Tendances dans la stratégie internationale des entreprises de
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Tendances dans la stratégie internationale des entreprises de distribution : résultats à partir d’une analyse empirique Dr. Daniele Pederzoli Professeur Associé Groupe ESC Rouen Boulevard André Siegfried 76825 Mont Saint Aignan tél. 02 32 82 57 85 e mail [email protected] 1 Tendances dans la stratégie internationale des entreprises de distribution : résultats à partir d’une analyse empirique Après deux décennies de croissance rapide et presque ininterrompue, l’internationalisation de la distribution semble avoir démarré une phase plus orientée à la réflexion et beaucoup plus ciblée pendant les premières années de ce nouveau siècle. La littérature commence à prendre en compte cette nouvelle phase surtout en analysant les échecs les plus importants qui se sont passés pendant les années récentes, à partir de ceux de Marks & Spencer et de Royal Ahold, mais la réflexion se concentre sur quelques études de cas. Nous avons essayé d’étudier les mouvements internationaux d’un certain nombre d’entreprises internationales pendant la période 2000-2004 pour déceler les nouvelles tendances en matière d’internationalisation ; cette étude a concerné les entreprises que nous avions étudiées pendant la décennie précédente pour construire un modèle d’internationalisation qui avait été l’objet de notre thèse. Nous avons ainsi cherché à vérifier si le modèle que nous avions proposé est encore valable et quels sont les changements les plus importants à apporter pour tenir compte des nouve lles stratégies des entreprises. Le processus d’internationalisation est beaucoup plus raisonné, mais les composantes stratégiques fondamentales ne semblent pas changer, plutôt elles semblent devenir plus pointues et demandent un management plus attentif à la rentabilité et non seulement à la croissance. Recent trends in the international strategy of retail companies : results from an empirical research After two decades of rapid and relentless expansion, during the first years of this new century, the internationalisation of retail companies appears to have begun a new phase, more oriented to reflexion and more targeted than before. Academic literature have started to study this new phase, but the interest is mainly concentrated in some important international failures that occurred recently, like that of Marks & Spencer and that of Royal Ahold. In this paper we have studied the international operations of some retail companies during the period between 2000 and 2004 with the aim of finding the new trend s at the strategic level; we have studied the same companies we had analysed during the previous decade for building the model of internationalisation described in our doctoral thesis. With this study, we have tried to verify the validity of our model in an environment changed in deep, and also to define which changes should be made to this model following the main strategic operations of some important companies. The internationalisation process is more reflexive than before, but the components of the strategy are the same, the main difference is the need to manage these issues in a very fine way and, by consequence, the need for the management to be much more attentive to the economic and financial results and not only to the ratio of international growth. 2 Tendances dans la stratégie internationale des entreprises de distribution : résultats à partir d’une analyse empirique Introduction L’internationalisation de la distribution, après une décennie de croissance flamboyante et d’opérations parfois spectaculaires, semble avoir démarré vers la fin du XXe siècle une phase beaucoup plus caractérisée par la réflexion, les opérations ciblées, la tentative de conjuguer la recherche de la taille critique avec une forte attention à la rentabilité et donc à la croissance durable de l’entreprise. Cette nouvelle attitude de la part de toutes les principales entreprises représente-elle une sixième phase dans le processus d’internationalisation des entreprises de distribution après les cinq phases décrites par Alexander (1997) ou bien s’agit-il seulement d’une adaptation tactique à la situation des marchés et de la demande globale ? Dans cet article, nous chercherons à répondre à cette question en étudiant les mouvements à l’international de quelques entreprises de distribution parmi les plus importantes dans les trois/quatre dernières années parce qu’il nous apparaît évident que beaucoup de choses ont changé entre la fin du XXe siècle et le début de ce nouveau millénaire. Les raisons qui ont certainement influenc é les changements stratégiques intervenus dans les entreprises sont multiples ; en cherchant à suivre une certaine chronologie, on peut rappeler les suivantes : • L’explosion de la « bulle Internet », qui a provoqué non seulement l’effondrement de presque tous les titres des sociétés liées à Internet, mais aussi une chute des valeurs boursières très forte dans tous les pays ; les principales Bourses mondiales sont encore bien en dessous des valeurs de la moitié 2000, avant l’explosion de la bulle Internet. • Le terrible attentat du 11 septembre 2001 a représenté un frein majeur à la tentative de reprise économique des Etats-Unis, par conséquent on a commencé à assister à une vrai reprise dans la première économie mondiale seulement au troisième trimestre 2003, mais la croissance est encore loin d’être linéaire est l’optimisme n’est certainement pas encore revenu. • L’attentat du septembre 2001 a jeté une ombre d’inquiétude, si non de peur dans les sociétés occidentales ; il a représenté un choc pour les citoyens américains qui jusque là se sentaient à l’abri du terrorisme à l’intérieur de leur propre pays, mais a effrayé par son énorme impact même les citoyens d’autres pays occidentaux qui avaient bien connu le terrorisme dans les années précédentes. • Deux guerres se sont passées entre 2001 et 2003, la première en Afghanistan avec les Etats-Unis qui jouissaient d’un consensus international presque total, tandis que la deuxième, en Iraq, a provoqué des tensions très graves dans la communauté internationale et aussi des mouvements de boycott de la part des consommateurs envers les produits provenant des champs adverses. Ces tensions se sont réduites dans la première moitié 2004, surtout avec la tentative de redonner un rôle à l’ONU, mais n’ont pas encore disparu complètement. 