Les cas de délires judiciaires abondent... en voici un
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Les cas de délires judiciaires abondent... en voici un
Les cas de délires judiciaires abondent… en voici un. Projet de construire un barrage inutile sur la rivière Batiscan (1) Analyse juridique et politique par Jean Baril Membre du Comité des Amis(es) de la Batiscan Le 30 janvier 2004, la compagnie Boralex annonçait son intention de demander la permission d’en appeler à la Cour Suprême du Canada de la décision de la Cour d’appel du Québec dans Procureur général du Québec c. Forces motrices Batiscan1. Comme cette cause a fait l’objet d’un dossier de Juris en mai 2003 nous vous invitons à prendre connaissance d’une étude des motifs de la Cour d’appel. Jean Baril, aujourd’hui étudiant au Barreau, en était l’auteur tout en étant un des intervenants dans la cause. Il nous résume ici la portée du jugement de la Cour d’appel, soulignant son importance pour le droit administratif et celui de l’environnement, mais par-dessus tout, pour celui des citoyens et citoyennes. Le jugement unanime de la Cour d’appel infirme un jugement de la Cour Supérieure qui avait accueilli une requête en révision judiciaire sur une décision du Tribunal administratif du Québec (T.A.Q.) agissant en révision. Concrètement, la Cour invalide ainsi un certificat d’autorisation de construire un barrage sur la rivière Batiscan, qui avait été initialement accordé à la compagnie Forces Motrices Batiscan, par le ministre de l’Environnement. Ce dernier, s’étant ensuite fait rappeler par les citoyens que la superficie inondée exigeait, selon la Loi québécoise de l’environnement, un processus d’examen des impacts et une autorisation gouvernementale, avait alors révoqué le dit certificat. C’est alors que débuta une véritable saga judiciaire, dont les faits sont relatés dans le dossier publié par Juris. La Cour d’appel donne finalement raison au ministre et aux citoyens impliqués dans le dossier. Les motifs de la Cour ont été rédigés par le juge Pierre J. Dalphond, auxquels souscrit le juge André Rochon. La juge Thérèse Rousseau-Houle arrive aux mêmes conclusions, mais par un raisonnement légèrement différent. Pour le juge Dalphond « ce pourvoi soulève plusieurs questions dont la légalité du certificat d'autorisation délivré par le ministre et non par le gouvernement, la possibilité pour le ministre de le révoquer, rescinder ou déclarer nul, l'étendue du pouvoir du TAQ de réviser ses décisions et les normes de contrôle applicables en révision judiciaire à l'égard des décisions du TAQ ». Il déclare en profiter pour « tenter de faire le point sur les principes développés par la Cour suprême relativement à la méthode pragmatique et fonctionnelle et sur son application récente par notre Cour à l'égard du TAQ. » Après avoir rappelé les faits en cause et résumé le jugement de 1ère instance, il décrit brièvement les moyens d’appel des parties : Pour l’appelant (le Procureur général agissant pour le ministre de l’Environnement) la Cour supérieure devait faire preuve d'une certaine retenue envers les décisions du TAQ. Selon lui, la décision du TAQ no 2 de réviser la première décision est bien fondée. En effet, l'omission du TAQ no 1 de se prononcer quant à l'assujettissement du projet à la procédure d'évaluation des impacts environnementaux et sa conclusion qu'aucune 1 200-09-003978-027 En ligne : http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?no=07095A5E5A0D1F02 révocation n'était possible en dehors des paramètres de l'art.122.1 L.Q.E. constituaient des vices de fond de nature à invalider sa décision et justifiaient l'intervention du TAQ no 2. L'appelant soutient aussi que le premier juge a erré en concluant que le ministre de l'Environnement n'avait pas le pouvoir de révoquer le certificat d'autorisation invalide, car le projet était assujetti à la procédure d'évaluation et d'examen des impacts. L'intimée rétorque que le ministre n'a aucun pouvoir de révocation hormis les cas prévus à l'art. 