Lettre à mon ami musulman

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Lettre à mon ami musulman
Lettre à mon ami musulman
Cher Mourad,
Tu as passé seulement quelques heures avec nous, dans nos bureaux de Montréal..
Pourtant, une relation de sympathie (réciproque, je l’espère) s’est rapidement créée entre
nous. Après avoir parlé affaires, nous avons échangé sur le sujet si délicat de nos
croyances religieuses, à savoir comment elles peuvent aussi bien nous rapprocher que
nous séparer. J’ai senti que, comme moi, tu avais au cœur des espérances de paix et de
fraternité pour tous les peuples de la terre. C’est pourquoi, avant que tu ne repartes pour
l’Algérie, je t’ai exprimé mon intention de t’écrire à ce sujet une lettre plutôt spéciale. Et
tu as accepté avec générosité.
Je dis une lettre plutôt spéciale en cela que tu étais d’accord pour que je la publie. Spéciale
encore parce qu’elle aura l’ampleur d’un petit volume, j’y mettrai même des titres chaque
fois que je change de sujet, pour que tu puisses t’y retrouver plus facilement. Elle est
spéciale enfin parce que l’intention de mon texte est ambitieuse et le sujet fort délicat.
(Je tiens à te dire tout de suite que j’ai l’intention d’écrire aussi aux Juifs et aux chrétiens.)
Mes intentions
Déjà pour exprimer mes intentions je sens le besoin de prendre des précautions. La
démarche que je veux tenter est pleine de risques. Non pas à cause de toi. Je t’ai saisi
comme un homme simple au cœur généreux. Mais à cause des autres qui liront ce message.
Tu connais le mouvement qu’on appelle l’œcuménisme? Peut-être connais-tu aussi
l’origine grecque de ce mot. Ici, tu permettras que je fasse semblant d’être un peu savant,
pour me donner une contenance. Je dis donc que l’origine grecque de ce mot est
déroutante, parce que, tout seul, sans son évolution historique, l’adjectif œcuménique
signifierait seulement habitée. Or il s’agit de toute la terre habitée. Je dirai à ma façon que
l’œcuménisme est conçu comme une sorte d’harmonisation des religions dans la prière et
la bonne entente, par toute la terre habitée. En grec ancien : ___’ ____ ___ __________
[___] (Pron : kat olin tin icoumenin yin). Je dois dire que j’élargis ici le sens du mot, qui
s’applique habituellement à la réunification des églises chrétiennes.
Mais il ne suffit pas de dire que mon intention est œcuménique. La conception que chacun
a de ce rêve d’unité demeure floue. On l’imagine selon son cœur et à sa façon, sans trop
savoir jusqu’où il va (le rêve) ni par quels chemins il faut passer pour le réaliser. Ce n’est
pas si simple qu’on voudrait le croire. Je vais donc m’expliquer clairement sur ce point,
pour que tout soit clair entre toi et moi.
La première tentation que nous pouvons avoir au sujet de l’œcuménisme, c’est
naturellement de vouloir gommer les différences et dire : « Laissons de côté ce qui nous
distingue. Accrochons-nous à ce que nous avons en commun ». La dernière partie de cette
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proposition est bonne. Il faut porter attention à ce que nous avons en commun. Mais la
première partie (gommer les différences) est un piège.
Permets-moi un petit détour. Nous savons que des représentants de toutes les grandes
religions se sont réunis à Assise et ont prié ensemble il y a quelques années. Il y avait
dans cet événement un signe pour l’avenir. Un autre fait semblable dure depuis dix ans en
Syrie. À Soufanieh, depuis le début des années 1980, dans la banlieue de Damas, des
chrétiens catholiques, des chrétiens orthodoxes et des musulmans prient ensemble dans la
maison d’un couple de croyants où on peut voir des signes extraordinaires de
l’intervention de la vierge Marie, Mère de Jésus. Je crois que ce genre de rassemblement
dans la prière est le chemin principal vers l’accomplissement du rêve œcuménique. L’unité
que nous cherchons viendra, c’est ma conviction, des interventions du Ciel plus encore
que de nos stratégies inspirées par la bonne volonté. C’est pourquoi je dis que le chemin le
plus harmonieux pour réaliser le grand rêve œcuménique est probablement d’être à
l’écoute du Ciel, d’être attentifs aux signes, de prier ensemble dans un esprit de fraternité,
parce que nous sommes tous membres d’une même famille humaine ayant un même Dieu
comme créateur et père. Je reviendrai là-dessus.
Par ailleurs, gommer nos différences ne me paraît pas un chemin de sagesse, parce que ces
différences vont resurgir en diverses circonstances dans le grand brassage humain qui
constitue notre histoire commune, et alors nous serons pris au dépourvu. C’est ma
conviction que nous serons mieux armés si nous avons vu clairement ce qui risque de nous
diviser.
Je crois que tu m’approuveras si je dis : Nos différences, il faut plutôt les connaître le
mieux possible et les reconnaître en les acceptant de plein cœur et en gardant du respect
les uns à l’égard des autres.
Je dis que chacun est responsable de gérer l’héritage religieux qu’il a reçu. Tu as reçu dans
ton berceau l’héritage musulman (sunnite?) et c’est cet héritage que tu as à gérer le mieux
possible. J’ai reçu l’héritage chrétien catholique et c’est à moi de le gérer comme une
invitation à la perfection et à l’amour. Jésus a utilisé une parabole pour expliquer ce devoir
de gérer chacun son héritage. Il parle d’un maître qui confie 500 pièces d’or à un de ses
serviteurs, 200 à un deuxième et 100 à un troisième. Les deux premiers font fructifier leur
avoir et rapportent en surplus autant de pièces d’or qu’ils en ont reçues. Le maître leur
adresse une louange égale à tous les deux. Le troisième a enterré son bien et ne l’a pas fait
fructifier, et il reçoit le blâme de son maître. Chaque personne, chaque peuple a son
héritage à gérer.
Le Dieu unique que nous adorons, juifs, chrétiens et musulmans, et qui est, tu le crois
aussi j’espère, un Dieu d’Amour, n’est certainement pas effrayé par nos différences. Je le
présente comme un Dieu d’Amour, ce qui ne l’empêche pas d’être juste, omniscient et
tout-puissant, comme dit le Coran. Sur ce point, un ami me fait la remarque que le Dieu du
Coran n’est pas un Dieu d’amour… C’est vrai qu’il menace épouvantablement, mais j’ai
lu des versets où on le dit « plein de bonté et de miséricorde » (16, 49), « indulgent et
plein d’amour » (85, 14). Avant chaque sourate, on le dit « clément et miséricordieux ». Je
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crois qu’il nous bénit aussi longtemps qu’il reconnaît son image dans l’amour que
nous avons les uns pour les autres en dépit de ce qui nous différencie. Le soleil
éclaire indistinctement les gens de toutes les religions. De même l’amour de Dieu
est répandu sur l’humanité entière et nous sert de modèle à imiter.
La clé de cette acceptation mutuelle de nos différences, à mon avis, c’est la
compréhension. Si tu sais pourquoi je pense et agis autrement que toi, si tu sais, par
exemple, pourquoi je prie d’une façon différente de la tienne, si tu connais mes
intentions et ma bonne volonté, ce sera plus facile pour toi d’accepter nos différences.
C’est pourquoi l’essentiel de mon propos c’est d’expliquer, de partager avec toi, d’une
part, la compréhension que j’ai des éléments qui nous rapprochent l’un de l’autre et,
d’autre part, la compréhension que j’ai d’une foule de points plus délicats où nos
différences sont plus évidentes et les risques de brouillage, plus grands. Je le répète en
d’autres mots, mon hypothèse est que si nous comprenons tous les deux ce qui nous unit
et ce qui nous divise, le caractère harmonieux de notre relation se conservera mieux, et
nous pourrons continuer à être différents tout en devenant des amis.
Je te suis reconnaissant de me donner l’occasion de faire cette démarche, et j’espère, avec
l’aide du Ciel, répondre à tes attentes. Mais je t’avertis, ce n’est pas aussi simple qu’on
pourrait le croire au premier abord.
I. Ce qui peut nous rapprocher
J’ai choisi de te signaler sept points qui semblent favoriser notre compréhension mutuelle.
1. La croyance en un Dieu unique
2. La ressemblance des attributs divins
3. La croyance en la résurrection des morts et en la vie éternelle
4. Des éléments d’une morale commune
5.La vénération de Marie Mère de Jésus
6. La spiritualité et le mysticisme
7. Les grands personnages bibliques
J’ai déjà évoqué dans les paragraphes précédents la croyance principale qui peut fonder
notre espérance de voir s’élaborer lentement un monde œcuménique ou fraternel
sur le plan religieux. Je parle principalement des trois religions qui sont les plus
rapprochées l’une de l’autre, soit le judaïsme, l’islamisme et le christianisme et je reviens
d’abord sur le premier thème déjà énoncé, soit :
1. La croyance en un Dieu unique
Je disais : parce que nous sommes tous membres d’une même famille humaine ayant un
même Dieu comme créateur et maître de tout. En effet, les trois religions que j’ai nommées
sont monothéistes (elles reconnaissent un Dieu unique) et je crois que tous les croyants
des trois religions sont conscients que, même s’ils donnent à leur Dieu un nom différent,
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ils adorent en définitive le même Dieu. Je te parlerai plus loin de la croyance chrétienne en
la Trinité divine, qui est présentée dans le Coran comme une inconcevable aberration.
Peut-être n’y a-t-il là aucun problème pour toi à ce sujet, mais je veux prendre tout de
suite ici la précaution d’affirmer que la religion chrétienne est, depuis ses origines,
monothéiste (fondée sur la relation avec un Dieu unique). Elle vient du judaïsme, qui fut,
à ma connaissance, la première religion connue à proposer l’existence d’un seul Dieu,
créateur de l’univers visible et invisible. Quand j’étais jeune, les enfants catholiques
recevaient leur éducation religieuse à partir d’un manuel que nous appelions le catéchisme
(c’est un mot emprunté au grec et qui suggère l’idée d’une transmission de la doctrine).
Nous apprenions le catéchisme par questions et réponses. Or la première question du
petit manuel était : « Combien y a-t-il de Dieux? » Et la réponse était : « Il n’y a qu’un
seul Dieu ». Je ne parlerai pas tout de suite de la deuxième. Tout ceci, donc, pour le cas où
tu aurais pu penser que les chrétiens adorent trois dieux. J’espère que tu ne seras pas vexé
que j’aie pu le supposer, toi qui es un homme instruit.
Serait-il injuste d’imaginer que certains imams auraient du plaisir, quand ils parlent du
christianisme, à laisser entendre que nous associons à Dieu d’autres « divinités »? Comme
s’ils ne pouvaient pas faire valoir leur religion sans déprécier celle des chrétiens?
Le caractère monot héis te du chris tianis me est un p oint de grande imp ortance p our
la comp réhens ion ent re chrét iens et mus ulmans . J e s ais bien que t u p ourrais
m’aimer même s i j’adorais t rois dieux et des s tatues de s aint s, mais t u aurais du
mal à res pect er ma religion, p arce que le Coran ins is te énormément s ur le fait
qu’il ne faut p as « ass ocier » à D ieu d’aut res divinit és . J ’imagine que cet te
ins is tance vis e s urtout les idolâtres contemp orains de M ahomet qui auraient
voulu accep ter le D ieu du p rophèt e tout en continuant à r endr e un culte aux
div inités que leurs ancêtres avaient adorées . Ils avai en t peu r s an s dou te d’ê tre
pun is p ar ces divinit és s ’ils les abandonnaient p our la religion de M ahomet , dont
l’aut hent icit é n’était p as forcément évident e à leurs y eux. M ais l’ens emble du
t exte donne l’imp ress ion que, aux y eux du p rophèt e, le culte rendu à J és us et à
l’Esp rit Saint , t out comme la vénérat ion de la Vierge M arie et des aut res s aint s,
est p erçue comme une s orte d’ass ociationnism e. J e vais revenir s ur ce t hème,
mais je voudrais ins is ter s ur ce p oint : la foi chrét ienne ens eigne l’exist ence d’u n
D ie u u ni qu e et n’imp orte quel chrét ien p eut dire comme les mus ulmans : Il n’y a
de D ieu que D ieu.
N ous avons p ar conséquent ce p oint en commun de p ouvoir p rier ens emble ce
D ieu unique, « créat eur du ciel et de la t erre, de l’univers vis ible et invis ible ». U n
jour, l’an p as sé, je faisais une s éance de t ravail à domicile avec un M ontréalais
d’origine africaine et de religion mus ulmane, un jeune homme au grand cœur et
t out à fait s ympathique. A u moment d’att aquer la p iz za (je ne cuisine p as et
j’avais commandé du res taurant), il m’a demandé s i je voulais bien faire la p rière
avant de manger. J ’étais à la fois réjoui et int imidé, mais davantage réjoui de voir
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que lui et moi, non s eulement nous p ouvions bât ir quelque chose de p os it if
ens emble s ur le p lan des affaires, mais aus si p rier le même D ieu comme des frères
aut our de la t able familiale.
2. La ressemblance des attributs divins
De plus, ce Dieu est présenté dans le Coran avec des attributs (des qualités) que les
chrétiens Lui reconnaissent aussi. Comme je le disais plus haut, au début de chaque
sourate, on le qualifie de clément et miséricordieux, ce qui nous convient tout à fait à nous
chrétiens. Je pourrais même dire que la miséricorde divine est l’attribut le plus fondateur
d’espoir chez les chrétiens, parce que nous nous reconnaissons imparfaits, nous avons
conscience de ne pas faire toujours le bien que nous voulons et de faire parfois le mal que
nous ne voulons pas. Mais nous savons aussi que, si nous reconnaissons nos fautes et
demandons pardon, Dieu est tout disposé à faire miséricorde et à pardonner. Cet attribut
est rappelé à plusieurs reprises dans le Coran.
Je ne te mentionnerai pas tous les attributs divins que j’ai trouvés dans ton Livre (avec un
L majuscule, ce mot et synonyme de Bible), puisque tu les connais probablement par
cœur. Mais pour moi qui le lisais pour la première fois, c’était quelque chose de frappant
que ces espèces de refrains par lesquels se terminent la plupart des énoncés du Livre. Je
t’en cite quelques uns pour te montrer que j’ai retenu.
« Dieu est puissant et sage » (4, 163). _ Tu accepteras, j’imagine, que je transcrive à partir
de la traduction dont je dispose, soit celle d’Albin de Biberstein Kaziminski, interprète de
la légation française en Perse, texte édité chez Jean de Bonnot à Paris. C’est une traduction
qui fait autorité. Le traducteur emploie le mot Dieu (et je ferai de même) chaque fois que le
texte original nomme Allah. De même, dans l’introduction, il traduit par Mahomet le nom
de Mohammed ou Mouhammad. _ Je reviens donc à nos petits refrains : En 4, 168, on
trouve : « Il est savant et sage ». En 5, 96 tout comme en 14, 206 : « certes Dieu est
puissant et vindicatif ». Un peu plus de sévérité ici, mais, nous en trouvons aussi dans
notre Bible. En 16, 49 : « Dieu est plein de bonté et de miséricorde ». En 16, 62, le refrain
est : « Il est sage et puissant ». Un peu plus loin 16, 72 : « Dieu est savant et puissant ».
Et si nous allons beaucoup plus loin, vers la fin du livre, nous trouvons encore ce genre de
leitmotiv : « Dieu mérite qu’on le craigne; il aime à pardonner » (74, 55). « Il est indulgent
et plein d’amour » (85, 14).
Chez les Juifs et les chrétiens, il est présenté comme plus désireux de se rapprocher des
humains; au point même de comparer ce rapprochement amoureux à des fiançailles.
Mais, dans l’ensemble, le Dieu auquel tu rends un culte ressemble au mien sous bien des
rapports.
3. La croyance en la résurrection des morts et en la vie éternelle
Le Coran insiste en plusieurs passages sur la résurrection des morts et sur la vie éternelle,
une vie après la mort que les croyants passeront dans le bonheur et les incroyants, dans
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les souffrances. On sait que ce sujet de la résurrection faisait l’objet de discussions chez
les Juifs et on voit par le texte du Coran que, dans les clans que Mahomet voulait amener
à la foi islamique, il y avait beaucoup de résistance sur ce point. Il avait donc une double
raison d’insister. Inutile de te dire que, pour les chrétiens, la résurrection et la vie éternelle
sont des points importants. Quant à la façon de concevoir le ciel et l’enfer, il y a place
pour des explications.
4. Des éléments d’une morale commune
J’ai pris note d’une cinquantaine de passages qui décrivent « les vertus », la morale d’un
musulman, la conduite idéale d’un croyant. J’y trouve des points qui demanderaient à être
examinés de plus près, comme la loi du talion (la vengeance) l’esprit guerrier, l’interdiction
du vin et du jeu, qu’il ne faut pas évaluer en dehors du contexte. Quant au reste, la
coïncidence avec les vertus qu’on dit chrétiennes est évidente. En voici quelques exemples.
Je veux citer au complet le verset 172 de la deuxième sourate : « La piété ne consiste point
à tourner vos visages du côté du levant ou du couchant. Pieux est celui qui croit en Dieu et
au jour dernier, aux anges et au Livre, aux prophètes; celui qui, pour l'amour de Dieu,
donne de son avoir à ses proches, aux orphelins, aux pauvres, aux voyageurs et à ceux
qui demandent; qui rachète les captifs, qui observe la prière, qui fait l'aumône, remplit les
engagements qu'il contracte, qui est patient dans l'adversité, dans les temps durs et dans
les temps de violences. Ceux-là sont justes et craignent le Seigneur. »
Les autres passages concernant la morale sont presque toujours des répétitions d’une
partie de ce verset. Le verset 267 de la même sourate pourrait bien se trouver dans un livre
de spiritualité chrétienne ou dans un psaume : Ceux qui dépensent leur avoir dans le désir
de plaire à Dieu, et pour l’affermissement de leur âme, ressemblent à un jardin planté sur
un coteau arrosé par une pluie abondante et dont les fruits ont été portés au double. Si la
pluie n’y tombe pas, ce sera la rosée.
Et le verset se termine par ce genre d’avertissement si souvent répété dans le livre : Dieu
voit ce que vous faites.
Dans la troisième sourate, aux versets 127 et 128, les justes sont désignés comme ceux qui
craignent Dieu, […] qui font l’aumône dans l’aisance comme dans la gêne, qui savent
maîtriser leur colère et qui pardonnent aux hommes qui les offensent. Tu sais que le
pardon des offenses est un des points majeurs de la prédication de Jésus. Il dit de
pardonner 70 fois sept fois.
Et, comme il se doit, la déclaration se termine par la désignation d’un attribut divin :
Certes Dieu aime ceux qui agissent avec bonté.
Dans la sourate suivante, aux versets 40 à 42, le texte coranique dit : Témoignez de la
bonté à vos pères et mères, à vos parents, aux orphelins, aux pauvres, aux clients qui
vous sont liés par le sang et aux clients étrangers, à vos compagnons , aux voyageurs et à
vos esclaves. La bonté était présentée par Jésus comme le signe distinctif de ses disciples.
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Je vais t’épargner les citations pour la suite, me contentant de signaler en mes propres
mots quelques autres « vertus » que prêche le Coran. Ce sont : honorer sa mère (4, 1),
être juste envers l’orphelin (4.2), supporter les offenses avec patience - avec l’aide de
Dieu - (16, 127-128), s’acquitter de la prière au lever du jour et au coucher du soleil (17,
80), dans la nuit, aussi, consacrer des veilles à la prière (17, 81), honorer ses parents
dans leur vieillesse et prier pour eux (17, 24-25), apprécier ce que Dieu donne et ne pas
envier les riches (20, 131) avoir un comportement modeste et simple (31, 17-18), éviter
les soupçons et la médisance (49, 12), éviter l’avarice (103, 2), éviter de faire la prière
négligemment ou avec ostentation (106, 4-7) et d’autres préceptes encore.
Ce n’est pas pour t’instruire que je t’ai cité tous ces passages, tu les connais mieux que
moi, mais pour te montrer que j’ai cherché dans le Livre qui te sert de référence, des
enseignements qui nous sont communs. Comme tu vois, j’ai choisi de mentionner des
points avec lesquels un chrétien se sent à l’aise. Tu sais que Jésus a fait de l’amour la
pierre de touche de sa doctrine. Il disait : C’est à ce signe que tous reconnaîtront que
vous êtes mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres (Jean 23, 35).
Amour, pardon, prière, secours des malheureux, autant de valeurs qui nous relient.
Et si on définit l’Islam essentiellement comme une fidélité exemplaire à la volonté divine,
sur ce point aussi nous sommes en accord, puisque Jésus, le modèle des chrétiens, est
venu nous enseigner la soumission absolue à la volonté du Père.
5. La vénération de Marie mère de Jésus
Je ne prétends pas affirmer que la vénération dont Marie, Mère de Jésus, fait l’objet est
exactement la même dans ta religion et dans la mienne, mais je ne peux pas m’empêcher de
relever des parallèles entre certaines déclarations du Coran et la croyance des chrétiens
catholiques et orthodoxes à l’égard de Marie.
Pour tout comprendre, il faut rappeler que, selon notre enseignement, le péché d’Adam et
d’Ève a laissé des traces sur toute la descendance des humains, de sorte que nous naissons
tous marqués par cette faute. C’est une donnée de la révélation judéo-chrétienne qui
comporte une grande part de mystère et qui a été expliquée de bien des façons et refusée
par plusieurs. Mais selon la tradition que je connais, comme je viens de le dire, nous
naissons tous marqués par cette faute. Tous, sauf Marie. Nous disons qu’elle est exempte
de toute tache; nous l’appelons « l’Immaculée conception ». C’est d’ailleurs sous ce
vocable qu’elle s’est présentée à Bernadette Soubirous, la jeune fille à laquelle elle est
apparue en 1858. Tu pourras trouver des tonnes de renseignements sur Internet à propos
des apparitions de Lourdes (<http://www.lourdes-france.com/>).
