Le balafon : origine et fabrication chez les Dagara

Transcription

Le balafon : origine et fabrication chez les Dagara
LE BALAFON : ORIGINE ET FABRICATION
CHEZ LES DAGARA
Nous connaissons actuellement deux légendes sur l’origine et la fabrication du
balafon. Voici ce que les commissions d’enquête ont rapporté à la session
diocésaine de musique sacrée et d’art sacré à Diébougou, 6-8 juillet 1971. C’est
d’abord l’ abbé Jean-Marie Dabire et son équipe dont l’enquête se circonscrit à la
région de Maria Tãw.
Première légende
« (..) Je ne me base que sur ce qui m’a été raconté par un fabricant de balafon
(un païen). Il a raconté l’origine du balafon comme un mythe. Il y avait autrefois
deux amis inséparables, l’un d’eux vint à être malade et dur sur le point de
mourir, l’autre lui demanda : « quand tu vas mourir, avec qui vais-je parler ? », le
malade lui fit apporter des bois taillés de « Loga », arbre qu’on rencontre assez
couramment en brousse à la lisière des cours d’eau. Au fut et à mesure que ce
malade disait ses dernières paroles, son ami taillait le bois en conséquence
jusqu’à ce qu’il imite la voix du mourant ; quand il mourut, l’autre ami joua
l’instrument qui reproduisit la voix de son ami, de son parant disparu ».
C’est le balafon lobri ou lo-gyil dont la bonne exécution exige 2 balafons et 2
musiciens. Le Lo-gyil se joue toujours en concert.
1
Fabrication
Pour fabriquer un balafon lobri, la première chose à faire est de couper de
grosses branches de « Liga » et de les fendre en lames épaisses, puis on les
laisse à sécher soit au champ soit à la maison pendant plusieurs mois, voire une
année. Au moment de tailler ces lames, on les plonge dans l’eau quelques jours,
puis on creuse une fosse dans laquelle on les introduit. On les recouvre de terre
et par-dessus on fait un grand feu pour les faire durcir de peur qu’en les taillant
elles se fendent « Bè mî ouõ n a daar ».
La façon de les tailler est aussi caractéristique, on les taille assez mince sinon on
obtient un balafon qui n’est pas bien sonore et qui n’a pas un bon timbre « Gyilkpam ». Pour cela, chaque note est taillée en creux pour la rendre plus sonore,
quant aux gourdes, après un choix judicieux on les perce de deux ou trois trous
sur les flancs qui sont recouverts de la membrane du « Pãpir » puis on les
apprête pour les faire entrer dans le montage du balafon, suivant les critères
déjà mentionnés. C’est dans la taille des bois et le choix des gourdes qu’un
balafon est plus ou moins sonore ou puissant. C’est par ce critère de choix et de
combinaison que les fabricants de balafon sont classés de plus ou moins experts
dans cet art. C’est une question d’oreille musicale.
Autre légende
Voici une autre légende sur l’origine du balafon. Voici le témoignage du travail de
l’abbé Mukassa dans la région de dissin et Nandom (Ghana) ;
« J’ai été tout d’abord frappé de constater l’existence de deux catégories
différentes de balafon, de gamme différente, et de structure mélodique
opposée. Deux instruments « le Lobri » et le « Dègaar » qui traduisent des
sentiments différents
1- Comment se fait-il que les Dagara possèdent deux espèces différentes de
balafon : Lobri et Dègaar, d’où viennent ces deux balafons ?
-
Pendant les funérailles d’une personne, on était souvent embarrassé
pendant les temps morts, alors les ancêtres décidèrent de chercher
quelque chose qui accompagnerait les lamentations humaines et en cas de
cause qui continuerait à traduire les sentiments de douleur pour qu’il n’y
ait pas de vide.
2
C’est donc à la recherche de ce quelque chose qui accompagnerait la voix
humaine que l’ancêtre rencontra en pleine brousse un génie assis sur un
« Kakala » (arbre) au bord d’un marigot. Ce génie leur indiqua un autre
arbre nommé « Liga ».
