Lire un extrait - Editions Persée

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 LA TISANE DU PETIT LUTIN ROUGE
Joannie Brunel
La tisane du petit
lutin rouge
Roman
Éditions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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© Éditions Persée, 2015
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INTRODUCTION
TOUCHER LE FOND
Depuis de nombreuses années, la vie la chahute méchamment.
Les enfants, de bon cœur, veulent venir au secours de leur mère,
Hélène, qu’ils voient avec inquiétude ramer depuis trop longtemps.
Ils sont arrivés, ils ont palabré, elle a expliqué, s’est expliquée,
les a écoutés, a compris leur démarche mais aussi perçu leurs
limites et dit oui…
Et ça brasse et ça brasse ses affaires, sa vie dans des sacs et des
cartons et on charge.
Dans le camion de location, on parle et on débat de choses
et d’autres. Hélène répond à l’à peu près. À l’arrivée, on vide
le camion. Et ça brasse et ça brasse ses affaires, sa vie. Tout se
déverse rapidement dans ce nouvel appartement, nouveau lieu
pour un nouveau départ.
Un moment de flottement, une embrassade un peu tristouille et
ils sont repartis. Et Hélène est là, plantée dans ce silence qui ponctue finalement cette journée de chahut impromptu.
Quelle incroyable lourdeur ! Quel blues grave de chez grave !
Le temps dehors trouve en plus le moyen pervers d’être au diapason. C’est dans l’obscurité gênante d’un ciel trop gris, trop bas et
l’humidité pernicieuse d’un printemps qui ne sait plus quitter ses
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giboulées pénibles qu’Hélène doit poser les yeux sur ce nouveau
décor. Cela lui semble étroit mais quand même, tout bien pesé
assez sympathique. Elle regarde longuement tout autour d’elle.
Son regard glisse sur le marbre vrai ou faux de la cheminée, se
promène sur les volutes surannées des imprimés du papier peint.
Elle soupire et bataille en même temps contre un mal de ventre
gargouilleur qui l’empêche de vraiment s’acclimater en toute sérénité à cet espace curieux d’appartement dans une vieille maison
de village. Oh, non ! Elle ne va pas encore tomber dans ses sempiternelles crises d’angoisse ! On entend au loin, le bruit de la circulation routière, qui parvient par vagues, cliquetis, claquements,
vrombissements, un peu de tout selon le véhicule qui passe. Il y
a les oiseaux aussi. C’est bien ça, les oiseaux, leurs chants font
du bien aux oreilles. Oui, en fait, ça va ici. Il y règne malgré tout
un certain calme. En passant outre la colique, Hélène, au fil de la
soirée finit par goûter un petit peu de cette précieuse sérénité… Ça
faisait longtemps qu’elle aspirait à ça !
Tout en ne sachant pas trop par quoi commencer, Hélène s’attelle au rangement et gère dans un premier temps ses douleurs
intestinales embarrassantes à grandes rasades d’eau au goulot de
la bouteille. Bien sûr, comme conseillé, surtout pas de l’eau fraîche
mais de l’eau à température ambiante ; Hélène suit volontiers les
conseils bienveillants des amis et des mamies.
La poussière… Comme il y en a dans tous ces cartons ! Cette
poussière omniprésente la fait tousser, et puis elle doit se laver les
mains souvent. TOC ou vraiment nécessaire, ce lavage intempestif et répétitif ? Parfois, ces propres actes lui posent question. Que
ce déballage lui pèse ! Trop de cartons, vraiment trop de choses à
sortir et ranger… Certains objets la distraient, d’autres l’attristent ;
Hélène revisite des moments de sa vie dans le désordre avec plus
ou moins de complaisance. Autant d’histoires passées oubliées
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que de soucis présents obsessionnels se retrouvent là, à chacun
son objet.
Machinalement, elle range, arrange, hésite. « Faire et défaire,
c’est toujours faire quelque chose », disait sa grand-mère. Ce n’est
pas très drôle d’emménager toute seule. Au fur et à mesure que les
heures passent, c’est un peu de sa force qui s’étiole et puis, basta,
elle lâche tout et va manger. Après ce repas salvateur, Hélène se
fait violence pour la corvée de vaisselle et laisser la cuisine propre
et bien rangée. Voilà qui lui apporte satisfaction, une cuisine au
clair qu’elle aura plaisir à retrouver ainsi demain matin. Dans
la dynamique de ce sentiment de satisfaction, elle vire de suite
direction salle d’eau et toilette minimale faite, elle va directement
s’écrouler sur son lit. Et bam ! Grr ! c’est juste à ce moment que
son téléphone sonne ! Sans grande envie, elle décroche, et oui,
toujours pas capable de dire non…
Ah, mais, chouette ! C’est Yanne !! Elle n’avait pas lu le nom
affiché sur l’écran. Tout de suite, ça va mieux. Sa meilleure amie
l’appelle pour prendre des nouvelles d’elle en cette fin de naufrage. Tout de suite, rires et sourires sont à nouveau de la partie.
