Barbarie n°17 – Hiver 2013/2014
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Barbarie n°17 – Hiver 2013/2014
B hiver 2013 - 2014 arbarie made in europe #017 Entretien avec Michel Barnier commissaire européen au marché intérieur et services // LE PETIT PLUS // What is European Culture? // regard d’ailleurs // Le rêve singapourien MIGRATIONS, IMMIGRATION, ÉMIGRATION : où va l’Europe ? DOSSIER // Les murs d’Europe / Les "Bananes" à Paris / Réfugiés ? Un instant s’il vous plaît... // ACtualités // l’UE et les Balkans, entretien avec Jacques Rupnik 1 É ditorial La rédaction est heureuse de vous retrouver pour ce nouveau numéro de Barbarie, la revue des étudiants en Master Affaires Européennes de Paris-Sorbonne ! Pour cette occasion, nous avons choisi d’aborder le thème Rédactrices en chef : Fanny Cohen, Aurélie Richard Responsables images : Laureen Bouljroufi, Fanny Cohen Conception graphique : Laureen Bouljroufi Rédacteurs : Majda Achab, Quentin Bisson, Steffy Bonfils, Sophie Boissier, Fanny Cohen, Kenzo Crespin, Solveig Fenet, Florence Galtier d’Auriac, Michal Grabovski, Margot Herda, Alessandra Marano, Isabelle Podetti, Aurélie Richard, Anne Saline, Nina Tsiklaouri, Joséphine Vinet, Jixi Zhuang. Traductions : Valérie Rehwinkel, Eric Huerga, Aurélie Richard Relectures : Sophie Boissier, Fanny Cohen, Aurélie Richard La rédaction du Master Affaires Européennes, au nom de tous ses étudiants, adresse ses remerciements les plus sincères à Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et services et parrain du Master, ainsi qu’à Jacques Rupnik, politologue et directeur de recherche à Sciences Po. Merci également à Gerardo Perfors-Barradas, ancien étudiant du Master. Avec nos remerciements au FSDIE de l’Université Paris-Sorbonne pour son soutien financier ayant permis cette publication. des migrations en Europe, vers l’Europe et au-delà dans notre dossier spécial. Cette problématique, qui crée régulièrement la polémique, ne pouvait qu’interpeller des Européens tels que nos rédacteurs. Ainsi, nous nous sommes creusé les méninges pour vous livrer des articles de fond et d’actualité traitant de sujets certes difficiles, mais qui méritent et nécessitent d’être réfléchis, discutés, avec maturité, précaution et intelligence. Au programme : les murs de l’Europe, la diaspora espagnole, la situation des demandeurs d’asile à Berlin, les migrations polonaises, la vie des « Bananes » en France... Mais aussi des regards d’ailleurs en provenance du Canada et de Singapour. Et Barbarie ne s’arrête pas en si bon chemin. Vous retrouverez dans la rubrique actualité un entretien avec le politologue Jacques Rupnik ou encore un article présentant le parti « Alternative für Deutschland ». Vous rencontrerez aussi dans nos pages le fondateur de Barbarie et aurez l’occasion de visiter une expo punk très européenne ! Mais en ouverture de ce numéro, nous avons l’honneur de vous présenter une interview exclusive du parrain de la promotion 2014, le Commissaire européen Michel Barnier, qui nous a parlé des élections européennes de mai prochain et de sa manière de voir l’avenir de l’Union Européenne. Nous vous souhaitons une agréable en enrichissante lecture européenne ! La rédaction Master Affaires Européennes, Paris-Sorbonne Contact [email protected] http://affaireseuropeennes.eu/ 2 3 Dossier Actualités 9 Alternative für Deutschland sème la zizanie 10 Entretien avec Jacques Rupnik, les Balkans et l’UE 14 Égalité professionnelle, ou la lutte contre les stéréotypes 11 12 S Les murs d’Europe 17 Les « Bananes » à Paris 18 Karamba Diaby – I have a German dream 20 L’Europe : un continent de migrations perpétuelles 22 Grève de la faim dans la capitale allemande 24 Peut-on parler de « diaspora espagnole » ? 25 La politique commune d’immigration et d’asile 26 Mais que faire de nos Roms ? 28 Aube Dorée : accroc sur l’échiquier européen 29 Réfugiés ? Un instant s’il-vous-plaît... 30 Regard d’ailleurs Le petit plus 33 L e Canada : vers la fin d’un modèle d’immigration exemplaire ? 34 Après le rêve américain, le rêve singapourien ? Entretien avec Gerardo : De la genèse de Barbarie... 37 Vers une remise en cause de l’exploitation animale 39 What is European Culture? 41 « Europunk », ou le punk à l’Européenne à la Cité de la Musique 43 4 om maire 5 i nterview Barbarie Barbarie hiver 2013 - 2014 M. Barnier pour la revue Propos recueillis par majda Achab, Fanny Cohen et aurélie richard Avec nos remerciements à Erwan de Rancourt Que pensez-vous de la décision de politiser les élections par une désignation des candidats pour chaque parti ? Ce changement va-t-il dans le sens d’un renforcement des liens entre le Parlement et la Commission ? Le traité de Lisbonne de 2009 a amélioré la procédure de désignation du président de la Commission européenne en précisant que le Conseil européen, c’est-à-dire les chefs d’État et de gouvernement, propose au Parlement européen un candidat « en tenant compte des élections au Parlement européen ». Les partis politiques européens vont faire de cette nouvelle formulation une interprétation volontariste, mais qui me paraît juste, en décidant de désigner à l’avance leur candidat au poste de président de la Commission européenne. Cette nouveauté devrait contribuer à renforcer la légitimité démocratique du président de la Commission européenne, qui procédera indirectement du choix qu’auront fait les citoyens aux élections européennes. Par ailleurs, ce nouveau système devrait enfin permettre un débat d’idées incarné par des personnalités européennes, qui confronteront notamment leur point de vue lors de quatre débats télévisés diffusés dans toute l’Europe. Tout cela va dans le sens d’un renforcement de la démocratie en Europe. Martin Schulz, candidat officiel du PSE, a récemment 6 déclaré que son projet pour l’Europe se concentrerait sur la lutte contre le chômage. Quel est, selon vous, la grande priorité pour l’Europe ? Le chômage, en particulier des jeunes, est à coup sûr l’un des tout premiers problèmes de l’Europe. Comment accepter que plus de 60% des jeunes actifs grecs, ou même que 25% des jeunes actifs français, soient sans emplois ? Nous ne devons pas courir le risque d’une nouvelle « génération perdue », à l’image de celle des années 20. Face à cette situation, à laquelle je ne me résigne pas, comment ne pas faire de la lutte contre le chômage la première priorité ? Pour autant, suffit-il d’afficher cette priorité, comme le font beaucoup de gouvernements nationaux depuis des années, pour véritablement faire changer les choses ? Les dispositifs ciblés, comme la « garantie pour la jeunesse » que nous avons proposée, peuvent bien sûr aider les jeunes sur le terrain, mais je crois que nous ne réglerons pas durablement le problème sans nous pencher sur les causes profondes du chômage. En restaurant la compétitivité de nos économies. En développant les liens quasi inexistants dans certains pays entre l’université et les entreprises. En sensibilisant les jeunes européens à l’entrepreneuriat. En ayant l’audace, surtout, d’une nouvelle politique industrielle, en mutualisant les efforts de recherche et, avec de nouveaux investissements communs dans les secteurs qui créeront demain de l’emploi, comme le cloud, le « big data », la défense et, les énergies renouvelables, les technologies clefs. Voilà ce qui doit être selon moi la grande priorité pour l’Europe ! Comment le PPE prépare-t-il la campagne électorale ? Que prévoit votre parti pour encourager le débat public et impliquer davantage les citoyens ? Comme tous les grands partis européens, le PPE, dont je suis l’un des Vice-présidents au côté de Joseph Daul, sera bien entendu présent au grand rendez-vous démocratique de mai 2014. Nous nous y présenterons avec un projet de fond. Je saisis cette occasion pour rappeler que, comme l’Union européenne dans son ensemble, le PPE est « uni dans la diversité », ce qui signifie que les partis nationaux qui constituent notre mouvement sont unis mais pas uniformes… Sur la base de nos valeurs communes, mais aussi des sensibilités propres à chaque parti national et de l’expérience de nos députés et commissaires européens, nous sommes entrés dans la phase d’un débat autour de notre projet. Pour ma part, je plaide pour que ce débat d’idées dépasse largement le cercle des experts en politiques européennes et donne toute leur place aux citoyens, qui doivent comprendre que les décisions prises au niveau européen ont un impact concret sur leur vie quotidienne et que le changement en Europe n’aura pas lieu sans l’implication de chacun. Pour susciter ce grand débat citoyen, nous devons utiliser les moyens de communication modernes, et notamment les médias sociaux. L’Union européenne s’est récemment retrouvée sur le devant de la scène médiatique avec l’affaire d’espionnage Snowden et le drame de Lampedusa, sans compter l’allégorie du plombier polonais qui revient souvent dans le débat public. Ne craignezvous pas que ces thèmes soient repris par les partis extrémistes et les eurosceptiques à l’approche des élections ? Que faire pour que la conscience européenne ne se construise pas négativement ? Les thèmes que vous citez font appel à des événements distincts qui n’ont ni les mêmes causes, ni les mêmes effets. Cela dit, ils illustrent tous selon moi le besoin de plus d’action commune à l’échelon européen. Nous avons besoin d’une véritable politique d’immigration européenne, humaine avec les demandeurs d’asile, inflexible avec les passeurs qui mettent des vies en danger, juste avec les pays où arrivent ces embarcations, et qui ne peuvent pas faire face seuls. Et nous avons besoin de travailler ensemble pour mieux lutter contre les cas de dumping social en Europe. Vous évoquez l’allégorie du « plombier polonais » et plus précisément la révision de la directive «détachement des travailleurs». La France, la Belgique et d’autres pays demandent plus de contrôle. Je pense qu’ils ont raison. A titre personnel, je souhaite même que nous allions audelà de la révision en cours de la directive de 1996 qui est mal appliquée et dont les failles sont nombreuses. Par exemple en imaginant une liste noire publique des entreprises qui ne respectent pas les règles. Il faudra aussi, un jour ou l’autre, créer une agence de contrôle européenne pour coordonner et renforcer la mission des inspecteurs du travail au niveau de l’Union. Nous devrions avoir un corps minimal d’investigation. Cette agence permettrait notamment de suppléer au défaut de contrôle dans les pays qui ne disposent pas d’une administration structurée en matière d’inspection du travail. Même en France, on voit bien qu’il y a des faiblesses liées aux restrictions budgétaires. S’agissant de la liberté et de la mobilité des salariés, il faut que les droits sociaux soient respectés. Sinon vous aurez des réactions de repli, de fermeture et de protectionnisme contraires au marché intérieur, sous l’effet des mouvements populistes. 7 Barbarie hiver 2013 - 2014 A lternative für deutschland sème la zizanie Sophie boissier Pour la première fois dans son histoire, le parti libéral allemand n’a pas atteint les 5% requis pour entrer au Bundestag. En cause : le parti « Alternative für Deutschland » qui a attiré beaucoup de ses électeurs. Présentation de ce nouveau venu qui sème le doute. Actualités C’est un petit nouveau qui affole la classe politique allemande. Créé le 6 février 2013, Alternative für Deutschland (AfD) est, en quelques mois, parvenu à mobiliser 4,7% des électeurs lors des dernières élections législative allemandes. Si ce chiffre ne leur a pas suffi à entrer au Bundestag (la limite étant fixée à 5%), il a surpris les Allemands ainsi que les autres partis. Ses électeurs viennent en majorité de l’Union chrétienne-démocrate de la Chancelière Angela Merkel (Christlich Demokratische Union, CDU), ainsi que du parti libéral FDP (Freie Demokratische Partei). Ce dernier, déjà très à la baisse dans les sondages depuis un moment, a directement souffert de l’arrivée de l’AfD sur la scène politique : beaucoup de citoyens déçus par l’ancien parti de la coalition, se sont tournés vers le nouveau parti. En outre, les opinions eurosceptiques ont de plus en plus de succès au sein de l’Union et un tel parti permet de les cristalliser. En effet, celui-ci affiche clairement ses idées antieuropéennes et demande le retour aux monnaies nationales ou d’une monnaie régionale commune aux pays économiquement semblables. Il souhaite également une modification des traités afin que les pays membres de l’Union disposent d’une plus grande marge de manœuvre et de plus de souveraineté. Par ailleurs, selon l’AfD, l’Allemagne aurait trop payé pour les autres durant la crise et cela ne doit plus durer. Le nouveau parti fait donc peur aux autres forces politiques en présence. Si celui-ci n’a pas encore beaucoup d’influence, il peut cependant leur faire de l’ombre car il rassemble des opinions partagées par un nombre toujours plus important de citoyens… L’AfD refuse de se voir attribuer une étiquette de gauche ou de droite mais montre pourtant des tendances d’un parti de droite conservatrice et populiste, voire, selon certains, d’extrême droite. Bien entendu, le nouveau parti ne veut pas renvoyer cette image et pour remédier à cela, il refuse maintenant d’intégrer les anciens sympathisants du parti d’extrême droite allemand « Die Freiheit » (« la Liberté »). Mais cela n’arrête pas ses détracteurs comme Claudia Roth, l’ancienne co-présidente des Verts allemands (« Die Grünen »), qui qualifie le parti de « répugnant » et le compare au parti néo-nazi NPD. Bien qu’il n’ait pas réussi à faire son entrée au Bundestag, tout n’est pas fini pour le parti eurosceptique. Son prochain défi est de réussir à se faire une place, comble de l’ironie, au Parlement européen... Mais l’Alternative est-elle si dangereuse ? Il semblerait que non. Selon de récents sondages, sa côte de popularité serait de nouveau en baisse et l’effet de mode pourrait donc bien être passé. Il faut néanmoins continuer à se méfier de ce petit parti et de ses semblables qui redoublent d’efforts à l’approche des élections de 2014. 