À l`origine de la famille « TRADITION

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À l`origine de la famille « TRADITION
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Chers
amis de Breguet,
Les complications figurent au cœur du patrimoine de
Breguet, qui s’étend désormais sur plus de 200 ans. Fidèle à
cet héritage, la manufacture Breguet actuelle a résolu d’offrir l’éventail complet des complications considérées comme
les grands classiques de l’art horloger, tels les tourbillons, les
chronographes, les montres à second fuseau horaire, les réveils, les calendriers, les équations du temps ou les répétitions minutes.
Cependant, la fidélité à notre héritage ne se satisferait
pas de suivre les conceptions et les pratiques habituelles.
Notre histoire est jalonnée d’avancées techniques et d’innovations qui ont marqué d’une forte empreinte le développement des complications comme l’évolution de la mesure
du temps. Dévoilés lors du salon de Bâle en 2015, deux
garde-temps de la collection Tradition, le Chronographe
Indépendant et la Répétition Minutes Tourbillon, témoignent de notre engagement à enrichir la gamme de nos
complications par des réalisations inédites. Pour ces deux
modèles, nous avons conçu des constructions entièrement
nouvelles dans une montre-bracelet : un chronographe indépendant doté de composants distincts du rouage horaire
de la montre, un système de force constante qui confère au
chronographe une précision inégalée, un ressort linéaire à
armage instantané afin d’alimenter en énergie le chronographe par l’entremise du poussoir de retour à zéro, une
répétition minutes comprenant des marteaux verticaux, un
régulateur magnétique silencieux, un mécanisme de force
constante à chaîne, une chambre de Heimholtz, une lunette
suspendue et, naturellement, un tourbillon extra-plat avec
une masse oscillante périphérique. Ces inventions révolutionnaires offrent la chance de posséder un garde-temps qui
écrit l’histoire de l’horlogerie.
Dans ce numéro, nous vous proposons un aperçu détaillé sur la construction de ces deux montres d’avant-garde.
J’espère que vous serez aussi passionnés à découvrir ces innovations que nous l’étions lors de leur création.
Cordialement,
Marc A. Hayek, Président et CEO Montres Breguet SA
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SOMMAIRE
Sommaire
1. À l’origine de la famille « Tradition »
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2. Tradition Répétition Minutes Tourbillon
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3. Les Ateliers de la Vallée de Joux
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4. Horloger de la Marine
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5. Tradition Chronographe Indépendant
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6. Le Congrès de Vienne:
L’Europe à l’heure d’Abraham-Louis Breguet
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À L’ORIGINE DE LA FAMILLE « TRADITION »
À l’origine de la famille
« TRADITION »
Par Emmanuel Breguet
◆ Tradition Seconde Rétrograde 7097.
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À L’ORIGINE DE LA FAMILLE « TRADITION »
A
près deux années difficiles passées en Suisse au plus fort de la Révolution française,
Abraham-Louis Breguet revint à Paris au printemps 1795. Son entreprise, installée Quai de
l’Horloge dans l’Ile de la Cité, était à reconstruire et il ne ménagea pas ses efforts pour réorganiser
ses ateliers et conquérir une nouvelle clientèle. Fort de nombreux projets et idées innovantes, il
commença dès l’année suivante à introduire de nouvelles créations qui trouvent un écho très fort
dans la ligne « Tradition » lancée en 2005.
◆◆◆
À l’origine de la famille « Tradition », un chefd’œuvre de simplicité : le calibre de souscription (1796).
Connu pour avoir créé les montres les plus compliquées
de son temps, Abraham-Louis Breguet fut aussi celui qui
créa la montre la plus simple jamais réalisée : la montre de
souscription.
Le nom de cette montre, « souscription », est expliqué
par Breguet lui-même dans le prospectus qu’il fait imprimer
en 1797 : « Le prix des montres sera de 600 livres ; le quart de
cette somme se paiera en souscrivant ; la construction ne souffrira point de retard, et la livraison se fera en suivant l’ordre des
souscriptions (…) »1.
Enregistrées dans les livres de fabrication et de ventes
sous l’appellation de montres de souscription, c’est sous ce
nom qu’elles continuent à être désignées et étudiées aujourd’hui encore par tous les collectionneurs et connaisseurs
de Breguet.
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Caractérisé par son grand barillet central et un rouage
disposé symétriquement de part et d’autre du barillet, le calibre de souscription qui commande une seule aiguille permettant de lire l’heure et les minutes, frappe aujourd’hui
encore par son dépouillement et son côté design.
On peut penser que Breguet était fier de ce type de
montre et désireux de le confronter aux goûts de ses contemporains ; c’est d’ailleurs le seul produit pour lequel il fit imprimer un document restituant à la fois ses intentions,
ses motivations et ses choix techniques. Chose frappante,
Breguet se met à la place de son public, c’est-à-dire de ses
clients. Nous sommes au lendemain de la Révolution, et
après avoir passé deux ans en Suisse pour se protéger 2, il a
pu constater combien la société avait changé, et donc ses
clients potentiels.
Premier constat d’ensemble énoncé par le texte, les
montres précises sont destinées « à l’Astronomie et à la
◆ Mouvement de la montre de souscription Breguet no1287, vendue le 17
termidor an XI (5 août 1803) à « un jeune homme de Saint Pétersbourg » .
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À L’ORIGINE DE LA FAMILLE « TRADITION »
◆ Montre de souscription Breguet n o1287.
On remarque le design épuré du cadran
et la présence d’une seule aiguille.
UNE SEULE AIGUILLE.
Connu pour avoir créé les montres les plus
compliquées, Abraham-Louis Breguet fut
aussi celui qui créa la montre la plus simple
jamais réalisée.
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Marine », et les montres destinées à l’usage courant ont
deux défauts majeurs : elles sont généralement de mauvaise
qualité et leur « prix n’est pas à la portée du plus grand nombre
des citoyens ». Le défi consistait donc à proposer une pièce
tout à la fois abordable et ayant des qualités de solidité et de
précision comparables, voire supérieures, aux montres destinées aux sciences. Mais laissons parler Breguet à propos de
ses montres d’une nouvelle construction, comme il les qualifie lui-même : « Elles se distinguent par leur simplicité et par
une disposition qui garantit l’échappement des accidens les plus
graves, même en cas de chutes. La disposition du rouage,
l’échappement et le régulateur, le compensateur du chaud et du
froid sont si à découverts et si faciles à saisir, que tout observateur attentif peut juger d’un seul coup d’œil (…) de l’harmonie
du travail et de la sûreté des effets ». Après avoir décrit l’organe régulateur et annoncé une réserve de marche de trentesix heures, Breguet annonce que ces montres auront un
diamètre respectable de 25 lignes (soit 61 mm) et, chose
surprenante, une seule aiguille, ajoutant aussitôt comme
pour rassurer le lecteur : « Cette dimension du cadran donne
une distance suffisante d’une heure à l’autre, pour y placer 12
divisions que l’éguille (sic) rencontre de 5 en 5 minutes, et qui
sont tellement disposées qu’il est facile d’estimer l’heure à une
minute près ».3 Et force est de constater en effet que ces
montres donnent l’heure de manière lisible, après un très
court temps d’adaptation.
◆ Prospectus destiné à promouvoir la montre
de souscription, imprimé vers 1797.
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À L’ORIGINE DE LA FAMILLE « TRADITION »
◆ Projet de traité d’ horlogerie par Abraham-Louis Breguet,
début du cahier consacré à la montre simple à une aiguille.
La signature secrète, une réponse à la contrefaçon.
En même temps qu’apparaissait la montre de souscription naissait une autre pratique de la maison, celle de la signature secrète que le maître, confronté à un vaste
phénomène de contrefaçon justifiait en ces termes : « Pour
détromper le public sur les ouvrages auxquels je n’ai aucune
part, et que l’on répand sous mon nom, je mettrai sur le cadran
une marque particulière, exécutée par une machine dont les
effets sont très difficiles à imiter. » La machine en question est
un pantographe à pointe sèche dont le Musée Breguet a pu
récemment acquérir un exemplaire ancien4.
◆ Pantographe. Outil conçu pour réaliser la signature secrète
figurant sur le cadran d’ émail des montres de souscription.
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La contrefaçon frappait déjà la maison Breguet depuis
l’époque de la Révolution française, reflet de la gloire et
d’un renom déjà très étendu, diront les uns, mais ce phénomène qui allait s’amplifier au long des décennies suivantes
était loin d’être un problème secondaire pour la maison dès
cette époque. Il suffit pour s’en convaincre de lire un article
paru sous la signature d’un certain H. Reymond dans le
Journal des arts, des sciences, de littérature et de politique du
6 octobre 1809 : « On ne saurait parler d’ horlogerie sans
parler aussi de Breguet. Cet artiste a reculé les limites de l’art
au point qu’ il n’est plus possible de le surpasser. (…) Il est
étonnant de voir la quantité de montres qui circulent sous son
nom. Cependant, à peine s’en trouve-t-il une sur mille qui soit
de lui. » 5
La montre de souscription se révéla être un succès commercial - la maison en vendit environ 700 exemplaires, la
plupart entre 1798 et 1805 - et attira de nouveaux clients
qui acquirent ensuite des pièces plus compliquées. Cette
montre simplifiée à l’extrême mérite toute sa place dans
l’étude de l’œuvre de Breguet, et le maître, dans son projet
de traité inachevé en parle longuement, en tête de son chapitre premier, sur un ton de fierté non dissimulée.6 Toutefois, il faut mentionner que ce chiffre inclut un autre type
de montre, la montre à tact, appelée en tout cas dans ses
premières années « souscription à tact »…
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À L’ORIGINE DE LA FAMILLE « TRADITION »
◆ Montre à tact Breguet n 1009 vendue en fructidor an 10
(août-septembre 1802) à l’ambassadeur de Naples.
Flèche de lecture et pièces de touche serties de diamants.
o
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Une évolution du calibre de souscription : la montre
à tact (1799).
Trois ans après avoir mis au point sa montre de souscription, Breguet introduisit ses montres à tact, qui donnaient la possibilité d’une lecture de l’heure au toucher
à l’aide d’une aiguille extérieure et de douze repères saillants situés autour de la boîte. Ces montres à tact étaient
déclinées, selon l’usage de la maison, en toute sorte de variantes, boîtes en or guillochées ou émaillées (en gris, en
bleu…), points de tact en or ou constitués de perles ou de
diamants. Dans son projet de traité, il présentait ainsi son
idée : « Lorsque nous imaginâmes la montre à une aiguille
(…) nous n’avions d’autre intention que de composer un ouvrage simple, solide, exact et d’un prix très modéré ; mais il ne
pouvait donner un service que l’usage et l’ habitude ont rendu
presqu’ indispensable, celui de la répétition, si utile pour avoir
l’ heure dans l’obscurité. » 7 Ce mode de lecture était précieux dans l’obscurité. Il permettait aussi de lire l’heure
très discrètement sans sortir sa montre de la poche. C’était
aussi cela le « tact ». On qualifia aussi parfois ces montres,
plus prosaïquement, de « montres pour aveugles ».
◆ Montre à tact Breguet n o 1009, cuvette or et petit
cadran auxilliaire.
◆ Montre à tact Breguet no 1009, dos de la boîte
émaillée, fleur sertie de diamants.
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À L’ORIGINE DE LA FAMILLE « TRADITION »
Breguet voyait surtout dans son nouveau système de
lecture au toucher une vraie alternative aux montres à répétition, complexes et coûteuses à fabriquer, allant jusqu’à
utiliser l’expression de « répétition par le tact ».
Les montres à tact reprenaient le calibre de souscription
qui évoluait légèrement. Dotées d’une aiguille extérieure
mobile, ces montres à tact possédaient aussi, pour certaines
d’entre elles, un cadran très réduit doté selon les cas d’une
ou de deux aiguilles, visible du côté opposé à celui de la
flèche extérieure. Et c’est précisément cette disposition qui
permet à la fois la lecture conventionnelle de l’heure et une
observation du mouvement (celle que Breguet appelait de
ses vœux !) que l’on retrouve sur les montres Tradition d’aujourd’hui.
◆ Montre à tact Breguet n o 2627 vendue le 22 octobre 1810 à
Monsieur Titon. Flèche de lecture et pièces de touche en perles fines.
◆ Page de droite : Dessin original du calibre de souscription
vu des deux côtés et de profil.
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En 2005, en effet, plongeant dans la vaste source d’inspiration que constitue le patrimoine historique de Breguet
(archives et pièces anciennes), Nicolas G. Hayek et l’équipe
de création ont été convaincus que cette disposition qui
permettait de voir du même côté ce que l’on voit habituellement en devant retourner sa montre, saurait séduire les
amateurs de mécanique horlogère. Ainsi un calibre contemporain destiné à une montre-bracelet reprendrait la belle
disposition du barillet central et de la symétrie des rouages
et du balancier conçue plus de deux siècles auparavant
par un génial précurseur de la technique autant que du
design…
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À L’ORIGINE DE LA FAMILLE « TRADITION »
◆ Montre Tradition à double fuseau horaire 7067.
