Asma Lamrabet : une lecture émancipatrice du discours religieux.

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Asma Lamrabet : une lecture émancipatrice du discours religieux.
Asma Lamrabet : une lecture émancipatrice du discours religieux.
“Le contentieux historique entre les religions et les femmes étant ce qu'il est, il est facile de
comprendre comment une certaine histoire universelle du féminisme s'est en grande partie
forgée en opposition avec tout ce qui relève du religieux.” Mais, estime-t-elle, “même dans les
sociétés où la “sortie du religieux” est évidente, les manifestations plurielles d'une culture de
discrimination envers les femmes restent là, présentes, transversales à toutes les autres formes
de domination, d'exploitation et de violences.
”
Une histoire de misogynie religieuse universelle...
Le phénomène qui apparaît aujourd'hui vient réparer cette faute de l'histoire : les femmes, selon
Asma Lamrabet, ont enfin compris que ce n'est pas “à proprement dit le message spirituel de
leurs traditions religieuses respectives qui les opprimaient mais bien son instrumentalisation par
les différents systèmes et institutions religieuses
.” D'où ce mouvement actuel de réappropriation du discours et du savoir religieux au sein des
trois religions monothéistes, car ce courant est global : il déborde largement celui du féminisme
islamique. “
Nul ne peut nier, souligne-t-elle, que toutes les religions se soient développées au sein d'un
terreau structurellement patriarcal et qu'elles ont ainsi, toutes, tenté de “s'accommoder” des
codes sociaux et des coutumes traditionnelles dans lesquelles elles se sont projetées
.”
Elle rappelle donc que le monopole religieux masculin existe depuis des temps immémoriaux,
en citant Delphine Horvilleur, femme rabbin en France : “en interdisant aux femmes l'étude de
la Torah qui est au coeur de la tradition, on les isolait du pouvoir pour mieux les contrôler
.” Et certains rabbins hommes eux-mêmes, à l'instar de Philippe Haddad, en arrivent aujourd'hui
à dénoncer le fait que “
les rabbins ont donné leurs opinions personnelles en tant qu'hommes mais ce n'est pas la voie
de Dieu qui s'est exprimée
.”
Dans le Christianisme, en Amérique latine notamment, elle explique que le féminisme de la
théologie de la libération lutte pour cette lecture égalitaire des sources religieuses, en faveur de
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l'émancipation des femmes car en effet, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, “ce
sont les interprétations confortant l'inégalité et l'infériorité des femmes qui ont été retenues, au
détriment de ce que prônait Jésus en faveur de la libération et de la dignité des femmes.
” Et cela s'expliquerait en grande partie du fait que la théologie chrétienne, en représentant un
Dieu masculin tout puissant, a renforcé le pouvoir des clercs : “
si Dieu est mâle, alors le mâle est Dieu”
, selon Wibert Gobbo.
Et Asma Lamrabet, au terme de bref ce tour d'horizon, souligne enfin que c'est au sein de
l'islam, “religion étiquetée comme structurellement sexiste, qu'une profonde dynamique
revendicatrice féminine s'est mise en marche
.”
La chari'a, une invention purement humaine du droit islamique.
Ce qui se passe aujourd'hui à l'intérieur du judaïsme ou du christianisme interroge l'islam en
miroir, car toute la question est en effet de rappeler que la lecture normative du texte sacré en
islam est l'oeuvre des hommes. La chari'a qui s'est construite codifie à la fois les aspects
publics et privés de la vie d’un musulman, ainsi que les interactions sociétales, dans un livre de
lois fondées sur les sources classiques de l'Islam que sont le Coran, les hadiths, et la Sunna.
Les musulmans considèrent cet ensemble de normes comme l’émanation de la volonté de Dieu
(Shar'). Or il n’a pas été écrit sous l’autorité d’un corps particulier (en effet, l’islam sunnite et
kharidjite ne disposent pas d’un clergé) ; ces lois émanent des écoles doctrinales majoritaires
dont l'Université Al Azhar est la plus prestigieuse...
Les décrets de la charia ont donc été inventés au IXe siècle, soit deux siècles après la mort du
prophète au cours du califat abbasside. La loi sur l'apostasie par exemple fut formulée pour
décourager toute révolte contre l'État islamique en place. Le docteur Sheikh Tahar Mahdi
rappelle que « dans tout le coran qui compte 6 236 versets et 77 439 mots, le mot charia n'est
mentionné qu'une seule fois dans un seul verset (l’Agenouillée 45/18) : "Nous t’avons mis sur
une voie (sharî‘a) selon un ordre ; suis-la, et ne suis pas les passions désordonnées de ceux
qui ne savent pas" (XLV, 18)
».