Or je lis dans le Coran des expressions qui suggèrent cette idée. Par exemple, dans le
verset 37 de la troisième sourate, on lit : « Les anges dirent à Marie : Dieu t’a choisie et i l
t’a rendue exempte de toute souillure, il t’a élue parmi toutes les femmes de l’univers ».
Dans l’évangile de Luc, on lit ces paroles adressées par l’ange Gabriel à Marie : « Réjouistoi, comblée de grâce, Le Seigneur est avec toi ». Et la cousine de Marie lui adresse à son
tour ces paroles : « Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein! ».
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Au verset 12 de la sourate 66, je lis : « Et Marie, fille d’Imran, qui conserva sa virginité,
nous lui inspirâmes une partie de notre esprit. Elle crut aux paroles du Seigneur, à ses
livres; et elle était du nombre des personnes pieuses. » Dans l’évangile de Luc, on trouve
ces paroles : « Et l’ange [Gabriel] lui répondit : L’Esprit Saint viendra sur toi et la
puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre… […] rien n’est impossible à Dieu».
Et la cousine Élisabeth fait écho à cette parole : « Bienheureuse toi qui as cru à ce qui lui a
été dit de la part du Seigneur ».
Exempte de souillure, élue parmi les femmes, marquée par l’Esprit divin, vierge en même
temps que mère, soumise à la volonté divine, voilà autant de privilèges reconnus à Marie
par le Coran et par les chrétiens d’allégeance catholique et orthodoxe. (Je ne mentionne
pas ici les chrétiens protestants, parce que je ne sais pas s’il y a des églises protestantes
qui vénèrent la mère de Jésus.)
Laisse-moi y aller ici de mon imagination. Tu as sans doute entendu parler des apparitions
de Marie à trois enfants dans une localité nommée Fatima, au Portugal
(<http://www.fatima.be/>). Pour ce qui est du nom de cette localité, l’histoire (ou la
légende) raconte que, après que la ville de Lisbonne eut été reprise par les chrétiens en
1147, les noms arabes des villes du Portugal ont été changés. Quant à celui de la ville de
Fatima, il lui aurait été donné à cause d’une histoire d’amour entre un croisé et la fille d’un
prince musulman. Cette fiancée portait, il va sans dire, le nom de Fatima, la fille de
Mahomet. C’est dans cette localité obscure que la Vierge est apparue, et je lisais à ce sujet
une réflexion d’un archevêque catholique décédé en 1979 et qui voyait dans le fait que la
Mère de Jésus ait choisi Fatima comme lieu des apparitions un signe qu’elle fait aux
musulmans et aux catholiques, annonçant la possibilité d’un rapprochement éventuel qui
serait provoqué par elle. Le phénomène de Soufanieh dont je t’ai parlé plus haut
pourrait être aussi un élément important de cette entreprise de rapprochement, dont
l’initiative ne peut venir que du Ciel ( <http://www.soufanieh.com/> ).
Tu as dû remarquer que je fais parfois allusion à des révélations privées, à des apparitions,
à des phénomènes mystérieux qui ont eu lieu dans le passé ou qui ont encore lieu dans
certaines parties du monde. Ces phénomènes-là sont documentés aussi bien que les
guerres de Napoléon ou la chute du mur de Berlin, mais en général, les théologiens
catholiques n’en parlent pas, parce que ces révélations ne sont pas considérées comme
faisant partie de la Révélation avec un grand R. La Sacrée congrégation pour la doctrine
de la foi, à Rome, est extrêmement réservée à cet égard. Et l’incrédulité ou l’indifférence
concernant ces manifestations extraordinaires est presque totale chez la plupart des gens.
J’adopte une position à l’opposé, sans donner dans la crédulité ni dans la recherche
malsaine du merveilleux. Quand des milliers de personnes ont constaté un phénomène,
quand des personnes sérieuses et rigoureuses dans leurs démarches de chercheurs en ont
reconnu l’authenticité, je ne vois pas pourquoi nous nous cacherions la tête dans le sable
pour dire : il ne s’est rien passé. C’est ma conviction profonde que le Ciel nous parle
encore, non pas pour changer les révélations qu’Il nous a faites à l’origine, mais
pour leur donner un écho adapté au monde contemporain et pour éveiller la foi
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d’une société insouciante, qui a tendance à oublier qu’un Plan divin existe pour l e
monde, et qu’il faut nous orienter résolument vers cet idéal qu’un grand
personnage a appelé la civilisation de l’Amour. C’est dans cet esprit que j’ai fait
allusion à Lourdes, Fatima et Soufanieh, en rapport avec la Mère de Jésus, que nous
vénérons, toi et moi.
6. La spiritualité et le mysticisme
Je sais bien que ce ne sont pas tous les musulmans qui vivent une spiritualité de haut
niveau. Comme chez les chrétiens, j’imagine, il y a ceux et celles qui font leur vie en
dehors de toute considération religieuse. Il y a ceux et celles qui s’adonnent aux pratiques
religieuses comme on accomplit un devoir, comme on se plie à une obligation, par crainte
d’être comptés, à la fin de leur vie, parmi les réprouvés.
Puis il y a ceux et celles qui ont un rapport intime avec Dieu, qui consacrent beaucoup de
temps à la prière et qui trouvent une satisfaction profonde à passer des heures en
compagnie de Dieu et à veiller au bonheur de leurs semblables.
Ici plus qu’ailleurs, je dois plaider l’ignorance. Je n’ai jamais lu d’ouvrages mettant en
valeur la spiritualité et le mysticisme chez les musulmans. C’est à partir du vague
souvenir de propos entendus, de quelques lectures récentes et d’une recherche rapide sur
Internet que je peux parler de cette réalité. Par exemple, je trouve un texte de Richard
McGregor qui fait l’histoire des origines et de l’évolution de la spiritualité musulmane, en
rapport notamment avec le soufisme. On peut comprendre à travers ce texte que la
sainteté et le mysticisme, du moins chez les musulmans qui acceptent le soufisme, sont
des réalités qui se définissent, dans leur essence, comme la sainteté et le mysticisme chez
les chrétiens (mis à part la dimension trinitaire) : Prière, abandon à la volonté divine
permettant au saint personnage d’être comme un canal par lequel Dieu manifeste sa
présence et sa bonté aux humains.
Je trouve sur Internet des prières musulmanes qui pourraient aussi bien être formulées par
des chrétiens.
Je suis plus renseigné du côté chrétien évidemment. Tout au long de l’histoire du
christianisme, des saints ont manifesté la présence et la bonté divine au sein de la
société. Il y en a eu des milliers. On est trop souvent porté à regarder l’histoire de l’Église
catholique à travers l’évolution de la papauté et à travers les rapports qu’elle a entretenus
avec les empires, qui se sont entrechoqués et succédé au cours des siècles. En somme, on
a tendance à la regarder comme une puissance qui a beaucoup influencé le cours de
l’histoire.
Je dis que la structure hiérarchique de l’Église est comme un bateau destiné à transporter
un trésor à travers le temps, et ce trésor, c’est la sainteté des personnes, c’est Dieu
présent à la communauté humaine et se révélant sans cesse. Il ne faut pas confondre le
bateau et le trésor qu’il transporte.
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Dernièrement, le monde entier a rendu hommage à Mère Teresa, la sainte qui a fondé des
refuges en Inde pour accueillir les laissés pour compte. Il n’y a pas là-dedans l’exercice
d’un pouvoir, sinon le pouvoir de servir, le seul pouvoir qui ne fait pas de mal. Cinq
mille Sœurs de la Charité continuent aujourd’hui son œuvre dans plus de cent cinquante
pays. Saint Vincent de Paul, au dix-septième siècle, avait fait une œuvre semblable à celle
de Mère Teresa, et il avait créé la communauté des Filles de la charité, pour le service des
pauvres. Elles furent plus de soixante mille au XXe siècle. Il y a aussi des centaines
d’autres groupes de religieuses et de religieux qui servent les pauvres partout dans le
monde. Il y a eu des saints et des saintes aussi dans les monastères, dont les plus connus
sont peut-être Thérèse d’Avila, Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux. Et aussi des saints
et des saintes pères et mères de famille, des jeunes aussi qui ont dès leur enfance
développé une spiritualité profonde et fervente.
Tu connais peut-être Charles de Foucault. On m’a raconté qu’il était un officier de l’armée
française peu intéressé à la pratique religieuse. Et que c’est en regardant prier des
musulmans qu’il a été pris du désir de mieux connaître et de mieux vivre sa propre
religion. Il s’est fait moine ermite et a vécu pendant 11 ans en solitaire près d’une oasis du
Sahara algérien nommé Tamanrasset. Il avait des communications privilégiées avec les
Touaregs et il s’est employé à créer un dictionnaire permettant de passer de leur langue au
français et du français au touareg. Il a vécu au milieu des musulmans et on disait de lui
qu’il était une sorte de marabout catholique. Malgré tout, il a été assassiné dans des
circonstances qui recèlent une part de mystère.
Voici une anecdote pas très bien documentée, parce que j’ai presque tout oublié, sauf
l’essentiel. Ou bien j’ai lu, ou bien on m’a raconté qu’une voyante qui avait des
apparitions de la Vierge Marie avait demandé à sa vénérable visiteuse quelle était la
personne la plus sainte dans la population locale, et la Vierge lui avait donné un nom, et
c’était celui d’une musulmane. Je suis certain qu’il y a des saints et des saintes chez les
musulmans.
Nous avons donc en commun cette merveilleuse possibilité et cet idéal d’être des saints et
des mystiques, tels Rûmi ou Al-Hallaj, dont je viens tout juste d’entendre parler.
7. Les grands personnages bibliques
Le Coran nomme plus ieurs des grands pers onnages bibliques qu’un chrétien
ap prend à connaît re dans son enfance, dans sa famille et par des cours d’initiation à
la religion. Du moins, c’ét ait comme ça au temp s de ma lointaine jeuness e.
Faut e de lire directement la Bible, nous avions à l’école une matière de clas se qui
s’ap pelait l’Histoir e Sainte. Ains i, toi et moi, nous avons en commun l’histoire
d’Adam et d’Ève et de leur désobéiss ance, celle de Caïn et d’Abel, celle de Noé, du
déluge et de l’arche, celle d’Abraham et de son neveu Loth, celle de M oïs e et de ses
négociations avec Pharaon, la travers ée de la M er Rouge, l’histoire de Joseph
vendu par ses frères, qui es t peut -êt re la plus détaillée de tout le Coran, et auss i,
11
bien sûr, en rapp ort avec l’Évangile, des ment ions de Jésus et de sa mère M arie et
de Jean le Bapt ist e,.
En général, ces pers onnages et ces événement s bibliques sont évoqués dans le
Coran pour donner une leçon, c’es t à dire, pour illustrer le fait que ceux et celles
qui n’écout ent pas les prop hèt es , ceux et celles qui se moquent des ap ôt res (ces
envoyés qui interprèt ent les volontés divines ) sont punis sévèrement ou anéantis.
Le rest e du rais onnement s’impos e de soi : Il va vous arriver des malheurs
semblables si vous demeurez des incroyant s eu égard aux enseignement s et aux
avertis sements cont enus dans le Coran.
Le fait d’avoir en commun l’évocation de ces grands pers onnages peut êt re un
fact eur de rapp rochement entre nous , mais il peut auss i nous séparer si quelqu’un
trouve que la façon d’en parler diffère trop d’une révélat ion à l’autre.
Première conclusion
Nous avons donc en commun bien des sujets qui nous rapprochent. 1) La croyance en un
Dieu unique, 2) la ressemblance des attributs divins, 3) la croyance en la résurrection des
morts et en la vie éternelle, 4) des éléments d’une morale commune, 5) la vénération de
Marie mère de Jésus, 6) la spiritualité et le mysticisme, 7) quelques grands personnages
bibliques.
Si nous avons la paix au cœur, il est possible que nous vivions dans l’harmonie en frères et
sœurs. Il y a chez les musulmans, comme chez les juifs, comme chez les chrétiens, des
croyants qui sont des priants et des pacifistes, et qui, au fil des jours, accordent leur cœur
à la volonté divine. Ils forment ensemble une sorte de communauté, une sorte de grande
famille sous le regard de la Bonté divine. Il n’y a pas de raisons de nous lever les uns
contre les autres, de nous persécuter mutuellement ni de nous faire la guerre.
12
II. Ce qui peut nous diviser
S’il est vrai que bien des éléments de nos croyances respectives nous rapprochent, il est
vrai aussi que les facteurs de discorde et de division entre nous sont nombreux. Il faudra
des changements miraculeux pour que nous en venions à cet œcuménisme dont je t’ai parlé
au début et que je définissais comme une sorte d’harmonisation des religions dans la
prière et la bonne entente, par toute la terre habitée. J’emploie l’expression changements
miraculeux pour traduire le sentiment d’impuissance que je ressens à cet égard, à partir
d’une observation de la conjoncture présente. Il faudra, pour y arriver, des événements qui
ne dépendent pas de nous, et le phénomène nous paraîtra aussi improbable que
l’effondrement du communisme et la démolition du mur de Berlin.
Mais encore une fois, ce n’est pas en niant ou en ignorant ce qui nous divise que nous
arriverons à cet œcuménisme, mais en regardant courageusement ces « pommes de
discorde » et en prenant la ferme résolution de ne pas nous laisser prendre au piège de
l’hostilité.
Parmi les facteurs de discorde, je vais mentionner :
1. Le choc culturel provoqué par la naissance de l’Islam
2. Le caractère belliqueux de l’être humain
3. L’appel du Coran à l’esprit guerrier
4. La collusion entre pouvoirs et religions
5. Le mauvais exemple des chrétiens d’aujourd’hui
6. Le fanatisme des extrémistes musulmans
7. L’intolérance des régimes à dominante musulmane
8. L’interprétation naïve de l’inspiration des Livres sacrés
1. Le choc culturel provoqué par la naissance de l’Islam
Quand je dis que l’histoire est le premier obstacle entre nous, je veux parler du choc
culturel provoqué dès la première partie du 7e siècle par l’irruption de l’Islam dans notre
histoire, et c’est l’affirmation la plus grave que j’aurai faite dans cette lettre. J’aimerais
mieux être diplomate avec toi, balayer sous le tapis les vrais obstacles à notre
« coexistence fraternelle », revenir sur tous ces thèmes que nous avons en commun et
oublier le reste. Mais ce serait une erreur et je crois que tu peux en comprendre aussi bien
que moi la raison. Le Coran « historique » sera toujours là entre nous et nous n’avons pas
le choix d’en tenir compte ou non.
Quand apparaît l’Islam en 622, le christianisme a connu déjà six siècles de croissance et
s’est répandu considérablement en Asie mineure, en Europe et en Afrique. L’Empire
romain est officiellement catholique. Quant au peuple juif, il a été dispersé, mais la foi
judaïque est toujours vivante un peu partout.
Si l’Islam s’était édifié à côté de ces deux religions, de façon indépendante, on peut
imaginer que le choc n’aurait pas été très grand. Mais le Coran se présente comme une
révélation qui prend la suite des deux autres pour en confirmer l’enseignement et tirer de
13
leurs erreurs et de leurs péchés les Juifs et les chrétiens. À leurs oreilles, le discours
musulman devait sonner à peu près comme ceci : « Vous les Juifs, c’est vrai que vous
avez reçu une révélation et que vous avez été le peuple choisi de Dieu, mais vous avez
manqué à votre vocation de multiples façons. Et vous, les chrétiens, vous avez eu aussi
des apôtres et des révélations venant du Ciel, mais vous avez tout perverti. Vous avez
donné à Dieu un fils, comme si Dieu pouvait enfanter à la manière d’une femme; vous
avez imaginé un Dieu en trois personnes, vous avez fait du prophète (de l’apôtre) Jésus
un dieu et vous avez adoré des statues. C’est pourquoi Dieu vous a rejetés tous les deux,
Juifs et chrétiens, et il s’est choisi un autre peuple, un peuple d’adorateurs sincères qui
vont soumettre leur volonté de façon parfaite à la volonté divine.»
À cette époque, qui était encore plus primitive que la nôtre (le septième siècle) tu peux
comprendre que juifs et chrétiens n’ont pas pu trouver la chose amusante. Tu peux
comprendre que juifs et chrétiens se soient sentis heurtés de voir les récits fondateurs de
leur foi commune repris dans un contexte entièrement différent. Tu peux comprendre
qu’ils n’ont pas pu trouver amusant de voir les récits relatifs à Noé, Moïse, Abraham,
Jacob, Joseph, Jésus et sa mère, racontés et commentés d’une manière qui ne pouvait leur
paraître que bizarre et très souvent décrochée du contexte primitif. Tu peux comprendre
que les chrétiens, dont la religion repose sur la foi en un Dieu trinitaire et sur la croyance
en un Jésus-Messie Fils de Dieu, à la fois Dieu et homme, n’ont pu trouver sans
importance le fait de se faire dire qu’ils sont dans l’erreur totale et même grossière.
En d’autres mots, par sa teneur même et par son style, le message coranique ne pouvait
être perçu que comme une provocation et susciter une réaction vigoureuse des deux
religions au milieu desquelles il s’édifiait (sans parler ici de la réaction des idolâtres). Je
crois que si musulmans et chrétiens prenaient conscience de ce choc culturel tout à fait
compréhensible, s’ils l’acceptaient simplement comme un fait historique, ils auraient plus
de facilité à comprendre leurs « difficultés relationnelles ».
Comme tu es un homme instruit, je n’aurais pas besoin de te présenter des citations pour
en faire la démonstration, mais d’après notre entente, cette lettre est publique et je vais
apporter quelques illustrations de ce que je viens d’affirmer.
Tout de suite au commencement, dès la première sourate, qui comprend sept versets,
Juifs et chrétiens sont pris à parti.
5 Dirige-nous dans le sentier droit, 6 Dans le sentier de ceux que tu as
comblés de tes bienfaits. 7 Non pas de ceux qui ont encouru ta colère, ni de
ceux qui s’égarent.
Quand on a lu l’ensemble du Livre, on se rend compte qu’au verset 7, ce sont les Juifs et
les chrétiens qui sont désignés l’un après l’autre. Que les Juifs aient encouru la colère de
Yahvé à bien des reprises est une chose dont ils s’accusent eux-mêmes dans leurs récits.
(Ce n’est pas la même chose de se le faire dire par d’autres dans ce contexte.) Quand à
« ceux qui s’égarent », ce sont les chrétiens, et on verra comment.
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La deuxième sourate contient une longue apostrophe aux enfants d’Israël, qui commence
de cette façon :
38 O enfants d’Israël ! souvenez-vous des bienfaits dont je vous ai comblés;
soyez fidèles à mon alliance, et je serai fidèle à la vôtre; révérez-moi et croyez
au livre que j’ai envoyé pour corroborer vos Écritures : ne soyez pas les
premiers à lui refuser votre croyance […] 39 Ne revêtez pas la vérité de la
robe du mensonge; ne cachez point la vérité quand vous la connaissez.
D’après ce texte, le Coran est un livre envoyé du Ciel pour corroborer l’enseignement
contenu dans le Pentateuque (les 5 premiers livres de la Bible des Juifs et des chrétiens).
Suivent une série de rappels qui commencent par Souvenez-vous du jour… Jusqu’au
verset 95, se sont des rappels des infidélités des juifs et de leur incrédulité à l’égard du
Coran, rappels accompagnés d’imprécations comme : « Que la malédiction de Dieu
atteigne les infidèles » (84), ou « Un châtiment ignominieux est réservé aux infidèles. » Et
les chrétiens sont mentionnés au passage, quoique de façon moins agressive.
L’attitude des Juifs dans leur Bible est remplie d’humilité et d’aveu de leurs fautes, mais
en même temps, pleine de confiance en la patience et la miséricorde de Yahvé. Je te cite ici
le prophète Osée (6, 1-6) :
«Eh bien, je vais rentrer chez moi, annonce le Seigneur, jusqu'à ce qu'ils reconnaissent
leurs fautes, et qu'ils se tournent vers moi. Quand ils seront dans la détresse, ils
rechercheront ma présence.» Alors vous dites: «Allons, revenons au Seigneur. C'est lui qui
a fait la blessure, mais il nous guérira. C'est lui qui nous a frappés, mais il bandera nos
plaies et nous rendra la vie.[…] Oui, tâchons vraiment de reconnaître le Seigneur. Son
intervention est certaine comme la venue de l'aurore. Il viendra jusqu'à nous comme la pluie
d'hiver ou la pluie du printemps, qui rafraîchit la terre.» Mais le Seigneur vous répond:
Que faire pour toi, Éphraïm? et pour toi, Juda? L'affection que vous me portez est comme
un nuage matinal ou comme la rosée: elle est si vite dissipée! C'est pourquoi je vous
combats par le message des prophètes, et je vous annonce que vous allez au massacre. Ma
sentence va jaillir claire comme le jour. Qu'on agisse avec bonté: voilà ce que je désire
plutôt que des sacrifices; et qu'on me reconnaisse comme Dieu, plutôt que de consumer des
animaux sur l'autel.»
Les Juifs de l’Ancien Testament, par les nombreux textes de ce genre reconnaissent leurs
manquements, mais aussi leur confiance en Dieu. Ces aveux sont prononcés de l’intérieur
par leurs propres prophètes et ils n’avaient pas besoin de se le faire dire par des étrangers.
Tout comme le christianisme a été pour eux une sorte d’intrusion perturbatrice dans leur
monde religieux, puisque Jésus a bâti son Église sur les bases de la foi juive (le salut vient
des Juifs, dit-il), à combien plus forte raison ont-ils dû se sentir heurtés par le texte
coranique, qui dénonce leur incroyance (au Coran) et qui leur annonce, ni plus ni moins,
qu’ils sont remplacés comme peuple choisi.
