Défi diagnostic - STA HealthCare Communications

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Défi diagnostic - STA HealthCare Communications
Défi diagnostic
Docteur, quelle est cette masse?
Pierre-Hugues Fortier, spécialisé
en chirurgie oncologique, est
professeur associé d’oto-rinolaryngologie à l’Université de
Sherbrooke.
Laurent Fradet est un étudiant en
quatrième année de médecine à
l'Université de Sherbrooke.
Les auteurs tiennent à remercier Dr Olivier Houle, résident sénior en O. R. L., pour ses suggestions et la révision de l'article.
Le cas de Monsieur Bossé
Monsieur Bossé, 55 ans, présente à l’angle de
la mâchoire une masse progressant depuis
quelques mois. Il craint un cancer.
L
Pensez-vous être en mesure de le rassurer?
e diagnostic différentiel d’une masse cervicale
s’avère facilement déroutant (Tableau 1). Cependant,
une approche orientée en fonction de l’âge du patient, de
l’emplacement de la masse et de son évolution permet de
s’y retrouver plus facilement. Lorsqu’on y greffe les éléments clés de l’histoire et de l’examen physique, complétés par certaines investigations de base, un diagnostic
précis est obtenu dans la majorité des cas.
Une question d’âge
Chez l’enfant
Chez l’enfant de 0 à 15 ans, une masse palpable est
bénigne dans près de 90 % des cas1. La présence concomitante d’une infection oto-rhino-laryngologique (O. R. L.)
oriente vers une adénopathie infectieuse. La masse congénitale la plus fréquente est le kyste thyréoglosse, situé sur
le trajet de migration embryogénique de la thyroïde. Son
exérèse (procédure de Sistrunk) est recommandée une fois
l’inflammation aiguë résolue. Au chapitre des néoplasies,
le lymphome hodgkinien doit être suspecté, particulièrement chez l’adolescent.
Chez les 15 à 40 ans
Chez les 15 à 40 ans, les masses congénitales et inflammatoires demeurent les diagnostics les plus rencontrés.
Par exemple, une masse localisée antérieurement au tiers
supérieur du sterno-cléido-mastoïdien évoque fortement
un kyste branchial. Les sialadénites, pour leur part,
présentent typiquement un tableau douloureux exacerbé
en postprandial. Il faut envisager la possibilité d’une
sialolithiase associée, particulièrement lorsque la glande
sous-maxillaire est affectée2. On commence aussi à
retrouver plus fréquemment des néoplasies salivaires
chez ces jeunes adultes. Elles touchent la parotide dans
80 % des cas, et près de 80 % de ces dernières sont
bénignes, l’adénome pléomorphe étant le plus fréquent.
Tableau 1
Principales étiologies des masses cervicales
Congénitale
Inflammatoire
Néoplasique
• Kyste branchial
• Lymphadénite réactive (virale ou bactérienne)
• Néoplasie thyroïdienne
• Kyste thyréoglosse
• Sialadénite
• Lipome
• Lymphangiome
• Maladies granulomateuses
• Carcinome métastatique
• Hémangiome
• Virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
• Néoplasie salivaire
• Kyste dermoïde/épidermoïde
• Scrofule (adénite mycobactérienne)
• Lymphome
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Figure 1.
La « règle des 80 »
20 %
Néoplasique
80 %
Masse cervicale
non thyroïdienne
20 %
Bénigne
20 %
80 %
• Lymphome
• Tumeur salivaire
• Autre tumeur primaire
Maligne
80 %
Métastase
ganglionnaire
• Congénitale
• Inflammatoire
80 %
Adapté de Beenken SW, et coll. Adv Surg 1995; 28:371-83.
Chez les plus de 40 ans
Chez le patient de plus de 40 ans, une masse cervicale
est d’origine néoplasique, et plus souvent maligne,
jusqu’à preuve du contraire. En tout, 12 % des néoplasies O. R. L. auront comme seule présentation initiale une masse cervicale asymptomatique3. Lorsque la
masse n’est pas d’origine thyroïdienne, gardons en tête
la « règle des 80 » (Figure 1).
