BIO FORE par Clavel

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BIO FORE par Clavel
Foré
La singularité des affiches de Foré
Ses affiches s’expriment à la fois dans l’humour bon enfant et la géométrie; elles
maintiennent une certaine rigueur esthétique et une sensibilité pour un art qui s’adresse au
grand public et à l’individu dans sa vie quotidienne. Foré sait jouer à la fois du sourire et de
la perfection de la ligne, des formes pures et de la dérision. Il a une façon facétieuse de voir
par les mots, de concevoir en images hardiment simplifiées et un certain métier pour les
traduire en coloriste. Il sait trouver une idée et la retranscrire par un graphisme clair, puissant
aux couleurs audacieuses et adaptées aux sujets, que ce soit dans les commandes
commerciales, industrielles ou d’utilité publique.
Foré a réalisé toutes ses maquettes à la gouache qui a l’avantage de sécher rapidement et de
pouvoir être diluée à nouveau, même sèche ; elle donne la liberté de faire des retouches. Au
journaliste de la revue Le Sérigraphe (1959, n°25) qui l’interroge sur son secret, il répond « Il
n’y en a pas, beaucoup dessiner, beaucoup observer, dès que l’on a une idée, la mettre sur le
papier, quel que soit le lieu et le moment, faire énormément de recherches de couleurs ».
Dans Le Parisien (7 mars 1963) il explique : « L’idée naît subitement. Il faut l’étincelle au
départ. Ensuite je décompose mes éléments, je compose mon sujet, j’équilibre mes
couleurs…puis j’imagine les palissades derrière …Enfin, si le projet me satisfait, je le
reprends sur un grand format, je le fignole amoureusement ». L’affiche c’est la tête et les
mains : spontanéité, intuition et conception vont de pair avec un travail lent, minutieux, net,
fini. Foré est un constructeur d’épure. L’approximatif n’est pas sa nature.
Il redessine toutes les maquettes à la main pour les différents formats de tirage car il faut
s’adapter à la forme du support, plus ou moins large ou haut : ainsi toutes les affiches de la
campagne antialcoolique, certaines déclinées pour les portes bagages de wagons, d’autres
pour les devants, les côtés ou les arrières d’autobus ont donné lieu à la création de 66
maquettes. « Foré est peut-être le seul affichiste à continuer d’utiliser la gouache, refusant
les facilités modernes du crayon feutre ou des papiers découpés » conclut Echos graphiques
(n° 42) en 1985 dans son article « Foré et l’art de l’affiche ». Ainsi, en 2007, pour fêter ses
80 ans, Foré pouvait compter l’édition de plus de 400 affiches.
Le gag visuel lancé par Savignac en 1949 influence les affiches de Foré des cinq premières
années en particulier les premières Conord. En dessinant l’insolente synthèse du pot de
moutarde et du menton, il provoque en 1954 et 1955 une polémique dans la presse publicitaire
avec l’affiche Bornibus.
Le style graphique de ses affiches va ensuite se dépouiller. Les trois affiches sélectionnées par
Paul Nicolas à l’exposition Vendre par l’affiche de 1956 se distinguent par l’économie de
formes du slogan graphique (Santé Sobriété), la violence humoristique d’association des
idées (Grand Concours France-Soir) et la puissance du détournement des images (Conord
aspire à bien vous servir).
Les lignes géométriques simplifiées vont construire ses scènes et ses personnages : Italian
Line (1956) compose un gondolier stylisé ; la forme minimale du verre ballon dessine le
visage blessé de Sécurité Sobriété (1957) et l’expression de son regard. Dans les agencements
d’aplats de couleurs du couple Bal Promo de l’Esme (1957), le rectangle vertical annonce le
visage masculin, l’ovale bicolore, le visage féminin. Les couleurs donnent une assise
charpentée aux verticales et horizontales de la fabuleuse chaise Les Annonces (1959).
Foré se met à valoriser de plus en plus la force de la ligne pour elle-même, pour son caractère
constructif et puissant et non plus décoratif.
Des effets de bandes bleues, par accommodation de notre regard, procurent une sensation de
mouvement dans Télévision Radio Gramont de 1960. Les obliques du Prix de l’Arc de
triomphe (1960) dynamisent l’audace du cadrage en plan serré cinématographique sur les
têtes de chevaux. Des lignes multicolores horizontales expriment l’attirance de la ménagère
vers la Gazireine Chappée (1962). Pour Froid Boréal (1965), des bandes étroites parallèles
décalées par les coloris suggèrent l’éblouissement d’une aurore boréale digne d’une animation
murale de Vasarely.