122.1 L.Q.E. Or, aucun de ces cas n'est applicable et le TAQ no 1 avait bien décidé. De plus, l'intimée prétend que l'art. 154 L.J.A. définit la compétence du TAQ no 2 et que son interprétation doit être assujettie à la norme de la décision correcte. Selon elle, le TAQ no 2 a excédé sa compétence en intervenant, car il n'a fait que substituer son opinion à celle du TAQ no 1. Par conséquent, la Cour supérieure était justifiée d'intervenir et de rétablir la décision du TAQ no 1. Le TAQ, mis en cause, conteste cette dernière prétention et soutient que l'analyse pragmatique et fonctionnelle conduit à retenir la norme de la décision manifestement déraisonnable à l'égard de l'interprétation que peut faire le TAQ no 2 de l'art. 154 L.J.A., les arrêts Hamel et Épiciers Unis Métro-Richelieu devant être écartés.2 Après avoir analysé les dispositions pertinentes, le juge Dalphond conclut que la compétence du ministre d’émettre un certificat d’autorisation est limité aux projets de barrage créant un réservoir de moins de 50 000 mètres carrés. Au-dessus de cette norme, seul le gouvernement a cette compétence, après réception d’un rapport du BAPE et recommandation du ministre. Il rappelle que pour décider de la norme d’intervention applicable lors d’un contrôle par voie de révision judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif, la Cour suprême a élaboré la méthode de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Cette méthode repose sur les 4 facteurs suivants : 1) 2) 3) 4) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative l’expertise du tribunal par rapport à celle du juge en révision sur la question en litige les objets de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause la nature de la question soumise ou du problème Le juge souligne qu’aucun de ces facteurs n’est déterminant en soi et que cet exercice n’a rien de machinal. De plus, si plusieurs questions sont en litige dans une même décision, il est possible que plus d’une norme de contrôle y trouvent application, selon les divers motifs allégués lors de la révision. Ces trois normes sont la décision correcte, la décision raisonnable et la décision manifestement déraisonnable. Le juge passe alors en revue les 4 facteurs cités plus haut. La révision judiciaire par la Cour supérieure des décisions du TAQ est limitée aux questions de compétence par une clause privative (art. 158 L.J.A.), dite intégrale ou véritable. Une telle clause indique que la Cour supérieure doit faire montre de retenue à l'égard des décisions du TAQ, sauf si d'autres facteurs suggèrent fortement le contraire. Le TAQ possède une expertise particulière en environnement, spécialement dans sa section du territoire et de l’environnement. Ce facteur milite lui aussi pour de la retenue par la Cour supérieure. L'objet de L.J.A. est clairement d'offrir à l'administré, insatisfait d'une décision gouvernementale, un mécanisme de contestation moins formel et plus complet que la révision judiciaire puisque le TAQ peut rendre la décision appropriée (art. 15 L.J.A.), contrairement à la 2 Jugement précité, p.6 Cour supérieure qui ne peut généralement que casser et retourner le dossier au décideur. De plus, le législateur a voulu que les décisions du TAQ, section territoire et environnement, en matière d'environnement soient finales et sans appel (art. 159 L.J.A. a contrario), sans doute pour limiter les délais et les frais (art. 14 L.J.A.). De tels objectifs indiquent un degré élevé de retenue judiciaire à l'égard des décisions que le législateur a voulu clairement confier au TAQ. Ces trois premiers facteurs penchent donc en faveur d’une grande retenue de la part de la Cour supérieure face à une décision du TAQ sauf s’il s’agit d’une décision manifestement déraisonnable. Mais il reste à examiner la nature des questions en litige. Pour le juge, deux questions distinctes étaient soulevées par la requête en révision judiciaire : 1. le TAQ no 2 pouvait-il réviser la décision du TAQ no 1 ? Si la réponse est négative, la requête en révision judiciaire doit être accueillie et la décision du TAQ no 2 annulée; la décision du TAQ no 1 est alors la seule qui demeure si sa validité n'est pas attaquée. 