ELLE - 16/12/2016 - N° 3704
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ELLE - 16/12/2016 - N° 3704 Le chaManisMe L’expérience extrasensorielle de la BD « L’odeur des garçons affamés ». Le surnatureL asa Butterfield et ella Purnell, dans « Miss Peregrine et les enfants particuliers ». Le sPiritisMe La lycéenne médium de « Bouche d’ombre ». La sorceLLerie eddie redmayne et Katherine Waterston dans « Les animaux fantastiques ». La Magie noire tilda swinton et Benedict cumberbatch dans « Doctor strange ». PageL’onirisMe 1/3 rené Magritte : « Le Double secret » (1927). L’au-DeLà Kristen stewart communique avec son frère mort dans « Personal shopper ». jay maidment/2016 twentieth century fox film corp ; courtesy loo hui phang & frederik peeters, courtesy carole martinez & maud begon/casterman Èditions ; 2o16 marvel ; jaap buitendijk/2015 warner bros entertainment & ratpac-dune entertainment ; georges meguerditchian/coll. centre pompidou, musée national d’art moderne/adagp ; prod. 16 dÉcembre 2o16 ELLE - 16/12/2016 - N° 3704 phénomÈne Esprit, Es-tu là ? Les Fantômes hantent Les Écrans, Les mÉdiums murmurent à L’oreiLLe des cheFs d’Ètat et Les sorciÈres sont parmi nous… Qu’on y croie ou pas, Le surnatureL envahit notre existence. dÉcryptage d’une tendance Étrange et excitante. Avec son casting ultra classe (Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg, Mathieu Amalric, Louis Garrel), le prochain film d’Arnaud Depleschin raconte l’histoire d’un homme qui voit débarquer dans sa vie un ancien grand amour, une femme morte depuis vingt ans (« Les Fantômes d’Ismaël », en salle en 2017). Deux bandes dessinées donnent aussi dans le genre « bizarre bizarre » : l’une vient d’obtenir le prix Landernau avec une histoire de photographe spirite (« L’Odeur des garçons affamés », de Loo Hui Phang et Frederik Peeters, éd. Casterman), l’autre narre les aventures d’une lycéenne qui se découvre un don de médium (« Bouche d’ombre », série signée Carole Martinez et Maud Begon, éd. Casterman). Côté libraires, le best-seller grand public du moment est un roman d’aventures ésotérique (« Le Premier Miracle », de Gilles Legardinier, éd. Flammarion) et un essai confidentiel marche étonnamment bien : « Croire aux forces de l’esprit » (éd. Fayard), dans lequel Marie de Hennezel évoque la fin de vie et donc les liens entre la vie et la mort. Le monde des esprits hante l’époque jusqu’à faire irruption dans la vraie vie, « IRL » (In Real Life) comme on dit sur les réseaux sociaux. En « Les sorcières sont parmi nous », annonce la bande-annonce du Corée du Sud, une médium vient de déclencher une affaire d’Ètat : blockbuster « Les Animaux fantastiques », film de David Yates écrit adepte du chamanisme, cette sorcière sans chaudron prétendait par J.K. Rowling. Quand la créatrice de « Harry Potter » lance des faire communiquer la présidente, Park Geun-hye, avec sa mère décécréatures magiques dans un New York stylisé, elle fait un carton pla- dée en 1974… et influençait du coup les grandes décisions du pays. L’actu plus déjantée encore que la série « Les nétaire. Les sorcières sont parmi nous, mais Revenants », plus strange que la prochaine saiaussi les fantômes, les revenants et une multison de « Twin Peaks » (en 2017), plus hantée par tude d’êtres doués de dons surnaturels : en les mythes que « Vaiana, la légende du bout du cette fin d’année où l’esprit de Noël le dispute monde », le nouveau Disney ? Bon sang, mais à l’âpre réalité de l’actualité, la magie, le spirique se passe-t-il dans notre société rationnelle tisme, l’étrange et l’inexpliqué sont partout. Au et matérialiste, terrassée par le réel ? La vogue cinéma, quatre sorcières dépoussièrent le des licornes, ces petites bestioles magiques genre mystique, métamorphosé d’un coup de déclinées à l’infini pour nous sauver du marasme baguette en néo-hype troublant : Lily-Rose du XXI e siècle, annonçait déjà la couleur. Depp débarque avec Natalie Portman dans Aujourd’hui, c’est une déferlante abracada« Planétarium », de Rebecca Zlotowski, sous les brante ! De quoi cette soif de l’étrange est-elle traits d’une spirite communiquant avec les le nom ? La réponse viendra-t-elle du ciel si l’on morts. Tilda Swinton joue la magicienne sophisfrappe trois coups sur une calebasse ? tiquée, genre de mage de Katmandou, dans Cette vague est en lien avec l’importance prise « Doctor Strange », de Scott Derrickson, noupar Internet et les réseaux sociaux. « Et aussi des velle production des studios Marvel-Disney qui jeux vidéo, qui ont un impact très fort sur notre célèbre les arts mystiques et propose de « quesimaginaire parce qu’ils ouvrent la possibilité de tionner la réalité ». Eva Green est une ensorcen at h a L i e d a m e r y, vivre des vies parallèles sans limites, ajoute leuse raffinée dans « Miss Peregrine et les p o Lito Lo g u e Nathalie Damery, présidente de l’ObSoCo Enfants particuliers », de Tim Burton. Mi-femme (L’Observatoire société et consommation). Dans magnétique, mi-oiseau métaphysique, elle vit dans un monde parallèle, entourée d’enfants aux dons surnaturels. “World of Warcraft”, le joueur devient un fantôme après sa mort, Kristen Stewart vogue aussi entre deux mondes dans « Personal mais il peut continuer à jouer ! En mettant en scène des mondes Shopper », d’Olivier Assayas, médium en deuil de son frère, recevant virtuels, la magie est une forme de résilience qui permet à l’imaginaire de repousser l’angoisse de notre temps. Comme les des signes de l’au-delà sur l’écran de son Smartphone. par Dorothée Werner La Magie PerMet à L’iMaginaire De rePousser L’angoisse De notre teMPs. 