Corrigé type - Université Lille 3

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Corrigé type - Université Lille 3
Janvier 2016 - Licence 2 - Semestre 3 - Art de l’époque Contemporaine - 3h - R.Gomérieux
Sujet :
Proposez une analyse comparée des trois œuvres ci-dessous. Puis, à partir d’autres exemples et en vous appuyant sur vos
connaissances, qualifiez les divers rapports qui lient l’artiste au pouvoir politique en France au XIXème siècle.
▲ Jacques-Louis David, Le Premier Consul franchissant
les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, 1800, 260 x
221 cm, huile sur toile, Château de Malmaison.
▲ Théodore Géricault, Officier de chasseurs à
cheval de la garde impériale chargeant, 1812,
292 x 194 cm, huile sur toile, Musée du Louvre.
▲ Paul Delaroche, Bonaparte franchissant les
Alpes, 1848, 289 x 222 cm, huile sur toile, Musée
de Liverpool.
Art de l’époque contemporaine
Corrigé type
Introduction
Trois portraits équestres sont proposés à la réflexion. S’ils sont liés par la thématique militaire, sont issus du
contexte français de la première moitié du XIXème siècle, ou encore partagent de vastes et semblables dimensions ;
ils n’en sont pas moins très différents dans l’approche plastique et notamment dans la manière de figurer le pouvoir
politique. Pour s’en rendre compte précisément, nous procéderons dans une première partie à une analyse
comparative des trois œuvres.
A partir de ce premier ancrage, nous ouvrirons la réflexion sur les rapports qu’entretiennent les artistes avec le
pouvoir dans le contexte politique particulièrement changeant du XIXème siècle. La question de l’artiste comme outil
du pouvoir sera d’abord développée. Ensuite, nous verrons combien l’artiste moderne va tenter d’incarner un
véritable contre-pouvoir en revendiquant sa proximité avec le peuple davantage qu’avec les puissants. Enfin, signe
de cette croissante autonomisation de la peinture vis-à-vis des instances politiques, nous assisterons à une situation
d’apaisement et de relative indifférence.
Plan détaillé à rédiger :
I.
Trois œuvres pour trois rapports au pouvoir (analyse comparative)
1.1 - Jacques-Louis David ou le peintre des héros
Contexte : Jacques-Louis David réalise son tableau équestre dans le contexte post-révolutionnaire de la première
république. Elle figure le Premier Consul Bonaparte, lors du franchissement du col alpin du Grand-Saint-Bernard,
épisode qui marque le début de la seconde campagne d'Italie 1.
-Bonaparte y est figuré sur un grand cheval blanc, symbole de pureté. L’animal est cabré, symbole ici de force et de
vigueur. Son cavalier, coiffé du bicorne galonné d’or, est en uniforme de général en chef. De manière improbable, il
maintient la bride d’une seule main.
-Le manteau rouge orangé est gonflé par le vent et semble suivre la direction que signale la main droite de
Bonaparte. Le symbole d’une nature qui semble soutenir et accompagner le pouvoir est prégnant.
- En arrière-plan, des soldats gravissent les flancs de la montagne et acheminent des canons. Leur discrétion rend la
figure de Bonaparte encore plus essentielle, comme si, par métonymie, il concentrait en lui toute la puissance de
l’armée.
-Au premier plan, David a inscrit - comme dans la roche - le nom de BONAPARTE, mais également celui de ANNIBAL
(Hannibal, le grand tacticien et général carthaginois) et KAROLVS MAGNVS (Charlemagne, empereur français). Le
peintre inscrit ainsi Bonaparte dans la filiation démesurée des grands hommes de guerre et de pouvoir et annonce
déjà ce qui deviendra l’ambition de Napoléon : devenir empereur.
1
. Pour information : « C’est avec la traversée des Alpes par l'armée de réserve le 13 mai 1800 que Napoléon intervient dans la deuxième campagne d’Italie,
déclenchée par la reprise de Milan par les Autrichiens. Il fallait surprendre les Autrichiens du général Melas et fondre sur eux en profitant de l’effet de surprise.