3 • • • • Pendant la crise irakienne, des nouveaux attentats sont arrivés, cette fois à l’intérieur de pays jusque là épargné par le terrorisme international comme le Maroc, l’Indonésie, l’Arabie Saoudite ou l’Espagne. La cible étant toujours les populations occidentales ou les pays arabes « modérés » l’incertitude et la sensation d’insécurité n’ont fait que s’accroître. De la moitié 2000, le monde occidental a connu une phase de stagnation économique très longue, qui a débouché dans certains pays comme l’Allemagne, la France et l’Italie, sur une véritable récession pendant quelques trimestres. Le risque de la déflation est devenu de plus en plus concret dans plusieurs pays, avec le spectre de la très longue déflation japonaise à l’horizon. Quelques crises régionales importantes ont éclaté, la plus graves étant certainement celle de l’Argentine, le premier pays développé à devoir déclarer la mise en faillite de sa dette internationale depuis plusieurs décennies ; heureusement, la crise argentine n’a pas crée un effet domino dans la région d’Amérique Latine, mais d’autres pays ont été touchés, parfois rudement, par la faillite argentine. Presque seulement la Chine a continué sa croissance à un rythme très élevé et constant, en devenant par cette voie l’une des destinations fondamentales pour les investissements internationaux dans tous les domaines, y compris la distribution. Il y a seulement quatre ans, dans le cadre de la recherche menée pour notre thèse, nous avions analysé les principaux mouvements à l’international de 37 entreprises de distribution et cette analyse nous aviez permis de construire et de tester une modélisation de la stratégie internationale pour la distribution. La période de notre analyse avait été de 1989 à 2000, caractérisée par un environnement économique et social assez stable, ou quand-même avec une forte orientation à la croissance économique et sociale au niveau mondial. Les changements dans l’environnement nous ont donc amenés à nous interroger si les stratégies internationales des entreprises de distribution se sont modifié et si le modèle construit à l’occasion de notre thèse garde sa validité. Nous avons donc suivi les mouvements internationaux de quelques entreprises majeures pendant la période 2000- moitié 2004 pour comprendre les axes stratégiques et pour déceler les éventuelles modifications par rapport aux années précédentes. L’analyse a été menée en utilisant des sources documentaires différentes, de la presse spécialisée française, anglaise, italienne ou allemande, aux rapports annuels publiés par les entreprises, aux informations contenues dans des bases de données spécialisées sur l’information économique. Notre communication se compose donc de deux parties : la première prendra en compte la littérature sur l’internationalisation de la distribution et les modèles stratégiques employés pour l’expliquer, y compris le modèle que nous avons élaboré à l’occasion de notre thèse ; dans la deuxième partie, on va illustrer quels sont les changements majeurs dans les stratégies d’internationalisation qui apparaissent à ce début de millénaire comme étant les plus marquants par rapport aux périodes précédentes et aux modèles pris en compte. 1 Les modèles stratégiques et l’internationalisation de la distribution Le secteur de la distribution n’a pas développé de modèles stratégiques propres et a plutôt emprunté des modèles crées pour le secteur de la grande industrie. Quelques 4 composantes des modèles stratégiques « industriels » nous apparaissent importantes aussi pour les entreprises de distribution, surtout dans le cadre de leur internationalisation. Les stratégies de base de Porter (1985) peuvent trouver des exemples importants dans la distribution, comme c’est le cas de la domination par les coûts de Wal Mart et Carrefour, de la différenciation de Sephora ou de Fnac ou de la segmentation de Gap, Zara, Hennes & Mauritz ou bien encore Ikea Très importante pour la distribution est aussi la chaîne de valeur (Porter 1985), qui permet à des entreprises de distribution qui ont été capables de s’intégrer en amont ou en aval de dégager des avantages fondamentaux par rapport à leurs concurrents. Une autre composante de la réflexion stratégique de Porter qui a connu un certain succès dans la distribution pendant plusieurs années est l’interrelatio ns entre les différentes « unités d’affaires » ; ce concept a été à la base des conglomérats qui ont connu un certain succès dans la distribution pendant des années, mais qui semblent profondément remis en question récemment. Le dernier aspect de l’œuvre de Porter qui nous semble s’appliquer pleinement dans la distribution est la stratégie offensive: pour attaquer un leader on peut modifier le domaine géographique de la concurrence (Porter 1987). Il s’agit d’une possibilité bien connue parce qu’on a vu plusieurs entreprises très bien placées ou leaders au niveau régional perdre leur position face à des concurrents de taille nationale qui pouvaient générer des économies impossibles à obtenir à un niveau inférieur. C’est la notion de “taille critique” qui est devenue de plus en plus un thème de réflexion fondamental pour les entreprises de la distribution qui se battent au niveau international, voire mondial. Dans le domaine de la pensée stratégique plus orientée vers l’international, plusieurs éléments peuvent s’appliquer dans la distribution aussi : il s’agit de l’introduction de la stratégie globale (Levitt1983) à côté des traditionnelles stratégies internationale et multinationale, mais aussi bien d’un concept qui nuance et modifie cette orientation en introduisant des différenciations géographiques, comme c’est le cas de la compétition globale dans la Triade (Ohmae 1985). Le débat globalisation-régionalisation a été maintes fois approfondi dans la pensée académique et managériale dans les années suivantes, mais une récente étude a montré que parmi les premières 500 entreprises au monde du classement Fortune seulement 9 apparaissent vraiment globales, tandis que 320 sont définies « orientées vers le marché régional domestique » (home region oriented) et 25 sont classées comme bi-régionales (Rugman et Verbeke 2004). Aucune entreprise de la distribution n’est classée dans les entreprises globales ou bi-régionales, tandis qu’on peut trouver deux firmes, Ahold et Delhaize Le Lion dans la catégorie des entreprises avec une partie fondamentale du chiffre d’affaires dans une région différente de celle domestique (host region-based) et deux autres, Wal Mart et Carrefour qui sont classées dans la catégorie des « home region oriented ». On peut diviser la littérature sur l’internationalisation de la distribution en deux domaines: d’un côté, on trouve les études sur l’évolution et les raisons du développement international, de l’autre on peut classer la recherche de quelques modèles stratégiques pour l’internationalisation. Dans le premier domaine, les contributions les plus importantes sont certainement les suivantes: • La division de l’histoire internationale de la distribution en cinq phases (Alexander 1997); 5 • Les études sur les raisons de l’internationalisation, parmi lesquelles on trouve des raisons « contingency» ou « context» (Hallsworth 1992), mais aussi toutes les contributions au débat entre les raisons proactives et les réactives. Dans la même ligne de réflexion se situent les études de Treadgold (1991) sur les attitudes des entreprises dans le processus d’internationalisation. Le schéma de Treadgold a été utilisé quelques années après par d’autres auteurs pour vérifier les attitudes des principales entreprises de la distribution alimentaire européenne face à la globalisation de