151 Page 2 / 3 E L L E .Fr ELLE - 16/12/2016 - N° 3704 phénomÈne e s - t u enfants se créent des vies ou des amis dans leur tête, on se réfugie dans des mondes où tout est possible pour conjurer la morbidité destructrice de l’époque. La technique, le Net et les Smartphone encouragent l’idée magique d’une “second life” promettant monts et merveilles. » cet engouement pour le paranormal serait-il aussi le signe d’un retour décalé du religieux ? « Les fantômes dont nous parlent les spirites sont les avatars postmodernes des religions officielles, c’est la manifestation du surnaturel au cœur de la vie, sous une forme presque laïque, analyse Benjamin Simmenauer, philosophe de formation et professeur à l’Institut français de la mode. Cela accompagne le constat que les moyens rationnels et la civilisation matérialiste n’arrivent pas à résoudre les difficultés de l’existence. » Le peintre Magritte, exposé à Beaubourg (« La Trahison des images », jusqu’au 23 janvier), ne dirait pas autre chose, lui qui place les visiteurs de 2016 dans un étrange état d’apesanteur : « Le mot Dieu n’a pas de sens pour moi, mais je le restitue au mystère, pas au néant. » l à ? où les guerres et les menaces vitales étaient derrière nous. Le contexte économique et politique instable ravive cette angoisse, alimentée par l’accélération du temps, qui laisse croire que l’on va mourir sans avoir rien vécu. Ce sont les dirigeants de Google, architectes de cette accélération, qui rêvent en premier lieu de repousser les limites de la mort, en créant un homme éternel, et ce n’est pas un hasard ! Èvoquer les esprits, fantasmer l’immortalité, est une manière de conjurer nos pires angoisses. » 16 décembre 2o16 e s p r i t , L’idée que tout fout le camp explique donc cette soif de magie : « C’est un repli vers du déjà connu, du passé rassurant, conclut le philosophe. On emprunte aux sorcières, aux rituels magiques, aux spirites du XIXe siècle. » Il suffit pour s’en convaincre de voir l’apparition de Benjamin Biolay dans « Personal Shopper », en Victor Hugo, à l’époque où il faisait tourner les tables dans les tempêtes de l’île de Jersey ! Mais, pour Benjamin Simmenauer, le surgissement des fantômes pose une question plus existentielle encore : « Les êtres humains ne seraientils pas en train de devenir des fantômes eux-mêmes ? C’est l’idée que la dématérialisation du monde rend les identités virtuelles, sur les réseaux sociaux, l’image est plus importante au centre de cette vogue de l’étrange, flotte que la réalité et l’expérience n’a pas d’existence bien sûr la grande question de la mort : « Avec si elle n’est pas postée. Nous devenons immaou sans tables tournantes, le spiritisme cherche tériels… comme des spectres. » Une chose est à établir un contact avec des personnes décésûre et ce n’est pas une prévision de boule de dées pour qu’elles délivrent des messages, cristal : « Un nouveau monde arrive », comme le creuse Benjamin Simmenauer. La mort a disparu b en ja min sim m enau er, claironne la chanson du film de Tim Burton. des représentations sociales, elle n’a plus de p hiLo s o p h e Mystère et boule de gomme. En attendant, il symbolique associée, nous ne sommes plus éduqués à la vivre. Si elle ressurgit de manière aussi importante, c’est nous reste l’art, qui s’accomplit, comme disait Magritte, « pour qu’apla conséquence de ce déni. Mais c’est peut-être aussi lié à l’idée que paraisse la poésie et non pour que le monde soit réduit à la variété nous avons perdu le sentiment de vivre dans un monde confortable, de ses aspects matériels. » Sauvés ? n Les fantôMes Dont nous ParLent Les sPirites sont Les avatars PostMoDernes Des reLigions officieLLes. tilda swinton dans « Doctor strange ». « Le cinéma permet de rendre visible l’invisible depuis ses débuts, explique Ollivier Pourriol, philosophe et spécialiste du 7e art*. La technique de la 3 D amplifie le caractère miraculeux des images, comme dans “Doctor Strange”. La communication avec les esprits, c’est la promesse même du cinéma, qui permet de communiquer non seulement avec des personnages fictifs ou des acteurs morts, mais aussi avec les autres humains de la salle. Les spectateurs sont reliés par ce qu’ils ont vu, c’est quasi télépathique ! On s’enferme dans le noir, devant des images qui recomposent des morceaux de vie, comme Victor Hugo lors de ses séances de spiritisme. Le cinéma est un outil de compensation psychique quand la vie est difficile. Dans les années 30, on constate une multiplication de films improbables et presque grotesques. La magie est le stade ultime de la fiction. L’idée que la matière ne peut pas résister à la volonté est une idée enfantine, c’est un rêve éveillé. À un moment où la démocratie devient problématique, la magie fonctionne au cinéma en rassemblant au-delà des frontières. Elle nous relie avec l’idée que, dès que l’on est humains, spectateurs du même film, émus par les mêmes choses et menacés par la finitude, nous sommes égaux. » * retrouvez ses « ciné-conférences », à la Philharmonie de Paris. 152 Page 3 / 3 E L L E .Fr 2o16 marvel La Magie Du cinéMa