Avec son armée de réserve, il passe le col du Grand-Saint-Bernard, le corps du général Moncey franchit le col du Saint-Gothard et le corps du général Turreau se
dirige vers le col de Montgenèvre. Le 18 mai, Bonaparte quitte Martigny et se met en route vers le Grand Saint-Bernard. Le 20 mai, habillé d’un uniforme bleu
que recouvre une redingote blanche et coiffé d’un bicorne couvert de toile cirée, il monte une mule, et escorté par le guide Dorsaz, traverse le col. » (source
Wikipédia)
1
-L’œuvre est signée et datée L. DAVID AN IX sur la sangle qui enserre le poitrail du cheval. L’an 9 car il s’agit du
calendrier révolutionnaire français 2 (ou calendrier républicain) mis en place de 1792 à 1806. C’est un symbole de la
séparation du pouvoir et du christianisme qui sera oublié avec l’instauration de l’Empire et le retour de la
Monarchie.
-Sur le plan de la facture, l’œuvre ne laisse pas voir les traces d’exécution. Elles s’effacent pour mettre directement
en avant le sujet représenté. Cette manière, ainsi que l’idéalisation et le souci de retranscrire les exploits des
puissants en fait une œuvre parfaitement néo-classique.
Conclusion : une œuvre très idéalisée qui laisse de côté la réalité des faits au profit d’une représention très
spectaculaire du pouvoir qui se rapproche en cela beaucoup d’un travail de propagande.
1.2 - Théodore Géricault ou les passions de l’âme humaine
Contexte : L’œuvre de Théodore Géricault date de 1812, celle-ci est donc réalisée dans un contexte politique très
différent de celle de David. Nous sommes en effet entrés dans le Premier Empire (1804-1814). Napoléon s’est sacré
empereur ce qui engendre le sentiment chez certains artistes que l’esprit de la révolution française (l’esprit
républicain) est, au moins en partie, désavoué.
-Le cheval à la robe tacheté est également cabré, mais c’est ici une réaction de torpeur et non un signe de
magnificence comme chez David.
-La position torse de l’officier, le regard hagard, le mouvement vif du sabre nous plonge en pleine scène de bataille
(et non avant le combat, comme chez David).
-Les passions de l’âme sont tangibles, la manière véhémente de Géricault et le goût pour les corps en mouvement et
les effets d’atmosphère en font une œuvre parfaitement romantique. La scène représentée est une pure invention
plastique sans doute par certains aspects excessive. Toutefois, le peintre ne cherche pas à rendre surhumaine la
figure de l’officier, mais au contraire, à le saisir dans son humanité.
-Puisqu’il refuse l’idéalisation, Géricault ne peut prendre le risque de représenter dans son tableau Bonaparte.
Cependant, il est certain qu’il répond par son œuvre à celle de David. Il choisit dès lors de figurer un officier de la
garde impériale. Celui-ci n’est pas identifiable comme individu, il incarne davantage l’idée de l’armée en général et
notamment de tous ces anonymes qui se battent pour la France. Mettre l’accent sur un officier est aussi une
manière de prendre le contrepied du tableau de David ou Bonaparte semble à lui seul faire la guerre.
-Conclusion : Une œuvre romantique, qui considère l’humanité sous toutes ses facettes et qui refuse le crédo néoclassique de l’idéalisation et de l’homme confiant et maître de son destin.
1.3 - Paul Delaroche ou l’ambition de s’effacer derrière les faits
Contexte : L’œuvre Delaroche est réalisée en 1848, soit dans un moment politique charnière voyant la fin de la
Restauration et le retour de la République avec le petit fils de Bonaparte. A l’époque, l’espoir renaît : les valeurs de la
révolution française semblent reprendre le dessus après des années particulièrement liberticides liées à l’Empire
(Napoléon 1er) et de manière plus forte à la Restauration de la Monarchie (Louis XVIII, Charles X, Louis Philippe Ier).
2
. Pour info : « Le calendrier républicain, ou calendrier révolutionnaire français, fut créé pendant la Révolution française, et fut utilisé de 1792 à 1806, ainsi que
brièvement durant la Commune de Paris. Il entre en vigueur le 15 vendémiaire an II (6 octobre 1793), mais débute le 1er vendémiaire an I (22 septembre 1792),
jour de proclamation de la République, déclaré premier jour de l'« ère des Français ».
Comme le système métrique, mis en chantier dès 1790, ce calendrier marque la volonté des révolutionnaires d'adopter un système universel s’appuyant sur le
système décimal, qui ne soit plus lié à la monarchie ou au christianisme, en remplacement du calendrier grégorien. Outre le changement d'ère (renumérotation
des années), il comprend un nouveau découpage de l'année, et de nouveaux noms pour les mois et les jours ». (Source Wikipédia).