Au cours de ces dix (premières) années d’existence, la
ligne Tradition s’est affirmée grâce à sa forte originalité et
s’est étoffée avec différents modèles, simples, à remontage
manuel ou à remontage automatique, à double fuseau
horaire, à seconde rétrograde, tourbillon à fusée, à chronographe indépendant ou à répétition des minutes… À
chaque fois, le fait de contempler sans effort le cadran et les
organes vitaux du garde-temps séduit fortement, d’autant
plus que la mise en couleur grise ou rose des mouvements
conjuguée au noir des cadrans renforcent les contrastes,
donnant à l’ensemble une modernité insoupçonnée…
Esthétique d’avant-garde qui continue à surprendre et à
séduire aujourd’hui, esthétique intemporelle conjuguée aux
incessants progrès de l’horlogerie et à des choix parfois
osés ; et si les montres de la famille « Tradition » dont l’inspiration puise aux meilleures sources illustraient avec une
singulière pertinence cette extraordinaire alchimie si propre
aux Breguet contemporaines ?
Prospectus commercial intitulé Souscription de montres d’une nouvelle construction, par Breguet, sans date, circa 1797, 2 pages.
Ne se sentant plus en sécurité, Abraham-Louis Breguet fit le choix
de quitter Paris pour retourner en Suisse où il séjourna du mois
d’août 1793 au mois de mai 1795. Sur Breguet et la Révolution
Française, le lecteur pourra consulter : Emmanuel Breguet, Breguet
horloger depuis 1775, vie et postérité d’Abraham-Louis Breguet
(1747-1823), Paris, Alain de Gourcuff éditeur, 1997.
Citations extraites du prospectus commercial rédigé par Breguet,
cf note 1.
Le Musée Breguet a acquis ce pantographe provenant de la collection du grand horloger et collectionneur anglais George Daniels
(1926-2011) lors de la vente aux enchères « The George Daniels
Horological Collection » organisée par Sotheby’s à Londres le
6 décembre 2012.
Citation aimablement communiquée à l’auteur par M. Bernard
Roobaert.
Manuscrits acquis le 7 mai 2010 par le Musée Breguet faisant
partie du projet de Traité d’Horlogerie d’Abraham-Louis Breguet,
cahier 2, section 1 : De la montre à une aiguille et section 2 : De
l’ échappement à cylindre de rubis dans la montre simple à une
aiguille. Archives Montres Breguet SA.
Idem, cahier 2, section 3 : De la répétition par le tact. Archives
Montres Breguet SA.
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◆ Montre Tradition Tourbillon à fusée 7047.
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TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
TRADITION
Répétition Minutes Tourbillon
Par Jeffrey S. Kingston
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TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
L’
histoire des répétitions minutes de Breguet est unique. Son fondateur, Abraham-Louis
Breguet, est le premier horloger à avoir utilisé des fils de métal enroulés autour du mouvement,
appelés ressorts-timbres, pour délivrer une indication sonore de l’heure. Aujourd’hui, alors que
nous sommes habitués aux montres modernes, il est difficile d’imaginer qu’avant cette innovation, les répétitions minutes communiquaient généralement l’heure par des coups frappés sur le
fond du boîtier, à l’exception de volumineuses montres munies de cloches. À cet égard, l’idée de
recourir à des ressorts-timbres était révolutionnaire. Soudainement, un martèlement sourd se
muait en une tonalité mélodieuse. Cette découverte a bouleversé la construction des répétitions
minutes dans une telle mesure que l’inspiration de Breguet et l’essence de son invention sont
aussi vivaces actuellement qu’elles l’étaient au moment de leur apparition, il y a deux cents ans.
◆◆◆
Cette amplitude historique est aussi impressionnante
que l’ambition de transformer radicalement une seconde
fois la conception d’une montre à répétition. En effet, pour
ce nouveau modèle, Breguet a résolu d’emblée de s’écarter
des sentiers battus et de ne pas recourir nécessairement aux
constructions existantes. En prenant les réalisations antérieures comme point de départ, le résultat se serait soldé,
dans le meilleur des cas, par des améliorations marginales.
Aussi l’équipe de développement a-t-elle décidé de se consacrer à la recherche scientifique et de n’aborder qu’au cours
d’une seconde étape les composants indispensables à la production du son. Loin des logiciels de CAO et des établis des
horlogers, le travail a débuté dans un laboratoire de vibroacoustique. En recourant à des synthétiseurs spécialement
développés, Breguet a expérimenté plus de 200 000 combinaisons de fréquences, qui constituent autant de sons
composés d’une fondamentale et d’un certain nombre de
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partiels. L’objectif consistait à déterminer la combinaison la
plus agréable à l’oreille. Comme cette étude était effectuée
pour une répétition minutes, la tâche était particulièrement
complexe, car chacun des deux sons ne devait pas seulement
être riche et plaisant en soi, mais également s’accorder à
l’autre dans l’association de la sonnerie des heures et des
minutes. Les 200 000 variantes initiales se sont graduellement réduites à 2 000, 200 puis 20 et, finalement, à quatre.
Le team des horlogers et des ingénieurs a choisi la meilleure avec Marc A. Hayek, président et directeur général de
Breguet. Le choix final issu de ce processus de sélection à
large échelle a ensuite piloté le développement et la construction de la pièce, une approche révolutionnaire en matière de
répétition minutes.
Comment mesurer objectivement le degré de créativité
de la voie suivie par Breguet ? L’un des critères possibles
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UNE RÉPÉTITION MINUTES DE
CONSTRUCTION RÉVOLUTIONNAIRE.
Pour la seconde fois de son histoire,
Breguet bouleverse la conception
d’une répétition.
réside dans le nombre de brevets déposés pour un gardetemps. Il est rare pour une montre-bracelet lancée sur le
marché de s’accompagner de plus d’un brevet. La Tradition
Répétition Minutes Tourbillon peut, quant à elle, s’enorgueillir de six nouveaux brevets et de cinq éléments constitutifs majeurs qui n’ont jamais existé précédemment dans
un mécanisme de montre à répétition minutes. En outre,
des inventions additionnelles sont incorporées dans d’autres
parties du mouvement ainsi qu’une combinaison de ces éléments jamais réunie dans un même garde-temps. Aussi la
nouvelle Tradition Répétition Minutes Tourbillon peut-elle
sereinement proclamer qu’elle n’incarne pas uniquement un
important jalon dans l’histoire de Breguet, mais souhaite
représenter, comme il y a deux cents ans, un nouveau point
de référence dans le domaine des répétitions minutes.
En résistant à la tentation de décrire aussitôt les inventions intégrées à cette montre révolutionnaire, intéressons-nous en premier lieu à ses autres complications. Ce
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garde-temps voit le jour sous la forme d’un tourbillon à
remontage automatique et d’une répétition minutes. Le
tourbillon ressemble au Tourbillon Extra-Plat présenté en
20141 et son mécanisme comprend un système de remontage automatique similaire, assuré par l’entremise d’une
masse oscillante périphérique. Ce dispositif permet une
construction d’une grande finesse. De surcroît, ce design
confère un attrait additionnel à la présentation du mouvement à travers le fond de boîtier transparent. La position
extérieure de la masse oscillante libère la platine et les
ponts de tout élément perturbateur et garantit leur complète visibilité.
La Tradition Répétition Minutes Tourbillon est également équipée d’un indicateur de réserve de marche. À travers ses collections, Breguet avait généralement délivré
cette information à l’aide d’une aiguille. Pour ce gardetemps, la marque a créé une nouvelle forme d’affichage
fondé sur la rotation d’un disque bleu disposé derrière une
ouverture située en bordure du cadran. Comparable à une
jauge à essence, cet indicateur apparaît entièrement bleu
lorsque le barillet est complètement remonté. Le niveau de
bleu diminue graduellement au fur et à mesure du désarmage du barillet.
L’alliance entre un mécanisme de répétition minutes et
une construction de tourbillon avant-gardiste est un exploit qui, à lui seul, mériterait d’être rapporté en lettres
capitales. Cependant, la Tradition Répétition Minutes se
distingue des solutions préexistantes et comprend de nombreuses innovations. Quelques éléments fondamentaux
serviront à tracer le cadre nécessaire à la compréhension de
ces inventions. Une répétition minutes comprend plusieurs
catégories de composants ou, si vous le préférez, d’ensembles constitutifs. Le premier est représenté par la combinaison des marteaux et, depuis l’invention révolutionnaire
◆ Vue des marteaux verticaux.
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TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
de Breguet en 1783, des ressorts-timbres, sur lesquels les
marteaux frappent pour délivrer l’indication sonore de
l’heure. Le second est le mécanisme de régulation indispensable pour garantir que le tempo de la sonnerie demeure
constant. Le troisième, le barillet spécifique à la sonnerie et
le quatrième, le système employé pour « lire l’heure » afin
que la répétition soit en mesure de décompter et d’égrener
précisément les heures, les quarts et les minutes. Enfin, et il
ne s’agit en aucun cas d’un élément annexe, une construction de nature à faciliter le rayonnement du son depuis les
timbres vers l’extérieur de la montre pour que le propriétaire prenne connaissance de l’heure. Pour la Tradition
Répétition Minutes Tourbillon, Breguet a entièrement repensé chacun de ces ensembles constitutifs.
Les marteaux et les timbres.
Dans les constructions habituelles de répétitions, les
ressorts-timbres sont généralement enroulés autour du
mouvement alors que les marteaux les frappent à l’horizontale. Cette disposition est tellement commune qu’elle est
devenue presque universelle et n’était pas remise en cause
depuis des décennies. Pourtant, les constructeurs de Breguet
ont examiné cette convention d’un œil neuf. Pour quelle
raison les marteaux devraient-ils agir horizontalement ? Partant du principe que le verre saphir et la lunette vibrent
mieux verticalement et permettent au son de rayonner de
manière optimale, ils ont émis une nouvelle hypothèse. Si
les marteaux pouvaient également fonctionner de façon verticale, ils favoriseraient la transmission de la vibration vers
les éléments rayonnants, puis dans l’air.
La nouvelle Tradition Répétition Minutes répond à
cette logique irrésistible et ses marteaux frappent verticalement les timbres. La structure des marteaux recèle aussi une
innovation. Sous l’effet du marteau, le ressort-timbre recule. Afin d’éviter un rebond susceptible de provoquer un
26
LE PROJET A DÉBUTÉ PAR
DES RECHERCHES ACOUSTIQUES.
Ensuite, des centaines de variantes
ont été étudiées avant de parvenir au
son définitif.
deuxième coup non désiré, les marteaux des répétitions minutes sont équipés d’un mécanisme destiné à prévenir tout
nouveau choc. Les constructions existantes possèdent néanmoins un inconvénient. S’il évite le rebond du timbre, le
système d’absorption des chocs consomme une partie de
l’énergie disponible pour la frappe et diminue ainsi l’intensité du son. Pour parer à cette difficulté, Breguet a inventé
un amortisseur semi-actif qui entre en action après la frappe
pour éviter tout rebond du marteau2. De ce fait, il ne réduit
d’aucune manière la force de l’impact.
Sur la nouvelle Tradition Répétition Minutes, les
ressorts-timbres présentent des formes uniques. Fondés sur
les recherches acoustiques conduites par Breguet depuis
plus de dix ans, les deux ressorts-timbres (l’un pour la note
grave des heures, l’autre pour la fréquence plus élevée des
minutes) sont confectionnés dans le même alliage que le
boîtier, en or rose ou en or blanc, puis rhodiés. Les deux
27
TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
IL EXISTE UNE MESURE NUMÉRIQUE
DU DEGRÉ D’INVENTIVITÉ.
La Tradition Répétition Minutes
s’accompagne de six brevets et de cinq
innovations majeures.
timbres sont placés au-dessus du mouvement, sous le verre
saphir où ils demeurent entièrement visibles. Le plus long
des deux, celui des heures, possède presque la forme d’un
demi-cercle avec une petite fossette. Plus court, le timbre
des minutes rappelle un cercle. Contemplés simultanément,
les deux timbres évoquent les contours de la lettre « B ».
Une fois le son de la répétition minutes défini, ingénieurs et
horlogers ont testé numériquement, puis expérimenté des
centaines de variations de formes, profils, points de fixation
et positions pour les timbres afin de produire les sonorités
retenues. Ils sont parvenus à leurs fins en adoptant des
formes créatives, en attachant le timbre des heures à ses
deux extrémités, celui des minutes uniquement à l’une
d’elles et en donnant à tous deux une section rectangulaire.
Cette géométrie offre un avantage additionnel. Sur les
constructions habituelles de répétitions, les deux timbres
sont placés l’un au-dessus de l’autre, une disposition qui
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requiert souvent une isolation afin d’assurer que les deux
timbres n’entrent pas en contact. Ce risque n’existe pas sur
la Tradition Répétition Minutes, puisque les timbres sont
nettement séparés.
Le régulateur.
Sur une répétition, la sonnerie est délivrée par une succession de « dings » et de « pauses ». Ainsi, à trois heures, la
montre sonnera « ding pause ding pause ding pause ». Sur
un garde-temps de haute horlogerie, il est primordial que
les « dings » et les « pauses » se produisent à intervalles réguliers ou, pour l’exprimer en termes musicaux, selon un tempo constant, qui ne s’accélère ni ne ralentit tandis que la
montre sonne les heures, les quarts et les minutes. Telle est
la fonction du mécanisme de régulation.