l’économie (Myers et Alexander 1996). Les motivations des entreprises ont été étudiées aussi par Alexander (1995), qui a trouvé quatre catégories en combinant le niveau de saturation du marché national et le niveau des opérations à l’international. Dans les études de Treadgold et d’Alexander, ce sont la volonté et l’attitude des entreprises qui deviennent de plus en plus tournées vers l’international qui expliquent les stratégies des entreprises, même s’il ne faut pas oublier l’expérience acquise ou la situation de la concurrence sur le marché national. Dans la ligne des raisons, mais aussi des stratégies suivies par les entreprises dans leur processus d’internationalisation, Dawson a donné une contribution fort originale en introduisant le concept d’opportunisme comme l’une des explications majeures pour comprendre les mouvements internationaux (Dawson 2001) ; l’auteur arrive même à définir que derrière un certain nombre d’opérations on peut trouver le hasard (serendipity). Il est certain que les conditions de l’environnement peuvent influencer profondément les comportements des entreprises, surtout dans un contexte international, mais les conditions extérieures à l’entreprise peuvent seulement, à notre avis, renforcer ou modifier ses attitudes et sa volonté, sans pouvoir en aucun cas se substituer complètement à celles-ci. Du côté des réflexions stratégiques, les études sont assez récentes, parce qu’elles commencent vers la fin des années ’80, même s’il ne faut pas oublier la première contribution importante de Hollander (1970), qui classe les entreprises de distribution qui se sont développées au niveau international en cinq catégories: distributeurs d’articles de luxe, distribution généraliste, compagnies commerciales, chaînes spécialisées et vente directe. L’étude de Hollander est certainement importante, mais il s’agit plutôt d’une description à partir de la réalité des années ’60 que d’une tentative de trouver des stratégies internationales. Dans la ligne de la réflexion stratégique se situent les études menées dans les années suivantes par plusieurs auteurs. Treadgold (1988), combine la présence géographique avec le niveau des coûts et de contrôle des opérations internationales choisis par chaque entreprise, Salmon et Tordjman (1989), définissent trois stratégies pour les entreprises internationales: il s’agit de la stratégie globale, de la stratégie multinationale et de la stratégie d’investissement. Les contributions de Salmon et Tordjman concernent l’introduction dans la réflexion des formules de distribution, à la place des entreprises dans leur entier, mais aussi le transfert de savoir-faire, qui change en profondeur dans chaque stratégie et qui devient une composante importante de l’orientation stratégique des entreprises. Le thème de l’adaptation ou de la standardisation de la formule (ou des formules) est l’un des plus importants dans le débat sur l’internationalisation, en correspondance avec le même dualisme dans le domaine du produit pour le marketing industriel. Dupuis (1991), décrit trois formes d’internationalisation: l’exportation d’un concept fort, l’exportation du capital, la recherche d’alliances efficaces. Les contributions les plus importantes de Dupuis concernent les accords de coopération, qui sont devenus très 6 nombreux dans des années récentes, aussi bien à cause des centrales d’achat européennes que des accords de joint venture utilisés pour pénétrer des nouveaux marchés, et la notion de taille critique, qui signifie la dimension nécessaire pour se confronter avec des fournisseurs de plus en plus internationaux, voire mondiaux; c’est une notion importante et qui aura un grand succès dans les années suivantes, mais qui a assumé aussi une autre signification plutôt interne à l’entreprise comme nous avons décrit précédemment. Pellegrini (1994), insère le développement international dans la générale stratégie de croissance des entreprises en utilisant la célèbre matrice d’Ansoff adaptée à la distribution. Alexander (1997), introduit dans la recherche une analyse sur les différences entre le secteur alimentaire et celui non alimentaire, aussi bien que sur l’internationalisation des différentes formules. Les contributions les plus importantes de ce travail d’Alexander sont l’introduction de la stratégie de localisation des magasins et la possibilité d’exporter des formules innovantes d’un marché développé sur d’autres marchés en phase de maturité; plusieurs exemples semblent démontrer que les spécificités nationales, créées pendant une longue période, sont très importantes sur les marchés les plus développés, tandis que dans les pays qui ont un certain décalage il semble plus facile de surmonter les caractéristiques de la distribution nationale. Dans des années récentes, plusieurs auteurs ont cherché de réaliser des synthèses des différents travaux sur l’internationalisation de la distribution pour créer des modèles capables d’intégrer toutes les variables fondamentales de la stratégie internationale pour les entreprises de la distribution. Les contributions les plus importantes de ces travaux nous apparaissent: • La culture et l’apprentissage international, même au niveau des entreprises qui gèrent un portefeuille d’activités différentes (Helfferich, Hinfelaar et Kasper, 1997); • L’application de la courbe d’expérience au niveau international avec un modèle dynamique basé sur les théories comportementalistes (Vida et Fairhurst, 1998); • L’introduction de l’attitude envers le risque pour la construction d’un modèle normatif pour les entreprises américaines qui combine le paradigme éclectique de Dunning avec les stratégies définies par Salmon et Tordjman (Sternquist, 1997). La culture est certainement un élément-clé pour la distribution parce que les entreprises de distribution doivent répondre aux besoins et aux attentes des consommateur s sur chaque marché, il est donc très important de considérer cet aspect comme l’un des éléments majeurs pour l’internationalisation de la distribution. Les résultats des expériences internationales sont certainement, eux-aussi, un élément majeur à considérer pour l’élaboration et la mise à jour d’une stratégie internationale, comme plusieurs exemples nous confirment. En même temps, l’apprentissage international gagné par une longue expérience peut donner un avantage fondamental face aux concurrents. Dans une période récente plusieurs auteurs se sont penché sur les échecs à l’international de quelques grandes entreprises de distribution pour chercher à les expliquer de l’intérieur de l’entreprise (Burt et alii 2002, Bianchi et Arnold 2004) ou pour essayer de modéliser les différentes raisons externes et internes qui peuvent motiver la sortie d’un marché étranger (Burt, Dawson et Sparks 2003). Une autre piste de réflexion qui rencontre un intérêt croissant est la possibilité de transférer au niveau international l’image de l’enseigne (Tordjman 1988, Dupuis 1991, 7 Burt et Carralero-Encinas 2000, Giraldi, Spinelli et Merlo 2003) en sachant que l’image et le positionnement représentent souvent