L`ART A LA COUR DE RODOLPHE II A PRAGUE par Richard Flahaut

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L`ART A LA COUR DE RODOLPHE II A PRAGUE par Richard Flahaut
L’ART A LA COUR DE RODOLPHE II A PRAGUE par Richard Flahaut
Sa cour fut le véritable sanctuaire des Muses et la résidence de nombreux savants et artistes, en particulier de peintres et d’astrologues qui trouvèrent dans
l’Empereur non seulement un protecteur indulgent mais aussi un compagnon des Arts très éclairé… Sigmund Von Birken 1657
Rodolphe II est fils de Maximilien II et de Marie de Habsbourg, neveu et fille de Charles Quint. Jusqu’en 1571 il fut élevé en Espagne à
la Cour austère mais foyer de grande culture de Philippe II. Sa mère voulait pour lui une éducation très catholique loin de l’Empire où le
protestantisme s’implantait dangereusement. Il rentre à Vienne en 1571, est couronné roi de Hongrie en 1572 et roi de Bohême en 1575.
Il devient Empereur du St Empire Romain Germanique à la mort de son père en 1576.
Les portraits n'en donnent pas une image particulièrement séduisante : de taille moyenne, il présente le prognathisme des Habsbourg
fortement prononcé, lèvres épaisses, visage bouffi. (Buste de Rodolphe II -Leone Leoni - Rodolphe II 1606–1608 par van Aachen KHV portrait symbolique
(disparu) par Arcimboldo - dessin de Arcimboldo lors du couronnement - tenue - caftan d'inhumation) Sa vie privée fut souvent malheureuse. Il fut
jalousé de ses frères Mathias, Maximilien et Albert, seul Ernest élevé avec lui à L’Escorial lui resta proche. Il fut une personnalité
controversée, qui préférait ses collections artistiques aux obligations de l'homme d'Etat, souvent caractérisé comme un homme bizarre,
un souverain incapable, un fou sur le trône. D'autres historiens sont d'un autre avis. Dans son livre "La tragédie humaine de Rodolphe II
par les yeux des contemporains", Jaroslav Panek, le décrit comme un intellectuel sur le trône, qui portait en soi déjà le conflit des temps
modernes. Le conflit justement de la mise en doute de la tradition catholique qui cède la place au maniérisme, dont Rodolphe II était le
plus important représentant. Le sentiment de sécurité et d'harmonie, caractéristique de la Renaissance, a disparu. Le maniérisme
représente l'incertitude, la fuite de la réalité et un scepticisme. Sur le trône de Bohême, il s'est fait remarquer surtout comme garant des
libertés religieuses. L'empereur, soutenu par le parti catholique, avait contre lui une opposition d'Etats tchèques protestants. Lorsqu'en
1609, Rodolphe II de Habsbourg signe la Lettre de Majesté instituant la tolérance religieuse, le pays connaît également une consolidation
politique. Et pourtant, son règne est souvent considéré comme le début de la décadence de la dynastie catholique des Habsbourg. Son
règne s'est terminé par un échec, son abdication. Huit ans après sa mort, la bataille de la Montagne Blanche marque la défaite des Etats
tchèques.
Au printemps 1583, il décide d'abandonner Vienne pour la capitale bohémienne -Prague - qui avait pour lui beaucoup d'attraits.
Rodolphe qui, en vrai fils de la Renaissance, avait un prodigieux appétit de savoir même s'il ne savait pas distinguer la science du
merveilleux, l'astronomie de l'astrologie, occupé inlassablement à percer les mystères de la création et de l'invisible. Il accueille à sa cour
deux des plus grands astronomes de l'Europe, Tycho Brahé et Johannes Kepler.
Ville résidentielle de l'empire des Habsbourg, devenant ainsi pour vingt huit ans l'une des plus importantes villes d'Europe centrale,
Prague est une ville séparée en deux par la Vlatva (Moldau). Il s'installe dans un petit pavillon (copiée de la loggia des Médicis) et
entreprend des travaux au château. La cour séjourne au Hradcany/Hradschin, vaste complexe qui associe les résidences impériales, la
gothique cathédrale St Guy, construite par Jean Dartois, des églises et couvents (St Georges) des maisons nobles (palais des "diamants"). Il
domine la Vieille Ville (Staré Mesto) avec son hôtel de ville médiéval et la puissante église Notre Dame de Tyn. Au pied du château
s’étend le quartier de Mala Strana (« Le Petit Côté »). A proximité de Staré Mesto se développe la Nouvelle Ville. (Nove Mesto). Le Pont
Charles joint les deux rives du fleuve. La ville est protégée par ses deux saints : saint Venceslas et saint Guy (van Aachen)
Le mécénat rodolphinien en peinture et sculpture
A la différence des autres princes catholiques, sa religion était l'art et la nature. Rodolphe II a fait de Prague la capitale de la monarchie et
il y a établi sa résidence permanente. Le Château de Prague accueille les immenses collections impériales. Son règne marque l'apogée de la
rénovation du Château sous la direction de l'architecte Giovanni Maria Filippi. L'esthétique de la Renaissance italienne, puis le
maniérisme, annonciateur du baroque, sont introduits dans le pays. Il a inspiré une véritable Ecole de Prague comme François 1er inspira
l'Ecole de Fontainebleau et eu un rôle d'un mécène incomparable, le premier qui eut l'amour de la peinture traitée en objet de collection.