Cette Yanne, quelle choute !
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CHAPITRE 1
COMMENT ÇA A COMMENCÉ
— Allô, ma belle. Comment ça va ma louloutte ?
— Humm, pas si mal.
— Super ! Et quand est-ce qu’on se voit ? J’ai hâte de voir ton
nouveau petit nid d’amour.
— D’amour…
— Si ! Si ! Tu vas voir !
— Humm…
— Alors, tu es libre demain ?
— Euh, oui. Demain… Et puis un peu tous les jours en fait.
— O.K., ça marche ! On déjeune ensemble ? Je t’invite !
— Oooh…
— Pas de oh ! ni de ah ! Tu me revaudras ça ! Tu sais bien
que rien n’est gratuit ! Disons que je fais un investissement sur ta
future réussite ! Alors, raconte, ça s’est bien passé ?
— Oui, pas simple d’être sur la même longueur d’onde que les
enfants, mais bon…
— Oui, ben, ce qu’il faut voir : c’est que tu as eu une aide pas
chère et efficace pour ton déménagement. Ça tombait bien, pile
lorsque Thierry et moi étions d’astreinte et qu’on ne pouvait rien
pour toi. Alors, ne te prends pas le chou, ma petite Hélène !
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— Oui, c’est sûr. C’est ce que je me dis : voir, le côté pratique,
positif et c’est tout.
— Voilà ! Voilà ! Tout à fait ça ! Et tu as déjà tout déballé ?
— Presque, restent encore deux trois trucs.
— Je passe demain matin vers dix heures alors, histoire de
refiler le coup de main et puis après on mange au Troquet de la
Pomme ? Ça te va ?
— Oui, merci, Yanne.
— T’es crevée, non ? Ça s’entend…
— Oui, complètement nase.
— Je te laisse dormir. Mais je tenais à te faire un petit coucou
avant que tu ne t’endormes, ma louloutte.
— C’est gentil.
— Normal ! Allez, bisou. Dors bien.
— Merci, bisou à toi aussi et bonne nuit.
— Ciao-ciao !
— Ciao.
Et Hélène éteint son téléphone et plaf, le pose sur la table de
chevet et s’enfonce avec mollesse dans son lit.
Au petit matin, elle se réveille beaucoup trop tôt pour vraiment
émerger. Alors, elle rempile pour un petit somme et se réveille…
aille ! Un peu trop tard ! Juste un peu…
Bon, Hélène se redresse et assise sur le bord du lit, se dit
qu’après tout il est neuf heures du matin et que ça lui laisse une
heure pour être présentable devant Yanne… qui d’ailleurs l’a plus
d’une fois vue non présentable, alors… Et hop ! Debout.
Comme d’habitude, quand Yanne donne un rendez-vous à une
heure, à quelques cinq minutes près, Yanne arrive. Elle ne se pointe
pas les mains vides, elle est venue avec des chocolats aux noisettes
dans le sac qu’elle sort à peine passée au seuil de la porte. De cette
façon et parce que Yanne est ce qu’elle est, son arrivée met du
stimulus hyper-positif et bruyant dans cet appartement qui s’en
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étonne car jusqu’à présent le ton était plutôt silencieux et calme
voire même morne.
