Les ᅢᄅvadᅢᄅs du temps

Transcription

Les ᅢᄅvadᅢᄅs du temps
LES EVADES DU TEMPS
Pièce de théâtre composée de dix-sept saynètes.
De deux à plus de trente comédiens suivant les saynètes, femmes et hommes interchangeables.
Des personnes âgées qui refusent l'inactivité décident de monter une pièce de théâtre.
Toutes les périodes de notre vie sont propices à nous faire évoluer, nous faire découvrir d’autres
horizons. Elles sont également un excellent moyen de lutte contre la solitude, et qui sait, un
rempart supplémentaire et joyeux contre la maladie d’Alzheimer.
Les didascalies sont délibérément rares afin de laisser libre cours à l’imagination et à
l’inspiration du metteur en scène et des comédiens.
Succession de saynètes pouvant être interprétées indépendamment les unes des autres par des
comédiennes et des comédiens de tous âges.
Durée approximative : 75 minutes
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Saynète Une : Présentation
Saynète Deux : L’indésirable
Saynète Trois : Rose
Saynète Quatre : L’aveu
Saynète Cinq : Au bord de la crise de nerfs
Saynète Six : Bon français
Saynète Sept : Envie de partir
Saynète Huit : Les évadés
Saynète Neuf : Thèmes et réflexions
Saynète Dix : Le silence et la solitude
Saynète Onze : Le fauteuil vide
Saynète Douze : Séduction
Saynète Treize : Le brouillon
Saynète Quatorze : L’heure des hommes
Saynète Quinze : Brèves
Saynète Seize : Super Monique
Saynète Dix-sept : Dernier Acte
Décors : Deux ou trois tables, avec nombre de chaises correspondant à celui des comédiens.
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Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN : 978-1-291-98854-3
Dépôt légal : Novembre 2012
© Daniel Pina Lulu.com Éditeur Standard Copyright License
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SAYNETE UNE : PRESENTATION
(À partir de 2 personnages - interchangeables)
Les comédiens se trouvent sur scène.
Narrateur (trice) entre – Dans le monde actuel à vingt ans nous sommes inexpérimentés, et à
trente tout juste bons à jeter aux lions. Alors imaginez lorsqu’on est un retraité ! Mais avant
d’être re-traités, nous sommes d’abord traités de vieillards, d’ancêtres, d’anciens, de dépassés,
d’antiques, d’arriérés, de démodés, de désuets, de révolus, de séniles, d’usés, d’usagers,
d’ancêtres. De bons à rien en somme, juste bons à toucher une compensation après une vie
entière de labeur.
Eugène Ionesco a dit : « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ! »
Et nous disons : « Prenez un évadé du temps, faites-lui jouer la comédie, il deviendra moins
vieux. »
Silence
F – Voilà, le grand moment est arrivé !
H 1 – Qu’est-ce qu’elle dit ?
F – Que nous sommes prêts.
H 1 – C’est l’heure de partir ?
F – Non, c’est l’heure de la représentation.
H 1 – Mais de quoi tu parles ?
F – De la pièce de théâtre que nous avons créée.
H 1 – Ah bon ! On a fait ça ?
F – Et que nous allons jouer.
H 1 – Mais qui a fait ça ?
F – Nous l’avons écrite tous ensemble.
H 1 – Je ne me rappelle plus de rien.
F – Ce n’est pas très grave, on soufflera.
H 1 – Ah ça oui, pour souffrir on souffrira.
F – Non je dis…
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H – Tu perds ton temps il est sourd, comme un pot !
F à H 1 – C’est l’heure de jouer, tu veux bien jouer ?
H 1 – Oui c’est ça, je suis pour, comme un sot ! Mais je dois parler quand ?
H – Reste dans le coin tu veux !
F – Ah non pas de coin, je n’aime pas les clans.
H – J’ai aimé celui des siciliens.
F – J’ai adoré le clan des divorcés.
H – Il faut tout donner pour qu’ils aiment le nôtre.
F – Le coin des retraités ?
H 1 – Mais je dois parler quand ?
H – Celui des recyclés tu veux dire !
F – C’est du théâtre.
H – C’est clair.
F – Qui est fait pour nous.
H – C’est net.
F – Je vais pouvoir offrir mon corps au public !
H (en aparté) – Non ne partez pas ! Elle plaisante.
H 1 – Mais je dois parler quand ?
F (désignant le public) – Pourquoi nous regardent-ils avec insistance ?
H – Parce qu’ils nous trouvent beaux.
F – Il ne faut peut-être pas exagérer non plus !
H (en aparté) – N’est-ce pas que vous nous trouvez beaux ?
F – Ou vieux, ou alors trop vieux pour être là.
H – On peut être vieux et beau.
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F – Je préfère les jeunes et beaux.
F – Moi j’en connais qui sont et vieux et moches.
H 1 – Mais je dois parler quand ?
H – Il faut reconnaître que désormais notre beauté est plus… intérieure.
F – C’est déjà bien de vieillir, beaucoup n’ont pas cette chance.
H – Es-tu sûre que ça en soit une ?
F – Pour nous qui sommes là, je le pense vraiment.
H – À défaut d’être consacrés, nous sommes nominés, et dans le journal local.
H – Qui donc est dans le bocal ?
H 1 – Mais je dois parler quand ?
H – C’est vrai qu’on est bien ici.
F – Dans notre refuge.
H (en aparté) – Vous ne connaissez pas ?
F – C’est un lieu convivial…
H – …d’échanges, de confidences…
F – …de disputes et de jeux…
H 1 – Mais je dois parler quand ?
H – Une seule chose y est préconisée…
F – ...ne pas se prendre au sérieux…
H – …plus de temps à perdre avec des futilités…
F – …nous prenons les devants…
H – …pour assurer nos arrières…
F – …nous faisons du temps notre allié…
H – …pour enfin faire, ce qui nous plaît…
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F – …en toute… sé-ni-lité ?
Tous se tournent vers elle, et font « non » de la tête.
F – Sé…vé…rité ?
« Non » de la tête.
F – Sé…rie…limitée ?
« Non » de la tête.
F – C’est… pas gagné !
H 1 – Mais je dois parler quand ?
F ou/et H – Maintenant !
Rideau ou obscurité
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SAYNETE DEUX : L’INDESIRABLE
(1 femme – 1 homme)
L’homme est assis. La femme entre en scène.
F – Tu es nouveau ici, ça se voit.
H – À quoi ?
F – À ta mine défaite.
H – Je réfléchissais !
F (montre une chaise vacante) – Tu permets ?
H – Je vous préviens je n’aime pas la compagnie.
F – Tu es un original toi.
H – Si c’est pour être désagréable passez votre chemin.
F – Je vois ! Monsieur à un caractère de cochon.
H – Et les femmes les aiment, non ?
F – Les cochons peut-être, mais pas les caractériels.
H – Je ne suis pas comme ça.
F – Je m’appelle Marguerite.
H – La vache ! Pas facile hein !
F – Je suis une dure à cuire, et toi tu fais banquette !
H – Je n’ai vu personne depuis mon arrivée.
F – Normal, ils répètent.
H – Ils répètent quoi ?
F – Toujours les mêmes choses. Non, je rigole ! Une pièce de théâtre.
H – Ah !
F – Cache ta joie mon gars.
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H – Il vaut mieux ne pas s’approcher de moi.
F – Tu es contagieux ?
H – Beaucoup de ceux que je côtoie disparaissent.
F – Et moi tous ceux que je déteste vivent, c’est con la vie. Vu la tronche que tu me tires et ce
que je ressens pour toi, tu vas vivre encore longtemps.
H – J’ai rendez-vous avec la directrice.
F – Déjà ! Quel tombeur !
H – Je suis un agent de l’Etat, contrôleur fiscal.
F – Sans déc ? Tu devrais essayer croque-mort, du sur mesure.
H – Vous savez où elle se trouve ?
F 1– Elle savait que tu venais ? Elle s’est sûrement suicidée !
H la regarde d’un air consterné
F – Non sans blague, j’espère ne jamais te revoir dans le coin des évadés. Allez ? Jarte ! Nous
sommes une bande de vieux bons vivants et heureux, je n’aimerais pas qu’un de nous soit
contaminé, par un agent polluant.
Rideau ou obscurité
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SAYNETE TROIS : ROSE
(2 femmes – 2 hommes)
Les comédiens se trouvent sur scène.
H 1 – Oh mais, ce qu’elle peut m’énerver celle-là !
F 1 – De qui parles-tu ?
H 1 – De Rose, toujours à vouloir tout régenter.
F 2 – Oui mais c’est son rôle, elle est là pour veiller sur nous.
H 2 – Pour nous tourmenter oui ! Elle nous traite comme des gamins.
F 1 – Mais non !
H 2 – Je lui donne raison, elle fait la même chose avec moi.
F 2 – Vous les hommes restez de grands enfants.
F 1 – Vous avez besoin d’être maternés.
H 1 – C’est tout à fait faux.
F 2 – Vous aimez ça !
H 2 – Je vous le dis, une mangeuse d’hommes.
F 1 – Ça, c’est ce que tu voudrais qu’elle soit !
H 2 – Elle n’est pas du tout mon genre.
H 1 – Trop bêcheuse.
F 2 – Bien sûr ! Mais surtout trop bien pour vous.
Rideau ou obscurité
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SAYNETE QUATRE : L’AVEU
(Proposée avec 2 femmes – 2 hommes - Personnages interchangeables)
Les comédiens se trouvent sur scène.
F 1 à H 1 – Il y a quelqu’un de célèbre que tu aurais voulu être ?
H 1 – À bien y réfléchir, oui je crois.
F 2 – Attends laisse-moi deviner… un grand écrivain ?
