Date - Commission d`accès à l`information

Transcription

Date - Commission d`accès à l`information
Commission d’accès
à l’information du Québec
Dossier :
PV 02 13 41
Date :
9 novembre 2005
Commissaires :
Me Diane Boissinot
Me Hélène Grenier
Me Christiane Constant
X.
Plaignant
c.
HEENAN BLAIKIE
Intimés
et
PRATT & WHITNEY CANADA
CORPORATION
Intimée
_________________________________________________________________
DÉCISION
_________________________________________________________________
[1]
La Commission, disposant de la plainte déposée par le plaignant le 11 juin
2002 contre les intimés;
[2]
Après enquête, analyse de la preuve et délibéré;
[3]
Pour les motifs de la Commissaire Boissinot et des Commissaires Grenier
et Constant;
PV 02 13 41
[4]
Page : 2
REJETTE la plainte déposée contre chacun des intimés.
DIANE BOISSINOT
Commissaire
HÉLÈNE GRENIER
Commissaire
CHRISTIANE CONSTANT
Commissaire
Avocat des intimés :
Me Robert Dupont
(Heenan, Blaikie, avocats, s.r.l.)
PV 02 13 41
Page : 3
_________________________________________________________________
MOTIFS DE LA COMMISSAIRE DIANE BOISSINOT
_________________________________________________________________
LA PLAINTE
[5]
Le 11 juin 2002, le plaignant reproche aux intimés d’avoir divulgué, le
9 janvier 2002, sans son consentement, dans le cadre de procédures judiciaires
devant la Cour supérieure dans le dossier no 505-05-007609-016, source d’un
appel à la Cour d’appel (dossier n° 500-09-011984-028), des renseignements
personnels le concernant. Il ajoute que son ancien employeur, Pratt & Whitney,
n’a pas pris les mesures nécessaires pour voir à la confidentialité de ces
renseignements.
LES FAITS
Les faits suivants ressortent des documents de la liasse I-1 :
[6]
•
•
•
•
•
•
Le plaignant est un ancien employé de l’intimée Pratt & Whitney qui a mis
fin à l’emploi du plaignant ;
Le 10 octobre 2001, le plaignant conteste la cessation de son emploi
auprès de la Commission des normes du travail (la « CNT ») en complétant
deux formulaires de plainte dans lesquels il inscrit, entre autres, ses nom et
prénom, son adresse, son no de téléphone, sa date de naissance et son
numéro d’assurance sociale (le « NAS ») ;
Peu après, la CNT transmet ces deux documents à l’intimée Pratt &
Whitney qui les communique à ses procureurs, le cabinet d’avocats
Heenan Blaikie, également intimé dans la présente instance ;
La CNT avise le plaignant que le dossier est transféré au bureau du
Commissaire général du travail ;
Le 5 décembre 2001, le plaignant présente une requête pour jugement
déclaratoire devant la Cour supérieure du Québec (District de Longueuil)
dans le dossier no 505-05-007609-016 relative, notamment, à son emploi et
à son fonds de retraite;
Aux allégués 9, 14, 15, 20, 22, 23, 26 et 27 de cette requête, le plaignant
réfère, directement ou indirectement, à son congédiement par la
défenderesse, l’intimée Pratt & Whitney, ou à la cessation de son emploi
chez cette dernière :
[…]
PV 02 13 41
Page : 4
9. Petitioner was recently terminated at age fifty-one (51) on
the alleged basis of a reorganization of the activities of the
Respondent company;
[…]
14. The eligibility requirement for the “temporary amount of
retirement income” (also referred to as “bridging benefits”) is
that you must be in the Respondent’s employ at 55;
15. It is entirely discriminatory under the circumstances for
Respondent to arbitrarily apply a sixty percent (60%)
reduction of retirement benefits to one category of
employees, as it does to Petitioner, and a thirty-percent
(30%) reduction to another category, the prescribed class of
employees, that is, those it chooses to keep in its employ to
age 55;
[…]
20. Under the circumstances of Petitioner’s termination, he
would not suffer the arbitrary penalty if he were an Ontario
employee of the Respondent;
[…]
22. As the Plan is employer-funded, there is a major
financial incentive for Respondent to terminate long-term
Participants under age 55 as it results in a very substantial
reduction of its own financial obligations, i.e. having to
contribute to the Salaried Employees Pension Plan Fund to
maintain the required funding and solvency as appears from
Article 17.02 of the Plan, Exhibit P-1;
23. The Plan allows Respondent to unjustly enrich itself at
the expense of Petitioner who is correlatively impoverished;
24. Respondent made no mention of the absence of
bridging benefits in the calculations given Petitioner at the
“Exit Interview” and subsequently maintained that there
would be no negotiating […]; (sic)
[…]
26. The penalties are a fundamental breach of contract and
a clear exploitation of Petitioner who in addition to the loss
of his livelihood, is substantially deprived of the intended
benefit he was to obtain under the pension contract;
27. The penalties to Petitioner are unconscionable as
excessive and unreasonably detrimental, abusive and
discriminatory;
[…]
[7]
Il ressort également des documents de la liasse I-1 que le bien-fondé de
cette requête du plaignant en jugement déclaratoire est contesté par les intimés
Pratt & Whitney et Heenan Blaikie, ses procureurs, qui produisent, le 9 janvier
2002, devant la Cour supérieure, dans ce même dossier no 505-05-007609-016,
PV 02 13 41
Page : 5
une requête en irrecevabilité, en y annexant les deux formulaires de la CNT où se
trouvent les renseignements visés par la présente plainte.