Permets-moi une parenthèse inutile, mais qui n’est pas hors du sujet. (Dans la traduction
du Coran que j’utilise, la deuxième sourate s’intitule «La vache», parce qu’il y est
question d’une histoire de vache assez bizarre (63 à 68) où les Israélites, selon le récit, se
sont montrés insupportables avec Moïse. Le texte se moque d’eux. Cette histoire
correspondrait à l’une ou l’autre des histoires de vache qu’on trouve dans la Bible, soit au
15
chapitre 19 des Nombres, soit au chapitre 21 du Deutéronome. C’est une moquerie qui est
bien dans l’esprit de l’ensemble du Livre. J’y reviens un peu plus loin.)
Les apostrophes aux juifs et aux chrétiens sont nombreuses :
2, 105 Ils disent : Les juifs ou les chrétiens seuls entreront dans le paradis.
Mais ce ne sont que leurs désirs. Dis-leur : Où sont vos preuves? apportezles si vous êtes sincères.
Ce verset indique une position de polémique qui se maintient jusqu’à la fin. Dans les deux
versets suivants, ce sont les chrétiens seuls qui sont pris à partie.
2, 110. Ils disent : Dieu a un fils. Par sa gloire, non; dites plutôt : Tout ce qui
est dans les cieux et sur la terre lui appartient, et tout lui obéit.
17, 11 Dis : Gloire à Dieu, qui n’a point de fils; qui n’a point d’associé au
pouvoir.
Tu comprends que ces versets et de nombreux autres qui leur ressemblent sont une
attaque directe au cœur du christianisme. Les chrétiens du septième siècle ont dû se dire :
« De quoi il se mêle? Il prétend connaître notre révélation mieux que nous? » Il ne pouvait
pas leur venir à l’idée que ce texte du Coran avait été dicté par un ange au nom de Dieu,
puisqu’il venait en contradiction avec l’Évangile qu’ils considéraient comme la Parole de
Dieu et que Dieu ne peut pas se contredire. Pour toi, bien sûr, c’est la correction d’une
grossière déviation, par conséquent une intervention nécessaire, toute pénible qu’elle soit.
Mais les chrétiens ont-ils l’occasion d’expliquer à leurs frères musulmans dans les
mosquées ce que c’est pour eux que cette filiation divine? Ont-ils l’occasion de faire
comprendre qu’ils ne sont pas plus stupides que les autres adorateurs du Dieu unique et
invisible? Qu’il ne s’agit pas pour Dieu d’enfanter comme une femme enfante chez les
humains?
Par ailleurs, il y a une coïncidence étrange de certains mots quand nous mettons en
parallèle le Coran et l’Évangile à propos de la naissance de Jésus. Je m’explique.
Tu sais que les trois personnes que nous distinguons en Dieu sans les séparer sont
nommées : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Tu sais que l’évangéliste Jean commence son
récit par une sorte de poème sur le Verbe de Dieu (la Parole) qui « s’est fait chair et qui a
habité parmi nous ». Ce Verbe divin, cette Parole divine, c’est le Fils. Et tu saisis que la
Parole en question, au sein de la Divinité, n’est rien de semblable à un bébé en chair et en
os enfanté par une femme. Bien sûr, Jésus, selon nous, est né de la vierge Marie, conçu de
l’Esprit Saint, mais ce n’est pas en cela que nous le disons Fils de Dieu, mais parce qu’il
est ce Verbe divin qui est en Dieu, proféré de toute éternité, « venu dans la chair », comme
dit l’évangéliste saint Jean.
Or, quand le Coran parle de Marie, dans la troisième sourate, au verset 40, dans la
traduction que j’utilise, le mot Verbe est employé pour désigner Jésus, qualifié d’ailleurs
de Messie dans ce passage.
16
Les anges dirent à Marie : Dieu t’annonce son Verbe. Il se nommera le
Messie, Jésus fils de Marie.
Et au verset 12 de la sourate 66, c’est l’Esprit qui est nommé, celui que nous appelons la
troisième personne de la Trinité :
Et Marie, fille d’Imran, qui conserva sa virginité, nous lui inspirâmes une
partie de notre esprit.
Je sais bien que ces mots ne doivent pas s’entendre dans le Coran comme nous les
entendons dans l’Évangile, mais un chrétien ne peut pas s’empêcher de voir quelque chose
de particulier dans ces coïncidences qui semblent accidentelles, comme si Mahomet, sans
s’en rendre compte, avait subi quelque mystérieuse influence. Par ailleurs, il est clair
partout dans le texte que l’idée d’un Dieu trinitaire est rejetée avec fermeté.
Pourtant, le Coran semble accepter que les Évangiles soient des révélations divines :
3, 50 Sur les pas des autres prophètes, nous avons envoyé Jésus, fils de
Marie, pour confirmer le Pentateuque. Nous lui avons donné l’Évangile, qui
contient la direction et la lumière; il confirme le Pentateuque; l’Évangile
contient aussi la direction et l’avertissement pour ceux qui craignent Dieu. 51
Les gens de l’Évangile jugeront selon l’Évangile. Ceux qui ne jugeront pas
d’après un livre de Dieu seront infidèles.
Mais en même temps qu’il reconnaît l’Évangile comme un don de Dieu, il nie
l’enseignement principal que les chrétiens y trouvent et qui fonde le christianisme,
prétextant qu’on a mal interprété les textes et inventé des enseignements impies.
Alors, je te demande, cher Mourad, après toutes ces attaques à répétition (et il y en a
jusqu’à la fin du Livre), comment un musulman peut-il avoir du respect pour un chrétien?
Et comment les chrétiens auraient-ils pu voir la montée de l’Islam autrement que
comme une agression et une provocation?
Mais je reviens aux juifs. On a parfois l’impression que le Coran accepte les juifs croyants
comme étant des fidèles destinés aux récompenses de l’au-delà.
3, 93 Dis à ceux qui ont reçu les Écritures […] 106 Vous êtes le peuple le plus
excellent qui ait jamais surgi parmi les hommes; vous ordonnez ce qui est bon
et défendez ce qui est mauvais, et vous croyez en Dieu. Si les hommes qui ont
reçu les Écritures voulaient croire, cela ne tournerait qu’à leur avantage;
mais quelques-uns d’entre eux croient, tandis que la plupart sont pervers. 107
Ils ne sauraient vous causer que des dommages insignifiants; s’ils s’avisent
de vous faire la guerre, ils tourneront bientôt le dos et ne seront point
secourus. 108 Partout où ils s’arrêteront, l’opprobre s’étendra comme une
tente au-dessus de leurs têtes…
J’ai coupé le verset 93, pour mieux faire voir l’impression d’acceptation que contient le
texte, mais ce n’est qu’une impression. Ce que signale ce passage, c’est principalement le
refus de croire au Coran :
17
Dis à ceux qui ont reçu les Écritures : Pourquoi refusez-vous de croire aux
signes de Dieu; il est témoin de vos actions.
Tu sais, évidemment, que, dans ce contexte, les signes de Dieu dont il est question ici sont
les versets du Coran. On lit dans l’ouvrage de W.M. Watt sur Mahomet que, durant les
premières années de l’Islam, il y avait certaines tribus juives alliées avec des tribus arabes.
On y apprend aussi que, jusqu’en février 624, les musulmans se tournaient vers
Jérusalem pour prier. Il y eut des tentatives de la part de Mahomet pour s’allier les juifs,
qui croyaient en un Dieu unique, parce qu’il avait de nombreux ennemis idolâtres qui
n’étaient pas prêts à accepter le monothéisme. Mais en définitive, il trouva chez eux (chez
les Juifs) une opposition radicale, et il faut comprendre que, pour être à ses yeux des
croyants qui plaisent à Dieu, les juifs auraient dû croire aussi aux versets du Coran.
En ce qui regarde plus directement la croyance en un Dieu trinitaire, tu connais, j’imagine
le verset 169 de la quatrième sourate :
O vous qui avez reçu les Écritures! dans votre religion, ne dépassez pas la
juste mesure, ne dites de Dieu que ce qui est vrai. Le Messie, Jésus, fils de
Marie, est l’apôtre de Dieu et son verbe qu’il jeta dans Marie; il est un esprit
venant de Dieu. Croyez donc en Dieu et en ses apôtres, et ne dites pas : il y a
trinité. Cessez de le faire. Ceci vous sera plus avantageux, car Dieu est
unique. Gloire à lui. Comment aurait-il fait un fils? À lui appartient tout ce qui
est dans les cieux et sur la terre. Son patronage suffit. Il suffit d’avoir Dieu
pour patron.
Il n’y a rien d’étonnant dans cette mise en garde. C’est normal de ne pas croire à un Dieu
unique et trinitaire à la fois, si on n’est pas héritier de la foi des chrétiens.
Mais j’admire, comme je le signalais plus haut, cette mystérieuse coïncidence du
vocabulaire qui rejoint presque l’évangile de Jean : « Le Messie, Jésus, fils de Marie, est
l’apôtre de Dieu et son verbe qu’il jeta dans Marie; il est un esprit venant de Dieu. »
Le Verbe (deuxième personne de la Trinité) et l’Esprit (troisième personne), sont
nommés. Le rapprochement avec les textes qu’on trouve dans l’Évangile est frappant.
L’ange Gabriel dit à Marie :
L’Esprit Saint viendra sur toi, la puissance du Très-haut te prendra sous son
ombre; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. (Lc 1,
35)
Peut-être as-tu déjà lu le début de l’évangile de Jean :
Au commencement était le Verbe;
et le Verbe était avec Dieu,
et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement avec Dieu.
[…]
Le Verbe était la lumière véritable,
qui éclaire tout homme;
18
il venait dans le monde.
[…] Et le Verbe s’est fait chair
et il a habité parmi nous,
et nous avons vu sa gloire,
gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité.
Tu vois un peu? Le Coran dit : Jésus est […] son verbe qu’il jeta dans Marie. C’est tout
proche de l’Évangile, mais je reconnais que l’ensemble du texte coranique nie évidemment
la divinité de Jésus.
Dans un ouvrage sur le Coran, publié par un imam de la Mosquée de Londres, je lis : « La
religion n’est pas un produit de l’imagination humaine. » Les chrétiens sont bien d’accord
avec cette idée. Les musulmans qui ne connaissent l’Évangile que par le Coran ont
l’impression que nous avons inventé quantité de données doctrinales. Mais si tu lis les
quatre évangiles et les lettre des apôtres Pierre, Paul, Jacques et Jean, tu pourras te rendre
compte que l’enseignement sur la filiation divine de Jésus est attesté par de nombreux
passages. Je ne te dis pas ça pour que tu y croies, mais pour que tu comprennes que nous
n’avons pas inventé notre révélation, mais nous croyons l’avoir reçue du Ciel par
l’intermédiaire de Jésus et de son Église. Je te cite ici un seul passage de l’évangile de
Mathieu, pour te donner une idée.
Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, frère de Jacques, et
les conduisit sur une haute montagne où ils se trouvèrent seuls. Il changea
d'aspect devant leurs yeux; son visage se mit à briller comme le soleil et ses
vêtements devinrent blancs comme la lumière. Soudain les trois disciples
virent Moïse et Élie qui parlaient avec Jésus. Pierre dit alors à Jésus:
«Seigneur, il est bon que nous soyons ici. Si tu le veux, je vais dresser ici trois
tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie.» Il parlait encore,
lorsqu'un nuage brillant vint les couvrir, et du nuage une voix se fit entendre:
«Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je mets toute ma joie. Écoutez-le!»
Quand les disciples entendirent cette voix, ils eurent tellement peur qu'ils se
jetèrent le visage contre terre. Jésus s'approcha d'eux, les toucha et dit:
«Relevez-vous, n'ayez pas peur.» Ils levèrent alors les yeux et ne virent
personne d'autre que Jésus. (17, 1-9)
Je me suis un peu attardé à ce point, parce que je veux que tu comprennes que c’était une
gifle peu agréable pour les chrétiens du septième siècle de se faire donner des leçons qui, à
leurs yeux, étaient blasphématoires. Et ça n’a pas changé.
Tu connais ces versets fameux de la sourate 5 :
56 O croyants! ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens; ils sont amis
les uns des autres. Celui qui les prendra pour amis finira par leur ressembler,
et Dieu ne sera point le guide des pervers.
19
Cette recommandation n’est pas rassurante pour un chrétien qui a des amis musulmans.
Dans cette même sourate, au verset 76, tu trouves cette remontrance adressée aux
chrétiens :
Infidèle est celui qui dit : Dieu, c’est le Messie, fils de Marie. Le Messie n’a-t-il
pas dit lui-même: O enfants d’Israël, adorez Dieu qui est mon Seigneur et le
vôtre? Quiconque associe à Dieu d’autres dieux, Dieu lui interdira l’entrée du
Jardin, et sa demeure sera le feu.
Tu sais, j’imagine, toi qui es un homme renseigné, que, quand les chrétiens disent que
Jésus est Fils de Dieu et qu’il est à la fois Dieu et homme, ils ne pensent pas qu’il est un
autre dieu à côté de Dieu, comme l’insinue le Coran, mais la manifestation chez les
hommes du Dieu unique. J’imagine que les imams ne citent pas souvent ces paroles de
Jésus: « Le Père et moi, nous sommes un ». Ou encore : « Ne sais-tu pas que je suis dans
le Père et que le Père est en moi? Qui me voit voit le Père. » Est-ce qu’ils ne sont pas
plutôt très contents de nous présenter comme des « associationnistes » et, par
conséquent, des idolâtres? C’est important pour eux que nous ayons tort, et j’accepte
facilement cette attitude agressive, parce que le Coran la leur suggère et j’ai tendance à
croire qu’ils sont sincères et croient travailler à la gloire de Dieu en combattant le
christianisme.
Permets-moi de répéter que notre croyance en Jésus comme Fils de Dieu n’est pas fondée
sur les quelques notes que tu trouves dans le Coran, mais sur les récits des quatre
évangélistes, qui racontent l’enseignement qu’ont reçu les douze apôtres que Jésus avait
choisis. Ces apôtres eux-mêmes ont eu beaucoup de mal à comprendre et à accepter cette
idée d’un Messie qui est l'Image du Dieu invisible, Premier-Né de toute créature, en qui
ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, ainsi
que l’explique plus tard l’apôtre Paul. Je te cite ici un extrait d’un dialogue entre Jésus et
ses apôtres, la veille de sa mort, où on voit qu’ils commencent tout juste à comprendre,
après trois ans passés en sa compagnie, qui est Jésus. C’est tiré de l’Évangile de Jean,
chapitre 15, versets 25 et suivants :
«Je vous ai dit tout cela en utilisant des paraboles. Le moment viendra où je
ne vous parlerai plus ainsi, mais où je vous annoncerai clairement ce qui se
rapporte au Père. Ce jour-là, vous adresserez vos demandes au Père en mon
nom; et je ne vous dis pas que je le prierai pour vous, car le Père lui-même
vous aime. Il vous aime parce que vous m'aimez et que vous croyez que je
suis venu de Dieu. Je suis venu du Père et je suis arrivé dans le monde.
Maintenant je quitte le monde et je retourne auprès du Père.» Ses disciples lui
dirent alors: «Voilà, maintenant tu parles clairement, sans utiliser de
paraboles. Maintenant nous savons que tu connais tout et que tu n'as pas
besoin d'attendre qu'on t'interroge. C'est pourquoi nous croyons que tu es
venu de Dieu.» Jésus leur répondit: «Vous croyez maintenant? Eh bien, le
moment vient, et il est déjà là, où vous serez tous dispersés, chacun
retournera chez soi et vous me laisserez seul. Non, je ne suis pas vraiment
20
seul, car le Père est avec moi. Je vous ai dit tout cela pour que vous ayez la
paix en restant unis à moi. Vous aurez à souffrir dans le monde. Mais
courage! J'ai vaincu le monde!»
Quand ils lui disent : « Maintenant nous croyons que tu es venu de Dieu » on voit qu’ils
signifient quelque chose de plus que la simple mission d’un apôtre ou d’un prophète,
parce qu’ils viennent tout juste de dire : « Maintenant nous savons que tu connais tout et
que tu n'as pas besoin d'attendre qu'on t'interroge.» Mon intention n’est pas ici de
t’amener à croire ce que je crois. Comme je te l’expliquais au début, je crois que, si tu
comprends mieux quels sont les fondements de ma foi, ce sera plus facile pour toi de
respecter ma croyance et de ne pas voir les chrétiens comme des associationnistes ou des
idolâtres.
Permets-moi une autre digression : J’entendais un imam important d’une mosquée de
Londres dire à la télévision, pour justifier la guerre « religieuse » : « Jésus n’a-t-il pas dit :
Celui qui veut venir après moi, qu’il prenne son épée, qu’il prenne sa croix et qu’il me
suive? » Si les imams présentent ainsi le christianisme, comment le simple musulman
peut-il être bien renseigné? On trouve une seule histoire d’épée dans l’Évangile et c’est
juste avant l’arrestation de Jésus. Il sait d’avance ce qui va arriver et ce qu’il va faire. Il
demande aux apôtres s’ils ont des épées. On en trouve deux. Au moment de l’arrestation,
Pierre, le bouillant, sort son arme et frappe. Mais Jésus lui dit : « Remets ton épée au
fourreau. Celui qui se sert de l’épée périra par l’épée. » Il voulait justement montrer que
son combat n’était pas de cette nature.
Mais j’en reviens à ce thème d’un Islam qui prend à partie les juifs et les chrétiens. Si tu
veux lire par toi-même d’autres exemples de ce que j’essaie d’expliquer ici, tu pourras lire
les versets suivants : (5, 16) (5, 45-48) (5, 69-70) (6, 147) (7, 168) (17, 4-10) (22, 17)
(62, 5-7)). Je te cite cependant ces deux derniers versets :
5 Ceux qu’on a chargés du Pentateuque et qui ne le portent pas [ne
l’observent pas?] ressemblent à l’âne qui porte des livres. C’est à quelque
chose de vil que ressemblent les hommes qui traitent les signes de Dieu de
mensonges. Dieu ne guidera point les impies. 6 Dis : O Juifs, vous vous
imaginez être les alliés de Dieu à l’exclusion de tous les hommes, désirez la
mort si vous dites la vérité. 7 Non, ils ne la désireront jamais, à cause de leurs
œuvres; car Dieu connaît les méchants.
La question n’est pas de savoir si les juifs et les chrétiens méritaient des reproches, mais
de comprendre qu’un texte accusateur et polémique à l’égard de ces deux familles de
croyants ne pouvait pas causer autre chose qu’un choc culturel et des hostilités
permanentes et croissantes.
2. Le caractère belliqueux de l’être humain
L’être humain est belliqueux. Le sentiment d’hostilité monte en lui à la moindre occasion.
Tu sais que l’équivalent latin du mot ennemi est hostis et que c’est de là que vient le mot
hostilité. Dans mon dictionnaire personnel, l’hostilité est une réaction animale reliée au
21
phénomène de la survie. Tous les animaux (ou presque) vivent inquiets; parce qu’ils sont
faits pour se dévorer les uns les autres (le loup mange le mouton, le tigre dévore le zèbre).
Ils sont constamment sur le qui-vive. Ils surveillent tout ce qui bouge en se posant la
question fondamentale : ami ou hostile? Et ils choisissent, selon leurs perceptions, la fuite,
ou la défensive ou l’attaque. L’être humain a certains traits communs avec les animaux et
cette réaction instinctive qu’est l’hostilité s’éveille en lui pour des raisons insignifiantes.
Et comme je ne suis pas différent des autres, occasionnellement, elle s’éveille en moi pour
des raisons insignifiantes. Je dois être sur mes gardes pour ne pas me laisser envahir par
des sentiments d’hostilité. Et toi, ça t’arrive aussi?
Tu souffrira que j’ajoute quelques paroles en trop. Quand la paléontologie retrace
l’évolution des ancêtres de l’homme d’aujourd’hui, elle mentionne, entre autres,
l’australopithèque, l’homo habilis, l’homo ergaster et, à la fin, l’homo sapiens et l’homo
sapiens sapiens. En français, l’avant dernier serait l’homme sage et l’autre, l’homme sage
sage. Mais c’est un abus de vocabulaire. Il faudrait l’appeler en latin homo pugnax ou
bellicus et, en français, l’homme guerrier ou l’homme belliqueux. Depuis Adam jusqu’à
aujourd’hui, il n’y a eu que lui. Le vingt-et-unième siècle verra-t-il la naissance timide
de l’homme sage?
Si je m’en tiens aux récits de la Bible, le premier événement important est la rébellion
d’Adam et d’Ève contre Dieu. Le deuxième est l’assassinat d’Abel par son frère Caïn.
Après la sortie d’Égypte, le peuple hébreux ne cesse de combattre pour se faire un chemin
vers la Terre promise. Quand David, le poète berger devenu roi, décide de construire un
temple à Yahvé, il se fait répondre qu’il a répandu trop de sang et que ce n’est pas lui qui
va construire cette maison.
Depuis les origines, l’histoire des peuples est une histoire de guerres. La majorité des
héros sont des guerriers. Les « grands de ce monde» sont des chefs de guerre : Alexandre
le Grand, Jules César, Charlemagne, Saladin, Napoléon Bonaparte… Aujourd’hui, on ne
voit plus rien de glorieux dans la guerre, même si on sait reconnaître le courage des gens
qui, chaque jour, affrontent la mort dans des combats qu’ils n’ont pas choisis.
Je vais faire ici une affirmation solennelle : La spiritualité présentée par les différentes
religions semble avoir toujours été plafonnée par le degré d’avancement de la
civilisation dans laquelle elles sont nées. Ce serait l’application d’un principe énoncé
par un philosophe grec : Tout ce qui se reçoit est reçu selon le mode du récepteur (de ce
qui reçoit). Les avances de Yahvé envers le peuple hébreux étaient tout ce qu’il y a de
plus spirituel. Pourtant, la religion qui en est sortie s’est exprimée d’abord de façon
primitive, par des sacrifices d’animaux, et la guerre était une expression normale de la foi.