H 2 – Lui un écrivain ! Je l’aurais vu plutôt banquier, ou un voyou dans le genre.
F 2 – Connaissant tes goûts culinaires je dirais restaurateur.
H 1 – Désolé mais vous n’y êtes pas du tout.
H 2 – Danseur étoile à l’Opéra.
F 2 – Journaliste, grand reporter peut-être.
F 1 – Tu es bougon, un peu rustre, je dirais bandit de grand chemin.
H 2 – Capitaine au long cours.
H 1 – Vous êtes à mille lieues...
F 2 – Alors dis-nous qui tu aurais aimé être ?
H 1 – Moi.
F 1 – Quoi toi ?
H 1 – J’aurais aimé être moi.
H 2 – Mais tu es déjà toi !
H 1 – Non ! Je suis celui que les autres voulaient que je sois.
F 2 – Que veux-tu dire exactement ?
H 1 – Je n’ai à aucun moment affirmé ma personnalité.
F 1 – Tu aurais aimé être quoi ?
H 1 – Je voulais être libre, je l’étais dans ma tête mais pas dans mon corps.
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H 2 – Tu penses avoir loupé quelque chose ?
H 1 – Oui, ma vie.
F 1 – Pourquoi dis-tu ça voyons ?
H 1 – J’ai aimé un homme et vécu avec des femmes, j’ai fait semblant pour le paraître… sans
aucun doute par crainte… je suis un frustré… je ne suis plus rien.
F 2 – Pas à mes yeux en tout cas.
F 1 – Tu es toujours de très bonne compagnie.
H 1 (surpris) – Ah oui !
H 1 regardant H 2 – Et pour toi ?
H 2 – Pour moi ? Tu es l’ami que je rêvais de rencontrer depuis longtemps.
Rideau ou obscurité
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SAYNETE CINQ : AU BORD DE LA CRISE DE NERFS
(4 femmes)
Les comédiennes se trouvent sur scène.
Rose apporte trois petits plateaux sur une desserte, qu’elle pose devant chacune d’elles.
Rose – Voici un petit quatre heures, de quoi patienter jusqu’au dîner.
F 1 – C’est quoi ça, madame Rose ?
Rose – Un café, un gâteau et un caramel, quelque chose ne va pas ?
F 1 – Du café alors que vous savez pertinemment que j’ai des insomnies, bravo !
Rose – Ah bon ! Je ne savais pas.
F 2 – Oui et moi je n’aime pas les gâteaux.
Rose – Mais ! Depuis quand ?
F 3 – Du caramel, non mais je vous jure, je le mange comment avec mon dentier ?
Rose – Vous avez un dentier, je l’ignorais.
F 2 – Ça fait beaucoup d’éléments que vous ignorez on dirait !
Rose – Ah oui ! Il y a d’autres choses que je devrais savoir ?
F 3 – Ben oui Rose, sûrement. Vous savez que Simone va boire de l’alcool au café du coin tous
les soirs ?
Rose – Non !
F 1 – Vous savez que les hommes viennent dans nos chambres dès que ça les chatouille ?
Rose – Quoi ?
F 2 – Et moi vous savez pourquoi je ne supporte plus les gâteaux ?
Rose – Comment le saurais-je ?
F 2 – Parce que je suis enceinte.
Rose – Vous plaisantez j’espère !
F 3 – Et le tripot clandestin du jeudi soir, vous n’êtes pas au courant peut-être ?
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Rose – Pas du tout !
F 3 – Vous savez bien évidemment que Robert pique de l’argent dans le coffre toutes les
semaines ?
Rose – Mais non, je vous assure que non. Vous êtes sûres de ce que vous avancez ?
F 1 – Parfaitement ! Au fait Rose, la directrice vous a-t-elle dit que vous étiez virée ?
Rose – Virée ? Mais non… pourquoi ? Mais ce n’est pas vrai !
F 2 – Bon vous savez ce que vous allez faire ?
Rose – Je ne sais plus très bien où j’en suis.
F 3 – Allez voir la directrice et dites-lui que si elle persiste dans son refus de nous permettre de
faire du théâtre…
F 1 – …nous convoquerons les médias pour leur faire part de tout ce qui se passe ici, compris ?
Rose – Mais vous leur direz quoi ?
F 2 – Que nous sommes aptes…
F 3 – …à créer notre propre troupe…
F 1 – …parce que vu la tête que vous êtes en train de faire…
F 2 – …ça prouve si besoin était…
F 3 – ...votre naïveté mise à part…
F 1 – …que nous sommes d’excellentes comédiennes.
Rideau ou obscurité
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SAYNETE SIX : BON FRANÇAIS
(Proposée avec 2 femmes – 2 hommes - Personnages interchangeables)
Les comédiens se trouvent sur scène. Une pensionnaire est assise, des écouteurs sur les
oreilles.
H 1 entre et se dirige vers elle.
H 1 – Tu te dandines !
Elle ne répond pas, trop absorbée. Il s’approche et lui touche l’épaule.
F 1 (ôte ses écouteurs) – Tu veux quelque chose ?
H 1 – Ça a l’air bien dis-donc, c’est quoi ?
F 1 – De quoi tu parles ?
H 1 – Ce que tu écoutes.
F 1 – Maroon Five.
H 1 –Qui ?
F 1 – Adam Levine si tu préfères.
H 1 – Connais pas. Ce n’est pas français ?
F 1 – Américain.
H 1 – Pas étonnant, je ne parle et ne comprends que le français.
F 1 – Ah d’accord !
F 1 Remet ses écouteurs
H 1 (s’adresse aux autres) – Je suis sûr qu’elle ne comprend aucun mot.
F 2 – Pas besoin, la musique est universelle.
H 2 – De toute manière ceux qui chantent en français on ne comprend pas toujours ce qu’ils
disent.
H 1 – M’est égal, moi je m’acharne à employer des mots de ma langue maternelle.
F 2 – C’est un enrichissement d’en écouter d’autres.
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H 1 – Un jour elle disparaîtra.
F1 enlève ses écouteurs.
H 2 – Mais non, tu as vu ça où ?
H 1 – Par hasard, en faisant du shopping sur Google.
Ils rient.
H 1 – Vous pouvez vous moquer, mais moi, je continuerai à n’employer que des mots français.
F 2 – Oui, c’est sûr !
H 1 – L’un de vous aurait-il un chewing-gum ?
F 1 – Tu manges ça toi ?
H 1 – Ben oui, ce n’est pas un scoop !
H 2 – Au fait, c’est pour quand ton invitation ?
H 1 – Ce week-end !
F 1 – Tu n’arrêtes pas en ce moment.
H 1 – Oui, planning chargé, complètement full !
H 2 – Tu vas faire quoi au juste ?
H 1 – Je vais à un lunch.
F 1 – La classe !
H 1 – Ben oui ! Il y aura des toasts, sandwiches chicken, des nuggets, des sushis, du steak avec
chips ou potatoes.
F 2 – Oui ! Des produits bien de chez nous.
H 1 – C’est ça ! Arrosés de chianti, ou du coca, ou du saté.
F 1 – La France dans toute sa splendeur.
H 1 – J’adore !
F 2 – Ça manque un peu de kebab et de pizzas.
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H 2 – Tu es un fervent supporter.
H 1 – Et pour cause, c’est un show du fastfood.
F 1 – Alors tâche de ne rien zapper !
H1 sort un mobile de sa poche.
H 1 – J’ai une vidéo du précédent.
F 2 – Ça va faire le buzz.
F 1 s’éloigne.
H 1 à F 1 – Tu ne veux pas voir comment j’étais relooké ?
H 2 – Dommage pour toi, ba-bye !
F 1 – J’adorerais, mais là il faut absolument que j’aille… au water.
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SAYNETE SEPT : ENVIE DE PARTIR
(À partir de 2 personnages - interchangeables)
Les comédiens se trouvent sur scène.
F ou H – C’est l’automne qui te rend aussi triste ?
F 1 ou H 1 – Les feuilles qui tombent sont belles, mais elles tombent.
F ou H – Ce n’est pas la saison qui donne le moral, c’est sûr.
F ou H – Vont arriver le vent, puis la pluie, puis la neige.
F ou H – Le froid va envahir les maisons, mais surtout les corps.
F ou H – Heureusement, cette année encore nous serons abrités.
F ou H – L’hiver va débarquer pour figer les arbres, pour geler les étangs et les mares.
F 1 ou H 1 – Il n’épargnera pas les pauvres gens qui sont dehors.
F ou H – Certains en mourront, c’est affreux.
F ou H – Beaucoup d’entre eux sont jeunes, beaucoup trop jeunes.
F ou H – Mais les autres, qui sont plus vieux, sont eux aussi trop vieux pour y être.
F ou H – Personne ne devrait vivre de la sorte.
F ou H – Quelque que soit leur sexe et leur âge.
F 1 ou H 1 – C’est inhumain, c’est honteux.
F ou H – Cette société est indigne.
F ou H – Je suis outrée(é), comment peut-on supporter ça ?
F 1 ou H 1 – Dès les premiers frimas j’irai m’installer dehors.
F ou H – Pourquoi dis-tu ça ?
F 1 ou H 1 – Parce que je pense sérieusement le faire.
F ou H – Mais ce serait du suicide !
F 1 ou H 1 – J’irai prendre la place d’un plus jeune, ou d’une plus vieille.
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F ou H – Et après ? Tu crois vraiment que ça changera les choses ?
F ou H – Tu crois réellement que ton sacrifice servira la cause des sans-abri ?
F 2 ou H 2 – Que tu meures ici ou dans la rue, le monde entier s’en fout tu sais !