9 actualités L’ rapports privilégiés dans le cadre de l’accord de libreéchange centre européen, quelles vont être pour la Croatie les retombées économiques positives ? Union européenne et les Balkans occidentaux Propos recueillis par Fanny Cohen et Jelena Isailovic Quelques mois après l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne, Barbarie s’est penché sur les conséquences de cette intégration sur la région des Balkans occidentaux et sur les réactions européennes quant à l’avenir européen d’une région encore fragile. Jacques Rupnik1, politologue spécialiste de l’Europe centrale et orientale et directeur de recherche à Sciences Po Paris a accepté de répondre à nos questions. Cinq mois après l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, quel est l’état d’esprit des Croates ? Les pays de la région aspirent-ils toujours à une adhésion malgré la crise qui frappe l’Union européenne ? Y-a-t-il cette impression chez les Croates qu’ils ont du faire davantage d’efforts que d’autres États pour leur entrée dans l’Union européenne ? Mais va-t-on reprocher aux Espagnols d’être entrés avec des conditions plus souples qu’aujourd’hui ? Assumer l’ensemble de l’acquis communautaire et les obligations que cela comporte peut paraître plus difficile, mais je crois que tout dépend de la manière dont on aborde les choses. Il se trouve en effet que 90 % de ce que vous avez à faire pour entrer dans l’Union européenne correspondent à ce que vous devriez faire si vous voulez être un État moderne, démocratique, centralisé et qui fonctionne bien. Mais au bout du compte, le véritable argument c’est qu’on ne fait pas ces réformes pour l’Union européenne, mais pour soi-même. Ici, je pense donc qu’il y a une part de responsabilité des élites politiques en place et de leur capacité à expliquer ce qu’est l’adhésion. Pour bon nombre de personnes, surtout dans les pays nouvellement constitués comme la Croatie, on cherche d’abord dans l’adhésion à l’Union européenne une reconnaissance. Mais reconnaissance et intégration sont deux choses différentes. La Croatie doit être reconnue comme partenaire européen à part entière, mais il y a cet autre volet qui doit être expliqué et qui dépend de la capacité des élites en Croatie. Le processus d’intégration européenne évolue. Si vous avez adhéré il y a trente ans, vous n’adhérez pas à la même Union européenne qu’aujourd’hui. Malgré la nécessité de privatiser des pans entiers de son économie, et alors que la Croatie a dû, pour pouvoir adhérer à l’Union européenne, renoncer à ses Pour ce qui est des Croates eux-mêmes, ils se sont exprimés par référendum, et une claire majorité (60 % par référendum) s’est prononcée en faveur de l’adhésion. Celle-ci fait le consensus dans les élites politiques, elle a le soutien de la majorité de la population mais elle ne créé pas l’enthousiasme et même soulève un certain nombre de craintes ou de réticences. Cela est lié concrètement à des situations locales ou régionale. Par exemple, l’Union européenne demandant le démantèlement des chantiers navals de Rijeka, il va de soi que pour les personnes qui y travaillent, l’adhésion à l’Union européenne n’est pas très populaire, même si un plan de reconversion est prévu. 10 Barbarie hiver 2013 - 2014 En premier lieu, elle accède au marché européen. Sur le plan économique, ce n’est pas rien. Pour un investisseur, investir dans un pays de l’Union européenne est rassurant car il sait que les mêmes règles s’y appliquent, les mêmes garanties, le respect du droit. Deuxièmement, le pays accède aux fonds européens. Il faut savoir que les sommes disponibles pour les États qui ont le statut de candidat n’ont rien à voir avec celles réservées aux membres à part entière. A titre d’exemple, la Pologne, au cours de la dernière période budgétaire, a obtenu 100 milliards d’euros de transferts. La Grèce par exemple a pendant trente ans tiré près de 3% de son PIB des transferts européens. Évidemment, la Croatie est un État plus petit et les fonds disponibles sont proportionnels à la taille et aux besoins du pays. On voit donc là deux énormes avantages du point de vue économique. D’ailleurs s’il n’y avait pas d’avantages, les candidats ne se bousculeraient pas pour entrer dans l’Union. Au sein de l’Union européenne, tout le monde la critique, c’est « la faute de l’Europe ». Mais à l’extérieur, tout le monde voudrait y entrer. Il faut parfois s’interroger sur les raisons pour lesquelles tous ceux qui n’y sont pas souhaitent tellement y entrer. Pourquoi c’est si mal si c’est si bien ? Tandis que la Croatie refusait de faire appliquer les règles du mandat d’arrêt européen en s’appuyant sur une loi nationale introduite à quelques jours de son adhésion, le Parlement croate a finalement supprimé ces limitations afin d’éviter d’éventuelles sanctions européennes. Dans ce contexte, que peuton dire de la marge de manœuvre de ce nouvel arrivant au sein de l’Union européenne ? Que signifie, politiquement, l’introduction de ces limitations, quelques jours avant son adhésion ? 2 Dès de début des négociations de la Croatie avec l’Union européenne, la première condition était la coopération avec le Tribunal Pénal International. L’affaire Gotovina3 était l’affaire emblématique et Ivo Sanader, le Premier ministre de l’époque, une heure avant le Sommet européen appelait pour annoncer que le gouvernement croate avait « localisé Monsieur Gotovina ». C’est ce qui a permis à Carla Del Ponte de dire, en octobre 2005, qu’elle « se satisfaisait de cet engagement ». Le feu vert pour le début des négociations avec l’Union européenne était donné. L’idée que l’on veuille trouver une dérogation qui s’applique à un individu, à savoir les dérogations sur mesure comme celle-ci, est inacceptable en droit. Je crois que c’est étrange de voir cette manœuvre de dernière minute s’esquisser. Mais je pense que le message a été bien reçu. Pour l’Union européenne, cela n’était pas acceptable : soit on coopère soit on ne coopère pas. Cela fait partie de l’apprentissage européen. Et je crois qu’il était très important qu’un message clair ait été donné par la Commission. Car partir sur l’idée qu’une fois les négociations closes, on n’a plus besoin de coopérer, est une mauvaise interprétation de ce qu’est l’Union européenne. Pensez-vous que cela a été un test de la part de la Croatie pour voir si l’Union européenne allait réagir ? Je pense que du côté croate, il s’agissait clairement d’un test. La contrainte ne semble en effet s’appliquer que jusqu’à l’adhésion. Si l’on prend l’exemple de la Roumanie et de la Bulgarie, ces deux pays ont tellement mal intériorisé les contraintes que le bilan de leur entrée dans l’Union européenne est jugé globalement négatif sur le plan de l’État de droit. On peut aussi parler des dérapages de la démocratie et de l’État de droit en Hongrie. Effectivement, l’idée que lorsque l’on est entré dans l’Union européenne on peut faire à peu près n’importe quoi, est, je pense, un très mauvais signal à envoyer aux Balkans. Ainsi, il était très important, dès le premier jour, que la Croatie soit, disons, au courant, de ce qui est attendu. 11 actualités Comment les pays de la région ont-il réagi à l’adhésion de la Croatie ? Tentent-ils tous un rapprochement européen ? Ils le tentent certainement tous verbalement et on observe différentes traductions en pratique de cet engagement verbal. Je dirais qu’en Serbie, nous avons assisté à un retournement spectaculaire au nom de l’Europe4. C’est un très grand succès européen, car sans la perspective européenne, ce changement n’aurait pas eu lieu. Celui-ci a eu lieu dans le contexte particulier que constituaient, d’un côté, l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne et, de l’autre, la perspective européenne de la Serbie, à condition de trouver un modus vivendi, une sorte de relation, même pragmatique avec le Kosovo. Cela n’était pas évident, personne n’aurait parié là-dessus il y a un an et cela a été fait. C’est l’exemple le plus spectaculaire de la façon dont la perspective européenne peut infléchir la politique d’un pays ou la relation d’un pays avec ses voisins. Ceci va être très important pour l’environnement régional. A l’inverse, je dirais que, dans le cas de la Macédoine, qui, verbalement, souhaite intégrer l’Union européenne5, il ne s’est pas passé grand chose depuis 2005. Ce n’est pas seulement du gouvernement macédonien, la Grèce ayant systématiquement bloqué en 2009 l’entrée de la Macédoine dans l’OTAN. Le blocage grec a sans doute pesé dans la façon dont le gouvernement macédonien a interprété la plausibilité d’entrer dans l’Europe. En 2010, le Monténégro a accédé au statut de candidat. Où en sont à présent les négociations ? Les négociations ont été ouvertes, et ce qui est très positif, c’est que l’on entre dans le vif du sujet. En effet, comme dans le cas de la Serbie, on commence, dans le cadre des négociations, par le chapitre 23, c’est-àdire par la question de l’État de droit. Au lieu de faire les choses les plus faciles et puis d’arriver tout à la fin vers les choses difficiles. « Vous voulez commencer 12 les négociations, alors montrez-nous que vous le pouvez », tel est le message de l’Union européenne. En 2012, la Serbie a accédé au statut de candidat à l’Union européenne. Pour autant, un long chemin reste encore à parcourir. Quelles seront les étapes des négociations à venir ? Quelles grosses problématiques doivent être résolues avant une adhésion ? Un long chemin reste en effet à parcourir avant l’adhésion. Dans le meilleur des cas, la Serbie pourrait adhérer d’ici 2020. C’est l’objectif, mais de nombreuses réformes devront être mises en œuvre. Il faudra commencer par le chapitre de l’État de droit et par la réforme de la justice. Les problèmes de corruption et du crime organisé doivent également être résolus. Ce sont là les chantiers qui, je pense, s’avéreront être les plus difficiles. A la fin du parcours, une fois que ces questions concrètes auront été traitées, l’autre question très difficile, sera celle du Kosovo. Il s’agira de savoir comment négocier avec le gouvernement du Kosovo la question des frontières, des douanes, du commerce, de l’énergie, de la situation de la minorité serbe - y compris celle de la décision pour les minorités serbes de participer aux élections au Kosovo6. Un processus est donc enclenché mais cela ne garantit évidemment pas d’arriver à bon port. Au bout du compte, c’est au jour de l’adhésion que sera posée la question la plus délicate, celle de la reconnaissance ou non par la Serbie de l’État du Kosovo. Dès l’ouverture des négociations avec la Serbie, il a été dit qu’en devenant membre, elle ne pourrait en aucun cas bloquer l’adhésion d’un autre candidat. Elle ne pourra donc pas exercer ce type de veto à l’encontre du Kosovo. A la conclusion du processus, aura donc lieu ce double mouvement : entrer dans l’Union européenne et accepter de clore le chapitre Kosovo. Bien entendu, cela ne signifie pas que la question de la relation avec le Kosovo sera close mais que celle du statut du Kosovo le sera. La relation de la Serbie avec le Kosovo serait dès lors une relation au sein de l’Union Barbarie hiver 2013 - 2014 européenne. D’une certaine façon, celle-ci offrirait plus de garanties à la minorité serbe du Kosovo, étant donné que les éventuelles violations à l’encontre de ses minorités deviendraient alors une problématique européenne. Dans ce cadre, le Kosovo lui-même, s’il ne respectait pas le droit des minorités, mettrait sa propre perspective européenne en difficulté. A ce moment-là, je dirais que, du point de vue serbe, on pourra présenter cette « perte » du Kosovo comme un gain, qui est non seulement l’adhésion à l’Union européenne mais aussi des garanties meilleures pour la minorité serbe du Kosovo. La Yougoslavie construite sur l’idéologie unitéfraternité s’est disloquée, les conséquences ont été nombreuses (populations réfugiées, déplacées, nettoyage ethnique). Comment expliquer l’intérêt de la réunification, cette fois au sein de l’Union européenne ? Il s’agit ici aussi d’un double mouvement : celui de l’affirmation de son identité et de l’intégration. On vous dira toujours que, pour s’intégrer à un ensemble supranational, il faut pouvoir affirmer son identité nationale et savoir qui l’on est. C’est une formule et cela n’est jamais aussi simple car affirmer son identité, c’est l’affirmer généralement contre quelqu’un ou visà-vis de quelqu’un, ce qui n’est pas toujours propice à l’intégration régionale préalable à l’intégration européenne. Mais je pense que l’on peut comprendre cette évolution ainsi : il y a eu la phase de dislocation et l’on est à présent dans une phase d’intégration. Le journaliste Tim Judah, (The Economist) utilise ainsi la formule de « Yugosphere ». Selon lui, on ne cherche pas à reconstituer la Yougoslavie, mais un espace postyougoslave, qui est un espace d’échanges économiques, de circulation, d’échanges culturels, existe bel et bien. Pour les jeunes générations, la guerre c’est déjà le passé. Ils vivent dans une perspective davantage tournée vers l’avenir. Cela ne reconstitue pas la Yougoslavie mais créé un espace commun qui préfigure une intégration de l’ensemble de cet espace dans l’Union européenne. On aurait ainsi, au sein de l’Union européenne, cette composante, cette « Yougosphère ». De ce point de vue, il est effectivement infiniment préférable d’intégrer une zone réconciliée avec elle-même, plutôt qu’une série de micro-États non viables qui vivent une relation hostile entre eux. A quelques mois des élections européennes, la Commission recommande d’octroyer le statut de pays candidat à l’Albanie et d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Macédoine. Alors que l’on a du mal à coordonner nos politiques à 28, et que l’UE doit faire face à de nombreuses critiques, l’enthousiasme pour l’élargissement ne s’est-il pas essoufflé ? L’enthousiasme pour l’élargissement de l’Union européenne est très limité. Autrefois on observait une différence entre les Allemands, plus favorables à l’élargissement et les Français, plus réticents. Puis, la différence s’est esquissée entre les nouveaux membres de l’Union, les Européens de l’Est, et les « anciens ». Cette différenciation est cependant relative aujourd’hui. Les derniers sondages en République tchèque par exemple, montrent que l’enthousiasme pour la poursuite de l’élargissement s’essouffle également. Peut-être se dirige-t-on là vers une convergence des opinions. A la différence de la question de l’intégration de l’Ukraine ou d’autres pays de l’ex-URSS, il n’y a pas d’objection de principe, venant des pays de l’Union européenne sur l’intégration des États des Balkans occidentaux. En témoigne l’accord de Thessalonique de juin 2003. Cependant, ni les élites politiques, embourbées dans la crise de l’euro, ni les opinions publiques, qui tendent actuellement à se replier sur elles-mêmes, ne sont favorables à l’élargissement. De ce point de vue, l’adhésion de la Croatie sera intéressante car elle sera une façon de dire « regardez, la Croatie est entrée dans l’Union européenne, est-ce que cela a changé quelque chose pour vous ? ». Le total de l’ex-Yougoslavie, c’est un peu plus de 20 millions d’individus. L’ensemble d’un demi milliard 13 actualités d’habitants que représente l’Union européenne peut digérer les Balkans. Si elle n’en est pas capable, de quoi est-elle capable ? Mais beaucoup de choses vont dépendre de la capacité de nos élites politiques d’adopter un discours à la fois de vérité mais aussi d’honnêteté intellectuelle. Il y a certes des problèmes avec certains pays nouveaux membres, la Roumanie et la Bulgarie en particulier, sur la question de la libre‑circulation des Roms. Mais, dans l’ensemble, on peut dire que l’élargissement a été le plus grand succès de l’Union européenne depuis 1989. C’est une réalisation extraordinaire à laquelle l’Union européenne a contribué de façon majeure, et elle n’en tire aucun crédit. Si vous vous rendez ailleurs, en Chine ou aux États-Unis, par exemple, il est évident que le grand succès de l’Union européenne, c’est, après l’effondrement du bloc soviétique, d’avoir offert un cadre pour la transition démocratique, pour le passage à l’économie de marché, pour l’intégration, pour la stabilisation et la paix du