Après les embrassades et le grignotage des chocolats, Hélène
lui fait visiter comme il se doit cet appartement inespéré, lieu du
retour à l’autonomie tant redouté. En grande curieuse et bonne
copine, Yanne regarde tout, commente tout, farfouille parfois et
trouve tout cela très bon. Elle ne serait pas plus enthousiaste pour
visiter un monument classé aux monuments historiques, même si
elle lance un :
— C’est pas Versailles, mais comme on dit « mieux vaut un
petit chez-soi qu’un grand chez-les autres ! »
Présentation faite des lieux, force leur est de constater que
quelques cartons restent à déballer, quelques sacs-poubelles
contiennent aussi des affaires à ranger. Avec entrain et efficacité,
les objets trouvent leur place et midi sonne tout juste au clocher
de l’église que tout semble bien en place. Hélène est heureuse de
cette aide amicale qui rend tout plus léger et joyeux. Il n’y a pas
à dire, elle n’est pas faite pour cette vie de solitude qui s’amorce
à nouveau. Bon, certes Yanne a ses travers, elle a une espèce de
manie bizarre à propos des toilettes et des salles de bains : il lui
faut toujours tout passer à l’eau de Javel. La traque aux microbes
des anciens locataires comme Hélène s’y attendait se fait avec
vigueur et application. Et comme Yanne sent bien que sa chère
amie Hélène, qu’elle est en train de sauver bien évidemment de la
peste et du choléra, n’est pas si convaincue qu’elle-même de l’importance de cette action sanitaire, elle se fend d’un adage comme
elle seule sait les concocter :
— Lavâge et rangeâge sont les mamelles du ménâge !! Répète !
— Hein ?
— Répète : Lavâge et rangeâge sont les mamelles du ménâge !!
— Rhoo, mais… O.K., les microbes faut s’en méfier !
— Attention ! Tu as 3 secondes !!! Et sinon, je te passe toi aussi
à l’eau de Javel !!
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— Aah ! Misère !
— 1, 2…
— Lavâge et rangeâge sont les mamelles du ménâge !!
Nananère !
— Bien ! Maintenant que tu sais ta leçon. Nous pouvons déclarer la mission accomplie ! Parce que tout est nickel ici !
Très contentes et fières de leur performance, les deux copines
se prennent un temps de pause et un petit apéro par la même occasion. Les chips de légumes bio disparaissent en un clin d’œil et
après deux verres bien mérités, (et de toute façon bien trop petits
pour être offensifs, n’est-ce pas ?) Hélène et Yanne se mettent en
route pour le Troquet de la Pomme.
Bras dessus bras dessous, elles descendent la rue, joyeuses de
ce temps de complicité et de petite liberté chipée au train-train
quotidien. Leur entrée au Troquet se fait avec panache et toutes
deux ont des allures de conquérantes invincibles :
— Salut, Marcel !
— Salut, mes starlettes !
Et Yanne bascule par-dessus le comptoir et dans un geste familier, jette un bras autour du cou de Marcel, ce vieux propriétaire
du Troquet qui les accueille depuis le temps du lycée. Il avait
d’ailleurs de même accueilli leurs pères. Hélène l’embrasse à son
tour. Si la façon de Yanne était plutôt du style lancer de lasso,
celle d’Hélène était empreinte de plus de douceur. Embrassades
échangées, elles filent vers leur table habituelle. Le Troquet de la
Pomme donne un goût d’éternité à leurs rencontres qui passées et
présentes se sentent chez elles dans ce cadre immuable. Certes,
elles ont vécu des ailleurs différents mais ici, tout se retrouve
comme au temps d’une jeunesse si proche encore.
— Alors, on prend quoi ? lance Yanne qui ne perd jamais l’essentiel de vue.
— Le menu « poisson » comme d’hab’…, rétorque timidement
Hélène.
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— Oui, tu as raison : soyons diététiques !! Marcel ! Deux
menus « poisson » s’il te plaît. Mais du poisson chic ! C’est la fête
aujourd’hui !!
— Ça marche ! Super ! Quelle fête ?
— Hélène a un nouvel appart’ !!
— Ah, bon ? Tiens donc ! Et tu pars où ?
— Je ne pars pas, je me rapproche même, je suis rue des
remparts.
— Ah, mais oui. C’est tout à côté. Bien ! Bien ! Et le dessert ?
Ça sera quoi ?
— Ta délicieuse crème renversée caramel, bien sûr ! tonne
Yanne. Hein, Hélène ? Ça te va ?
— Oui-oui ! répond Hélène, et vers Marcel : Deux crèmes pour
les deux crèmes du pays !
— Et bien sûr ! Mes jolies ! Je vous offre l’apéro ?
— Non-non, nous l’avons déjà bu ! répond effarouchée et sage
à la fois Hélène.
— Comment ça ? Allez, ne vous faites pas prier. J’ai dégoté un
petit Bagnouls dont vous me direz des nouvelles…
— Tu as raison, Marcel, rétorque Yanne. Hélène vient d’emménager pas loin de chez toi, ça s’arrose !
— Et bien sûr ! Je trinquerai moi aussi à ma nouvelle voisine,
alors.