(Il avait des rabatteurs dans toute l'Europe). L’influence italienne domine, incarnée par Gian Bologna (Jean de Bologne) qui enverra à
Prague le peintre Bartholomeus Spranger et le sculpteur Hans Mont, son propre élève.
Les premiers peintres appelés à la cour de Rodolphe avaient déjà travaillé pour Maximilien II qu’il s’agisse de Jacopo Strada (Mantoue
1515-Vienne ? 1585) ou Giuseppe Arcimboldo (Milan 1527 – Milan 1593).
Venu à la cour comme portraitiste Arcimboldo affirme son originalité dans les « Quatre Eléments » de la nature, assemblage de fruits,
fleurs, légumes, les poissons symbolisent l’eau, les mammifères la terre. Les « Saisons » suivront et le portrait du Prince. Ce ne sont plus
de simples variations virtuoses de la nature morte élevée au rang de visages humains : ce sont des allégories de l’Empire, de ses bienfaits
et de l’Empereur qui les dispensent. En Vertumne, Rodolphe est représenté comme le dieu des saisons, fruits et fleurs illustrent la paix, la
prospérité, l’harmonie de son règne. Les quatre saisons Cp
Bartholomeus Spranger (Anvers 1546 – Prague 1611) commence sa carrière sous Maximilien II. Influencé par les modi de Jules
Romain et les Amours des dieux de Rosso Fiorentino et de Perino del Vaga, il développa pour son puissant mécène un art raffiné
privilégiant des poses complexes et des thèmes mythologiques et érotiques souvent emprunts d'allusions ésotériques et d'effets
rhétoriques. Ses œuvres s’inscrivent d’emblée dans la lignée des maîtres maniérismes: en témoignent les mouvements hélicoïdaux
rapides, les corps élancés, l’accord parfait entre le paysage et les figures. Il s’inspire souvent des Métamorphoses d’Ovide dans ses
tableaux mythologiques aux personnages aux corps enlacés, déséquilibrés, emportés dans de vertigineuses spirales. Dans les années 1586
son maniérisme évolue vers une plasticité plus frappante, des visages aux traits plus sommaires et caricaturaux comme modelés dans la
cire, avec un certain souci de moralisation. Proche de l'empereur qui venait souvent lui rendre visite dans son atelier du château de
Prague, Spranger ne travailla pas seulement pour la Cour mais obtint également des commandes de la part d'influents personnages. Il
entreprit des œuvres innovantes et toujours plus complexes, faisant ainsi preuve d'une réelle inventivité technique.
La Résurrection du Christ (v. 1576) - Prague, Narodni Galerie - Athéna victorieuse sur l'Ignorance (c. 1591) - Venus and Vulcan c. 1610 KHV
Roelandt Savery met son pinceau au service des empereurs d'Allemagne à la cour de Rodolphe II de 1603 à 1613 où il étudie sa
ménagerie d'animaux exotiques. Il peint des pélicans, des autruches, des chameaux, et même le dodo, animal éteint. Il est le premier
peintre flamand à proposer des animaux seuls. Paysage avec des animaux KHV
Hans Hoffmann (Nuremberg vers 1530-Prague1591-1592 ?) entre au service Rodolphe en 1585 comme portraitiste avant l’évoluer dans
la mouvance de Dürer qu’il copie comme peintre de la nature animaux divers issu d'un grand album
Von Aachen (Cologne-1551- 52 ? – Prague 1615) En 1592, il fait à Prague le portrait de l'empereur Rodolphe II et devient peintre de la
cour impériale tout en menant une carrière diplomatique. En 1594, il est anobli. Il synthétise l’originalité de la technique flamande, le
colorisme vénitiens et le maniérisme romain tardif. Il excelle dans le portrait, la grande peinture religieuse (« Portement de Croix » 1587),
les petits tableaux de genre, les scènes mythologiques.