La conception d’un régulateur doit répondre à deux critères essentiels. Le premier, à l’évidence, s’attache à la précision. Comment contrôle-t-il le tempo ou le rythme de la
sonnerie ? Le second concerne le silence. Le régulateur
émet-il un bruit mécanique, généralement sous la forme
d’un bourdonnement, de nature à porter atteinte à la pureté
du son ?
Dans ce domaine, Breguet a étendu ses recherches réalisées pour La Musicale. Cette montre qui joue une mélodie
(La Pie voleuse de Rossini sur une version et La Badinerie
de Bach sur une autre) pose des exigences particulièrement
élevées au régulateur, car l’oreille remarque aussitôt le
moindre écart de tempo dans les airs familiers. À cet égard,
un bourdonnement mécanique se révèle tout aussi gênant.
Pour La Musicale, Breguet a développé et breveté un régulateur magnétique. Avec une précision incomparable par rapport aux réalisations antérieures, la vitesse de rotation dans
le système de Breguet est commandée par des changements
d’intensité du couple du frein magnétique 3. Cette première
◆ Le régulateur magnétique
breveté de Breguet.
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TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
horlogère recèle un avantage supplémentaire : le silence.
Comme les éléments mécaniques n’entrent pas en contact
les uns avec les autres, le régulateur magnétique exclusif à
Breguet est parfaitement silencieux.
Il existe cependant une différence entre le régulateur de
La Musicale et celui développé pour la Tradition Répétition
Minutes. Sur La Musicale, le dispositif demeure dissimulé
au regard. Sur ce nouveau modèle, le régulateur, décoré et
ajouré, est disposé à la vue du côté cadran de la montre, en
permettant ainsi au propriétaire d’apprécier le spectacle de
sa rotation.
L’intégration d’un régulateur magnétique à la Tradition
Répétition Minutes représente une première et le brevet déposé par Breguet souligne son caractère unique, qui la distingue de toutes les répétitions disponibles sur le marché.
Le système de barillet.
Les répétitions minutes classiques sont équipées d’un
barillet armé lorsque le propriétaire actionne un verrou
afin de commander la sonnerie. L’énergie qui provient de
l’actionnement du verrou est stockée dans le barillet et utilisée pour alimenter le mécanisme de la répétition minutes.
Si la Tradition Répétition Minutes Tourbillon se fonde sur
ce principe, elle le complète de raffinements significatifs.
◆ Le barillet de la répétition transmettant l’ énergie
par l’entremise de la chaîne.
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En lieu et place d’une gâchette qui coulisse dans une
rainure aménagée sur la carrure de la montre, la nouvelle
Tradition Répétition Minutes est dotée d’un poussoir à
baïonnette qui requiert une simple pression plutôt qu’un
mouvement longitudinal sur le flanc du boîtier. S’il est
sans conteste plus aisé d’actionner un poussoir que de faire
coulisser un verrou, ce système offre en outre un degré
supérieur de résistance à l’humidité que les gâchettes
conventionnelles.
Il est temps de nous intéresser à une nouvelle première
horlogère. Contrairement à toute autre montre-bracelet à
répétition, la Tradition Répétition Minutes délivre l’énergie
requise à la répétition par l’entremise d’une chaîne. Ce
mode de transmission n’est pas inédit dans la riche histoire
de Breguet, car la célèbre montre de poche MarieAntoinette, tant l’originale (qui fut remise en 1827 et était
alors la montre la plus compliquée du monde) que sa recréation moderne, recourent à des chaînes. Sur le nouveau
modèle, la chaîne représente un élément du mécanisme de
force constante développé pour la sonnerie. Au fur et à mesure du désarmage du barillet, la quantité de force délivrée
diminue. Sur les montres à répétition dépourvues d’un système à force constante, une diminution de la cadence se
produit fréquemment à la fin des longues sonneries (12 h 59
par exemple exigent 12 coups pour les heures, 3 coups pour
les quarts, chacun avec deux notes, et 14 coups pour les minutes – soit un total de 32 frappes). Le dispositif de barillet
à chaîne compense le changement de force entre un ressort
UNE PREMIÈRE SUR UNE
MONTRE-BRACELET.
La sonnerie est dotée d’un système
de force constante à chaîne.
31
TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
entièrement remonté ou presque désarmé en modifiant le
rayon effectif de la fixation au mécanisme de la répétition.
Lorsque le barillet est complètement remonté, la chaîne agit
sur un petit rayon. Quand il se désarme, elle opère sur des
rayons toujours plus grands afin d’équilibrer la force décroissante délivrée par le barillet. Dans son principe, ce mécanisme ressemble à la fusée utilisée dans la Tradition
Tourbillon, mais plutôt que de changer de rayon avec des
disques empilés (disposés comme dans un dérailleur de bicyclette)4, le système de répétition modifie le rayon effectif
sur un seul niveau.
Aucune autre montre à répétition au monde ne peut se
targuer de posséder un système de chaîne à force constante.
À l’évidence, comme les maillons de cette chaîne minuscule
sont encore plus courts que ceux de la Tradition Tourbillon,
la fabrication de ce système représente un authentique tour
de force de la Manufacture.
Lecture de l’heure.
Toutes les répétitions minutes recourent à un mécanisme pour sonner l’heure. Si le nouveau modèle ne fait
pas exception à la règle, il l’applique de façon inattendue.
Son mouvement est doté de cames séparées pour les heures,
les quarts et les minutes. Naturellement, il y a douze degrés
sur la came des heures, quatre sur celle des quarts et 14 sur
chaque bras de la came des minutes (qui comporte quatre
bras, un pour chaque quart). La position des cames est
précisément commandée par le rouage de la montre, de
sorte que lorsque le propriétaire souhaite entendre l’heure,
des palpeurs engagent les degrés appropriés afin que le
garde-temps égrène correctement les heures, les quarts et
les minutes.
Un élément inédit réside dans la manière dont les quarts
sont sonnés. La pratique généralement observée pour
32
33
TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
LE RAYONNEMENT DU
SON DEPUIS LA MONTRE.
Il repose sur deux éléments uniques :
une chambre sonore sur le fond de la
montre et une méthode innovante pour
fixer la lunette et le verre.
les quarts consiste à sonner un coup sur le ressort-timbre
des minutes, rapidement suivi par un autre coup sur le
ressort-timbre des heures. Comme la note du ressort-timbre
des minutes est plus haute que celle des heures, la sonnerie
est perçue comme un « ding dong » pour chaque quart.
Ainsi, les deux quarts (entre 30 et 44 minutes) sont habituellement sonnés par la succession « ding dong ding
dong ». Pour égayer la formule, Breguet rend plus caractéristique le son du deuxième quart (en dotant au passage la
demi-heure d’une sonorité spécifique). Plutôt que le motif
habituel, la Tradition Répétition Minutes sonne « ding
dong dong ding ». Le changement dans l’ordre des notes
pour le second quart permet ainsi de distinguer plus aisément le quart qui vient d’être sonné.
La transmission du son.
Dans ce domaine non plus, il n’existe pas de solution
miracle. L’équipe de recherche et de développement de
Breguet a ainsi employé un arsenal de mesures afin de favoriser le rayonnement sonore depuis la répétition.
34
Un examen détaillé du boîtier fait apparaître un élément qui ne se retrouve sur aucune autre montre à répétition. Presque cachés à la vue, huit petits trous sont disposés
sur la lunette de fond. Ces ouvertures appartiennent à une
chambre acoustique aménagée dans la carrure, techniquement appelée « cavité de Helmholtz ». Ce terme scientifique peut paraître quelque peu obscur, mais nous en
connaissons tous un large éventail d’applications, car elles
se retrouvent sur des objets aussi familiers qu’un violon ou
un haut-parleur ainsi que dans un théâtre antique. Ainsi
que son nom le suggère, il s’agit d’une chambre acoustique
dont la forme est adaptée en fonction de la résonance des
sons et des fréquences désirées. Sur la Tradition Répétition
Minutes, elle adopte un profil rectangulaire et entoure le
mouvement, dont elle est séparée par une membrane destinée à isoler le mécanisme de l’air ambiant, car la cavité est
ouverte sur l’extérieur par ses huit trous.
Une seconde innovation concerne les ressorts-timbres,
la lunette et le verre. Les ressorts-timbres sont fixés à un assemblage attaché à la lunette de la montre, qui est construite
d’une manière entièrement nouvelle. Au lieu d’être intégrée
de façon rigide au boîtier, elle est dotée de trois petits pieds
ou piliers, eux-mêmes solidaires du boîtier. Comme ces
piliers disposent d’une certaine liberté de mouvement, la
lunette peut vibrer en résonance avec les timbres. En outre,
en raison de sa fixation à la lunette, le verre saphir entre
également en vibration. Ce système enrichit le son qui
rayonne de la montre, car la lunette et le verre transmettent
plus aisément les fréquences basses alors que le boîtier assure
une meilleure propagation des fréquences élevées.
En ne négligeant aucun élément, l’équipe de développement s’est aussi interrogée sur la matière choisie pour réaliser la platine du mouvement et la plupart des ponts. À la
place de l’habituel laiton, le choix s’est porté sur un titane
35
TRADITION RÉPÉTITION MINUTES TOURBILLON
de grade 5. En effet, ses fréquences naturelles sont nettement plus élevées que celles de la sonnerie, si bien que le
métal n’entre pas en résonance avec la vibration du mécanisme du régulateur et ne risque pas de troubler la pureté du
son émis par les timbres.
Répétition Minutes au régulateur silencieux est de 40 décibels. En d’autres termes, cette valeur correspond à l’écart
entre le bruit de fond d’un bureau paisible et l’intensité
sonore d’une personne qui parle sur un ton habituel.
Quelle autre montre peut en dire autant ?
À l’évidence, seule l’écoute permet de juger en dernier
ressort de la qualité sonore d’une répétition et les ressources
de la langue sont impuissantes à restituer la musicalité ou
la richesse d’un son. Toutefois, une mesure acoustique qui
compare le volume sonore des répétitions minutes à celui
d’une pièce tranquille est appliquée par Breguet. À une distance de 20 centimètres de la montre, Breguet mesure le
volume lorsque les timbres sonnent et le compare au bruit
ambiant (y compris celui émis par le régulateur) perçu
entre les coups frappés. La différence pour la Tradition
Même en observant les usages transmis par l’histoire, les
sonneries demeurent les plus complexes de toutes les complications. La convention, cependant, ne fait pas partie de
l’héritage de Breguet, contrairement à la volonté de réinventer les règles. Pour la deuxième fois, Breguet révolutionne la
montre à répétition.
1
2
36
Comme sur le Tourbillon Extra-Plat, la rotation une minute est
alimentée en énergie depuis l’extérieur de la cage et la roue fixe est
positionnée sur le pourtour du balancier. Un autre point commun
est représenté par le spiral et la roue d’échappement en silicium.
L’amortisseur semi-actif possède une articulation synchronisée avec
le marteau. Immédiatement après la frappe, le marteau est retiré
par un ressort, en évitant ainsi le risque d’un double coup ou de
vibrations.
La Tradition Répétition Minutes Tourbillon est disponible dans un boîtier au diamètre de 44 millimètres en or
rose ou blanc, avec une boucle déployante assortie.
3
4
À ce propos, le lecteur intéressé se reportera à l’article consacré à La
Musicale, paru dans le n°1 du Quai de l’Horloge.
Le dérailleur arrière d’une bicyclette propose une bonne analogie.
Les « vitesses élevées » sont celles qui placent la chaîne sur le pignon
de petit diamètre du dérailleur alors que les « petites vitesses » utilisent les pignons de grand diamètre qui, comme un levier, confèrent un avantage mécanique en exigeant moins de force pour une
même vitesse.
37
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
LES ATELIERS
de la vallée de Joux
Par Jeffrey S. Kingston
38
39
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
Q
uels motifs incitent donc les entreprises à diffuser des statistiques toutes les fois où elles
procèdent à un agrandissement significatif ? Elles relèvent le nombre de mètres carrés, la part
d’espace supplémentaire gagné, les années consacrées à la réalisation du projet et, naturellement,
son coût. Assurément, les chiffres sont utiles dans une certaine mesure, mais de telles énuméra­
tions ne permettent généralement pas de saisir l’essentiel, les perspectives offertes par le bâtiment
flambant neuf.
◆◆◆
À l’origine de ces réflexions figure l’importante adjonc­
tion apportée par Breguet à ses ateliers de L’Orient. Ce
village est situé dans la célèbre vallée de Joux, le berceau de
la haute horlogerie. Cette contrée paisible où de petits télé­
skis accrochent le regard est renommée pour la qualité de
ses fromages et de ses produits laitiers. Elle garantit la séré­
nité requise à la manufacture Breguet actuelle qu’il serait
difficile d’imaginer occuper le petit atelier historique du
quai de l’Horloge à Paris, où le fondateur de la maison,
Abraham­Louis Breguet, a commencé sa carrière en 1775.
Les complications horlogères fleurissent et prospèrent de
longue date dans cette vallée située au cœur de la chaîne du
Jura, à quelques minutes de la frontière française. Comme
les paysans ne pouvaient conduire leur bétail à la pâture
pendant les longs mois d’un hiver rigoureux, ils se sont
tournés vers l’horlogerie, en travaillant à la lumière naturelle
dans des pièces aménagées au­dessus des étables. Ils ont
affiné leurs talents au fil du temps, de sorte que les méca­
nismes complexes sont devenus la spécialité de la région.