Pas même assises, elles se lancent des blagues sur le fait
qu’elles vont finir plutôt guillerettes la journée avec ces trois apéritifs ingérés. Les clowneries de Yanne font rire Hélène et sourire
les quelques clients qui les regardent de temps en temps, particulièrement lorsque la voix de Yanne lance quelques éclats. Elle
s’en donne à cœur joie et pantomime et raconte son retour au foyer
comme si elle serait saoule et joue les rôles respectifs de Thierry
et d’elle-même.
Avec Marcel, le troisième apéritif de cette journée d’installation
se partage dans la joie. Avec une belle application tout d’abord,
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elles goûtent le nouveau Bagnouls et en font force de compliments
qui font friser de plaisir la moustache de leur vieux compagnon de
table qui en maintient la gratuité, trop fier de sa trouvaille. Et puis,
Marcel une fois parti en cuisine, elles font le tour des nouvelles de
toute la famille et puis se rapprochent et commencent ce qui fait
le noyau dur des conversations entre amies : les confidences et…
Confidences pour confidences, petit à petit l’intime se dit en
chuchotis dans l’oreille, messes basses courantes entre amies, et
forcément, elles en arrivent à dire un peu de tout, voire un peu
trop sur leurs hommes. Mais cela concerne en fait plus particulièrement Yanne sur son homme parce qu’Hélène, elle n’en a plus.
Thierry, donc, ne serait plus si vaillant qu’avant, accuserait même
une certaine fatigue… au lit bien sous-entendu, et bien compris. Et
voilà, comme c’est ballot… à leur âge…
Hélène essaie de trouver des raisons à tout cela, elles discutent
en chuchotis animés qui cessent dès que Marcel arrive avec un
plat. Les questions classiques du stress au travail sont évoquées,
la fameuse problématique de la routine qui peut diminuer la libido
aussi. Et puis, Yanne évoque la possibilité de recourir au viagra…
Et là, une idée soudaine et absolument lumineuse jaillit à l’esprit
d’Hélène, une étincelle de génie qui naît au croisement de certains
souvenirs amoureux, et oui, Hélène a eu des amoureux :
— Eh ! Mais avant, faut que tu essaies la Tisane du Petit Lutin
Rouge !
— Quoi ??, répond Yann avec un air interloqué, ébahi, surjoué
comme toujours quand Hélène la surprend. Bon, et puis trois petits
apéros derrière la cravate ne sont pas non plus tout à fait innocents
à l’affaire. « C’est quoi ça ? Une blague ??
— Mais, non… C’est un vieux truc de grand-mère…
— Pff ! Tu déconnes ! Les tisanes, c’est pas un truc vérifié ! Ce
n’est pas scientifique !
— Mais, si ! Ça marche ! J’ai essayé !
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— Hein ? ! ? Quoi ? ! ? Toi ? !! , et au hochement positif de la
tête d’Hélène, …Avec qui ???
— Curieuse ! objecte ainsi Hélène.
— Ben écoute ! Vu ce que je t’ai dit et je suis encore avec !
Tu pourrais me le dire puisque tu n’es plus avec personne et donc
c’est moins compromettant ! Et puis… tout de même !!
— Jean-Louis…
— Jean-Louis !!!!!! Ah bon !!? Il a eu des pannes ??? Pourtant…
vous étiez super-amants, tu m’avais dit ?
— Oui, mais au début, pas tout à fait. Il avait du mal à changer
de personne.
— Hein ? Quel changement ? Vous avez été échangistes ? !
Mon Dieu ! Quelle horreur !!
— Mais ! Arrête ! Ce n’est pas ça du tout !!!
— Ouf ! Tu me rassures ! Je commençais à me dire que l’on
croit connaître son monde et qu’il y a toujours des surprises au
coin de la rue !
— Bon, tu m’écoutes ?
Yanne hoche un oui de la tête.
— Il venait de divorcer et donc… les débuts avec moi, ça n’était
pas ça… tant d’années avec sa femme, toujours la même femme,
et bien, moi, la nouveauté, ça le perturbait.
— Ah. Bon… Bon..., Yanne réfléchit... Et tu as alors utilisé
cette Tisane ?
— Oui
— Et ça a marché ?
— Oui
— Marché comment ?
— Ben, marché ! marché ! Très bien marché ! répond Hélène
un petit pétillement dans les yeux et l’air mutin.
— Et tu lui as présenté comment ?
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