Le christianisme et l’Islam n’ont pas échappé à ce phénomène.
Mais attention! Il faut prendre des précautions ici. Si on définit la spiritualité comme un
rapport personnel profond, intime et amoureux avec Dieu, on peut affirmer que, comme
une rivière souterraine, un filon de pure spiritualité a toujours coulé aux veines de
l’humanité. Moïse et les prophètes de la religion hébraïque ont vécu une spiritualité de
22
haut niveau, et l’on voit Isaïe, au 7e siècle avant J.-C., nous présenter un Dieu impatient
de voir son peuple atteindre une spiritualité inspirée par l’amour :
« Je n'ai rien à faire de vos nombreux sacrifices, déclare le Seigneur. J'en ai assez des béliers
consumés par le feu et de la graisse des veaux. Je n'éprouve aucun plaisir au sang des
taureaux, des agneaux et des boucs.
Vous venez vous présenter devant moi, mais vous ai-je demandé de piétiner les cours de mon
temple?
Cessez de m'apporter des offrandes, c'est inutile; cessez de m'offrir la fumée des sacrifices, j'en
ai horreur; cessez vos célébrations de nouvelles lunes, de sabbats ou de fêtes solennelles, je
n'admets pas un culte mêlé au crime.
Je déteste vos fêtes de nouvelle lune, vos cérémonies sont un fardeau pour moi, je suis fatigué
de les supporter.
Quand vous étendez les mains pour prier, je me bouche les yeux pour ne pas voir. Vous avez
beau faire prière sur prière, je refuse d'écouter, car vos mains sont couvertes de sang.
Nettoyez-vous, purifiez-vous, écartez de ma vue vos mauvaises actions, cessez de mal faire.
Apprenez à bien faire, préoccupez-vous du droit des gens, tirez d'affaire
l'opprimé, rendez justice à l'orphelin, défendez la cause de la veuve. »
Toutefois, ceci dit, ce qui paraît de l’exercice de la religion a toujours été plafonné
par le primitivisme qui subsistait dans les communautés humaines. Pendant des
siècles on a fait la guerre au nom de Yahvé, et plus tard, les chrétiens ont fait la guerre au
nom du Christ Jésus, qui pourtant avait interdit à Pierre de le défendre par le glaive lors de
son arrestation. Tout son enseignement allait en sens contraire des comportements
guerriers. Et pourtant, nous avons vécu nos rapports inter-religieux comme une lutte de
clans ennemis où le vainqueur domine le vaincu.
Au début de l’Islam, Mahomet, qui avait avec lui un clan, donnait volontiers son aval aux
razzias, qui étaient une pratique courante à son époque. Conquérir des peuples par l’épée,
le sabre, le fusil et le canon pour les amener « à la vraie foi » est une pratique courante de
l’homme guerrier, depuis des siècles. Et ceci nous amène au second obstacle, qui n’est que
le prolongement du précédent.
3. L’appel du Coran à l’esprit guerrier
Quand je t’ai rencontré, j’ai vu en toi un homme pacifique, éloigné de tout fanatisme et
capable de relations amicales avec tout le monde. C’est bien ainsi que la très grande
majorité des musulmans voudraient être perçus, ceux du moins qui ne sont pas impliqués
dans le terrorisme.
Mais dis moi, comment un musulman fait-il pour être pacifiste? J’ai lu le Coran de façon
un peu paresseuse, et pourtant, j’ai relevé plus de 22 passages qui invitent à la guerre, et
je sais que j’aurais pu en noter au moins le double. Tu les connais probablement par cœur,
mais je vais quand même t’en citer quelques uns.
Je ne mentionne pas les passages où il est question de se défendre contre l’agresseur,
comme c’est le cas au verset suivant de la deuxième sourate.
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186 Combattez dans la voie de Dieu contre ceux qui vous feront la guerre.
Mais ne commettez point d’injustice en les attaquant les premiers, car Dieu
n’aime point les injustes. 187 Tuez-les partout où vous les trouverez et
chassez-les d’où ils vous auront chassés. La tentation de l’idolâtrie est pire
que le carnage de la guerre. […] 189 Combattez-les jusqu’à ce que vous
n’ayez plus à craindre la tentation et que tout culte soit celui du Dieu unique.
À cette époque, Mahomet n’était pas encore maître de la Mecque. La tentation de
retourner aux idoles était encore présente. Il fallait en finir. D’après certains
commentateurs, la réserve exprimée au verset 186 peut avoir été oubliée par la suite en
bien des circonstances où la possibilité était offerte de prendre la domination sur un
peuple d’une autre religion.
Au verset 212 on lit :
On vous a prescrit la guerre, et vous l’avez prise en aversion. 213 Il se peut
que vous ayez de l’aversion pour ce qui vous est avantageux et que vous
aimiez ce qui vous est nuisible. Dieu le sait; mais vous, vous ne le savez pas.
Tu peux comprendre que le prophète essaie de mettre ici dans la tête des fidèles
musulmans que la guerre leur est avantageuse.
On sait que le clan de Mahomet a fait la guerre durant le mois sacré. Il s’en explique de la
façon suivante :
2, 214 Ils t’interrogeront sur le mois sacré, sur la guerre dans ce mois. Disleur : La guerre dans ce mois est un péché grave; mais se détourner de la vie
de Dieu, ne point croire en lui et en l’oratoire sacré, chasser de son enceinte
ceux qui l’habitent est un péché encore plus grave. La tentation de l’idolâtrie
est pire que le carnage.
Dans la sourate 3, il est question des hypocrites, un groupe dont on ne connaissait pas
clairement l’allégeance. Les instructions à leur égard sont les suivantes :
91 […] S’ils retournent réellement d’une manière avouée à l’infidélité,
saisissez-les et mettez-les à mort partout où vous les trouverez.
Il est important cependant de ne pas interpréter ces instructions en dehors de leur
contexte, qui n’était pas en tout point un contexte religieux. L’esprit de clan avait
beaucoup à voir avec la survie et la sécurité.
Pour encourager les croyants à s’enrôler parmi les combattants, le Coran affirme :
96 Les fidèles qui resteront dans leurs foyers sans y être contraints par la
nécessité ne seront pas traités comme ceux qui combattront dans le sentier de
Dieu, avec le sacrifice de leurs biens et de leurs personnes. Dieu a assigné à
ceux-ci un rang plus élevé qu’à ceux-là; il a fait de belles promesses à tous,
mais il a destiné aux combattants une récompense plus grande qu’à ceux qui
restent dans leur foyer.
24
Dans la neuvième sourate au verset 29, on trouve cette invitation qui a une portée
effrayante :
Faites la guerre à ceux qui ne croient point en Dieu, ni au jour dernier, qui ne
regardent point comme défendu ce que Dieu et son apôtre ont défendu, et à
ceux d’entre les hommes des Écritures qui ne professent pas la croyance de la
vérité.
Le verset suivant explique ce qui vient d’être écrit :
Les juifs disent : Ozaïr est fils de Dieu. Les chrétiens disent : Le Messie est fils
de Dieu. Telles sont les paroles de leurs bouches; ils ressemblent en les disant
aux infidèles d’autrefois. Que Dieu leur fasse la guerre. Qu’ils sont menteurs!
L’expression Que Dieu leur fasse la guerre pourrait être remplacée par Que Dieu les
combatte, explique l’éditeur de la traduction que j’utilise. Il s’agit d’une formule de
malédiction.
J’en passe et je t’amène vers la fin du Livre, à la sourate 47, intitulée Alahkaf. Tu connais
sans doute par cœur ces versets qu’invoquent aujourd’hui les extrémistes musulmans :
4 Lorsque vous rencontrez des infidèles, eh bien! tuez-les au point d’en faire
un grand carnage, et serrez fort les entraves (des captifs).5 Ensuite, vous les
mettrez en liberté, ou vous les rendrez moyennant une rançon, lorsque la
guerre aura cessé. […] 8 O croyants! si vous assistez Dieu dans sa guerre
contre les méchants, lui vous assistera aussi et affermira vos pas. 9 Pour les
incrédules, puissent-ils périr et puisse Dieu rendre nulles leurs œuvres. 10 Ce
sera la rétribution de leur aversion pour les révélations de Dieu; puisse-t-il
anéantir leurs oeuvres! […] 13 Dieu introduira ceux qui croient et font le bien
dans les jardins baignés par des cours d’eau; pour les infidèles, qu’ils
jouissent, qu’ils mangent comme mangent les brutes; leur demeure sera le feu.
[…] 37 ne montrez pas de lâcheté et n’appelez point les infidèles à la paix
quand vous êtes les plus forts et que Dieu est avec vous…
Sourate 48 :
16 Dis encore aux Arabes du désert qui sont restés chez eux : Nous vous
appellerons à marcher contre un peuple doué d’une puissance terrible, vous
combattrez ces gens jusqu’à ce qu’ils se fassent musulmans. Si vous obéissez,
Dieu vous accordera une belle récompense…
Sourate 66 :
O prophète! fais la guerre aux infidèles et aux hypocrites, sois sévère à leur
égard. La géhenne sera leur demeure. Quel détestable séjour!
Toutes ces invitations à la guerre seraient moins inquiétantes si elles étaient comprises
dans le contexte où elles ont été écrites. Le monde arabo-islamique était en guerre. Il l’a été
longtemps et dans de très nombreux pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie et
25
d’Europe; longtemps et vraiment très loin. Religion et politique guerrière sont
entremêlées. C’est un monde binaire de bons et de méchants, le monde de la guerre, et les
instructions sont adaptées à la situation. Là où la chose devient inquiétante, c’est quand
des fanatiques invoquent ces textes moyenâgeux en plein vingt-et-unième siècle.
L’équivalent de cette aberration serait, par exemple, pour l’Israël d’aujourd’hui, de
prendre appui sur le discours du prophète Samuel au roi Saül, vers 1030 avant notre ère,
pour justifier un génocide :
1 Samuel dit à Saül: «C'est moi que le Seigneur a envoyé autrefois pour te
consacrer roi d'Israël, son peuple; écoute donc ce que j'ai à te dire de sa part.
2 Voici ce que déclare le Seigneur, le Dieu de l'univers: "Je me souviens de ce
que les Amalécites ont fait au peuple d'Israël, lorsqu'il est sorti d'Égypte: ils
lui ont barré le passage.
3 Eh bien, va les attaquer maintenant, détruis complètement tout ce qui leur
appartient, sans pitié. Mets à mort tous les êtres vivants, hommes et femmes,
enfants et bébés, bœufs et moutons, chameaux et ânes." »
Il n’y aurait rien d’inquiétant dans les prescriptions coraniques relatives à la guerre si nous
étions certains que tous les musulmans d’aujourd’hui savent user de discernement dans la
lecture de leur Livre sacré. Mais quelle garantie avons-nous à ce sujet? Quelles certitudes
avons-nous que les enfants d’aujourd’hui qui étudient le Coran ne sont pas fanatisés et
formés à développer de la haine contre ceux que le Coran appelle les infidèles? Par qui
sont-ils formés? Par les imams pacifiques ou par ceux qui invitent couramment à la guerre
sainte et qui enseignent la haine comme une vertu? Quel leader musulman capable de
dispenser un enseignement pacifique et éclairé sera assez puissant et aura assez d’autorité
pour que sa voix domine le tumulte des divisions internes et des luttes externes et pour que
nous n’ayons plus aucune raison de craindre la montée de l’islamisme radical? Ceux qui
ont décapité le journaliste de la BBC ont-ils trouvé dans le Coran l’inspiration qui les a
guidés? Et ceux qui ont exécuté d’une balle dans la tête la directrice de CARE, épouse d’un
Irakien et d’une Irakienne d’adoption, avaient-ils le sentiment d’obéir au prophète?
Il n’y a pas d’hostilité dans ce que je te dis. Je veux seulement que tu comprennes
l’inquiétude qui s’empare de nous quand nous voyons qu’une interprétation moyenâgeuse
du Coran est encore possible. Ce n’est pas ta faute, je le sais bien, mais la peur est là
parce que nous ne savons pas quels musulmans sont capables de faire la distinction entre
des instructions conçues pour stimuler au combat les guerriers musulmans du septième
siècle et la révélation d’un Dieu qui veut le bonheur et le salut des humains.
4. La collusion entre pouvoirs et religions
Durant les premiers siècles de son histoire, le christianisme n’était pas appuyé par les
pouvoirs politiques et militaires. Bien au contraire, depuis la prédication de Jean le
Baptiseur jusqu’au début du quatrième siècle, le pouvoir romain voyait d’un mauvais œil
toute prédication qui éloignait ses sujets du culte rendu aux dieux et à l’empereur.
26
Jésus avait envoyé ses disciples en mission en leur disant :
« Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. […] Ne prenez ni
bourse, ni sac, ni chaussures. […] Quand vous entrerez dans une ville et que
l'on vous recevra, mangez ce que l'on vous présentera; guérissez les malades
de cette ville et dites à ses habitants: "Le Royaume de Dieu s'est approché de
vous. »
C’est ainsi, dans le dépouillement total, et non pas avec une épée à la main, que leur
ministère a commencé. Et plus tard, dans les pays éloignés de l’empire romain, comme au
Japon, en Inde, en Chine, les porteurs du message chrétien ont accompli leur mission sans
l’appui d’aucun pouvoir. Et plusieurs ont été persécutés et mis à mort.
Jean le Baptiseur a été décapité. Jésus a été crucifié. Après sa mort-résurrection, ses
apôtres et disciples très proches, pour la plupart, ont été persécutés et exécutés. Étienne,
vers l’an 36. Jacques le Majeur, en 44. Paul (un rabbin juif fanatique converti au
christianisme lors d’une rencontre-vision avec Jésus dans sa gloire de ressuscité) a passé
des années en prison et a finalement été exécuté. Pierre, le chef des apôtres, a fini de la
même façon. Sous l’empereur Domitien (81-96), les chrétiens sont persécutés. Sous Marc
Aurèle, on a, parmi bien d’autres, le martyr de Justin et de Polycarpe. Sous Commode, les
martyrs de Scillium, en Numidie. Les martyrs des premiers siècles sont innombrables. Les
papes eux-mêmes ont été persécutés et plusieurs ont été exécutés.
En 313, Constantin proclame l’édit de Milan qui protège les chrétiens. À partir de cette
date, les empereurs romains vont se mêler assez directement des questions religieuses,
mais les persécutions ne sont pas pour autant terminées. L’empereur Julien sanctionne en
363 une législation antichrétienne.
On peut quand même dire que, à partir de l’édit de Milan, les accointances entre l e
pouvoir civile et le pouvoir religieux ont été l’occasion de conduites qui nous
paraissent aujourd’hui des déviations graves. L’empereur use de son autorité à l’intérieur
des conciles (les conciles sont des réunions d’évêques pour discuter de la doctrine). Il
prend parti dans les querelles doctrinales. Il y aura au cours des siècles suivants quelques
opérations militaires pour écraser les tenants de certaines doctrines considérées par les
conciles comme des déviations, des hérésies.
C’est que la distinction entre la foi et les pouvoirs politico-militaires n’était plus
maintenue. On intervenait militairement pour rétablir la paix et en même temps, on
violentait les consciences en imposant des croyances. Je ne connais pas la totalité de ces
interventions qui sont tout à l’opposé de la doctrine de Jésus. En voici trois que tu
connais certainement : 1) la guerre contre les Albigeois ou les Cathares (1209-1219) qui fit
quelques centaines de victimes, 2) l’Inquisition qui, d’après les recherches les plus
récentes, entraîna dans la mort quelques milliers de personnes et 3) le massacre de la
Saint-Barthélemy, massacre essentiellement politique, et dû surtout au fanatisme des
masses populaires. Quant aux croisades, j’en ferai un cas à part.
27
Mais attention! Tu seras certainement d’accord avec le principe qu’il ne faut pas juger les
actions d’autrefois à partir du niveau de conscience que nous avons atteint aujourd’hui ni
à partir des conditions socioculturelles dans lesquelles nous vivons. Des héros d’autrefois
seraient convertis en d’odieux criminels si nous faisions cette erreur de jugement. Dans la
guerre contre les Albigeois, le politique et le religieux sont confondus. Ces fanatiques de la
pureté (les cathares) constituaient un très grave défi pour l’Église, mais en même temps ils
apparaissaient surtout comme des sujets rebelles du royaume. Les mater par la force
militaire pouvait être justifié sur le plan politique, mais les forcer à se convertir, les
torturer et les brûler parce qu’ils s’obstinaient dans leur foi était un acte monstrueux sur
lequel Jésus aurait vomi.
Quant à l’Inquisition, essaie de comprendre que l’aberration des ecclésiastiques était telle
qu’ils l’appelaient la Sainte Inquisition. Pressés par l’idée que l’ensemble de la population
d’un pays se devait d’être unie dans la même foi, on croyait rendre gloire à Dieu et servir
l’Église de Jésus et l’État en exerçant un contrôle sur la foi des gens.
Des historiens ont débattu sur le nombre de victimes de la Sainte Inquisition. Les uns ont
proposé des chiffres qui atteignent le million, ce qui est impensable. Les autres grâce aux
recherches récentes démontrent que ce nombre ne dépasse pas, sur une période de six
siècles, 10 000 morts (je parle ici par ouï-dire). Mais la recension d’une seule victime
qu’on aurait torturée pour la convertir serait déjà une honte pour nous, chrétiens,
pour les siècles passés et à venir. Aujourd’hui, nous en avons le frisson, rien que d’y
penser.
Le Pape, il y a quelques années, a demandé pardon au nom de l’Église catholique pour ce
genre d’atrocité. (Est-ce que, d’après toi, les musulmans un jour demanderont pardon
pour quelques petites choses moins parfaites qu’ils auraient pu commettre?) Puis le
Vatican a ouvert les archives, restées cachées jusque là, relatives à ce sujet de l’Inquisition.
À partir de là, une émission de télévision vient d’être produite (fin 2004) et met en
lumière les principaux acteurs de ce drame obscur. Et tu remarqueras qu’il n’y aura pas de
fatwa catholique contre les personnes qui ont monté ce reportage, dans lequel témoigne
notamment celui qui est devenu depuis le pape Benoît XVI.
Tu ne seras pas surpris si je te dis que les adversaires de la chrétienté prennent plaisir à
exagérer les atrocités de cette chasse aux sorcières, en gonflant le nombre des victimes,
comme si la réalité n’était pas déjà assez terrible.
Encore ici, nous serions bien téméraires de juger ces inquisiteurs devant Dieu. Mais leurs
actions demeureront toujours une terrible déviation eu égard à la doctrine de Celui qui est
venu libérer l’être humain du joug de toute religion exerçant une domination sur les
consciences. Le seul pouvoir qu’il a mis en valeur a été le pouvoir de servir son prochain.
« N’ai-je pas été comme celui qui sert? » dit Jésus.
Dans le massacre de la Saint-Barthélemy, où un grand nombre de protestants ont été
assassinés par des catholiques déchaînés, il pouvait bien y avoir une explication politique,
en cela que des factions existaient et tentaient de renverser le pouvoir, mais même dans ces
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perspectives, les assassinats étaient de la pure barbarie, et comme la rivalité s’établissait
principalement sur un fond religieux, il n’y avait que honte pour les catholiques dans ce
massacre. Nous n’avons pas le droit de juger ces assassins. Dieu seul sait ce qu’il y a dans
le cœur de l’homme. Mais nous avons le droit d’évaluer leur action à la lumière de la
spiritualité remarquable de ce siècle et surtout de celle qui nous éclaire aujourd’hui.
Quant aux croisades, n’étant pas historien, je ne vais pas t’en parler en expert. Voici ce
que je comprends. Depuis les premiers temps de l’Église, les chrétiens pouvaient aller
librement vénérer les lieux où Jésus a vécu et a été crucifié et mis au tombeau. Surgissent,
au 7e siècle, des envahisseurs musulmans; ils conquièrent la moitié du monde connu qui
est chrétien et dont le principal pèlerinage est celui qui mène les pèlerins au tombeau du
Christ, à Jérusalem. Or, je lis dans une chronologie trouvée sur Internet que, en 1009, un
calife du nom de El Hakim ordonne la destruction du Saint Sépulcre de Jérusalem, soit le
tombeau où le Christ enseveli est ressuscité le 9 avril de l’an 30. Il le fait raser et enterrer
sous des monceaux de terre. Il massacre, humilie et tyrannise les chrétiens.
En 1076, Jérusalem est prise par les Turcs sunnites, puis, en 1078, par d’autres Turcs
encore. En 1095, le pape Urbain II accorde des privilèges spirituels à tous les paysans ou
chevaliers qui prendront les armes pour aller délivrer la Terre Sainte de la domination de «
Sarrasins » (c’est ainsi qu’on appelait les musulmans à l’époque).
Un grand nombre de « croisés » font de grands ravages sur leur passage, prennent
Jérusalem en 1099 et massacrent des milliers de personnes pendant des jours, notamment
des Juifs qui s’y trouvaient.
Soit dit en passant, la férocité des chrétiens contre les Juifs a duré longtemps. Et pourtant,
notre religion vient des Juifs. Jésus et ses apôtres étaient Juifs, et Jésus lui-même affirme :
« Le salut vient des Juifs ». Mais ils ont retenu seulement le fait que la mort de Jésus a
été réclamée par les autorités religieuses juives. Ils se sont souvenus de cette parole
rapportée dans les Évangiles : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. » Et
alors, ils se sont chargés de le leur faire payer. Mais tout ça était contraire à
l’enseignement de celui dont ils se réclamaient et qui disait : « Aimez vos ennemis, faites
du bien à ceux qui vous haïssent ».. Toujours est-il que, pendant les croisades, les
chrétiens, semble-t-il, ont tué beaucoup de Juifs. Bien entendu, beaucoup de musulmans
aussi. Et j’imagine que, dans les batailles, c’était réciproque.
