Hugues Losfeld, l`illusion au bout du pinceau…

Transcription

Hugues Losfeld, l`illusion au bout du pinceau…
a
S avo i r - fa i r e
Hugues Losfeld,
l’illusion au bout du pinceau
À 25 ans, Hugues Losfeld vit de sa
passion.
Tr o m p e
l’œil,
fresque,
patine, imitation de bois et de
marbres, dorure à la feuille, ce
peintre
en
décor
a
l’art
et
la
manière d’embellir et de révéler
l’esprit des lieux. Partenaire de
l ’ e x p o s i t i o n « L’ A n t i q u i t é t i s s é e » –
qui s’est tenue à la manufacture
de soierie Prelle à Paris jusqu’en
juillet dernier et pour laquelle il a
réalisé plusieurs décors – ce féru
du
XVIIIe
siècle compte à son actif
plusieurs
chantiers
monuments
Rencontre
dans
historiques
avec
d’atmosphère
un
PAR
CAMPEAU - CHANOINE
-
des
privés.
créateur
ALBANE
DE
PHOTOGRAPHIES
DE MARIE - PIA STOREZ
tre peintre en décor, c’est jouer sur
plusieurs tableaux. Hugues Losfeld en
sait quelque chose. Pour définir son
savoir-faire, il évoque « l’art de la mise en
scène ». Cette allusion théâtrale ne doit rien
au hasard puisqu’une partie des artistes
formés à ce métier réalisent des décors pour le
monde du spectacle. D’autres, comme Hugues
Losfeld, choisissent la décoration d’intérieur.
Dans les deux cas, ces peintres cherchent à
créer une atmosphère et ce, dans la plus
grande discrétion. Car la peinture en décor
se veut modeste. « C’est un art mineur au
service des arts majeurs, explique Hugues
Losfeld qui signe rarement ses œuvres. Les
décors peints n’ont pas d’intérêt en propre,
ils participent à la mise en valeur des
éléments remarquables d’un intérieur. »
Ainsi, des boiseries feintes flatteront une
peinture, un piédestal en faux marbre
magnifiera le buste qu’il supporte, les
dorures souligneront de belles moulures…
Ê
Demeure Historique
Numéro 183
Grâce à un
sens aigu de
l’obser vation,
le jeune
peintre
s’inspire des
canons du
passé pour les
réinterpréter
à sa manière.
S avo i r - fa i r e
Dans sa
mallette en
bois, des
pinceaux en
poils de
blaireau,
putois, martre
et écureuil
permettent à
Hugues
Losfeld de
rendre la
finesse des
détails.
25
D ES
PRATIQUES HÉRITÉES DU XVIII E SIÈCLE
Hugues Losfeld montre très tôt des dispositions pour
le dessin. Ses premiers coups de pinceaux, il les a
esquissés à l’âge de 11 ans sur les murs de sa chambre.
Pris en flagrant délit par ses parents, l’adolescent
n’écope d’aucune punition… si ce n’est celle de
terminer son œuvre !
Après quatre années passées à étudier le droit – par
besoin de s’engager dans une voie plus sécurisante –
il change de cap et revient à ses premières amours. En
2007, il rentre à l’école Van Der Kellen à Bruxelles,
une référence européenne dans le domaine de la peinture
en décor. Créée par Alfred Van Der Kellen (18681951), elle enseigne depuis cent trente ans les pratiques
françaises héritées des XVIIe et XVIIIe siècles avec une
spécialité : l’imitation du bois et du marbre. Un art à
part entière qui remonte à l’époque pompéienne.
« Contrairement à une idée reçue, l’art du faux
marbre s’inscrit dans une pratique savante et il n’est
que secondairement l’expression d’une volonté
d’économie et de facilité », indique l’architecte en
chef des monuments historiques Jacques Moulin, en
préface de l’ouvrage sur l’école bruxelloise1.
À l’aide de
pinceaux et
de peignes,
Hugues
Losfeld réalise
des portes en
imitation
chêne comme
celle-ci de
style Louis XV
inspirée de
boiseries de la
cathédrale de
Saint-Omer.
(1) Denise Van Der Kellen, La peinture décorative selon Van Der Kellen, Éditions Vial, 2010.
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S avo i r - fa i r e
Les techniques actuelles à base d’acrylique et de
glycérophtalique sont proscrites car « elles ne laissent
pas respirer le support », précise le jeune peintre. Les
méthodes anciennes, respectueuses de l’environnement, y sont privilégiées par l’utilisation de pigments
naturels, mélangés avec de l’huile de lin et de l’essence
de térébenthine du Portugal, dont les qualités sont
proches de celle fabriquée au XVIIIe siècle. « Seules ces
techniques garantissent la fraîcheur et la longévité
des décors ! », remarque Hugues Losfeld.
I MITER
LA NATURE POUR LA SUBLIMER
Dans sa mallette en bois, des animaux de tout poil :
du crin de cheval pour imiter les stries du bois, une
plume de faisan pour simuler les veines du marbre,
des pinceaux en putois pour donner l’illusion des
« yeux » du bois… Blaireau, martre, écureuil ne sont
pas en reste pour rendre la finesse de certains détails.
« L’art de l’imitation ce n’est pas l’art du faux :