Une question d’anatomie
Sur la ligne médiane, la structure la plus communément
affectée est la thyroïde. Bien que seulement 4 à 6,5 %
des nodules thyroïdiens palpables soient cancéreux4, ce
diagnostic est particulièrement redouté chez les personnes de moins de 30 ans ou de plus de 60 ans ayant
une histoire d’exposition à la radiation, ou des antécédents familiaux de cancer thyroïdien.
De chaque côté, la région comprise entre la ligne médiane, la clavicule, le trapèze et la mandibule est divisée
en triangles antérieurs et postérieur par le muscle sternocléido-mastoïdien. Les structures du triangle antérieur
les plus communément affectées sont les glandes parotidiennes et submandibulaires. Le triangle postérieur,
pour sa part, est un site fréquent de métastase en provenance du nasopharynx : 76 % des carcinomes
nasopharyngés ont une telle présentation initiale5. Sur le
plan infectieux, il s’agit aussi d’un site typique de lymphadénite tuberculeuse (scrofule), particulièrement chez
les personnes âgées3.
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20 %
Primaire infra-claviculaire :
• Cavité abdominale
(ganglion de Troisier)
• Poumon
• Sein
Primaire supraclaviculaire :
• Nasopharynx
• Larynx
• Base de la langue
• Autre
Finalement, il est très important d’investiguer les
zones de drainage lymphatique des divers ganglions,
afin d’y rechercher un cancer primaire ou une infection
en cas d’adénopathie.
L’anamnèse : les éléments clés
Lors de l’anamnèse, on précisera d’abord le contexte d’apparition de la masse. Par exemple, une infection des voies
respiratoires supérieures (IVRS) récente suggère soit une
adénite infectieuse, la surinfection d’un kyste branchial
auparavant asymptomatique ou une thyroïdite subaiguë.
On questionnera aussi l’évolution chronologique de la
masse, une croissance rapide orientant particulièrement
vers un cancer, un kyste infecté ou une lymphadénite.
La consommation d’alcool et de tabac est le facteur
de risque principal des cancers oraux, pharyngés et
laryngés. On recherchera aussi les symptômes B
(fatigue, perte de poids, diaphorèse nocturne) pour la
découverte d’un lymphome. Sur le plan néoplasique,
une revue complète de la sphère O. R. L. est aussi cruciale. Par exemple, les cancers de l’oropharynx et de
l’hypopharynx peuvent se présenter par une otalgie
référée secondairement à l’innervation commune de ces
structures6. De même, la dysphagie est un symptôme
alarmant qu’il faut systématiquement rechercher.
Le questionnaire des habitudes de vie est complété
par la recherche des pratiques à risque de transmission
du VIH, 45 % des patients séropositifs présentant
éventuellement des adénopathies cervicales. L’expo-
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sition à la tuberculose ainsi qu’aux animaux, pour la
maladie de la griffe du chat7, doit aussi être précisée.
L’examen physique
L’examen physique débute par une caractérisation détaillée de la masse en terme de localisation, de grosseur et de
texture. Une masse ferme, non douloureuse et adhérant
aux tissus mous des plans profonds évoque un processus
néoplasique malin. Une masse se déplaçant vers le haut à
la déglutition provient typiquement de la thyroïde ou correspond à un kyste thyréoglosse.
La sphère O. R. L. est évaluée au complet par l’otoscopie et surtout l’examen des muqueuses, soit à l’aide
d’un miroir afin de visualiser l’ensemble du laryngopharynx, ou avec un endoscope flexible. À lui seul, cet
examen permettra de détecter jusqu’à 66 % des cancers
primaires O. R. L.3. L’examen de la peau est également
important lorsqu’un cancer primaire est recherché dans
le cas d’adénopathie métastatique suspectée. Le tout est
complété par un examen des nerfs crâniens.
