Dermatoporose:un syndrome

Transcription

Dermatoporose:un syndrome
33148_1078_1082.qxp
24.4.2008
8:56
Page 1
mise au point
Dermatoporose : un syndrome
émergent
Rev Med Suisse 2008 ; 4 : 1078-82
Avec l’augmentation de l’espérance de vie, nous sommes de
plus en plus confrontés à une nouvelle dimension du vieillissement cutané, qui n’est plus seulement d’ordre cosmétique,
mais aussi fonctionnel, dans le sens que la peau perd ses propriétés mécaniques protectrices. Nous proposons de grouper
les différentes manifestations et implications de ce syndrome
d’insuffisance/fragilité chronique cutanée sous le terme parapluie de «dermatoporose». Les mécanismes moléculaires impliquant la voie hyaluronate-CD44 semblent jouer un rôle important dans la pathogénie. Les dermatologues devraient être
conscients de ce syndrome émergent et fonctionner comme
les acteurs-clés de sa prévention et de son traitement. Des
études cliniques randomisées devraient démontrer quelles
interventions sont les plus aptes à prévenir et/ou traiter la dermatoporose.
G. Kaya
Dr Gürkan Kaya, PD
Service de dermatologie
HUG, 1211 Genève 14
Dermatoporosis : an emerging syndrome
With the increase in lifespan, we are now
more often experiencing a further dimension
of skin aging, which is no longer only cosmetic,
but also functional, in the sense that the skin
has lost its protective mechanical functions.
We propose to group the different manifestations and implications of this chronic cutaneous
insufficiency/fragility syndrome under the
umbrella term of «dermatoporosis». Molecular
mechanisms implying hyaluronate-CD44 pathways seem to play an important role in the
pathogenesis. Dermatologists should be aware
of this emerging syndrome and function as
key players in its prevention and therapy.
Randomized clinical trials should demonstrate which intervention may best prevent
and/or reverse dermatoporosis.
1078
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
INTRODUCTION
Le vieillissement de la peau est l’un des signes les plus visibles du processus d’involution humaine. Il a reçu un regain
d’intérêt depuis que des traitements susceptibles de le prévenir ou de l’atténuer ont été identifiés.
Le concept d’«insuffisance» est bien accepté pour des organes tels que le rein, le
foie, le cœur ou les poumons. En ce qui concerne la peau, les défaillances chroniques de ses fonctions essentielles répondent bien au concept d’«insuffisance»,
d’où le besoin d’une nouvelle terminologie décrivant ce type d’affection cutanée.
Une insuffisance aiguë de la peau, souvent fatale, est la perte brutale de ses
fonctions vitales, telle qu’on l’observe chez les grands brûlés ou lors d’épidermolyse nécrotique toxique (syndrome de Lyell). Ceci est bien décrit et ne constitue pas une nouveauté.
Ce qui est nouveau, par contre, est un syndrome d’insuffisance cutanée chronique, associé à un âge avancé, à une importante dose cumulée de rayonnement
solaire, ainsi qu’à une utilisation prolongée de corticostéroïdes topiques et/ou
systémiques, qui devient, avec la prolongation de l’espérance de vie, un problème
clinique émergent avec une morbidité importante qui résulte parfois d’une hospitalisation de longue durée. Avec l’âge, la disparition progressive de l’acide
hyaluronique, qui stabilise les structures intercellulaires en réalisant un réseau
visco-élastique avec les fibres de collagène et d’élastine, conduit à la dégénérescence de la matrice extracellulaire, puis à la perte des fonctions mécaniques
protectrices de la peau, ainsi qu’à une grande fragilité. Cette dimension de la
photosénescence n’a plus rien à voir avec la cosmétique ou des problèmes d’apparence, il s’agit bien d’une défaillance fonctionnelle d’un organe, autrement dit
d’une affection médicale.1
Le terme de «dermatoporose» a été récemment proposé pour couvrir l’ensemble des manifestations et implications de ce syndrome cutané chronique lié
à une fragilité et une insuffisance cutanées.2,3 Ainsi, de même que pour l’«ostéoporose», la «dermatoporose» devrait être traitée afin d’éviter les complications
qui en résultent.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
0
33148_1078_1082.qxp
24.4.2008
8:56
Page 2
MANIFESTATIONS CLINIQUES DE LA
DERMATOPOROSE
Les manifestations cliniques de la dermatoporose (figure 1) comprennent des marqueurs morphologiques de fragilité (atrophie cutanée, purpura sénile, pseudo-cicatrices
stellaires), ainsi que l’expression fonctionnelle de la fragilité cutanée (lacérations cutanées, mauvaise cicatrisation,
hémorragies sous-cutanées). Les premiers signes apparaissent vers 60 ans, alors que la maladie proprement dite, avec
les complications qui lui sont liées, sont observées entre
70 et 90 ans.
est associé dans 90% des cas à des pseudo-cicatrices stellaires (voir ci-dessous). Ces plaques purpuriques laissent
ensuite la place à des taches pigmentées brunâtres dues
à l’hémosidérine. Une carence en vitamine C peut conduire
à l’apparition d’hématomes dermiques, justifiant un traitement de substitution. Histologiquement, le purpura sénile
est caractérisé par l’issue de globules rouges hors des vaisseaux (figure 2B).
