite plusieurs acteurs du secteur.
Son président, Vincent Pignon,
accueillera les intervenants composés de Alexandre de Boccard,
avocat chez Ochsner & Associés,
sur la perspective légale; Anca
Draganescu-Pinawin de Novagraaf sur la propriété intellectuelle; Maxime Pallain de Raizers
sur les challenges et opportunités
et Amanda Byrde de l’Impact
Hub Geneva avec son témoignage sur sa campagne de crowdfunding.
Une table ronde sera animée par
Jonathan Normand, membre du
conseil de la Swiss crowdfunding Association. Un des thèmes
abordés sera la réglementation
suisse du financement participatif, obstacle ou soutien à l’essor
du crowdfunding. Une réunion
est prévue avec la Finma prochainement dans le but de trouver des
solutions. La Suisse se classe en
treizième position en Europe
avec seulement une trentaine de
sites existants.n
Selon mon analyse, la règlementation ne suffit pas à elle seule à
expliquer le volume très bas du
crowdfunding en Suisse. Il s’agit
peut-être d’une différence culturelle, dans la mesure où nous
n’avons pas forcément l’habitude
d’investir par internet dans une
start-up. Ce mode d’investissement peut être considéré à
l’heure actuelle comme «alternatif» en Suisse. Les anglo-saxons
sont probablement beaucoup
plus avancés que nous en la matière. En outre, il est difficile pour
les plateformes de crowdfunding
de trouver des établissements
bancaires qui agissent en tant que
banque dépositaire/escrow
agent. Cela étant, je pense que les
investissements par le biais de
telles plateformes de crowdfunding vont augmenter dans les
prochaines années. Le travail de
communication et de la Swiss
Crowdfunding Association permet de mieux faire connaître ce
mode très intéressant de financement.
INTERVIEW:
ELSA FLORET