c’est s’inspirer de la nature pour la sublimer », indique l’artiste. Ainsi, il n’est pas rare de le voir repeindre un faux marbre sur du marbre véritable pour
redessiner des veines de qualité moyenne ou
recouvrir des éléments de noyer ou de chêne pour
magnifier le support d’origine.
26
R EDONNER L’ ESPRIT D ’ ORIGINE
Son diplôme en poche, il est appelé sur la Côte d’Azur
auprès d’oligarques russes ; une première expérience
précieuse qui lui assure une carte de visite. En 2008,
il crée son entreprise et parcourt la France de
chantiers en chantiers comme à l’hôtel Lefèbvre-Cayet
et au château de Colembert (cf. encadrés p. 27 et 28)
où il s’attache à redonner à chaque pièce son esprit
d’origine. Hugues Losfeld consacre aussi une part de
son temps à se documenter sur le XVIIIe siècle, sa
période de prédilection ; ce qui n’exclut pas un travail
de création. « Je m’inspire des canons de l’époque
pour les réinterpréter en tentant de me glisser dans
la peau des artistes du passé. »
n
Pour rendre
un maximum
de lumière, le
jeune artiste
juxtapose
plusieurs
couches de
glacis au
pinceau.
Informations pratiques
Hugues Losfeld
12 avenue Foch
59420 Mouvaux
www.hugueslosfeld.com
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S avo i r - fa i r e
L’hôtel Lefèbvre-Cayet à Arras,
le style Louis XV retrouvé
oiseries, peintures, dorures : les salons de
l’hôtel particulier Lefèbvre-Cayet à Arras,
inscrits au titre des monuments historiques en
1977, ont retrouvé un esprit Louis XV. À partir des
couleurs révélées par des études stratigraphiques,
Hugues Losfeld a laissé libre cours à sa créativité.
« J’ai rénové et non restauré », souligne-t-il à cet
égard. « En fonction de nos goûts et de notre mobilier,
nous avons défini ensemble un projet », ajoutent les
propriétaires, enthousiastes du résultat.
Après un ponçage minutieux et la réalisation de
plusieurs essais in situ, le peintre en décor a opté,
dans le premier salon, pour un gris vert pastel
agrémenté de rechampis vieux rose et blanc. Des
boiseries sculptées ont complété ce décor. Celles du
second salon ont été peintes en blanc cassé rehaussées
d’un rechampi doré à la feuille. Les plinthes décorées
d’une imitation de marbre apportent la touche finale
à ces deux pièces.
n
B
27
La pose de la
feuille de
cuivre est une
opération
délicate qui
requiert une
grande
dextérité.
Avant
l’application de
la feuille, les
moulures sont
recouvertes
d’une
préparation de
couleur ocre à
la colle de peau
de lapin, un
liant pour
pigments.
L’un des
salons de
l’hôtel
particulier
a été
entièrement
repeint dans un
gris vert pastel
et agrémenté
de rechampis
rose et blanc.
Demeure Historique
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S avo i r - fa i r e
Durant plus
de deux mois,
Hugues
Losfeld s’est
attaché à
redonner au
salon
octogonal
les couleurs
pastel
d’origine.
Au château de Colembert,
des couleurs pastel du XVIIIe siècle
28
Colembert (Pas-de-Calais), le salon de forme
octogonale du XVIIIe siècle a retrouvé sa
fraîcheur. Le prix Sotheby’s décerné en 2008
aux propriétaires, Olivier et Henriette de LauristonBoubers, leur a permis d’engager un vaste programme
de travaux visant à restaurer les dégâts causés par
l’occupation allemande.
Avant le commencement du chantier, des sondages
stratigraphiques ont révélé les tons gris, beige et rose
d’origine des boiseries sous la couche picturale vert
kaki. « Je ne l’ai pas retirée car, en dépit des critères
esthétiques, elle fait partie de l’histoire du lieu,
indique Hugues Losfeld qui s’est consacré à cette
restauration durant deux mois et demi. Après un léger
ponçage pour une meilleure adhérence, j’ai donc
posé les glacis de couleurs identiques à ceux d’origine
sur un fond blanc pour plus de luminosité ». Une
préparation particulièrement minutieuse afin
d’établir le bon dosage de chaque pigment. « Une
demi-journée peut être nécessaire pour retrouver la
bonne teinte », avoue le peintre.
Afin de mieux faire ressortir les stucs du plafond et les
trophées de chasse sculptés des panneaux, Hugues
Losfeld a délicatement ombré ces décors d’un gris
pâle, et rehaussé les moulures d’un rechampi rose
À
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pastel. Dans la cage d’escalier d’honneur, il a repeint
l’intégralité des plinthes en faux marbre. Depuis ce
chantier, Hugues Losfeld est référencé au service
territorial de l’architecture et du patrimoine du
Pas-de-Calais.
n
Après des
études
stratigraphiques, les
tons gris
et beige
d’origine sont
apparus
rehaussés par
un rechampi
rose clair.

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