[8]
Les intimés ont alors plaidé l’irrecevabilité de cette requête en jugement
déclaratoire au motif que le plaignant « ne possède pas l’intérêt suffisant et requis
[…] pour présenter une requête pour jugement déclaratoire en ce qu’il y a absence
d’une difficulté réelle à faire trancher immédiatement ».
[9]
Les intimés ont ainsi fait valoir, aux paragraphes 4 à 11 de cette requête en
irrecevabilité (liasse I-1), que le débat que le plaignant soulève dans sa requête
en jugement déclaratoire est purement hypothétique et prématuré, puisque ce
dernier recherche déjà la réintégration de son statut d’employé au sein de Pratt &
Whitney, avec pleine compensation monétaire, au moyen de l’inscription, le
10 octobre 2002, des deux plaintes à la CNT, le tout conformément aux articles
122.2 et 124 de la Loi sur les normes du travail1 en vigueur au moment de la
cessation d’emploi.
[10] Dans le but d’établir le bien-fondé de leur requête en irrecevabilité, les
intimés ont alors dû annexer à celle-ci copie des deux plaintes contenant les
renseignements visés par la présente plainte.
[11] Ce geste des intimés d’ainsi rendre public les renseignements personnels
concernant le plaignant est à la source de la plainte faisant l’objet de la présente
enquête, le plaignant jugeant que cette divulgation est faite en contravention des
dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le
secteur privé2.
APPRÉCIATION
[12] La Commission puise sa compétence en matière d’enquête en vertu des
pouvoirs que lui confère le législateur à l’article 81 de la Loi.
81.
La Commission peut, de sa propre
initiative ou sur la plainte d'une personne
intéressée, faire enquête ou charger une
personne de faire enquête sur toute matière
relative à la protection des renseignements
personnels ainsi que sur les pratiques d'une
personne qui exploite une entreprise et
1
2
L.R.Q. c. N-1.1, ci après appelée la « LNT ».
L.R.Q., c. P-39.1, ci-après appelée « la Loi ».
PV 02 13 41
Page : 6
recueille, détient, utilise ou communique à des
tiers de tels renseignements.
À cette fin, toute personne autorisée
par la Commission à faire enquête peut:
1° avoir accès, à toute heure
raisonnable, dans les installations d'une
entreprise exploitée par une personne qui
recueille, détient, utilise ou communique à
des tiers des renseignements personnels;
2° examiner et tirer copie de tout
renseignement personnel, quelle qu'en soit la
forme.
[13]
L’article 2 de cette loi, définit les termes « renseignement personnel » :
2.
Est un renseignement personnel, tout
renseignement qui concerne une personne
physique et permet de l'identifier.
[14] Les faits démontrent que les intimés ont pris connaissance des
renseignements faisant l’objet de la présente plainte à la suite de l’initiative du
plaignant d’intenter les recours que lui permettent la LNT et ce, tant à titre
d’employeur assujetti à la LNT qu’à titre de procureur de tel employeur.
[15] Les intimés, détenteurs de ces renseignements, doivent respecter les
règles prévues aux articles 13 et 14 de la Loi relativement à la communication de
ceux-ci en l’absence de consentement de la part de la personne concernée :
13.
Nul ne peut communiquer à un tiers les
renseignements personnels contenus dans un
dossier qu'il détient sur autrui ni les utiliser à
des fins non pertinentes à l'objet du dossier, à
moins que la personne concernée n'y
consente ou que la présente loi le prévoit.
14.
Le consentement à la communication
ou à l'utilisation d'un renseignement personnel
doit être manifeste, libre, éclairé et être donné
à des fins spécifiques. Ce consentement ne
vaut que pour la durée nécessaire à la
réalisation des fins pour lesquelles il a été
demandé.