F ou H – C’est pourtant vrai, à qui va-t-on manquer quand viendra ce moment ?
F ou H – Mais à nous bien entendu !
F ou H – Tu fais partie de notre vie.
F ou H – C’est vrai, tu es une pièce de notre équilibre.
F ou H – Quand l’un de nous s’en va, ceux qui restent sont fragilisés.
F 1 ou H 1 – J’en suis très heureuse (heureux) mais, ma décision est prise.
F 2 ou H 2 – Mais non, il n’en est pas question.
F 1 ou H 1 – C’est toi qui va m’en empêcher peut-être ?
F 2 ou H 2 – S’il le faut !
F 1 ou H 1 – Je suis trop vieille (vieux) maintenant, il est temps pour moi de tirer ma révérence.
F ou H – Et le chagrin que tu vas nous faire te laisse indifférent(e) ?
F 1 ou H 1 – Vous vous en remettrez !
F ou H – Et si on ne peut pas surmonter cette épreuve ?
F 1 ou H 1 – La vie tu l’aimes ou tu la quittes !
F 2 ou H 2 – Même si elle est dure et injuste, on ne peut que l’aimer voyons !
F 1 ou H 1 – Nous ne sommes que de passage.
F ou H – Tu as raison, mais nous devons rester le plus longtemps possible avec ceux qui nous
aiment.
F 1 ou H 1 – Parce que vous m’aimez ?
F ou H – Ensemble nous avons moins peur.
F 2 ou H 2 – Ensemble il est plus facile de lutter.
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F ou H – Ensemble tout devient possible ! …Quoi !
F 2 ou H 2 – Tu t’ennuies à ce point pour vouloir nous quitter ?
F 1 ou H 1 – Je suis fatigué(e), très fatigué(e).
F ou H – Il faut te reposer, après tu verras les choses différemment.
F 2 ou H 2 – Tu veux que je te dise ? Tu n’as pas le droit !
F 1 ou H 1 – Comment ça, mais si je l’ai.
F 2 ou H 2 – Non ! Tu ne peux pas. Il faut que tu changes d’avis.
F 1 ou H 1 – Et pourquoi s’il te plaît ?
F 2 ou H 2 – Parce que… parce que j’ai une petite-fille qui a onze ans et qui se bat avec toute
l’énergie d’une gamine de son âge pour ne pas mourir.
F ou H – Pas possible ?
F 2 ou H 2 – Voilà pourquoi ! Il faut lutter pour vivre, pas pour mourir.
F 1 ou H 1 – Mais c’est terminé pour moi, je ne sers plus à rien.
F ou H – Si, tu sers encore.
F 1 ou H 1 – À quoi ?
F ou H – À nous casser les pieds avec tes idées lugubres et saugrenues.
F ou H – La vie est un cadeau.
F 1 ou H 1 – Empoisonné.
F ou H – Mais nous sommes l’antidote.
F ou H – C’est une victoire au quotidien.
F 1 ou H 1 – Ils m’ont tous tourné le dos. Personne ne pense à moi, nulle part.
F 2 ou H 2 – Et alors, nous non plus !
F ou H – On s’en fiche pas mal, nous n’avons pas besoin d’eux.
F ou H – Nous sommes une famille.
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F ou H – Des copains.
F 1 ou H 1 – Une faible force en vérité.
F ou H – Peut-être, mais une force de faibles reste une force.
F 2 ou H 2 – Et même si nous nous chamaillons souvent, nous existons.
F ou H – C’est le plus important.
F 2 ou H 2 – Tu comprends maintenant ?
F 1 ou H 1 – Oui, je comprends.
F ou H – Tu nous promets d’y réfléchir ?
F 1 ou H 1 – Oui !
F ou H – Nous avons tous besoin de toi.
F 1 ou H 1 – Je vais y réfléchir. (Se lève et quitte la pièce.)
F ou H à F 2 ou H 2 – Dis-moi, comment as-tu fait pour avoir une petite-fille alors que tu n’as
pas d’enfant ?
F 2 ou H 2 – Où aurais-je pu trouver un quatrième pour jouer à la belote ?
Rideau ou obscurité
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SAYNETE HUIT : LES EVADES
(Proposée avec 4 femmes – 4 hommes - Personnages interchangeables)
Les comédiens se trouvent sur scène.
F 1 – Ça ne va pas, du tout !
F 2 – Qu’as-tu donc à râler encore ?
F 1 – Le spectacle que nous devons donner aura lieu dans deux mois et nous n’avons rien.
H 1 – Ben non, rien !
F 1 – Il faut se mettre d’accord sur ce que nous voulons faire.
F 2 – Ça fait des jours qu’on en discute.
H 1 – Elles sont comme nous les discussions, stériles.
H 2 – Parle pour toi mon gars.
F 3 – On n’a qu’à dire qu’on n’y va pas !
F 4 – Sauf que ça doit se passer ici.
H 3 – Il faut trouver quelque chose.
H 4 – Insomnie criminelle.
F 3 – Intoxication alimentaire.
F 4 – Angine collective.
H 2 – Diarrhée surprise !
H 3 – J’aime bien celle-là.
F 1 – Vous n’avez donc que des plans foireux à proposer ?
H 4 – Mais t’inquiète ! Nous avons bien le temps.
F 1 – Mais justement non !
H 1 – Le temps ma belle, mais il ne nous reste plus que ça aujourd’hui.
H 2 – Parfaitement ! Nous avons attendu toute notre vie de pouvoir le prendre.
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F 2 – Alors maintenant que nous en avons, on ne va pas se faire des nœuds au cerveau.
F 3 – Nous sommes des rescapés du stress, du sprint et des embouteillages.
F 4 – Nous avons survécus au rythme effréné de la vie professionnelle.
H 3 – Nous sommes des privilégiés d’avoir nagé aussi loin et aussi longtemps.
F 1 – Ça n’empêche pas de prendre conscience que nous avons un problème.
H 4 – Mais oui nous avons un problème, nous avons vieilli.
F 1 – Ce n’est pas de ça dont je parle.
F 2 – Écoute ! Nos seules préoccupations c’est de savoir ce que nous allons choisir au déjeuner
ou au dîner, profitons de cette chance.
F 3 – Nous n’avons pas arrêté de courir pendant toutes ces décennies, cool, respirons !
F 4 – Nous sommes un peu comme des prisonniers qui retrouvent leur liberté.
H 1 – Nous nous sommes évadés.
H 2 – Nous trouverons bien une idée pour ce spectacle.
F 1 – C’est ça !
H 3 – Mais si tu verras.
F 1 – Non, je veux dire c’est ça !
H 4 – Quoi ?
F 1 – Raconter notre histoire.
F 2 – Quelle histoire ?
F 1 – La nôtre ! Sur les évadés, les évadés du temps.
F 3 – Alors là pour le coup ça va nous en prendre pas mal.
F 4 – Tu veux qu’on raconte quoi, notre vie ?
H 1 – Pourquoi pas !
H 2 – Ça n’intéresse personne.
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H 3 – Nous-mêmes on s’en fout.
F 1 – Alors on invente, on crée.
H 4 – Tu es sérieuse là ?
F 2 – Nous avons promis de faire quelque chose.
F 3 – Eh ben j’ai changé d’avis.
F 1 – Allez, dites-oui !
Se regardent et soupirent
F 4 – Deux ou trois heures par jour, pas plus alors.
H 1 – Ça marche !
H 2 – Tout le monde est d’accord ? C’est bon !
H 4 – Assez discuté, je vais prendre l’air.
Ils s’éloignent sauf F 3 et H 2
F 3 – Tu as parlé de stérilité tout à l’heure.
H 2 – C’est exact !
F 3 – Ça te dirait de me faire un bébé ?
H 2 – Un bébé ? Non ! Mais je veux bien te faire des représentations privées.
H 3 se retourne
H 3 – Alors vous deux vous êtes prêts pour les répétitions ?
F 3 – Plus que jamais.
H 2 – Oh oui ! Et sur ce coup-là, j’espère ne pas manquer d’inspiration.
Rideau ou obscurité
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SAYNETE NEUF : THEMES ET REFLEXIONS
(Proposée avec 5 femmes – 5 hommes - Personnages interchangeables)
Les comédiens se trouvent sur scène.
F 1 – Se produire sur scène est un moment magique.
F 2 – Une chance de pouvoir travestir son corps et métamorphoser son âme !
H 1 – Devenir autre, son double en mieux, ou son opposé.
F 3 – Pleures de comédie, rires de tragédie, se faire du bien, se faire plaisir.
H 2 – Exister pour autre chose, vivre une envie, une passion véritable.
F 4 – La découverte d’un monde nouveau riche de mots et de complicités.
H 3 – Un monde parallèle de lumières, d’ombres, d’expressions, de silences.
H 4 – Rupture de la routine, une réplique, un revers de main, un regard triomphant.
F 5 – Se sentir heureux, utile, devenir une preuve vivante qu’il n’est rien d’inaccessible.
H 5 – Un Art où l’esprit à l’humeur vagabonde atteint le sommet de la satisfaction.
F 1 – Quel thème peut-on choisir quand nous inspirent les rires, quand nous inspirent les larmes ?
F 2 – Avoir le cœur gros c’est l’avoir en sanglots, car il est rempli de larmes.
H 1 – Mon voisin est un homme de la haute à qui aujourd’hui plus personne n’accorde de crédit,
c’est un Duc laissé pour compte.
F 3 – Si je me noie dans ses yeux c’est qu’ils sont remplis de larmes.
H 2 – On dit toujours pleures tu pisseras moins, j’ai donc pleuré et j’ai pissé. Puis, je me suis
arrêté de pleurer, mais j’ai autant pissé.
