24 heures 30.12.2015
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Culture & Société 21 24 heures | Mercredi 30 décembre 2015 Hommage Une dernière pour la route Chanteur de Motörhead, figure culte et dieu rock, Lemmy Kilmister a trépassé aussi vite qu’il a vécu. Souvenirs d’interviews Rock’n’roll Fou des Beatles et de Little Richard, Lemmy récusait l’étiquette heavy metal qu’on a toujours accolée à Motörhead, son groupe depuis 1975. MARC BROUSSELY/GETTY François Barras I l l’attendait, la bougresse. Des années à draguer la mort, à la provoquer par son tempérament de flambeur dopé et ses chansons la mettant en scène, Overkill, Die You Bastard ou Killed By Death. Tué par la mort! Cohérent, simple, définitif. Lemmy Kilmister ne faisait pas dans la dentelle, encore moins dans le compromis, ce qui explique à la fois sa longévité et l’émoi, hier, à l’annonce de son décès, d’un cancer fulgurant, à l’âge de 70 ans. Rarement un croque-mitaine du hard rock, moustachu et verruqueux, aura inspiré une telle sympathie, également chez ceux qui n’ont jamais entendu une note de son groupe Motörhead. Pour ses ouailles, Dieu est mort lundi. Pour les autres, la vie de l’Anglais se raconte comme une parabole rock’n’roll, logiquement commencée un soir de Noël 1945, lorsque le petit Ian vient au monde de père inconnu et de mère nécessiteuse. Dans cette Angleterre d’après-guerre plus proche de Dickens que de Beckham, l’ado Ian Kilmister (surnommé Lemmy pour «lemme a fiver», son habitude de quéman- der une thune à la ronde) incarne une génération tournée vers le rêve américain, ses rockers, ses westerns, sa liberté. «Little Richard et Eddie Cochran, j’en étais fou», nous confiait-il au Montreux Jazz, en 2007. «Mais le meilleur groupe du monde reste les Beatles. J’ai pu les voir plusieurs fois à Liverpool, au Cavern Club, avant la folie. Cela a changé ma vie.» Lemmy rencontre l’histoire rock aussi bien qu’il en réalise le style de vie, jusqu’à l’outrance. Roadie de Jimi Hendrix lors de ses premières dates anglaises de 1967 («Je devais surtout retenir son ampli pour éviter qu’il ne se renverse quand il l’attaquait avec sa Fender»), il découvre à son contact le LSD, dont il regrettera seulement qu’on n’en trouve plus d’aussi goûteux. «J’en prenais tous les jours, mais je suis un mauvais exemple, je gère bien les drogues», confessait-il toujours à Montreux. «Avec Hawkwind (ndlr: son premier groupe à succès, rare exemple de «space rock», entre hippie et metal), j’ai joué dans des états pas possibles alors que nous enregistrions un album live! Un roadie devait m’orienter sur scène, je ne savais même pas dans quelle direction était le public.» Lassé du LSD, le bassiste se met aux amphétamines, ce qui impliquera son licenciement de Hawkwind (Lemmy est coffré pour possession de ce stupéfiant lors de la tournée américaine) et la naissance de son propre groupe, logiquement nommé Motörhead, terme d’argot désignant les accros à ces substances. En 1975, il lance en trio ce vaisseau entre esprit rock’n’roll, sonorités métalliques et offensive punk. Classé heavy metal car partageant le succès de ses compatriotes d’Iron Maiden et de Judas Priest, Motörhead connaît une première période faste où la télé britanni- «Le limiteur de volume est tombé pendant que nous jouions. Ça m’aurait emmerdé de mourir à cause d’un limiteur de volume» Lemmy Kilmister Chanteur et bassiste que reçoit en tremblant ces chevelus d’un genre déplorable – dont le batteur Philthy «Animal» Taylor, mort le 11 novembre dernier. La chanson Ace Of Spades devient un hymne définitif. Whisky et petites pépées A la fin des années 1980, le groupe connaît changements de personnel et ventes en baisse. Mais sa popularité demeure. «Nous avons duré car nous avons refusé toutes les modes. Nous sommes restés Motörhead.» Lemmy enchaîne disques et tournées à un rythme soutenu. Et soigne son culte. On murmure qu’il écluse deux litres de Jack Daniel’s par jour. Qu’il a couché avec 1000 femmes, ou plutôt 2000. Que son sang est si pourri qu’une transfusion d’hémoglobine saine le tuerait. Qu’un plafond s’est fissuré sous le volume du groupe. «Ça, c’est exact, précisait-il à Montreux. Le limiteur de volume est tombé pendant que nous jouions dans un club de Cleveland. Ça m’aurait emmerdé de mourir à cause d’un limiteur de volume.» Ce soir-là de juillet 2007, Lemmy attaquait l’Auditorium Stravinski. Le rencontrer