un avantage compétitif important sur le marché domestique. L’attitude envers le risque est aussi une partie fondamentale de l’orientation générale de l’entreprise, ce qui peut réellement faire la différence parmi des entreprises qui se trouvent dans la même situation de départ. La réflexion stratégique sur les modèles d’internationalisation de la distribution intéresse de plus en plus le secteur du conseil, outre celui de l’Académie. McKinsey a proposé il y a quelques années un modèle basé sur un « cercle vertueux » qui se compose de trois phases : l’accès au marché, l’acquisition de la taille critique, mais surtout l’apprentissage de l’expertise internationale (Incandela, McLaughlin, Smith, 1999). L’approche internationale proposée trouve ses points fort d’un côté dans la capacité des entreprises à trouver des alliés dans leur développement international et à gérer de manière efficace ces collaborations, de l’autre dans leur capacité à investir sur des actifs intangibles, mais très difficiles à copier par les concurrents, comme la marque, la réputation, les technologies et les outils de gestion. McKinsey utilise aussi la capitalisation des différentes entreprises comme un outil pour évaluer leur capacité à gagner des avantages compétitifs sur les concurrents de la même catégorie ; à travers cette analyse, ils définissent quatre typologies de distributeurs internationaux : les leaders nationaux sans aucune présence internationale (incumbents), les intégrateurs (integrators), les experts, les hors-catégories (superleaguers). Dans notre thèse (Pederzoli 2002), à partir des travaux académiques et managériaux précédents, nous avons construit et testé un modèle pour l’internationalisation des entreprises de distribution qui est basé sur 20 variables ; pour la construction et la validation du modèle, nous avons utilisé des sources documentaires aussi bien que l’apport donné par des experts internationaux de la distribution provenant du monde académique. Le modèle qui sortait de notre travail peut être schématisé de la façon suivante : 8 Tab. 1 Un modèle pour l’internationalisation des firmes de distribution FORMULE économies externes CONTRÔLE DU CANAL fort STRATÉGIE MARKETING POSITIONNE MENT globale global CONCESSION/ LICENCE FRANCHISE peu importante peu importante COÛTS DE AVANTAGES DE TRANSACTION LA FIRME peu important très important ORIENTAT. GÉNÉRALE TEMPS offénsive expérience acquise ORGANISATION CONCURRENCE centralisée élevée ADAPTATION DE LA FORMULE MARCHÉS VISÉS GESTIONE DES R.H. distance culturelle management national ACQUISITION DEVELOPT DIRECT standardisation JOINTVENTURE moyenne importance importance élevée importance très élevée CONCURR. . OLIGOPOL peu important RESSOURCES FINANCIÈRES élevées A partir des analyses effectuées et des modèles étudiés ou élaborés, nous allons maintenant vé rifier si les derniers mouvements internationaux des principales entreprises confirment les variables stratégiques déjà mises en place dans la décennie précédente ou si nous assistons à des changements importants, voire des bouleversements, des axes stratégiques suivis jusque là. 2. Les comportements les plus récents des entreprises internationales En analysant les stratégies et les mouvements internationaux de ce début de siècle, il nous semble pouvoir schématiser quatre tendances fondamentales qui se différencient par rapport aux périodes précédentes : la modification de la notion de taille critique, le développement multi- format et multi-enseigne, l’apparition d’une orientation géocentrique, la flexibilité des stratégies d’entrée. 2.1 Pendant la première partie du XXIe siècle, l’un des moteurs fondamentaux de la croissance internationale n’a pas diminué son importance dans la stratégie des entreprises : la recherche de la taille critique . Toutes les principales entreprises ont continué leur développeme nt international aussi bien à travers la croissance organique que par acquisition. Cette tendance nous semble toutefois profondément modifiée par 9 rapport à la décennie précédente parce que les effets de taille au niveau global sont mis en discussion et le nouveau mot d’ordre semble la recherche de la taille économique suffisante sur chaque marché. Plusieurs exemples peuvent conforter cette réflexion : - La crise internationale de Royal Ahold, avec un procès de restructuration qui a déjà entraîné l’abandon des marchés de l’Amérique Latine et de l’Asie. On connaît bien que la crise de l’entreprise hollandaise a été causée par les irrégularités comptables découvertes dans une filiale américaine, mais cette découverte et la chute de la valeur boursière qui en a suivi n’ont fait que mettre en évidence que l’entreprise avait atteint un niveau de dette insupportable et que trop de ses activités internationales n’étaient pas rentables. La crise d’Ahold a mis en discussion un modèle de croissance internationale trop rapide et coûteux, mais aussi mal maîtrisé parce que les synergies souhaitées n’ont jamais vraiment fonctionnées entre les différents pays et même à l’intérieur du marché le plus important, les Etats-Unis, où les différents enseignes possédées travaillaient, elles-aussi, de manière non coordonnée. - Le processus de concentration de Carrefour sur le marché européen, qui représente plus de 85% de son chiffre d’affaires globale en 2003, semble confirmer que l’internationalisation dispersée n’est plus une stratégie viable. On peut coupler ce constat par la volonté affirmée par le management de l’entreprise d’occuper toujours une position de leader dans les marchés sur lesquels l’entreprise est présente, ou bien de pouvoir atteindre cet objectif dans le court terme. Fait certainement partie de cette stratégie l’abandon du Chili à la fin 2003 parce que dans le pays andin le numéro deux mondial stagnait depuis longtemps et n’avait pas des réelles perspectives de croissance à court terme pour rejoindre une position de leader. Par contre, toutes les opérations menées en Europe, de l’achat du groupe belge GB au contrat de franchise passé avec Norgesgruppen en Norvège, au développement direct en Grèce et Turquie confirment cette volonté de Carrefour d’occuper une position parmi les deux/trois principaux opérateurs sur chaque marché abordé. L’autre grand axe de développement du Groupe au niveau mondial est la Chine, pays dans lequel le géant français est en train d’exporter toutes ses formules modernes, comme on verra ultérieurement, tandis que Carrefour semble non intéressé par le marché russe, pourtant cible privilégiée pour un certain nombre de ses concurrents, dont Auchan. - La stratégie de Kingfisher répond à la même logique parce que le plus grand conglomérat non alimentaire a abandonné sa politique et est arrivé jusqu’à la séparation de ses opérations dans le bricolage de celle dans l’électroménager. En même temps le groupe britannique a cédé les activités non rentables ou dans les pays dans lesquels il occupait une position faible, comme Réno Dépôt au Canada, Pro Markt en Allemagne, Nomi en Pologne, aussi bien que les magasins Castorama en Allemagne. Il semble donc évident que les synergies internationales souhaitées par la création d’un grand conglomérat n’ont pas réussi, au moins dans la mesure attendue, mais que dans le secteur du bricolage non plus, les économies obtenues sur les marchés les plus importants ne justifient pas une présence beaucoup plus faible dans d’autres pays. - Le dernier exemple des effets de taille est représentée par les difficultés de Wal Mart en Allemagne. Le géant américain, après quatre ans d’efforts, est obligé d’essuyer encore des pertes importantes, qu’on estime autours de 100 millions 10 d’Euros. 