F 4 – La misère génère des océans de larmes.
H 3 – Même si ce sont des larmes de joie je préfère te voir sourire.
H 4 – Dans ce monde virtuel même les larmes deviennent artificielles.
F 5 – Quel effet fait un chat qui tortille des fesses ? Un effet minet.
H 5 – Pour me défendre en cas d’agression j’ai toujours une larme sur moi.
29
F 1 – Savez-vous pourquoi les chinois ne se servent jamais de ce doigt là pour se nettoyer les
oreilles ? montre son auriculaire parce que c’est le mien !
F 2 – Je ne suis qu’une larme dans un océan de misère.
H 1 – J’ai encore beaucoup de succès auprès des femmes, je suis un… désirable.
F 3 – J’ai été emporté par une larme de fond.
H 2 – Fait attention quand tu verses des larmes de crocodile ça peut abîmer ton sac et tes
chaussures.
F 4 – Qu’importe le thème abordé sur les planches.
H 3 – Ce qui compte avant tout c’est bien d’être présents !
H 4 – Partageant à la fois le trac, les sentiments.
F 5 – Qu’on ait le cœur en berne, qu’on ait le cœur en liesse.
H 5 – Le public prend de face, les mots, nés, de la pièce.
Rideau ou obscurité
30
SAYNETE DIX : LE SILENCE ET LA SOLITUDE
(À partir de 4 personnages)
Personnage du « silence » debout sur un côté. Personnage de la « solitude » debout de l’autre.
H ou F assis côte à côte.
H ou F – C’est terrible le silence. Vous l’avez déjà capté ? Il fait un bruit assourdissant.
Il me réveille, il me fait peur. Il m’oppresse, me ceint jusqu’à l’étouffement.
Je tends la main pour le surprendre, le faire fuir, mais il est menaçant. Il fait la sourde oreille.
Ce sont les miennes qui bourdonnent, qui sifflent, qui bouillent. C’est un malin vous savez ! Il
fait diversion mais, reste à l’écoute, tapis dans l’ombre, ou bien en pleine lumière.
Il me fait la nuit écarquiller les yeux, et le jour j’ai si peur de le voir se matérialiser qu’il m’oblige
à les fermer.
J’ai besoin de sa présence dans la fureur de la ville, je veux qu’il s’en aille lorsqu’il me crève les
tympans.
Je tempête, je sclérose, puis je me ravise en prenant conscience que s’il vient me hanter tous les
jours c’est que je n’ai que lui, auprès de moi, et rien d’autre, et personne d’autre.
Silence
F ou H – C’est terrible la solitude. Vous l’avez déjà vécue ? Elle est sournoise et dangereuse, elle
s’insinue dans notre vie, se faisant passer pour une amie.
Elle domine et nous trompe, nous plongeant chaque nouveau jour dans une terrible dépendance.
Elle nous fait délirer, parler seul(e) aux objets, attentive à nos moindres réactions. Je regarde,
j’écoute, je ne vois qu’elle, je n’entends qu’elle.
Présente dès mon réveil, elle dirige ma vie, elle me dicte ma conduite tout en me rendant
responsable de mes actes, de mes décisions.
Et quand elle daigne me laisser en paix, enfin, après des heures d’un combat déloyal, je me
retrouve face à moi-même pour encore parler d’elle.
Elle prend possession de mon corps, et mon esprit s’abandonne à tous ses caprices.
Silence
H : Le silence – Alors la solitude, que penses-tu de ceux-là ?
F : La solitude – Ah le silence, mon vieux complice, toujours présent pour les bons coups !
31
H : Le silence – Nous formons une sacrée belle équipe.
F : La solitude – C’est vrai ! (se tourne vers H et F) nous avons bien œuvré encore cette fois.
Regarde le résultat !
H : Le silence – Pas mal du tout, ils sont complètement défaits.
F : La solitude – Mais oui, nous sommes capables de faire déprimer la planète entière.
H : Le silence – Personne ne peut se passer de nous, extraordinaire paradoxe.
F : La solitude – Les humains vivent ensemble pour nous éviter, mais tôt ou tard ils sont
confrontés à nos personnalités.
H : Le silence – Ils recherchent ma compagnie pour dormir, méditer, récupérer.
F : La solitude – Ils fuient la mienne afin de rompre avec toi.
H : Le silence – Mais le monde est conçu de manière formidable, d’un côté il nous rend
indispensables…
F : La solitude – …et de l’autre dès que nous avons envahi leur espace ils deviennent
entièrement dépendants…
H : Le silence – …car ils sont à nous…
F : La solitude – …bien à nous…
H : Le silence – …nous sommes un couple…
F : La solitude – …inséparable…
H : Le silence – …et devenu indissociable…
F : La solitude – …nous sommes les nouveaux rois du monde…
H : Le silence – …plus les humains sont nombreux et plus notre règne s’étend…
F : La solitude – …ainsi que notre pouvoir.
H : Le silence – Nous devons lutter contre l’adversité.
F : La solitude – Je hais les clubs de rencontre.
H : Le silence – Je déteste la musique et le bruit.
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F : La solitude – Les gens heureux me dépriment.
H : Le silence – Heureusement, ils sont de moins en moins nombreux.
F : La solitude – Le bonheur dans ce monde fond comme neige au soleil.
H : Le silence – Normal que le nombre de nos adhérents augmente.
F : La solitude – Nous ne devons pas nous inquiéter, nous avons de très beaux jours devant nous.
Silence
H – C’est vraiment calme comme endroit, vous ne trouvez pas ?
F – Très calme en effet, un peu trop à mon goût.
H – Vous vivez seule, c’est ça ?
F – Qu’est-ce qui vous permet de le dire ?
H – Parce que c’est mon cas, je connais les symptômes.
F – Ça se voit tant que ça alors !
H – Vous êtes je pense actuellement dans la phase deux, vous hésitez entre tout laisser tomber et
repartir à zéro dans une autre ville, ou…
F – Ou quoi ?
H – Quitter définitivement ce monde qui vous a totalement oublié.
F – En réalité je suis dans une phase intermédiaire.
H – Qui est ?
F – Je donnerai tout ce que j’ai pour partager quelques instants de vie.
H – Ça peut paraître un peu cavalier mais, vous voulez bien sortir avec moi ?
F (se lève, puis répond d’une manière très enjouée, quasi euphorique) – Oui je le veux ! Oui !
Oui ! Oui ! J’ai déjà perdu tellement de temps.
H (se lève à son tour) – Waouh !
F – J’ai rêvé de ce moment tant de fois !
H – Alors comme ça je vous plais ?
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F – Ne gâchez pas tout ok !
H – Désolé ! Que voulez-vous faire ?
F – Danser, faire l’amour, chanter, faire l’amour, parler, rire, faire l’amour, vivre tout
simplement, manger, vivre, boire, Je veux vivre enfin, partager, exister, vivre.
Ils s’étreignent
Silence
F : La solitude – J’ai comme l’impression qu’ils nous échappent ces deux-là.
H : Le silence – Ce n’est pas bien grave, nous les récupèrerons bientôt.
F : La solitude – Tu as raison, et puis nous en aurons d’autres, beaucoup d’autres.
H : Le silence – J’espère qu’on ne se séparera jamais toi et moi.
Silence (plusieurs secondes)
F : La solitude – Merci, je garderai en moi cette minute de silence.
H : Le silence – Et moi je te suis infiniment reconnaissant pour ces grands moments de solitude.
Rideau ou obscurité
34
SAYNETE ONZE : LE FAUTEUIL VIDE
(À partir de 2 personnages)
Les comédiens se trouvent sur scène.
H – Pourquoi ne veux-tu pas participer à cette pièce avec nous ? Ça te sortirait de ton quotidien.
F – Je sais, ça bouleverserait mes habitudes et ça me serait sans aucun doute salutaire. Mais je
préfère renoncer.
H – C’est une belle expérience que nous vivons, j’aurais vraiment aimé que tu y participes.
F – C’est gentil, mais non !
H – Que pourrais-je bien dire ou faire qui te fasse changer d’avis ?
F – À vrai dire, rien. Je ne veux pas monter sur scène, c’est tout.
H – Tu as décidé de rester seule chez toi le jour de la représentation alors que tu pourrais partager
ce grand moment avec nous, c’est dommage tu ne trouves pas ?
F – En effet, c’est dommage. Nous avons tous nos petits secrets.
H – Et tu n’es pas prête à partager le tien !
F – À quoi bon remonter à la surface des souvenirs douloureux !
H – Peut-être qu’aujourd’hui ils t’aideraient à tourner cette page ?
F – Je ne veux même pas y penser.
H – Je respecte ta volonté.
Silence
H – Ton personnage est indispensable dans la pièce, sans toi elle va être bancale.
F – Faites-le jouer par une autre.
H – Nous n’avons personne.
F – Tu ne baisses jamais les bras toi !
H – Justement si, j’ai trop de fois abandonné des projets que j’aurais dû mener à bien et omis de
prendre certaines décisions.
F – Je ne vois pas en quoi le fait de raconter un passage de ma vie pourrait m’aider.
35
H – Tu ne pourras pas le savoir tant que n’auras pas essayé.
F – Ces décisions, tu ne les a pas prises mais moi cet acte, je l’ai commis.
H – Quelle différence ça fait ?
F – J’ai souffert de ce que j’ai fait mais toi, de quoi peux-tu souffrir sur ce qui n’a pas eu lieu ?
H – De culpabilité.
F – Je ne me sens pas responsable, mais victime.
H – Alors ce que tu as fait ne devrait pas t’empêcher d’avancer.
F – Ce n’est pas l’acte en lui-même qui me mine mais les conséquences qui en ont découlé.