En 1969, Foré donne une image nouvelle à la SNCF avec des affiches choc qui expriment la
vitesse par des stries horizontales (Le Lyonnais style Mistral) ou courbes (Le Stanislas) ;
minimalistes, elles émettent leurs propres vibrations comme dans l’art cinétique. Foré, à son
zénith, s’invente une signature graphique qualifiée de « ligniste » par le critique d’art de
l’affiche, Claude Sorel, qui a tenu pendant 25 années la chronique du Journal de la Publicité
et a lancé, avec André Parinaud, le Grand Prix de l’Affiche Française.
Foré va désormais exploiter les effets de lignes de manière récurrente. Il les fait vibrer en
rotatives colorées pour l’Imprimerie Marcille (1982). Les bandes de couleur deviennent
ondoyantes pour faire danser la Tour Eiffel Foire de Paris de 1983 ou la raquette Roland
Garros de 1989 ; dans Toulouse pour changer d’ère de 1985, un double arc-en-ciel tiré par la
fusée Hermès emporte le patrimoine architectural toulousain ; une multitude d’obliques
multicolores s’engouffrent dans la lettre 0 pour exprimer la solidarité syndicale de Force
Ouvrière de 1989. Ces affiches sont un condensé de la synthèse, de l’esprit, du goût, du
caractère, de la « typicité » de Foré affichiste.
L’affiche politique pour le référendum du Président De Gaule d’avril 1969, Oui à la région
parisienne, oui à la France, tire magistralement parti de la lettre, de manière déclamatoire,
comme le constructivisme russe ou le futurisme italien. La typographie des lettres dessine le
freinage dans Ralentissez de 1978, de même, les chiffres basculés de Loterie Nationale La
Prévention Routière de 1977.
Les affiches mythiques des graphistes résument la place irremplaçable qu’ils ont su prendre
dans leur génération. Foré incarne la modernité des Trente Glorieuses avec ses chefs d’œuvre
que sont les affiches Bornibus, Conord aspire à bien vous servir, Italian Line, Les Annonces,
Beurre Saint Lô, Radio Télévision Gramont, le Oui, le Crédit Hôtelier, Foire de Paris et les
séries structurées pour la campagne anti-alcoolique, pour la Loterie Nationale et pour la
SNCF. Foré a marqué la mémoire collective par une simplification infiniment hardie des
aspirations de ses contemporains
La prédilection de Foré pour les jeux de mots va de pair avec son goût des jeux de lignes
qu’elles soient parallèles ou courbes, convergentes ou divergentes, horizontales, verticales ou
obliques, sobres ou colorées : son génie pour les mettre en scène en a fait un maître du
graphisme optique. Car, dans l’espace public, Foré, par ses affiches commerciales, arrive à
transposer, les révolutions du cinétisme et de l’op’art, c’est-à-dire de l’avant garde des années
soixante et soixante-dix, initié par Vasarely à partir de 1955. La récurrence des lignes chez
Foré exprime la force et l’élan du progrès scientifique, technique et social de son époque ; elle
le rattache à l’art cinétique, qui a développé les réflexions et les recherches des avant-gardes
historiques du XX°siècle, en particulier du futurisme et du constructivisme en expérimentant
une gamme de possibilités de mouvement dans l’œuvre d’art. Il est un des derniers affichistes
du commerce et de l’industrie à pouvoir s’exprimer par rapport à l’art de son temps. Sa
manière « ligniste » cinétique en est d’autant plus émouvante : elle a fait pénétrer l’art
contemporain dans l’affiche commerciale et industrielle.
Le génie d’un affichiste est d’incarner l’esprit de son temps.
Dans la mémoire collective, Foré, au début des années soixante-dix n’est-il pas devenu
l’archétype de l’affichiste des « années Pompidou » , tout comme le peintre Agam et le
désigner Pierre Paulin, qui ont modernisé le décor et le mobilier national du Palais de
l’Elysée ?
Il clôt avec panache, la belle histoire de l’affiche commerciale française démarrée à la fin du
XIX° siècle et qui a réussi plus que partout dans le monde à associer l’art graphique aux
grands mouvements de l’art. Si certains ont pu parler de « l’impressionniste » Chéret, du
« fauve » Cappiello, du « cubiste » Cassandre, le temps est venu de parler du « cinétique »
Foré.
Myriam Alazard-Clavel