1 Il est évident que la dimension de l’entreprise au niveau global n’est pas capable de lui assurer les économies indispensables sur un marché hyperconcurrentiel comme celui de l’Allemagne, surtout parce que la dimension du leader mondial sur ce marché est trop limitée par rapport à ses principaux concurrents. Cette considération peut être confirmée par le succès des opérations de sa filiale britannique Asda, qui continue d’augmenter sa part de marché dans le pays et qui présente des résultats fort positifs, mais qui occupait déjà la troisième position sur son marché avant le rachat de la part de Wal Mart. La notion de taille critique semble donc mieux se préciser et on abandonne l’optimisme parfois excessif des années ’90. Le débat autour de la notion de taille critique dans la distribution date depuis plusieurs années, mais les mouvements récents des entreprises de distribution semble confirmer la préconisation de Filser (2004) selon laquelle « dans le contexte de la stratégie de la firme de distribution …. la taille critique est plutôt définie par la part de marché relative d’un distributeur vis à vis de ses concurrents ». Il faut, à notre avis, considérer deux aspects dans les effets de taille : d’un côté, il y a les économies d’échelle, de l’autre les économies de dimension. Les économies d’échelle ne sont certainement pas aussi importantes dans la distribution que dans l’industrie parce qu’il y a des plus en plus de réglementations dans tous les pays qui concernent les relations industrie-distribution ; cet aspect de l’avantage lié à la taille de l’entreprise est donc assez limité, mais il ne faut pas oublier non plus les économies d’échelle dans le domaine de la logistique ou de la communication que les entreprises qui possèdent un réseau de magasin très dense peuvent exploiter. A notre avis, il faut aussi considérer les économies d’échelle que les entreprises les plus importantes peuvent obtenir dans le domaine de la création et de la production des marques de distribution. Dans ce domaine, la dimension des économies possibles se rapproche beaucoup de celui de l’industrie, surtout si les marques propres peuvent être vendues dans plusieurs pays, voire dans tous les pays dans lesquels l’entreprise est présente. Il est donc évident que, au niveau international, les économies d’échelle sont d’autant plus importantes que la part des marques propres sur les ventes totales est élevée. Cette considération introduit une différenciation importante entre deux types d’entreprises de distribution : d’un côté, les entreprises de la grande distribution et un certain no mbre de grandes surfaces spécialisées, qui sont obligé de changer leurs fournisseurs et leurs assortiments d’un pays à l’autre et qui donc n’arrivent pas à dégager des économies d’échelle importantes en dehors de chaque pays ; de l’autre côté, les entreprises qui offrent une grande majorité de marques propres, comme les chaînes spécialisées, qui sont capables de garder le même assortiment partout dans le monde et qui peuvent donc exploiter des économies d’échelle importantes au niveau global. La deuxième source d’effets de tailles sont les économies de dimension et dans cette catégorie les plus importantes nous apparaissent les économies liées à l’utilisation de la technologie. La distribution est en train de devenir un secteur qui exploite de plus en plus de technologies avancées qui permettent souvent de gagner des avantages importants face aux concurrents moins performants dans le domaine de la 1 La Lettre de la distribution internationale, Mai 2004 11 gestion des stocks, de la définition des assortiments, de la gestion de l’espace dans les magasins, des relations avec les fournisseurs. Les coûts de ces technologies sont élevés et seulement les entreprises qui réalisent un certain niveau de chiffre d’affaire et de bénéfice peuvent les développer ou les utiliser. La notion de taille critique représente donc dans ce cas la barrière entre les entreprises avancées et les autres, mais ces technologies permettent aussi d’augmenter la différence entre les entreprises les plus performantes et les autres, ce qui peut donc élever le niveau des barrières entre les deux catégories au fil du temps. Dans ce cas, le chiffre d’affaires et surtout le cash flow et le bénéfice représentent donc un atout pour accéder et exploiter des technologies des plus en plus avancées et qui améliorent la performance ; la recherche de la croissance au niveau international répond donc à cette stratégie, mais cela n’empêche que les entreprises doivent être rentables et il faut donc bien évaluer les opérations sur tous les marchés. Une deuxième conséquence qu’on peut observer à partir des mouvements des entreprises à la recherche de la taille critique on pourrait l’appeler « back to basic » ; après des années de croissance tous azimuts et caractérisées par l’importance accrue de la finance, on assiste au retour de la gestion et à l’importance des résultats, non seulement des taux de croissance du chiffre d’affaires. Les exemples déjà cités de Ahold et Kingfisher sont une confirmation importante de cette nouvelle orientation, mais on peut souligner que Carrefour s’est fortement recentré sur sa gestion, en vendant aussi une partie des ses activités non stratégiques comme les magasins d’optique et les galeries commerciales pour réduire son endettement. Faudra-t- il inscrire dans cette ligne stratégique le groupe Inditex aussi ? La question se pose car le groupe a obtenu pendant 2003 pour la première fois des résultats assez décevants ; ce n’est pas la variation du chiffre d’affaires qui ne satisfait pas, bien au contraire, mais c’est la marge qui est négative pour la première fois depuis plusieurs années. Les explications peuvent être multiples et certainement la dévaluation du dollar américain a beaucoup contribuée à cette sous performance, mais son principal concurrent, H&M, affiche des résultats très positifs, on peut donc se questionner si l’expansion internationale du groupe n’est pas trop rapide ou trop dispersée, étant donné que dans certains pays le groupe n’exploite que très peu de magasins. Le Groupe ne donne pas des chiffres sur ses résultats dans les différents pays, mais il serait très intéressant de pouvoir analyser ces chiffres pour comprendre si même Inditex doit réviser sa stratégie internationale dans le sens de la recherche des économies par pays et non seulement au niveau global. Les opérations internationales les plus récents des principales entreprises semblent confirmer la première partie de notre modèle, étant donné que les mouvements internationaux dispersés semblent avoir été abandonnés par les principales entreprises, qui préfèrent désormais des opérations que peuvent donner la dimension critique pour chaque pays, ou zone géographique homogène, en très peu de temps. Pour gagner cette dimension économique, les entreprises se basent de plus en plus sur une organisation centralisée, des formules fortes et bien maîtrisées et, souvent, une centralisation des achats et de la relation avec les fournisseurs pour contrôler le circuit de distribution. En même temps, ces entreprises standardisent leurs formules et adoptent une stratégie marketing et un positionnement globaux pour exploiter le maximum d’économies possibles au niveau international (voire le développement des marques de distribution 12 dans tous les pays), mais elles sont très attentives aux ressources financières dégagées pour financer leur développement et l’amélioration de leur performance sur tous les marchés. 