Finalement, l’ensemble des zones ganglionnaires cervicales, axillaires et inguinales est palpé. Une suspicion
de syndrome mononucléosique ou de lymphome justifie
également la recherche d’une splénomégalie.
Investigations supplémentaires : comment
s’y retrouver?
kystique d’une masse, et constitue l’examen de prédilection
pour les lésions d’origine thyroïdienne. Elle est utile afin de
guider une biopsie à l’aiguille fine de la masse. Celle-ci permet de préciser le risque de malignité et, le cas échant, le
type de cellules cancéreuses dans environ 95 % des cas3.
Pour les lymphomes, elle devra cependant être suivie d’une
biopsie excisionnelle afin de procéder à une classification
histologique optimale8.
Les facteurs de risque des néoplasies O. R. L., digestives
et pulmonaires étant similaires, on retrouve des tumeurs
synchrones dans environ 16 % des cas9. Ainsi, une évaluation digestive (gorgée barytée ou endoscopie) et pulmonaire
(tomodensitométrie thoracique ou bronchoscopie) est souvent indiquée lorsqu’on fait face à un diagnostic de carcinome épidermoïde de la muqueuse de la sphère O. R. L.
Références :
1. Park YW. Evaluation of neck masses in children. American Fam Physician 1995;
51(8):1904-1911.
2. UPTODATE®. Salivary gland stones, [En ligne], 2013. [http://www.uptodate.
com/contents/salivary-gland-stones] (Consulté le 26 septembre 2013).
3. McGuirt WF. The neck mass. Med Clin North Am 1999; 83(1):219-234
4. Werk EE,Vernon BM, et coll. Cancer in thyroid nodules. A community
hospital survey. Arch Intern Med 1984; 144(3):474-6.
5. Wei WI et Sham JS. Nasopharyngeal carcinoma. Lancet 2005;
365(9476):2041-54.
6. Alvi A, Johnson JT. The neck mass. A challenging differential diagnosis. Postgrad
Med 1995; 97(5):87-97.
7. UPTODATE®. Differential diagnosis of a neck mass, [En ligne], 2013.
[http://www.uptodate.com/contents/differential-diagnosis-of-a-neck-mass].
(Consulté le 26 septembre 2013).
8. Dailey SH, Sataloff RT. Lymphoma: an update on evolving trends in staging
and management. Ear Nose Throat J 2001; 80(3):164-70.
9. McGuirt WF. Panendoscopy as a screening examination for simultaneous
primary tumors in head and neck cancer: a prospective sequential study and
review of the literature. Laryngoscope 1982; 92(5):569-576.
10. Harney M, Walsh P, et coll. Parotid gland surgery: a retrospective review of
108 cases. J Laryngol Otol 2002; 116(4):285-7.
Lorsque le questionnaire et l’examen physique orientent fortement vers un diagnostic d’adénopathie infectieuse, un essai d’antibiotique d’une durée de
deux semaines suivi d’une visite de contrôle est préconisé. Cependant, tout autre contexte, de même
qu’une involution incomplète de la masse, nécessitera
certaines investigations complémentaires.
Afin de préciser la majorité des diagnostics, l’imagerie de choix est la tomoRetour sur le cas de Monsieur Bossé
densitométrie axiale cervicale. Elle perÀ la lumière de toutes ces informations, la suspicion de néoplasie chez Monsieur
met d’évaluer l’origine de la masse, sa
Bossé étant élevée, vous procédez à une tomodensitométrie cervicale ainsi qu’à
taille, l’envahissement de structures adjaune biopsie sous guidance échographique. La cytologie révèle la présence d’un
centes, de même que la présence
adénome pléomorphe parotidien. Monsieur Bossé est donc rassuré de la
bénignité de son diagnostic et opte pour une parotidectomie superficielle afin
d’adénopathies associées. L’échographie,
d’éviter une croissance supplémentaire de la masse et une éventuelle
pour sa part, s’avère particulièrement
transformation maligne10.
utile afin de préciser la nature solide ou
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