Le XVIIIème siècle à l`écran : libertins, libertés
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Le XVIIIème siècle à l`écran : libertins, libertés
Cycle de films Du 24 septembre au 26 février Auditorium du Louvre Informations 01 40 20 55 55 www.louvre.fr Le XVIIIème siècle à l’écran : libertins, libertés Programmation Pascale Raynaud assistée de Nanxi Cheng Casanova d’Alexandre Volkoff © Ciné-Alliance / The Kobal Collection Réservations 01 40 20 55 00 Le XVIIIème siècle à l’écran : libertins, libertés Jean-Honoré Fragonard, Le verrou, 18e siècle, musée du Louvre © RMN / D.Arnaudet Les arts et la pensée du siècle des Lumières constituent une source d’inspiration généreuse autant qu’un « magasin d’accessoires » comme l’a souligné Jean Starobinski, auteur de « L’invention de la liberté ». Partant de cet ouvrage majeur, le cycle interroge l’attrait singulier du cinéma pour un siècle qui exalte la « pensée du plaisir » et l’idée de liberté. L’éclairage porté sur ces liens historiques et transversaux, sur les anachronismes et les hybridations, producteurs de formes nouvelles, sur cette fascination pour les formes et les idées qui ont marqué l’Histoire, souligne combien le cinéma a cherché à accroître, par ses ressources propres, le pouvoir suggestif des images et des mots pour construire des univers d’émotions où triomphent les bruissements de la volupté et « le frisson du sublime ». Si le septième art a plus souvent qu’à son tour peint « l’image d’un XVIIIe siècle élégant et frivole, libre de mœurs, vif d’esprit, voué coupablement et délicieusement à une fête insouciante » (Jean Starobinski), il a aussi contribué à rendre à ce siècle « sa complexité, sa gravité, son goût des grands principes et de la table rase ». Ce cycle de films accompagne – entre septembre 2010 et février 2011 – la saison XVIIIème siècle au Louvre, et propose une sélection de reconstitutions historiques ou de transpositions modernes, de « tableaux vivants » ou d’adaptations d’œuvres littéraires, qui mettent en relief la filiation des arts. Vendredi 24 septembre à 20 h Duel au pistolet dans le bois de Chapultepec Fr., vue Lumière, 1896, réal. Gabriel Veyre, n. b., 1 min En introduction au cycle et au film de Kubrick - dont Michel Ciment évoquait la parenté avec le cinéma muet - l’une des premières fictions de l’histoire du cinéma, réalisée par un opérateur Lumière. Barry Lyndon G.-B. /E.-U., 1975, réal. Stanley Kubrick, coul., 185 min, vostf d’après Les Mémoires de Barry Lyndon de William Makepeace Thackeray (1856). Avec Ryan O’Neal (Redmond Barry), Marisa Berenson (Lady Lyndon) Décors : Ken Adams, costumes : Milena Canonero (qui créera ensuite les costumes de Marie-Antoinette de Sofia Coppola) Copie neuve (Warner Bros) En Irlande au XVIIIème siècle. Le jeune Redmond Barry est contraint de fuir son pays après un combat ayant mal tourné. Il rejoint alors l’armée anglaise puis y déserte rapidement. Il épouse ensuite la comtesse de Lyndon… et devient ainsi Barry Lyndon ! « À moins qu’on ne désire faire un film irréaliste, il faut rechercher dans l’éclairage, les décors et les costumes les conditions premières du réalisme » (Stanley Kubrick). Partant de cette recherche de réalisme, le réalisateur s’inspire de la peinture anglaise d’époque – paysages et portraits de Thomas Gainsborough et de Joshua Reynolds pour les décors et les costumes, portraits et cycles de William Hogarth pour la satire sociale, et cherche à restituer au cinéma l’esthétique et l’esprit du XVIIIème siècle. Kubrick fait adapter pour le cinéma un objectif qui, combiné à un faible éclairage complémentaire venant du plafond, permet de filmer des scènes éclairées à la bougie. Pour les scènes de jour, l’éclairage, naturel ou artificiel, vient toujours des fenêtres. La musique est très présente dans le film : « Je crois bien, déclarait Kubrick, que j’ai chez moi toute la musique du XVIIIème siècle enregistrée sur microsillons. J’ai tout Saison 2010 -11 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février où il fonda, avec la troupe Ermoliev la société Albatros, dirigée par Alexandre Kamenka, pour laquelle il réalisa un serial, la Maison du Mystère, et plusieurs films dont Casanova. Note biographique Barry Lyndon de Stanley Kubrick © Warner Bros écouté avec beaucoup d’attention ». « Le cinéma doit avoir l’air