Atrophie cutanée
L’atrophie cutanée est observée principalement dans
les zones exposées au soleil, en particulier la partie postérieure des avant-bras et les zones prétibiales. La peau est
très fine, translucide et ridée (figures 1A et 1E) ; on observe
également une élastose dermique, du purpura sénile et
des pseudo-cicatrices stellaires (voir ci-dessous). L’examen
ultrasonographique montre une diminution de l’épaisseur
de la peau d’environ 1,45 mm pour un sujet normal à environ 0,75 mm (figure 1C). Les principaux constituants de la
matrice extracellulaire (collagène, fibres élastiques, mucine) sont moins abondants que dans la peau normale.
Purpura sénile
Le purpura sénile est localisé aux extrémités et résulte
de traumatismes associés à des petites hémorragies au
niveau du derme en l’absence de troubles de coagulation
(figure 2). Il concerne environ 10% de la population âgée de
70 à 90 ans avec une prédominance chez les femmes, et
Figure 2. Aspects clinique (A) et histologique (B) du
purpura sénile
Pseudo-cicatrices stellaires
C’est ainsi que l’on appelle des lacérations dermiques
spontanées (figure 3). On l’observe chez 20-40% de la population âgée de 70 à 90 ans, avec une prédominance chez
les femmes. Ces lésions siègent principalement sur le dos
des mains et les avant-bras, et s’accompagnent de purpura
sénile chez 30-50% des patients. On distingue actuellement trois types de pseudo-cicatrices : 1) linéaires, 2), en
forme d’étoiles et 3) en plaques.
Hématome cutané disséquant
Cette complication grave constitue une urgence médicale et résulte d’une fragilité mécanique de la peau âgée :
au moindre choc, un saignement peut se produire, se loger
A
B
Figure 1. Aspects cliniques, échographiques et histologiques de la dermatoporose
Avant-bras (A), examens échographique (C) et histologique (E) d’un
patient présentant une atrophie cutanée, un purpura sénile et des pseudocicatrices stellaires.Avant-bras (B), examens échographique (D) et histologique (F) d’un sujet sain.
0
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
C
Figure 3. Pseudo-cicatrices : linéaire (A), en forme
d’étoile (B) ou en plaques (C)
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
1079
33148_1078_1082.qxp
24.4.2008
8:56
Page 3
entre le derme et l’hypoderme ou entre l’hypoderme et le
fascia musculaire et, en disséquant ces deux plans, priver
les zones concernées de leur vascularisation, provoquant
une nécrose. Il faut alors évacuer immédiatement l’hématome et le tissu nécrotique afin d’éviter une extension des
dommages cutanés. L’hématome disséquant cutané est localisé le plus souvent aux membres inférieurs des patients
âgés (70-99 ans) souffrant de dermatoporose, avec une
prédisposition féminine (rapport M/F : 1/5), ainsi que chez
des patients sous anticoagulants ou corticothérapie et
nécessite une hospitalisation de longue durée.4
Retard de cicatrisation
Les lésions chroniques post-traumatiques constituent
un réel problème chez les personnes âgées et les mécanismes de leur guérison lente et retardée ne sont pas bien
connus. Une diminution de la capacité proliférative des
kératinocytes et des fibroblastes, ainsi que la production
de métalloprotéinases et de diverses cytokines sont clairement impliquées dans ce processus.
CLASSIFICATION ÉTIOLOGIQUE DE LA
DERMATOPOROSE
Dermatoporose primaire
C’est la forme la plus courante de dermatoporose et
résulte du vieillissement chronologique et d’une exposition
chronique (et non protégée) au soleil. Par analogie avec
l’ostéoporose, on imagine qu’une prédisposition génétique est souvent à l’origine de la dermatoporose primaire,
et les gènes impliqués dans la régulation des constituants
de la matrice extracellulaire sont de bons candidats.