continent. Merci. é galité professionnelle, ou la lutte contre les stéréotypes fanny cohen D’aucuns affirment que les stéréotypes mettraient en moyenne 200 ans à disparaître. Ceux liés aux genres, bien qu’ancrés profondément, sont décelés bien rapidement par ceux qui y sont attentifs. Alors que, bien souvent, ils correspondent à des croyances ou distorsions de la réalité, ils sont à l’origine d’inégalités professionnelles réelles et bien observables entre hommes et femmes. En plein cœur d’une société européenne, que l’on considère pourtant comme « moderne », ils engendrent des pratiques inégalitaires. Pour autant, quelques solutions s’esquissent afin de les enrayer. En octobre dernier, lors de la conférence Europa, organisée par EuropaNova en Sorbonne, la poétesse et danseuse indienne Tishani Doshi s’est exprimée avec justesse sur la situation des femmes en Inde, puis sur celle des femmes en Europe. Les femmes en Inde, sont victimes de graves discriminations, nous a‑t‑elle rappelé. Elle sont fréquemment vendues en mariage, victimes de trafic sexuel. Sans même parler des viols collectifs, monnaie courante dans le pays. Et d’ajouter « and these are the women who are lucky to be born », en référence aux avortements discriminatoires 14 au détriment des filles, qui en Inde sont légions. Au moment de passer à la question de la situation féminine en Europe, l’artiste a, me semble-t-il légèrement surpris l’assistance – probablement volontairement – en prononçant ces mots « En Europe, les femmes ont certes davantage de droits, mais moins de pouvoir. » Ce constat peut être à vrai dire établi tant en Europe qu’au niveau français. Nous sommes le 6 novembre 2013, il est 9h au Conseil Régional d’Île-de-France. Une matinée de Barbarie hiver 2013 - 2014 tables rondes est organisée, avec comme thème l’égalité professionnelle en France. Dominique Poggi, chercheure et sociologue, ouvre le débat en qualifiant cette thématique de « défi d’actualité ». Un « défi » car « les résistances sont tenaces ». Les femmes sont toujours touchées, dans le milieu professionnel par la ségrégation horizontale, puisqu’une majorité d’entre elles se cantonne à des carrières dans quatre secteurs principalement (la santé, les soins à la personne, l’administration, les métiers organisationnels). Mais aussi par la ségrégation verticale, celles-ci étant encore minoritaires aux postes de direction, dans les conseils d’administration des entreprises ou encore dans la sphère politique. Tenaces également car les inégalités salariales persistent. En 2010, le salaire moyen d’une Française s’élevait à 80% de celui d’un Français, et sa retraite à 45% de la retraite moyenne d’un homme. La sociologue qualifie ce défi « d’actuel », la question de l’égalité au travail commençant à être réellement posée au niveau politique. L’arrivée d’un gouvernement paritaire en France en 2012, et l’instauration d’un Ministère des Droits des Femmes a en effet changé la donne. Un tel ministère n’avait pas existé depuis Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme de 1981 à 1986. Et celui-ci se montre volontaire : depuis fin 2012, un décret relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle prévoit par exemple des pénalités financières contre les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre hommes et femmes. Au niveau européen, l’égalité au travail a été également abordée avec l’initiative « Women on Board », lancée par la Commissaire européenne Viviane Reding en novembre 2012. Cette dernière vise à atteindre, d’ici 2020, 40% du sexe sous‑représenté parmi les membres non exécutifs de conseils d’administrations de sociétés cotées. Des États comme l’Italie, la France et le Danemark ont d’ailleurs déjà intégré dans le droit national des législations dans ce domaine. Quant à l’Allemagne, tandis qu’en avril dernier, le Bundestag décidait de ne pas se doter dans l’immédiat d’une loi imposant un quota de femmes au sein des conseils de surveillance des entreprises, il se pourrait bien que le sujet soit remis à l’ordre du jour dans le cadre d’une nouvelle coalition avec le SPD. Berlin, mais aussi Londres, qui, il y a peu, comptaient parmi les grands détracteurs d’une politique de quotas pourraient bien s’adoucir... Si ces évolutions et ces initiatives semblent positives, un long chemin reste cependant à parcourir. Et celuici nous apparaîtra probablement moins interminable si chacun d’entre nous prend conscience qu’il peut, par son comportement et sa réflexion, agir contre les stéréotypes genrés. C’est ce que l’on appelle « l’intelligence égalitaire », ou comment s’y prendre pour promouvoir l’égalité professionnelle. Il s’agit de débusquer le « sexisme intégré », mais aussi par exemple de soutenir et d’encourager les personnes autour de nous qui souhaitent exercer un métier, suivre une formation ou entreprendre des études qui ne sont pas traditionnellement exercées par leur sexe. Il s’agit aussi de dire l’inégalité quand elle nous apparaît, d’en témoigner et de la dénoncer. Qu’elle se fasse au détriment des femmes comme des hommes. L’inacceptable ne se normalise en effet que lorsque l’on veut bien s’en accommoder. 15 Barbarie hiver 2013 - 2014 L es murs de l’Europe, matérialisation de la peur de l’Autre ? Margot Herda Si vous pensez que le dernier mur d’Europe s’est effondré en 1989, vous vous méprenez. Et pourtant, de nos jours, on associe souvent la mondialisation et l’intégration européenne à l’« obsolescence des murs et des frontières ». Ces deux expressions étant, dans l’imaginaire collectif synonymes ou du moins très proches du terme « ouverture ». le dossier Migrations : où va l’Europe ? Le rideau de fer est tombé, le grand marché commun crée et l’espace Schengen achevé. Tout porte à croire que l’européanisation (en tant que processus communautaire) est synonyme d’une normalisation des rapports entre États. Pourtant, les murs, partout nous entourent, nous protègent et nous séparent. Celui de notre chambre sépare notre intimité du reste de la vie des autres que l’on qualifie néanmoins de « proches ». Celui de notre maison nous protège de l’extérieur, de la rue et de ses inconnus. Celui de notre pays, cette barrière que l’on dresse entre soi et l’autre marque le seuil entre deux territoires que l’ont veut distinguer. Malgré l’apparente ouverture de l’espace, l’Union européenne se crispe. La frontière ne disparaît pas, elle se transforme et fait toujours sens. Au cœur de l’Europe, l’espace Schengen devient un territoire que Philippe Rekacewicz, cartographe du Monde Diplomatique qualifie de « sanctuarisé »7, des murs visibles et invisibles, franchissables pour certains et mortels pour d’autres s’érigent de part et d’autre. Matérialisation de la peur de l’autre, quels dispositifs nous entourent ? Afin de limiter l’immigration clandestine, l’Union européenne a construit les murs de Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles en Afrique, ils matérialisent ainsi une frontière hermétique. Ces murs de plus de trois mètres de hauteur et dotés de nombreux dispositifs coercitifs : gaz lacrymogènes, tour de guet, barbelés etc. séparent des populations aux niveaux de vie très différents. La Grèce a de son côté, construit un mur d’une douzaine de kilomètres le long de sa frontière avec la Turquie, en prolongement du fleuve Evros. L’île de Lampedusa fait figure de forteresse, difficilement atteignable, elle devient la destination finale des migrants qui y accèdent. L’association Migreurop dénombre plus de 16 250 morts en Méditerranée pour l’ensemble de la période allant de janvier 1993 à mars 2012. Beaucoup de barrières nous entourent, souvent présentes dans des lieux que l’on pense au contraire ouvert. A Roissy, les demandeurs d’asiles placés en zone d’attente ne sont séparés que par quelques murs fins des très nombreux touristes qui parcourent le monde en toute liberté. Sous cet engrenage de durcissement des politiques migratoires et des dispositifs de contrôles, les frontières deviennent des paradoxes spatiaux. Face aux nombreuses tragédies, on peut se demander quels sont la pertinence et le rôle des murs que l’on dresse en Europe ? Sont ils protecteurs ou meurtrier ? Quelle solution apportent-ils à la problématique et sensible question de l’immigration ? Ne devraientt-on pas plutôt travailler sur la réduction des écarts de développement entre les pays d’Europe et les pays qui l’entourent afin d’améliorer la régulation des flux migratoires dans le but d’offrir de meilleures conditions d’accueil ? 17 Le DOSSIER N’oublions pas que la frontière est finalement la pacification d’un front guerrier. Alors pour tenter de dépasser la peur et ne pas tomber dans l’instrumentalisation d’une problématique qui devient amplement politique à la veille d’une période électorale, souvenons-nous que la mobilité est un droit universel reconnu par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. L’Europe au cœur du monde sanctuarisé, est une carte réalisée par Philippe Rekacewicz en 2011. L es "Bananes" à Paris Jixi Zhuang Vous Européens, voyez auprès de vous, de plus en plus d’immigrants chinois ? Vous avez un ou plusieurs amis d’origine chinoise et vous partagez une vie européenne avec ces jeunes ? Ces jeunes, que l’on surnomme « Bananes », ont-ils le sentiment de posséder une identité européenne ? L’histoire des migrations chinoises a commencé il y a bien longtemps. Aujourd’hui, elle concerne plus de 30 millions de personnes installées dans les grandes capitales européennes telles que Paris. Au début des années 1990, on a pu observer une vague d’immigration venant du Sud-Est de la Chine. Celle-ci s’explique notamment par la recherche de meilleures conditions de vie et financières. Ces migrants sont souvent arrivés en Europe accompagnés d’enfants mineurs. Cette génération n’étant pas née en Europe, on peut se demander s’il n’existerait pas une ambivalence dans leur adaptation à la société locale ? Que pensent ces jeunes des sociétés européennes et de la société chinoise ? J’ai étudié plusieurs situations dans lesquelles de jeunes Chinois étaient confrontés à des conflits entre leur propre culture et la culture européenne, conflits nés de l’adoption de nouvelles valeurs totalement différente des leurs. 18 J’ai ainsi mené une enquête auprès de 60 jeunes migrants venus en France dans les années 1990. La ville de Paris a été choisie comme exemple afin de représenter les grandes villes européennes. Selon les résultats de l’enquête, les jeunes étudiés sont âgés en moyenne de 22 à 26 ans et se sont installés en France entre 1995 et 2000. A leur arrivée en France, ils avaient donc de 5 à 10 ans. « J’ai obtenu la nationalité française à l’âge de 18 ans. On peut procéder à la naturalisation pour l’obtention de la nationalité française. » Un jeune de 22 ans m’a présenté quels étaient pour lui les avantages d’avoir la nationalité française : « c’est bien pratique pour aller à l’étranger et pour trouver un travail. » « Mon père est venu en France pour gagner un meilleur salaire et pour pouvoir m’inviter à le rejoindre plus tard. » Il était d’accord avec son père, « Oui, c’était juste, parce que cela m’a permis d’apprendre une, voire plusieurs langues, et d’avoir un Barbarie hiver 2013 diplôme européen, ce qui est beaucoup plus valorisant qu’un simple diplôme chinois. En même temps, on peut découvrir une autre culture et un autre monde. » L’éducation donne l’occasion aux jeunes « Bananes » de s’intégrer à la société française. « Je suivais les cours avec les étudiants français, et un enseignant s’occupait de moi pour que je pratique le français et rédige ce que j’avais écrit. C’était intéressant et on pouvait manger des bonbons tout en bavardant. » Cependant la nostalgie est une chose commune à tous les jeunes interrogés, « je me suis retrouvée isolée par certaines filles, un jour, j’ai dessiné un chat, elles l’ont pris pour un tigre. » A travers les dialogues, la vie multiculturelle leur a fait du bien et élargi leur vision des choses : « L’Europe est plus stable que la Chine du point de vue social, politique et économique. Il y a plus d’égalité et de liberté qu’en Chine. Personnellement, je trouve que la Chine est mieux pour les jeunes qui sont plus courageux car la société européenne et son économie n’évoluent que très peu. » Malgré la nationalité française, beaucoup d’entre eux se présentent plus souvent comme Chinois. Quant à leur identité culturelle, ils se sentent un peu entre les deux. Bref, à travers cette enquête, on comprend que l’identité des jeunes Sino‑Parisiens ou encore SinoEuropéens se partage entre l’Europe et la Chine. Ces immigrés particuliers jouent également un rôle important dans les échanges culturels internationaux. —“欧洲社会和经济发展都比中国稳定,人与人 之间更加自由和平等。但是中国发展的更快,为 了更好的未来,我想回中国。” —“我既是法国人,也是中国人。相比之下,欧 洲大学的文聘比中国大学的文聘更好一些,我在 欧洲也学会了好几门外语,生活在另一种文化里 让我觉得自己不同。” Et en chinois? 如今,在欧洲的中国移民越来越多,每个欧洲人 身边都或多或少有几个华人朋友。有着华裔血统 的年轻人是如何融入欧洲社会,又是怎样看待文 化归属这个问题的呢? —“我18岁的时候拿到了法国国籍,出国旅游和 找工作变得更方便了。” —“小时候我和法国学生一起上课。有一个法国 老师专门教我法语,上他的课可以吃糖。” —“班上有些女生不喜欢我,我感觉自己被孤立 了,很想回家。” 