2.2 La deuxième tendance qui émerge dans les opérations internationales récentes est le développement multi-format et multi-enseigne . Il s’agit d’une stratégie relativement nouvelle, mais qui est en train de s’accentuer dans les années plus récentes, sans distinction entre les différents niveaux de développement des marchés visés. Les exemples de cette tendance sont nombreux, on peut donc chercher à le schématiser en prenant en considération les deux secteurs, alimentaire e non alimentaire. Dans l’alimentaire, quelques exemples très intéressants sont ceux de Wal Mart, Carrefour, Casino, Tesco e Metro. Wal Mart a concentré depuis quelques années sa croissance internationale sur la formule du supercenter, mais il vient d’annoncer l’ouverture de plusieurs warehouse club, l’une des formules qui ont le plus contribué à son succès sur le marché domestique, au Canada ; plusieurs Sam’s Club sont aussi présent en Asie et en Amérique du sud. Le numéro un mondial est aussi entré sur le marché japonais à travers une prise de participation dans Seiyu, une entreprise spécialisée dans la gestion de la formule du supermarché. Wal Mart a apporté au réseau Seiyu son savoir- faire en matière de gestion et a aidé l’entreprise dans l’ouverture du premier hypermarché de 8.000 mètres carrés, qui s’est réalisée en avril 2004. Carrefour a ouvert pendant le mois de novembre 2003 ses premiers discounts Dia en Chine, où il prévoit de mettre en place un réseau de 400 magasins dans 5 à 6 ans ; en avril 2004 on a assisté aussi au débarquement en Chine des supermarchés Champion, ainsi toutes les formules du Groupe, hors proximité, sont présentes dans le pays. Le Groupe a annoncé sa volonté d’utiliser l’expérience chinoise pour développer son réseau de supermarchés et de discounts dans d’autres pays d’Asie. Le Groupe Casino ha exporté en Pologne non seulement son enseigne d’hypermarché Géant, ma aussi celle de discount, Leader Price, et compte déjà une soixantaine de magasins discount dans ce pays ex-communiste. Des magasins Leader Price sont aussi présent en Argentine et en Thaïlande, dans ce cas à côté des autres formules qui affichent des enseignes locales que le Groupe a rachetées ou développé dans ce pays. Le leader britannique Tesco, spécialiste des superstores dans son pays, développe surtout des hypermarchés à l’international, mais n’a pas hésité à racheter une chaîne de convenience store en 2003 et une petite chaîne de supermarché en 2004 au Japon, avec une stratégie très différente de celle de ses principaux concurrents internationaux qui cherchent à pénétrer le pays du soleil levant à travers des grandes surfaces. Il ne faut pas oublier non plus que l’entreprise a annoncé pour 2004 et 2005 l’ouverture de plusieurs supermarché de taille moyenne en Pologne, pays dans lequel elle est présente avec 38 hypermarchés. Le leader allemand Metro, qui d’habitude débarque sur les nouveaux marchés avec la formule du Cash & Carry, exporte aussi ses hypermarchés en Turquie et en Pologne, tandis que le management déclare de n’avoir aucune intention de se lancer dans le secteur du détail en Russie ou en Chine, où la présence des C&C est plutôt importante. Dans le secteur non alimentaire, quelques exemples intéressants sont le groupe espagnol Inditex, le groupe italien Miroglio et le groupe français PPR. 13 Le Groupe Inditex est en train d’exporter non seulement son enseigne-phare, Zara, ma plusieurs autres qui ont une cible différente : Zara est actuellement présente dans 48 pays, Massimo Dutti dans 24, Pull & Bear dans 17 et la bien plus récente Berska dans 13. La toute dernière- née, Zara Home, tout de suite après sa première ouverture en Espagne, s’est implantée avec un corner dans le nouveau mégastore Zara de Londres, mais en juillet 2004 elle est déjà installée dans 4 pays différents. Le groupe textile italien Vestebene – Miroglio suit une stratégie semblable parce qu’il a décidé d’exporter progressivement non seulement son enseigne la plus connue, Motivi, mais aussi les autres qui ont été développées entre temps, Elena Miro’, Caractère et Oltre. La présence internationale du Groupe est donc devenue de plus en plus importante et s’est diffusée de l’Europe en Amérique Latine, au Moyen Orient. PPR, premier groupe européen dans le détail non alimentaire, exporte ses enseignes spécialisées en même temps sur plusieurs marchés, tels que l’Espagne où sont déjà présente La Redoute, Conforama et Fnac, et l’Italie qui voit la présence de Fnac et de Emmezeta, la chaîne qui ressemble à Conforama et que le groupe a achetée il y a quelques années. Cette tendance au développement multi-enseigne s’explique par deux types d’avantages au niveau international : d’un côté, il s’agit de la construction et de l’exploitation de la taille critique au niveau de chaque pays que nous avons décrit précédemment, de l’autre il s’agit en même temps d’exploiter la courbe d’expérience internationale de l’entreprise. En ce qui concerne le premier aspect, la notion de taille critique signifie aussi bien les volumes d’achat pour gagner un pouvoir de négociation face aux fournisseurs que l’optimisation des coûts et structures centrales crées dans le pays, de la logistique aux fonctions marketing, à la gestion des ressources humaines. Les avancements technologiques appliqués dans ce secteur, permettent de plus en plus souvent de mettre en place des plates- formes logistiques uniques qui servent les différents formats, il est donc évident quels peuvent être les avantages en terme de coûts de la fonction logistique si l’on peut ajouter à un réseau d’hypermarché un deuxième de hard discount et éventuellement un troisième de supermarché sans devoir, bien évidemment, ajouter d’autres entrepôts ou plates- formes d’éclatement. L’exemple du Groupe Inditex à ce propos est encore plus frappant, étant donné que toute la logistique des enseignes du groupe, y compris les produits de vaisselle de Zara Home, se concentre sur les deux immenses entrepôts de La Coruna et de Barcelone, toujours en Espagne. En