réaliste puisque son point de départ est toujours de faire croire à l’histoire qu’il raconte. Et c’est aussi une autre espèce de plaisir : la beauté visuelle et la recréation d’une époque » (Stanley Kubrick). Dimanche 26 septembre à 16 h Casanova Fr., 1927, réal. Alexandre Volkoff, 133 min, muet, n. b. et teinté avec Ivan Mosjoukine (Casanova), Suzanne Bianchetti, Diane Karenne Copie restaurée par la Cinémathèque française Film accompagné au piano par Hervé Niquet Saison 2010 -11 Cette comédie espiègle et flamboyante est l’une des premières adaptations à l’écran des Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, écrits par lui-même. Entre fêtes vénitiennes et plaines et palais russes, on y suit les péripéties du séducteur de soubrettes et d’impératrices, de Venise à Saint Pétersbourg en passant par l’Autriche. La reconstitution du film a été conduite en 1985 par la monteuse Renée Lichtig à partir d’un puzzle composé du négatif et d’une bobine positive coloriée au pochoir appartenant à la Cinémathèque française, du négatif de la version sonore détenu par Pathé et d’une copie incomplète prêtée par la Cinémathèque de Prague. Alexandre Volkoff (1878 ?-1942), acteur dans des films de Protozanov, devint réalisateur en 1916 et tourna une dizaine de films avec Ivan Mosjoukine en vedette. En 1920, il émigra en France Hervé Niquet est claveciniste, organiste, pianiste, chanteur, compositeur, chef de chœur et chef d’orchestre. En 1987, il a créé Le Concert Spirituel, avec l’ambition de redécouvrir les œuvres oubliées du répertoire baroque français. Il dirige des orchestres tels que l’Akademie für Alte Musik Berlin, le Sinfonia Varsovia, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le Rias Kammerchor, le Kammerorchester Basel, avec lesquels il explore le répertoire du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Régulièrement invité à diriger des œuvres lyriques, Hervé Niquet travaille avec des metteurs en scène tels que Georges Lavaudant, Jean-Paul Scarpitta, Christoph Marthaler, Corinne et Gilles Benizio… Durant la saison 2010-11, Hervé Niquet dirigera notamment l’Orchestre de l’Opéra de Rouen / Haute-Normandie, l’Orchestre de Picardie, le Brussels Philarmonic et l’Orchestre National de Lyon. Vendredi 1er octobre Les mondes de Watteau Watteau « compose un monde en rassemblant des éléments dispersés » et exprime « la mélancolie d’un bonheur de peindre qui a conscience de se substituer 3 4 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février au bonheur de vivre » (Jean Starobinski). Une proximité avec l’univers illusoire du cinéma qu’explorent plusieurs réalisateurs. à 12h30 Fêtes galantes – Watteau Fr., 1951, réal. Jean Aurel, 16 min, narrateur Gérard Philippe (prod. Anatole Dauman – Argos) Jean Aurel a réalisé des courts-métrages sur les peintres et la peinture, collaboré à de nombreux scénarios de René Clair, de Jacques Becker, François Truffaut. Il a également réalisé des longs-métrages : 14-18 (1963), Lamiel (1967). Watteau-Verlaine Fr., 1953, réal Jean-Marie Drot, 12 min « La correspondance entre les deux artistes n’est pas ici le résultat d’un jeu de l’esprit ; elle a existé. Une rencontre s’est produite entre le peintre et le poète. Verlaine encore jeune, fut parmi les plus fervents à se rendre à cette salle du Louvre qui avait été ouverte pour Watteau. Il y vint souvent, séduit et charmé par les personnages nostalgiques, comme immobilisés dans leur dernier geste, prisonniers d’un impénétrable souvenir. Ces dames et ces seigneurs l’ont inspiré dans Les Fêtes Galantes et dans Jadis et Naguère ; ils l’ont aidé à passer de la forme parnassienne à la musicalité subtile qui caractérise son œuvre. Il y a ici influence d’un peintre sur un poète ». Pèlerinage à Cythère. La fête galante à 14 h 30 Les Liaisons dangereuses Fr., 1995, réal. Alain Jaubert, 30 min, coul. (Palettes) Fr., 1980, réal. Charles Brabant, coul., 132 min d’après l’œuvre de Choderlos de Laclos (1782) Avec Jean Négroni (Choderlos de Laclos), Claude Degliame (Marquise de Merteuil), Jean Pierre Bouvier (Vicomte de Valmont), Maïa Simon (Présidente de Tourvel), Féodor Atkine (Prevan) « Avec La Joconde, Le Concert Champêtre ou Les Noces de Cana, ce tableau de Watteau est une des gloires du musée du Louvre. Vanté par Vivant-Denon, Baudelaire, Nerval, Gautier, Verlaine, Michelet, Rodin, Proust, copié