19 LE DOSSIER K aramba Diaby – I have a German dream K aramba Diaby – I have a German dream Anne Saline Anne Saline, traduit par Valérie Rehwinkel C’est une grande première outre-Rhin : lors des élections pour la chancellerie le 22 septembre dernier, Karamba Diaby, membre du parti social-démocrate, est devenu le premier Allemand d’origine africaine à entrer au Bundestag. Es handelt sich um eine große Premiere jenseits des Rheins: Die Bundestagswahlen am 22. September ermöglichten dem ersten Deutschen afrikanischer Herkunft, Karamba Diaby (SPD), in den Bundestag einzuziehen. Karamba Diaby est à coup sûr un nom qui restera gravé dans l’histoire politique allemande. À 51 ans, ce docteur en géo-écologie vient d’être élu député SPD de la ville de Halle, Land de Saxe-Anhalt. Son parcours et ses origines font de lui un politique allemand exceptionnel au sens littéral du terme : Allemand né au Sénégal, c’est en 1985, après avoir passé son baccalauréat à Dakar, qu’il s’installe en RDA grâce à une bourse, sans parler un seul mot d’allemand. L’engagement de Karamba Diaby, marqué par son rôle de porte-parole et sa lutte pour les étudiants étrangers de son université menacés d’expulsion après la chute du mur de Berlin et de la RDA – et pour lesquels il obtiendra la régularisation –, est probablement la clé du succès de son intégration. Si elle s’avère porteuse d’espoir pour la question de l’intégration des populations immigrées en Allemagne (et au sein de l’Union européenne à plus large échelle), cette élection n’en était pas moins incertaine sur le papier. En effet, la ville de Halle est connue en Allemagne pour être l’un des principaux fiefs de l’extrême droite, et c’est cette caractéristique même qui rend l’élection du député SPD encore plus inattendue. Néanmoins, si le nouvel élu n’a pas échappé à une agression due à sa couleur de peau au début des années 1990, il se veut le symbole de l’intégration réussie de la communauté africaine et du recul de la xénophobie, chassant la perspective d’une montée des extrêmes qui plane actuellement sur 20 Barbarie hiver 2013 - 2014 l’ensemble de l’Europe. Cet événement pour le moins inédit semble être un message envoyé à l’Europe, en écho à celui envoyé de l’autre côté de l’Atlantique il y a quelques années déjà : « Yes Europe, we can too ! ». Finalement, ce que Karamba Diaby cherche désormais à démontrer à travers son élection est que l’on ne peut réduire un Homme à ses racines. Aujourd’hui, il se sent « Européen d’origine africaine », et c’est avant tout pour le pays qui l’a accueilli et dont il a adopté la nationalité depuis une douzaine d’années qu’il souhaite œuvrer. Si son élection a été médiatisée aussi bien en Allemagne qu’au Sénégal, c’est pour son action politique que Monsieur Diaby souhaite entrer dans l’histoire. Son mandat sera pour lui l’occasion de travailler sur des sujets qui lui tiennent à cœur tels que l’éducation, l’intégration ou encore l’instauration d’un salaire minimal à l’échelle fédérale. Der Name Karamba Diaby wird mit großer Sicherheit in die deutsche Geschichte eingehen, denn der 51-Jährige mit einem Doktor in Geoökologie wurde kürzlich zum SPD-Bundestagsabgeordneten des Wahlkreises Halle (Sachsen-Anhalt) gewählt. Seine Herkunft und sein beruflicher Werdegang machen aus ihm buchstäblich einen außergewöhnlichen deutschen Politiker: Geboren im Senegal, zieht es ihn 1985, nach Abschluss seines Abiturs in Dakar, nach Ostdeutschland, wo er sich mit Hilfe eines Stipendiums und ohne ein Wort Deutsch zu sprechen, niederlässt. Der Schlüssel zu seiner Integration liegt vermutlich in seinem starken Engagement, das geprägt ist durch seine Rolle als (Studenten-)Sprecher (des étudiants?!) und seinen Einsatz für ausländische Studierende seiner Universität, denen nach dem Mauerfall die Abschiebung drohte – und deren Aufenthaltserlaubnis er bewirkte. Auch wenn sein Wahlsieg Hoffnungen weckt, was die Integration von Immigranten sowohl in Deutschland als auch Europa betrifft, so war dieser zu Anfang nicht mal sicher. Tatsächlich ist die Stadt Halle bekannt als Hochburg des Rechtsextremismus, was die Wahl von Karamba Diaby natürlich noch überraschender macht. Trotz eines tätlichen Angriffs, ausgelöst durch seine Hautfarbe, zu Beginn der 90-iger Jahre, sieht der neu Gewählte sich als Symbol einer erfolgreichen Integration der afrikanischen Gemeinschaft und einer zurückgehenden Xenophobie, womit er die bedrohlichen Gedanken an den derzeitigen Zulauf zu rechtsextremen Parteien in der europäischen Politik verscheucht. Seine Wahl – ein noch nie dagewesenes Ereignis – erscheint wie eine Botschaft, die bereits vor einigen Jahren von der anderen Seite des Atlantiks erschallte, und sich frei nach dem Motto: „Yes Europe, we can too!“ an Europa richtet. Was Karamba Diaby letztendlich durch seine Wahl zu zeigen versucht, ist die Tatsache, dass man einen Menschen nicht auf seine Wurzeln reduzieren kann. Heute fühlt er sich als Europäer afrikanischer Herkunft und möchte sich vor allem für das Land, das ihn aufgenommen und dessen Nationalität er seit mehr als 12 Jahren hat, einsetzen. Auch wenn sein Wahlsieg sowohl in Deutschland als auch im Senegal stark mediatisiert worden ist, so möchte Karamba Diaby viel mehr für sein politisches Handeln in die Geschichte eingehen. Sein Mandat wird ihm ermöglichen an Themen zu arbeiten, die ihm persönlich am Herzen liegen, wie beispielsweise Bildung, Integration oder auch die Einführung eines bundesweiten Mindestlohns. 21 le dossier L’ Europe : un continent de migrations perpétuelles MICHAl GRABOWSKI Sur ce continent, nous sommes tous des immigrés, sauf peut-être les Basques qui, selon la plupart des chercheurs, constituent le dernier peuple indigène d’Europe. Qu’elles descendent des Celtes, des Slaves ou des Germains, toutes les Nations européennes ont eu pour ancêtres des migrants qui cherchaient leur place sur un territoire encore froid et obscure. On sait que les Barbares, qui assaillirent la Rome Antique à son crépuscule, étaient de nouveaux arrivants sur ce territoire. Mais ils n’étaient pas les seuls à venir d’ailleurs : c’était également le cas des Romains. Selon la légende, le grand-père de Romulus et Remus, Énée, était lui-même un immigré grec qui avait fui la ville de Troie en péril. La ville éternelle a ensuite été la destination privilégiée des immigrés, qu’il s’agisse des Étrusques, des Grecs ou, plus tard, des nouveaux peuples barbares qui l’ont enfin dominée. A chacun son voyage L’histoire de l’Europe, c’est donc, par excellence, l’Histoire des migrations. Présent à toutes les époques, ce phénomène s’explique par des motifs et des contextes historiques différents. Dans l’Antiquité, il s’agissait de la conquête de terres nouvelles et relativement vides d’hommes (ce qui résolvait le problème de surpopulation). La raison des migrations a souvent été politique : émigration des Anglais vers les États-Unis au XVIIIe siècle et des Français suite à la révocation de l’Édit de Nantes, mais aussi des dissidents politiques du camp soviétique au XXe siècle. Elle provenait aussi de la volonté des peuples de fuir des conditions de vie difficiles. On pense notamment à la famine norvégienne du XIXe siècle, ou au travail dans les mines flamandes dans les années 20. Du 22 XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, on observe pour cette même raison une émigration massive venant des pays de l’Est. Certaines nations ont voyagé au cours d’une période précise (par exemple, les Norvégiens au XVIIIe siècle) ou par phases, à des périodes éloignées les unes des autres (ce fut le cas des Hongrois, qui ont émigré au Xe siècle puis au XXe siècle). D’autres peuples migraient souvent ou de manière ininterrompue (les Polonais, les Juifs...), sans même parler de peuples qui inscrivent le voyage et la migration dans leur mode de vie (le peuple Rom, le peuple lapon). L’appartenance à une famille de langues n’est pas un critère primordial ; il semble en effet que tous les peuples connaissent et subissent les avantages et les inconvénients du voyage migratoire. Cas particulier : les Polonais S’il y a une population en Europe qui a connu toutes les formes de migration et peut servir d’exemple, ce sont les Polonais. Descendants des peuples slaves qui se sont installés aux Ve et VIe siècles sur ce qui est aujourd’hui la Pologne, les premiers migrants Polonais étaient des prêtres ou des moines qui traversaient l’Europe en s’arrêtant dans les cloîtres et les lieux saints. Déjà les premiers étudiants polonais, et puis leurs successeurs, allaient étudier dans des universités européennes et françaises (Sorbonne, Montpellier, Padoue, Prague...) pour y apporter leur savoir (ce Barbarie hiver 2013 - 2014 qu’ils font avec succès encore aujourd’hui !). Mais les intellectuels polonais ont également dû émigrer pour des raisons politiques : une fois leur pays rayé de la carte en 1795, des vagues consécutives d’aristocrates et de jeunes militants pour l’indépendance ont trouvé refuge en Europe occidentale, notamment à Paris. Ils ont été suivis un siècle plus tard par leurs compatriotes, pour qui l’existence et la liberté d’expression étaient menacées dans le pays devenu communiste. Enfin, les Polonais ont émigré du fait de l’attractivité salariale d’autres États, dès le début du XXe siècle. Ils se sont alors installés aux alentours de Lille et de Liège afin de pouvoir soutenir leurs familles dans le jeune pays indépendant et pauvre, puis au XXIe siècle pour gagner leur vie et construire leur avenir. La dernière vague de la migration, à laquelle on assiste actuellement, est unique, d’abord par son ampleur, mais aussi par sa diversité. Selon différentes statistiques, entre 1 et 2 millions d’émigrés, dont la plupart ont moins de 30 ans, y compris avec un ou plusieurs diplômes universitaires, sont concernés8. Il est difficile de lister toutes les raisons de l’émigration mais les principales sont le chômage, la différence des niveaux des salaires, les besoins financiers pour la réalisation de soi sur le plan personnel et professionnel ou bien encore les études. Ces immigrés sont, pour la première fois, présents à toutes les échelles professionnelles des pays d’accueil, qu’il s’agisse de la main-d’œuvre ou de la direction d’une entreprise. La politique d’accueil diffère selon les pays : la France et l’Allemagne, craignant une arrivée en masse de main‑d’œuvre, ont pendant longtemps bloqué l’accès à leur marché du travail suite à l’adhésion de nouveaux candidats à l’Union européenne en 2004 ; la GrandeBretagne, en revanche, a vu son PIB croître de manière importante suite à l’arrivée massive d’immigrés9. Reste à savoir quelles seront les conséquences de ces migrations pour le pays. Certes, à court terme, le chômage en Pologne est passé de 17% à 13% en à peine quelques années. En revanche, la société polonaise a vu ses taux de fécondité chuter rapidement et est aujourd’hui devenue l’un des pays les plus vieillissants d’Europe. Rares sont ceux qui s’aperçoivent qu’une partie importante de capital dynamique du pays s’en est allée pour toujours, ce qui aura de très graves répercussions d’ici une dizaine d’années. Le problème touche tous les pays de la nouvelle Europe. La Lituanie, où la situation est encore plus terrifiante, a «perdu» presque 500 000 jeunes, qui ont quitté leur pays et ne pensent pas y revenir. Pour un pays qui compte 3,5 millions d’habitants au total, la situation est alarmante. Il semble donc qu’un débat au niveau communautaire s’impose, la libre circulation à l’intérieur de l’Europe ayant produit des effets auxquels les dirigeants des différents États membres ne songeaient pas il y a encore dix ans. Et en polonais ? Analizując problem migracji w kontekście historycznym, trudno nie dostrzec, iż większość narodów europejskich wywodzi się z ludów koczowniczych. Migracja w obrębie kontynentu nie zakończyła się jednak w starożytności wraz z powstaniem pierwszych osad. Każdy naród, kierując się różnymi powodami, zmuszony był bowiem wpisać okres migracji w część swojej historii. Przykładem doskonale obrazującym to zjawisko są dzieje Polaków, którzy nie raz byli zmuszeni opuścić ojczyznę z powodów politycznych lub ekonomicznych. Jednak również i dziś jesteśmy świadkami prawdopodobnie największej w historii fali emigracji tego narodu w różne rejony Europy. Konsekwencje wyjazdu za granicę są i będą odczuwalne zarówno na polu międzynarodowym – w polityce i gospodarce krajów przyjmujących – jak i krajowym. Problem emigracji, który, poza Polską, dotyka większość państw Unii Europejskiej, powinien zostać zatem wpisany w strategię wspólnej polityki demograficzno-migracyjnej na najbliższe lata. 23 le dossier G rève de la faim dans la capitale allemande Barbarie hiver 2013 - 2014 «pour toile de fond le drame de Lampedusa», rappelle Halina Wawzyniak, députée du parti d’extrême gauche (die Linke). Pourtant, le gouvernement allemand n’a toujours pas clarifié la situation des réfugiés qui entendent bien reprendre les manifestations dès le mois de janvier. Quentin Bisson Le 9 octobre dernier, une trentaine de demandeurs d’asile a organisé un sitting devant la porte de Brandebourg, un événement finalement peu évoqué par les médias européens. Leur objectif : protester contre des conditions d’accueil qu’ils jugent scandaleuses. Pour toute réponse, le gouvernement allemand leurs a fait lever le siège. 10 jours, c’est le temps qu’il aura fallu aux autorités allemandes pour faire quitter les lieux à 29 réfugiés venus lutter pour de meilleures conditions de vie. Originaires du Congo, du Pakistan ou d’Afghanistan, ils ont partagé le même quotidien dans un camp de réfugiés d’une petite commune de Bavière. Aujourd’hui, ils réclament la reconnaissance de leur statut de demandeur d’asile, l’abolition de l’assignation à résidence et un permis de travail. Face au mutisme des politiciens, les manifestants avaient commencé une grève de la faim, renonçant d’abord à se nourrir puis à s’hydrater. place berlinoise. Plusieurs d’entre eux ne buvaient plus depuis quatre jours quand les services de police sont intervenus. En vérité, les demandeurs d’asiles présents à Berlin manifestaient en toute illégalité. D’abord accueillis sur le sol bavarois, ils se devaient de demeurer dans un périmètre de 20 kilomètres pour rester dans le cadre légal allemand, selon les journalistes de WSWS. Après avoir attendu des mois entiers dans un centre de réfugiés du sud du pays, ils ont finalement gagné Berlin, et violé la loi, pour donner à leur réclamation une plus grande visibilité. «Je suis prêt à donner ma vie pour nos exigences» Le drame de Lampedusa en toile de fond La radicalisation du mouvement a conduit les autorités sanitaires à agir. Dix nouveaux demandeurs d’asile auraient été conduits de force à l’hôpital dans la nuit du 16 au 17 octobre selon le Berliner Zeitung. Leurs forces physiques déclinaient, pas leur détermination. Ils appelaient à continuer le sitting, malgré la précarité. «Je suis prêt à sacrifier ma vie pour que nos exigences soient satisfaites», explique l’un des manifestants au World Socialist Website (WSWS). Pour se protéger de la pluie, rien d’autre que des tapis de sol et des parapluies de fortune. Ils n’avaient pas reçu l’autorisation de dresser de tente sur la célèbre 24 Dans cette lutte pour la reconnaissance, les demandeurs d’asile ne sont pas seuls. Des personnalités politiques comme le co-président du parti die Linke ont affiché leur soutien. «Il est temps que les politiciens et les politiciennes prennent enfin contact avec les réfugiés et répondent à leurs réclamations», livrait-il au quotidien Die Zeit. Pour l’homme politique, «le gouvernement fédéral porte la responsabilité de la grève de la faim ainsi que ses conséquences». Bien entendu, cette grève de la faim médiatisée aurait dû avoir davantage de portée puisqu’elle avait L’affaire est donc d’autant plus scandaleuse que Berlin, à l’instar des autres gouvernements européens a déploré pendant des jours le sort des réfugiés morts sur les côtes de Lampedusa. Pour autant, rien n’est fait pour améliorer le sort de ceux qui ont eu la chance de rejoindre l’Allemagne et pour le moment, c’est l’indifférence qui les guette. Si le gouvernement a finalement prévu de se pencher sur le dossier d’ici trois mois, les demandeurs d’asile veulent eux un dénouement rapide. Une nouvelle manifestation est déjà prévue pour janvier, selon die Zeit. P eut-on parler de "diaspora espagnole"? Joséphine Vinet Les agences d’emploi espagnoles affichent aujourd’hui des taux de chômage vertigineux : 25% de la population active, et 55% chez les jeunes et les étrangers. Le pays se trouve en récession économique et la solution amère de l’austérité du gouvernement centre-droit de Mariano Rajoy ne semble guère y remédier. Les jeunes Espagnols n’ont d’autre choix que l’exil. L’État prétend offrir plusieurs options d’avenir à la jeunesse espagnole, mais ce n’est, en réalité, qu’une illusion. La vérité, tous les jeunes diplômés la connaissent : ces choix-là n’existent pas. Début 2013, de nombreux étudiants espagnols se sont rassemblés à Madrid, mais aussi dans les rues de grandes capitales européennes. Leur slogan était clair : «On ne part pas, ils nous virent!». Pour la majorité d’entre eux, la seule façon de trouver un emploi et de progresser sur le plan professionnel, c’est de partir à l’étranger. En effet, selon le journal Le Monde, s’ils restent en Espagne, ils seront victimes de l’extrême flexibilité du marché du travail, mise en place par le gouvernement Rajoy. Et, comme on pouvait s’en douter, la précarité qui en découle atteint fortement les jeunes et les étrangers : ils sont donc les premiers à partir. Les chiffres de l’Institut National de Statistiques (INE) à Madrid sont effarants : 365 238 résidents étrangers, majoritairement d’origine sud-américaine ou africaine, ont ainsi quitté la péninsule ibérique en 2012 (contre 282 522 immigrants enregistrés). Il faut ajouter à ce solde migratoire les 54 912 Espagnols qui ont également fait leurs valises avec l’espoir de trouver une vie meilleure hors de leurs frontières. De ce fait, la population totale diminue en Espagne (-79 499 habitants entre janvier et septembre 2012) et, selon les projections de l’INE, cette baisse pourrait se poursuivre jusqu’en 2021, sous l’effet conjugué de l’émigration et de la diminution du nombre de naissances. Cela signifie que l’Espagne fait un bond de 40 ans en arrière, pour redevenir une terre d’émigration, désertée par sa jeunesse en quête d’avenir. 