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Créée par les hommes, l’intensité et l’étendue du pouvoir normatif de la charia varie de plus
considérablement sur les plans historiques et géographiques. La charia a été révélée sur une
période de 23 ans correspondant à la durée de la prophétie. Considérée comme étant
l'ensemble des normes, la charia est une voie immuable. Mais l'ijtihad (ou l'effort
d'interprétation) permet aux savants de contextualiser et d'adapter les normes en accord avec
les sources révélées.
Et c'est en participant activement à cet ijtihad que l'interprétation du texte sacré peut révéler “la
dimension de justice et d'équité
” qui le caractérise. En renouant avec les principes humanistes des droits humains et de
l'égalité entre hommes et femmes notamment, selon Asma Lamrabet.
Déconstruire le discours religieux traditionnaliste
Ce féminisme musulman naissant, comme certains le dénomment, et tel que le défend
activement Asma Lamrabet, s'applique aujourd'hui à “déconstruire le discours religieux
traditionnaliste et profondément discriminatoire envers les femmes tout en proposant une
nouvelle lecture des textes scripturaires à partir d'une perspective féminine
.”
Les femmes et l'islam : voilà deux sujets qui, aujourd'hui, entrent dans un dialogue qu'il devient
urgent et nécessaire d'inscrire dans le temps présent. Asma Lamrabet rappelle en effet qu'il faut
non seulement pallier les lacunes historiques dues à l'absence de la vision féminine dans la
production islamique, mais qu'il faut ensuite y apporter les perspectives et les propres choix des
femmes musulmanes d'aujourd'hui. En somme, en ayant accès aux sources textuelles “et
notamment à la dimension éthique du Coran”,
ces femmes ont commencé à comprendre cette vaste escroquerie de l'histoire :
l'instrumentalisation du savoir religieux, qui “
est en cause dans leur réclusion millénaire
”.
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Ce projet sociétal et intellectuel d'émancipation des femmes, Asma Lamrabet le défend ainsi
dans le cadre d'une vision réformiste et contextualisée du religieux, jusque-là sous le monopole
exclusif des seuls hommes et Oulémas musulmans.
C'est “au prix de recherches théologiques et académiques approfondies” qu'elle entreprend
méthodiquement de démontrer, “
arguments coraniques à l'appui”,
la présence d'un discours sur l'égalité hommes-femmes à l'intérieur de l'islam. La lutte
intellectuelle menée par Asma Lamrabet traque sans relâche les interprétations erronées que
l'on a lâchement préservées comme des préceptes immuables. Et elle démontre ainsi que “
les sources scripturaires ne constituent en aucun cas une entrave à l'instauration des droits
égalitaires entre hommes et femmes
”. Ni sur la question de la lapidation et de l'excision, totalement absents du Coran, ni sur
l'autorité ou le concept de la soumission de l'épouse à l'époux en tant que chef de famille, -qui
est infondé-, ni sur l'obligation religieuse du voile, qui doit rester de l'ordre du libre choix
spirituel.
Et sur de nombreux points - la question du divorce qui, selon la tradition religieuse, était avant la
Moudawanna exclusivement réservé aux hommes, le refus de la polygamie, la révision de la
question de l'héritage dans un monde où les femmes participent pleinement à la prise en
charge économique de la famille - les revendications qui s'expriment sont attachées à cette
relecture féminine, impliquant un réajustement nécessaire de l'histoire aux réalités du temps
présent : “ car on peut poser ici une question cruciale : si la justice et l'équité sont des finalités
indiscutables du Coran, comme le démontre l'analyse des textes sacrés, pourquoi cette justice
et cette égalité ne se reflètent-elles pas sur les lectures, discours et enseignements religieux qui
régissent les relations entre hommes et femmes dans la majorité des sociétés musulmanes
?”, conclut Asma Lamrabet, dont le sérieux travail de remise en perspective est de ceux qui
commencent à faire utilement bouger les lignes...
Un peu d'histoire...
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Durant cette première période,
charia qui s’étend jusqu’au
mais
milieu
« du VIIIème siècle,
connaissance
la connaissance
de la religion
religieuse
». Le te
À la fin du VIIIème sièclecharia
et au IXème siècle, les).rationalistes
Ils ont doncqui
considéré
ont développé
que la théologie
le mutazilisme
et les opposen
principe
A propos de la Rabita Mohammadia des Oulémas
Le partenariat entre la Rabita et le Gierfi a vu le jour en 2008 lors du lancement du GIERFI. Ce partenar
Le second projet fut l’ouverture d’un Centre de Recherches et d'Etudes féminines en Islam de la Rabita
Il faut souligner que ce genre d’initiative est une première dans le monde arabo musulman, d’autant plu
Article “Asma Lamrabet : une histoire de misogynie religieuse universelle.”
in Recueil collectif : Femmes et religions, “Points de vue de femmes du Maroc.”
Co-édité par la galerie Fandok et les éditions de La Croisée des Chemins.150 dhs/ 20
euros.
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