2
-Delaroche répond au tableau de David en relatant le même épisode (le franchissement des Alpes). Critiquant le
caractère allégorique, irréaliste et superfétatoire de l’œuvre de David, Delaroche tente d’en revenir à un traitement
simple, implacablement basé sur les faits.
-Bonaparte n’est plus représenté sur un cheval blanc cabré, mais sur une mule sombre qui, péniblement, accomplit
la traversée. Ce choix est motivé par des documents qui attestent que Bonaparte possédait ce type de monture
mieux indiquée en montagne car plus robuste. Il n’est donc pas évident d’y voir une critique du pouvoir.
-Le Premier Consul est vêtu d’une redingote grise, son air est impassible contrairement au regard fier et conquérant
du héros du tableau de David.
-La main droite de Bonaparte est glissée sous son uniforme à cause de douleurs à l’estomac, tandis que la main
gauche est posée sur le pommeau de la selle. Aucune dimension spectaculaire (contrairement à David) ou exaltée et
psychologisante (contrairement à Géricault) n’est visible.
-La nature semble imposer son rythme lent et difficile au cortège.
-Un guide militaire gravit le col et ouvre le chemin. Bonaparte ne fait ici que se laisser guider. La dimension
surhumaine de Bonaparte se dissipe d’autant plus qu’il est représentait comme relativement privilégié (sur une mule
tandis que d’autres sont à pied).
Conclusion : Une œuvre réaliste qui refuse de dépeindre de manière hyperbolique ou exaltée le réel, mais se donne
au contraire pour mission la restitution fidèle des faits.
II. L’artiste et le pouvoir : vers une émancipation progressive
2.1 - L’artiste comme outil du pouvoir
-La place de l’Académie des Beaux-Arts comme organe officiel du pouvoir : les règles, les dogmes, les différentes
conventions.
-Les salons officiels et la milice des arts : sélection et droit de regard sur les œuvres présentées au grand public. Entre
reconnaissance institutionnelle, profilage artistique et censure. Evoquer Antoine-Jean Gros et ses représentations
considérées comme douteuses du carnage de la guerre. (cf. Napoléon sur le champ de la bataille d’Eylau, 1808 : «
Pour la première fois un peintre n’idéalise pas en beauté scénique, le carnage de la guerre » André Massu.)
-Evoquer le statut de peintre officiel (artiste rémunéré pour peindre les hauts faits du pouvoir en place). Pensons à la
falsification des faits que Napoléon a exigée de David lors de la réalisation du Sacre. (Le Sacre de Napoléon, 18051807, J-L. David)
-Evoquer la peinture comme seule grande sources d’image avant l’invention de la photographie. Le pouvoir à
conscience que les grandes peintures saluées par les jurys du salon officiel seront ensuite l’objet de reproductions
sous forme de gravures, celles-ci vont donc transmettre une certaine image du pouvoir en France, voire dans le
monde. Se développe très fortement le désir d’idéaliser voire de falsifier l’histoire à des fins de propagande.
-Conclure sur le paradoxe d’un pouvoir d’origine révolutionnaire (celui de Bonaparte) qui, sur le plan artistique,
reprend et accentue les dérives monarchiques.
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2.2 - L’artiste comme outil de contre-pouvoir
-Certains peintres retournent les codes de l’Académie contre elle-même et afin de critiquer le pouvoir en place.
Analyser par exemple Le Radeau de la Méduse (1817-1818) de Théodore Géricault. Véritable critique de
l’incompétence du pouvoir Monarchique issu de la Restauration. L’artiste érige volontairement un méfait du pouvoir
au rang de tableau d’histoire. Se faisant il fait preuve d’une prise de position ironique et d’une dénonciation des
puissants.
-S’engager directement auprès du peuple et non auprès de ses prétendus représentants officiels. Peindre pour faire
revivre les acquis de la révolution française. Delacroix écrira : « J'ai entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je
n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle ». Analysez en effet La liberté guidant le peuple (1830)
qui a pour sujet les trois journées du soulèvement populaire parisien contre Charles X, les 27, 28 et 29 juillet 1830,
connues sous le nom des Trois Glorieuses. À la faveur de trois jours d'émeutes, Charles X abdique. Louis-Philippe
prête fidélité à la Charte révisée le 9 août, inaugurant la « Monarchie de juillet ».