25 le dossier Malgré cette situation déplorable, les optimistes, eux, préfèrent voir les points positifs. D’abord, selon Iberglobal, un site Internet espagnol qui s’intéresse à l’internationalisation des entreprises, travailler à l’étranger est synonyme d’enrichissement de la formation professionnelle pour les jeunes, car ils doivent s’adapter à un autre environnement de travail, acquérir une mentalité différente qu’ils pourront conserver si, un jour, ils reviennent en Espagne. Parmi ces compétences, on pense surtout à l’apprentissage de nouvelles langues étrangères, principal point faible de la population active espagnole. D’autre part, les employés installés à l’étranger pourraient contribuer au développement des relations et des échanges entre les entreprises espagnoles et celles de leur pays d’accueil et aideraient ainsi leur pays à sortir de cette crise dévastatrice. Une enquête du Figaro constate d’ailleurs que les exportations espagnoles ont fait un bond de 9,5% depuis 2008, une croissance bien meilleure que celle de ses partenaires européens. Pour appuyer cet argument, certains rappellent les diasporas indienne et chinoise et le rôle qu’elles ont joué dans l’ascension de ces deux puissances pour atteindre la position dominante qu’elles occupent aujourd’hui sur le marché international. Mais ces idéaux ne sont réalisables que sur le (très) long terme. En attendant, les plus pragmatiques estiment que le gouvernement espagnol, au lieu de s’inspirer de la solution précaire des mini jobs à l’allemande, devrait arrêter de se voiler la face, de prétendre que les Espagnols vivent bien malgré la crise, et s’assurer que ceux qui décident de partir, notamment les jeunes, le font dans les meilleures conditions possibles. S e puede hablar de " diáspora española " ? Escrito por Joséphine Vinet Las agencias españolas para el empleo anuncian tasas de desempleo vertiginosas: no menos del 25% de la población activa, y el 55% de los jóvenes y extranjeros. Estas cifras impresionantes vienen de la crisis inmobiliaria del 2008 que el gobierno socialista de Zapatero no supo superar. El país está en una situación de recesión económica desde hace 4 años y la amarga solución de la austeridad aplicada por el gobierno de centro derecho de Mariano Rajoy a partir de 2011 no parece solucionarlo. Los jóvenes españoles no tienen otra elección que el exilio. El Estado pretende ofrecer a la juventud española varias opciones para su porvenir, pero de verdad, solo es una ilusión. La realidad, todos los recién titulados la conocen: esas opciones no existen. Al principio del 2013, numerosos estudiantes se reunieron en Madrid, 26 Barbarie hiver 2013 - 2014 serán victimas de la extrema flexibilidad del mercado del trabajo, puesta en marcha por el gobierno de Rajoy. Y, como lo podíamos suponer, la precariedad que se deriva de esa flexibilidad toca fuertemente a los jóvenes y a los extranjeros: entonces son los primeros en irse. Las cifras del Instituto Nacional de Estadística (INE) de Madrid son espantosas: 365 238 residentes extranjeros, por mayor parte originarios de América del Sur o de África, dejaron la península ibérica en el 2012 (contra 282 522 inmigrantes registrados). Hay que sumar al saldo migratorio los 54 912 españoles que hicieron sus valijas confiando en una vida mejora fuera de las fronteras nacionales. De hecho, la población total disminuye en España (- 79 499 residentes entre enero y septiembre del 2012) y, según las estimaciones del INE esta caída podría proseguir hasta el 2021 sobre los efectos cumulados de la emigración y de la baja de la tasa de natalidad. Esto significa que España regresa al pasado, 40 años atrás, y se convierte de nuevo en una tierra de emigración abandonada por su juventud en queja de un porvenir. A pesar de esta situación deplorable, los optimistas prefieren ver los puntos positivos. Primero, según Iberglobal, un sitio Internet español que se interesa a la internacionalización de las empresas, trabajar en el extranjero es sinónimo de enriquecimiento de la formación profesional para los jóvenes porque tienen que adaptarse a otro entorno laboral, adquirir una manera de pensar diferente que podrán conservar si vuelven de nuevo en España. Entre esas competencias pensamos sobre todo en el aprendizaje de lenguas extranjeras, debilidad principal de la población activa española. Segundo, los empleados instalados fuera podrían contribuir en el desarrollo de las relaciones y intercambios entre las empresas españolas y las de sus países de acogida y así ayudarían su propio país a salir de la devastadora crisis que conoce. Une encuesta del Figaro muestra que las exportaciones españolas dieron un brinco del 9,5% desde el 2008, un crecimiento mucho mejor que el de sus vecinos europeos. Para apoyar este argumento, algunos recuerdan a las diasporas india y china y el papel que tuvieron en el ascenso de esas dos potencias hasta alcanzar la posición dominante que ocupan hoy en día en el mercado internacional. Pero estos ideales sólo se pueden realizar a (muy) largo plazo. Mientras tanto, los mas pragmáticos piensan que el gobierno español, en lugar de copiar la precaria solución alemana de los mini Jobs, debería parar esconder la cabeza debajo del ala afirmando que los españoles viven bien a pesar de la crisis y debería asegurarse de que los que deciden irse, en particular los jóvenes, lo hacen en las mejores condiciones. en las calles de las capitales europeas. Su lema era claro: “No nos vamos, nos echan”. Para la mayoría la única manera de encontrar un trabajo y de avanzar en el plano profesional es de salir al extranjero. En efecto, según el periódico Le Monde, si se quedan en España, 27 le dossier L a politique européenne de l’immigration et de l’asile Solveig Fenet « La politique commune de l’immigration et de l’asile »… Est-ce un volontarisme normatif ou une commodité de langage ? Mais avant de la considérer comme acquise, il faudrait d’abord s’assurer que cette politique est belle et bien commune. Si l’on admet que la politique étrangère et de sécurité européenne est une politique « commune », on peut tout autant se demander à quel point la politique d’immigration et d’asile l’est. Mais, derrière un jargon rappelant les premiers rêves de l’intégration, la notion de « politique commune » ne servirait-elle pas à diluer la volonté des États de masquer leur refus de progresser ensemble ? D’ailleurs, existet-il une « politique commune » européenne de l’immigration et de l’asile ? A la définition même, la Cour de Justice de l’Union européenne ne donne que peu de rigueur terminologique et scientifique. Au lendemain des accords Schengen de 1985, il a été question de la portée de la circulation reconnue aux citoyens de l’Union, et, à ce sujet, la CJUE a déclaré qu’en l’absence de « règles communes ou harmonisées » en la matière, les États demeuraient compétents pour opérer des contrôles. En 1997, le Traité d’Amsterdam a permis d’intégrer une coopération intergouvernementale au sein même du traité de Rome, c’est-à-dire de « communautariser » les dispositions qui permettraient aux ressortissants des pays tiers d’entrer, de circuler, voire de séjourner sur le territoire de la Communauté. L’introduction d’un nouveau titre IV en découle, intitulé « Visas, asile, immigration, et autres politiques liées à la libre circulation des personnes », inséré au cœur « des politiques de la Communauté ». Il semble néanmoins conditionner et restreindre les libertés de circulation à 28 la mise en place de mesures « compensatoires », qui par ailleurs ne s’appliquent pas à l’ensemble des pays membres. Le traité d’Amsterdam n’apporte aucune précision quant à la définition d’une politique commune. Les questions concernées étant d’intérêts communs, les blocages étaient inévitables dans la négociation lorsque chacun dévoilait ses intentions. Une configuration politique de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice apparaît depuis le Traité d’Amsterdam, mais elle est marquée par un déséquilibre majeur où sans cesse la question sécuritaire prend le pas au détriment des questions posées par l’immigration légale. Il y a une distinction à faire. L‘existence d’une politique commune ne dépend pas d’une intégration complète au profit de l’Union et n’implique pas nécessairement que les États membres délèguent leurs compétences. C’est ainsi que le titre IV révèle les contradictions du Traité d’Amsterdam. Le discours volontariste de l’Union pour instaurer une politique commune de l’immigration et de l’asile se trouve être limité par les mesures prises pour que cette politique ne porte atteinte aux responsabilités des États membres pour maintenir l’ordre public ou introduire des dispositions nationales. Jusqu’ici aucun texte juridique contraignant n’a été adopté. La problématique d’une « politique européenne Barbarie hiver 2013 - 2014 commune en matière d’asile et d’immigration » est née lors du Conseil européen de Tampere en octobre 1999. Fixer une « politique commune » en matière d’immigration et d’asile s’impose alors. Les objectifs et les intentions sont clairs : développement des partenariats avec les pays d’origine ; traitement équitable des ressortissants de pays tiers ; gestion plus efficace des flux migratoires comprenant un contrôle efficace aux frontières extérieures par l’harmonisation des procédures d’asile, simplification du système, et définition du statut des demandeurs d’asile. L’impulsion donnée par le Traité d’Amsterdam et le Conseil de Tampere amène ainsi la législation européenne à se développer. Aux Conseils européens de Séville et de Thessalonique, respectivement en 2002 et 2003, les chefs d’États et de gouvernements sont appelés à la mise en place d’une gestion coordonnée et intégrée des frontières extérieures, ceci au moyen de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex). A cette occasion, un « Manuel sur l’intégration à l’intention des décideurs politiques et des praticiens » a été publié par la Commission européenne, dans lequel un service téléphonique est même mis à disposition. L’UE parvient finalement à contraindre ses États membres à la transposition en droit interne des règles adoptées. Le livre VII du Code français de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, entré en vigueur le 1er mars 2005, en porte la trace. Mais même à ce stade d’avancement, on ne peut pas parler d’une véritable politique d’immigration européenne. Le traité de Lisbonne est une autre progression dans ce domaine, consacrant le chapitre 2 du titre IV aux « politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration ». En octobre 2008, l’adoption du « Pacte européen sur l’immigration et l’asile » harmonise les régimes d’asile, organise l’immigration légale, renforce les contrôles aux frontières et organise l’éloignement des clandestins. Mais encore une fois, la difficulté des négociations a eu pour effet de donner aux textes juridiques une faible valeur, faite d’ambiguïtés et de contradictions volontaires. M ais que faire de nos Roms ? Aurélie Richard On voit communément deux conceptions dans la réponse des autorités françaises à la question Rom : l’intégration ou la réinsertion. Au lieu de s’opposer, ces deux solutions pourraient se compléter. La question des personnes appartenant à la minorité rom est régulièrement ramenée sur le devant de la scène politique française et européenne. Certains prêchant pour leur intégration dans leur pays d’accueil, d’autres arguant qu’ils devraient être relogés, tous s’indignant (aux vues) des évictions de campements illicites, d’autres encore en faisant de parfaits bouc émissaires. 29 le dossier La position du gouvernement français est elle aussi ambiguë et difficile à cerner. Le récent geste de générosité du Président Hollande envers la jeune Léonarda illustre bien cette schizophrénie. D’un côté, la loi prévoit que les étrangers en situation irrégulière doivent quitter le territoire français, de l’autre on essaie de ne pas trop bousculer l’Union européenne sur la question des Roms, la France ayant déjà été rappelée à l’ordre sous le précédent quinquennat. Le problème des évictions de campements illicites est lui aussi délicat. On ne peut pas laisser des personnes vivre dans un espace dangereux (pas d’accès à l’eau courante, proximité de lignes à haute tension, blocage des accès aux bornes à incendie, etc.) mais on ne peut pas non plus les déloger pour les laisser errer sans but. Cependant, les places dans les logements sociaux ou dans les villages d’insertion sont rares et y accueillir plusieurs centaines de personnes d’un coup relève de l’impossible. En septembre dernier, un accord cadre a été signé entre les autorités roumaines et l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) pour la réinsertion en Roumanie de 80 familles appartenant à la minorité roumaine. Cet accord a été cosigné par Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur et Bernard Cazeneuve, alors Ministre délégué aux affaires européennes. Cet accord vise à aider des familles roumaines roms à retourner en Roumanie et à s’y installer durablement grâce à la mise en place d’un projet de vie. Ainsi, une famille vivant en France depuis plus de trois mois peut se voir soutenue pour créer une petite exploitation agricole, une petite entreprise ou autre. L’État français prend en charge via l’OFII l’acheminement des personnes jusqu’à leur ville d’origine et leur alloue une petite somme, 3660 € maximum, qui peut être complétée par les collectivités territoriales françaises, pour la mise en place d’un projet professionnel. La représentation en Roumanie de l’OFII prend également en charge le suivi du projet pendant une année. Par ailleurs, les collectivités territoriales françaises d’où partent les familles intéressées doivent mettre 30 en œuvre un partenariat avec les régions roumaines de destination afin de favoriser le développement des localités roumaines. L’objectif est que cette coopération décentralisée survive à l’accord cadre afin de développer les échanges entre les régions des deux pays. On