2. si la réponse est positive, la Cour supérieure doit alors considérer les autres arguments de l'intimée contestant le bien-fondé de la décision du TAQ no 2. En d'autres mots, cette décision est-elle autrement invalide ?3 L’art. 154 (3) de la L.J.A. prévoit que le TAQ peut réviser une de ses décisions lorsqu’il constate « un vice de fonds de nature à invalider la décision » rendue initialement. Ce n’est donc pas la compétence du TAQ no 2 qui est en question mais son interprétation de ce qui a constitué, selon lui, un « vice de fonds » rendant invalide la décision du TAQ no 1. Le juge cite longuement un jugement récent de la Cour d’appel4, dans lequel le juge Morris Fish, aujourd’hui à la Cour suprême, aborde la compétence du TAQ de se réviser et la norme de contrôle applicable par la Cour supérieure dans un tel cas. Cet arrêt opte pour la norme de contrôle intermédiaire, soit celle de la décision raisonnable simpliciter. Ce faisant la Cour d’appel a écarté les arrêts Hamel et Épiciers Unis Metro-Richelieu. Pour le juge Dalphond « L'arrêt Godin me semble représenter l'état actuel du droit sur le contrôle judiciaire de la réponse du décideur spécialisé à la question «existe-t-il un vice de fond de nature à invalider la décision antérieure».5 Donc, pour que la Cour supérieure soit justifiée de casser un jugement du TAQ en révision, il faudrait que ce dernier ait rendu une décision « déraisonnable » ou « manifestement erronée » concernant l’existence des deux vices de fonds qui entachaient la décision du TAQ no 1. Or, selon le juge « ces conclusions du TAQ no 2 ne sont pas déraisonnables, bien au contraire ». En effet, pour les motifs que j'énonce plus loin, le TAQ no 1 a gravement erré en retenant de la jurisprudence et de son analyse de l'art. 122.1 L.Q.E. que le ministre ne pouvait révoquer un certificat nul parce que délivré par lui alors que cela relevait du gouvernement en vertu de la L.Q.E. et du Règlement. Quant au deuxième vice de fond identifié par le TAQ no 2, soit le défaut du TAQ no 1 de se prononcer sur la validité du certificat émis par le ministre, il est sérieux et de nature à invalider la décision initiale. En effet, si le droit administratif reconnaît à une 3 Id., p.13-14 Tribunal administratif du Québec c. Godin, J.E. 2003-1695 5 Forces motrices Batiscan, op.cit., p.17 4 autorité la compétence inhérente de révoquer une décision lorsque nulle ab initio, il est alors essentiel de s'interroger sur la validité du certificat d'autorisation émis par le ministre plutôt que par le gouvernement. Contrairement au premier juge et au TAQ no 1, j'estime que la réponse à cette question est cruciale en l'instance car elle conditionne l'application du pouvoir de révocation du ministre. Pour ces motifs, je conclus que le TAQ no 2 n'a pas rendu une décision déraisonnable ou manifestement erronée en décidant de procéder à une révision de la décision du TAQ no 1. La requête en révision judiciaire ne pouvait donc être accueillie pour ce motif.6 Le juge Dalphond regarde alors s’il n’y aurait pas d’autres motifs ouvrant la porte à une révision judiciaire, motifs pouvant d’ailleurs être soumis à une norme de contrôle différente. Par exemple, la question du pouvoir du ministre de révoquer un certificat, une fois émis, implique l’analyse de règles complexes de common law, de doctrine et de principes en droit administratif. Ces questions dépassent le domaine d’expertise spécialisé du TAQ et ce dernier doit donner une réponse correcte à ces questions, sinon la Cour supérieure est en droit d’intervenir. C’est donc la norme de la décision correcte qui s’applique sur ce motif. Le juge considère que le TAQ no 2 s’est bien dirigé en droit en concluant que la première formation avait gravement erré sur la question du pouvoir de révocation du ministre. Ce dernier n’a pas la compétence d’émettre un certificat