ce qui concerne la courbe d’expérience, il semble apparaître que les principales entreprises cherchent à exploiter l’apprentissage international qu’elles ont acquis à travers le développement d’une enseigne pour l’appliquer aux autres, en raccourcissant ainsi de manière significative le rythme de croissance des nouvelles enseignes. Cette évolution signifie pour les entreprises la mise en place d’une fonction développement international au niveau « corporate » et non seulement dans chaque enseigne, bien que les autres fonctions marketing soient normalement séparées pour préserver et développer l’identité de chaque enseigne. En ce qui concerne le développement dans un pays, la stratégie normalement suivie est celle de confier à la direction de la première enseigne qui s’est implantée la responsabilité de suivre aussi le développement des autres enseignes jusqu’au moment où la taille des nouvelles enseignes ne permet la création d’une direction autonome. De cette manière on exploite la courbe d’expérience du management qui est déjà dans le 14 pays pour accélérer l’implantation des autres enseignes du groupe et, en même temps, on réduit le coût d’entrée des nouvelles enseignes qui peuvent créer leur structure de management au fur et à mesure de leur croissance dans le pays. 2.3 Un troisième élément de la stratégie internationale récente des principales entreprises semble l’apparition d’une orientation beaucoup plus géocentrique que dans les années précédentes. Pendant une grande partie de leur histoire internationale, toutes les entreprises les plus importantes ont utilisé leurs marchés domestiques comme seule source de recherche et d’innovation, tandis que le début de ce nouveau millénaire montre une attitude beaucoup plus ouverte dans le domaine de l’apprentissage international. Deux exemples nous apparaissent particulièrement importants pour illustrer cette démarche, d’un côté l’expérience de Wal Mart et de sa marque de vêtements George et de l’autre côté la création et diffusion de la MDD N° 1 chez Carrefour. En démarrant par ce dernier, il est bien connu que la marque de premiers prix N° 1 a été crée par Carrefour Espagne pour répondre à l’offensive de plus en plus lourde des hard discounts ; le succès de ce lancement a été tel que les produits N° 1 ont ensuite été introduits dans les hypermarchés du groupe en France, en Italie, en Pologne et il y a aussi un projet pour les insérer dans les assortiments de tous les magasins du groupe, y compris les supermarchés. Quant à Wal Mart, le géant de Bentonville a trouvé la marque de vêtements George dans l’escarcelle de Asda à l’occasion de l’achat de la chaîne britannique. Dans ce cas aussi, l’originalité et le succès de la marque ont amené Wal Mart à expérimenter pendant deux ans son introduction dans l’assortiment d’un certain nombre de ses magasins en Allemagne, Corée, Mexique, Japon et Etats-Unis, avant d’arriver à la décision, annoncée en mai 2004, de mettre en place une division George Global au niveau du siège. 2 La nouvelle division sera en charge de la conception, production et distribution des produits à la marque George pour toutes les enseignes du groupe. En septembre 2003, Wal Mart a crée deux magasins à l’enseigne George en Grande Bretagne avec l’objectif d’expérimenter une nouvelle formule commerciale en concurrence avec d’autres enseignes d’habillement du pays. Pour l’instant on n’a pas de nouvelles sur les résultats de cette expérimentation et sur la possibilité de son extension en dehors de la Grande Bretagne, mais il est évident que l’apprentissage international de Wal Mart continue. Le temps apparaît donc comme une variable fondamentale pour une stratégie internationale réussie, surtout quand les entreprises sont capables d’exploiter cette variable pour apprendre au niveau international et pour diffuser les pratiques les plus performantes dans tout leur réseau. 2.4 Le quatrième élément important de la stratégie internationale que nous avons trouvé concerne la flexibilité des stratégies d’entrée sur les nouveaux marchés. Pendant les deux décennies précédentes, on a souvent constaté des stratégies d’entrée très coûteuses, avec l’objectif de se garantir un contrôle fort des opérations internationales menées, tandis que plusieurs développements récents semblent s’orienter vers une direction presque opposée. Si l’on considère les mouvements internationaux de Carrefour dans les années de 2000 à 2003, on peut remarquer que son entrée en Suisse 2 M+M Planet Retail, 25/05/2004 15 s’est passée à travers un joint-venture avec l’entreprise de la famille Maus, tandis que sa pénétration de la Norvège s’est réalisée par un contrat de franchise avec Norgesgruppen. En même temps, la présence de l’enseigne en Roumanie et confiée à un franchisé historique, la société Arlaud. Il est vrai que, pendant la même période, Carrefour est débarqué au Japon en solo et que la situation de l’Argentine l’a obligé de racheter complètement la société dont il détenait une participation, mais il est remarquable d’assister à ce changement de stratégie de la part d’une des entreprises les plus intégrées au niveau international. Wal Mart, de son côté, ne semble pas moins flexible, vu son choix de pénétrer le marché japonais à travers le rachat de 36% des actions de Seiyu, bien qu’il existe un accord pour monter au-dessus de 60% dans quelques années ; jamais dans les opérations internationales de Wal Mart on avait assisté à son entrée sur un marché sans prise de contrôle totale de sa filiale étrangère. Tesco, après l’achat en 2003 de la chaîne japonaise C-Two Network et de la chaîne turque Kipa, en avril 2004 a accepté de devenir le sponsor de la firme japonaise Frec’s, qui a entamé un programme de redressement à cause de sa mauvaise situation financière ; le sponsoring représente le premier pas pour racheter la firme japonaise, mais il s’agit quand même d’une nouveauté absolue pour le leader britannique. Un quatrième exemple est Leclerc, qui, pour son entrée sur le marché italien, a choisi le contrat de joint-venture avec la coopérative de détaillants Conad, mais en laissant 60% des droits de vote de la nouvelle société au partenaire italien. Tous les hypermarchés de la nouvelle société afficheront l’enseigne Leclerc, qui apporte son savoir- faire dans la conception et gestion de cette formule, mais le management sera italien. Zara, dans son développement international a toujours privilégié la croissance interne, sauf pour les pays les plus éloignés au plan culturel ou avec un potentiel faible, mais pour débarquer sur le marché italien a conclu un joint venture avec le Groupe Percassi, présent dans l’immobilier commercial, mais en même temps l’un des plus importants franchisés de Benetton en Italie. D’autres entreprises qui utilisaient déjà des stratégies d’entrée à coût réduit, comme la franchise ou les accords de licence, continuent sur cette route, voire sont en train de l’intensifier en utilisant ces types de contrat même dans des zones proches sur le plan géographique et culturel. Dans ce domaine, on assiste donc à