Les prestigieuses marques genevoises, dont la renommée
s’était affirmée au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle,
40
dépendaient pour leurs montres à complications des com­
pétences des artisans établis à la vallée de Joux. Les mouve­
ments étaient construits dans les montagnes du Jura, puis
emboîtés dans la cité de Calvin avant d’être vendus par les
marques sous leur propre nom. Ainsi, le savoir­faire et les
traditions de l’horlogerie se sont profondément enracinés
dans cet environnement où les horlogers d’aujourd’hui sont
parfois les représentants de dynasties qui s’étendent sur plus
de 150 ans. C’est dans ces familles que Breguet a trouvé les
personnes aux qualifications requises pour concevoir et
construire ses garde­temps, qui voient désormais tous le
jour à la vallée de Joux.
Même si une aile d’ateliers vient de sortir de terre, l’ex­
pansion ne s’est jamais interrompue depuis les débuts de la
nouvelle ère de Breguet. Elle a commencé en 1999 avec le
rachat du groupe horloger Breguet, composé des célèbres
manufactures de mouvements Lemania et Valdar. Nicolas
G. Hayek, qui a dès lors personnellement assumé la fonc­
tion de Président et de CEO, n’envisageait rien de moins
qu’une transformation radicale et une renaissance réalisées
41
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
au prix d’un investissement considérable. Le cœur de ce
projet reposait sur l’agrandissement et la modernisation des
installations. L’étape initiale s’est concrétisée par une vaste
expansion des ateliers existants de Lemania à L’Orient.
Inaugurée en 2002, cette première extension a permis de
doubler l’espace disponible et de doter le site d’un équipe­
ment à la pointe de la modernité. En 2003, l’absorption de
Lemania par Breguet a créé la manufacture Breguet actuelle.
Deux autres agrandissements ont ensuite ouvert la voie à
l’édification de cette nouvelle aile. Naturellement, l’admi­
nistration, le marketing et le département des ventes sont
toujours abrités dans le bâtiment de L’Abbaye, situé au bord
du lac de Joux dans un cadre exceptionnel.
◆ La nouvelle aile d’ateliers vue depuis l’arrière.
42
Malgré la décennie de constructions qui ont précédé
cette récente ouverture, il était parfois difficile pour les
visiteurs qui n’étaient pas intimement familiarisés avec l’art
horloger de saisir auparavant les subtilités des méthodes
utilisées par Breguet en passant d’un petit atelier à un autre.
Les horlogers qui effectuaient des tâches identiques travail­
laient souvent dans des locaux éloignés, certains dans le
bâtiment original de Lemania, d’autres dans les nouveaux
locaux. Cette dispersion ne permettait pas de distinguer et
d’appréhender aisément les diverses étapes de fabrication,
de finition et d’assemblage. L’important gain en espace a
favorisé le regroupement des collaborateurs qui accom­
plissent les mêmes tâches et offre désormais au profane une
vision globale qui met en évidence l’extrême attention por­
tée à chaque détail.
43
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
L’anglage nous en donne un excellent exemple. Ce fin
travail de polissage est appliqué sur les arêtes d’une large
variété de composants. À l’évidence, Breguet procède depuis
longtemps à l’anglage de nombreuses pièces, mais l’échelle à
laquelle se déroulait cette finition et le soin apporté à l’exé­
cution de cette technique demeuraient difficiles à percevoir,
car ce travail était mené à bien dans divers locaux. Désor­
mais, une trentaine d’angleurs sont réunis dans un même
atelier consacré à la pratique de cet artisanat traditionnel. Si
leur nombre est impressionnant, leur travail l’est également.
Les manufactures horlogères modernes peuvent choisir
entre une variété de méthodes pour la finition des bords des
composants du mouvement. La première option consiste à
ne rien faire et à conserver la pièce dans l’aspect qu’elle
adopte après le décolletage. La seconde correspond à une
approche fortement industrialisée où le soin de la finition
44
est entièrement confié à une machine. La troisième, qui
requiert un travail supplémentaire, repose sur le polissage
manuel des arêtes à l’aide d’un touret, un outil électrique
doté d’une pointe tournante qui réalise le polissage. Ce­
pendant, la méthode utilisée dans cet atelier est l’anglage
exécuté à la main en recourant à une lime ou, plus précisé­
ment, à une série de limes. En maintenant les composants,
ou dans certains cas en les fixant sur des supports spéciale­
ment adaptés à la pièce en travail, les artisans de Breguet
arrondissent et polissent minutieusement chaque arête en
utilisant une succession de limes toujours plus fines, avant
de procéder au brunissage à l’aide d’une cheville de bois.
Les avantages de cette approche classique sont spectacu­
laires et aisément identifiables par les connaisseurs. Les
bords arborent un lustre inégalé alors que seul l’usage de la
lime permet de former des angles internes et externes nets
45
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
LES ARTISANS GRAVEURS.
À l’æuvre dans un atelier au cæur
de la vallée de Joux.
(si vous souhaitez visualiser les angles internes et externes,
pensez à la lettre « Z ». Un angle interne aigu se trouve
sur la partie intérieure droite en haut alors que la partie
gauche à l’extérieur sur le bas opposé présente un angle
externe aigu).
Les passionnés d’horlogerie se rendent compte d’emblée
si un composant a été anglé manuellement à l’aide d’une
lime et bruni. À l’évidence, ce regard expérimenté appliqué
à une montre Breguet révèle des angles nets qui confirment
que le chanfrein et le brunissage ont été effectués à la main
au sein de la manufacture. Même en connaissant à l’avance
l’aspect impressionnant de ce travail, le visiteur éprouve un
sentiment de respect et d’admiration à contempler autant
de spécialistes expérimentés qui exercent cet artisanat dans
une même pièce. Aucun autre fabricant ne dispose d’un
atelier où une trentaine d’artisans réalisent le délicat anglage
manuel des composants, tel qu’il existe désormais dans la
nouvelle aile de la manufacture.
46
47
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
UNE SCÈNE UNIQUE AU MONDE.
Le nouvel espace a permis de
regrouper les guillocheurs de Breguet
dans un même atelier.
48
De pareille manière, les guillocheurs de Breguet sont
maintenant réunis. Souvenez­vous que le fin travail de guil­
lochage est une décoration emblématique de Breguet, déjà
pratiquée par son fondateur, Abraham­Louis Breguet. Il fut
le premier à faire figurer des parties guillochées sur des ca­
drans de montre. Même si une poignée d’autres maisons
horlogères peuvent se targuer de compter dans leurs effectifs
un ou deux artisans équipés d’une machine à guillocher, la
passion de Breguet pour cette forme d’art est incomparable­
ment plus vive, avec des équipes de spécialistes penchés sur
des tours à guillocher pilotés à la main pour exécuter la mul­
titude de décors qui ornent les cadrans, les masses oscil­
lantes et les boîtiers de Breguet. Pendant de nombreuses
années, le principal atelier consacré aux cadrans accueillait
les guillocheurs les plus expérimentés, qui développent de
nouveaux motifs brevetés et réalisent les décorations les plus
complexes. D’autres guillocheurs occupaient différents lo­
caux et travaillaient sur les cadrans en or ou traçaient les
dessins destinés à orner les masses oscillantes et les boîtiers.
L’aile récemment terminée a réuni ces artisans qui exercent
aujourd’hui leur art dans un même atelier.
La poursuite de notre visite par les pièces du bâtiment
dévolues à l’assemblage des mouvements offre la possibilité
d’observer certaines techniques, pratiquées depuis long­
temps par Breguet, mais précédemment situées dans des
environnements moins visibles. Ainsi, chaque horloger
contemple une collection unique de tournevis. En soi, cet
49
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
équipement n’est aucunement inhabituel et chacun s’attend
à trouver divers modèles de cet outil indispensable sur
un établi. Le type de tournevis que Breguet fournit à ses
horlogers n’est cependant pas courant. Pour chaque vis du
mouvement, les ingénieurs de Breguet ont exactement spé­
cifié la force à appliquer au moment du serrage. En règle
générale, les horlogers fixent les vis en se fiant à leurs sens.
Ce processus recèle cependant une inévitable marge d’er­
reur ou d’imprécision. Afin d’obtenir un degré supérieur
d’exactitude, Breguet a développé un système de tournevis
dynamométriques, calibrés en fonction des couples spéci­
fiques exigés par les concepteurs du mouvement. Cette col­
lection d’outils reflète ainsi la diversité des couples utilisés
pour les différentes vis du mécanisme. Ces instruments
sont plus onéreux que les modèles traditionnels, car leur
calibrage et leur vérification requièrent une dépense sup­
plémentaire.
D’autres outils spéciaux sont aussi utilisés dans les pièces
consacrées à l’assemblage des mouvements. L’huilage des
composants essentiels du mécanisme est une coutume ré­
pandue à travers toute l’industrie horlogère et le visiteur
aperçoit souvent sur les établis un schéma de lubrification
utilisé pour repérer les emplacements où la présence d’huile
est nécessaire. Le danger de cette approche réside dans la
variation de la quantité d’huile déposée, à l’image du serrage
intuitif des vis. Un excès provoque le déplacement de l’huile
à des endroits où elle n’est pas la bienvenue tandis qu’une
quantité insuffisante peut conduire la montre à un service
précoce. Afin d’éliminer ce risque, Breguet a conçu un appa­
reil à doser. Il permet à chaque point d’huilage sur un mou­
vement de recevoir précisément la quantité d’huile requise.
50
LES TRADITIONS DE LA HAUTE
HORLOGERIE SONT RESPECTÉES ET
OPTIMISÉES PAR LA TECHNOLOGIE.
Breguet a innové dans le développement
d’outils spéciaux et d’équipements pour
le contrôle de qualité.
51
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
Le contrôle de qualité est désormais installé sur le même
étage que l’assemblage des mouvements. Ainsi, la machine
utilisée pour vérifier la pénétration des palettes d’ancre sur
la roue d’échappement est située juste à côté de l’une des
pièces principales consacrées au montage. Tous les mouve­
ments de Breguet sont soumis à ce test. Les tolérances sont
infinitésimales et mesurées en millièmes de millimètres. De
nombreuses autres vérifications sont également effectuées
dans ce secteur, de sorte que le contrôle de qualité s’étend
sur six à dix semaines pour chaque mécanisme.
LES HORLOGERS SONT REGROUPÉS
EN FONCTION DES COMPLICATIONS.
Il existe des espaces de travail spécifiques en
fonction de grandes spécialités telles
que les tourbillons, les répétitions ou
les calendriers perpétuels.
52
Les aficionados seront naturellement impatients de dé­
couvrir les lieux où travaillent les horlogers qui réalisent les
complications. Le nouvel espace a permis à Breguet de réu­
nir sur le même étage de complexes activités et de regrouper
les horlogers en sections selon les complications auxquelles
ils donnent vie. Breguet utilise le terme de « cellule » pour
décrire cette subdivision. Il existe donc une équipe pour
La Musicale, une deuxième pour les tourbillons et ainsi de
suite pour les autres complications. Une telle organisation
facilite notablement la formation et donne aux horlogers la
sensation de travailler dans un groupe d’artisans au sein
d’un petit atelier. En outre, cette atmosphère favorise les
échanges d’idées entre les membres de chaque team sur la
manière d’optimiser l’assemblage des garde­temps.
53
LES ATELIERS DE LA VALLÉE DE JOUX
À L’ÉCOUTE.
Avant le contrôle final réalisé à
une distance de 20 cm, la sonorité
de chaque répétition minutes est
vérifiée à de nombreuses reprises
pendant l’assemblage.
Une installation particulière est située à proximité im­
médiate des établis des horlogers qui se consacrent aux
répétitions minutes, la chambre anéchoïde. Chaque répéti­
tion minutes est soumise à des tests dans ce local silencieux
aménagé à cette intention. Lorsque la montre est placée
dans la chambre et que la porte est refermée, tous les bruits
extérieurs sont supprimés. Il est dès lors possible de procé­
der à une mesure parfaite du son de la répétition minutes.
Comme ces mécanismes ne doivent pas être évalués en te­
nant la montre proche de l’oreille (est­ce vraiment de cette
manière que le propriétaire souhaite écouter le son ?), mais
au contraire en conservant une certaine distance, les tests
sonores sont réalisés à un éloignement de 20 centimètres.
L’impression générale qui surgit d’une visite de la nou­
velle aile n’est pas liée à la découverte de méthodes inédites,
car les techniques de Breguet évoluent constamment et
étaient déjà pratiquées auparavant. Cependant, leur regrou­
pement leur confère une visibilité inédite et souligne cette
quête de la qualité, devenue l’emblème de la manufacture
Breguet contemporaine.
54
55
HORLOGER DE LA MARINE
Horloger
DE LA MARINE
Par Jeffrey S. Kingston
56
57
HORLOGER DE LA MARINE
P
armi les innombrables honneurs que le fondateur de Breguet, Abraham-Louis Breguet, a
reçus tout au long de sa vie, le titre d’Horloger de la Marine est assurément le plus prestigieux.
Cette constatation ne diminue en rien la distinction représentée par son élection à l’illustre
Académie des sciences. Cependant, lorsque le roi Louis XVIII l’a nommé Horloger de la Marine,
cette position ne pouvait être occupée que par un seul maître en son art, alors que l’Académie
réunissait en son sein de nombreux chercheurs de renom.