Durant deux siècles (jusqu’en 1292) les Français occupent quatre royaumes en Orient : le
Royaume de Jérusalem, ceux d’Antioche, de Chypre et de Tripoli. Il y eut une période
durant laquelle musulmans, chrétiens et Juifs ont vécu en harmonie sur ces territoires.
Quand Saladin reprend Jérusalem, en 1187, de nouvelles croisades sont levées. Jérusalem
est rendue aux chrétiens lors de la sixième croisade.
Je crois que tu aimeras voir le film de Riddley Scott et William Monahan intitulé Kindom
of Heaven, « Le royaume des cieux » en version française. L’ambiance du temps de la
chevalerie est bien reproduite. Croisés et musulmans sont présentés comme de beaux
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guerriers à l’âme chevaleresque, même si on y trouve aussi des « vilains ». Saladin est
particulièrement sympathique et noble.
J’ai lu l’histoire de saint Louis, qui est le roi de France Louis IX. Elle est écrite par son
compagnon d’arme, le sénéchal Jean de Joinville. Je te recommande ce petit ouvrage. On
peut le lire dans un format de poche, dans la collection 10/18. Ce récit te donnera une
image toute nouvelle d’une croisade. Ils partent avec 1800 vaisseaux. Te rends-tu compte?
Une tempête les disperse et ils arrivent en Égypte avec environ le tiers de leurs effectifs.
Il débarquent, prennent Damiette, puis après, se font rosser par les musulmans. Ils sont
faits prisonniers, et doivent rendre Damiette et payer une rançon considérable pour avoir
la vie sauve. Un détail que j’ai aimé particulièrement dans ce récit, plus précisément quand
il s’agit des négociations finales, c’est la façon dont les belligérants se sont assurés que
leurs adversaires tiendraient leur parole.
Chacun leur tour, musulmans et chrétiens on juré que, s’ils manquaient à leur parole, ils
seraient aussi méprisables que… Pour les musulmans, c’était qu’ils seraient aussi
méprisables qu’un croyant qui, pour ses péchés, va à la Mecque la tête découverte, ou que
ceux qui laissent leurs femmes et les reprennent ensuite, ou encore, aussi méprisables
qu’un sarrasin qui mange de la chair de porc. Un interprète assura le roi Louis que c’était
le maximum en fait de serment pour un musulman. Du côté chrétien, si le roi ne respectait
pas sa parole, il serait aussi méprisable que le chrétien qui renie Dieu et sa Mère (la Mère
de Jésus), et qu’il serait privé de la compagnie des douze apôtres, de tous les saints et de
toutes les saintes. On a voulu qu’il ajoute : aussi méprisable qu’un chrétien qui crache sur
la croix du Christ et qui marche dessus. Mais il avait trop de répugnance à nommer une
telle monstruosité.
Ce que j’admire dans cet événement, c’est que c’était un arrangement entre croyants qui
s’engageaient en rapport avec leurs valeurs religieuses, et ces serments établissaient la
confiance de part et d’autre. D’après Joinville, les sarrasins n’ont pas pu remplir tous
leurs engagements, à cause de la présence du sultan de Damas, qu’ils craignaient.
« Toutefois, écrit-il, ils envoyèrent au roi toutes les têtes des chrétiens qu’ils avaient
pendues aux murs du château du Caire… et le roi les fit mettre en terre bénite. Ils
rendirent aussi les enfants, qui avaient été pris en même temps que le roi, ce qu’ils firent à
contrecœur, car ceux-ci avaient déjà renié la foi. En outre, ils donnèrent au roi un
éléphant, que le roi envoya en France. »
Je t’en raconte une autre pour démontrer qu’il ne faut pas juger des actions commises au
Moyen Âge à partir de la conscience religieuse que nous avons aujourd’hui. Joinville
raconte ce que le saint roi lui a raconté, à savoir que l’abbé d’un monastère avait organisé
un débat public, devant des chrétiens, entre lui et un rabbin juif très instruit. Très
rapidement, la chose tourne au vinaigre et on en vient aux coups. Et le saint roi, qui
assistait à la messe tous les jours et recommandait la bonté, la prière et l’humilité, après
avoir blâmé l’organisateur de ce débat, ajoute ce conseil : « Le laïc (le croyant catholique
qui n’est pas prêtre), quand il entend médire de la foi chrétienne, ne doit la défendre que
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par l’épée, dont il lui faut donner dans le ventre autant qu’elle peut entrer. » Tu te rends
compte? C’est un saint qui parle.
J’ai l’air de m’éloigner de mon sujet, mais je veux démontrer ceci : Tu sais, musulmans et
chrétiens d’aujourd’hui se jettent à la figure les atrocités commises au cours des siècles
antérieurs. C’est un jeu puéril, comme si des enfants se disputaient, les uns disant :
« C’est vous autres qui avez été les plus cruels » et les autres répondant : « Non, c’est
vous autres! »
Dès que nous nous plongeons dans le contexte historique où ces faits se sont déroulés, ils
nous apparaissent sous un jour différent. C’était un monde de guerriers et la guerre était
alors le passe-temps le plus prisé. Les rois de France (sauf Louis IX peut-être) étaient
contents que les barons aillent se battre ailleurs, en Orient, parce que, à la maison, ils
n’arrêtaient pas de se faire la guerre entre eux. Les musulmans eux-mêmes, à cette époque,
sont en guerre les uns contre les autres et se disputent des territoires.
C’est intéressant de voir comment ce Joinville dont je t’ai parlé, vers l’an 1280, explique
la division des musulmans. « […] le Vieux de la Montagne ne croyait pas en Mahomet,
mais en la loi d’Ali, l’oncle de Mahomet. Cet Ali mit Mahomet en l’honneur où il fut. Mais
lorsque ce dernier fut établi seigneur du peuple, il méprisa son oncle et l’éloigna. Ali,
voyant cela, attira à lui ceux qu’il put et leur apprit une croyance autre que celle enseignée
par Mahomet. C’est pourquoi il en est encore ainsi. Tous ceux qui croient en la loi d’Ali
disent que ceux qui croient en celle de Mahomet sont des mécréants, et les fidèles de
Mahomet disent la même chose de ceux d’Ali. » C’est ainsi qu’il avait compris le schisme
musulman.
On se battait donc, chrétiens contre musulmans, mais aussi chrétiens contre chrétiens et
musulmans contre musulmans. Les intérêts économiques et politiques se mêlaient aux
motivations religieuses. La religion était perçue comme un clan qu’on protège par l’épée.
Et on pourrait raconter toute cette histoire sans faire allusion à la religion. On raconterait
comment les Arabes se sont taillé un empire immense, non pas d’abord par la prédication,
mais par la conquête armée. La chronologie (sur Internet) à laquelle je faisais allusion plus
haut résume ainsi le fait : « Les Arabes font la conquête de tous les pays voisins de la
péninsule arabique : d’abord la Perse, la Syrie, puis l’Égypte. Ils suivent ensuite la côte du
Nord de l’Afrique jusqu’à l’Atlantique. De là, franchissant le détroit de Gibraltar, ils
passent en Espagne et y fondent un empire. Presque tous les pays bordant le
Méditerranée (sauf le Nord) sont, un siècle après la mort de Mahomet, sous la domination
musulmane. [… En 732,] venus d’Espagne, les Arabes franchissent les Pyrénées et
arrivent en France. Bientôt, ces rudes cavaliers sont à Poitiers. Un très puissant maire du
palais, Charles Martel, dirige l’armée des Francs contre l’envahisseur. Il réussit à
repousser les cavaliers arabes. »
Toute cette expansion peut être regardée comme une immense conquête militaire à laquelle
répondent les Européens par d’autres campagnes militaires (les croisades) pour retrouver
les territoires et les libertés perdues à l’Orient. Bien sûr, ce n’est que la moitié de la vérité,
mais elle est là. On faisait la guerre. Le sentiment religieux était le carburant pour
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enflammer les cœurs et justifier les conquêtes. Dans le film dont je t’ai parlé, un des
personnages dit quelque chose comme : « Je croyais que nous nous battions pour des
valeurs religieuses, mais je sais maintenant que nous le faisons pour la richesse et le
pouvoir. »
De quel côté s’est-il versé le plus de sang? De quel côté y a-t-il eu le plus de cruauté, le
plus de cynisme? De même que je n’ai pas fait d’études sur les croisades, de même je n’en
ai pas fait sur l’expansion militaire de l’Islam. Peut-être que, en fouillant un peu là-dedans,
je me rendrais compte que ces avancées militaires n’étaient pas toujours de gentilles
ballades au nom d’Allah. Les têtes pendues aux remparts de la cité du Caire et que le
sultan a rendues si gentiment au roi Louis donnent une idée des procédés de l’époque.
Tout ceci pour dire : Arrêtons de nous jeter à la tête les querelles du passé, à partir de
notre ignorance et de nos préjugés grassement entretenus. Essayons de mieux comprendre
l’histoire, mais regardons ce que nous sommes aujourd’hui.
Or, aujourd’hui, nous savons que la religion et le pouvoir ne font pas bon ménage, que la
guerre et la religion sont un mauvais mélange. La religion, quand elle est vraiment
spirituelle, nous met en relation avec un Dieu qui est Amour, Bonté, Indulgence, Pardon,
et elle nous invite à Lui ressembler, à être ses ambassadeurs de bonté auprès de nos
semblables. Un des grands malheurs de l’Église catholique est d’avoir été une puissance.
Elle n’a pas été que cela. Elle a surtout été un service, mais malheureusement aussi une
puissance. À une certaine époque, les ecclésiastiques de haut rang étaient des seigneurs et
avaient des pouvoirs, notamment le pouvoir de prélever des taxes. Tout ça n’avait rien à
voir avec l’esprit de pauvreté et d’humilité qui habitait les apôtres de Jésus. Il reste des
traces très visibles de ce passé dans l’Église catholique.
De part et d’autre, par conséquent, on a confondu la religion et le pouvoir. En particulier
le pouvoir des armes.
5. Le mauvais exemple des chrétiens d’aujourd’hui
Tu te demandes sans doute en quel sens les mauvais exemples de la part des chrétiens
sont des obstacles aux relations harmonieuses entre le monde musulman et la chrétienté, si
tant est qu’elle existe encore. Voici comment je sens la chose.
Les musulmans ne veulent pas nous ressembler. Les fanatiques nous considèrent sur le
même pied que les pécheurs qui ont attiré le feu destructeur sur Sodome et Gomorrhe. En
conséquence, ils nous voient comme une engeance qu’il faut éliminer de la planète ou qu’il
faut dompter à coups de fouet, ou convertir de force à l’Islam. Si nous, de l’occident,
projetions l’image de populations à la fois spirituelles, croyantes et d’un haut niveau de
moralité, la démarche serait peut-être différente. Deux religions de haute spiritualité
(chacune a cette prétention) peuvent marcher côte à côte et se soutenir dans la foi. Mais
l’exemple que nous donnons me paraît être un obstacle à cette harmonie.
Je ne vais pas relever tous les aspects de ce mauvais exemple, et je ne vais pas revenir sur
les manquements « historiques » que j’ai déjà signalés. Je te parlerai a) de nos divisions, b)
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de notre éloignement de la pratique religieuse, c) de notre culte de l’argent, d) de notre
culte du sexe et e) de notre abus de l’alcool. _ Je signale ici des faiblesses; mes amis
catholiques préféreraient sans doute que j’exalte les gloires de ma religion, dans laquelle je
suis très engagé. Mais ce n’est pas le moment de le faire. Je regarde ici ce qui nous nuit et
ce qui nuit au rapprochement entre l’Islam et le catholicisme.
a) La division chez les chrétiens est un scandale plus grand que dans n’importe quelle
autre religion.
Je sais bien que les musulmans sont divisés eux aussi. Les fanatiques ne reculent pas
devant l’assassinat : chiites contre sunnites et inversement, en Irak, au moment où j’écris
ces lignes, ils se massacrent entre eux de façon sauvage.
On sait que, lors de la rédaction du Coran, cette division entre vous n’existait pas, et la
sourate 23 exalte l’unité de la nouvelle religion en la mettant fièrement en comparaison
avec les autres.
54 Votre religion est une. Je suis votre Seigneur, craignez-moi. Les peuples se
sont divisés en différentes sectes, et chacune se réjouit de ce qu’elle a. Laisseles dans leur erreur.
Et le texte signale (42, 13 et 98,3) la division que la prédication de l’Islam (« la science») a
provoquée chez les Juifs et les chrétiens.
Ils ne se sont divisés en sectes que depuis qu’ils ont reçu la science; et c’est
par jalousie.
Quoi qu’il en soit de la guerre entre musulmans, je sais que la division entre chrétiens est
une faute impardonnable, parce que Jésus avait fait de l’unité la pierre de touche de sa
religion. Il avait dit :
« C’est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez
de l’amour les uns pour les autres. »
Et le soir qui a précédé sa condamnation à mort, il priait son Père en ces mots :
« Je ne prie pas pour eux seulement (les premiers croyants), mais aussi pour
ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un.
Comme toi Père tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous,
afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu
m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et
toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse
que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ».
Te rends-tu compte de ce que nous avons fait? Je l’écris avec des larmes. Il faut dire que,
jusqu’au onzième siècle, il n’y a eu « officiellement » qu’une seule Église chrétienne,
catholique, même si bien des déchirements ont eu lieu dès le commencement. On s’est
disputé sur des points de doctrine importants : la divinité de Jésus, la Trinité, et les
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conciles ont prononcé des jugements, qualifiant d’hérésies les enseignements qui étaient
considérés comme des déviations par rapport à la révélation apportée par Jésus. Certaines
hérésies mènent au schisme, qui est la séparation d’un groupe par rapport au corps
principal de l’Église. Saint Augustin d’Hippone (quatrième siècle), qui fut un défenseur
vigoureux de la doctrine chrétienne officielle, signale 88 hérésies ayant eu cours jusqu’à
son époque. Mais ces querelles doctrinales ont été utiles et ont permis de définir de plus
en plus nettement quelle était la doctrine de Jésus, la doctrine officielle de l’Église
catholique. Ainsi, on pouvait et on peut encore préciser qui peut se dire chrétien et qui est
considéré comme professant une foi distincte. La doctrine chrétienne contient beaucoup
d’éléments difficiles à croire, et toutes les chamailleries du début ont amené les théologiens
à préciser ce qui est véritablement l’enseignement de Jésus. Les divisions que je
signale ici comme des scandales viennent après.
Au onzième siècle, les catholiques d’Orient se sont séparés de Rome, tout en conservant
la même doctrine. Puis ils se sont divisés aussi entre eux. Nous les appelons les
Orthodoxes. Ce sont les chrétiens séparés les plus rapprochés des catholiques. Pourtant,
au moment où je t’écris, nous n’avons pas encore réussi à nous entendre avec eux pour
célébrer la fête de Pâques le même jour. Semblablement, la fête de Noël n’est pas célébrée
à la même date par tous les chrétiens. Un ami me fait remarquer toutefois que l’Église
catholique comprend dans son sein vingt Églises différentes toutes unies, dont des Églises
de langue arabe comme les maronites, les melkites et aussi les chaldéens d’Irak, des Églises
de l’Inde, et une partie substantielle de l’Église orthodoxe d’Ukraine, et ainsi de suite. Ces
Églises ont conservé leurs coutumes qui sont différentes de celle de la grande Église
catholique dite latine, mais elles sont en communion entre elles et avec Rome. Il ne s’agit
pas, dans ce cas, de divisions. Un membre de n’importe laquelle de ces Églises pourrait
être élu pape au Vatican.
Au seizième siècle, à la suite d’abus, de déviations, de scandales dans la hiérarchie
catholique, des « réformistes » comme Luther, Calvin, Zwingli et plusieurs autres ont
donné naissance à un certain nombre d’églises chrétiennes que nous désignons globalement
sous le vocable de protestantisme. Le nombre d’églises protestantes n’a cessé de croître
au cours des siècles. Tu peux trouver des renseignements sur Internet à partir de ce mot.
Dans la prière de Jésus citée plus haut, tu as remarqué qu’il voulait que nous vivions dans
l’unité, « pour que le monde reconnaisse que Tu m’as envoyé », disait-il à Dieu son Père,
ce qui veut dire, dans notre perspective à nous, chrétiens : pour que le monde reconnaisse
que je suis vraiment le Verbe de Dieu envoyé sur la terre. En bref, cela semble signifier
que, si nous donnions l’image de l’unité dans l’Amour, par toute la terre, ce serait facile
pour tout le monde de croire que Jésus était vraiment le Verbe de Dieu venu vivre parmi
nous, ainsi que le dit presque le Coran lui-même : Le Messie, Jésus, fils de Marie, est
l’apôtre de Dieu et son verbe qu’il jeta dans Marie; il est un esprit venant de Dieu.(4, 169)
Mais je force ici un peu la note et je crois que tu peux le comprendre. Je veux seulement
mettre en lumière que, pour nous, la division est un scandale majeur et un manquement
très grave à notre mission. L’hostilité essentiellement politique entre protestants et
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catholiques en Irlande du Nord est une réalité pénible. Ce sont, dans les faits, deux
nationalismes qui s’affrontent (comme au Québec), mais le fait que les deux camps sont
chrétiens, soit des protestants venus d’Écosse et des catholiques authentiquement
irlandais, donne malheureusement une couleur de lutte religieuse à ce conflit politique, les
catholiques souhaitant l’union à l’Eire, soit l’Irlande indépendante depuis 1921, les
protestants préférant conserver leurs liens avec la couronne britannique.
Beaucoup de catholiques croient qu’un jour, nous serons tous rassemblés dans une seule
Église, sous la houlette d’un seul pasteur. Sans doute y a-t-il aussi un grand nombre de
d’orthodoxes et de protestants qui entretiennent ce rêve. Une fois de plus, je vais jouer au
prophète à ce sujet et je vais affirmer que cette unification de tous les chrétiens va se
produire lorsque la hiérarchie des différentes églises, et principalement celle de l’Église
catholique, apparaîtra, non plus comme une puissance, mais comme une « impuissance »,
un service très humble, dont la fonction est de mettre en lumière la présence agissante de
Jésus et de son Esprit sur la terre. Son rôle ressemble à celui de Jean le Baptiste, dont la
mission était de présenter au monde Jésus comme Messie et Fils de Dieu. Il disait : « Je
ne suis pas digne de dénouer les courroies de ses sandales. » Il disait aussi : « Il faut que
LUI grandisse et que MOI, je diminue. » Cette spiritualité de l’humble service, elle est
déjà présente dans la hiérarchie. Le nouveau pape Benoît XVI en est habité, c’est ma
conviction. Et bien des cardinaux, des évêques et des prêtres aussi. Mais le poids de
l’histoire pèse lourd sur les coutumes et sur les manifestations extérieures de cette
humilité.
b) Quant à la baisse de la pratique religieuse, je te parlerai principalement du Québec,
puisque c’est mon champ d’observation naturel. Je te parle du nombre de non-pratiquants
et du nombre de gens qui ont le sentiment d’avoir perdu la foi ou de n’avoir jamais eu la
foi. Je regarde autour de moi et je cherche des croyants qui croient « comme avant », et je
n’en vois pas beaucoup. En majorité, les gens de la génération de mon fils n’ont aucun
souci de la religion. Plusieurs cherchent une forme de spiritualité, mais en dehors des
religions traditionnelles. Il y a une église près de chez moi qui peut contenir, je dirais, plus
de 2 500 personnes (je n’ai pas vérifié). Un temple absolument merveilleux avec un orgue
à faire rêver. Un dimanche, j’y suis allé pour une célébration. Nous étions 25, tous
éparpillés dans cette immense enceinte, et tous en âge d’être comptés parmi « les aînés »,
comme on dit aujourd’hui. Bien des catholiques baptisés dans leur enfance et éduqués
comme des croyants se sentent maintenant en porte-à-faux avec l’Église, parce qu’ils ont
d’abord célébré un mariage devant l’Église et ce sont séparés ensuite, pour vivre dans une
situation de couple reconstitué. Sachant que l’Église catholique ne reconnaît pas le divorce,
ils se sentent aussi divorcés de leur Église.
Pour nous consoler et nous rassurer, nous disons qu’il y a un progrès dans la qualité de la
foi. Autrefois, une bonne partie de la population s’adonnait à la pratique religieuse parce
que c’était obligatoire. L’Église catholique avait fait une obligation de l’assistance à la
célébration du dimanche, « sous peine de faute grave ». Comme la moyenne des gens
voulaient se retrouver au ciel après leur mort et non pas en enfer, ils allaient à l’église.
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Même s’il y a toujours eu des millions de catholiques qui vivaient une foi fondée sur
l’amour, il reste qu’un fort pourcentage des gens de ma génération ont l’impression
d’avoir vécu une religion faite d’obligations. Or nous savons que Jésus est venu libérer
l’humanité de toute religion faite d’obligations pour donner naissance à une spiritualité qui
vienne de l’intérieur, le cœur des gens ayant été changé sous l’influence de l’Esprit divin.
Aujourd’hui, la majorité de ceux et celles qui vont à l’église le font par conviction et par
amour de ce Dieu qu’ils vont adorer et remercier. Et il y a eu au cours des 30 dernières
années un nouveau courant spirituel très intense, le mouvement charismatique, où les gens
se sentaient, de façon toute nouvelle, conduits par l’Esprit divin. Il faut aussi tenir compte
du fait qu’un pourcentage considérable des catholiques de ma génération qui ne vont pas à
l’église ont le sentiment d’être fidèles au Christ Jésus quand ils font une vie honnête et
accordent la priorité à l’amour du prochain. Mais il reste que, dans l’ensemble, même si la
population québécoise est perçue comme paisible, accueillante et tolérante, nous ne
donnons pas l’image d’une communauté de croyants qui vivent de leur foi.
Alors que notre religion enseigne que le mariage est indissoluble, un pourcentage
considérable de couples se séparent. Alors que nous considérons l’avortement comme une
atteinte à la vie humaine, nous le pratiquons à un rythme impressionnant.