H – Écoute, mon manque d’initiative a eu également des répercutions sur ma vie, si je n’avais pas
surmonté cette épreuve je ne serais plus là.
F – Je me sens minable, comment veux-tu monter sur une scène dans ces conditions ?
H – Tu n’y es pas pour l’instant, tu es avec moi, ton ami.
F – Je ne vais pas y arriver.
H – Je suis persuadé du contraire.
F – Bon sang j’ai la tête qui tourne.
H – Respire normalement, ça va bien se passer.
Silence
F – J’ai toujours adoré le théâtre. Adolescente je faisais partie d’une petite troupe, nous jouions
Roméo et Juliette.
Silence
H – Continue ! C’est bien.
F – Le jeune metteur en scène jouait également le rôle de Roméo et moi celui de Juliette. J’étais
folle amoureuse de lui. Le soir de la représentation j’étais fiévreuse et fatiguée, aucune énergie
n’émanait de moi, aucun charisme. Mes répliques se fondaient dans les murmures de l’assistance.
Silence
36
H – Vas-y, vide ton cœur.
F – J’ai cherché du regard un soutien de ma mère mais son fauteuil était vide. J’avais besoin de
me sentir aimée, j’étais anéantie.
H – À cause du fauteuil vide ?
F – En sortant de la scène je l’ai aperçu dans les coulisses, avec Roméo, ils s’embrassaient. Je me
suis enfuie.
H – Je comprends ton désarroi.
F – Mon unique amour émane de mon unique haine !
H – Tu associes les vers de la pièce à ta propre expérience.
F – Il m'est né un prodigieux amour, puisque je dois aimer un ennemi exécré !
Silence
F – Je n’ai jamais pu dire la dernière réplique, c’est vraiment frustrant.
H – À qui en as-tu voulu le plus ?
F – D’abord à ma mère puisqu’elle a explosé mon équilibre familial. Quant à Roméo, il a brisé
mon cœur, puis celui de ma mère un peu plus tard.
H – Tu continues de l’appeler Roméo ?
F – C’était réellement son prénom.
H – Je suis fier de toi, tu viens de franchir une étape importante.
F – Je n’ai jamais raconté ça à personne.
H – Merci de ta confiance.
F – Merci pour ton soutien.
H – Les amis sont faits pour ça. Maintenant je réitère ma question, joueras-tu dans notre pièce ?
F – J’ai peur, de moi, de ma mémoire, des réactions négatives, je ne sais pas si j’en ai la force.
H – Tu es prête, Roméo et Juliette c’est le passé, tu viens de prouver ton aptitude au théâtre.
F – Tu dis ça car tu as besoin de moi.
37
H – C’est vrai, mais pas seulement.
F – Je ne fais aucune promesse.
H – Par contre je peux t’en faire une.
F – Ah oui ! Laquelle ?
H – Je te promets que pour la représentation il n’y aura aucun fauteuil vide.
F – Nous allons jouer à guichets fermés ?
H – C’est une opération porte ouverte.
F – Faut voir !
H – Comment te sens-tu maintenant ?
Silence
F – Mieux, bien mieux, libérée !
H – Libérée au point de faire une scène ?
Silence
F – Il y aura des graciés et des punis. Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de
Juliette et de son Roméo. (lève la tête et écarte les bras, passionnément) Rideau !
Rideau ou obscurité
38
SAYNETE DOUZE : SEDUCTION
(2 personnages – 1 femme – 1 homme)
Les comédiens se trouvent sur scène.
H – Ça fait longtemps que je voulais te parler mais je n’ai jamais osé.
F – Tu aurais dû persévérer.
H – À te parler, oui je sais.
F – À te taire.
H – Pourquoi, on n’est pas bien tous les deux ?
F – Oh si ! Moi je suis bien, mais sans toi.
H – Tu ne veux pas faire plus ample connaissance ?
F – Ça fait longtemps que je t’évite et je pense continuer.
H (étonné) – Je ne te plais pas ?
F (le regarde de bas en haut) – Pas du tout !
H – Comment un type comme moi peut-il te laisser indifférente ?
F – Je me demandais encore comment, mais maintenant je sais pourquoi !
H – J’en connais qui seraient contentes d’être à ta place.
F – Je n’en doute pas, n’hésite pas à retourner vers elles.
H – C’est une question de temps.
F – Pour aller les voir ?
H – Pour que tu succombes à mon charme.
F – Tu ne doutes de rien toi.
H – Tu es tellement belle !
F – Et tu te moques de moi en plus !
H – Ah mais non, pas du tout, je te trouve resplendissante.
39
F – Vraiment ?
H – Si tu pouvais te voir comme mes yeux te perçoivent tu t’aimerais autant que je te désire.
F – Tu es en train de me faire une déclaration d’amour ma parole !
H – Parfaitement !
F – Non mais franchement, tu m’as bien regardée ?
H – C’est justement en te regardant que je suis tombé raide dingue de toi.
F – Je suis vieille, moche, décatie, flétrie, ridée, avachie, molle, et toi tu viens me faire croire que
je suis belle. Allez dégage, avant que je me fâche pour de bon.
H – Peut-être es-tu comme tu te décris, mais je t’assure que mes sentiments pour toi peuvent
changer radicalement cette femme que tu prétends être.
F – Comment ? D’un coup de braguette magique ?
H – Et en plus tu es drôle !
F – Tu es gentil mais maintenant tu me lâches, d’accord ?
H – Pour moi tu n’es pas qu’un simple contour géométrique, je ne te trouve aucun défaut
anatomique.
F – Tu me fatigues tu sais !
H – Et toi tu me plais !
F – Mais qu’est-ce que tu me trouves à la fin ?
H – Accepte mes sentiments et tu auras un corps de femme aimée.
F – Ça veut dire quoi ça ?
H – Tu es sensuellement enchaînée, tu n’as plus d’audace car tu t’es retranchée derrière des
tabous, c’est absurde.
F – C’est faux !
H – Ouvre les yeux, et ton cœur, sors de ton refuge de fringues démodées et de préceptes d’un
siècle dépassé.
F – Tu me demandes de jouer les femmes libérées !
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H – Et puis après ! C’est grave ?
F – Tu sais c’ n’est pas si facile ! J’ai dépassé la date de péremption.
H – C’est ce que tu t’es mis dans la tête.
F – Tu sais pertinemment qu’on ne fait pas du neuf avec du vieux.
H – Tu sais comment je t’imagine ?
F – Vas-y, ça m’intéresse.
H – Posant pour un peintre, lançant un regard pudique, drapée dans un tissu de soie laissant
apparaître tes cuisses blanches et rondes, ainsi que ta poitrine suggestive et voluptueuse.
F – Ça c’est la version édulcorée.
H – Nature et vérité, belle et mutine à la fois, jamais une femme n’aura mérité le nom de modèle
autant que toi.
Silence
F – Je dois reconnaître que tes talents de flatteur sont une bonne thérapie contre la sinistrose,
mais ça n’en demeure pas moins de la flatterie, et rien d’autre.
H – Mais si tu ne veux pas le faire pour moi, fais le pour toi !
F – Que veux-tu que je fasse encore ?
H – Deviens toi-même, coupe donc cette tignasse, mets du fard sur tes yeux, redeviens la femme
que tu caches sous d’immondes carapaces de tissus et de préjugés.
F – Il vaut mieux cesser ce petit jeu maintenant, tu vas finir par me faire pleurer.
H – C’est l’inverse que je recherche, le sourire, la somptuosité, le charme que tu as
volontairement enterrés sous des attraits de mégère effarouchée.
F – Tu n’es qu’un libertin en quête de nouvelles conquêtes.
H – Et même si c’était vrai, nous ne pouvons plus nous permettre de gaspiller le temps, c’est lui
qui nous dilapide, et nous diminue un peu plus chaque jour.
F – Tu restes persuadé que j’en vaux la peine ! Parce que j’ai comme l’impression que tu manies
l’art de la séduction avec brio.
H – Que risques-tu ? Au pire une déception, au mieux des instants précieux qui même s’ils ne
sont pas exceptionnels demeureront inoubliables.
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F – J’ai apprécié toutes ces gentillesses, tous ces compliments, mais maintenant j’aimerai que tu
partes.
H – Tu voudras qu’on se revoie ?
F – Ne te fais pas trop d’illusions quand même.
Il sort.
Silence
Elle fouille dans sa poche et sort un portable, puis compose un numéro.
F – Oui c’est moi, bonjour ma grande. C’est vrai ça fait longtemps. Tu peux me rendre un service
? J’aimerais que tu me prennes un rendez-vous chez ton coiffeur. Oh !... Coupe et permanente. Et
un chez ton esthéticienne. La totale, soins du visage, massage, manucure. Ah ! Et aussi épilation,
aisselles… et maillot bien sûr ! Écoute dans les jours qui suivent ça va être un peu compliqué,
c’est ça, je vais être très prise. J’ai dragué un type et je crois qu’il est tombé sous le charme. Il est
prêt à craquer, mais oui c’est ça ! Rien de spécial. La routine quoi !
Rideau ou obscurité
42
SAYNETE TREIZE : SECONDE CHANCE
(À partir de 6 personnages interchangeables – 3 femmes – 3 hommes)
Les comédiens se trouvent sur scène.
F 1 – Je pense vraiment que chacun de nous devrait avoir une seconde chance.
H 1 – Seconde chance série télévisée française 180 épisodes de 22 minutes.
F – Une seconde chance pour quoi faire?
F – Pour vivre, enfin pour revivre.
F 1 – Tu veux dire revenir en arrière et recommencer sa vie, autrement ?
F – Exactement ! Tu te rends compte du nombre d’erreurs que peut commettre un être humain
dans sa vie ?