◆◆◆
Afin d’apprécier pleinement la signification de ce titre,
il est essentiel de se souvenir que la mesure du temps jouait
alors un rôle essentiel dans la navigation hauturière. À cette
époque, la méthode généralement utilisée pour déterminer
la longitude exigeait de disposer à bord d’un garde-temps
à la précision exceptionnelle, car une différence d’une seule
seconde lors d’une observation au sextant équivalait à
15 secondes d’erreur longitudinale, soit approximativement
0,25 mille marin à l’équateur. Comme la domination des
mers assurait la richesse et la sécurité d’une nation, les chronomètres de bord confectionnés par l’Horloger de la Marine
représentaient un apport tellement important à cet égard
que ce titre était décerné par le roi en personne. Dans sa
recommandation à Louis XVIII afin de suggérer au souverain de remplacer l’Horloger de la Marine Louis Berthoud
par Abraham-Louis Breguet, la Marine observait que
« Monsieur Breguet, qui se présente lui-même pour prendre
la succession de Monsieur Berthoud, est le seul horloger reconnu par l’opinion publique. » Naturellement, la célébrité
58
évoquée dans ce rapport s’est encore étendue avec la décision du roi de l’élever à cette position. Si sa renommée s’est
sans conteste accrue à la suite de la distinction royale, il
convient de rappeler que cet honneur s’accompagnait d’une
impérieuse obligation : en sa qualité d’Horloger de la Marine, Abraham-Louis Breguet était contraint d’abandonner
temporairement ses autres commandes et activités afin
d’exécuter en priorité les ordres passés par l’État pour ses
chronomètres de bord.
Abraham-Louis Breguet s’est acquitté de sa tâche avec
une grande conscience, non seulement en concevant et en
construisant ses chronomètres, mais également en se penchant sur leurs conditions d’utilisation. Il a ainsi publié
en 1817 un opuscule de 23 pages intitulé « Instructions sur
l’usage des montres marines ». Ce manuel délivrait des
conseils détaillés sur l’art d’employer un chronomètre dans
la navigation et des recommandations sur la manière de vérifier le fonctionnement correct du garde-temps.
◆ Chronomètre de marine n o 3196 vendu
le 14 janvier 1822 à la Marine française.
59
HORLOGER DE LA MARINE
Abraham-Louis Breguet, puis son fils, ont confectionné
de nombreux chronomètres de marine. Afin de répondre
aux exigences particulières de précision, ces réalisations
abondaient en innovations techniques. Un excellent exemple
à ce propos est représenté par la montre no 3196, vendue à
la Marine française en 1822. Inséré dans un traditionnel
cabinet en bois, ce chronomètre de marine doté d’un système de suspension pour le mécanisme comportait deux
barillets et un échappement à détente.
◆ Chronomètre de marine n o 3196, vue supérieure.
Ce chapitre de l’histoire de la marine et de l’horlogerie
est la source d’inspiration pour la collection Marine de
Breguet, qui a fait son apparition en 1990. À l’évidence,
Breguet propose aujourd’hui des montres-bracelets plutôt
que des chronomètres de marine. Toutefois, ces gardetemps se distinguent également par leur construction spécifique et leur robustesse. Tous les modèles présentent des
boîtiers renforcés et, à l’exception du chronographe, des protections autour de la couronne. Comme le nom « Marine »
le suggère, de nombreux garde-temps de la collection possèdent une étanchéité accrue à 10 bar ou 100 mètres. La
diversité des complications offertes par la ligne incarne
cependant une innovation par rapport aux modèles historiques.
De dimensions modestes, la première collection de
montres-bracelets Marine se composait uniquement de
deux garde-temps à remontage automatique de différents
diamètres, tous deux dotés d’une grande seconde et d’une
indication de la date. Quelques années plus tard, les complications ont fait leur entrée dans la ligne Marine avec la
présentation d’un chronographe automatique à trois compteurs et de la montre à temps universel Hora Mundi.
60
◆ Croquis illustrant l’installation d’un chronomètre
de marine à bord d’un bateau. Les dessins sont de
la main d’Abraham-Louis Breguet.
61
HORLOGER DE LA MARINE
L’ACTUELLE COLLECTION MARINE
A FAIT SES DÉBUTS EN 2005 SOUS UN
NOUVEAU STYLE.
Le design sportif se distingue par une
interprétation audacieuse des protections
pour la couronne.
Une évolution importante est intervenue en 2005 avec
l’introduction de l’esthétique qui caractérise la collection
actuelle. Depuis lors, elle arbore un style plus sportif, souligné par les lignes claires du boîtier et l’interprétation audacieuse des protections pour la couronne. Le premier modèle
à illustrer ce renouveau stylistique était la montre à remontage automatique, avec seconde au centre et grande date de
référence 5817, qui comportait un nombre d’éléments inédits : le premier affichage de grandes dimensions pour la
date proposé par Breguet, un bracelet en caoutchouc – également une innovation pour la marque – ainsi que la possibilité pour l’acquéreur de choisir un boîtier en acier, une
première dans la ligne. Le cadran se distinguait des autres
réalisations de Breguet par son tour d’heures qui possédait
des chiffres en applique. La collection actuelle offre diverses
variantes de la 5817.
62
63
HORLOGER DE LA MARINE
LES ÉLÉMENTS EMBLÉMATIQUES
DE LA COLLECTION MARINE.
Protections pour la couronne, chiffres
romains appliqués sur le cadran et
bracelet en caoutchouc.
◆ Marine réf. 5817.
64
65
HORLOGER DE LA MARINE
La volonté de doter les montres-bracelets Marine originales de complications additionnelles s’est affirmée et renforcée au fil du temps. Aujourd’hui la collection Marine
comprend ainsi des chronographes pour hommes et dames
(références 5827 et 5823 pour les modèles masculins, 8827
et 8828 pour les versions féminines), une montre à second
fuseau horaire (référence 5857) et un réveil (référence 5847).
Chacune d’elles est disponible dans une large variété de matériaux pour le boîtier et de couleurs de cadran.
◆ Chronographe Marine réf. 5827.
66
67
HORLOGER DE LA MARINE
LES COMPLICATIONS
ENRICHISSENT
LA COLLECTION MARINE.
Breguet a introduit un
large éventail de complications
dans la ligne Marine.
◆ Marine GMT réf. 5857.
68
69
HORLOGER DE LA MARINE
LA COLLECTION MARINE
EMBRASSE DEUX SIÈCLES.
Elle évoque l’histoire alors que
son style est contemporain.
◆ Marine Royale Alarme réf. 5847.
70
71
HORLOGER DE LA MARINE
LE LARGE ÉVENTAIL DES COMPLICATIONS
SUR LA LIGNE MARINE COMPREND
DES GRANDES COMPLICATIONS.
Le Tourbillon Chronographe est le garde-temps
le plus compliqué de la ligne Marine.
◆ Marine Tourbillon Chronographe réf. 5837.
72
La pièce la plus compliquée de la collection Marine est
le Tourbillon Chronographe (référence 5837) qui, comme
son nom l’indique, est doté d’un tourbillon et d’un chronographe commandé par une roue à colonnes et un embrayage horizontal. La partie chronographe du mécanisme
est fondée sur le légendaire mouvement 2320/533.1 de
Breguet. La position du tourbillon à 12 heures est inhabituelle pour la manufacture. En effet, à l’exception de la
Tradition Tourbillon et de la Classique Double Tourbillon
tournant, Breguet dispose généralement ses tourbillons à
6 heures. Il importe de relever enfin que le Chronographe
Marine Tourbillon est le seul garde-temps de la marque à
offrir cette combinaison de complications.
73
HORLOGER DE LA MARINE
LA LIGNE MARINE SE
DÉCLINE AU FÉMININ.
Breguet propose des chronographes
Marine également pour dames.
La collection Marine de Breguet s’étend sur plus de
deux siècles. Alors que son nom évoque une histoire glorieuse, son style et ses perfectionnements techniques
témoignent d’une inspiration contemporaine. Enrichie
d’un large éventail de complications, cette collection raffinée à l’esprit sportif s’agrandit encore par un vaste choix de
matériaux pour le boîtier, de bracelets, de cadrans et de
modèles sertis de pierres précieuses.
◆ Le chronographe Marine pour dames réf. 8827.
74
75
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
TRADITION
Chronographe Indépendant
Par Jeffrey S. Kingston
76
77
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
L’
air est raréfié sur les sommets de la haute horlogerie. Pour y conquérir une place, une
maison horlogère doit maîtriser, dans ses ateliers, l'éventail complet des grands défis posés par la
mesure mécanique du temps : les calendriers perpétuels, les tourbillons, les répétitions et, naturellement, les chronographes. Les collections de Breguet ne comprennent pas uniquement l’ensemble de ces complications, mais en présentent de multiples versions. À cet égard, les mouvements
proposés par Breguet sont étonnamment divers.1 Ils comprennent notamment le calibre 2320,
selon sa désignation interne, ou 533.3, tel qu’il est connu par le public, considéré pendant
des décennies comme le mouvement de chronographe le plus prestigieux du monde (cf. notre
numéro 2 pour l’histoire de ce calibre et son adoption sans précédent par de nombreux fabricants
horlogers renommés).
◆◆◆
Aussi, nul ne se serait étonné que Breguet se repose sur
ses accomplissements antérieurs et conserve sans la modifier
sa gamme de chronographes. Pourtant, une nouvelle s’est
répandue comme une traînée de poudre dans les halles de
Baselworld 2015 : Breguet dévoilait son sixième calibre de
chronographe sous le nom de Tradition Chronographe
Indépendant. Ce mécanisme représente cependant bien
davantage qu’un enrichissement ou un élargissement de
l’assortiment des chronographes de la marque, car sa
construction intégrée est entièrement inédite et ouvre un
nouveau chapitre dans l’histoire de cette complication.
Un bref rappel des principes fondamentaux auxquels
obéissent les chronographes permettra de tracer le contexte
de ce mouvement. À quelques exceptions près, tous les
chronographes possèdent un mécanisme d’engagement.
Quand le propriétaire démarre le chronographe, de manière
universelle en pressant un poussoir, ce mécanisme relie
les composants du chronographe au rouage horaire de la
78
montre. Le processus s’inverse au moment où le chronographe est arrêté à la fin d’un événement temporel et l’actionnement du poussoir d’arrêt provoque le désengagement
du chronographe du rouage de la montre. Au cours des
deux siècles d’histoire du chronographe, les horlogers ont
développé une multitude de systèmes d’embrayage et de
débrayage pour mener ces opérations à bien. Prenons par
exemple le calibre 2320/533.3. Il recourt à une roue à colonnes perfectionnée et à un embrayage horizontal pour
connecter le mécanisme du chronographe au mouvement
de la montre en faisant pivoter simultanément deux roues
finement dentées.
Le Chronographe Indépendant est dépourvu d’un tel
mécanisme d’engagement et de désengagement. L’enclenchement et le déclenchement du chronographe interviennent de manière totalement indépendante sans qu’aucun
type de connexion ou de déconnexion avec le rouage de la
montre ne soit nécessaire. À elles seules, ces deux phrases
79
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
SON NOM ÉVOQUE
UNE CONSTRUCTION UNIQUE.
Breguet l’a nommé indépendant pour souligner
que le mouvement de chronographe est dissocié
du mouvement principal de la montre.
illustrent à quel point ce mouvement est novateur et révolutionnaire. Il est né d’un processus de création qui correspond
parfaitement à la définition d’un projet qui ne se réfère à
aucune réalisation antérieure et débute à partir d’une page
blanche.
Ainsi, en l’absence de mécanisme pour relier le chronographe au rouage de la montre, comment ce chronographe
peut-il fonctionner ? Le nom de ce garde-temps, et plus particulièrement la mention « indépendant », apporte la réponse à cette question. Le chronographe possède son propre
mouvement, distinct et séparé du mouvement principal de
la montre. Les connaisseurs horlogers décèleront d’emblée
la présence de deux éléments de la mesure du temps puisque
le Chronographe Indépendant est doté de deux balanciers
(l’un pour le chronographe, l’autre pour le rouage horaire),
disposés de manière symétrique et adjacente l’un par rapport à l’autre, et visibles sur la face du garde-temps. Comme
dans tous les modèles de la collection Tradition qui ne
possèdent pas de tourbillon, les deux balanciers sont équipés du système pare-chute de protection contre les chocs. Ils
présentent également le même diamètre afin de conférer
une cohérence visuelle à la montre.2
◆ Le garde-temps comprend deux balanciers ; le balancier
en titane pour le chronographe prêt à être monté.
80
Même s’il apparaît déjà révolutionnaire de disposer un
chronographe indépendant avec un balancier aux dimensions identiques à côté du mouvement principal de la
montre, il serait erroné de supposer que la conception du
mécanisme de chronographe respecte les conventions établies, car Breguet l’a conçu de manière entièrement origi-
nale. Afin de démontrer l’inventivité du nouveau calibre, il
suffit assurément de préciser que Breguet a consacré cinq
années à son développement et déposé plusieurs brevets
relatifs à sa construction.