Ils découpèrent donc des lames de bois de « Liga » firent une fosse et
disposèrent es lames de bois puis ils jouèrent. C’était discordant. De
nouveau ils retaillent jusqu’à ce que la percussion de la lame de bois
reproduise la voix humaine. Ils transportèrent tout ce bois à la maison. A
leur arrivée, les funérailles se déroulaient toujours, les gens pleuraient en
se lamentant ainsi : « Gãdaa tãgmigr ka kpele kpele ».
L’ancêtre alors déposa son fagot de bois, refit sur place une tranchée
dans la terre et disposa ses lames de bois, puis se mit à jouer. C’était
discordant avec les lamentations des gens, il retailla les lames jusqu’à ce
qu’elles reproduisent les lamentations. Il y avait alors en tout 14 lames. Il
accompagna si bien ces lamentations que finalement il devint une curiosité.
On arrêta les lamentations pour l’écouter. De nouveau pris par l’ambiance,
tout le monde se remet aux lamentations et ainsi de suite.
C’est ainsi l’origine du balafon. C’est le balafon lobri que l’ancêtre
connaissait au début, c’est le « Lobri » qui est le premier.
2- Mais d’où vient que nous ayons deux balafons aujourd’hui ; Lobri et Dègaar,
que veut dire Dègaar et d’où vient-il ?
3
-
Il ressort de cette deuxième légende que c’est un génie « Kõton » qui a
révélé la fabrication du balafon à l’ancêtre. Celui-ci a commencé par
confectionner un petit balafon de 14 notes « lobri » qu’il a modifié en 17
notes dans la suite « Dègaar », pour un usage fonctionnel, accompagnement
de grande foule.
Remarques
Ceci ressort des données brutes des enquêtes :
-
Il n’appartient pas de certifier l’historicité ou la véracité de l’une ou
l’autre légende
-
Cependant on peut dès à présent noter les points communs suivants :
° la voix humaine et la base de la tonalité du balafon
° c’est un génie qui a révélé le balafon. Il y eut un premier instrument de
14 notes (le « lobri ») puis un deuxième qui est une amélioration du
premier avec 17 notes (le Dègaar)
° Le Dègaar est un lobri évolué
° dans l’ordre des priorités, le « lobri » est premier ;
A partir de cela qu’il soit permis de faire les recoupements suivants :
-
Que ce soit un génie qui ait indiqué le balafon à l’ancêtre dagara, ceci est
digne de foi dans le sens de vraisemblable si on en croit certaines
pratiques encore en vigueur aujourd’hui dans l’usage du balafon.
quand on transporte par exemple un balafon neuf, il faut suivre un certain
4
rituel qui consiste à s’arrêter pour jouer un air à tous les flancs de colline,
à tous les gros arbres et à tous les marigots qu’on traverse. Ils sont les
domaines privilégiés des génies. C’est une croyance populaire que le
balafon perdrait de son timbre et de sa tonalité sous l’influence néfaste
du génie de la colline, de l’arbre ou du marigot si on n’accomplissait pas ce
rite. Parce qu’on n’a pas fait cas de lui au passage, le génie en colère,
retire au balafon sa tonalité. (…)
-
Un autre fait : les fabricants de balafon peuvent imiter la tonalité d’un
balafon et la reproduire exactement telle qu’ils l’ont entendue. Ainsi si un
artiste veut conserver le monopole de la tonalité de son balafon, il ajoute
aux notes du balafon une note en bois de « Kakala », arbre sur lequel se
trouvait le génie au moment de la révélation du balafon à l’ancêtre. Ceci
veut dire : « imprimi non potest ». C’est le sceau de la reproduction
interdite qui est scrupuleusement observé encore aujourd’hui par les
fabricants de balafon, même chrétiens.