Dermatoporose iatrogène secondaire
Cette forme est due au traitement à long terme de corticostéroïdes topiques et/ou systémiques, lesquels sont
connus pour moduler l’expression des gènes des collagènes I, III, IV et V, de l’élastine, des métalloprotéinases 1,
2 et 3, de la ténascine, ainsi que des inhibiteurs de métalloprotéinases 1, 2 et 6.5 Il n’y a pas de différences cliniques
significatives entre les deux types de dermatoporose, bien
que l’examen ultrasonographique montre une peau plus
fine (0,5-0,7 mm) dans la dermatoporose iatrogène secondaire. De plus, les patients susceptibles de développer
une dermatoporose primaire développeront plus tôt et de
manière plus aiguë une dermatoporose secondaire en cas
de traitement chronique aux corticostéroïdes.2
DIFFÉRENTS STADES DE LA DERMATOPOROSE
En raison de la fréquence de cette affection dans la population âgée, il nous paraît important de distinguer divers
stades de son évolution, en fonction de la gravité des
symptômes et de leurs implications en clinique. Dans notre
pratique quotidienne, nous distinguons les quatre stades
suivants (figure 4) :3
• Stade I. Ce stade est caractérisé par un fort amincissement de la peau avec purpura sénile et pseudo-cicatrices
stellaires. L’évaluation clinique de la visco-élasticité de la
0
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
Figure 4. Stades I (A), II (B), III (C) et IV (D) de la
dermatoporose
peau est un bon paramètre de mesure.
• Stade II. En plus des lésions observées dans le stade I,
on observe de petites lacérations cutanées localisées, lesquelles résultent d’un clivage entre le derme et l’épiderme.
• Stade III. Les lacérations cutanées sont plus nombreuses
et plus grandes, et peuvent impliquer toute la surface des
extrémités. Il y a clairement un retard de cicatrisation.
• Stade IV. La progression de ces lésions conduit à l’apparition d’hématomes cutanés disséquants, constituant une
urgence médicale et nécessitant une hospitalisation.
MÉCANISMES POTENTIELS DE LA FRAGILITÉ
CUTANÉE DANS LA DERMATOPOROSE
Effets photo-induits
Le mécanisme du vieillissement photo-induit (héliodermie) a été bien étudié. Comme on l’a vu plus haut, le stress
oxydant peut être induit par les ultraviolets (UVA) et est
impliqué dans les processus de vieillissement en général,
et de la peau en particulier. Le stress oxydant se manifeste
par la production de formes réactives de l’oxygène et de
radicaux libres, lesquels provoquent entre autres des altérations de l’ADN nucléaire et mitochondrial et l’activation
de diverses métalloprotéinases matricielles, avec les conséquences biologiques que cela implique. Ainsi les UV activent des récepteurs de facteurs de croissance situés à la surface des kératinocytes, et il en résulte un signal mettant en
jeu l’activation de facteurs de transcription de la famille AP-1
dans le noyau,6,7 ce qui interfère avec la production de collagène, en se liant et séquestrant des facteurs nécessaires à
la transcription des procollagènes de types I et III (TGFb).8-10
La signalisation dépendant de l’acide hyaluronique et du
CD44 est également réprimée par les UV : chez la souris,
les UVA et les UVB induisent une forte diminution de l’acide hyaluronique et du CD44 cutanés ; cet effet peut être
prévenu par l’application topique de rétinoïdes.11 D’une
manière générale, les altérations photo-induites de la matrice extracellulaire expliquent bien l’élastose observée
dans le derme superficiel, telle qu’elle est observée chez
les personnes présentant une héliodermie.
Altérations de la visco-élasticité cutanée
La matrice extracellulaire de la peau contient deux principaux glycosaminoglycanes, le dermatane-sulfate, étroiteRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
1081
33148_1078_1082.qxp
24.4.2008
8:56
Page 4
ment lié aux fibres de collagène et l’acide hyaluronique qui
occupe l’espace entre les fibres. Le collagène et les fibres
élastiques sont responsables de l’élasticité de la peau,
tandis que l’acide hyaluronique détermine sa viscosité.
Ainsi la visco-élasticité de la peau permet d’absorber les
contraintes mécaniques qu’elle subit en dissipant l’énergie
absorbée tout en reprenant sa structure initiale. Les altérations de la matrice extracellulaire décrites ci-dessus provoquent des fractures des fibres de collagène et une diminution de l’acide hyaluronique, dont la principale conséquence est une perte progressive de cette propriété
essentielle de la peau qu’est sa visco-élasticité.
Défauts de la signalisation acide hyaluronique/
CD44
On a observé que l’acide hyaluronique, principal constituant de la matrice extracellulaire, diminue progressivement
au cours du vieillissement. D’autre part, l’acide hyaluronique, en dehors de ses propriétés physiques participant à
la visco-élasticité de la peau, est une molécule biologiquement active, induisant une signalisation intracellulaire suite
à sa liaison avec un récepteur membranaire appelé CD44.