par d’innombrables peintres, sans cesse commenté, il est à la fois une légende et une utopie. Peint par Watteau en 1717, répété sous une forme légèrement différente un peu plus tard (cette seconde version est au château de Charlottenberg à Berlin), Le Pèlerinage à l’île de Cythère appartient au cycle des Conversations galantes dans lequel le peintre de Valenciennes a donné le meilleur de luimême. Tableau mystérieux (que fontils ? où vont-ils ?), il suscite un grand nombre de questions et des réponses tout aussi variées ». Samedi 2 octobre Liaisons dangereuses Aux adaptations cinématographiques célèbres et maintes fois présentées – celles de Roger Vadim (Les Liaisons dangereuses, 1959), de Stephen Frears (Dangerous Liaisons, 1988) et de Milos Forman (Valmont, 1989), – ont été préférées deux versions plus rares. Laclos, dans sa cellule. Dans l’imagination hantée de l’écrivain emprisonné en 1793, revivent les personnages des Liaisons dangereuses ; les aventures libertines du vicomte de Valmont et de la marquise de Merteuil, à laquelle Laclos se retrouve confronté ; l’écrivain et son héroïne, défigurée par la petite vérole, dialoguent sur les thèmes du libertinage, de l’amour et parlent de la Révolution en cours. « Brabant introduit, à l’intérieur même du récit, la présence de l’auteur, incarné par un comédien. Avec perspicacité, il pense qu’en la solitude de sa maison, le téléspectateur a besoin de s’identifier à un « double », un personnage qui lui ressemble et pourtant le magnifie » (JeanMarie Drot). Note biographique Charles Brabant réalisa pour le cinéma, dans les années 50, la Putain respectueuse (1952) d’après la pièce de Jean-Paul Sartre, ou encore Carillons sans joie (1961). En 1958, il rejoignit la première famille Saison 2010 -11 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février Untold Scandal d’E J-Yong © bom Film Productions Dimanche 3 octobre à 14 h 30 La Fête ou l’invention de la liberté Fr., 1975, réal. Charles Brabant, coul., 82 min Conseillers artistiques Jean Starobinski et Charles Ravier. d’auteurs-réalisateurs de la Télévision française. Il réalisa des « enquêtes sociales », des documentaires et des fictions. Charles Brabant fut également le fondateur et deux fois président de la Scam à 17 h Untold Scandal Corée du Sud, 2003, réal. E J-yong (Je-yong Lee), coul., 123 min, vostf Avec Bae Yong-jun (Jo-won), Lee Mi-sook (Lady Cho), Jeon Do-yeon (Lady Sook), Cho Hyeon-jae (Kwon In-ho), Lee Soh-yeon (Soh-ok) Prix du meilleur réalisateur et de la meilleure musique au Festival international du film de Shanghaï 2004. Prix du meilleur espoir masculin pour Bae Yong-jun aux Blue Dragon Film Awards en 2003. Saison 2010 -11 L’intrigue d’Untold Scandal se situe dans le milieu de l’aristocratie coréenne du XVIIIème siècle, à la fin de la dynastie Chosun. Lady Cho propose à son jeune cousin, Jo-won, de déflorer l’innocente Soh-ok, qui doit devenir la concubine de son mari. Mais l’attention de Jo-won se porte sur la gracieuse et réservée Lady Sook, fervente catholique. Séduire cette chaste jeune femme, célibataire depuis la mort de son mari neuf ans plus tôt, devient alors une véritable obsession. En utilisant de la musique baroque pour un drame historique coréen et en mêlant érotisme élégant et nouveau regard sur la culture Chosun, le réalisateur E J-yong (An Affair, 1998) a joué sur les anachronismes et cherché à briser les clichés. Le film – qui, selon Jean-Marie Drot, brise « le moule traditionnel du documentaire » – fait naturellement référence à l’ouvrage de Jean Starobinski, paru en 19641, et notamment au chapitre intitulé L’inquiétude et la fête. Starobinski y analyse comment, « des fêtes galantes aux fêtes de la Révolution, les transformations intérieures du siècle se lisent dans les changements que subit la cérémonie plurielle du plaisir » à 16 h 30 Don Giovanni Fr. /It. /All., 1979, réal. Joseph Losey, coul., 185 min Avec Ruggero Raimondi (Don Giovanni), Kiri Te Kanawa (Donna Elvira), José van Dam (Leporello), Terèsa Berganza (Zerlina), Edda Moser (Donna Anna) Scénario : Joseph Losey, Patricia Losey, Frantz Salieri d’après le livret de Lorenzo Da Ponte. Directeur artistique : Alexandre Trauner. Direction musicale : Lorin Maazel L’un des objectifs principaux du film était de rendre la musique de Mozart « accessible au plus vaste public populaire 5 6 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février possible, à tous ceux qui aiment l’opéra et peuvent rarement se permettre de le voir ou de l’entendre sur scène2 ». Joseph Losey décida d’emblée de créer une nouvelle forme – faire « un film d’un opéra » et non « filmer une représentation de cet opéra » : « Nous nous lançons le défi de faire quelque chose d’entièrement différent : un véritable film raconté en langage cinématographique, se déroulant dans des décors réels, avec des gens jouant une histoire réelle exprimée cinématographiquement et en paroles, aussi bien qu’en musique3 ». Le film fut tourné en majeure partie à Venise, à Vicence et dans plusieurs villas palladiennes. En effet, selon Joseph Losey, on pouvait détecter mathématiquement chez Mozart « les lignes classiques et mathématiques de Palladio » et l’idée de Rolf Liebermann de rapprocher le XVIe siècle de Palladio et le XVIIIe siècle de Mozart, « époques troublées […] et néo-classiques » était « parfaitement juste donc géniale ». L’intention de confronter les époques fut également à l’œuvre dans les références à la peinture italienne des XVe et XVIe siècles : « J’ai pensé, indiquait Losey, pour les costumes, aux couleurs de Masaccio, dans une tentative de neutralité et de sobriété. Pour la lumière extérieure, la référence était Giorgione ». La confrontation des époques et des genres donne au film de Losey un caractère novateur : « Don Giovanni est à mon avis une œuvre moderne. J’espère que nous pourrons le démontrer4 ». « Héroïnes paradoxales 5 » « La femme règne (on lui fait croire qu’elle règne). C’est autour d’elle que flotte la promesse du bonheur. Mais sa situation est ambigüe. Pour quelquesunes qui sont maîtresses d’elles-mêmes, qui imposent respect par leur esprit et leur science, combien d’autres, en revanche, que l’on traite en objets : enfermées dans des couvents, mariées contre leur gré, conquises par ruse6. » Samedi 9 octobre à 14 h Film présenté par Antoine de Baecque, historien et critique de cinéma Suzanne Simonin. « La Religieuse » de Denis Diderot Fr., 1966, de Jacques Rivette, 135 min avec Anna Karina (Suzanne Simonin), Liselotte Pulver (madame de Chelles), Micheline Presle (madame de Moni), Francisco Rabal (Dom Morel), Yori Bertin (sœur Sainte-Thérèse), Francine Bergé (sœur Sainte-Christine) Don Giovanni de Joseph Losey © Gaumont En 1760 Diderot décrivait, sur un mode épistolaire, le sort de l’infortunée Suzanne Simonin qui, alors que ses deux sœurs avaient été richement dotées, fut contrainte par ses parents d’entrer au couvent. Elle allait se retrouver confrontée à la cruauté d’une abbesse et aux avances d’une autre. Saison 2010 -11 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février Avant de faire l’objet d’un film La Religieuse fut adaptée pour le théâtre en 1959 par Jean Gruault. C’est d’ailleurs à partir de la pièce que, répondant à la proposition du producteur Georges de Beauregard, Jean Gruault et Jacques Rivette écrivirent le scénario du film. Malgré l’accord de la pré-censure et deux avis favorables de la Commission de contrôle cinématographique, le film fut interdit au motif qu’il était de nature à « heurter gravement les consciences d’une très large partie de la population ». L’interdiction entraîna de vives réactions dans le monde de la culture : manifeste – « des 1789 » – pétitions, questions orales à l’Assemblée nationale, campagnes de presse, déclarations des cinéastes de la Nouvelle Vague, s’enchaînèrent. Le Tribunal administratif de Paris finit par annuler la décision ministérielle et le film, ayant enfin obtenu son visa d’exploitation, sortit à Paris le 26 juillet 1967 et rencontra un énorme succès. Pour Jean-Louis Leutrat, Rivette « propose une lecture attentive de Diderot » en suivant le fil général de l’intrigue tout en imposant une distance toute bressonienne, et donne à l’histoire une « coloration visuelle et sonore ». Traversé par un souffle rythmique, les scènes s’enchaînant de manière simple et parfaite, le film est « le plus japonais de Rivette », « comme la transposition d’un art de la calligraphie ». Film interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie. Saison 2010 -11 à 17 h Manon Fr., 1948, réal. Henri-Georges Clouzot, 110 min Avec Serge Reggiani (Leon