H – Nous sommes tous bien placés pour le savoir.
F – Nous apprenons beaucoup de nos erreurs, ça nous permet d’avancer.
F – Oui tu parles ! Ça c’est ce qu’on dit pour se donner bonne conscience.
H – Le monde parfait n’existe pas.
F – Aucun être humain ne l’est non plus.
F 1 – Sans parler de perfection il faudrait pouvoir tirer parti de nos actions en les revivant
différemment.
H – C’est sûr qu’on éviterait de faire les mêmes erreurs, mais je reste absolument convaincu(e)
que nous en commettrions d’autres.
F – Personnellement je n’aimerais pas entamer une seconde vie.
F 1 – Ah oui, seconde vie. (voix synthétisée) même joueur doit rejouer !
H – Même avec l’expérience acquise tu n’aimerais pas changer ce qui n’a pas marché ?
F – Non ! Même si elle n’est jamais assez longue quand on est heureux, elle l’est beaucoup trop
quand plus rien ne va.
F – Tu dis ça parce que ça ne va pas aujourd’hui, mais demain quand tu iras mieux, tu changeras
peut-être d’avis ?
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H – Si tu crois que ça va s’arranger tu n’es pas optimiste, mais irréaliste. D’abord je ne vais pas
particulièrement mal, mais regardons les choses en face, à la rapidité des jours qui passent
s’ajoutent des ingrédients qui font de nous des vieux.
F – Oui et alors !
F 1 – Alors ! Quel plaisir avons-nous à nous traîner dès avoir posé un pied par terre ?
H – Nous ne sommes pas tous handicapés quand même !
F 1 – (les regarde les uns après les autres) – Je ne sais pas ce qu’il te faut ! Sans passer par la
case prison nous sommes dans le couloir de la mort je te dis.
H – Non mais ça ne va pas de dire ça ?
H 1 – Case prison, on joue au Monopoly, c’est ça !
F – Vraiment tu exagères !
H – Tu vas nous porter la poisse.
H 1 – (diction rapide) Poisse, pouille, misère, débine, pas bon !
F – Il faut reconnaître qu’à son âge une seule injection l’étale !
H – Quoi que ce n’est quand même pas complètement faux.
F – Tu ne vas pas t’y mettre aussi !
H – Mais c’est vrai, tout se dérègle en nous. On a l’oreille qui se tend, la peau qui se détend, on
ne voie plus rien, on tremble, on pète sans s’en apercevoir, et on pue sans que ça nous dérange.
F – Bon peut-être mais, pas besoin d’être vieux pour ça.
H – Mais non ! En fin de compte être vieux c’est dans la tête.
F – Oui tu as raison, quand ça commence à faire bling bling dedans !
H 1 – Bling bling ! On n’a pas eu un Président qui s’appelait comme ça ?
F – Et les articulations, et les dents qui tombent, les douleurs partout. Non vraiment vieillir très
peu pour moi.
H – Pourtant pour toi c’est trop tard, tu es déjà dedans !
F – Tu t’es vu le grand ridé ? C’est pareil pour toi, ce n’est pas demain que tu vas t’arrêter de
plisser.
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F – Oh ! Je vous en prie, un peu de dignité !
H – Mais on s’en fout de la dignité, et puis c’est quoi d’abord la dignité ?
F – La dignité est une qualité liée à l’essence même de l’être humain.
H 1 – Ah bon ! C’est cher alors, vu le prix du litre aujourd’hui !
F – C’est une valeur fondamentale, comme le respect.
H – Le respect, la dignité, personne n’en a pour nous, les jeunes ne savent même pas ce que ça
signifie !
F – Pourquoi les jeunes ? Ce n’est pas leur faute, c’est celle des adultes qui vivent en égoïstes et
ne leur apprennent rien.
H – Mais le respect et la dignité ça ne s’apprend pas, ça se décrète, ça découle naturellement,
c’est un réflexe.
H 1 – Il faut que je trouve une contrepèterie, avec tout va bien et le ciel !
F – N’oublions pas que dans le relationnel le respect peut être un signe de soumission.
H – Qui peut faire perdre au plus faibles une chose indispensable à l’individu que nous devons
précieusement garder, l’amour propre.
F – Bien d’accord !
F 1– Bon ! Eh bien tout ça pour vous dire que la vie que j’ai vécue est un brouillon et que
j’aimerais bien la revivre sans rature.
H – Les ratures sont indispensables si tu veux réécrire l’histoire.
H 1 – Une contrepèterie avec tout va bien et le ciel !
F – Par contre politiquement parlant, j’aurais du mal à choisir entre Zébulon et Droopy.
F – Il faut savoir lâcher prise. Quand on a eu comme nous une existence bien remplie il faut
laisser le temps accomplir son œuvre.
H – Ce qui nous reste à vivre est un cadeau, et même si c’est un étouffe chrétien, il faut faire en
sorte d’aller au bout sans plus faire de faux pas.
F – Il n’est jamais trop tard pour changer, prenons chaque levé du soleil comme une seconde
chance de nous améliorer, de pardonner nos erreurs.
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H – La tolérance sauverait le monde, je pense, et prendrait le pas sur le mépris et l’indifférence.
F – La volonté d’améliorer le sort de l’humanité c’est d’être à son écoute.
F 1 – Alors laissons partir ceux qui n’ont pas la moindre chance de ne plus souffrir.
H – J’espère que tu ne fais pas partie de ce contingent ?
F 1 – Malgré nos différences et nos divergences, je suis prêt(e) à vous supporter encore
longtemps.
H – Ce n’était qu’une proposition de seconde chance.
F 1 – C’est ça ! Un bulletin d’alerte.
H – Oui, pour les naufragés du temps que nous sommes.
Silence
H 1 – Ça y est, je la tiens ma contrepèterie, et maintenant, les cieux, vont !
Rideau ou obscurité
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SAYNETE QUATORZE : L’HEURE DES HOMMES
(À partir de 3 personnages – 3 hommes)
Les comédiens se trouvent sur scène.
Narrateur (trice) entre – La nuit ne porte pas toujours conseil, surtout lorsque la soirée
s’éternise et que l’on boit un peu plus que de raison.
Se délient alors les langues de plomb dévoilant la véritable personnalité de ceux réunis autour
d’un verre, qui ne se vide jamais complètement.
Face à leurs insomnies, c’est l’heure des hommes, ouverts aux confidences.
H 1 – Bon allez ! Un petit dernier.
Sert à boire
H 2 – Tu es pressé, quelqu’un t’attend ?
H 1 – Non ! Mon chat n’est plus là.
H 3 – C’est pour cette raison qu’on picole un p’tit peu, pour oublier les malheurs qui s’abattent
sur nous.
H 2 – Alors tu as bien le temps de rentrer.
H 1 – J’ai le temps oui, mais plus aucune raison.
H 2 – Oh là là ! Après tout ce n’était qu’un chat.
H 3 – C’est là où tu te trompes.
H 1 – On voit bien que tu n’en as jamais eu.
H 2 – Ben non, jamais, et je m’en porte pas plus mal.
H 3 – Alors mon vieux tu as loupé des moments formidables.
H 1 – Ce n’était pas un chat, c’était mon chat.
H 2 – Nous tes potes on est là !
H 1 – C’est vrai, ça me fait plaisir mais vous n’êtes pas ma famille, lui, si !
H 2 – Comment un chat peut-il faire partie de la famille ?
H 1 – Oh vois-tu ce n’est pas compliqué. Il est triste quand tu quittes la maison et te fait la fête
quand tu reviens.
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H 2 – Ça ne vaut pas une femme quand même.
H 3 – T’en connais beaucoup qui t’accueille comme un roi à n’importe quelle heure et qui
ronronne quand tu les caresse ?
H 1 – Ils sont beaux comme le jour et ne donnent que de l’amour.
H 3 – Ils sont délicats, intelligents et d’une gentillesse infinie.
H 1 – Et fidèle mon vieux, extrêmement fidèle.
H 2 – Oui bon ! La fidélité devant la gamelle de croquettes, rien d’extraordinaire !
H 1 – Ils draguent un peu partout mais reviennent se blottir au pied du lit.
H 2 – Mon ex-femme faisait ça elle aussi !
H 3 – N’empêche que quand la mienne est morte si je n’avais pas eu de chat, je n’ose imaginer ce
qui se serait passé.
H 2 – Eh bien tu aurais fait comme moi quand la mienne m’a quitté.
H 3 – C'est-à-dire ?
H 2 – J’ai poussé un ouf de soulagement et j’ai enfin profité de la vie.
H 3 – Je vois ! Mais qui vient t’accueillir lorsque tu rentres chez toi ?
H 2 – Personne. C’est très bien comme ça !
H 1 – Un chat n’est pas qu’un chat, c’est aussi un ami, un confident. Je vous ai dit que j’en
héberge un autre ?
H 2 – C’est sûr qu’il ne risque pas de te contrarier.
H 1 – Tu devrais en adopter un.
H 2 – Seulement s’il boit du vin !
H 3 – Tu te sentirais moins seul.
H 2 – Je ne le suis pas, vous êtes là !
H 1 – Arrête de te mentir, tu es malheureux, ça se voit.
H 2 – Mais non !
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H 3 – Tu as souvent une poussière dans l’œil ces temps-ci.
H 1 – Nous avons subi nous aussi pas mal de tempête de sable tu sais, nous comprenons !
H 2 – Même un chat ne pourrait pas me supporter.
H 3 – On y arrive bien nous !
H 2 – J’suis pas un mec bien, je mérite de finir tout seul, j’ai fait trop de mal autour de moi.
H 1 – Un chat ne te jugerait pas !