Conversation galante (Kuppeleiszene um 1605/1610) KHV - portait de jeune fille
Joseph Heintz le Vieux (Bâle 1554 – Prague 1609), son élève, évolue dans les mêmes registres où l’on sent l’influence italienne du
Corrège dans les conversations sacrées.
Les peintures mythologiques, d’histoires ou religieuses constituaient le grand genre, le genre noble. Toutefois Rodolphe II porta un grand
intérêt aux peintres de paysage qui furent les premiers à faire des relevés par les champs et forêts de Bohème qui entouraient Prague.
L’Empereur avait admiré en Espagne certaines œuvres de Brueghel, il connaissait les frères Bril, Hans Bol. Pieter Stevens, (Malines
1567 ? – Prague 1624) fait des croquis de plein air, peint des paysages avec ruines dans la tradition romaine et des paysans dans la
tradition flamande.
Joris Hoefnagel (Anvers 1542 – Vienne 1600), miniaturiste de qualité est sensible au charme de Prague. Il est également attiré par le
monde animal et végétal : il rassemble plantes coquillages et insectes dans de savantes allégories.
La sculpture fut une autre passion de l’empereur: Hans Mont très tôt disparu et Adrien de Vries (La Haye vers 1545 – Prague 1646)
qui en 1593 réalise son premier travail pour Rodolphe II « Mercure et Psyché » au Louvre. Ces œuvres de grande envergure présente
l’élégance maniériste des sculptures du maître. Il réalise par la suite des pièces de plus petites dimensions pour « Le Cabinet de
Curiosités » de Rodolphe II. De nombreux chevaux sont sculptés pour satisfaire cette autre passion du Prince.
La Kunstkammer et les arts décoratifs
L’Empereur se contenta des transformations nécessaires pour abriter sa cour, et ses collections. Subsistent La Grande Salle, la Salle
Espagnole. Collectionneur, l'empereur le fut au suprême degré. Il est à l'origine de la collection d'art gothique d'Albertina comprenant 30
000 dessins et d'environ 800 000 estampes et aquarelles, conservés à Vienne. Le Musée de Vienne lui doit 7 des 9 tableaux d'Albert Durer
grâce à son ambition de rassembler chez lui les principales toiles de ce plus grand peintre allemand de la Renaissance. Il possédait aussi
des centaines de ses dessins et de ses croquis.
Durer Vierge du rosaire 1506. KHV La peinture est une commande du banquier Jacob Fugger (chez qui Dürer est hébergé à Venise et dont on
voit les deux frères représenté sur la droite) qui est à l'époque, en 1506, l'intermédiaire entre l'empereur Maximilien et le pape Jules II au
sujet du couronnement de celui-là. Aussi, sur le panneau sont représentés l’empereur Maximilien et le pape Jules II en train de se faire
couronner de roses par la Vierge à l'Enfant. Il reflète l'appropriation des techniques vénitiennes, visible essentiellement dans l'usage de la
couleur, mais conserve néanmoins des caractères picturaux typiquement germaniques. A la gauche de la Vierge : saint Dominique de
Guzmán, promoteur du culte marial et de la dévotion du rosaire qui s'est développée au XIIIe siècle sous l'influence des dominicains. Ce
tableau rappelle la lutte contre les Turcs, car par la foi on peut essayer de vaincre l'hérésie… Albrecht Dürer, dans le coin supérieur droit
aux pieds des montagnes et d'un paysage typiquement allemand. Aux côtés de l'artiste se tient (?) Leonhard Vilt, fondateur de la
Fraternité du Rosaire à Venise. À l'extrême-droite, habillé de noir et tenant à la main une équerre, se tient Hieronymus d'Augsburg,
l'architecte du nouveau Fondaco dei Tedeschi, le centre économique des Allemands à Venise. Dürer s'est ici beaucoup inspiré du travail
de Giovanni Bellini. La célébrité du tableau aiguillonne l'appétit de l'insatiable collectionneur qu'est Rodolphe II qui en fait l'acquisition
en 1606 auprès de la communauté allemande de Venise et qui le fait rejoindre ses collections. Lors de la guerre de Trente Ans, la Vierge
de la fête du rosaire échappe de peu au pillage du château de Prague par les troupes suédoises et saxonnes. En 1782, Joseph II ordonne la
vente aux enchères des collections du château de Prague qui, demeure impériale malaimée des Habsbourg, n'est alors guère plus qu'une
caserne et un bâtiment administratif. Plusieurs propriétaires se succèdent alors avant qu'en 1793 ne l'achètent les chanoines du monastère
de Strahov à Prague.