Lescaut), Michel Auclair (Robert Dégrieux), Cécile Aubry (Manon Lescaut), Andrex (le trafiquant), Raymond Souplex (M. Paul), Michel Bouquet. D’après Histoire du Chevalier Desgrieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost Lion d’Or à Venise en 1949 Juin 1944. Lors de la Libération d’une petite ville normande, le jeune F.F.I. Robert Desgrieux (Michel Auclair) déserte, vole une jeep et enlève Manon Lescault (Cécile Aubry), une fille facile condamnée par la rumeur publique. Ils fuient tous les deux à Paris où ils retrouvent Léon (Serge Reggiani), frère de Manon, un garçon qui gagne sa vie grâce au marché noir et aux faveurs de Monsieur Paul (Raymond Souplex), un richissime trafiquant. « Je cherchais une histoire sur les jeunes dans la guerre et dans l’aprèsguerre » écrit Clouzot. Dans un train qui le conduit à Bordeaux, une image s’impose : celle d’une femme cherchant un homme dans un train. Plus tard, en rangeant sa bibliothèque son regard s’arrête sur le roman de l’abbé Prévost, qui l’avait « terriblement frappé » quand il avait douze ans. « Immédiatement, il comprend qu’il a trouvé le vecteur romanesque idéal pour brosser, presque à chaud, un portrait précis et sans concession de ses contemporains7 ». Manon n’en respecte pas moins l’esprit de l’œuvre de Prévost. « Prévost, souligne Clouzot, n’a pas écrit un roman historique ; il a tracé une étude de mœurs contemporaines. Les milieux qu’il a dépeints au cours de son intrigue n’existent plus et leur évocation n’offrirait guère qu’un intérêt rétrospectif. Mais si les ressorts qui faisaient mouvoir ses personnages, si les circonstances qui pouvaient les pousser à agir en tel ou tel sens, ont changé, les rapports de force entre ressorts et circonstances correspondant à notre époque doivent être demeurés les mêmes. En somme, je me suis livré au jeu de me demander ce que seraient, ce que feraient de nos jours et très précisément en 1944, au lendemain de la Libération, une Manon, un Desgrieux, un Lescaut8 ». Ce film au réalisme sombre et au style magistral, « étrange et magnifique orchidée qui s’épanouit sur le fumier de l’après-guerre » (Libération), renferme pour Ado Kyrou l’une des plus belles scènes d’amour du cinéma9. Dimanche 10 octobre à 14 h 30 Une Aventure secrète de Marie-Antoinette Fr., 1910, Camille de Morlhon, 10 min Copie restaurée AFF - CNC / Pathé Production 1780, le jour du carnaval, MarieAntoinette accompagnée d’une chambrière, se rend discrètement au 7 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février 8 Bal de l’Opéra. Toutes deux masquées, bien enveloppées dans leurs dominos, jouissent de leur équipée, lorsqu’un masque, prenant la reine par la taille, cherche un baiser… Camille de Morlhon (1869-1952) a tourné pour Pathé plus d’une centaine de films, dont de nombreuses reconstitutions historiques. Il fut l’un des premiers cinéastes à signer ses films et à revendiquer le statut d’auteur (il crée en 1917 la Société des Auteurs de Films). Marie-Antoinette E.-U., 2006, réal. Sofia Coppola, 123 min D’après le roman « Marie-Antoinette » d’Antonia Fraser Décors : K.K. Barrett, photo : Lance Acord, costumes : Milena Canonero (qui a également créé les costumes de Barry Lyndon). Musique : Jean-Philippe Rameau, Air, The Cure, New Order, Phoenix, Adam and the Ants, Bow Wow Wow, Siouxsie and the Banshees… Avec Kirsten Dunst (Marie-Antoinette), Jason Schwartzman (Louis XVI), Judy Davis (Comtesse de Noailles), Marianne Faithfull (Marie-Thérèse d’Autriche), Aurore Clément (Duchesse de Chartres), Asia Argento (Comtesse du Barry), Phoenix (Les musiciens du Petit Trianon), Mathieu Amalric (Un homme au bal masqué)… Au sortir de l’adolescence, une jeune fille découvre un monde hostile et codifié, un univers frivole où chacun observe et Marie-Antoinette de Sofia Coppola © Pathé juge l’autre sans aménité. Mariée à un homme maladroit qui la délaisse, elle est rapidement lassée par les devoirs de représentation qu’on lui impose. Elle s’évade dans l’ivresse de la fête et les plaisirs des sens pour réinventer un monde à elle. Y a-t-il un prix à payer à chercher le bonheur que certains vous refusent ? Jouant sur les anachronismes, Sofia Coppola évoque très librement, sur fond de musique New Wave, la vie de MarieAntoinette et la cour de Louis XVI au château de Versailles. Inspirée par le côté décadent, libre