À l’évidence, le cœur du mouvement de chronographe
est constitué d’un balancier à inertie variable associé à un
échappement à ancre suisse. Le spiral du balancier intègre
une importante invention historique, la spire extérieure
Breguet, placée au-dessus du corps du ressort, qui contribue à garantir que le spiral se contracte et se détende de
manière plus uniforme afin d’optimiser la précision de
marche. L’industrie horlogère dans son ensemble a rendu
hommage à cette innovation en lui donnant le nom de
« courbe Breguet ». De nos jours encore, elle représente un
aspect essentiel de la conception d’un nouveau mouvement. Elle se complète des résultats de la recherche moderne de Breguet qui ont conduit à la mise au point d’un
balancier en titane avec son spiral en silicium à courbe
81
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
LA LAME RESSORT QUI
ALIMENTE LE CHRONOGRAPHE
en énergie et le rouage de
force constante.
Breguet qui oscille à une fréquence de 5 Hz, idéale pour un
chronographe, car elle divise nettement chaque seconde en
dixièmes. Les autres éléments de ce mécanisme de chronographe ouvrent d’autres perspectives totalement inédites.
Devenu habituel au point que les horlogers l’envisagent
comme une solution universelle depuis le XVIe siècle, le barillet avec son ressort en forme de spirale représente le composant qui délivre la force requise par les instruments
mécaniques de la mesure du temps. Il n’est donc guère surprenant que la partie consacrée aux fonctions horaires du
Chronographe Indépendant soit équipée de cet ensemble
de barillet/ressort. En revanche, la partie dédiée au chronographe ne possède ni barillet ni ressort en spirale. Elle est
82
également dépourvue d’une couronne destinée à remonter
le mécanisme, qui est ici alimenté en énergie par l’entremise
d’une lame ressort. Lorsque le poussoir est actionné pour le
retour à zéro, cette opération arme la lame ressort avec une
force suffisante pour assurer le fonctionnement du chronographe. L’un des principaux avantages de cette disposition
réside dans un approvisionnement instantané en énergie
pour le chronographe à l’aide d’une simple pression sur un
poussoir. Ainsi, il n’est plus nécessaire de se demander si le
barillet est suffisamment armé : le chronographe est toujours prêt à fonctionner, dès que le poussoir de démarrage
est activé.
Toutefois, Breguet ne s’est pas arrêtée en si bon chemin.
En effet, tout ressort qui délivre de l’énergie à un ensemble
composé d’un balancier et d’un échappement possède un
inconvénient. La force transmise varie au fur et à mesure
que le ressort transmet son énergie et elle est plus importante lorsque le ressort est complètement remonté qu’au
moment où il a presque épuisé ses réserves. Cette observation s’applique de semblable manière au ressort en spirale
d’un barillet traditionnel comme à une lame ressort. Afin
de pallier ce désagrément, Breguet a doté le Chronographe
Indépendant d’un système de force constante de conception inédite, intégré au mécanisme qui fournit l’énergie au
balancier spiral.3 Ce dispositif innovant fait l’objet d’un
brevet.
Le Chronographe Indépendant est doté de poussoirs,
même si leur disposition et leur fonctionnement s’écartent
des solutions conventionnelles : le démarrage est assuré par
le poussoir à 4 heures alors que l’arrêt est provoqué par un
poussoir à 8 heures. Une nouvelle pression à 4 heures redémarre le chronographe. Après l’arrêt, un second actionnement du poussoir à 8 heures commande la remise à zéro des
◆ L’ élément d’enclenchement du chronographe.
83
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
indications (souvenons-nous que c’est ce mouvement qui
arme la lame ressort). Cette nouvelle configuration des
poussoirs s’accompagne d’un réagencement des mécanismes
associés. Au centre de ces dispositifs novateurs figure une
idée inspirée par l’histoire de Breguet, qui sied parfaitement
à un membre de la collection Tradition dont ce garde-temps
est un digne représentant. Évoquant la montre Breguet
no 4009, vendue à Monsieur Whaley en 1825 (une montre
de poche à double seconde), le nouveau modèle est doté
d’une commande de chronographe en forme d’ancre.
Lorsque le poussoir de démarrage est actionné, la commande pivote afin de soulever le marteau qui immobilise
l’aiguille des secondes du chronographe et, simultanément,
libère le balancier du chronographe. Rappelons-nous que la
lame ressort a été armée lors de la précédente remise à zéro.
Lorsque le chronographe est arrêté, son balancier est bloqué
par un bras maintenu contre son axe. Une fois la pression
du bras relâchée, le balancier de chronographe se met immédiatement en mouvement. De manière générale, toute
montre mécanique nécessite un niveau d’armage suffisant
afin de permettre au balancier spiral de commencer à
osciller. Pour garantir un démarrage instantané du balancier
de chronographe, Breguet a conçu l’arrêt de sorte qu’il
demeure en tension sur le spiral du balancier. Ainsi, lorsque
le bras se relève, un démarrage instantané est assuré.
UN LIEN AVEC L’HISTOIRE DE BREGUET.
La construction évoque la montre Breguet
n o 4009 vendue en 1825.
Une seconde fonction de l’ancre entre en jeu lorsque le
chronographe est arrêté. L’ancre est utilisée pour réaliser le
retour à zéro de l’aiguille des secondes du chronographe. Un
doigt attaché à l’ancre fait pivoter un marteau afin de le
mettre en contact avec une came classique en forme de
84
85
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
LA FRÉQUENCE DU
CHRONOGRAPHE EST IDÉALE.
Avec une oscillation de 5 Hz,
chaque seconde se divise
précisément en dixièmes.
cœur, fixée à l’axe des indications du chronographe. Les
passionnés savent que ces cames sont universellement
employées pour la remise à zéro des aiguilles. Comme elles
possèdent un profil logarithmique, lorsque le marteau est
pressé à n’importe quel endroit sur le pourtour de la came,
cette pression imprime un mouvement de rotation. La
came revient ainsi vers une position préalablement définie
qui correspond naturellement à l’emplacement du zéro.
L’aiguille des secondes du chronographe parcourt une
échelle graduée à des intervalles de 0,2 seconde sur le cadran
externe. Comme le balancier du chronographe oscille à une
fréquence de 5 Hz, chaque seconde est parfaitement divisée
en dixièmes que la progression continue de l'aiguille permet
de lire distinctement sur le rehaut. Rappelant la symétrie
des deux balanciers, l’échelle du compteur des 20 minutes
est disposée sur un arc de cercle face à l’indicateur de la réserve de marche du mouvement horaire.
86
◆ Mise en place de l’aiguille des secondes du chronographe.
87
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
UN CHRONOGRAPHE DE PRÉCISION.
Avec sa construction unique, le chronographe
offre une précision de +/- 0,08 seconde sur
20 minutes.
L’exactitude des chronographes est un sujet rarement
abordé. Sur la plupart des chronographes, la connexion du
mécanisme de chronographe au rouage horaire de la montre
utilise une partie de l’énergie normalement dédiée à l’oscillateur et altère ainsi la précision de marche de la montre et
du mécanisme du chronographe ainsi que, par voie de
conséquence, des affichages de l’heure et du chronographe.4
Cette observation ne s’applique pas au Chronographe
Indépendant dont le rouage horaire et le chronographe
fonctionnent séparément. Son exactitude est stupéfiante :
+/− 0,08 seconde sur vingt minutes.
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89
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
UNE CONSTRUCTION RAFFINÉE.
L’examen de la platine révèle la
complexité du mouvement.
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91
TRADITION CHRONOGRAPHE INDÉPENDANT
Du côté horaire, ainsi que nous l’avons spécifié précédemment, le balancier est identique par sa taille à celui du
chronographe. Il est cependant confectionné dans un alliage métallique plus dense appelé Glucydur et oscille à la
fréquence de 3 Hz. Comme le chronographe, il est équipé
d’un spiral Breguet en silicium.
trée, une des caractéristiques de la collection Tradition. Le
mouvement à remontage manuel possède une réserve de
marche de 55 heures.
Le modèle Tradition Chronographe Indépendant est
disponible dans un boîtier au diamètre de 44 millimètres,
en or rose ou en or blanc.
Les heures et les minutes sont affichées sur un cadran en
or massif guilloché à la main. Il adopte une position excen-
1
Tous les calibres à chronographe de Breguet sont entièrement intégrés et ne recourent pas à une planche additionnelle pour le chronographe.
2
Même si les deux balanciers possèdent le même diamètre, le balancier de la montre, à droite, oscille à une fréquence de 3 Hz
(21 600 alternances par heure) alors que le balancier du chronographe, positionné sur la gauche, vibre à une fréquence de 5 Hz
(36 000 alternances par heure). Les deux balanciers de dimensions
égales, mais aux fréquences différentes sont confectionnés dans des
matériaux distincts : le balancier du chronographe, à la fréquence la
plus élevée, est fabriqué dans un métal moins dense, le titane.
3
92
Le train de rouages du Chronographe Indépendant est conçu
d’une manière entièrement nouvelle : des éléments essentiels du
système de connexion de la lame ressort au balancier du chronographe et à l’échappement sont constitués de râteaux plutôt que de
roues et de pignons traditionnels. Afin de favoriser la transmission
d’une force constante, le diamètre du premier râteau du rouage
après la lame ressort arbore une forme non concentrique. Quand
la lame ressort est complètement armée, la partie du râteau au
grand diamètre est engagée pour assurer le transfert d’énergie.
Lorsque la lame ressort se décharge, la partie au diamètre plus réduit est engagée pour compenser la réduction de la force. De subtils calculs ont permis de déterminer cette forme non concentrique,
de sorte que ce dispositif compense la diminution de l’énergie
transmise par la lame ressort pendant le fonctionnement du chronographe, à la manière d’un dérailleur de bicyclette.
4
La mise en marche du chronographe provoque une diminution de
l’amplitude du balancier (l’amplitude est le nombre de degrés que
le balancier décrit dans ses oscillations d’un côté à l’autre). Lorsque
l’amplitude se réduit de quelques degrés, la marche de la montre
peut être affectée. Lorsque le chronographe dépend du rouage de
la montre, il sera influencé par toutes les erreurs de marche, à
l’exemple de l’état de remontage du barillet de la montre.
93
LE CONGRÈS DE VIENNE
LE CONGRÈS
DE VIENNE:
L’ Europe à l’heure
d’Abraham-Louis Breguet
Par Marie-Hélène Huet & Emmanuel Breguet
◆ Arrivée de François 1er d’Autriche à Vienne suite à la paix de Paris
le 16 juin 1814 (peinture à l' huile de Johann Peter Krafft, avant 1828).
94
95
LE CONGRÈS DE VIENNE
L
e 18 septembre 1814, les plus hauts dignitaires européens se réunissaient à Vienne où ils
se proposaient, selon un de leurs contemporains, de « mettre un terme aux agitations de l’Europe et
de fixer son état pour une longue suite de siècles 1 ». Quelques mois auparavant, Napoléon avait
capitulé devant les forces de la quadruple alliance qui réunissait la Russie, la Prusse, l’Autriche et
la Grande-Bretagne. La France, revenue à ses frontières de 1792, avait un nouveau roi, Louis
XVIII, frère du roi exécuté sous la Révolution, et l’empereur déchu était exilé à l’île d’Elbe. Il
s’agissait alors de redessiner la carte de l’Europe bouleversée par les conquêtes napoléoniennes.
« L’Europe doit pendant longtemps dater du congrès de Vienne comme d’une ère nouvelle », écrit
le comte de Pradt, « car il ne s’agit de rien de moins que de l’avenir de l’Europe 2 ».
◆◆◆
Or, ces diplomates et têtes couronnées se penchaient
sur l’avenir du monde—au son discret d’un tic-tac unique
qui aurait dû les emplir d’enthousiasme et de fierté.
Qu’avaient donc en commun le Tsar de Russie, l’empereur
d’Autriche, les rois de Prusse et d’Angleterre si ce n’est une
méfiance réciproque et l’habitude de porter une montre
Breguet ? Qui d’autre que Breguet, alors au sommet de
sa carrière aurait pu compter en effet parmi ses clients
le Tsar Aleandre 1er et son négociateur Nesselrode3, le ministre autrichien Metternich, le grand protagoniste du
Congrès, le prince régent d’Angleterre et son ministre
Castlereagh, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III et ses
négociateurs Hardenberg et Humboldt, sans parler de
Talleyrand, qui défendait avec talent les intérêts d’une
France affaiblie ? Ces rois et dignitaires ils figurent tous sur
le registre des ventes de la maison Breguet. En outre, le
prince de Wurtemberg était devenu client en 1805 et le roi
de Bavière en 1810. Le général duc de Wellington avait
également acheté sa première montre à la maison Breguet
en décembre 1814.
96
On a longuement parlé des résultats politiques de ce
congrès qui transforma effectivement la carte des pays
européens, mais moins des extraordinaires festivités qui
célébrèrent la fin des hostilités. Plus de cent mille étrangers
avaient été attirés à Vienne pour assister aux défilés des
troupes, aux bals et aux fêtes qui s’y donnaient alors. Selon
les mots célèbres du Prince de Ligne, mémorialiste et ami de
Casanova, «[c]hose que l’on voit ici pour la première fois, le
plaisir va conquérir la paix 4 ».
Les réjouissances imaginées par la cour d’Autriche
pour divertir ses nobles invités se succédaient sans trêve :
Vienne était en fête et célébrait la pacification générale.