H 3 – Il ne poserait pas de question sur ton passé et t’aimerait tel que tu es.
H 2 – Je n’en veux pas, point final.
Resserre à boire
H 2 – Vous êtes veufs tous les deux ce n’est pas pareil.
H 3 – La solitude est la même pour tous.
H 1 – Qu’on soit veuf, divorcé ou malade, quand le cœur saigne ça fait très mal.
H 2 – Je suis divorcé et malade.
H 3 – Tu es malade ?
H 2 – Oui j’ai la rage de n’avoir pas su la garder.
H 1 – Y a-t-il une chance qu’elle revienne ?
H 2 – Aucune !
H 1 – Alors passe à autre chose et vite, sinon…
H 2 – Quoi ?
H 1 – À notre âge nous savons très bien ce qui nous attend, faut pas se bercer d’illusion mon
vieux.
H 2 – Tant qu’il y a de la vie y a de l’espoir non ?
H 1 – Ce qu’on peut espérer de mieux c’est partir rapidement et sans souffrance.
H 3 – Il a raison, nous sommes sur le banc de touche, des spectateurs, que veux-tu faire de
mieux ?
49
H 2 – Je suis divorcé, vieux, con et sûrement alcoolique, mais je ne désespère pas de rencontrer
quelqu’un.
H 3 – Avec ce que tu viens de nous décrire tu crois vraiment qu’il y en a une qui voudra de toi ?
H 2 à H 1 – Et toi, pourquoi es-tu seul, tu n’as pas d’enfants ?
H 1 – Si, deux.
H 3 – Ils te rendent visite de temps en temps ?
H 1 – Non, jamais.
Resserre à boire
H 2 – Encore un divorce qui a mal tourné.
H 3 – Tu en connais qui se sont bien passés ?
H 1 – La mère de mes enfants est partie avec un riche industriel, et ils m’ont tourné le dos
définitivement depuis ce jour. C’est tout. C’est banal.
H 2 – Et triste.
H 3 – Je vois. Attirés par l’odeur de l’argent.
H 1 – C’est ça ! Quelques années plus tard j’ai rencontré ma seconde femme qui est morte l’an
dernier.
H 2 – Saloperie de destin !
H 3 – Et après on s’étonne de picoler !
H 2 à H 3 – Et toi tu es veuf depuis longtemps, pas de femme en vue ?
H 3 – Non, rien de tout ça. Elle était et restera le seul grand amour de ma vie.
H 1 – C’est beau.
H 2 – Et triste.
H 1 – Qu’est-ce qui est triste ?
H 2 – De n’avoir eu qu’un seul amour dans sa vie, moi j’ai connu des tas de femmes, je me suis
éclaté au moins.
H 3 – Oui je vois ça, et tu continues.
50
H 2 – Oui monsieur je continue… d’être le minable que j’ai toujours été.
Resserre à boire
H 1 – On fait un peu pitié non !
H 3 – Nous sommes vivants merde, de quoi on se plaint !
H 2 – Allez ! On trinque.
H 1 – Ah ça oui pour trinquer, on trinque !
H 3 – Vous savez ce que nous sommes ? Des accidentés de la vie, et puis c’est tout.
H 1 – Et on vient de faire le constat.
H 3 – Mais là, on ne sera pas remboursés.
H 2 – Nous sommes passés de la lumière dans l’ombre.
H 3 – On a du pot sur ce coup-là on aurait pu passer de vie à trépas !
Silence
H 1 – Bon allez ! Un petit dernier.
H 2 – Pourquoi on n’est pas bien ici ?
H 1 – Si on est bien, mais j’ai quand même hâte de retrouver mon fils.
H 3 – Ton fils ! Quel fils ?
H 1 – Mon chat cette bonne blague !
H2 se lève en titubant un peu, fait quelques pas, puis revient vers la table où il pose ses deux
mains.
H 2 – Tu peux me donner l’adresse d’un refuge ?
Rideau ou obscurité
51
52
SAYNETE QUINZE : BREVES
(À partir de 2 personnages – 2 femmes)
Les comédiennes se trouvent sur scène.
F 1 – Dis-moi, si tu devais adhérer à un parti ça serait lequel ?
F 2 – J’en choisirai un où il n’y a surtout pas de légumes.
F 1 – Alors je ne vois guère que celui des radicaux libres.
F 2 – Tu sais que tu as une petite mine toi dis donc ! Ça ne va pas ?
F 1 – Juste un mal de tête.
F 2 – Tu veux aller mieux ? Prends un acide acétyle salicylique !
F 1 – D’accord ! Je le prends avec du monoxyde de dihydrogène.
F 2 – Bien entendu, avec ça c’est l’effervescence garantie !
F 1 – À propos, les gens d’église font comment quand ils sont malades, ils doivent consulter à
l’extérieur ?
F 2 – Non pas besoin, ils ont un médecin révérend.
F 1 – Ce n’est pas tout ça mais on leur prépare quoi à nos invités alors ?
F 2 – Et si on faisait de la soupe et des crêpes aux fruits ?
F 1 – Bonne idée. Alors il nous faut, Lécithine de soja.
F 2 – Sirop de glucose.
F 1 – Fructose de blé.
F 2 – Protéine.
F 1 – Glucide.
F 2 – Lipide.
F 1 – Stabilisant glycérine.
F 2 – Gélifiant pectine de fruits.
F 1 – Acidifiant acide citrique.
53
F 2 – Correcteur d’acidité.
F 1 – Citrate tri sodique.
F 2 – Arômes naturels.
F 1 – Ah bon ! T’es sûr(e) ?
F 2 – Bizarre je sais, avec amidon transformé de maïs.
F 1 – Ah bon tu me rassures.
F 2 – Exhausteur de goût.
F 1 – Glutamate de sodium.
F 2 – Colorant.
F 1 – Conservateur.
F 2 – Tiens, tu veux un bonbon ?
F 1 – Celui que j’aime ?
F 2 – Oui avec gomme arabique.
F 1 – Pectine.
F 2 – Saccharose.
F 1 – Fructose.
F 2 – Amidon.
F 1 – Attention traces de coques possibles.
F 2 – Pas de danger je ne fume pas.
F 1 – Bon ! Je sens que nous allons nous régaler.
F 2 – En attendant tu prendras bien une camomille !
F 1 – Oh non alors merci bien, je préfère attendre de me mettre à table, tu sais pertinemment que
je ne consomme que des produits naturels.
Rideau ou obscurité
54
SAYNETE SEIZE : SUPER MONIQUE
(À partir de 6 personnages)
(3 femmes – 3 hommes)
Les comédiens se trouvent sur scène, sauf F1, porteuse de la nouvelle.
F 1 (entre, le visage défait) – J’ai une bien triste nouvelle à vous annoncer, Maurice Duvalier est
entre la vie et la mort.
H 1 – Maurice Chevalier ? Tu parles d’un scoop !
F 1 – Non ! Duvalier, nôtre Maurice, le rigolo, la police vient de trouver son corps, il est
gravement atteint.
H 2 – Pas possible !
F 2 – Il était si gentil.
Monique – Si gentil, si gentil, c’est vite dit !
F 1 – Pourquoi, il ne l’a pas été avec toi ?
Monique – Ben non ! Pas toujours.
F 2 – Ah bon ! C’est étonnant, il avait peut-être ses têtes remarque !
Monique – Ben oui ! La mienne ne devait pas lui revenir.
F 1 – Il ne t’a pas fait de mal j’espère ?
Monique – Tu parles ! Il voulait juste coucher avec moi.
Rires
H 1 – Arrête Monique !
Monique – Ma parole que c’est vrai !
H 1 – Qui franchement peut avoir envie de coucher avec toi ?
H 2 – Il n’y a peut-être pas que la tête qui ne lui revenait pas.
Monique – Qu’est-ce que tu as l’air de dire face de pet, que je ne suis pas assez bien assortie
pour être draguée ?
H 2 – Oh si ! Pour être assortie ça tu es assortie.
55
H 1 – Tu es assortie pour halloween mais pas pour être emballée.
Rires
H 2 – Ne me dit pas qu’il était emballé pour t’emballer ?
Rires
Monique – Jaloux, tout ça parce que vous n’avez pas pu avoir mon corps.
H 1 – On ne s’est pas battus pour l’avoir non plus !
Monique – Peut-être que vous auriez dû.
H 2 – Oui, peut-être !
Rires
H 1 – Sois réaliste, il n’était pas mal Maurice, plutôt beau garçon, mais toi franchement tu n’es
pas dans la même catégorie.
H 2 – Tu es mal fagotée et tu n’as pas un rond.
Monique – Vous n’êtes qu’une espèce de tas de vieux saindoux visqueux.
F 1 – J’aimerais que nous ayons une pensée pour Maurice.
Monique – Et qu’ils me traitent comme une moins que rien ça ne te dérange pas ?
F 1 – Tant que ce n’est pas moi qui prend !
Monique – Rien à faire de ce sale type.
F 2 – Tu ne peux pas dire ça, c’était un mec bien.
Monique – Ah oui ! Avec qui ?
F 2 – Il avait fondé une Association pour venir en aide aux plus défavorisés.
F 1 – Il était bénévole aux restos du cœur.
H 1 – Il donnait une partie de ses revenus aux enfants malades.
H 2 – Je ne sais pas ce qu’il te faut !
Monique – C’est un salaud je vous dis.
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F 1 – C’est toi qui es une peau de vache, une vieille sorcière bête et méchante.
Monique – Possible, mais je ne lui arrive pas à la cheville à ce vaurien. Et je vous fais remarquer
que vous parlez déjà de lui au passé.
H 1 – C’est vrai ça, il n’est pas mort.
Monique – Non ! Pas encore.