J’ai lu qu’en Islam, la vie du foetus, à l'instar de la vie humaine en général, est sacrée,
comme elle l’est pour les croyants catholiques. A ce titre, elle se doit d'être gardée et
protégée dans la mesure du possible. Le texte, glané sur Internet à l’adresse suivante
(http://www.bladi.net/modules/newbb/sujet_17537_6.html) ajoute cette explication : « On
peut se faire une idée de l'importance reconnue au fœtus lorsqu'on considère le fait que la
jurisprudence musulmane autorise la femme qui est enceinte et qui craint pour la santé du
futur bébé de ne pas jeûner durant le mois de Ramadhân (et de remplacer les jours ainsi
manqués plus tard) ... alors que la pratique du jeûne du Ramadhân compte parmi les cinq
piliers les plus connus de l'Islam... »
En 2002, dans ce qui fut « la catholique Province de Québec », il y eut 43,7 grossesses
interrompues pour 100 naissances, soit trente mille huit cent cinquante huit avortements
en une seule année. Ce triste record n’est battu que par la Russie. Et pendant ce temps,
des parents éprouvés dans leur fécondité dépensent jusqu’à 20 000 dollars et plus pour
aller adopter un bébé en Chine ou dans quelque autre pays. Pour quiconque considère le
fœtus comme un être humain doté d’une âme immortelle, ce triste bilan est à faire pleurer.
Un démographe affirme que, pour compenser la diminution des naissances, le Québec
devrait attirer annuellement quatre-vingts mille immigrants. Je raisonne parfois comme les
prophètes de l’ancien monde et je me pose la question : Peut-il y avoir une bénédiction du
Ciel sur une nation qui se conduit de cette façon?
La conséquence de notre désengagement sur le plan religieux est que les musulmans se
croient une mission d’apporter une spiritualité vivante à nos populations qui évoluent
vers l’athéisme. Et certains d’entre eux, qui sont fanatiques, pourraient avoir envie de
nous convertir de force.
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Quant au culte de l’argent, il s’oppose depuis toujours à la spiritualité. « On ne peut
servir Dieu et l’argent », disait Jésus. Dans un pays à majorité chrétienne et dont les
gouvernants sont chrétiens, si la mentalité de Jésus dirigeait notre vie, il ne devrait pas y
avoir de gens qui vivent sous le seuil de la pauvreté ou qui mendient.
J’élargis mon horizon à l’échelle du continent et du monde et je dis que, avec une infime
fraction des milliards de dollars engloutis dans l’armement et les opérations militaires, les
pays à dominante chrétienne pourraient soulager la misère de tous les sinistrés, de tous les
réfugiés de la terre. Je n’exclus pas, en le disant, la responsabilité des autres populations
où dominent d’autres religions. Je veux seulement signaler que le scandale causé par le
culte de l’argent nous éloigne les uns des autres et que les personnes d’influence qui se
prétendent chrétiens devraient donner l’exemple à ce sujet. L’Afrique est spoliée de ses
biens et maintenue dans la pauvreté par l’avidité financière des sociétés étrangères qui
savent qui il faut payer, quels conflits il faut soutenir, pour garder la maîtrise des
ressources naturelles. Qu’on arrive à éliminer ces requins de la finance tout comme les
chefs d’état complices de la finance et l’Afrique pourra se remettre sur pied. Le culte de
l’argent, le culte du pouvoir que donne l’argent, semble être la plaie la plus épouvantable
qui affecte l’humanité. Bien des régimes ont été renversés par la puissance de l’argent
pour protéger des fortunes. À cet égard, j’imagine que tout n’est pas limpide non plus du
côté musulman. C’est toi qui peux me le dire.
Le culte du sexe va avec le culte de l’argent. On vend du sexe. Les agences publicitaires
excellent dans cet art. Je me propose de publier un jour un album démontrant jusqu’à quel
degré d’ineptie peut aller la publicité sous ce rapport et jusqu’où peuvent aller notre
inconscience et notre apathie. Quelle nécessité y a-t-il d’annoncer un parfum de haut prix
en affichant sur un grand panneau une jeune fille de 16 ans presque nue?
Dans le même ordre d’idées, je vois des enseignes de restaurant où on annonce :
« Serveuses sexées » ou « Serveuses aux seins nus ». Si nous avions un peu de fierté, un
sens minimal du ridicule, personne n’irait dans un endroit qui met une telle affiche.
Il y avait autrefois dans notre culture une peur et un mépris du sexe entretenus par la
religion. Mais aussi, en parallèle, au fil du temps, à partir surtout du dix-neuvième siècle,
une tendance à défier la morale traditionnelle et à proposer à l’imagination « des liaisons
dangereuses ». Il y eut donc, d’un côté, les vertueux, les soumis, les « straight » comme
on dit aujourd’hui chez nous, qui formaient la majorité et qui se conformaient à la morale,
et, de l’autre côté, les libres penseurs, les audacieux, (ceux et celles qui osaient et qui
osent encore défier cette morale). Cette répartition entre soumis et audacieux est une
invention personnelle.
Le cinéma, à partir des années 1960 environ, a suggéré l’idée d’une liberté totale relative
aux rapports sexuels. Si le film mettait en vedette un beau jeune homme de type héros, et
que celui-ci rencontrait une femme d’une beauté exceptionnelle, il était impératif qu’ils
couchent ensemble à la première occasion. Le héros est un audacieux, un conquérant. Pas
question qu’il se laisse arrêter par les questions morales. Et, dans ces productions, la
beauté d’une femme exceptionnellement belle la met au-dessus de tous les interdits. Que
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cet acte sexuel mène «naturellement » à mettre au monde un enfant n’entre pas en ligne de
compte. (Je parle ici d’une époque où l’usage du préservatif n’était pas un impératif
absolu.) Dans ce genre de film, le sperme masculin n’avait généralement aucun effet.
L’important était de montrer le savoir-faire d’un bel homme « exemplaire », déluré,
avec une jolie femme. Ainsi, graduellement, le cinéma nous a incités à passer de la
soumission à la l’audace, à la bravoure sexuelle (c’est toujours mon vocabulaire personnel
qui est utilisé ici, je n’ai jamais vu la chose analysée de cette façon).
Aujourd’hui, beaucoup de gens n’ont aucun problème de conscience à braver la morale
traditionnelle sur le plan sexuel. Et c’est d’autant plus facile de le faire que, depuis
l’avènement de la pilule anticonceptionnelle, du stérilet et autres préservatifs, l’acte sexuel
apparaît comme un plaisir à la fois nécessaire et sans conséquences.
Ainsi donc on peut s’exposer. On peut étaler ses attributs sexuels, ses formes. Et des
adolescentes de 13 ans ont dans la tête cette idée qu’une jeune fille délurée doit
absolument paraître sexée. Ces excès apparaissent que comme une dérive qui nous
disqualifie quand nous prétendons faire la leçon aux musulmans en matière de
sexe et de respect de la femme.
Il est urgent de revenir à une façon de voir et à des pratiques inspirées par une vision plus
élevée de l’existence humaine, où le mot décence a encore une signification. Si tous les
chrétiens comprenaient à quel sublime idéal ils sont appelés, ils ne laisseraient pas leur
âme s’engluer dans la sensualité.
Dans un autre ordre d’idées, je ne te cacherai pas que les cas d’abus sexuels sur des jeunes,
perpétrés par des ecclésiastiques, sont un scandale que nous allons payer très cher. Et ce
n’est pas une excuse d’ajouter que ces abus existent aussi dans d’autres professions.
Je vais te dire un mot de l’alcool. L’exemple que nous donnons à cet égard contribue à
nous faire une réputation peu enviable. Je suis au courant des recommandations du Coran
à ce sujet. Du moins, j’en connais deux (:) (2,216) et (5, 93) :
Ils t’interrogeront sur le vin et le jeu. Dis-leur : Dans l’un comme dans l’autre
il y a du mal et des avantages pour les hommes, mais le mal l’emporte sur les
avantages [qu’ils procurent].
Satan désire exciter la haine et l’inimitié entre vous par le vin et le jeu, et vous
éloigner du souvenir de Dieu et de la prière. Ne vous en abstiendrez-vous
donc pas? Obéissez à Dieu, obéissez au prophète et soyez sur vos gardes,
sachez que l’apôtre n’est obligé qu’à la prédication.
Le jeu dont il est question dans ce texte semble bien être le jeu de hasard. Quant au vin, les
chrétiens pourraient avoir tendance à dire avec orgueil: « Nous autres, nous sommes plus
forts que les musulmans en ce qui regarde l’alcool, nous prêchons la modération et non
pas l’abstinence ». La Société des alcools du Québec répète à la télévision ce slogan: « La
modération a bien meilleur goût. » Mais dans la réalité, parmi ceux qui prennent du vin et
d’autres boissons alcooliques, même si la majorité arrive à pratiquer cette modération, il y
en a quand même toujours un trop grand nombre qui n’y arrivent pas.
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J’ose soulever ici une question un peu particulière à propos de la prétention que peuvent
avoir certains croyants de pouvoir arriver à la vertu par leurs propres efforts.
L’enseignement traditionnel chrétien nous rappelle que nous devons demander le secours
du Ciel en toutes les circonstances où nous en avons besoin. Un secours qui n’est jamais
refusé si nous le demandons sincèrement. Mais le fait est que pas assez de gens croient
vraiment que ce secours est nécessaire et effectivement offert et, en conséquence, trop peu
le demandent. Il y a donc ceux qui croient pouvoir pratiquer la vertu sans le secours du
Ciel, arriver, par exemple, à la modération dans le boire et le manger par la force de leur
propre volonté. D’autres croient que c’est impossible.
Bien sûr, dans les principes, notre Bible n’interdit pas le vin. On trouve dans le
Pentateuque (que le Coran accepte comme un Livre inspiré) de nombreux passages
démontrant que le vin avait une place importante dans la société hébraïque. Dans Genèse
(27, 28), Isaac prononce sur Jacob la bénédiction suivante :
"Que Dieu te donne la rosée qui tombe du ciel, les riches produits de la terre,
du blé et du vin en abondance. »
Dans le Deutéronome (7, 12-13), Moïse, au cours d’un long discours, annonce les
bénédictions que le peuple va attirer sur lui par sa fidélité, et le vin fait partie de ces
bénédictions.
« Si vous êtes attentifs à ces règles, si vous veillez à les mettre en pratique, le
Seigneur votre Dieu maintiendra fidèlement en votre faveur l'alliance qu'il a
conclue avec vos ancêtres. Dans son amour, il vous rendra prospères; il vous
accordera de nombreux enfants, ainsi que d'abondantes récoltes de blé, de vin
et d'huile, et il accroîtra vos troupeaux de bœufs, de moutons et de chèvres,
lorsque vous serez dans le pays qu'il vous donnera, comme il l'a promis à vos
ancêtres.»
Par ailleurs, quand un personnage est destiné à une vocation spéciale, comme Jean le
précurseur de Jésus, on affirme qu’il ne boira pas de vin.
Car il sera un grand serviteur du Seigneur. Il ne boira ni vin, ni aucune autre
boisson fermentée. Il sera rempli du Saint-Esprit dès avant sa naissance.(Lc
1, 15)
Les apôtres de Jésus n’interdisent pas le vin, mais ils invitent à la modération. Le premier
miracle de Jésus a été de changer l’eau en vin, et au moment de célébrer la dernière Pâque
avec les siens, c’est sur une coupe de vin qu’il prononce les paroles : « Prenez et buvez-en
tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle et éternelle alliance, qui sera versé pour
vous en rémission des péchés. » L’apôtre Paul écrit à un certain Thimotée :
23 Cesse de ne boire que de l'eau, mais prends un peu de vin à cause de ton
estomac et de tes fréquentes indispositions. (5, 23)
Mais il est clair que la modération a été prêchée dès les origines du christianisme.
Paul écrit à ce même Thimotée (3, 8) :
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Les diacres aussi doivent être respectables et sincères; ils ne doivent pas
abuser du vin ni rechercher des gains malhonnêtes;
Aux chrétiens d’Éphèse, il écrit (5, 18) :
Ne vous enivrez pas: l'abus de vin ne peut que vous mener au désordre; mais
soyez remplis de l'Esprit Saint.
Les occidentaux qui reprochent aux musulmans de la stricte observance leurs rigueurs
morales ont l’air de dire : « Votre abstinence n’est pas de la vertu. Imitez-nous. La vertu,
c’est la modération. Regardez la belle liberté que nous affichons à l’égard du vin et des
alcools. Notre morale n’est pas aussi étroite que la vôtre.» L’idée de consommer avec
modération me plaît, et j’aime bien que nous conservions le sens de la fête, mais si on fait
le bilan des ravages causés dans les familles et dans l’histoire par l’éthylisme, on
comprend que les musulmans soient heureux de pratiquer l’abstinence.
Au dix-septième siècle, nos ancêtres français sont venus en Amérique avec des intentions
louables. Samuel de Champlain, fondateur de Québec était un homme vertueux, et les
fondateurs de Montréal étaient des croyants très fervents, épris d’un grand idéal, qui
voulaient fonder ici une communauté humaine modèle, où les 60 tribus amérindiennes des
alentours vivraient dans une belle amitié avec les Français, inspirés par l’enseignement
chrétien. Mais ceux qui s’occupaient de commerce se sont avisés de vendre (de donner
parfois?) de l’alcool aux Amérindiens. En les rendant dépendants de ce produit, ils
pouvaient faire avec eux des marchandages avantageux (encore le maudit appât du gain).
Ce fléau de l’alcool vendu aux Amérindiens, en dépit de l’interdiction promulguée par
Champlain, dure encore aujourd’hui. Il continue en dépit de la prohibition qui existe dans
la majorité des villages amérindiens. Cette erreur constitue une hypothèque lamentable sur
notre histoire et sur nos relations avec les autochtones.
Les souffrances provoquées par l’alcool ont fait naître chez nous des mouvements qui
prêchaient l’abstinence totale. Le premier évêque de Québec « voyait dans l'ivrognerie un
des obstacles majeurs au projet de l'établissement en Nouvelle-France d'une société
religieuse idéale », écrit un historien. Au milieu du dix-neuvième siècle, une grande
campagne de tempérance a été prêchée par des prédicateurs éloquents, puis, au début du
vingtième, le gouvernement lui-même vota « la prohibition ». Personnellement, au début
des années 1950, j’ai fait partie d’un mouvement d’abstinence totale appelé le
Mouvement Lacordaire.
C’est que les gens de ma génération ont été trop souvent témoins de drames
familiaux vraiment pénibles provoqués par l’abus de l’alcool, dans la famille de
leurs parents et de leurs grands parents. Sur 10 enfants que comprenait une
famille moyenne à l’époque, il n’était pas rare d’en trouver deux ou trois qui
ruinaient leur santé et le bonheur de leur famille en devenant des alcooliques.
Que les musulmans se réjouissent de s’abstenir totalement d’alcool peut très facilement se
comprendre. Qu’ils souhaitent nous enrôler avec eux dans cette religion sans alcool est
40
encore compréhensible, malgré le fait qu’il puisse y avoir aussi chez eux des abus, dans
des endroits cachés au public.
Je pourrais signaler encore d’autres mauvais exemples que nous donnons en occident. Je
pourrais parler de familles éclatées, d’une jeunesse qui n’a plus de points de repère, de la
violence dans les écoles, d’une génération d’enfants super-agités auxquels on doit
administrer des calmants pour qu’ils deviennent supportables. Les statistiques nous
disent que 200 000 enfants au Canada doivent prendre leur dose quotidienne de Ritalin.
Nous vivons collectivement le syndrome de la grenouille qui se laisse cuire vivante. Tu
connais cet apologue? Je te le raconte au cas où…
On dit que la grenouille a le sang froid et que ce sang prend naturellement la température
du milieu ambiant. Si on la met subitement dans un bain d’eau très chaude, elle va réagir et
en sortir. Mais si on fait chauffer l’eau lentement, elle ne se rend compte de rien (dit
l’apologue) et elle se laisse cuire vivante. De la même façon, je reprends mon ton de
prophète et je dis solennellement que nous vivons collectivement le syndrome de la
grenouille qui se laisse cuire. Nous vivons le syndrome des passagers du Titanic qui
voguaient joyeusement vers leur naufrage dans les eaux glacées de l’Atlantique nord. Il est
encore temps de réagir, mais je comprends, encore un fois, que les musulmans veuillent
nous secourir. Ce n’est pas que leur monde à eux soit sans problème et sans défaut,
mais les voient-ils? J’essaie seulement d’expliquer en quoi nos écarts de conduite nous
nuisent aux yeux des musulmans. Je dois ajouter toutefois que ces écarts ne sont pas
commandés par notre religion, mais plutôt par son absence. J’ajoute aussi que je ne
voudrais pas, pour tout l’or du monde, remplacer mon univers occidental à la dérive, mais
où la vertu peut encore fleurir dans le terreau de la liberté, par celui que les Talibans
avaient créé en Afghanistan.
Ceci dit, il est malsain de dépeindre la société occidentale comme étant complètement
corrompue et immorale. Je vis au milieu d’une population où on voit encore fleurir toutes
les vertus humaines et chrétiennes : la décence, la modération, la bonté, la solidarité, la
simplicité, la fidélité… Les gens qui m’entourent sont, en général, du bien bon monde.
L’absence de lois morales contraignantes qui seraient imposées par un régime totalitaire,
fait en sorte que les écarts sont plus apparents, mais le travail se fait lentement par la
persuasion, et nous tâchons de nous solidariser toujours davantage, de nous fabriquer une
sagesse à partager en commun. Après avoir connu l’extrême sévérité et l’extrême laxisme,
j’ai confiance que nous allons définir graduellement un monde où le sexe aura sa juste place
dans l’ensemble de notre réalité humaine. Mais il faudra du temps pour que nous
puissions nous proposer nous-mêmes en exemple au reste du monde. Nos faiblesses
nuisent à notre cause, même si, en périodes de catastrophes majeures, notre générosité
envers les sinistrés, sans égard pour leur religion, est de plus en plus spontanée.
41
6. Le fanatisme des extrémistes musulmans
Dans l’énumération des obstacles que nous trouvons sur le chemin de l’œcuménisme, je
m’arrête ici à deux sujets que tu connais trop bien : l’excès de contrainte à l’égard des
femmes et le terrorisme. Je voulais signaler aussi comme obstacle les formes de justice qui
nous paraissent aujourd’hui incroyables, comme la mutilation en cas de vol, le fouet et la
lapidation, la loi du talion, mais il faudrait apporter trop de distinctions, de précautions,
d’exemples, et je n’ai pas le temps de faire cette étude. Sans compter que le maintien de la
peine de mort et les diverses formes qu’on lui donne dans certains états américains sont
un contre-témoignage embarrassant à cet égard.
Les femmes
Un philosophe grec a dit que la vertu se tient dans le milieu (traduction littérale). Je t’ai
parlé des excès de laxisme chez les occidentaux. À l’opposé, tu connais les excès de
contrainte de certains régimes musulmans à l’égard des femmes. J’ai vu un film
intitulé Osama, qui s’efforçait de donner une image de la condition féminine en
Afghanistan, sous le régime des Talibans. D’après cette production bien documentée et
d’autres reportages que j’ai vus, il ne fallait pas qu’on voie un centimètre carré de chair
nue chez une femme. On y impose le port de la burqa. Même la petite fenêtre vis-à-vis
des yeux était munie d’un treillis. Pour illustrer jusqu’où allait la contrainte de ces gens-là,
on nous a montré un chef religieux faisant des reproches à une femme qui, en s’assoyant
de travers sur une bicyclette, les pieds pendants, pour se faire transporter, laissait voir
ses chevilles. Vivre dans un corps féminin ne doit pas être un embarras ni une épreuve,
mais une fête. On est loin de là dans les milieux intégristes musulmans.
Il est vrai que ce genre de régime, ajouté au fait que les femmes ne pouvaient pas étudier,
ni accéder à une profession, était insupportable pour elles. Il est vrai que j’ai pitié de ces
femmes, mais ici c’est des hommes que je veux m’inquiéter. Ma pitié est plus grande
encore envers eux qu’envers les femmes. Où est la vertu de ces hommes? Ne peuventils pas voir un centimètre carré de chair féminine sans perdre la raison? Et leurs
regards sont-ils si lubriques qu’ils offensent la dignité de la femme sur laquelle ils se
posent?
Ce que je lis à ce propos dans le Coran, c’est le verset 59 de la sourate 33 :
O prophète! prescris à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de
laisser tomber leur voile jusqu’en bas; ainsi, il sera plus facile qu’elles ne
soient ni méconnues ni calomniées.
Et l’éditeur met en bas de page la note suivante : « Car en Orient, il n’y a que les femmes
du bas peuple, les campagnardes ou les femmes de mœurs suspectes qui laissent voir leur
visage entièrement ou en partie. » Je te demande alors : Est-ce une question de culture ou
une question de religion? Dieu s’est-il vraiment mêlé de dire aux humains comment se
vêtir?
42
J’ai entendu à la télévision un imam qui donnait comme réponse à ce reproche le costume
de nos religieuses cloîtrées. Tu saisis bien qu’il y a une différence entre l’obligation faite à
toutes les femmes au nom de Dieu de se cacher le corps et le visage et ce choix libre que
font les religieuses pour se donner entièrement à la prière et à l’adoration.
Autre point : Les occidentaux citent souvent comme un sujet de scandale le verset 38 de la
quatrième sourate, à cause de la recommandation qui s’y trouve de battre les femmes :
Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles
Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci, et parce que les hommes emploient
leurs biens pour doter les femmes. Les femmes vertueuses sont obéissantes et
soumises : elles conservent soigneusement pendant l’absence de leur mari ce
que Dieu a ordonné de conserver intact. Vous réprimanderez celles dont vous
aurez à craindre la désobéissance; vous les reléguerez dans des lits à part,
vous les battrez; mais dès qu’elles vous obéissent, ne leur cherchez point
querelle.