« La cour avait convié les danseurs et danseuses de l’Opéra
de Paris», note un témoin, « la troupe impériale avait été
renforcée ; les acteurs les plus célèbres de l’Allemagne, et
des pièces nouvelles […] avaient pour mission de tenir le
plaisir constamment en haleine. L’empereur François
s’était empressé d’ouvrir son palais à ses augustes visiteurs.
On calculait que cette résidence était alors habitée par
◆ Congrès de Vienne - Le Bal de la paix « Redoute paré während des Wiener Kongresses » Hoechle, Johann Nepomuk.
97
LE CONGRÈS DE VIENNE
deux empereurs, deux impératrices, quatre rois, une reine,
deux princes héréditaires, l’un impérial, l’autre royal, deux
grandes-duchesses et trois princes. […] quant aux réunions
officielles du congrès, les souverains ne prirent part à
aucune5 ».
◆ « Bal chez le prince Metternich pendant le congrès de Vienne ». De gauche
à droite, Frédéric-Guillaume III de Prusse avec le roi de Bavière, Wellington,
Metternich, Talleyrand et Hardenberg. Gravure sur bois, c. 1880 d’après
Joseph Weiser (1847-1911).
En marge des célébrations se discutait l’avenir des états :
l'Autriche avait pour principal représentant le prince
de Metternich et la France le prince de Talleyrand. L’Angleterre fut représentée par le Vicomte Castlereagh, puis par le
duc de Wellington. Le Tsar avait délégué le comte de
Nesselrode, le roi de Prusse, le prince de Hardenberg. Si les
festivités étaient publiques et les grands dîners l’occasion de
discuter d’incessantes rumeurs, le secret le plus absolu entourait les délibérations qui se tenaient à l’hôtel de la chancellerie d’État.
« Les souverains cependant consacraient généralement
leur matinée à des revues, à des parades, à des parties de
chasse, soit au Prater, soit dans les résidences royales : seulement ils se réunissaient tous les jours une heure avant le
dîner, et étaient censés discuter les objets dont s’étaient occupés leurs plénipotentiaires. À en croire la malignité publique, la politique faisait souvent défaut dans les augustes
débats de cet Olympe ; l’annonce d’une nouvelle partie de
plaisir s’y glissait quelquefois ; les affaires étaient aussitôt
détrônées, et les dieux redevenaient de simples mortels6. »
Il y avait sans doute une certaine naïveté dans ces remarques du jeune comte de la Garde : si les souverains ne
discutaient pas entre aux aussi sérieusement qu’on aurait pu
le penser, ils entretenaient séparément les relations les plus
étroites avec leurs représentants, chacun poussant ses ambitions personnelles ou une idée plus générale sur l’équilibre
des pouvoirs en Europe.
98
◆ Membres du congrès de Vienne, Autriche (1814-1815) d’après Jean-Baptiste Isabey :
debout à l’extrême gauche, le duc de Wellington ; debout à gauche, le prince de Metternich,
s’adresse au vicomte de Castlereagh, assis à gauche de la table. À droite, le prince de
Talleyrand, le bras posé sur la table, semble écouter le comte de Stackelberg.
Mais on n’avait jamais vu dans l’histoire européenne
tant de souverains réunis pendant de si longs mois, au
milieu de célébrations toujours renouvelées. Il y eut bien
quelques contretemps : le roi Frédéric 1er de Wurtemberg,
au caractère ombrageux et au fort embonpoint, n’appréciait
guère les bals et s’impatientait des longs défilés. Il quitta
brusquement le congrès après avoir renversé la table à
laquelle il s’apprêtait à dîner et le siège trop étroit qu’on lui
avait donné par mégarde. Ce départ ne contraria nullement
les amours passionnées de son fils, le prince héritier Wilhelm
de Wurtemberg, avec la grande-duchesse d’Oldenbourg,
sœur préférée du Tsar Alexandre, qu’il avait rencontrée à
Londres quelques mois auparavant. De leur point de vue,
99
LE CONGRÈS DE VIENNE
◆ Dorothée de Périgord, nièce de Talleyrand.
◆ Portrait du prince Metternich, 1773-1859, c. 1835.
◆ Charles-Maurice de Talleyrand Périgord,
pastel sur papier, James Sharples (c. 1751-1811).
◆ Wilhelmine de Sagan, princesse de Rohan en 1800,
baron François Pascal Simon Gérard (1770-1837).
le congrès fut un succès : un an plus tard, Wilhelm de
Wurtemberg devait divorcer pour épouser la vive et
charmante grande-duchesse. Talleyrand, ce fidèle client
d’Abraham-Louis Breguet, avait amené avec lui sa nièce
par alliance, la Comtesse Edmond de Périgord, plus tard
duchesse de Dino. Dorothée de Périgord avait 21 ans.
C’était une beauté brune aux yeux bleus presque noirs,
spirituelle et cultivée. Quelques mois avant le début du
Congrès, elle avait perdu une petite fille et en avait été bouleversée 7. Seule à Paris, elle se morfondait lorsque Talleyrand
lui proposa de l’accompagner à Vienne. Elle devait rester
près de lui le reste de sa vie et de nombreux biographes
assurent qu’elle fut le seul grand amour du Prince. La jeune
femme, installée au palais Kaunitz avec son oncle, participait activement à l’organisation des plaisirs. Il y eut un carrousel qu’elle présida avec 23 autres beautés du congrès et
qui devait éclipser ceux de la cour du Roi-Soleil. Les toilettes préparées pour cette fête, assura-t-elle, allaient surpasser en richesse et en élégance celles des dames de la cour du
grand Roi.8
Durant le congrès, la nièce de Talleyrand montra une
préférence marquée pour le comte Karl Clam-Martinitz,
aide de camp du prince de Schwarzenberg et descendant
d’une vieille famille hongroise 9. Une fille, Marie-Henriette
100
Dessalles, devait naître discrètement de cette liaison à
Bourbon l’Archambault en 1816. Mais la comtesse servit
toutefois fidèlement les intérêts de son oncle. Elle fut une
remarquable hôtesse qui régnait avec grâce et esprit sur le
palais qu’habitait alors Talleyrand. Celui-ci, nous dit encore
le comte de la Garde, « avait conservé à Vienne ses habitudes de Paris. Et du siècle passé. Tous les jours, au moment
de sa toilette, il recevait ses visites ; et là, pendant que son
valet de chambre le coiffait, souvent, en forme de causerie,
s’établissait la discussion la plus sérieuse. Dans son salon, je
l’ai vu, maintes fois, assis sur son canapé, près de la belle
comtesse Edmond de Périgord, et entouré de toutes les
sommités diplomatiques, […] qui, debout, s’entretenaient
avec lui10 ».
Il faut croire que les destinées amoureuses se jouaient
alors des alliances diplomatiques. Metternich, ce fin diplomate égal et rival de Talleyrand, courtisait de son côté la
sœur de Dorothée de Périgord, la duchesse de Sagan dont
l’éclat et la beauté n’avaient d’ailleurs pas échappé au Tsar
de Russie.
S’il est impossible de parler ici de tous les divertissements prodigués aux élites européennes réunies dans la capitale autrichienne, la description de la seconde « grande
101
LE CONGRÈS DE VIENNE
redoute » donnée au palais impérial mérite une exception :
« C’était d’abord une profusion de fleurs et d’arbustes les
plus rares qui couvraient les escaliers et les galeries. Une avenue d’orangers conduisait dans le salon principal ; d’immenses candélabres chargés de bougies, et placés entre les
caisses, des lustres avec des milliers de cristaux étincelants
répandaient une lumière fantastique dans le feuillage de ces
beaux arbres et faisaient ressortir les fleurs dont ils étaient
chargés. […] Les tentures étaient en étoffes de soie du plus
beau blanc relevées par des ornements en argent. L’or et le
velours brillaient sur les sièges. Sept à huit mille bougies
répandaient un éclat plus vif que celui du jour. Enfin,
plusieurs orchestres ajoutaient encore au prestige de ce merveilleux aspect ». Dans ce décor féérique, « [i]l fallait voir ces
femmes ravissantes, toutes éclatantes de fleurs et de diamants, emportées par cette irrésistible harmonie, penchées
sur le bras de leurs valseurs, et semblables à de brillants
météores11 ». Si la valse était le grand succès viennois, l’empereur de Russie préférait les polonaises, la danse quasi officielle de la cour de Saint-Pétersbourg. De nombreuses
compositions virent alors le jour, y compris la Polonaise
op. 89 de Beethoven, dédiée à la tsarine Élisabeth.
Ces cavaliers, qui représentaient les plus grandes familles européennes, étaient souvent, comme les ministres
chargés des plus hautes négociations, possesseurs de montres de la maison Breguet, accessoire indispensable semblet-il pour cette élite européenne : ainsi le prince Eugène de
Beauharnais, client de la maison comme nombre de membres de la famille Bonaparte. Dans la clientèle du maître
figurent aussi ces personnalités politiques qui jouèrent un
rôle important à Vienne : le duc de Richelieu, qui deviendra
plus tard président du Conseil des ministres et ministre des
Affaires Étrangères de Louis XVIII, le général Pozzo di
Borgo12 et des membres de la famille Potocki13, Montesquiou, Esterhazy ou Mecklembourg.
102
◆ Redoute et bal masqué dans le hall du palais impérial,
aquarelle de C. Schultz, c. 1815.
103
LE CONGRÈS DE VIENNE
Le prince de Ligne, résuma en quelques couplets l’humeur joyeuse qui régnait alors sur la capitale autrichienne :
« Venus et la jouissance /qui savent bien que la danse/ajoutait à leurs appas/voulaient qu’on ne cessât pas./La Sagesse
doit se taire/dit en riant le Plaisir/À Vienne l’unique affaire/
est de traiter le plaisir14 ».
◆ L’arrivée de Napoléon (1769-1821) aux Tuileries,
le 20 mars 1815, lithographie en couleurs.
Un coup de tonnerre
Les fêtes semblaient ne devoir jamais cesser, mais six
mois après le début de ces journées de liesse consacrées à
une paix durable, l’annonce selon laquelle Napoléon avait
quitté l’île d’Elbe vint brutalement bouleverser tous les
plans. On ignorait encore quelle route l’empereur avait prise
lorsque Vienne apprit la nouvelle, le 7 mars 1815. Napoléon
se dirigeait-il vers Gênes et l’Italie ? Risquait-il au contraire
de débarquer directement en France ? Les monarques et
leurs ministres décidèrent tout d’abord de garder l’information secrète. « La ville de Vienne avait gardé son aspect
accoutumé », écrit le comte de la Garde, « rien n’annonçait
encore que le coup de tonnerre eût retenti, partout l’insouciance, partout la joie. » Mais de nouveaux renseignements
arrivés le 11 mars mirent fin à tous les plaisirs : « On était
au bal chez M. Metternich quand on apprit le débarquement à Cannes et les premiers succès de Napoléon. […]
En vérité, les milliers de bougies semblèrent s’être éteintes
tout à la fois15 ».
Napoléon, dans son exil, avait reçu deux nouvelles de
Vienne où il avait des amis : que les alliés avaient projeté de
l’envoyer plus loin, sur l’île insalubre de Sainte-Hélène au
large des côtes africaines, et que son épouse Marie-Louise,
qui avait souhaité un moment le rejoindre à l’île d’Elbe,
avait été séduite par le comte Adam Von Neipperg, placé
auprès d’elle par Metternich pour la détourner de son projet. Napoléon avait débarqué dès le 1er mars au golfe Juan,
près d’Antibes, et déclara aussitôt avec une assurance toute
104
L’ANNONCE SELON LAQUELLE
NAPOLÉON AVAIT QUITTÉ L’ÎLE D’ELBE
vint soudainement bouleverser tous les
plans… des milliers de bougies semblèrent
s'être éteintes tout à la fois.
impériale : « Le congrès est dissous ». Il ne lui faudra pas
plus de 20 jours pour reconquérir la France et Paris. Les
soldats envoyés pour l’arrêter ou freiner son avance se
joignent à la petite troupe que l’empereur a rassemblée. Le
roi Louis XVIII quitte la capitale dans la nuit du 19 mars.
L’empereur entre à Paris le 20 mars 1815. La consternation
règne à Vienne.
Les courriers se multiplient alors entre les plénipotentiaires, les ambassadeurs et les souverains. Le 13 mars,
Talleyrand avait adressé au roi Louis XVIII le texte d’une
déclaration signée par les représentants des grandes puissances : « En rompant ainsi avec la convention qui l’avait
établi à l’île d’Elbe, Bonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée. En reparaissant en
105
LE CONGRÈS DE VIENNE
LE TSAR ALEXANDRE 1ER
avait été à plusieurs reprises l’allié de
l’empereur des Français : « Je ne vois pas
d’autre chef à leur donner », écrivit-il
après le retour de Napoléon à Paris.
France avec des projets de troubles et de bouleversements, il
s’est privé lui-même de la protection des lois, et a manifesté
à 1a face de l’univers qu’il ne saurait y avoir ni paix ni trêve
avec lui16 ». Le 30 mars, Talleyrand tente de rassurer le roi :
« Toutes les puissances sont dans le plus parfait accord sur la
destruction de Bonaparte.[…] L’empereur de Russie a le
meilleur langage. Il fait marcher ses troupes, et trouve que
cette question est telle qu’il doit y mettre son dernier
homme. Il marchera lui-même17 ».