F 2 – Mais qui a bien pu commettre une atrocité pareille ?
Monique – On se demande !
H 2 – Nous ne sommes plus en sécurité nulle part, ça devient inquiétant.
F 1 – Même chez soi on risque sa vie.
F 2 – Ça s’est passé où ?
F 1 – Chez lui je viens de le dire, tu écoutes quand on parle ?
F 2 – C’est bon la mégère un ton plus bas.
F 1 – Sinon quoi, tu veux te frotter à moi ?
F 2 – Fais gaffe ! Je pourrais bien te mettre une raclée.
F 1 – Avec tes miches de rat et tes petits poings rageurs ?
F 2 – Il existe mille et une façons de répliquer à des menaces.
F 1 – Ça te défriserait d’être plus précise ? Parce que là je n’ai pas tout saisi !
F 2 – Je dis juste que la force n’est pas toujours nécessaire pour régler un problème.
F 1 – Ça veut dire quoi au juste ?
F 2 – Tu ne comprends vraiment rien à rien décidemment, tu es aussi bête que tu en as l’air.
H 1 – C’est bon les gonzesses arrêtez de faire du bruit.
F 1 – Qu’est-ce qui veut le PDG ?
H 2 – PDG ! Tu es vraiment un PDG ?
Monique – Dans son cas ça signifie pue de la gueule.
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H 2 à Monique – Tu sais ce qu’elles disent sur moi et tu ne dis rien ?
Monique – Non ! Tant que ce n’est pas moi qui prend !
H 2 – J’avoue qu’elle est bien bonne celle-là !
H 1 – Qu’est-ce qu’il a à la ramener le gnome !
H 2 – C’est moi que tu traites de gnome ?
H 1 – À part les gonzesses et toi tu vois une autre anomalie de la nature ?
H 2 – Une tare quand j’ te regarde.
F 1 – Tu n’es qu’un macho invétéré.
F 2 – Un véritable mufle, j’ai vraiment des envies de meurtre avec toi.
Monique – Eh bien dites-moi il est vite oublié le Maurice que vous trouvez formidable.
F 2 – Mais c’est lui là ! C’est vrai, pauvre Maurice.
Monique – Le pauvre Maurice que tu plains est un escroc notoire sous la surveillance de la
police depuis un an.
F 1 – Tu dis n’importe quoi pour te rendre intéressante.
Monique – L’Association qu’il a créée est totalement bidon.
H 1 – Pour ça je lui ai donné du fric !
Monique – Il aidait aux restos du cœur dans le seul but de voler la nourriture pour la vendre.
H 2 – Je lui ai donné du fric pour ça !
Monique – Il était aussi un peu proxénète à l’occasion.
F 1 – J’ai payé pour ça aussi !
Monique – L’argent qu’il demandait pour aider les enfants malades était joué aux courses et au
casino.
F 2 – Moi aussi j’ai payé pour ça !
Monique – Mais c’est moi qui ai contribué à son arrestation.
H 1 – Oui c’est ça, et moi je suis Clint Eastwood.
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Monique – J’ai servi d’appât.
H 2 – Une fois n’est pas coutume !
F 1 – Tu es en train de nous dire que c’est à cause de toi s’il a été blessé ?
Monique – C’est si difficile à croire ?
F 1, F 2, H1, H2 – Oui !
H 1 – Et notre fric alors ?
Monique – Envolé !
Entre en scène le commissaire de police.
Commissaire – Monique, vous êtes là ?
Monique – Monsieur le commissaire ?
F 1 – C’est bon, il vient l’arrêter.
Commissaire – Messieurs dames !
Monique – Tout va bien ?
Commissaire – Monique, je suis venu pour vous…
H 1 – …appréhender ?...
Commissaire – …remercier pour votre dévouement et votre courage, au nom de toute la brigade.
Lui donne l’accolade.
Commissaire – Nous vous offrons ce chèque de récompense en gage de notre reconnaissance.
Monique – Vous êtes sûr ?
Commissaire – Nous serions heureux de pouvoir retravailler avec vous.
Monique – Merci, beaucoup.
Commissaire – Ah au fait, savez-vous comment vous prénomme la profession désormais ?
Monique – Euh, non !
Commissaire – Super Monique. Merci à vous. Messieurs dames !
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Sortie du commissaire.
H 2 – Non je n’y crois pas, c’est une mise en scène.
F 2 – Mais oui, c’est du théâtre.
H 1 – Combien… le chèque ?
Monique – Cinquante mille.
F 1 – Je savais que ce mec n’était pas fréquentable.
F 2 – On t’a un peu chahutée mais tu sais qu’on t’aime, n’est-ce pas !
H 2 – Tu restes avec nous, on va arroser ça.
H 1 – Elle, va arroser ça !
Monique – Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour vos critiques, vos injures et autres
démonstrations de léchages de bottes.
F 1 – Oh ce n’est pas grave.
H 1 – Oui allez, ne sois pas susceptible ! Tu n’es pas si mal foutue que ça tu sais !
F 2 – Entre filles on doit se serrer les coudes !
Monique – Je vais aller lever le mien, et partager ce bon moment avec mes amis, les vrais, ceux
qui m’aiment non pas pour mon physique ou pour mon argent, mais pour ce que je suis. Super
Monique !
Rideau ou obscurité
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SAYNETE DIX-SEPT : DERNIER ACTE
(À partir de 4 personnages interchangeables)
F ou H – Voilà, le grand moment est arrivé !
H 1 – Qu’est-ce qu’il (elle) dit ?
F ou H – Que nous sommes prêts.
H 1 – À quoi ?
F ou H – À reprendre le cours normal de notre existence.
F ou H – Terminé le rêve.
F ou H – Ce fut un moment exceptionnel.
F ou H – Passé bien trop rapidement.
F ou H – Mais qui a eu le mérite de nous avoir transcendés.
F ou H – Il nous a également rapprochés.
H 1 – Mais je dois parler quand ?
F ou H – C’est bon la pièce est finie, tu n’as plus besoin de cette réplique.
H 1 – Je le sais mais je l’adore, je vais la garder.
F ou H – Ces instants privilégiés m’ont donné envie de les prolonger.
F 1 – Bon ! Puis-je caresser l’espoir ?
F 2 ou H 2 – Il n’y a guère que ça que tu puisses faire.
F 1 – Détrompes-toi ! D’avoir endossé l’habit de comédienne m’a donné conscience de mes
capacités.
F 2 ou H 2 – Tu serais prête à remettre ça ?
F 1 – Absolument ! Et à m’offrir au public.
F 2 ou H 2 (en aparté) – Je vous préviens elle ne plaisante pas là !
F 1 – Mais si, je rigole ! (en aparté) Faites gaffe quand même, faudrait pas me pousser trop fort,
je suis chaude là.
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F 2 ou H 2 – Le théâtre te fait du bien on dirait ?
F 1 – Exactement, je deviens obsédée, textuelle.
F ou H – La prochaine fois on pourrait avoir des loges mixtes ?
F ou H – La prochaine fois ? Mais c’est contagieux !
F ou H – J’ai retrouvé ma verve d’antan, excité(e) que je suis d’être après tant d’années remonté
sur les planches.
F ou H – Envolées mes angoisses, je récite les répliques et j’ai fait des prodigieux progrès de
mémorisation.
F ou H – Je me considérais comme un objet inutile et désuet, aujourd’hui je suis vivant(e) et bien
décidé(e) à poursuivre l’aventure.
F ou H – J’ai donné de l’amour alors que je n’avais plus aucun sentiment à mon égard.
F ou H – Je sens mon cœur battre et mon œil pétiller.
F ou H – Avançons sabre au clair et décapitons la solitude.
F ou H – C’est sûr nous sommes les vieux mais nous servons encore.
F ou H – N’en déplaisent à tous ceux qui voudraient nous voir morts.
Silence
F ou H – Alors c’est vrai, c’est fini pour de bon ?
F ou H – Je le crains fort mon cher, il faut se faire une raison.
F ou H – Le bonheur n’aura duré que le temps d’une représentation.
F ou H – J’aurais aimé que l’acte dernier se prolonge jusqu’à… ne jamais s’arrêter.
F ou H – Au lieu de ça c’est retour vers l’ennui, et la grisaille.
Les comédiens présents sur scène se dirigent vers la sortie, puis s’arrêtent.
F ou H – Je n’aime décidément pas cette version de la fin.
F ou H (en aparté) – Regardez-les les pauvres, ils sont prêts à pleurer.
Ils reviennent prendre place.
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F ou H – Tout ça c’est du théâtre, hauts les cœurs nom de nom !
F ou H – Prendre le temps de vivre est notre seul projet.
F ou H – Notre existence est une pièce en plusieurs actes, il faut soigner son entrée et ne pas rater
sa sortie.
F ou H (approche avec un trophée quelconque à la main) – La troupe et moi-même vous
remercions, du fond du cœur, pour cette merveilleuse récompense. (passe le trophée)
F ou H (l’embrasse) – C’est ma première distinction. J’ai échoué aux qualifications du maillon
faible alors, merci. (passe le trophée)
F ou H – Le metteur en scène, les comédiens ont tous été formidables, cette pièce n’est pas le
caprice des vieux, mais la concrétisation d’un vieux rêve d’enfant.
F ou H – Voilà, le grand moment est arrivé !
H 1 – Qu’est-ce qu’il (elle) dit ?
F ou H – Que nous sommes prêts.
H 1 – À quoi ?
F ou H – À reprendre le cours normal de notre existence.
H 1 – Mais je dois parler quand ?
F ou H – Si le destin nous demeure favorable, à la prochaine représentation.
Rideau ou obscurité
Dépôt légal : Novembre 2012
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