Généralement, un imam riposte à ce verset en citant les lettres de saint Paul, qui
recommandent aux femmes la soumission. Par exemple, celle aux chrétiens de Colosse :
Femmes, soyez soumises à vos maris, comme il se doit dans le Seigneur.
Maris aimez vos femmes et ne leur montrez point d’humeur.
Ou cette autre, aux Éphésiens (5, 22-26) :
Que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur : en effet, le
mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l’Église. […] or,
l’Église se soumet au Christ; les femmes doivent donc, et de la même manière,
se soumettre à leurs maris. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé
l’Église : il s’est livré pour elle […] De la même façon, les maris doivent
aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c’est
s’aimer soi-même. […] Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa
femme comme soi-même et que la femme révère son mari.
Le ton est quand même différent de celui du verset 4, 38 du Coran, qui suggère de les
battre. Il y a dans les recommandations de Paul un mélange de données culturelles et de
données spirituelles. Quand, dans d’autres passages, Paul recommande aux esclaves d’être
soumis à leurs maîtres, il ne consacre pas l’esclavage comme une institution divine, mais il
veut seulement que les esclaves chrétiens donnent l’exemple de « bons citoyens esclaves»
dans le contexte culturel où ils vivent, et qu’ils ne soient pas des fauteurs de troubles,
sous prétexte qu’ils sont chrétiens et que, dans le Christ, tous les humains sont égaux. Il
ne veut pas que la religion de Jésus soit méprisée. De la même façon, il recommande aux
femmes chrétiennes d’être de bonnes citoyennes dans la situation que leur accorde la
culture des Juifs de l’époque. Mais Paul va au-delà de la soumission en suggérant des
rapports de pur dévouement mutuel. Le Christ s’est sacrifié pour son Église. « Accordezlui (à votre femme) sa part d’honneur, écrit saint Pierre, comme co-héritière de la grâce
de Vie».
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Me permets-tu de philosopher encore un peu? C’est à propos de cette idée que, dans un
couple, d’après l’Écriture, l’homme est le chef. J’ai deux observations à faire à ce sujet.
La première, c’est que être chef et être supérieur ne sont pas synonymes. Aujourd’hui, on
parle plus souvent de leadership. Or, il m’arrive d’aller avec un collègue faire des
entrevues de promotion au nom d’un organisme de développement. Parfois, je dis à ce
collègue: « Si ça ne t’ennuie pas, j’aimerais te laisser le leadership au cours de cette
entrevue. » D’autre fois, avec le même collègue, c’est moi qui prends l’initiative. Avoir le
leadership ne donne aucune supériorité. C’est une question de fonctionnement pratique.
Ce qui m’amène à mon deuxième point.
Dès que nous fonctionnons à plusieurs, il est plus pratique d’avoir un membre du groupe
qui exerce un leadership. Plus philosophiquement, pour que l’action soit une, il faut que le
groupe à l’origine de cette action ne fasse qu’un et ceci s’accomplit par l’exercice d’un
leadership, qui unifie ce qui est multiple. Or, deux personnes, c’est déjà un groupe, et
cette loi s’applique. Ce n’est pas une question de supériorité, mais de primauté dans le
fonctionnement pratique. Cette primauté pourrait être aux femmes, comme c’est le cas
dans les cultures matriarcales. - Fin de la parenthèse philosophique.
Le problème des batteurs de femme est réel dans nos sociétés et les intervenants
sociaux tout comme les mouvements féministes qui travaillent à enrayer ce fléau ne
peuvent pas trouver banal que des musulmans prennent autorité sur Dieu pour suggérer
qu’on puisse battre les femmes.
Je te raconte un cas rapporté par le journal Al-Raï Al-Am, au Koweit. Je sais bien que
c’est un cas de folie, mais il illustre, à mon sens, une forme d’obsession relative à la
chasteté de la femme. Il s’agit d’un musulman qui a égorgé sa fille de 13 ans, en présence
de ses frères et de sa sœur, après l’avoir accusée d’avoir perdu sa virginité. Le journal
précise : « Mardi, quelques jours après avoir accompli le pèlerinage à La Mecque, cet
homme de 38 ans a bandé les yeux de sa fille Asmaa, et lui a ligoté les mains, avant de
l’égorger, malgré ses supplications. Un examen médical sur le corps de la jeune fille a
pourtant prouvé qu’elle était vierge. »
Je ne suis pas en train de te dire que toutes les traditions musulmanes relatives aux
femmes, dans toutes les communautés, sont malsaines. Je veux seulement que tu
comprennes que les excès de sévérité à cet égard donnent une image déplaisante de ta
religion, tout aussi bien que nos pratiques laxistes peuvent nous déprécier aux yeux de tes
coreligionnaires.
Enfin, tu sais le scandale que provoque dans nos sociétés égalitaires la règle du deux
pour un quand il s’agit d’héritage.
Dieu vous commande, dans le partage de vos biens entre vos enfants, de
donner au garçon la portion de deux filles. (4, 12)
Ce genre de recommandation fait sursauter aujourd’hui en Occident, mais j’imagine que le
contexte culturel de l’époque pouvait expliquer cette mesure. Si, dans la culture locale, à
l’époque, la femme était totalement prise en charge par l’homme (parce que les hommes
44
emploient leurs biens pour doter les femmes, disait le verset 4, 38) c’est lui qui avait
besoin de plus de ressources. Mais ce n’est pas à moi d’inventer de telles justifications.
Tu sais qu’on reproche aussi à la religion musulmane de présenter une image du ciel
complètement pensée pour les hommes. Personnellement, ça ne m’énerve pas, parce que
j’aime croire que ces descriptions ont un sens symbolique. Mais étant donné que les
femmes luttent ici contre le « machisme » (le masculinisme?), cette présentation du
paradis peut apparaître comme un indice supplémentaire d’une culture où la femme est
une personne de second rang. En plusieurs sourates on trouve un verset semblable à ceuxci :
Ceux qui croiront et feront le bien seront introduits dans les jardins arrosés de
courants d’eau; ils y demeureront éternellement; ils y trouveront des femmes
exemptes de toute souillure, et des ombrages délicieux.
Ceux qui craignent Dieu auront un heureux séjour, les jardins d’Éden dont les
portes s’ouvriront devant eux. Ils s’y reposeront accoudés, et demanderont de
toute espèce de boisson. Auprès d’eux seront des femmes au regard modeste, et
leurs égales en âge. (38, 49-52)
Ceux qui craignent Dieu seront dans les jardins et dans les délices, se
réjouissant de ce dont les a gratifiés leur Seigneur. Leur Seigneur les a
préservés du supplice du feu. Mangez et buvez en bonne santé, [leur dira-ton], c’est le prix de vos actions. Accoudés sur des lits rangés en ordre, nous
les avons mariés à des filles aux grands yeux noirs. […]
Nous leur
donnerons en abondance des fruits et des viandes qu’ils désireront. Ils s’y
prêteront mutuellement la coupe qui ne fera naître ni propos indécent ni
occasion de péché. Autour d’eux circuleront de jeunes serviteurs pareils à des
perles renfermées [dans leur conque]. (52, 17-27 passim)
À ce propos, la question que se pose un occidental est celle-ci : C’est très stimulant pour
les hommes de savoir qu’il y aura là des femmes aux grands yeux noirs ou au regard
modeste, mais pourquoi n’y aura-t-il pas aussi, pour les femmes, des hommes aux yeux
doux et au regard cajolant?
Le terrorisme
Et je passe au deuxième thème relatif au fondamentalisme musulman, soit le terrorisme,
qui est la forme moderne de la guerre sainte. C’est un peu banal d’en parler ici.
Comme le dirait Monsieur de Lapalisse, le terrorisme sème la terreur. Étant donné qu’il
s’exerce au nom de l’Islam, il projette une image effrayante de ta religion. Bien sûr, tu me
diras comme les autres : « Ce n’est pas ça l’Islam. L’Islam est une religion pacifique qui
mène à la fraternité. » Mais, étant donné que ces gens-là trouvent dans leur Livre
toutes les justifications de leurs actes, comment puis-je savoir si toi, ou disons plutôt
ton voisin musulman, fera une lecture pacifiste de son Coran? Vous n’avez pas de pape
ou d’autorité évidente capable de rassembler tout le monde et d’exposer la position de
l’Islam dans son ensemble. Vos théologiens sont des imams dispersés; les uns proposent
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la haine, la terreur, la guerre sainte; les autres, invitent tout le monde à la modération.
Mais lesquels sont les vrais? Lesquels ont bien lu le Coran?
Je dis que les deux tours qui se sont effondrées à New-York en septembre 2001 ont
secoué l’Amérique, mais qu’elles sont tombées sur les pieds de l’Islam et lui ont fait
beaucoup de mal. Et je dis que chaque acte de terrorisme qui va chercher des vies
innocentes fait une tache sur le blason de l’Islam. Je dis que, lentement, les violents
détruisent leur propre religion.
De la même façon, je dis que, à moins qu’il ne s’agisse d’une riposte à une déclaration de
guerre non équivoque, comme l’attaque sur Pearl Harbour en 1944 (armée contre armée),
chaque bombe qui tombe sur un pays étranger fait un trou dans le drapeau du pays qui
la lance.
Au temps du président Jimmy Carter, des pacifistes se sont levés et des accords étaient
en vue relativement au Moyen-Oient. Des deux côtés, les fanatiques ont assassiné ceux
qui proposaient la paix (Anuar Al-Sadate et Menahem Begin). Et depuis ce temps-là, de
part et d’autre, on assassine la Paix tous les jours. À l’heure où j’écris ces lignes,
début 2005, des deux côtés, chaque jour, on assassine la Paix en Palestine, et, avec
les matériaux que la haine fournit, on érige un mur aussi monstrueux que le mur de Berlin,
que le monde était si heureux de voir tomber. Et il est difficile d’imaginer une solution
satisfaisante à ce conflit.
Prends seulement comme objet de litige le statut de Jérusalem. Le point de vue des
Palestiniens, tu le comprends facilement. Si tu veux te faire une idée de ce qu’est
Jérusalem pour un Juif pieux et nourri des Écritures de ce peuple, va faire un tour sur
Internet à l’adresse de La bible en français courant1; dans la petite fenêtre où c’est écrit
Mot à chercher, tape Jérusalem, puis, en bas, chercher. Tu obtiendras 1040 citations en
incluant le Nouveau Testament; 896 dans l’Ancien seulement.
Tu liras le contexte quand la citation te paraîtra significative. Alors, tu comprendras ce que
peut signifier Jérusalem pour un Juif. Il reste à voir si, un jour, ils donneront à ce mot un
sens symbolique et mystique, comme le font les chrétiens. À moins d’un miracle, ce n’est
pas demain la veille.
Tu n’y peux rien ni moi non plus. Je veux seulement que tu comprennes que les obstacles
à une harmonisation de nos trois familles religieuses sont nombreux et réels. Il est facile de
comprendre que le terrorisme, comme l’esprit guerrier, sont des antonymes de la véritable
religion.
7. L’intolérance des régimes à dominante musulmane
Depuis un an environ, je lis des textes qui font état de la situation pénible des chrétiens
dans les pays à dominante musulmane. Tu trouveras des exemples illustrant ce thème
1
(http://www.interbible.org/interbible/ecritures/bfc/bfc.htm)
46
dans le site suivant sur Internet : <http://www.refractaires.org/001chretiens-mondeislamique.htm>.
Un Père Jésuite du nom de Giuseppe de Rosa a pris l’initiative de brosser un tableau
historique de la situation des chrétiens en pays musulman, dans un journal catholique
italien. Je vais citer un long extrait de ce texte, qui te donnera une idée de ce dont je parle :
L'islam radical, qui propose d'instaurer la sharia [Loi religieuse, NDLR]
dans chaque État musulman, gagne du terrain dans de nombreux pays
musulmans où sont présentes également des communautés chrétiennes. Il est
évident que le régime de la sharia va rendre la vie des chrétiens extrêmement
difficile, et que leur survie sera constamment menacée.
C'est bien là la cause de l'émigration massive des chrétiens des pays
musulmans vers les pays occidentaux - Europe, Etats Unis, Canada et
Australie. Il existe une estimation du nombre de chrétiens ayant émigré
d'Egypte, Iraq, Jordanie, Syrie, Liban, Palestine, et d'Israël dans la dernière
décennie: elle dépasse les trois millions, c'est à dire de 26.5 à 34 % du
nombre global présumé des chrétiens vivant habituellement au Proche-Orient.
Il ne faudrait pas non plus sous-estimer de graves agressions contre les
chrétiens, récemment perpétrées dans certains pays à majorité islamique. En
Algérie, l'évêque d'Oran, Mgr Claverie, (1996) sept moines trappistes de
Tibérine (1999) et six religieuses de diverses congrégations ont été
brutalement assassinés par des islamistes, même si les meurtres ont été
condamnés par un certain nombre d'autorités musulmanes. Au Pakistan, où
vivent 3.800.000 chrétiens, parmi 156 millions de musulmans (96% de
musulmans), des musulmans sont entrés, le 28 octobre 2001, dans l'église St
Dominique à Bahawalpur et ont abattu 18 chrétiens. Le 6 mai 1998, l'évêque
catholique, John Joseph, s'est tué en plein tribunal pour protester contre la loi
du blasphème qui punit de mort toute offense envers Mahomet, même par
simple allusion. Ainsi, dire que Jésus est Fils de Dieu est une offense envers
Mahomet, qui a déclaré que Jésus n'est pas Fils de Dieu, mais son serviteur.
Avec ce type de loi, les chrétiens sont en danger de mort permanent.
Au Nigéria, où 13 Etats ont introduit légalement la sharia, plusieurs milliers
de chrétiens ont été victimes d'incidents. De sérieux conflits se sont produits au
sud des Philippines et en Indonésie, où 212 millions d'habitants constituent la
plus grande population musulmane du monde, au détriment des chrétiens de
Java, du Timor oriental, et des Moluques. Mais la plus tragique situation hélas ! oubliée par l'Occident - est celle du Soudan, où le nord est arabe et
musulman et le sud, noir et chrétien, et en partie animiste. Depuis la période
du président Nimeiri, la guerre civile fait rage entre le nord, qui a proclamé la
sharia pour tenter de l'imposer partout, et le sud, qui aspire à préserver son
identité chrétienne. Le nord fait usage de tout sa puissance militaire, financée
par l'exportation de pétrole vers l'Occident, pour détruire les villages
47
chrétiens; empêcher l'arrivée de l'aide humanitaire; tuer le bétail, qui est le
seul moyen de subsistance pour la population; mener des raids contre les
chrétiens, enlever des jeunes filles, qui sont ensuite vendues comme esclaves
ou concubines à de riches soudanais. Selon le rapport 2001 d'Amnesty
International, la guerre commencée en 1983 a fait plus de 2 millions de morts
et 4 millions et demi de déportés. Dans la région du Nil supérieur, riche en
pétrole, des dizaines de milliers de personnes ont été contraintes par la terreur
à abandonner leurs maisons, après bombardements aériens, exécutions
massives et usage de la torture.
Il faut enfin rappeler une situation de fait souvent oubliée: l'Arabie saoudite est
le fournisseur de pétrole le plus important pour le monde occidental et certains
ont intérêt à ne pas perturber les relations avec ce pays. En réalité, en Arabie
saoudite, où règne le wahhabisme, non seulement il est impossible de
construire une église ou d'aménager le moindre lieu de culte, mais tout acte de
foi chrétienne est sévèrement interdit et réprimé par de rigoureuses sanctions.
De ce fait, un million de chrétiens travaillant en Arabie saoudite sont
violemment privés de toute pratique ou de tout signe extérieur lié à leur foi. Ils
ne peuvent prendre part à la messe ni à un culte - avec le risque de perdre
leur emploi - qu'à l'intérieur de périmètres appartenant à des compagnies
étrangères. De plus, l'Arabie saoudite dépense des milliards de pétrodollars,
non pas au bénéfice de ses citoyens pauvres ou de musulmans pauvres dans
d'autres pays islamiques, mais pour construire des mosquées et des écoles
coraniques en Europe, et payer des imams dans tous les pays occidentaux.
J’ai lu un ouvrage de Nahed Mahmoud Metwalli intitulé : « Ma rencontre avec le
Christ », traduit de l'arabe par Fadlallah Boutros et paru chez F.-X. de Guibert en 1994.
L’action se passe au Caire. C’est l’histoire d’une jeune dame, directrice adjointe d’une
école secondaire de fille, qui fait une rencontre mystique avec le Christ Jésus et embrasse
la foi chrétienne. Auparavant, elle montrait de l’antipathie à l’égard des chrétiens et
chrétiennes de son entourage. Mais l’attitude de sa secrétaire, qui était chrétienne, avait
attiré son attention. Ayant entendu parler du Christ Jésus, elle a voulu le connaître et,
dans la prière, elle a eu avec lui une rencontre spirituelle très intense. Mise en rapport
avec un prêtre copte orthodoxe, elle a reçu le baptême. Par une sorte d’accident de
parcours, un enregistrement de son témoignage a été diffusé dans toute l’Égypte.
Immédiatement, sa parenté et la police se sont mises à sa recherche. Il faut voir quelles
ruses elle a dû déployer pour sauver sa peau et sortir de son pays, traquée comme un bête
dangereuse qu’il faut éliminer.
Les musulmans d’ici nous disent que leur religion est belle, fraternelle, magnanime,
tolérante, et je veux bien les croire. Mais pourquoi alors une femme qui se fait chrétienne
dans les pays à régime musulman doit-elle craindre pour sa vie? Pourquoi le seul fait de
transmette un renseignement sur le christianisme devient-il chose dangereuse dans ces
pays-là? Est-ce l’application du verset que j’ai cité antérieurement?
48
91 […] S’ils retournent réellement d’une manière avouée à l’infidélité,
saisissez-les et mettez-les à mort partout où vous les trouverez.
Un musulman qui se fait chrétien ne renie pas son Dieu. Il continue à croire en un Dieu
unique, créateur de l’Univers. Pourquoi vouloir l’assassiner comme s’il était un renégat?
Que ce Dieu des chrétiens, dans sa tendresse, selon notre croyance, se soit abaissé et que
son Verbe ait pris la condition humaine pour nous rejoindre, comme un papa qui se baisse
pour parler à son enfant de trois ans, pour être à son niveau, ce n’est rien de si
épouvantable. Cette musulmane devenue chrétienne demeure une croyante. Elle soumet sa
volonté à la volonté divine, comme fait une musulmane, comme l’a fait Jésus. Elle prie,
elle aime son prochain et elle lui rend service. Si elle ne fait pas le Ramadan, elle peut faire
le carême (40 jours pendant lesquels on peut choisir ses pénitences). Pourquoi alors
vouloir la condamner, la tuer?
C’est nous qui devrions nous affoler quand un chrétien se fait musulman, parce que, en le
faisant, il renie Jésus comme Fils de Dieu et Parole incarnée du Dieu vivant. Dans une
lettre qui fait partie du Nouveau Testament (c’est à dire les quatre évangiles, les Actes et
les lettres des apôtres et l’Apocalypse), saint Jean écrit :
«Bien-aimés, ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour
voir s’ils viennent de Dieu, car beaucoup de faux prophètes sont venus dans le
monde. À ceci vous reconnaissez l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse
Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu; et tout esprit qui ne confesse pas
Jésus n’est pas de Dieu; c’est là l’esprit de l’Antichrist.
Comme tu peux voir, pour nous, c’est quelque chose de grave que de nier que le Verbe de
Dieu, son Christ, soit « venu dans la chair ». Et pourtant, aujourd’hui, personne ne va
menacer de mort un chrétien qui se fait musulman.
Je ne te parle pas des persécutions en Irak, parce que, au moment où je t’écris, la
confusion entre religion et politique guerrière, tout comme la confusion sous tous les
rapports, rendent toute analyse impossible.
8. L’interprétation naïve de l’inspiration des Livres sacrés
J’ai traité de ce thème dans les pages précédentes, mais je veux m’y arrêter d’une façon
particulière, parce que c’est un point absolument important pour l’édification d’une paix
réelle et durable entre les religions.
Il fut un temps où nous, les chrétiens catholiques, considérions la Bible comme un livre
dicté mot à mot par Dieu Lui-même. C’est pour cette raison, par exemple, que Galileo
Galilei fut forcé par la Sainte Inquisition d’abjurer « ses erreurs », bien que sa théorie ait
été propagée un siècle plus tôt, en 1543, par Copernic, un prêtre astronome polonais,
dans son fameux Traité sur les révolutions du monde céleste. Bien des passages, dans la
Bible, pouvaient être invoqués pour forcer Galilée à faire cette déclaration, notamment
celui qu’on trouve au chapitre 10 du Livre de Josué (versets 12 à 14) :
49
Le jour où le Seigneur livra les Amorites à l'armée d'Israël, Josué adressa
une demande au Seigneur en présence de tous les Israélites. Il s'écria: «Soleil,
arrête-toi au dessus de Gabaon! Lune, immobilise-toi sur le val d'Ayalon!»
Le soleil s'arrêta et la lune s'immobilisa jusqu'à ce que la nation d'Israël ait
pris le dessus sur ses ennemis. Comme il est écrit dans le Livre du Juste, le
soleil s'arrêta au milieu du ciel, il interrompit sa course vers le couchant
pendant un jour entier.
Jamais auparavant et jamais depuis, il n'y eut de jour semblable à celui-là, où
le Seigneur agit comme le lui demandait un homme: le Seigneur lui-même
combattait aux côtés d'Israël!
