moins politique au sens où l`ap- partenance à la nation

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moins politique au sens où l`ap- partenance à la nation
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moins politique au sens où l’appartenance à la nation québécoise
ne demande pas une assimilation
profonde puisqu’il « suffit d’être
intégré à la communauté politique québécoise » pour faire partie
de la nation québécoise (p. 121).
Mais, à y regarder de plus près,
on s’aperçoit que cette conception
de la nation québécoise comprise
comme une communauté sociopolitique possède le désavantage de
faire coïncider les frontières de la
nation avec celles de la société
québécoise. Ainsi, selon Seymour,
l’appartenance à la société québécoise entraîne l’appartenance à la
nation québécoise. En clair, tous
ceux qui sont au Québec font
d’office partie de la nation québécoise. Il s’agit en quelque sorte
d’une « obligation morale » (p. 73).
Seymour en vient donc à dire que
ceux qui refusent l’appartenance à la
nation québécoise refusent aussi
de participer à la communauté
politique ; au point où certains
désintéressés devraient envisager de
quitter le Québec, comme l’ont fait
jadis quelques Anglo-Québécois
(p. 116). Pareille position n’est
guère rassurante. Si Seymour est
plus ouvert à l’égard des Autochtones, il affirme néanmoins que ces
derniers, qui défient souvent l’idée
d’une frontière nationale québécoise, devraient faire leur mea culpa
et reconnaître l’intégrité du territoire québécois (p. 174).
Même si Seymour s’en défend,
d’aucuns pourront croire que sa
conception sociopolitique de la nation présente bien des traits du
nationalisme ethno-culturel puisque la défense de la langue française et de la culture québécoise
est toujours fondamentale au
projet national (p. 124). À cet
égard, la proposition de la nation
proposée par Seymour illustre les
écueils rencontrés par le nationalisme québécois après le référendum de 1995, à savoir qu’il n’est
pas simple de conjuguer le nationalisme avec les principes du libéralisme sans sacrifier ce qui, historiquement, à fait l’essence du
projet national, c’est-à-dire la défense de la culture d’expression
française.
Frédéric Boily,
Études canadiennes,
Faculté Saint-Jean,
University of Alberta.
Joseph Yvon THÉRIAULT, Critique de l’américanité : mémoire et démocratie au Québec, Montréal, Québec-Amérique, 2002, 373 p.
Le livre du sociologue Joseph Yvon
Thériault est né de son étonne-
ment devant l’omniprésence de
l’idée d’américanité dans les écrits
d’écrivains, d’historiens et de sociologues québécois. Loin d’exalter une
culture enracinée dans une tradition, ces intellectuels célèbrent
l’américanité du Québec, sacrée
caractère fondamental de son identité. Thériault met en relief les
impasses de ce discours par une
ample méditation sur la modernité
démocratique qui embrasse les sociétés américaines et européennes.
L’américanité trahit le malaise de ces
intellectuels vis-à-vis de la modernité, dont ils épousent la version
radicale en faisant litière de ses
dimensions subjectives.
En premier lieu, Thériault montre que l’américanité repose sur une
conception déterministe de la culture qui la fait dériver d’une forme
primaire d’appartenance. L’auteur
analyse quatre chemins de l’américanité prétendant révéler l’être
véritable des Québécois : comme
être américain, l’Américain étant
pris comme idéal type de l’individu
affranchi de tout ; ensuite, comme
adaptation matérielle, l’Amérique
étant vue comme une pure extériorité qui plie le monde vécu
aux systèmes fonctionnels ; comme
opposition à l’européanité, en ce
qu’elle vise à abolir toute distance
entre une culture première et une
culture seconde, se délestant de
toute référence à l’Europe ; enfin,
comme parcours des sociétés
neuves, thèse avancée par Gérard
Bouchard qui a voulu établir la
normalité « américaine » de la
société québécoise, bien que seule
nation d’Amérique qui ne soit pas
indépendante. Dans tous ces cas,
l’américanité est liée à la seule
dimension négative de la modernité
− ce qui détache l’individu de toute
appartenance −, sans voir sa dimension réflexive, qui le voit refaire
sans cesse des liens et du sens. Pourtant, les défenseurs de l’américanité
continuent d’appuyer la différence
québécoise.
Dans un deuxième temps, Thériault s’interroge sur l’américanité
comme expression de la modernité
radicale. Celle-ci ne parvient pas à
concilier la rationalité instrumentale avec la subjectivité et évacue
l’expérience politique en niant la
pertinence de l’homme comme
sujet. Or la démocratie moderne
s’active par la réunion de la rationalité et du sujet, ce que les chantres
de l’américanité n’ont su voir. Cela
est vrai dans la manière dont des
historiens québécois ont écrit une
histoire du Québec qui honnit la
tradition et oublie la mémoire,
ainsi que dans la fausse querelle des
anciens et des modernes qui a
marqué la sociologie québécoise. La
montée de la modernité radicale au
Québec s’explique par l’emprise
croissante qu’y a exercée la technocratie, la situation périphérique du
Québec qui exacerbe à retardement
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la modernité, la vulnérabilité des
sociétés catholiques au changement
radical, la désillusion lyrique de la
génération du baby-boom et le désir
anxieux d’une petite nation de
prouver sa modernité.
Dans un troisième temps, Thériault soutient qu’il subsiste du
Canada français une tradition d’interrogation sur l’opposition entre
l’universel démocratique et le particularisme national. Selon lui, le
peuple en démocratie est à la fois
vouloir-vivre substantiel et sujet
juridique. Proposant une histoire
philosophique du politique au Québec, il montre que la question du
peuple s’y est cristallisée autour de la
question nationale. Le peuple est-il
collectivité d’individus ou d’héri-
tage ? Cette question a divisé le
Canada français en toutes époques, et aucune d’elles ne fut plus
ethnique qu’une autre, puisque la
nation et l’ethnie ont agi de concert
comme mode d’intégration sociale,
même lors de l’Église triomphante,
qui avait vocation à tisser une
société autour de ses institutions.
Bref, conclut Thériault, l’américanité se résume par ce paradoxe :
« Le Québec pourrait abdiquer devant l’histoire et continuer de faire
l’histoire. »
Marc Chevrier,
Faculté de science politique
et droit,
Université du Québec
à Montréal.