et irrespectueux de Lisztomania (Ken Russell, 1975) – qui retraçait l’histoire de Franz Liszt, interprété par Roger Daltrey du groupe The Who – Sofia Coppola a adopté un point de vue purement ludique qu’elle trouvait « en adéquation avec les personnages adolescents » : « Pour moi, Marie-Antoinette restait, avant tout, le symbole d’un style de vie totalement décadent. Je ne me rendais pas compte à quel point ces gens, qui étaient appelés à gouverner un pays, n’étaient en fait que des jeunes adolescents. Le quotidien au château de Versailles, c’est donc aussi, pour ces adolescents, une forme d’apprentissage dans un environnement tendu et difficile. C’est cette position et la complexité du personnage de MarieAntoinette qui m’ont intéressée […] Je ne voulais pas faire de grande fresque historique. J’étais plus intéressée par la recherche du propre point de vue de la jeune fille ». (Sofia Coppola) « Résolument anachronique et actualisante, écrit Martial Poirson, la Saison 2010 -11 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février perspective adoptée par ce film qui interroge de façon iconoclaste le rapport entre cinéma et Histoire a le mérite de révéler, en les télescopant, non seulement les ambiguïtés de la figure de la reine déchue, mais encore les ambivalences du regard cinématographique sur un siècle dont l’héritage fait, plus que jamais, peut-être, débat aujourd’hui10 ». à 17 h Le bain des dames de la cour Fr., 1904, 1 min 14, prod. Pathé Copie restaurée AFF - CNC Scène grivoise Justine ou les infortunes de la vertu It./All./E.-U./Liecht., 1967, coul., 119 min, vostf Film d’aventures « érotique » de Jésus Franco d’après « Les infortunes de la vertu » de Sade Avec Romina Power (Justine), Maria Rohm (Juliette), Klaus Kinski (Marquis de Sade), Jack Palance (Antonin), Howard Vernon (Clément), Akim Tamiroff (Du Harpin) À la mort de leurs parents Justine et sa sœur Juliette sont renvoyées du couvent où elles étaient placées. Très vite Juliette prend pension dans une maison close tandis que Justine affronte bien des épreuves pour sauvegarder sa vertu… Auteur de près de 200 films, le réalisateur Jess Franco a réalisé plusieurs adaptations Saison 2010 -11 de l’œuvre de Sade : Justine ou les infortunes de la vertu est le premier d’une série de cinq films comprenant Juliette (1969) (film inachevé), Eugénie de Sade (tourné en 1969 mais sorti en 1975), Les inassouvies (1970) et Plaisir à trois (1974), adaptations de « La philosophie dans le boudoir ». Prenant le relais de la peinture et de la littérature, le cinéma s’empare de la Révolution pour en tirer des œuvres d’une grande force esthétique ou idéologique, décrivant un Paris dans la tourmente ou évoquant, à travers le siècle des Lumières, les révolutions du XXe siècle . Justine ou les infortunes de la vertu, version cinématographique édulcorée des « Infortunes de la vertu », est emblématique des tensions qui peuvent naître entre réalisation et production et modifier profondément l’esprit d’un film. Alors qu’il a en tête une œuvre sombre, sulfureuse et perverse, le cinéaste se voit imposer par les financiers pour le rôle de Justine la fille de Tyrone Power, Romina, alors seulement âgée de 17 ans, ce qui le contraint à remanier profondément son script. Samedi 19 février Copie de la Cinémathèque Suisse. Version intégrale (« director’s cut »). Film interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie en France. Fr., 2001, Eric Rohmer, coul. 129 min Avec Lucy Russell (Grace Elliott), Jean-Claude Dreyfus (Le Duc d’Orléans), François Marthouret (Dumourier) D’après Journal of my life during the french revolution, de Grace Elliott (1859) Justine ou les infortunes de la vertu de Jess Franco © 1968 Etablissement Sargon, Vaduz Liechtenchtein Paris dans la tourmente à 14 h 30 Le Roi du maquillage Fr., 1904, Georges Méliès, 2 min Méliès se transforme devant un décor représentant Paris. L’Anglaise et le duc Sous la Révolution la vie périlleuse d’une belle Anglaise royaliste résidant en France, et ses relations, tantôt tendres, tantôt orageuses, avec le duc d’Orléans, cousin de Louis XVI, mais acquis aux idées révolutionnaires. Elle parvient à le persuader de l’aider à sauver un proscrit, mais non à le dissuader de voter la mort du roi. 9 10 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février