quelques changements importants par rapport aux tendances précédentes, mais derrière ces changements on pourrait avoir aussi bien des raisons stratégiques que d’autres d’ordre tactique. Sur le plan stratégique, il est vrai qu’il est de plus en plus difficile de pénétrer de nouveaux marchés, surtout quand ils sont très concentrés, comme c’est le cas pour les pays scandinaves, ou très différents au plan culturel, comme c’est le cas du Japon ; voilà ce qui pourrait donc expliquer des stratégies d’entrée adaptées à la situation du marché. Du côté tactique, on peut souligner l’incertitude économique générale, la morosité de la consommation dans plusieurs pays et presque dans tous les secteurs, quelques risques pays qui existent encore dans certaines zones ; tout cela semble justifier pleinement la décision d’adopter des stratégies d’entrée peu risquées, au moins jusque quand la situation économique internationale ne montre des signes d’amélioration substantie ls. 16 Conclusions et pistes de réflexion ouvertes Comme on a vu dans l’analyse empirique réalisée, ils apparaissent des changements importants dans les stratégies internationales des entreprises de distribution au début de ce nouveau millénaire ; il ne s’agit pas de véritables renversements par rapport au modèle stratégique que nous avions élaboré il y a seulement trois ans à partir des expériences des années ‘90, mais il ne s’agit pas non plus de modifications négligeables. Les entreprises protagonistes de ces changements appartiennent surtout au secteur alimentaire, ce qui ne représente pas une surprise si l’on considère le niveau de concurrence que les principales entreprises se livrent désormais au niveau global ; on voit apparaître, toutefois, des tendances semblables dans le secteur non alimentaire, surtout quand le niveau de concentration et la concurrence internationale s’intensifient. Certaines tendances, comme celles liées aux stratégies d’entrée, semblent posséder une composante tactique importante, et on pourra donc probablement assister à d’autres changements quand la situation économique et sociale sera plus stable et définie ; d’autres tendances, comme la recherche de la taille critique dans chaque marché, apparaissent beaucoup plus profondes et vont devenir donc avec toute probabilité une composante fondamentale de la stratégie pour toutes les entreprises dans les prochaines années. Les modèle issu de notre thèse n’est pas remis en question par cette analyse sur les dernières années, il en est même renforcé dans son coté préscriptif sur la nécessité de mettre en place une stratégie vraiment globale pour réussir son processus d’internationalisation. Les modifications les plus importantes concernent les stratégies d’entrée et les vecteurs de crois sance à l’international, mais, comme nous avons souligné plus haut, c’est le cadre général qui a changé et qui se présente beaucoup plus incertain dans cette dernière période que dans les onze ans de notre recherche de thèse. Les pistes de réflexion ouvertes sont multiples : • la première concerne l’évaluation des attitudes envers le risque et les moyens utilisés pour réduire ce type de risque, surtout en période d’incertitude. La seule réponse dans notre analyse sont les stratégies d’entrée et les vecteurs de croissance, mais il serait très intéressant de comprendre s’il y a des stratégies défensives dans le domaine des assortiments, de la politique de prix ou dans d’autres variables marketing importantes que nous n’avons pas pu analyser à partir des sources documentaires utilisées. • La deuxième piste de réflexion concerne le risque de réduction des différences entre les différentes formules dans une stratégie multi-enseigne ; il ne s’agit pas, dans ce cas, d’un risque sur le marché national, où les enseignes se sont affirmées et où les consommateurs les connaissent en profondeur, mais d’un risque qui pourrait exister sur les marchés étrangers, surtout s’ils se trouvent à un faible niveau de développement et donc les consommateurs ne connaissent pas les différentes formules. Le choix stratégique des firmes d’exporter les différentes formules mais en réalisant aussi une forte centralisation des achats et d’autres aspects marketing pour gagner en terme d’économies d’échelle et de dimension, contient le risque que les assortiments et les marques se rassemblent dans les différentes formules, par conséquent en donnant aux consommateurs une image non bien définie. • La troisième piste concerne les stratégies des entreprises non occidentales : après des années de quasi totale absence de la scène internationale, les entreprises des pays d’Orient s’orientent de plus en plus vers l’international, comme c’est le cas de 17 • Ito Yokado qui a débarqué en Chine avec la formule de l’hypermarché mais qui annonce aussi de vouloir exporter ses convenience store « seven/eleven » dans plusieurs pays. La question se pose de savoir si les entreprises orientales sont en train de suivre les mêmes stratégies que celles occidentales ou si les routes sont différentes, suite aussi à la culture organisationnelle de ces entreprises. Une quatrième piste concerne l’effet de la propriété des entreprises sur leur stratégie internationale : dans la distribution on a encore un certain nombre d’entreprises qui ne sont pas cotés en Bourse et qui ne sont donc pas obligées de publier des informations tous les trois mois pour la communauté financière. Est-ce que la stratégie, même internationale, de ces entreprises est différente de celle des entreprises cotées ? Selon un certain nombre d’experts, Marks & Spencer n’aurait pas abandonné toutes ses activités internationales en Europe si l’entreprise n’était pas cotée. On peut supposer des fortes pressions de la communauté financière derrière la décision de Sainsbury de céder ses activités américaines pour se recentrer sur son marché britannique, où elle est en déclin depuis quelques années. Il y a certainement des pressions très fortes sur Carrefour aussi pour que l’entreprise améliore ses résultats à partir de la France ; quels seront les effets de ces pressions sur la stratégie internationale de l’enseigne ? Il s’agit dans ce cas d’étudier quels sont les effets sur les plans stratégiques des entreprises cotées déterminés par l’obligation de donner des informations à la communauté financière avec des délais très courts, l’objectif étant de vérifier comment les principales entreprises réussissent l’arbitrage entre le très court terme et le moyen/long terme nécessaire pour un plan stratégique, surtout au niveau international. 18 References bibliographiques Alexander N.(1995), Expansion within the Single European Market: a motivational structure, The International Review of Retail, Distribution and Consumer Research, vol.5 :4 , pp.472-487 Alexander N. (1997), International Retailing, Oxford, Blackwell Business Alexander N. et Quinn B. (2002), International retail divestment, International Journal of Retail and Distribution Management, vol. 30(2), pp. 112-125 Alexander N. et Myers H. 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