voit bien dans cet accord la volonté de favoriser le retour des Roms dans leurs pays d’origine. Et doit-on pour autant s’en formaliser ? Après tout, les raisons qui poussent la majorité des Roms à émigrer sont souvent les mêmes que celles qui poussent beaucoup d’autres personnes de tous pays à laisser leurs racines derrière eux. Et ces raisons sont principalement économiques. Les Roms choisiraient-ils de vivre dans un campement en France ou en Espagne s’ils avaient la possibilité de construire un avenir dans leur propre pays ? Cet accord tente d’impliquer les autorités roumaines dans la prise en charge des citoyens en situation de détresse dans leur pays car si les Roms sont stigmatisés en France, ils le sont aussi largement en Roumanie ou en Bulgarie. Ainsi il est prévu par cet accord que les autorités roumaines doivent entre autres aider au logement des familles, réaliser une enquête sociale et soutenir leurs besoins par l’octroi des services nécessaires. L’accord reflète une tentative politique visant à montrer qu’une prise en charge de ces populations existe. Mais la mise en œuvre de cette initiative semble très complexe : il est difficile de trouver des familles qui remplissent les critères d’éligibilité, les collectivités territoriales françaises sont parfois frileuses, le budget pour la mise en place d’un projet professionnel est restreint et seuls les Roms de Roumanie sont concernés. Depuis que l’accord a pris effet en janvier 2013, très peu de projets de réinsertion ont été réalisés et arrivé à la moitié de sa durée de vie, le bilan semble plus que mitigé. Barbarie hiver 2013 - 2014 A ube Dorée : un accroc sur l’échiquier politique européen Nina Tsiklaouri Le 28 septembre dernier, plusieurs membres du parti grec d’extrême droit Aube Dorée, dont son dirigeant Nikos Michaloliakos, ont été arrêtés. Récemment, “Aube Dorée” a été privée des fonds du gouvernement grec, mais est-ce pour autant la fin de l’extrême droite dans le pays ? “Il n’y a pas eu de fours crématoires. C’est un mensonge”, un tel discours et dix-huit sièges au Parlement, comment une telle chose a-t-elle pu se produire au pays de la démocratie ? Le parti “Aube Dorée” est fondé par Nikos Michaloliakos en 1980 mais c’est véritablement lors des élections de mai 2012 qu’il fait son apparition sur l’échiquierpolitique grec. Dans un contexte de crise aggravée et un climat de pessimisme généralisé, “Aube Dorée” émerge comme parti de l’espoir. En menant une campagne pour le rejet des plans de sauvetage et contre l’immigration, il a réussi à convaincre les Grecs et a ainsi obtenu 7% des votes. Bien plus qu’un parti nationaliste, “Aube Dorée” est de tendance néo-nazie et n’en a jamais vraiment fait un mystère. Ses membres ont l’habitude du salut hitlérien et revendiquent une “Grèce aux Grecs”. Leur programme politique reposait/repose? entre autres sur l’expulsion des immigrants sans-papiers ainsi que légaux et suggérait/suggère la mise en place de mines antipersonnels10 afin d’empêcher les immigrés d’entrer. Seulement il se trouve que les membres du parti ne se sont pas limités à ces seuls propos. Les attaques contre des étrangers ont commencé dès 1987 et au cours de ces dernières années, ce sont plus particulièrement les migrants pakistanais qui ont été particulièrement visés. Se soumettant à une structure hiérarchisée, le parti est divisé en groupuscules de cinq personnes, chacun sous le commandement d’un chef. Les membres reçoivent également un entraînement militaire et des milices d’assaut mènent des attaques contre les immigrés. Les membres du parti auraient commis plusieurs meurtres dont celui d’un Bangladais tué cette année11. Il aura fallu attendre l’assasinat du rappeur grec Pavlos Fissas pour que le pays ouvre les yeux. Militant antifasciste, le chanteur a été poignardé le 17 septembre 2013 par un membre d’”Aube Dorée”. Le crime a provoqué l’indignation de nombreux Grecs, qui ont organisé une manifestation anti-fasciste le lendemain du meurtre. Bien que le parti ait nié toute implication dans cet assassinat, le gouvernement grec a fini par réagir, et le 27 septembre Nikos Michaloliakos ainsi que quatre de ses députés ont été arrêtés. Ils encourent de lourdes peines de prison allant de dix à vingt ans de détention. Blanchiment d’argent, implication dans des réseaux de prostitution et chantage comptent parmi les nombreux chefs d’accusation retenus contre eux. Le 23 octobre, le Parlement grec a voté une disposition qui suspend le versement de fonds publics à l’Aube Dorée. Dans le cas d’inculpation de ses députés, cette disposition deviendra permanente. Depuis ces événements, la popularité du parti aurait chuté d’environ un tiers dans les sondages. Mais 31 le dossier ceci signifie-t-il pour autant la fin de l’extême-droite ? Les membres d’”Aube Dorée” sont déterminés à poursuivre la lutte et dénoncent un complot politique. Il faut bien garder à l’esprit qu’avant tout, le parti doit son succès à la situation difficile que traverse la Grèce. C’est une population en colère contre les mesures d’austérité européennes et un gouvernement inefficace qui s’est “vengée” en se tournant vers ”Aube Dorée”, devenue troisième parti derrière “Nouvelle Démocratie” et “Syriza”. Barbarie hiver 2013 - 2014 Bien qu’affaibli actuellement, le contexte social et politique qui a permis son ascension est toujours dominant:palpable/perceptible en Grèce. Le parti est donc susceptible de jouir d’un certain poids politique tant que le Grèce sera en situation de pauvreté et insécurité. R éfugiés ? Un instant s’il-vous-plaît... isabelle Podetti Suite à la catastrophe de Lampedusa, on aurait pu s’attendre à une remise en cause de la politique migratoire européenne lors du dernier sommet européen. Le naufrage de Lampedusa, qui avait ému l’opinion publique européenne et réussi à propulser les questions migratoires en haut de l’agenda européen, s’est pourtant vu éclipser par le scandale des écoutes américaines… Mi-octobre, Enrico Letta, chef du gouvernement italien, avait invoqué une « urgence réelle » et appelé ses homologues européens à faire preuve de solidarité envers les migrants du sud. Selon le système de Dublin, qui régit la politique migratoire européenne, le pays d’arrivée d’un réfugié est responsable de la demande d’asile de ce dernier. Les pays frontaliers de l’UE se retrouvent donc seuls face aux flux migratoires venus de la Méditerranée. Un point sur lequel les chefs d’États et de gouvernements de l’UE devaient revenir les 24 et 25 octobre dernier à Bruxelles. Pourtant, malgré le soutien de certains gouvernements au président italien, les dirigeants européens ont à peine réagi lors du sommet. Loin de relancer l’idée d’une politique migratoire véritablement européenne, 32 dotée de moyens et d’instruments forts et communs, ces derniers se sont contentés de charger la petite task force pour la Méditerranée, récemment mise en place sous l’égide de la Commission européenne, de les informer d’ici décembre 2013 des « actions prioritaires » à envisager pour éviter d’autres drames. Il faut dire que les histoires d’espionnage américain, venues à point nommé, avait entre temps capté toute l’attention des dirigeants de l’UE. Les Européens seraient-ils des poissons rouges ? Ou bien des autruches ? Quoi qu’il en soit, il faudra patienter jusqu’à juin 2014 pour voir émerger de nouvelles mesures européennes dans ce domaine… réfugiés, en attendant, merci de bien vouloir garder la tête hors de l’eau ! 33 Barbarie hiver 2013 - 2014 L e Canada : vers la fin d’un modèle d’immigration exemplaire ? Florence Galtier d’Auriac Canada, terre d’accueil aux grands espaces verts et forêts de pins aux couleurs de l’été indien ? Vous en rêvez ? Pourvu que vous soyez bilingue anglais-français, jeune, diplômé et sans trop d’expériences professionnelles... Regard d’ailleurs Penser le Canada comme exemple de système d’immigration semble légitime, le vaste pays outre‑Atlantique a pendant longtemps fait ses preuves en terme de politique migratoire et de multiculturalisme. En effet, le Canada est l’un des pays développés à accueillir le plus d’immigrants, le nombre d’immigrants sur la population totale en 2010 s’élevant à environ 7,2 millions. En 1986, on décerne même au Canada la médaille Nansen (United Nation Nansen Refugee Award) pour son accueil et son effort envers les réfugiés. Pourtant, depuis août 2013, le Canada a pris une nouvelle direction : la politique d’immigration semble restreindre le nombre d’arrivants et des coupures budgétaires du ministère de l’Immigration ont été planifiées. Le Premier Ministre Stephen Harper et le ministre de l’Immigration Jason Kenney mènent une politique controversée reposant sur un système à points sélectionnant les immigrants les plus intéressants économiquement parlant. Les jeunes diplômés sont ainsi plus appréciés que les plus âgés ayant de l’expérience. Cette politique suscite la critique du Parti libéral, qui juge ces nouvelles directives discriminatoires. Selon le parti, le régime actuel tente de réduire le nombre d’immigrants venant d’Inde, du Pakistan ou des Philippines, représentant actuellement la part la plus élevée d’immigrés. Le nouveau système à points donne en effet préférence aux plus talentueux qui parlent anglais et français : le bilinguisme est de rigueur. À la douane, les Canadiens se montrent aussi de plus en plus fermes et vigilants ; le Canada voulant assurer la sécurité de son propre pays, contrôler le marché du travail et éviter le développement de certains travaux dit au noir : même les jeunes européennes aupair sont renvoyées chez elle dès leurs premiers pas sur le sol canadien ! Voici la décevante réalité d’un pays qu’on imagine « welcoming » ! Le changement s’opère également pour les réfugiés qui ne pourront plus aussi facilement bénéficier des soins médicaux. Par ailleurs, une liste des pays dits « sains » a vu le jour et la loi permet désormais d’expulser les résidents permanents. Pour le Premier Ministre, ces nouveautés servent à renforcer la sécurité du pays : cela permettrait d’éviter les nouvelles tensions entre locaux et immigrants et d’accueillir des immigrants prospères pour l’économie du pays, tout en limitant les abus (entre 50 000 et 200 000 immigrés illégaux). D’après un récent sondage12, environ 60 % des Canadiens sont favorables à la limitation du nombre d’immigrants qualifiés. Quant aux Québécois, bénéficiant de leur propre système d’immigration, ils revoient également à la baisse le nombre d’immigrés d’ici les deux prochaines années (environ 50 000 immigrants prévus pour 2015). Les immigrés au Canada ne seraient-ils pas si bien intégrés ? Avec ses trente-cinq millions d’habitants, un pourcentage de 0,74% d’immigrants en 2013 et une 35 REGARD D’ailleurs superficie de neuf millions de km2, on aurait facilement envie de faire passer un message à Stephen Harper et ses compatriotes : laissez vos portes ouvertes, gardez votre cœur sur la main… Car il faut l’avouer, parfois les clichés ont du bon. Le « friendly » Canadien existe, les différents accents dans les rues canadiennes sont une réalité et font sans aucun doute le charme du pays. Pourvu que les politiques ne transforment alors pas le multiculturalisme en un simple monoculturalisme et pourvu que la diversité des origines continue d’accompagner celle du décor canadien… A près le singapourien ? rêve américain, le rêve Steffy Bonfils Alors que la génération de nos parents présentait les États-Unis comme lieu de toutes les opportunités et de tous les possibles, depuis quelques années c’est bien en Asie que les choses se passent. Singapour fait partie des villes les plus développées du continent avec Hong Kong, Tokyo et Osaka. De plus en plus d’Européens décident de s’installer dans cette cité-État densément urbanisée. Mais qui sont-ils ? Et que recherchent-ils ? Le rêve asiatique existe t-il vraiment ? En direct de Singapour, voici mon témoignage. La ville-État compte 5,4 millions d’habitants et est l’une des plus denses du monde. De nombreuses nationalités sont présentes sur l’île (75% de Chinois, 15% d’Indiens et 7% de Malais) et l’on y dénombre près de 35% d’étrangers. Depuis 10 ans le nombre d’Européens installés dans le pays a fortement augmenté. Aujourd’hui, on recense plus de 31 000 Anglais, 10 000 Français, 7000 Allemands et 1200 Suisses. Les Japonais sont présents au nombre de 26 000, se plaçant cependant loin derrière la communauté américaine. 36 De nombreuses entreprises européennes s’y sont installées du fait des taux d’imposition sur les sociétés qui s’élèvent à 17% (contre 33,3% en France) et des avantages fiscaux qu’elles peuvent bénéficier : 1200 sociétés allemandes, 600 sociétés anglaises et 450 sociétés françaises sont ainsi présentes (Bouygues Construction, l’Oréal, Danone). Les secteurs d’activité les plus représentés sont les secteurs tertiaires et secondaires. Les expatriés travaillent environ à 70% dans le business, la finance, le commerce et la distribution, l’informatique, les transports, le tourisme et l’hôtellerie… et à 27% Barbarie hiver 2013 - 2014 en industrie pharmaceutique ou chimique, en construction, en BTP… Les expatriés peuvent être amenés à travailler à Singapour via des mutations, les entreprises emportant avec elles quelques employés qualifiés. La création de start-up à Singapour est aussi très prisée des Européens car elle est plus simple et plus rapide qu’en Europe. On compte 160 entrepreneurs français à Singapour. Enfin, il y a ceux qui arrivent à Singapour et qui se donnent quelques mois pour y trouver un emploi. Sans un bon réseau, une motivation extrême et des diplômes de grandes écoles, la tâche s’avérera cependant difficile. Un autre frein s’ajoute pour ceux qui souhaitent tenter leur chance : le Ministère du Travail singapourien a récemment durci les conditions d’obtention de visa de travail. Désormais, les offres d’emploi doivent être publiées officiellement afin que les Singapouriens puissent aussi en prendre connaissance et postuler, ce qui n’était pas obligatoire auparavant. Une autre mesure a en outre été mise en place pour limiter l’arrivée d’étrangers dans les sociétés à Singapour : l’instauration d’un salaire minimum pour les étrangers. Celle-ci fait naître cependant une compétition plus rude avec les Singapouriens, qui eux ne sont soumis à aucun salaire minimum. 