- « Voir avec les yeux et non avec la nuque » 3 Revenir sur la fameuse formule de Gustave Courbet à l’encontre des
artistes à genoux, autrement dit qui vouent allégeance au pouvoir en place.
-Insister sur le fait que ne pas être peintre académique ou officiel, revient à se priver de ressources (évoquer Courbet
peignant à l’aveugle et sans aucune reculée dans son modeste grenier).
-L’engagement contre le pouvoir en place a un coût financier mais également humain : signaler la figure très
moderne de l’artiste engagé ; engagé à ses risques et périls. Evoquer l’épisode de la Commune et notamment du
déboulonnage de la colonne Vendôme (symbole monarchique) par Gustave Courbet (procès et amende à vie)
2.3- Autonomisation et indifférence progressive vis-à-vis du pouvoir
- La figure de l’artiste agissant comme contre-pouvoir n’en fait pas moins une figure étroitement liée aux
représentations idéologiques. A ce titre, il est intéressant d’évoquer les liens très forts entre Pierre Joseph Proudhon
et Gustave Courbet. Un nouveau risque semble apparaître aux yeux de l’écrivain Emile Zola : celui d’un artiste
assujetti au pouvoir socialiste révolutionnaire.
-Zola revendique en conséquence l’idéal d’un art entièrement libéré de l’idéologie politique quelle qu’elle soit. Un
art entièrement axé sur ses constituants plastiques. Evoquer la querelle avec Proudhon. Rappeler combien le
formalisme de Zola culminera dans ses écrits sur l’Olympia (Manet, 1863). L’idée moderne de l’art pour l’art trouve
ici son origine.
- Evoquer l’avènement progressif de salons alternatifs en apposition aux salons officiels. Autrement dit : du célèbre
pavillon Courbet construit en 1855 face du salon officiel jusqu’au salon des refusés concédé par Napoléon III en
1863. En 1863, il n’est effectivement plus possible pour le pouvoir officiel d’ignorer les artistes modernes ou de les
faire entrer dans le rang, l’équation entre artistes et pouvoir s’inverse.
-Evoquer l’essoufflement très fort de l’Académie. Les pouvoirs moraux et politiques perdent leur mainmise sur la
question esthétique.
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. Pour rappel : « …enseigner au peuple l’histoire vraie en lui montrant la vraie peinture… J’entends par l’histoire vraie l’histoire débarrassée des interventions
surhumaines qui, de tout temps, ont perverti le sens moral et terrassé l’individu. J’entends par vraie histoire celle qui échappe au joug de n’importe quelle fiction.
Pour peindre vrai, il faut que l’artiste ait l’œil ouvert sur le présent, il faut qu’il voie par les yeux et non par la nuque. » Courbet, catalogue de son exposition
particulière, 1855.
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-Conclure en évoquant l’avènement de l’impressionnisme comme mouvement qui se détache du pouvoir (fin du
genre de la peinture d’Histoire). Les acquis de la République sont aussi mieux stabilisés, les artistes n’ont plus la
nécessité de manifester aussi vigoureusement contre les instances officielles.
Conclusion
Il a été possible de voir combien les liens entre les artistes et le pouvoir politique furent l’objet de tractations et
de tensions très fortes au XIXème. Ce constat, sans être exclusif à la France, y prend toutefois un caractère
particulièrement exacerbé en raison des événements décisifs qui découlent de 1789. L’approche néo-classique perd
progressivement de sa légitimité et le romantisme français, plus que tout autre en Europe, se fait le devoir de
prendre part aux enjeux politiques du pays. Avec le réalisme, l’art semble mettre définitivement fin au rapport
d’allégeance vis-à-vis des puissants, toutefois il a été possible de comprendre que Courbet prend en contrepartie le
risque d’assujettir l’art à un autre pouvoir : celui de la révolution.
Passant d’un écueil à l’autre, l’art moderne s’est finalement stabilisé dans un rapport de relative indifférence
au pouvoir politique en entamant l’introspection de ses propres moyens selon la formule consacrée par Maurice
Denis : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille (ndlr : qu’il s’agisse du cheval peint par David,
Géricault ou de la mule de Delaroche) ou, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une
surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » (in Art et Critique, 1890)
Notons enfin que cette relative autonomie de l’art ne durera qu’un temps. Le vingtième siècle - notamment en
raison des deux guerres mondiales et de l’avènement des dictatures - posera effectivement de manière
douloureusement renouvelée la question des rapports d’assujettissement des artistes au pouvoir.
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