Troisième film historique d’Eric Rohmer – après La Marquise d’O et Perceval le Gallois – L’Anglaise et le Duc est né de la découverte d’un Journal, celui commencé le 14 juillet 1789 par Grace Elliott, Anglaise maîtresse du duc d’Orléans, et du désir de partir de son point de vue pour « peindre » Paris pendant la Révolution : un Paris intime, l’appartement paisible de la jeune femme, et un Paris public, en pleine tourmente révolutionnaire. « Pour qui veut faire un film, précise le réalisateur, la moindre impression d’un témoin du temps sera plus véridique que la recherche la plus poussée des historiens ». Eric Rohmer, qui « aime contribuer à entretenir chez le public le goût de l’histoire », souhaite reconstituer un Paris authentique, tel que le décrit Grace Elliott dans son journal : la place Louis XV (actuelle place de la Concorde), la rue Saint-Honoré… L’opération s’avérant impossible à réaliser en studio ou en décors naturels, le cinéaste aura l’idée d’incruster les personnages – un procédé mis au point par Méliès – sur des peintures. 37 tableaux, réalisés par Jean-Baptiste Marot, vont donc constituer les décors du film, une prouesse rendue possible grâce aux techniques numériques. Le Livre noir (Reign of Terror) à 17 h Mort de Robespierre ; Mort de Marat Le Livre noir, à l’instar de bien des productions hollywoodiennes, n’échappe pas à cet imaginaire. Film sombre à l’esthétique expressionniste poussée, comme le souligne Lorenzo Codelli, peuplé de personnages qui « cachent quelque chose », « accumulation Fr., vues Lumière, Alexandre Promio Georges Hatot, 1897, 2 x 1 min E.-U., 1949, réal. Anthony Mann, n. b., 89 min, vostf Avec Robert Cummings, Arlene Dahl, Richard Basehart, Richard Hart, Russ Tamblyn Un agent secret au service des contrerévolutionnaires doit retrouver le livre noir dans lequel Robespierre consigne le nom de ses victimes afin d’entraîner sa chute. Le cinéma américain n’a bien souvent retenu de la Révolution française que la Terreur, comme le révèle le titre original de ce film « historique ». Une certaine « conscience critique contrerévolutionnaire des ravages supposés des Lumières radicales, souligne Martial Poirson, a forgé son cortège de héros paradoxaux : aristocrates en exil, chouans spoliés, bourgeois désavoués, ou monarques destitués constituant les fondements d’un imaginaire conservateur, voire franchement réactionnaire, qui n’a pas peu influé sur la perception cinématographique contemporaine de la Révolution française11 ». de visages déformés, de monstres épouvantables, grotesques, absurdes », il dessine une capitale française infernale, sans issue. Pièges, miroirs qui recèlent des cloisons mobiles, prisons souterraines, l’étouffant Café des Morts vivants : on ne peut en sortir qu’en fourrant la tête, comme le font les protagonistes, à l’intérieur de la caméra12 ». Dimanche 20 février Révolution(s) à 14h30 La Marseillaise Fr., 1907, Production Georges Mendel Chanté par M. Noté de l’Opéra. La Marseillaise Fr., 1938, réal. Jean Renoir, n. b., 135 min avec Louis Jouvet (Roederer), Lise Delamare (Marie-Antoinette), Pierre Renoir (Louis XVI) À Marseille, le 2 juillet 1792, à la veille de la publication du Manifeste de Brunswick, un bataillon de cinq cents volontaires, les Fédérés, se met en marche pour Paris. En 1936 Jean Renoir ne cache pas ses sympathies pour le Front Populaire. Le projet du film est impulsé par la gauche unie, puis par la C.G.T. « Le meilleur sujet, confie Renoir à L’Avant-Garde au Saison 2010 -11 Cycle de films Du 24 septembre au 26 février printemps 1937, serait la vie actuelle : la victoire de mai, les grèves de juin… Ce serait magnifique, mais le film ne sortirait jamais. Alors, nous nous sommes rabattus sur l’époque qui offrait le plus de similitude avec la nôtre : la Révolution française ». La grande idée de La Marseillaise, souligne Charlotte Garson, est de faire « un film sans vedettes, la fresque bigarrée et cinématographiquement égalitaire de la naissance d’une nation. Ce ne sont pas Danton, Robespierre ou Marat qui l’intéressent mais les anonymes : un douanier, un maçon, un paysan qui s’engagent dans un bataillon de fédérés à Marseille et marchent sur Paris au moment où le Manifeste de Brunswick menace de massacrer le peuple parisien s’il touche à la famille royale ». Renoir brosse, dans ce film « construit comme un western » selon François Truffaut, « tout un monde, plaidant pour toutes les causes, avec cette objectivité, cette générosité, cette domination intelligente que nul ne lui a jamais contesté ». à 17 h Danton Fr./ Pol., 1983, réal. Andrzej Wajda, coul. 136 min, vostf Avec Gérard Depardieu (Danton), Wojciech Pszoniak (Robespierre), Patrice Chéreau (Camille Desmoulins), Roger Planchon (Fouquier-Tinville), Angela Winkler (Lucile Desmoulins) Césars du meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur. Prix Louis-Delluc. Saison 2010 -11 11 Danton d’Andrzej Wajda © Gaumont 1794. Danton, « sur la touche » depuis juillet 1793, tente, aidé par Camille Desmoulins, de freiner la Terreur mais se heurte à l’intransigeance de « L’Incorruptible » Robespierre. Selon Andrzej Wajda la Révolution Française a toujours eu un grand écho en Pologne. Le cinéaste s’est intéressé au personnage de Danton lorsqu’il a entrepris, en 1975, la mise en scène au théâtre de « L’affaire Danton » de Stanislawa Prybyszewska. À travers l’évocation de la Terreur, et de l’opposition entre Danton et Robespierre, se dresse en filigrane un tableau de la Pologne en 1982 et du combat de Solidarnosc emmené par Lech Walesa. « Je n’aurais pas pu imaginer cela à un tel point, écrit Andrzej Wajda à ce sujet, car lorsqu’on veut faire un film sur la révolution, il faut répondre à la question : - À quoi ressemble la révolution ?… Sinon, on fait un film à costumes ». Notes 1- Jean Starobinski, L’invention de la liberté. 1700-1789 suivi de Les emblèmes de la raison, Gallimard, [1964] 2006 2- Joseph Losey. L’oeil du maître, textes réunis et présentés par Michel Ciment, Lyon : Institut Lumière / Arles : Actes Sud, 1994 3- Ibid. 4- Ibid. 5- Ce titre fait référence à l’article de Martial Poirson, « Marie-Antoinette, héroïne paradoxale d’une fiction patrimoniale contrariée », in Laurence Schifano et Martial Poirson (dir.), Filmer le 18e siècle, Paris, Desjonquères, 2009 6- Jean Starobinski, op. cit. 7- José-Louis Bocquet et Marc Godin, Clouzot cinéaste, Horizon Illimité, 2002 8- H.-G. Clouzot in José-Louis Bocquet et Marc Godin, op. cit. 9- Ado Kyrou, Le Surréalisme au cinéma, in José-Louis Bocquet et Marc Godin, op. cit. 10- Martial Poirson, « Marie-Antoinette, héroïne paradoxale d’une fiction patrimoniale contrariée », in Laurence Schifano et Martial Poirson (dir.), op. cit. 11- Ibid. 12- Lorenzo Codelli, « Pages arrachées au Livre noir », dossier Anthony Mann, Positif n° 527, janvier 2005 Salle audiovisuelle Remerciements : Hervé Niquet, Antoine de Baecque, Anne Smadja (Warner Bros), Julie Pearce (British Film Institute), Emilie Cauquy et Samantha Leroy (Cinémathèque française), Eve-Marie Cloquet (Scam), Stéphane Derdérian (Liliom Audiovisuel), André Schäublin (Cinémathèque suisse), Ellen Kim (bom Film Productions), Claude Diouri (Coopérative Nouveau Cinéma), Hermine Cognie (Archives françaises du film du CNC), Nathalie Morena (Association frères Lumière), Maria Chiba (Lobster Films), Alexandre Hemardinquer, Aude Massiet du Biest, Céline Benezeth, Gaumont, Pathé, Mk2, Tamasa Distribution, Les Films du Jeudi, Ina, Arte. Les samedis 12, 19 et 26 février 2011 à partir de 10 h Les Nuits Révolutionnaires Fr., 1975, réal. Charles Brabant Télésuite française en sept épisodes d’une heure, d’après le roman Les Nuits de Paris ou Le Spectateur nocturne (1788-1794) de Nicolas Restif de la Bretonne 1. Le spectateur nocturne 2. Les deux n’en font qu’une 3. La Fête glorieuse 4. Bouchers de la liberté 5. Chute : nuits du 9 au 10 août et du 10 au 11 août 1792 6. La mort d’un père 7. La part de l’ombre: nuit du 31 mai au 1er juin - nuit du 1er juin au 2 juin 1793 Avec Michel Aumont (Restif de La Bretonne), Michel Bouquet (Vilain, l’usurier), María Casares (La Murène), Isabelle Gélinas (Agnès / Julie), Guillaume de Tonquédec (François), Gérard Desarthe (Renaud de la Grimière), Daniel Mesguich (L’homme inconnu), Bernard Fresson (Le Bull)… Au XVIIIe siècle un curieux insomniaque déambule, nuit après nuit, dans les rues de la capitale. Les Nuits de Paris ou Le Spectateur nocturne fut publié en trois fois, en 1788, 1790 et 1794. Aux yeux de leur auteur, Restif de la Bretonne, ces Nuits étaient « une de ces productions majeures, une de ces vastes compositions destinées à peindre les mœurs d’une nation ».