Parmi les objets les plus précieux de la collection, il y avait des bijoux. Selon un témoignage de l'explorateur Jacques Esprinchard, en
1597, la plus précieuse fut une plaque en marbre décorée de pierres précieuses et fines avec, au milieu, un aigle de Habsbourg incrusté de
diamants. Son prix fut estimé à 200 000 d'écus. Une fortune à l'époque. La Kunstkammer doit servir de lieu d’exposition aux collections
de peinture et de sculpture. Il rassembla une galerie d’œuvres remarquables composées des œuvres ramenées d’Espagne à la mort de
Philippe II (Corrège Io, Danaé, Ganymède, Léda, Parmigianino -Cupidon bandant son arc Jérôme Bosch- Le Paradis) ; des œuvres
achetées ou sollicitées auprès des princes italiens (Véronèse, Titien, Raphaël, Cambiaso…). Au total dans la grande salle on pouvait voir :
11 Titien, 6 Tintoret, 1 Léonard de Vinci (La Dame à l’Hermine) 6 Corrège, 1 Caravage, Bassano, Giorgione, Giulio Romano… Mais la
Kunstkammer n’est pas qu’une galerie de tableaux et de sculptures comme le studiolo de François Ier de Médicis et elle doit présenter :
 des mirabilia Merveilles de la nature ou étrangetés historiques
 des scientifica : appareils d’astronomies, instruments de mathématiques et de mesures,
 des collections ethnographiques, des objets venus d’Amérique, de Perse, du Siam, de Turquie et d’Afrique.
 des artificialia : travaux d’orfèvrerie, verrerie (le cristal de Bohême). Rodolphe II développa avec un goût judicieux les arts décoratifs.
On est amené à penser qu’il se créa dans ce domaine une véritable Ecole de Prague
Les orfèvres célèbres furent : Anton Schweinberg d’Augsbourg qui utilisa les formes irrégulières de noix de palme et de corne de
rhinocéros pour créer des aiguières et hanaps baroques, Paulus Von Vienen (Utrecht v.1570 –Prague 1613), Hans Vermeyen qui
réalisa la nouvelle couronne impériale et Andréas Osenbruck, le sceptre.
Les plus remarquables graveurs de gemmes et de camées furent des italiens : Cosimo et Giovanni Castrucci qui avaient été au service
des grands ducs de Toscane, Ottavio Miseroni (Milan v.1570 – Prague 1624) et son fils Dionysio.
Rodolphe II se voulut aussi le maître du temps grâce aux horloges de Michaël Schneeberger, Gustav Margav, Jost Bürgi, Erasmus
Habermel, Georg Roll qui inspira l’organiste Hans Léo Hassler. La musique fut aussi un passe temps comme ses automates de table
Bezoar monté sur des lions en or KHV (concrétion dans l'estomac instestins
d'herbivores, à laquelle on attribuait autrefois une valeur d'antidote)
Anton Schweinberger coupe en noix de coco gravée et monture en or KHV
Nikolaus Pfaff Coupe en corne de rhinocéros avec défenses de phacochère KHV
Jan Vermeyen pot en - dents de Narval, KHV
Christoph Jamnitzer bassin montrant le cortège triomphal de Cupidon KHV
Gaspar Miseroni vase en lapis lazuli à poignée de dragon en or KHV
Ottavio Miseroni coupe à résille d'or
Hans Schlottheim Automate en forme de bateau KHV
Hans Jakob I. Bachmann Figure de Diana et le centaure KHV
Johannes Reinhold d.Ä. céleste Globe Mécanique KHV
Par l’étendue de son goût pour les créations humaines et naturelles Rodolphe II fut certainement le dernier grand souverain de la
Renaissance dans un de ses foyers lointains. Après sa mort, la collection resta longtemps telle que Rodolphe l'avait disposée. Puis, les plus
belles pièces furent transportées à Vienne avant que les Suédois, ayant pris Prague en 1648, eussent livré le Château de Prague au pillage.
En 1782, Joseph II transforma le Château en caserne d'artillerie. Ils s'y trouvaient notamment 3000 tableaux et 18 000 gravures qui furent
vendus aux enchères et à bas prix. Nombre d'objets furent brisés, une partie de la bibliothèque mise au pilon. Celle-ci abritait des vrais
bijoux de la littérature médiévale, dont Codex Gigas, écrit dans les années 1204-1227 et considéré comme le plus grand manuscrit
médiéval ou Codex Argenteus écrit en lettre d'argent et d'or au Ve siècle….
« Rodolphe était curieux de toutes les activités humaines, et voulait vivre entouré de beauté. La science l’attirait autant que les arts et les arts autant que les
bizarreries de la nature ».

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