Une étude chez la souris a montré que les deux principales réponses biologiques résultant de l’activation du CD44
sont la régulation de la prolifération kératinocytaire et le
contrôle de l’homéostasie locale de l’acide hyaluronique.12
Chez les patients atteints de dermatoporose, nous avons
observé une diminution des concentrations cutanées
d’acide hyaluronique, de CD44, ainsi que des récepteurs
erbB1 au facteur de croissance épidermique HB-EGF (Heparin-binding epidermal growth factor), résultant en une diminution de la prolifération kératinocytaire. Les rétinoïdes
topiques induisent une hyperplasie épidermique en activant la voie de signalisation dépendante de l’HB-EGF.13,14
Chez la souris, l’application topique de rétinaldéhyde augmente l’expression de CD44 et des enzymes synthétisant
l’acide hyaluronique (acide hyaluronique synthétases).15,16
Ces études indiquent que la voie de signalisation dépendant de l’acide hyaluronique et du CD44 est affectée
dans la dermatoporose et constitue une bonne cible pour
le développement des nouvelles stratégies thérapeutiques
pour ce syndrome émergent.
Bibliographie
1 ** Saurat JH. Quand la peau devient insuffisante.
Med Hyg 2004;62:476.
2 ** Saurat JH. Dermatoporosis – the functional side
of skin aging. Dermatology 2007;215:271-2.
3 ** Kaya G, Saurat JH. Dermatoporosis : A chronic
cutaneous insufficiency/fragility syndrome. Clinicopathological features, mechanisms, prevention and potential
treatments. Dermatology 2007;215:284-94.
4 ** Kaya G, Jacobs F, Prins C, et al. Deep dissecting
hematoma : An emerging severe complication of dermatoporosis.Arch Dermatol in press.
5 Schoepe S, Schacke H, May E, et al. Glucocorticoid
therapy-induced skin atrophy. Exp Dermatol 2006;15:
406-20.
6 Fisher GJ,Talwar HS, Lin J, et al. Retinoic acid inhibits
induction of c-Jun protein by ultraviolet radiation that
occurs subsequently to activation of mitogen-activated
protein kinase pathways in human skin in vivo. J Clin
Invest 1998;101:1432-40.
7 Kelly RI, Pearse R, Bull RH, et al.The effects of aging
on the cutaneous microvasculature. J Am Acad Dermatol
1082
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
1995;33:749-56.
8 Chung KY,Agarwal A, Uitto J, et al.An AP-1 binding
sequence is essential for regulation of the human
alpha2(I) collagen (COL1A2) promoter activity by
transforming growth factor-beta. J Biol Chem 1996;271:
3272-8.
9 Fisher GJ, Datta S, Wang Z, et al. c-Jun-dependent
inhibition of cutaneous procollagen transcription following ultraviolet irradiation is reversed by all-trans retinoic acid. J Clin Invest 2000;106:663-70.
10 Karin M, Liu Z, Zandi E. AP-1 function and regulation. Curr Opin Cell Biol 1997;9:240-6.
11 * Calikoglu E, Sorg O,Tran C, et al. UVA and UVB
decrease the expression of CD44 and hyaluronate in
mouse epidermis which is counteracted by topical retinoids. Photochem Photobiol 2006;82:1342-7.
12 * Kaya G, Rodriguez I, Jorcano JL, et al. Selective
suppression of CD44 in keratinocytes of mice bearing
an antisense CD44 transgene driven by a tissue-specific promoter disrupts hyaluronate metabolism in the
skin and impairs keratinocyte proliferation. Genes Dev
1997; 11:996-1007.
13 Didierjean L, Carraux P, Grand D, et al.Topical retinaldehyde increases skin content of retinoic acid and
exerts biological activity in mouse skin. J Invest Dermatol 1996;107:714-9.
14 Xiao JH, Feng X, Di W, et al. Identification of heparin-binding EGF-like growth factor as a target in intercellular regulation of epidermal basal cell growth by
suprabasal retinoic acid receptors. EMBO J 1999;18:
1539-48.
15 * Kaya G, Grand D, Hotz R, et al. Upregulation of
CD44 and hyaluronate synthase by topical retinoids in
mouse skin. J Invest Dermatol 2005;124:284-7.
16 * Kaya G,Tran C, Sorg O, et al. Retinaldehyde-induced epidermal hyperplasia via heparin binding epidermal
growth factor is CD44-dependent. J Invest Dermatol
2005;124:A32.
* à lire
** à lire absolument
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 avril 2008
0

Documents pareils