1965, et est promue comme langue de travail. Les Singapouriens sont très accueillant et sympathiques, tout du moins ceux que j’ai eu l’occasion de rencontrer jusqu’à présent ! En ce qui concerne l’administration, elle est réputée efficace et c’est vrai qu’ici tout est fait pour être clair, simple et rapide tout en étant pertinent. Un point négatif - et pas des moindre - la vie est très chère et, outre le logement, faire la fête à Singapour a un coût pour nous, jeunes étudiants ! A ce propos, sachez que Singapour est la ville où la densité de millionnaires est la plus élevée au monde ! Il n’est pas tabou ici de montrer qu’on a de l’argent. On observe ainsi une certaine démesure et un fort rapport à l’argent. Un dernier point qui caractérise la vie à Singapour est l’existence de nombreuses interdictions (celle de jeter son mégot par terre, mâcher un chewing-gum, manger et boire dans le métro…) qui sont sujettes à de coûteuses amendes… Point de cristallisation de ces interdictions : l’existence de la peine de mort. Les Européens sont autant sujets à tous les types de peines que les locaux. Des panneaux d’interdiction sont affichés dans les rues et des amendes, et des peines d’emprisonnement sont prévues si l’on contrevient à ces lois. Outre les opportunités de travail, Singapour est aussi connue pour ses conditions de vie. Ce que l’on remarque dès son arrivée, c’est la propreté des lieux publics et les nombreux espaces verts superbement entretenus. En outre, le taux de criminalité compte parmi les plus faibles au monde et, par conséquent, on a véritablement un sentiment de sécurité quelle que soit l’heure. Le climat, qui est quasiment identique tout au long de l’année, est agréable. Il fait chaud et humide. Quant aux relations humaines, à Singapour, il est simple de s’intégrer et de faire des rencontres, contrairement à un pays comme la Chine par exemple, car l’anglais est pratiqué par tous. La langue a été instaurée après l’indépendance du pays vis-à-vis de la Malaisie en In a nutshell, cette ville a un fort potentiel qui ne cesse de croître et d’attirer des Européens, qu’il s’agisse de jeunes diplômés ou de seniors. Et croyezmoi, vivre ici reste une expérience qui ne peut être qu’enrichissante... 37 Barbarie hiver 2013 - 2014 E ntretien : La genèse de Barbarie Propos recueillis par Fanny Cohen La revue Barbarie n’est pas née de la dernière pluie ! En effet, cela fait déjà quatre ans qu’elle est alimentée et enrichie, promotion après promotion, par les étudiants qui croisent son chemin. Mais pour aller plus loin encore, il est parfois nécessaire de retourner aux origines. C’est ainsi que la rédaction est allée à la rencontre de l’un des fondateurs de Barbarie, Gerardo PerforsBarradas. Morceaux choisis. le petit Quand étais-tu étudiant dans le master Affaires Européennes de Paris-Sorbonne ? plus J’ai étudié au sein du Master Affaires Européennes de la Sorbonne entre 2009 et 2011. Cette formation était encore jeune, bien qu’à ce moment-là, environ 4 promotions d’étudiants avaient déjà essuyé les plâtres avant nous. Vers quoi t’es-tu dirigé après le master ? Dans quel domaine travailles-tu actuellement ? Après le master, j’ai réalisé mon stage de fin d’études à Bruxelles, dans le Département d’Affaires publiques et environnementales du Groupe Volvo. Mon travail s’est concentré sur la réputation numérique de l’entreprise au niveau mondial ainsi que sur le développement du réseau affaires publiques de l’entreprise à l’international. Actuellement, mon rôle consiste à établir des dossiers relatifs à la réputation de l’entreprise en lien avec des thèmes qui sont importants pour elle : l’environnement ou la sécurité routière par exemple. Je suis aussi community manager. Dans les prochains mois, je vais cependant me rapprocher davantage du Comité d’Affaires publiques de l’entreprise ainsi que de la coordination de ses activités de lobbying. Pour en venir au cœur du sujet, tu es l’un des fondateurs de la revue Barbarie, tenue par les étudiants du Master Affaires Européennes. Comment t’es venue l’idée de créer celle-ci ? L’idée m’est venue, à moi et à d’autres étudiants du master, parce que nous avions déjà tous écrit auparavant, que ce soit dans le cadre de nos études – nous avions rédigé des mémoires – ou dans d’autres contextes. J’ai moi-même notamment écrit des critiques de livres. Nous avions écrit des choses, souhaitions donc les partager mais aussi en écrire de nouvelles. Combien d’étudiants étiez-vous ? Qui gérait l’ensemble ? Comment choisissiez-vous les thématiques ? Au total, nous étions quatre permanents, Jannis, Lise, Katharina et moi-même (avec beaucoup d’autres contributeurs spéciaux). Je coordonnais la réalisation des articles et l’ensemble des rédacteurs, je m’occupais de la mise en page et je savais que je pouvais compter sur au moins trois autres étudiants qui fourniraient des articles à chaque numéro. Pour le choix des sujets, tout se faisait de manière très libre. Chacun écrivait sur ce qu’il voulait et 39 le PETIT PLUS nous trouvions un fil conducteur une fois que nous disposions de l’ensemble. Le plus important pour moi était de créer un forum où nous pouvions nous exprimer librement sur les sujets qui nous tenaient le plus à cœur. A présent, une question qui brûle les lèvres de bon nombre d’étudiants du Master : peux-tu nous raconter l’origine exacte du nom de la revue ? Je souhaitais faire réfléchir les gens sur la question de l’altérité, de l’« autre ». Au cours de ma licence en études européennes, que j’ai effectuée aux Pays-Bas, je me suis intéressé au concept de « barbarie ». Le terme de « barbare », qui désignait les peuples migrateurs germains et celtes notamment, est souvent entendu et compris comme péjoratif. Mais c’est une réduction de sa signification, car, chez les Germains et les Anglosaxons par exemple, il renvoie également à une certaine fierté. On est fier d’être Batave, Goth, Saxon, etc. Les Celtes aussi par exemple ont été considéré comme barbares, et puis revendiqués culturellement (pensez à Vercingétorix…). La manière d’appréhender le terme de « barbare » est ainsi liée à des préjugés, à une méconnaissance de l’autre et à des jugements relatifs. L’extrême droite européenne considère le voile intégrale islamique comme barbare, tandis qu’une critique islamique fréquente de la société occidentale se concentre sur l’objectivisation des corps des femmes dans la publicité, la pornographie. Le but était ainsi de provoquer et d’amener à la réflexion. Car, au fond, nous vivons aujourd’hui dans un monde brutal, même si l’on ne s’en rend pas toujours bien compte. Je pense à une citation de Susan Sontag en 1967 : « Mozart, Pascal, l’algèbre booléenne, Shakespeare, le parlementarisme, les églises baroques, Newton, l’émancipation des femmes, Kant, les ballets de Balanchine, et al. n’absolvent pas ce que cette civilisation particulière a infligé au monde. » Je ne sais pas si je suis d’accord avec ces propos. La réponse n’est pas évidente mais elle me parait nécessaire pour 40 comprendre le rôle que l’Europe peut jouer dans le monde. Il existe tellement de revues en ligne qui parlent de l’Europe d’une façon acritique. Je voulais que l’on se démarque. Dans quelle langue écriviez-vous ? Traduisiez-vous les articles ? Les étudiants écrivaient dans leur langue, et nous publiions les articles dans la langue originale, pour peu que celle-ci soit compréhensible par un grand nombre de lecteurs : en italien, espagnol, anglais, allemand, etc. A l’époque, nous ne traduisions pas les articles car nous voulions confronter le lecteur avec la diversité des cultures en Europe. Nous voulions faire comprendre qu’elle existe. Il fallait que le lecteur comprenne les choses telles qu’elles sont. Barbarie hiver 2013 - 2014 Ce serait bien de promouvoir davantage le magazine sur les réseaux sociaux. Et de cibler les gens, pourquoi pas. Avec 50 euros, on peut déjà faire du ciblage sur Facebook et atteindre des publiques beaucoup plus vastes. Ce que je suis en tout cas heureux de retrouver dans Barbarie, et que nous avions déjà en tête il y a quelques années, c’est de ne pas en faire une revue « purement institutionnelle », de garder à l’esprit que l’Europe, c’est une civilisation, qui abrite des cultures, des régions. De ce point de vue, les concepts sont restés les mêmes, et c’est une bonne chose. Et tu continues d’ailleurs à écrire puisque tu as récemment écrit un article13 pour l’organisation « Young Professionals in Foreign Policy » qui fait le buzz en ce moment à Bruxelles. Peux-tu nous en dire davantage sur le sujet que tu as traité ? En tant qu’ancien éditeur et rédacteur de la revue, que penses-tu des derniers numéros de Barbarie ? Je suis extrêmement content et cela fait plaisir de voir que le travail continue. Je vois aussi que vous vous êtes approprié la revue et que vous faites à présent certaines choses de manière différente. Par exemple, nos articles étaient beaucoup plus longs, ils pouvaient aller jusqu’à 7, 8 ou 9 pages. Nous publiions parfois des recherches réalisées par les étudiants. En effet, les étudiants écrivent des choses très intéressantes qui ne sont finalement lues que par leurs professeurs. L’idée était donc notamment de partager ces travaux, que ceux-ci ne se perdent pas. Alors que nous avions davantage le format d’une revue académique, vous vous êtes dirigés vers un format « média » européen. Par ailleurs, vous imprimez les numéros à présent, ce qui est vraiment super. Nous, à l’époque, nous avions pris le parti de ne même pas essayer d’imprimer. A ce moment-là, nous pensions que « l’époque du papier » était révolue. Qu’est-ce qui pourrait être encore à développer selon toi ? Tout cela vient du fait que j’ai réalisé une liste publique des députés européens qui utilisent Twitter. Avant cette liste, rien de similaire n’existait, en tout cas pas sous la forme que je lui ai donnée. Le secrétariat du Parlement européen établissait certes ses propres listes d’utilisateurs de ce réseau social, mais jusqu’à présent, il n’en recensait que 250 ; j’en ai répertorié 466. Comment as-tu procédé pour établir cette liste ? J’ai analysé et combiné plusieurs listes que j’ai rassemblées. J’ai également pu extraire certaines informations des différentes listes que j’ai utilisées. On peut donc savoir par exemple quand le compte d’un député a été créé mais aussi combien de tweets il publie chaque jour. Merci beaucoup ! v ers une remise en cause du modèle productiviste exploitant l’animal Kenzo Crespin «Pourquoi tuer lorsqu’on peut faire autrement ?» L’émergence des protestations en faveur de l’arrêt de l’exploitation non-humaine posent les bases d’un éventuel bouleversement du système de production fondé sur l’omnipuissance de l’homme sur l’animal. L’Union européenne se montre juridiquement peu favorable à des mesures radicales, bien qu’elle s’engage pour une certaine éthicité du système, et que des changements graduels aient pu être constatés. Au cours des dernières années, les mouvements de défense de la cause animale ont pris de l’ampleur jusqu’à atteindre un stade ou le grand public, s’il témoigne d’un intérêt minime à leurs engagements, peut en arriver à imaginer la remise en cause potentielle de plusieurs décennies de traditions anthropocentrées : viande, foie gras, fourrure, corrida, etc.... Pour ne citer que quelques récents événements, le 28 septembre 2013, un grand rassemblement s’est organisé contre l’ouverture d’une «ferme-usine» de 41 le PETIT PLUS 1000 vaches dans la Somme ; le 12 mai 2013 à Alès (Languedoc‑Roussillon), une manifestation contre le spectacle de corrida a tourné à l’affrontement ; le 2 novembre dernier en Belgique a eu lieu un grand défilé contre un élevage de 106 000 visons pour leur fourrure. A la lumière de ces signes de protestation, il est possible de percevoir un changement dans les mentalités, qui paraissent de plus en plus réfractaires aux actes de production dénués d’empathie que l’on observe actuellement. Des alternatives apparaissent alors, comme le mode de vie dit «végan» qui rejette toute exploitation des non-humains. L’abolition totale des méthodes de production basées sur l’exploitation et la mort animale risque, à moyen terme, de rester un doux rêve pour ses partisans. Aucun agenda politique, de près ou de loin, n’envisage de telles mesures. Néanmoins, il reste possible de s’interroger sur les réglementations adoptées au niveau européen pour réguler ces pratiques qui sont en grande partie (à hauteur de 80% en France, contre 98% en Allemagne) d’origine industrielle. Dans quel sens les législations européennes évoluentelles donc quant à la question de la prise en compte des intérêts animaux ? Quelles sont les avancées, et où demeurent les faiblesses ? Des avancements récentes, mais significatifs L’association militante L214 juge que « globalement, les avancées réglementaires sur la protection des animaux dans les élevages sont avant tout le fait de l’Union européenne. La France a plutôt tendance à freiner les évolutions positives proposées dans le secteur de l’élevage. » Ainsi, les conditions de transport sont réglementées, notamment par le règlement CE 1/2005 qui impose des système d’abreuvement et de ventilation à l’intérieur des véhicules de transport ainsi qu’un certificat de 42 conformité de ceux-ci, délivré par la Direction des Services Vétérinaires du département concerné. Un «étourdissement» préalable à l’abattage est requis (directive 93/119/CEE de 1993). Il existe également des directives récentes sur les conditions d’élevages des veaux, des cochons, des poules pondeuses et des poules à viande (la première à entrer en vigueur fut celle de janvier 2007 qui accorde aux veaux un espace et une nourriture plus convenables). Des avancées à l’initiative directe des pays ont également été constatées. Ainsi, la méthode de production du foie gras, le gavage, qui contrevient au principe de «bien-être» des animaux d’élevage énoncé dans les réglementations européennes, est interdit dans de nombreux pays de l’Union européenne tels le Royaume-Uni, l’Allemagne (depuis 1993), la Pologne (depuis 1999), ou encore l’Italie (depuis le 1er janvier 2004). L’interdiction pure et simple de la production et de la vente du foie gras dans l’Union européenne est en débat depuis 2012, à l’initiative de plusieurs députés. Barbarie hiver 2013 - 2014 de mise aux normes constituant des contraintes de temps et de dépenses, donc des freins au profit. En France, les lobbies seraient soutenus par le Ministère de l’Agriculture lui-même.14 « D’autres voies » que le modèle actuel existent, clame l’association L214. Celles-ci passeraient néanmoins davantage par une responsabilisation globale des consommateurs que par de nouveaux projets de loi. L’Union européenne ne s’est cependant pas engagée dans la voie de la lutte contre la corrida, puisque le traité d’Amsterdam (2 octobre 1997) a écarté l’application des règles concernant le « respect du bien-être des animaux en tant que créatures douées de sensibilité » en cas de « tradition culturelle ». W hat is European Challenges are still ahead of us. culture? Fanny Cohen Des limites manifestes à la réglementation Néanmoins, les avancées sont insuffisantes aux yeux des défenseurs de la cause animale. Ces derniers mettent en avant des conditions prévues par la loi non respectées (comme celle sur le gavage) ou simplement une législation lacunaire. Même dans le cas où elles sont respectées, L214 pointe le fait qu’elles ne font « qu’apporter des aménagements marginaux aux pratiques de l’élevage intensif ». La castration à vif des porcelets est par exemple toujours autorisée. La lutte contre les lobbies des filières agro-alimentaires, pour qui la rentabilité économique prime sur toute autre considération, parait difficilement gagnable pour leurs opposants. Ces lobbies feraient ainsi pression sur la Commission européenne pour qu’elle dénature les textes qui prévoient pour les bêtes des conditions d’existence améliorées - les exigences According to the concept of Europeanism, the people of Europe share a distinctive set of