PV 02 13 41
Page : 7
Un consentement qui n'est pas donné
conformément au premier alinéa est sans effet.
[16] Les faits démontrent que le plaignant a de toute évidence et manifestement
consenti à ce que les renseignements personnels contenus aux formulaires des
deux plaintes formulées en vertu de la LNT soient communiqués à son employeur
et à ses procureurs. Il est de l’essence de l’application de la LNT que ces
informations soient remises à l’employeur et à ses procureurs.
[17] D’ailleurs l’article 18 de la Loi permet la communication de ces
renseignements par l’employeur à ses procureurs :
18.
Une personne qui exploite une
entreprise peut, sans le consentement de la
personne concernée, communiquer un
renseignement personnel contenu dans un
dossier qu'elle détient sur autrui:
1° à son procureur;
[…]
Les personnes visées aux paragraphes 1o et
9o du premier alinéa qui reçoivent
communication de renseignements peuvent
communiquer ces renseignements dans la
mesure où cette communication est
nécessaire, dans l'exercice de leurs fonctions,
à la réalisation des fins pour lesquelles elles en
ont reçu communication.
[…]
[18] Les audiences tenues devant les tribunaux judiciaires et quasi judiciaires
sont de nature publique ainsi que les faits qui y sont discutés à moins que ces
derniers ne fassent l’objet d’une ordonnance de non-divulgation, de nonpublication ou de non-diffusion ou que le tribunal ne les ait obtenus alors qu’il
siégeait à huis clos.
[19] Rien ne laisse croire que le plaignant ait requis un juge de la Cour
supérieure au cours de l’instance dans le dossier no 505-05-007609-016 de
décréter le huis clos ou de protéger par une telle ordonnance la confidentialité des
renseignements en cause ici.
[20] Les faits recueillis démontrent que la présentation de la requête en
jugement déclaratoire par le plaignant devant la Cour supérieure (dossier no 50505-007609-016) mettant en cause publiquement la cessation de son emploi chez
Pratt & Whitney, attire forcément la riposte des intimés à ce sujet et, en corollaire,
PV 02 13 41
Page : 8
au sujet des recours dont s’est prévalu le plaignant devant la CNT (ce qu’ils ont
fait en déposant la requête en irrecevabilité visée par la présente plainte).
[21] Je considère que ce faisant, le plaignant a manifestement renoncé à la
confidentialité des renseignements le concernant qui sont en cause ici et qu’il a
lui-même fournis sur ses deux formulaires de plainte à la CNT.
[22] Je suis d’avis que les intimés n’ont aucunement contrevenu aux articles 13
et 14 de la Loi puisque le plaignant a implicitement consenti à la discussion
publique des renseignements dont la divulgation par les intimés fait l’objet de la
présente plainte.
[23]
Je suis convaincue que la présente plainte est manifestement non fondée.
[24]
Pour ces motifs, je rejette la plainte contre chacun des intimés.
_________________________________________________________________
MOTIFS DES COMMISSAIRES HÉLÈNE GRENIER ET
CHRISTIANE CONSTANT
_________________________________________________________________
LA PLAINTE
[25]
•
•
Le 11 juin 2002, le plaignant reproche, finalement et précisément :
aux avocats de son ex-employeur d’avoir, sans autorisation, sans nécessité et
sans intérêt légitime, divulgué sa date de naissance ainsi que son numéro
d’assurance sociale en produisant ces renseignements aux dossiers de la
Cour supérieure et de la Cour d’appel;
à son ancien employeur, Pratt & Whitney, de ne pas avoir prévenu ou mis en
place une procédure pour prévenir « une telle violation ».
[26] Il demande à la Commission de déterminer si les intimés ont porté atteinte
à sa vie privée.