d’autorisation pour un barrage créant un réservoir de plus de 50 000 mètres carrés. Sa décision initiale était donc entachée de nullité absolue. Une telle décision ne peut créer de droit acquis pour son bénéficiaire et, en vertu des principes généraux de droit administratif, même en l’absence d’une disposition législative précise, le ministre conservait donc son pouvoir de révoquer. L’analyse juridique du TAQ no 2 sur cette question était correcte et la Cour supérieure n’était pas justifiée d’intervenir. Quant à l’interprétation des mots « réservoir créé » par le TAQ, il s’agit là aussi d’une d’une question purement de droit, ayant trait à l’interprétation de dispositions législatives et réglementaires de la L.Q.E. La décision du TAQ doit donc être correcte sinon la Cour supérieure pourra intervenir. ….je suis incapable de conclure que l'interprétation retenue par le T.A.Q. no 2 des mots «réservoir créé» que l'on retrouve à l'art. 2 du Règlement est incorrecte. Bien au contraire, elle me semble la seule vraiment compatible avec la finalité de protection de la L.Q.E. (…) Le projet de l'intimée qui créerait un réservoir d'une superficie bien supérieure à 50 000 m² devait donc être soumis au BAPE pour enquête et rapport, puis obtenir un certificat d'autorisation délivré par le gouvernement et non le ministre. Ce dernier pouvait donc révoquer ou rescinder celui que son ministère avait délivré en excès de sa compétence et qui était, par voie de conséquence, nul ab initio.7 Le jugement conclut donc que le TAQ no 2, agissant en révision, avait correctement répondu aux questions relatives au pouvoir de révocation et à la compétence du ministre d’émettre un tel certificat et que la Cour supérieure n’avait pas à intervenir pour invalider sa décision. L’appel est donc accueilli, le jugement de la Cour supérieure infirmé, le tout avec dépens. Concrètement, la décision du ministre de révoquer le certificat d’autorisation est avalisée. Reste à voir maintenant si la Cour Suprême acceptera d’entendre l’appel logé par 6 7 Id., p. 19 Id., p. 22 Forces motrices Batiscan. La Cour pourrait vouloir en profiter pour faire le point sur les normes de contrôle applicables en révision judiciaire. Il demeure que cette décision est importante au point de vue du droit administratif et du droit de l’environnement. Trop souvent les promoteurs cherchent à escamoter le processus public d’examen des impacts, pour une prétendue économie de coûts et de temps. Ils obtiennent un certificat d’autorisation du ministre sans que la population ait pu prendre connaissance des données. Une fois le permis obtenu, ils se disent qu’on ne peut plus leur enlever… Le jugement de la Cour d’appel rendra les promoteurs, les fonctionnaires et les ministres en charge de ces dossiers plus prudents à l’avenir. Si un groupe de citoyens découvrent des données démontrant que le ministre n’avait pas la compétence d’émettre un permis, ils sauront que le droit permet d’exiger qu’un tel permis soit révoqué. Cela pourrait même aller jusqu’à exiger la démolition d’un ouvrage « illégalement autorisé ». Il serait donc beaucoup plus sage de jouer franc dès le début, de mettre tous les faits à la connaissance du public, de participer de bonne foi au processus d’évaluation et d’examen prévu par la L.Q.E. La certitude juridique tant recherchée, le droit des citoyens à l’information et à un environnement de qualité en sortiraient renforcés. Il faut aussi souligner cette victoire des citoyens, obtenue par leur recours aux moyens légaux et par la mobilisation de l’opinion publique. Dans une époque où la justice et les avocats sont souvent vus avec cynisme, il est rassurant de voir que le droit et le bon sens peuvent finir par prévaloir, même lorsqu’une compagnie appartenant à d’influents hommes d’affaires du Québec est en cause. Le droit peut définitivement être un outil d’action pour la défense de l’environnement. La cause Procureur général du Québec c. Forces motrices Batiscan en est un exemple. À suivre ! (1) titre d’Eau Secours !