Tout doucement, je referme la porte sur le monde
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Tout doucement, je referme la porte sur le monde
La compagnie des Hommes Approximatifs Tout doucement, je referme la porte sur le monde (My private tragedy, I) Ma tragédie d’après Inceste – Journal inédit et non expurgé des années 1932 – 1934 – Fille du compositeur cubain Joaquín Nin y Castellano, Anaïs Nin connaît une enfance cosmopolite et déracinée, qui lui donne le goût de l’errance et l’habitude des milieux artistiques. C’est à l’âge de 11 ans qu’elle découvre l’écriture. Elle y trouve la seule issue salvatrice possible à son drame intime : sa fascination amoureuse pour son père et la Anaïs N in Adeline Guillot Adaptation et m ise en scène Caroline Guiela et A lexandre Plank Scénographie, l umière, c ostumes e t vidéo Alice Duchange Son John Kaced conscience de son incomplétude. Elle commence alors Inceste – Journal inédit et non expurgé des à tenir un journal comme une longue lettre à son père, années 1932 – 1934 elle ne s’arrêtera pas, elle laissera derrière elle quinze mille pages qui deviendront son célèbre Journal. t raduit par Béatrice Commengé Durée : 1h Un spectacle produit par la compagnie des Hommes Approximatifs et le Théâtre National du Luxembourg A vue A nue Le journal intime d’Anaïs Nin ne raconte C’est une femme dans sa salle de bain. qu’une seule et même histoire. Une histoire qui, Elle compte sur son corps le passage de ses amants. sous la forme détournée de l’aveu, travestit en amour Il y a des traces, des flagellations même. de la vie une immense inquiétude. Ecartelée entre Elle les regarde et parle : un désir incestueux et ses trop nombreux amants, Vérité ou mensonge, les mots prolongent son entre ses carnets et ses rêves d’écriture, Nin s’attache tremblement. à la construction d’un monde romanesque, Nue sur scène, elle confie ses stigmates comme autant voluptueux et feutré, un monde dont l’ennui, de dessins qui la racontent. la douleur et l’angoisse seront repoussés et proscrits. Surgit devant nous cette zone de silence et de pudeur Récit d’une tentative d’évasion, compte-rendu cachée sous sa robe et qu’elle ne contient plus. Elle d’une fugue comme fuite de la réalité, la jeune femme expose son corps frêle, fragile, et offert, tout entier. dans son journal ne manifeste qu’une chose : Elle parle : la nécessité de se soustraire à un réel insaisissable Au plus près de ses convulsions, de ses nuits de perte, et chaotique, à un monde qui la submerge et la noie. d’angoisse, au plus près de ses moments de jouissance «Dans quelle pagaille est le monde ! J’essaie d’en rester enfin. le plus possible à l’écart. Ça pue.» Pour se réfugier, Nin se littérarise, elle réajuste sa vie à son œuvre, Anaïs Nin est nue dans sa salle de bain. se repliant joyeusement sur son intimité, Anais Nin ne parle plus, elle gémit. sur la contemplation ordonnée de ses passions Elle appelle le dernier homme, celui qui vêtira son et des ses amours, sur la dissection méthodique corps trop exposé, flétri aux caresses des profanes. de ses tourments. De vagabondages amoureux Elle est nue et appelle son père. en narcissisme morbide, nourrie à la fois de fantasmes Elle est nue et ose appeler Dieu. et d’autofiction, Nin écrit : elle exhibe pour nous le besoin fragile qu’a chaque être humain d’agir sur l’image du réel plutôt que sur le réel lui-même. A. P. C. G. La nuit dernière, j’ai eu des battements de coeur et Henry. Il le faut. Je suis plus proche de lui que de mon je fus prise d’angoisse. Je pensais que j’allais mourir, passé. J’ai plus de plaisir à lui acheter des disques seule dans cette chambre d’hôtel, et j’étais inquiète à qu’à me procurer la paire de gants, ou de bas, dont j’ai cause du journal ; je me demandais s’il ne fallait pas pourtant le plus grand besoin. Je suis secouée jusqu’à me lever pour le brûler, et si j’aurais assez de temps la plante des pieds chaque fois que je vois la pièce pour brûler tous les cahiers... et je fus toute surprise grisâtre de Clichy, la garde-robe si réduite de Henry, de me trouver en vie ce matin. son lit misérable. Je sens son rhume et sa toux jusque dans ma poitrine. J’aime tellement son corps, même Je ne veux pas être celle qui mène. Je refuse d’être le malade ; et Dieu sait si je déteste la maladie. chef. Je veux vivre dans tout le mystère et la richesse de ma féminité. Je veux un homme qui se couche Je veux vivre seule dans des chambres d’hôtel sur moi, toujours sur moi. Sa volonté, son plaisir, inconnues. son désir, sa vie, son travail, sa sexualité : voilà la Perdre mon identité. pierre de touche, le levier de commande, mon pivot. Ma mémoire. Ça m’est égal de travailler, de tenir les rênes sur le plan artistique et intellectuel ; mais comme femme, Je sais désormais que j’aboutis encore et toujours à la oh ! mon Dieu, comme femme je veux être dominée. même impasse, et que je suis confrontée à la même Je me moque que l’on me dise de compter sur moi- issue : la possession physique ; mais la possession ne même, de ne m’accrocher à personne - tout cela, j’en m’intéresse pas, je ne suis passionnée que par le jeu, suis capable - mais je veux être poursuivie, baisée, comme don Juan. Le jeu de la séduction, jouer à rendre les possédée par la volonté d’un homme, à son heure et hommes fous, à posséder non seulement leurs corps mais selon ses ordres. aussi leur âme - j’exige plus que les putains. Rêve : Joaquin, ou Henri, ou Hugh, tombe de cheval. Je me détourne de la réalité pour en saisir le reflet, On me l’apporte tout découpé sur un plateau d’argent. je transforme les événements en fumée, en rêves C’est un poulet. Je regarde ses pattes, sa tête, ses langoureux. Cette fièvre puissante et entraînante ailes, séparées les unes des autres, et je dis : « Il n’est qui me tient éveillée toute la journée se dissout, pas possible qu’il soit mort. » On remporte le plat. se change en abandon, en invention, béatitude et Quelqu’un dit : « Il respire encore. » contemplation. Je dois revivre ma vie en rêve. Le rêve est ma seule vie. Je cherche dans ses échos et ses Dans quelle pagaille est le monde ! J’essaie d’en rester reflets la transfiguration qui seule permet de conserver le plus possible à l’écart. Ça pue. Je ne lis jamais les toute la pureté de l’émerveillement. Sinon, toute journaux. Je refuse de m’en faire pour les politiciens. magie est perdue. Sinon, l’homme qui ensorcelle mon Quand la guerre sera à ma porte, très bien, alors corps ne laisse plus voir que ses défauts, et la laideur j’agirai. Je n’éprouve d’intérêt que pour ce que je peux se transforme en rouille, une rouille qui se fixe sur aider, soigner, aimer, ce sur quoi je peux agir, être les articulations qui ne devraient craquer que sous le directement utile. Mes chers amours ! Mes adorés ! poids du plaisir. Ma drogue : recouvrir toutes choses d’un voile de fumée, déformer, transformer, comme le J’ai passé toute la journée à faire des courses - cela fait la nuit. Toute la matière doit être ainsi fondue pour me prend beaucoup de temps, parce que je n’ai pas passer à travers la lentille de mon vice, sinon la rouille d’argent, ce qui m’oblige à chercher et à marcher des de la vie réduira peu à peu mon souffle à un sanglot. heures ! Mais, tous les jours, il faut que je passe voir Inceste – Journal inédit et non expurgé des années 1932 – 1934, Anais Nin Hommes Approximatifs Contact Caroline Guiela 06 09 72 87 33 [email protected] Alexandre Plank 06 98 96 29 20 [email protected] [email protected]