LES FAITS
[27] Les documents pertinents produits par le plaignant et les intimés
démontrent en substance que :
PV 02 13 41
•
•
•
•
•
•
•
Page : 9
Le 10 octobre 2001, le plaignant a déposé devant la Commission des
normes du travail deux plaintes contre l’intimée Pratt & Whitney pour
contester sa mise à pied; l’intimée Pratt & Whitney a, en conséquence,
mandaté les intimés Heenan Blaikie pour la représenter;
Dans le libellé de ses deux plaintes, le plaignant s’est identifié en inscrivant,
entre autres, ses nom et prénom, son adresse, son no de téléphone, sa
date de naissance et son numéro d’assurance sociale;
Le 5 décembre 2001, le plaignant a déposé devant la Cour supérieure une
requête pour jugement déclaratoire; cette requête, reliée à la contestation
de sa mise à pied, l’opposait à son ex-employeur, l’intimée Pratt & Whitney;
Les intimés ont contesté la recevabilité de cette requête; ils ont notamment
produit, au soutien de leur requête en irrecevabilité, une copie des plaintes
précitées telles que le plaignant les avait déposées devant la Commission
des normes du travail; la Cour supérieure a accueilli la requête en
irrecevabilité des intimés;
Le 1er mars 2002, le plaignant a inscrit la décision de la Cour supérieure en
appel; le 3 avril 2002, la Cour d’appel le déboutait de sa requête voulant
que cette Cour supprime sa date de naissance ainsi que son numéro
d’assurance sociale qui étaient inscrits sur la copie des plaintes que les
intimés avaient produite au dossier de la Cour;
Le 16 avril 2002, la Cour supérieure a débouté le plaignant de sa requête
voulant que cette Cour supprime sa date de naissance ainsi que son
numéro d’assurance sociale qui étaient inscrits sur la copie des plaintes
que les intimés avaient produite au dossier de la Cour;
Le 6 mai 2002, la Cour d’appel a débouté le plaignant qui s’était à nouveau
adressé à elle le 3 avril 2002 pour qu’elle supprime sa date de naissance
ainsi que son numéro d’assurance sociale qui étaient inscrits sur la copie
des plaintes que les intimés avaient produite au dossier de la Cour; selon le
plaignant, la divulgation non autorisée de ces renseignements n’était pas
nécessaire ni devant la Cour supérieure ni devant la Cour d’appel et
constituait une violation de sa vie privée; la Cour l’a cependant et dès lors
autorisé à supprimer son numéro d’assurance sociale du dossier des Cours
supérieure et d’appel.
OBSERVATIONS DES PARTIES
[28] Les intimés prétendent que la plainte soumise à la Commission doit être
rejetée puisque les 3 décisions précitées des Cours supérieure et d’appel,
rendues les 3 avril 2002, 16 avril 2002 et 6 mai 2002, constituent chose jugée en
l’espèce. Les intimés soulignent à cet égard qu’il y a identité des parties, de cause
et d’objet et que le plaignant a, à chaque reprise, été débouté dans sa demande
PV 02 13 41
Page : 10
de faire supprimer sa date de naissance et son numéro d’assurance sociale des
dossiers judiciaires. Pour sa part, le plaignant signale que la Cour d’appel l’a
autorisé, le 6 mai 2002, à supprimer son numéro d’assurance sociale du dossier
des Cours supérieure et d’appel.
APPRÉCIATION
[29] Les fonctions et pouvoirs de la Commission dans le secteur privé sont
d’abord déterminés par le 2e alinéa de l’article 122 de la Loi sur l’accès aux
documents des organismes publics et sur la protection des renseignements
personnels (L.R.Q., c. A-2.1) :
122. La Commission a pour fonction
d'entendre, à l'exclusion de tout autre tribunal,
les demandes de révision faites en vertu de la
présente loi.
La Commission exerce également les
fonctions qui lui sont attribuées par la Loi sur
la protection des renseignements personnels
dans le secteur privé (chapitre P-39.1).
[30] L’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le
secteur privé est clairement circonscrit par son article 1 :
1.
La présente loi a pour objet d'établir,
pour l'exercice des droits conférés par les
articles 35 à 40 du Code civil du Québec en
matière de protection des renseignements
personnels, des règles particulières à l'égard
des renseignements personnels sur autrui
qu'une personne recueille, détient, utilise ou
communique à des tiers à l'occasion de
l'exploitation d'une entreprise au sens de
l'article 1525 du Code civil du Québec.
Elle s'applique à ces renseignements
quelle que soit la nature de leur support et
quelle que soit la forme sous laquelle ils sont
accessibles : écrite, graphique, sonore,
visuelle, informatisée ou autre.
La présente loi ne s'applique pas à
la collecte, la détention, l'utilisation ou la
communication de matériel journalistique,
historique ou généalogique à une fin
d'information légitime du public.
PV 02 13 41
Page : 11
[31] Le plaignant reproche essentiellement aux intimés d’avoir communiqué des
renseignements personnels le concernant à la Cour supérieure et à la Cour
d’appel, ce, dans le cadre de procédures.
[32] Les tribunaux judiciaires ne sont pas des tiers au sens de la Loi sur la
protection des renseignements personnels dans le secteur privé; les
renseignements personnels sur autrui qui leur sont communiqués par une
personne qui exploite une entreprise ne sont conséquemment pas visés par l’objet
de cette loi. Contrairement aux tribunaux judiciaires qui se sont prononcés sur les
requêtes du plaignant, la Commission n’exerce, dans les circonstances, aucune
fonction à l’égard des renseignements visés par la plainte.
[33]
Pour ces motifs, la plainte doit être rejetée.