106
Les Deux Empereurs
Or, le Tsar Alexandre 1er, qui avait été à plusieurs reprises l’allié de Napoléon du temps de l’empire, avait une
piètre opinion d’un roi installé aux Tuileries par les Alliés,
mais qui avait si peu conquis le cœur des Français qu’il s’enfuyait moins d’un an après son accession au trône. Il écrivit
au mois d’avril un texte remarquable, publié tout d’abord
dans la Gazette de Francfort, puis à Paris par les soins d’un
éditeur bonapartiste.
« Comme vous, » déclarait Alexandre, « l’apparition de
l'Empereur Napoléon en France m’ a indigné ; elle a renversé tous les plans de nos plénipotentiaires, et tous nos calculs
privés. […] Mais soumis aux circonstances et aux événements (malheureusement pour l’humanité, seules règles
sûres et positives de tous les souverains), il me semble que
l’empereur Napoléon s’étant assis une seconde fois, et sans
le moindre obstacle, sur le trône des Français, nous devons
nous livrer aux méditations les plus sérieuses sur notre
conduite future […] J’avais cru impossible qu’un homme
seul, sans armes, et sans l’assentiment et le secours d’aucun
de nous, abandonné l’an dernier par l’opinion d’un peuple
qu’il avait rendu malheureux, comme le reste de l’Europe,
pût jamais traverser en vingt jours deux cent cinquante
lieues de pays, arriver sans obstacle à Paris, et remonter
sur un trône que nous avons dû croire si bien occupé. « Les
Bourbons ont mal gouverné la France et ils n’ont pas rempli notre attente », ajoutait Alexandre, mettant en cause
Talleyrand qui avait joué un si grand rôle pour rétablir la
monarchie sur le trône. « Le prince Talleyrand, en nous
parlant de cette famille et nous faisant accroire qu’elle était
désirée par la nation française nous a trompés, et a étrangement compromis le fruit de notre sainte ligue. » Pour le
Tsar, la cause des Bourbons est perdue. « Nous ne devons
tirer l’épée que pour l’ensemble des nations européennes, et
pour les garantir de l’oppression que l’empereur Napoléon
a trop longtemps fait peser sur elles. […] Renversons de
nouveau son ambition, et que la guerre la plus acharnée en
débarrasse la terre ». Cependant, une fois anéanties les ambitions impériales de Napoléon, le Tsar concédait que seul
l’Empereur était apte à gouverner les Français. « Je ne vois
pas, d’après l’événement, d’autre chef à leur donner que
Napoléon18. »
Talleyrand avait survécu à bien d’autres crises, mais
celle-ci fut sans doute une des plus délicates à résoudre.
Il écrivit au roi un compte-rendu du texte d’Alexandre le
23 avril, concluant sur une note plus optimiste : « J’ai la
satisfaction de voir que les puissances portent toutes à Votre
Majesté un intérêt sincère ; même le langage de l’empereur
tient plus à de l’humeur, et aux idées philosophiques qui
dominent en lui, qu’à un calcul arrêté19 ». Le prince restera
à Vienne jusqu’à la signature de l’acte final du congrès, le
9 juin 1815. Mais pendant que les plénipotentiaires réglaient la nouvelle carte européenne dans l’atmosphère désormais assombrie de Vienne, les armées se mobilisaient dans
la plaine de Waterloo ; Wellington donnait à ses troupes
l’ordre de ne jamais abandonner la ferme d’Hougoumont ;
le 18 juin 1815, la bataille de Waterloo scellait le destin de
Napoléon.
◆ Portrait d’Alexandre 1er (1777-1825), Tsar de Russie,
par le Baron Gérard (1770-1837) et son studio.
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LE CONGRÈS DE VIENNE
LES ARMÉES SE MOBILISAIENT
DANS LA PLAINE DE WATERLOO.
La bataille du 18 juin 1815 devait
sceller le destin de Napoléon.
◆ Bataille de Waterloo 18 juin 1815,
Clément Auguste Andrieux (1829-1880).
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LE CONGRÈS DE VIENNE
Avec la seconde Restauration de Louis XVIII et la signature des actes de Vienne, Abraham-Louis Breguet voyait
plusieurs changements importants affecter à la fois sa maison et ses deux patries. La Suisse en effet avait connu des
années tumultueuses sous le règne de Napoléon qui l’avait
envahie et en avait redécoupé les cantons. Dans les dernières
années de l’Empire, la Suisse avait vu passer nombre d’armées étrangères réquisitionnant sur place leur subsistance et
autres fournitures. Le congrès de Vienne devait poser la
neutralité absolue et perpétuelle de la Suisse le 20 mai 1815.
Le second traité de Paris, signé après la bataille de Waterloo,
donnait à la Suisse ses frontières actuelles.
Si Napoléon 1er avait tenu l’horloger à l’écart des honneurs officiels, le roi Louis XVIII n’a cesse de prouver par
des actes répétés son estime pour un homme qu’il a connu
avant la Révolution et dont il a probablement suivi la carrière tout au long de son exil en Angleterre. En guise de
préambule, dès le 10 décembre 1814, en plein congrès de
Vienne, Breguet est nommé membre du Bureau des longitudes de Paris. Deuxième acte de reconnaissance, dans le
prolongement du précédent, Louis XVIII par ordonnance
du 27 octobre 1815, décerne à Breguet le titre officiel d’horloger de la Marine royale. Ce titre est sans doute le plus
prestigieux de tous ceux qu’un horloger peut recevoir, tant
la notion même d’horlogerie de la Marine implique de
compétence scientifique.
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◆ Dossier final du congrès de Vienne avec les sceaux et signatures de tous
les délégués. Charte du 9 juin 1815. Archives d’État, Vienne.
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LE CONGRÈS DE VIENNE
Des bouleversements sans précédents refirent ainsi,
entre les festivités du Congrès de Vienne et la bataille de
Waterloo, la carte de l’Europe. Or, quatre ans avant
Waterloo, en juin 1811, Abraham-Louis Breguet avait vendu au prince Camille Borghèse une montre à répétition à
cadran d’argent guilloché, indiquant les secondes, les jours
de la semaine, les quantièmes, et affichant un thermomètre.
La boîte d’or à fond d’argent, portait une carte des neufs
départements « au-delà des Alpes » (la région du Piémont)
dont Napoléon avait nommé le Prince Borghèse gouverneur-général en 1807. Le prince Borghèse avait en effet
servi dans les armées impériales et s’était allié à la famille
Bonaparte en épousant Pauline, la sœur de l’Empereur.
◆ Breguet no2585, vendue le 28 juin 1811 au prince Camille Borghèse
pour la somme de 4 800 francs.
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Cette même année 1811, l’horloger confiait à M. de
Bétancourt une montre destinée à l’empereur de Russie.
Cette montre à quantièmes des calendriers juliens et grégoriens, portait, gravée sur une face du boîtier, la carte de la
Russie impériale et sur l’autre le plan de Saint-Pétersbourg.
Après 1815, les « neuf départements au-delà des Alpes » qui
avaient été annexés à la France et gouvernés par Camille
Borghèse, étaient restitués à la famille de Savoie. La Russie
dessinée sur le boîtier d’Alexandre 1er s’était, elle, considérablement agrandie. Ainsi, les frontières gravées sur les boîtiers de ces montres ne résistèrent pas aux décisions du
Congrès de Vienne ni à la fin de l’épopée napoléonienne ;
mais la marche du temps, mesurée avec la précision qui fit
la renommée d’Abraham-Louis Breguet, continua imperturbablement à sonner les quarts et les deux quarts dans une
Europe enfin pacifiée.
◆ Breguet no 2336, confiée en 1811 à M. de Bétancourt pour l’empereur
de Russie, Alexandre 1er, pour la somme de 5 000 francs.
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LE CONGRÈS DE VIENNE
◆ Cérémonie commémorative de la bataille de Waterloo. Breguet a marqué de
sa présence le bicentenaire de la bataille de Waterloo en tant que sponsor privé
principal de la restauration de la ferme d’Hougoumont.
1
La maison Breguet, qui n’oublie jamais son histoire, a
décidé de prendre part aux commémorations des événements de 1814-1815, en devenant mécène de la rénovation
de la ferme d’Hougoumont, seul bâtiment encore témoin
de la bataille de Waterloo. Une cérémonie émouvante a
réuni le 17 juin 2015 les descendants de Wellington, de
Blücher et de Napoléon en ce lieu où désormais les visiteurs
pourront aussi parcourir une « salle Breguet ». Cette dernière
relate l’histoire d’une maison et d’un créateur dont les
montres, par leur extraordinaire attrait, sillonnaient déjà
l’Europe en dépit des guerres napoléoniennes, et qui, grâce
à la paix de 1815, partirent à la conquête du monde !
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M. de Pradt, Du Congrès de Vienne, Paris, François Veladini, 1816,
p. iii.
Id. p. iii.
Le nom du comte de Nesselrode paraît dans les archives avant
1809, comme ayant acquis quatre montres.
Ce mot est cité dans les Souvenirs du Congrès de Vienne, Cte Auguste
de la Garde-Chambonas, publiés par les soins de Maurice Fleury,
Paris, Vivien, 1901, p. 13.
la Garde, Souvenirs p. 26, 28.
Id. 34.
Voir Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand, le prince immobile,
Paris, Fayard, 2003, p. 479.
Voir la Garde, Souvenirs, p. 41. On trouve d’autres descriptions
dans un ouvrage récent de David King, Vienna, 1814 : How the
Conquerors of Napoleon Made Love, War and Peace at the Congress of
Vienna, New York, Harmony Books, 2008.
Voir Waresquiel, p. 482. Dorothée de Périgord, très éprise du
Comte Clam-Martinitz, devait quitter momentanément Talleyrand
durant l’automne 1815, pour rejoindre son amant qui avait été
envoyé en Italie après le Congrès de Vienne.
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la Garde, Souvenirs, p. 52.
Id. p. 35, 37.
Charles-André Pozzo di Borgo, issu d’une vieille famille corse, avait
rallié les armées russes en 1812. Après le congrès de Vienne, il fut
nommé ambassadeur de Russie en France. C’était un client fidèle
de la maison Breguet.
Le comte Potocki acheta 10 montres entre 1805 et 1815, dont une
montre tourbillon en 1809.
La Garde, Souvenirs, p. 183.
Id, p. 433, 436.
Déclaration jointe à la lettre que Talleyrand envoya à Louis XVIII le
13 mars 1814. Mémoires complets et authentiques de Charles-Maurice
de Talleyrand, Prince de Bénévent, t. 3, Paris, Jean de Bonnot, 1967,
p. 111-13.
Id. p. 139-40.
Déclaration de l’empereur de Russie aux souverains réunis au
congrès de Vienne, 1er-15 mars 1815, avec des notes critiques et
politiques par J.-T. Bruguière (du Gard). Publié à Paris par
A. Béraud en 1815, pp. 20, 53.
Talleyrand , Mémoires, t. 3, p. 178.
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AUTRES ILLUSTRATIONS
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RÉDACTION EN CHEF
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AUTEURS
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DES COLLABORATEURS DE BREGUET
ET PARTICULIÈREMENT À :
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PHOTOLITHOGRAPHIE
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suite à la paix de Paris le 16 juin 1814 (peinture à l’huile
de Johann Peter Krafft, avant 1828), pages 94/95
© ONB / Vienna Bildarchiv Pk 270, 8, Congrès de
Vienne - Le Bal de la paix « Redoute paré während des
Wiener Kongresses » Hoechle, Johann Nepomuk,
page 97
© akg-images, Bal chez le prince Metternich pendant
le congrès de Vienne ». Gravure sur bois, c. 1880 d’après
Joseph Weiser (1847-1911), page 98
© Musée de l’Armée, Brussels, Belgium, Patrick Lorette /
Bridgeman Images, l’Arrivée de Napoléon (1769-1821)
aux Tuileries, le 20 mars 1815, lithographie en couleurs,
page 104
© Manuel Cohen / akg-images, portrait d’Alexandre 1er
(1777-1825), Tsar de Russie, par le Baron Gérard
(1770-1837) et son studio, page 107
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard
Blot, Bataille de Waterloo 18 juin 1815, Clément
Auguste Andrieux (1829-1880), pages 108/109
© akg-images / Imagno, dossier final du congrès de
Vienne avec les sceaux et signatures de tous les délégués.
Charte du 9 juin 1815. Archives d’État, Vienne,
pages 110/111
© RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) /
Gérard Blot, Breguet no 2585, page 112
Collection particulière, Breguet no 2336, page 113
© Emmanuel Verjans, pages 114 et 115
© akg-images / De Agostini Picture Library, membres du
congrès de Vienne, Autriche (1814-1815) d’après
Jean-Baptiste Isabey, page 99
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Ladies of Loire in Valençay, Dorothée de Périgord, nièce
de Talleyrand, page 100 (image de gauche)
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Images. Charles-Maurice de Talleyrand Périgord, pastel
sur papier, James Sharples (c. 1751-1811), page 100
(image de droite)
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1773-1859, c. 1835, page 101 (image de gauche)
© Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais /
Christophe Fouin, Wilhelmine de Sagan, princesse de
Rohan en 1800, baron François Pascal Simon Gérard
(1770-1837), page 101 (image de droite)
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bal masqué dans le hall du palais impérial, aquarelle de
C. Schultz, c. 1815, pages 102/103
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Imprimé en juillet 2016

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