paraissait plus improbable que de toucher Dieu. Comme souvent, le management légitimait son salaire en rivalisant d’embûches et de préventions imbéciles. Soudain, une porte s’ouvrait et Lemmy, verre et clope en main, invitait aimablement à l’interview dans sa loge. On y découvrait sa machine à sous personnelle et l’on refusait à regret la cigarette et le glass de whisky que tendait le gentleman. «Ces histoires de mec culte, c’est du baratin. Je n’ai aucun secret à révéler, je ne suis pas le putain de Messie. On est juste une équipe de vieux mâles qui ont eu de la chance.» Cela, Lemmy le soufflait par téléphone en été 2014, de la maison de Los Angeles où il s’était installé depuis longtemps, comme le documente l’indispensable DVD à son nom. Là encore au grand effroi de son label, terrifié que ne se fissure le mythe d’inoxydabilité de l’icône, il confirmait souffrir de diabète et récupérer d’une infection des poumons. «Survivre est facile, il suffit de ne pas mourir.» Le convalescent avait dû renoncer au whisky. «Je bois de la vodka.» La voix était faible, le cœur fatigué. Il n’a fallu que deux jours à son cancer pour l’abattre. Tué par la mort, finalement. Après les gardes du Vatican, la belle Carlotta va ensorceler Fribourg Création Pour ses 30 ans, l’Opéra de Fribourg a passé commande à Dominique Gesseney-Rappo et Christophe Passer «Un bon film, disait Jean Gabin, c’est d’abord une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire. A l’opéra, c’est pareil.» Christophe Passer n’a pas à faire preuve d’immodestie en citant l’acteur français, bien qu’il soit le librettiste de Carlotta ou la Vaticane, opéra en création dès le 31 décembre à Fribourg, car le sujet n’est pas de lui, encore moins du compositeur Dominique Gesseney-Rappo. D’ailleurs, le journaliste du Matin Dimanche n’est pas non plus un connaisseur de l’opéra. C’est cependant le libretVC3 Contrôle qualité Dominique Gesseney-Rappo, compositeur, Christophe Passer, librettiste, et Alexandre Emery, directeur artistique de l’Opéra de Fribourg, associés pour «Carlotta ou la Vaticane». O. MEYLAN tiste qui a décidé de braquer le projecteur sur Carlotta. «Pour moi, les grands opéras sont avant tout des portraits de femmes. Carlotta est très proche de Carmen.» Alexandre Emery, directeur artistique de l’Opéra de Fribourg, est le véritable initiateur de ce projet un peu fou, programmé pour les 30 ans de son institution. «Après une représentation du Medium de Menotti en 2006, Stéphane Sapin, qui s’occupait des surtitres, me parle du terrible fait divers de 1998 au Vatican, qu’il a vécu de l’intérieur comme membre de la Garde suisse. En l’écoutant, je lui ai dit que c’était un formidable sujet d’opéra.» Ce soir de mai, le commandant de la garde, son épouse et un jeune garde sont trouvés morts. Opacité vaticane oblige, on ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé. Emery et Sapin rédigent rapidement un synopsis, qui n’est en aucun cas une explicitation de l’affaire. «Quand on fait une œuvre d’art à partir d’un fait divers, on le dépasse, on en fait une autre histoire, argumente Alexandre Emery, mais c’est aussi une forme de rédemption pour les victimes.» Pure fiction donc, le personnage de Carlotta, amoureuse du jeune garde et qui joue de son ascendant sur les hommes pour séduire le commandant afin d’intercéder en faveur de son amant. Mis en scène par Denis Maillefer, les malentendus, la jalousie et les intrigues conduiront au pire. Il y a quelque ironie à voir un compositeur vaudois, fils de pasteur, chargé d’écrire la musique de ce drame inscrit au cœur du pouvoir catholique. Mais Dominique Gesseney-Rappo trouve finale- ment le monde catholique «plus vivant». Il a surtout été séduit par le côté dramatique du sujet, par la cohérence implacable de l’intrigue, par le langage rythmé du livret «qui invitait à la musique. Mais je n’avais jamais écrit d’opéra. Tous mes outils d’écriture habituels ne fonctionnaient plus. J’ai dû tout reprendre de zéro pour bâtir une architecture qui tienne sur deux heures. J’ai aussi travaillé sur les timbres associés aux personnages.» C’est ainsi le hautbois qui dessine Carlotta. Matthieu Chenal Fribourg, Théâtre Equilibre Du je 31 déc. au di 17 janv. Loc.: 026 350 11 00 www.operafribourg.ch Bulle, salle CO2 Di 24 janv. 2016 (17 h) Loc.: 026 913 15 46 www.co2-spectacle.ch
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