Les théologiens gardiens de la foi, à Rome et ailleurs, se disaient : « Comment Josué
aurait-il pu arrêter le soleil dans sa course si c’est la terre qui tourne? La Parole de Dieu
est plus certaine que la certitude de la science. Cet homme est dangereux. Il faut le forcer
au silence. »
Dans la Bible, la terre était conçue comme une grande galette déposée sur l’eau, comme un
biscuit qu’on fait flotter sur sa tasse de thé, peut-être avec des colonnes en-dessous. Doiton dire que Dieu n’était pas encore au courant de la réalité, lui qui avait créé l’Univers? Il
faudrait signaler que le pape de cette époque, qui était fort cultivé, était un ami de Galilée,
mais il s’est vu obligé de lui demander qu’on ne propage plus cette théorie scientifique qui
troublait la foi des gens en la Bible, parole de Dieu. Les conseillers du pape croyaient qu’il
valait mieux ne pas publier de telles découvertes. D’ailleurs Galilée, qui était
profondément catholique, se soumit durant un certain temps et fut tenu de demeurer chez
lui sans faire de bruit.
C’est une évidence acquise depuis longtemps que, s’il est vrai que les leçons spirituelles
qu’on trouve dans la Bible sont inspirées du Ciel, le matériel historique ou pédagogique
qui sous-tend cet enseignement est à mesure humaine. Qu’est-ce alors qui est inspiré et
qu’est-ce qui est du matériel humain? Et parmi le matériel humain, qu’est-ce qui est un fait
historique et qu’est-ce qui est un récit édifiant pour soutenir la foi? Semblablement, parmi
les instructions pratiques qu’on trouve dans le texte, lesquelles valent pour tous les
humains de tous les temps, et lesquelles sont des mesures applicables au temps où elles
ont été dictées? Nous commençons depuis des siècles, et surtout depuis la fin du XIXe
siècle, à y voir de plus en plus clair chez les chrétiens. Mais avons-nous la certitude que
ce travail de discernement, en ce qui concerne le Coran, est suffisamment avancé chez les
musulmans? Est-il même pensable ? Et quand pourrait-on accepter dans l’Islam de faire
l’exégèse des versets du Coran comme on fait celle de la Bible dans l’Église catholique ?
Je vais écrire une sottise. Ça te surprend? Ce ne sera pas la première ni la dernière. Si
toutes les instructions données dans la Bible étaient destinées à tous les temps, quand on
trouve un cadavre entre deux villes, la police devrait ouvrir le Deutéronome au chapitre 21
et lire les instructions suivantes pour savoir que faire :
50
Quand vous serez dans le pays que le Seigneur votre Dieu vous donnera en
possession, supposons qu'on trouve dans les champs le cadavre d'un homme
assassiné et que l'on ne connaisse pas l'auteur du meurtre. Dans ce cas, vos
anciens et vos juges iront mesurer la distance entre le lieu où se trouve la
victime et les villes voisines, pour déterminer quelle est la ville la plus proche.
Les anciens de cette ville prendront alors une jeune vache qu'on n'a pas
encore fait travailler sous le joug, ils l'amèneront près d'un torrent où il y a
toujours de l'eau et sur les bords duquel on n'a jamais labouré ni semé; là,
près du torrent, ils briseront la nuque de la vache. A ce moment s'avanceront
les prêtres, descendants de Lévi, que le Seigneur votre Dieu a choisis pour le
servir et prononcer la bénédiction en son nom. Ce sont eux en effet qui doivent
régler les disputes et les affaires de coups et blessures. Tous les anciens de la
ville qui se sont approchés du cadavre se laveront les mains au-dessus de la
vache dont on a brisé la nuque, et ils déclareront: «Nous ne sommes pas les
auteurs de ce meurtre, et nous n'avons pas vu ce qui s'est passé. Seigneur,
pardonne au peuple que tu as libéré, ne tiens pas Israël pour responsable du
meurtre d'un innocent.» Alors Dieu leur accordera son pardon. Vous agirez
ainsi d’une façon qui plaît au Seigneur et vous éviterez d’être tenus pour
responsables d’un tel meurtre.
Je donne ici dans le ridicule, mais il faut parfois aller jusque là pour exposer une évidence.
J’aurais pu prendre mon exemple dans le Coran. Aujourd’hui, les chrétiens qui ne sont
pas « littéralistes » commencent à comprendre ce que signifie l’inspiration des Livres
sacrés, et cette façon de voir n’enlève rien au respect qu’ils portent à ce que nous
appelons la Parole de Dieu.
J’aime croire que la majorité des musulmans sont capables d’user, eux aussi, de
discernement quand il s’agit de la lecture du Coran. Ils savent, par exemple, que le texte a
pris forme dans un contexte guerrier, et que les nombreuses invitations au combat avaient
un sens pratique dans la situation d’alors. Les interpréter aujourd’hui de façon littérale est
une aberration.
J’ai intitulé le texte que tu lis Lettre à mon ami musulman. Mais je te pose la question :
As-tu le droit d’être mon ami? Si tu dis oui, un autre musulman peut te dire : Que faistu du verset 56 de la sourate 5 cité plus haut?
O croyants! ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens; ils sont amis les
uns des autres. Celui qui les prendra pour amis finira par leur ressembler, et
Dieu ne sera point le guide des pervers.
Et si tu dis non, toi qui es un être pacifique, quel espoir reste-t-il à l’humanité de voir les
religions s’harmoniser entre elles?
III. Pour finir
51
Suis-je plus avancé qu’au début? Et toi? Quand j’ai dit à des amis que je t’écrivais une
lettre publique, certains m’ont dit : « Tu risques d’avoir une fatwa sur le dos ».
Si la chose se produisait, à la suite d’un texte que j’ai voulu amical et respectueux, je serais
heureux d’en subir les conséquences, car il y aurait là une démonstration de quelque chose
que le monde doit savoir. Et mon but serait quand même atteint. Mais je sais qu’il n’y
aura rien de tel.
Mon but, c’est d’ajouter ma voix à celles qui s’élèvent aujourd’hui en faveur d’une
coexistence pacifique et fraternelle entre les peuples de toutes races et de toutes religions.
Si mon voisin se faisait musulman, il ne serait pas obligé de déménager, de se cacher
comme un criminel. Et certains diraient probablement comme moi : Il vaut mieux pour lui
être un musulman croyant et fervent qu’un chrétien médiocre. Pourquoi faudrait-il que les
choses soient différentes dans les pays à majorité musulmane à l’égard des chrétiens?
Je t’ai parlé d’œcuménisme au début de ma lettre. Je t’ai raconté la joie que j’ai eue un jour
à prier avec un jeune homme de foi musulmane autour d’une pizza, alors que nous faisions
ensemble une séance de travail. Je t’ai parlé de la joie que j’ai de savoir que, à Soufanieh,
en Syrie, des musulmans, des catholiques et des orthodoxes prient ensemble. Je t’ai
rappelé que des chefs religieux de toutes les grandes religions ont prié ensemble à Assise
en novembre 2002. (Ils l’avaient fait pour la première fois en 1986, et le pape, en 2001,
avait été reçu par le Grand Mufti dans la grande Mosquée Omeyade de Damas). Le
cardinal Van Thuan, qui est président du Conseil Pontifical Justice et Paix, a expliqué en
ces mots pourquoi cet événement était si extraordinaire :
«Cette rencontre d’Assise est très importante pour quatre raisons. Premièrement, elle va aider à la
collaboration interreligieuse, en favorisant une plus grande conscience de l’unité du genre humain;
deuxièmement, une telle rencontre des chefs chrétiens, juifs et musulmans est une initiative de
condamnation du terrorisme en déclarant au monde qu’on ne peut l’abolir que si nous nous reconnaissons
tous frères; troisièmement, cette rencontre sera un témoignage en réaffirmant qu’il ne doit pas y avoir
d’abus de la religion pour faire la guerre; enfin, quatrièmement, un tel engagement de la part de toutes les
religions ne peut pas ne pas conduire au chemin du pardon».
Je me suis réjoui du récit suivant, que me faisait un ami, d’une belle rencontre avec des
musulmans à l’esprit ouvert :
Alors que j’étais au Caire, en 1972, afin d’y réaliser une entrevue (de la série « Rencontres »
pour la télévision de Radio-Canada) avec un éminent professeur de l’Université, je n’avais
rien à faire un bon matin. Que faire alors qu’il y a une tempête de sable qui se déverse sur la
ville? Devant l’hôtel où on me logeait, il y a avait la Grande Place qui me séparait de la
boutique du principal antiquaire. J’avais vu la vitrine la veille et la curiosité me démangeait.
Je décidai de m’y rendre, habitué, en bon Québécois, à foncer dans les tempêtes de neige. Le
portier tenta de me retenir en me disant d’attendre après le déjeuner (dîner). Je lui expliquai
que je venais du Québec où les tempêtes abondent. Et je partis allègrement.
Rendu au milieu de la Place, je n’en pouvais plus. Je pensai à retourner à l’hôtel, mais je me
dis que puisque j’avais fait la moitié du parcours, je pouvais aussi bien me rendre chez
l’antiquaire, quitte à manger dans un restaurant tout près. Je fus doublement et même
triplement récompensé. La visite me combla.
Il y avait là tant de merveilles. Mais inutile d’essayer de marchander, les prix étaient très
élevés. J’allais enfin retourner à l’hôtel en affrontant encore la tempête quand, alors que je
quittais, un gamin de quinze ans en djellaba, portant un plateau muni d’un énorme couvercle
d’argent, amenait le repas des deux antiquaires. Ça sentait bon et je me permis de leur
52
souhaiter bon appétit en disant que cela semblait être délicieux. Aussitôt dit, ils m’invitèrent
à partager leur repas, d’autant plus, ajoutèrent-ils, que la tempête ne semblait pas vouloir
s’arrêter. J’ai accepté.
Nous sommes donc montés à l’étage où d’autres merveilles égyptiennes m’éblouirent. Nous
nous sommes assis par terre pour manger. Les antiquaires firent leurs ablutions en bons
musulmans et prièrent. Le repas était vraiment délicieux. À la fin, je leur ai demandé si je
pouvais prier un peu à haute voix comme ils l’avaient fait en arabe au début. Je terminai, en
anglais, avec « la prière que nous a laissée notre prophète Issa, Jésus, prière récitée chaque
jour par la plupart des chrétiens : Our father, who art in heaven, … ».
Tous deux furent éblouis par la beauté du Notre Père. Ce qu’ils retinrent surtout, c’est
« Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés».
C’était la première fois de leur vie qu’ils entendaient cette prière… Et j’étais pour ainsi le
premier chrétien qu’ils rencontraient vraiment !
Avant mon départ, il m’offrirent en signe d’amitié un masque d’un sarcophage trouvé près
d’Alexandrie, vieux de 3 100 ans… et une bague ancienne magnifique. Je leur dis que je ne
pouvais accepter de tels cadeaux car je comptais vraiment les payer. Or, je n’avais que 45$,
car c’est tout ce qui me restait dans mes poches.
Ils n’avaient vraiment aucun désir d’accepter cette petite somme. Pour eux c’était gratuit, un
cadeau à leur nouvel ami chrétien, catholique.
Mais je leur laissai l’argent quand même. Ces musulmans avaient découvert une prière qui
leur paraissait valoir plus que ce qu’ils m’offraient! Je me souviens encore de leurs sourires et
de leur grande gentillesse.
J’aime ce genre de récit, parce que, de part et d’autre, il y a du respect. Au cas où tu ne
connaîtrais pas la prière en question, je te la transcris :
Notre Père, qui es aux cieux,
que ton Nom soit sanctifié,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour,
pardonne-nous nos offenses
comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés,
et ne nous soumets pas à la tentation,
mais délivre-nous du mal. Amen!
Je me suis réjoui d’apprendre que, à Bruxelles, a eu lieu une rencontre de rabbins et
d’imams modérés, désireux de s’engager dans une action pour promouvoir la paix. Ils
étaient environ 150 pour cette rencontre de trois jours. On y trouvait certaines des plus
hautes autorités rabbiniques, des imams venus de tous les continents, chiites, sunnites,
soufies… Ils ont chanté, prié ensemble, et prononcé de nombreux discours exprimant la
nécessité de s’engager pour la cause de la paix. Va-t-on les considérer comme des chefs de
file qu’il faut imiter ou comme des traîtres à la cause de leur religion?
Je t’ai demandé : Sommes-nous plus avancés qu’au début? Pour ma part, je découvre une
nouvelle évidence : le véritable affrontement n’est pas tant celui d’une religion contre une
autre, mais plutôt celui des pacifistes contre les guerriers sanguinaires, contre les
fanatiques violents de tout acabit.
53
Il faudra de grands miracles pour que nous arrivions à l’œcuménisme, à la véritable
fraternité. Et je crois que Dieu est disposé à faire ces grands miracles. Il faudra que nous
soyons attentifs aux signes qu’Il nous envoie. La rencontre d’Assise et la réunion de
Bruxelles font partie de ces miracles. Il faudra que, partout dans le monde, les leaders
religieux se lèvent pour la cause de la paix et de la fraternité; qu’ils aient l e
courage, au risque de leur vie, de dénoncer toute violence exercée au nom de Dieu.
Tu sais que les chrétiens et les musulmans se croient chargés de la même mission
universelle : convertir la terre entière à leur religion. Et chacune des deux familles de
croyants estime sa religion supérieure à toutes les autres. Le verset 28 de la sourate 48 se
lit comme suit :
C’est lui [Dieu] qui a envoyé son apôtre muni de la direction et de la véritable
religion, pour l’élever au-dessus de toutes les religions. Le témoignage de
Dieu te suffit.
Au verset 16 on pouvait lire :
[…] Vous combattrez ces gens jusqu’à ce qu’ils se fassent musulmans.
On me dit que c’est une idée prêchée souvent par les imams que l’Islam a pour mission de
rassembler tous les humains de la terre dans le giron de sa croyance.
Les chrétiens ont reçu une mission semblable. Et Jésus a dit à ses apôtres :
" Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc,
enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fil et du SaintEsprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je
suis avec vous toujours jusqu'à la fin du monde. "
Et les Juifs aussi avaient une mission universelle. Nombreux sont les textes qui le laissent
entendre. Je ne te cite qu’un passage tiré du prophète Isaïe (49, 6) :
Il m'a dit: «Cela ne suffit pas que tu sois à mon service, pour relever les tribus
de Jacob et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des
nations, pour que mon salut s'étende jusqu'au bout du monde.»
Comment s’accomplira cette mission universelle dont se croient chargées trois familles
religieuses (j’ai choisi de ne parler que de celles-là)? Allons-nous croiser le fer, nous battre
jusqu’à ce qu’une des trois triomphe et puisse imposer par la force sa foi et ses pratiques?
Et dans une pareille lutte, les Juifs diraient : « Yahvé est avec nous pour combatte les
incirconcis». Les musulmans diraient aussi « Allah est avec nous pour combattre les
infidèles». Et le chrétiens invoqueraient semblablement la protection de Dieu. Il y aurait
dans le Ciel de grands débats, et des décisions difficiles à prendre.
Comment allons-nous garder la paix et l’harmonie dans les écoles lorsqu’il y aura le tiers
des élèves qui croiront qu’il faut manger halal et s’habiller de telle façon, l’autre tiers qui
croira qu’il faut manger casher, porter des tresses et s’habiller autrement, et un dernier
tiers qui sera d’avis que Dieu nous laisse choisir nos mets et nos habillements? Tu peux
répondre : on fera trois menus ou on aura trois cafétérias. Mais alors, je vais aller plus
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loin : Que fera le professeur de mathématique lorsque les élèves musulmans ne voudront
plus utiliser le signe + parce qu’il ressemble à une croix? _ Ces derniers détails font partie
d’un rapport de l'Inspection générale de l'Éducation nationale en France, d’après Le
Figaro. La dérive du bon sens est parfois navrante.
Quand le tsunami de décembre 2004 a ravagé les côtes de l’Océan Indien, il n’a pas fait de
distinction entre les races et les religions. Et quand l’aide humanitaire s’est levée de
partout dans le monde pour venir au secours des sinistrés, il n’y avait pas non plus de
distinction entre les races et les religions, ni de la part des donateurs ni de la part des gens
secourus. Faudra-t-il des catastrophes plus grandes encore pour nous faire comprendre
que nos sommes une seule famille humaine et pour nous libérer d’un monde binaire de
bons et de méchants? Un monde de bons qui ont à eux seuls toute la Vérité et qui ne font
pas d’erreurs, un monde de méchants qu’il faut combattre, éliminer ou convertir?
J’entends souvent des gens me dire : « il faudrait se débarrasser de toutes les
religions, causes de dissensions et de guerres, et développer la spiritualité. Il y a làdedans une forte dose de bon sens, mais je ne peux pas donner mon aval à cette façon de
voir. Les religions sont la source de la spiritualité. La spiritualité chrétienne sans le Christ
est quelque chose d’impensable. Ces gens-là pourraient me demander : As-tu vraiment
besoin du Christ pour développer ta spiritualité? Je réponds que, pour moi, dans ma
perspective, c’est oui, c’est l’essentiel. À toi, ils demanderaient : As-tu vraiment besoin
de Mahomet et du Coran pour développer une vie spirituelle? Je ne sais pas ce que tu
répondrais.
Ce dont il faut se débarrasser, c’est de TOUT CE QUI N’EST PAS RELIGION DANS LES RELIGIONS.
Parce que religion et spiritualité doivent être une seule et même chose. Ce qui en fait des
clans opposés l’un à l’autre n’est pas de l’essence de la religion révélée par Dieu.
À partir du moment où nous ne chercherons pas à imposer aux autres nos pratiques
religieuses, à partir du moment où toutes les religions proclameront la fraternité humaine,
enseigneront la bonté, la justice, le respect de soi et des autres, le pardon des offenses, la
soumission à la volonté divine, à partir du moment où les miséreux de toute la planète
seront pris en charge et assistés dans leurs efforts pour se libérer, il ne sera pas nécessaire
qu’une religion triomphe sur l’autre, puisque le but de toutes les religions sera atteint, soit
celui de rassembler les être humains en une grande famille qui rende à Dieu tout honneur et
toute gloire. Je ne veux pas dire par là, comme le répétait mon père, que toutes les
religions sont pareilles. Je veux dire que le but de toutes les religions devrait être le
même. Unir les gens à Dieu et les rassembler dans l’unité, créer enfin la civilisation de
l’amour. Passer enfin de l’homo bellicus à l’homo sapiens sapiens, de l’homme guerrier,
chicanier, cruel et sanguinaire à l’homme vraiment sage et pacifique.
Chaque personne, chaque communauté humaine a la responsabilité de gérer l’héritage
spirituel qu’elle a reçu, en dehors de toute mission guerrière. Que chacune s’acquitte de
cette responsabilité dans la ferveur, la justice, la bonté, le respect, la compréhension, la
solidarité, et c’est Dieu qui fera aboutir la mission universelle. Le fardeau de la preuve sera
sur Lui, sur Dieu, et, s’Il veut indiquer un chemin de préférence à un autre, Il donnera les
55
signes nécessaires. On me dit à ce sujet : « Le signes ont déjà été donnés ». Bien sûr, pour
un chrétien, les miracles opérés par Jésus, sa résurrection, ses apparitions, les miracles
opérés par ses apôtres et par des saints au cours des siècles… On en trouverait à l’infini.
Mais parmi ceux et celles qui n’ont pas été touchés par ces signes du passé, ou qui
n’arrivent pas à y croire, qu’est-ce qui peut provoquer leur éveil spirituel si Dieu paraît
absent de la scène contemporaine? Il nous faut être attentifs aux signes qui sont déjà là et
ne pas nous fermer à ceux qui nous seront donnés dans le futur.
Pour les musulmans, le Coran lui-même est présenté comme le signe par excellence, et le
récit des protections miraculeuses accordés par leur Dieu dans les combats vient renforcer
leur certitude d’être « dans la bonne religion ». Je dis seulement que, même si, de part et
d’autre, la révélation fondamentale est considérée comme achevée et son authenticité
manifestée par des signes documentés historiquement, le monde contemporain a besoin
plus que jamais de nouveaux signes pour confirmer les croyants dans leur foi.
Des signes, j’en vois du côté chrétien. Tu en vois sans doute du côté musulman, ou bien tu
penses ne pas en avoir besoin. Quoi qu’il en soit, c’est ma conviction personnelle que la
puissance de l’Esprit divin, à l’œuvre dans le monde, va se manifester encore par des
signes observables, mais aussi et peut-être surtout, par des transformations incroyables
qui se feront de l’intérieur. C’est le cœur des personnes et des peuples qui sera changé,
sous l’emprise de l’Esprit divin, répandu par toute la terre, ainsi que l’annoncent les
prophètes.
Bref, quand je vais te rencontrer, je serai désarmé. Tu le seras aussi. Je veux que nous
prenions le thé (un café?), toi et moi, et que nous fassions ensemble une prière pour la
paix universelle. J’anticipe ce moment avec beaucoup de joie.
Jean
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Table des matières
0. Mes intentions ..................................................................................................................1
I. Ce qui peut nous rapprocher ................................. 3
1. La croyance en un Dieu unique ........................................... 3
2. La ressemblance des attributs divins ................................... 5
3. La croyance en la résurrection des morts et en la vie éternelle 5
4. Des éléments d’une morale commune .................................. 6
5. La vénération de Marie mère de Jésus ................................. 7
6. La spiritualité et le mysticisme ............................................ 8
7. Les grands personnages bibliques ...................................... 10
Première conclusion ...................................................................11
II. Ce qui peut nous diviser ..................................... 12
1. Le choc culturel provoqué par la naissance de l’Islam ........ 12
2. Le caractère belliqueux de l’être humain ........................... 20
3. L’appel du Coran à l’esprit guerrier .................................. 22
4. La collusion entre pouvoirs et religions .............................. 25
5. Le mauvais exemple des chrétiens d’aujourd’hui ............... 31
6. Le fanatisme des extrémistes musulmans ........................... 40
Les femmes ................................................................. 40
Le terrorisme .............................................................. 43
7. L’intolérance des régimes à dominante musulmane ........... 44
8. L’interprétation naïve de l’inspiration des Livres sacrés .... 47
III. Pour finir .......................................................... 49
Notre Père, qui es aux cieux, ................................................. 51