political, economic and social norms and values. One of the authors supporting this idea, the political scientist John Mac Cormick reckons that the European people share, among others, values such as secularism, multiculturalism, opposition to capital punishment. A similar idea was developed by Bassam Tibi, a German political scientist and Professor of International Relations with the concept of Leitkultur. He himself sees the Leitkultur as a form of multiculturalism composed of western values such as modernity, democracy, secularism, Enlightenments values, human rights and civil society. On no account can we doubt that European states have certain values in common. However, can we say today that European culture has led to a geopolitical unit? According to Ernest Gellner in his work Nations and Nationalism, this is not yet the case. For him, a political or state entity will have to prefigure the creation of a broad, collective identity. At present, European integration co-exists with national loyalties and national patriotism. But if the creation of a state entity is the condition for a collective identity, could the currently ongoing European political construction lead, in the long run, to a set of values designing a broader identity, to a new European culture? In that case, what would this identity look like? And would it necessarily replace or diminish already existing state-based values? Currently, European organizations, to a large extent the Council of Europe and the European Union are attempting to shape a frame for European culture. For example, Robert Palmer, director for Democratic 43 le PETIT PLUS Governance, Culture and Diversity of the Council of Europe has mentioned some issues that have to be raised by his directory. He particularly warns us of nationalistic tendencies and of the risk not to take into account contemporary creation and European minorities. He also brings up the change in the kind of cultural objects due to technological advances. Within the institutions of the European Union, some initiatives can be mentioned. For example the nomination each year of the European Capital of culture or the so-called European border breakers awards competition between European singers and bands. Surely aimed at bringing European citizens closer together, but without any doubt also at giving the institutions greater credibility among European citizens, these measures may play a role in the process of “Europeanization of culture”, of the creation of a European cultural unit. But other important phenomena shouldn’t be forgotten when talking about the present-day and future evolutions of European culture. In his work “The Empathic Civilization’s: Rethinking Human Nature in the Biosphere Era”, Jeremy Rifkin, an American economist puts an end to what he calls “long-held shibboleths” introduced by Enlightments philosophers, i.e. to the fact that humans are autonomous, self-centered and materialistic human beings. In it, he explains that according to recent discoveries in brain science, all humans have “empathy neurons”. This would have enabled humans to bring out their empathic sociability to always bigger groups of people. From blood identification to national identification, we could observe a progressive detribalization of human societies. This evolution could occur thanks to different steps of communication revolution. The result of today’s digital communication revolution is a continentalization and the flourishing of empathy on a global scale. According to Rifkin, the European Union is an example of this developing empathic society. 44 But while Rifkin, on the other side of the Atlantic, has been developing this concept, European countries have been questioning their own identities, cultures and values. Sometimes they put them or new ones on a pedestal or do not accept them, not really knowing which one they had to consider as part of themselves and which not. European identity doesn’t seem to be as fixed and as self-evident as one could think and debates on Europeans’ angst of too much EU-federalism, on difficulties in solving immigration problematic or on globalized mass-culture are animated. In 2010 for instance, Germany’s cultural model and its integration of different cultures was questioned. Thilo Sarrazin’s book “Deutschland schafft sich ab”, denounces the failure of Germany’s post-war immigration policy, sparking a nation-wide controversy about the costs and benefits of the ideology of multiculturalism. After that, German chancellor Angela Merkel speaking to a meeting of young members of her Christian Democratic Union party declared that the idea of “people from different cultural backgrounds living happily side by side utterly failed”. At this moment started there a debate on the Leitkultur and what it is supposed to be composed of. As said before, the concept of Leitkultur was first developed by Bassam Tibi as a form of multiculturalism describing western countries’ culture. It was then reused by politicians, notably by Thilo Sarrazin as the “core culture of a nation that has to be considered and respected as the main one”. In 2011, in France, the French politician Christine Boutin presented a petition proposing that the Christian roots of Europe be officially recognized in the EU texts. More recently, the French weekly “Le Point” ran as a headline “The polemic Finkielkraut: can we still be French?”. In his last lapoonist book, released in October 2013, the essayist questions French identity and deplores the progressive loss of one of its main principles, secularism. The Old Continent invokes cosmopolitism but renounced all universalist perspective, as if there were no values anymore to put forward to the world, he argues. Barbarie hiver 2013 - 2014 At the national level, the question of what national and European identity and culture consist in and of what they have potentially lost is raised. But are we sure this is the real question to be asked? In an article published in the Guardian, the Slovenian philosopher Slavoj Žižek makes the following analysis about European culture: “Instead of bemoaning the newly emerging racist Europe, we should be self-critical, asking to what extent our own abstract multiculturalism contributed to this sad state of things. If all sides do not share or respect the same civility, then multiculturalism turns into legally regulated mutual ignorance or hatred. The conflict about multiculturalism already is one about Leitkultur: it is not a conflict between cultures, but between different visions of how different cultures can and should co-exist, about the rules and practices these cultures have to share if they are to co-exist.” Žižek calls for a decision that has to be taken. We, Europeans have not to choose which cultures have to or may be part of the European culture. We have to choose how different cultures can and should co-exist, to decide on the rules and practices these cultures have to share if they are to co-exist. Only a few months away from the European elections, and while Europe is still stuck in the crisis, these tough reflections tend to be avoided or simplified. There is no easy answer to that problematic but this doesn’t mean that it cannot be posed. E " uropunk ", ou le punk à l’Européenne à la Cité de la Musique Alessandra Marano Paris. Parc de la Villette. Cité de la Musique. A l’affiche depuis le milieu du mois d’octobre 2013, l’exposition « Europunk », dont on retrouve le poster publicitaire représentant une Elizabeth II postmoderne un peu partout dans les couloirs du métro parisien. On y voit une image qui avait été utilisée pour la pochette du single God Save the Queen des Sex Pistols. Jusqu’au 19 janvier 2014, la possibilité nous est donnée de faire une plongée dans l’Europe punk des années 70 pour seulement 9 euros (et 5 euros lorsqu’on a la chance d’avoir moins de 26 ans). Et pour les amateurs de grasses matinées, des nocturnes sont prévues jusqu’à 22 heures les vendredis et samedis. A leur arrivée, les visiteurs sont accueillis par la musique des Sex Pistols et découvrent une série des panneaux présentant une timeline de 1975 à 1980, conçue par David Sanson, commissaire associé de l’exposition. D’un côté, on retrouve la chronologie des événements principaux de l’actualité du monde entier, de l’autre la chrono-discographie du mouvement punk en Europe. Ces deux frises lient ainsi les différents espaces de l’exposition. Les deux premières salles sont des véritables collections de toutes formes artistiques du mouvement punk anglais (dans la première salle) et français (dans la deuxième) : pochettes de disques, 45 Le petit plus affiches, tracts, dessins, BD, roman-photos, t-shirts et pulls dessinés par Vivienne Westwood - précurseur incontesté de la mode punk elle-même ! Petit coup de cœur personnel pour la dernière salle dédiée à une forme de punk plus romantique, la New Wave. Dans cette salle, c’est le groupe Joy Division qui passe en boucle, conduisant doucement le visiteur vers la fin du parcours. Mais ce n’est pas fini ! Des activités interactives vous attendent au sous-sol : le Jukebox Punk, des juke-box tactile postmoderne (des iPads pour faire simple) qui proposent une sélection musicale punk « européenne », une exposition des photos des années 70 signée par le collectif « Belle journée en perspective » et un atelier où l’on peut fabriquer son badge « punk » personnalisé. Et pour les plus fanatiques, l’atelier « Play It » propose de sessions gratuites d’enregistrement avec des musiciensmédiateurs. Dès le début de la visite, l’ambition de cette exposition est claire : redonner de la valeur à et une dimension visuelle à un mouvement connu surtout pour son influence musicale. Eric de Chassey, directeur de la Villa Medicis à Rome, historien de l’art et commissaire de l’exposition, a conçu ce projet afin de « redonner un crédit artistique à toute une culture visuelle spécifique qui s’est pourtant bâtie en totale opposition à l’art » 15. Sex Pistols et Bazooka sont au centre de la présentation « audio-visuelle » des deux premières salles. En particulier dans la deuxième, celle consacré au Bazooka le groupe-collectif artistique du punk à la française, il est frappant d’observer le nombre des dessins et de BD montrant la forte réaction artistique à la société des années 70. Dans une affiche du 1976 de Kiki Picasso, membre de Bazooka, on peut notamment lire le slogan « Toute l’Europe entre nos mains ». Une affiche emblématique d’un mal-être ressenti par tous les jeunes Européens de ces années : l’exclusion sociale, les guerres, la crise pétrolière se traduit chez les jeunes en crise d’identité, pétris d’incertitudes quant à l’avenir et rejetant l’ordre établi. Les célèbres slogans «No future», «Anarchy» ou encore «Punk is not 46 Barbarie hiver 2013 - 2014 dead» cristallisent alors les frustrations d’une frange de la jeunesse qui, malgré tout, parvient à transformer son désespoir et sa vitalité en un mouvement culturel inédit. Parmi toutes les formes d’héritage artistique punk rassemblées dans cet espace d’exposition nous est dévoilée une volonté de changer le monde à travers une nouvelle esthétique. Ou plutôt de donner forme à une nouvelle idée de monde et - dans ce cas plus détaillé – de l’Europe. Mais voici le point faible. Le titre Europunk montre un choix précis de se concentrer sur une aire géographique définie. Cependant, malgré cela, les références ne sont pas explicites. Le visiteur est invité à écouter et à regarder a travers des écouteurs reliés à des vieux téléviseurs à tubes cathodiques les vidéos des groupes punks anglais, italiens, français, allemands, etc. Ainsi il se retrouve face à un mélange chaotique d’images et de sons en différentes langues dont il ne comprend pas totalement le sens et qui, ainsi, ne perçoit pas le fil rouge qui aurait probablement dû être davantage développé. Pourquoi le punk en Europe s’est-il caractérisé par un développement artisticovisuel aussi marqué ? L’exposition nous en apporte certes les preuves, mais pas les causes. 47 Barbarie hiver 2013 - 2014 http://spire.sciences-po.fr/hdl:/2441/9labe9r4se65i 789685q56gb2/export/cv/cv-Rupnik-Jacques.pdf 1 Texte législatif adopté par la Croatie le 28 juin 2013, juste avant son entrée dans l’UE qui prévoyait que les mandats d’arrêt européens ne pouvaient s’appliquer pour des crimes commis avant 2002. Sont ainsi exclus ceux commis à l’époque yougoslave et pendant la guerre serbo-croate (1991-1995). Cette législation est surnommée la loi Perkovic, du nom d’un ex-responsable de la branche croate des services de renseignement yougoslaves (UDBA), recherché en Allemagne dans le cadre d’une enquête sur l’assassinat d’un dissident croate, Stjepan Djurekovic, en 1983. Le 4 octobre 2013, la Croatie se pliait finalement aux pressions de l’Union européenne en annulant les dispositions limitant la portée du mandat d’arrêt européen. Voir http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/08/28/ colere-et-menaces-de-bruxelles-contre-la-croatie-ausujet-du-mandat-d-arret-europeen_3467546_3214. html et http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/ reding/multimedia/news/2013/09/20130918_fr.htm 2 Arrestation d’Ante Gotovina et ouverture des négociations avec l’Union européenne http://www. cronet.org/actualites/gotovina-arrestation-2005.htm 3 NOTES Voir l’article paru dans Le Monde le 27 avril 2012 http:// www.lemonde.fr/economie/article/2012/04/27/ pologne-la-bombe-a-retardement-d-une-populationvieillissante_1692381_3234.html 8 S. Stodolak, Imigranci rzadko wpływają na gospodarkę kraju, który wybiorą [rarement les immigrés influencent l’économie du pays choisi]. http://www. obserwatorfinansowy.pl/tematyka/biznes/imigrancirzadko-wplywaja-na-gospodarke-kraju-ktory-wybiora/ 9 Le Monde, 5 mai 2012 http://www. lemonde.fr/europe/article/2012/05/05/grecepourquoi-un-parti-neonazi-pourrait-entrer-auparlement_1695987_3214.html 10 Euractiv, 30 septembre 2013 http://www.euractiv. com/eu-elections-2014/greek-justice-hits-neo-nazigold-news-530773 11 Source : The Forum Poll http://www.forumresearch. com/the-forum-poll.asp 12 Pour lire l’article : https://ypfp.org/blog/2013/10/ democracy-twiplomacy-and-accountability-europe-0 13 D’après L214, http://www.l214.com/legislation-surla-protection-animale. 14 Le 19 avril 2013, un accord visant à normaliser les relations entre la Serbie et le Kosovo a été conclu dans le cadre du dialogue facilité par l’Union européenne. http://eeas.europa.eu/top_stories/2013/190413__ eu-facilitated_dialogue_fr.htm 4 5 Extrait de l’entretien publié dans « La revue de la Cité de la musique » N.72. 15 Le pays a obtenu le statut de candidat en 2005. Les élections municipales ont eu lieu le 3 novembre dernier. Bien qu’encouragées par Belgrade à participer au scrutin pour la première fois depuis l’indépendance proclamée en 2008, les minorités serbes ont peu voté. 6 L’Europe au coeur du monde sanctuarisé, est une carte réalisée par Philippe Rekacewicz en 2011. 7 49 Impression rendue possible par le soutien du FSDIE (Fonds de Solidarité et de Développement des Initiatives Etudiantes) de l’université Paris-Sorbonne et par le CROUS de Paris. 50 51 hiver 2013 - 2014 52