-
Le Kakala étant l’arbre sur lequel se trouvait le génie au moment de la
révélation du balafon, son vois devient un tabou pour les fabricants de
balafon. Tailler une note en bois de Kakala dans un balafon signifie
« reproduction interdite » sous peine d’avoir à faire au génie. Ceci
confirme que le balafon a été vraiment révélé par une force supérieure à
l’homme.
- Que le Dègaar soit aussi
un « lobri » évolué peut se
comprendre aussi car il existe
de bons balafonistes experts
comme Yel-ku-Nãa de Nyigbo
(Wièkanaalè) qui sont capables
de jouer d’authentiques airs du
Lobri sur le Dègaar grâce à un
choix judicieux et à une
combinaison savantes de notes
qu’ils jouent. Cela n’est pas
donné à tout le monde, ce qui prouve que le Dègaar en plus de sa gamme
propre, renferme dans son armature des notes de la gamme du lobri, ce qui
n’est pas vrai pour le lobri par rapport au Dègaar. Par n’importe quelle note
du Dègaar on peut entonner un chant tandis que sur le lobri un chant
commence par telle note précise du lobri et non pas par une autre.
5
-
Du fait que certains Dagara comme ceux de Dano n’aient pas de lobri pour
leurs cérémonies funéraires, plaisent en faveur de l’évolution du lobri en
Dègaar comme instrument complet et principal pour la célébration des
funérailles. Et en fait, les vraies cérémonies funéraires ne commencent
qu’avec l’introduction du Dègaar : c’est le « Kuor wuofo ».
-
Cette histoire du balafon nous permet enfin de comprendre un autre
instrument : le Kpãkpol.
L’armature actuelle du balafon serait déjà une évolution par rapport au
tout premier balafon qui était très sobre : « gyil Kpãkpol », le balafon nu.
D’où Kpãkpol qui existe encore aujourd’hui comme pièce témoin
constitutive du premier balafon. Le Kpãkpol dans sa constitution a la même
structure qu’un xylophone avec les mêmes accents toniques. On trouve le
Kpãkpol en général à l’extérieur des maisons souvent sous un arbre (tãpuo
zu)…
VOCABULAIRE TECHNIQUE
Tous les balafons quels qu’ils soient, lobri ou Dègaar, sont construits avec les
mêmes matériaux suivants :
-
Les « Gyilbie » : planchettes en bois taillées dans du « liga »
Les « Gyilkpagbie » : bâtonnets en bois de « sûsûle » (arbre épineux) qui
scellent les cadres des balafons
Les « Gyil-dièlè » : lanières en peau de chèvre, de biche-cochon (ire-gãn)
ou de singe « Mwã-daa-gãn » qui servent à attacher les notes entre elles.
6
Nous avons ainsi de droite à gauche deux grandes parties :
-
Le « Gyil pèr » partie inférieure qui comprend les dix premières notes
Le « Gyil zu » (la tête du balafon) qui commence à la dixième note.
C’est ainsi que le sens commun dissèque généralement les balafons. Mais certains
techniciens fabricants de balafons les divisent en trois parties essentielles qui
sont :
-
Le Gyil pèr : les 6 premières notes
Le Gyil sog ou gyil nyãa : qui va de la 7ème à la 12ème note
Le gyil zu : qui comprend le reste 13ème à la 17ème note.
Dans un balafon, il y a obligatoirement 14 notes ou 17 notes pour un bon
accompagnement de plusieurs voix humaines. Mais il y en a 5 seulement qui sont
nécessaires et qui constituent l’échelle musicale (la gamme) correspondante aux
altérations de la voix humaine. Le balafon qui a 14 notes s’appelle « lobri ».
Celui qui a 17 gyilbie correspond au Dègaar. Les 5 notes constitutives de la
gamme complète correspondent aux variations importantes de la voix humaine
pendant une rotation complète de la terre sur elle-même. Les noms de ces 5
notes sont identiques sur le « lobri » et le « dègaar » tout comme un do en
musique occidentale sur un harmonium reste le même « do » sur un orgue, un
piano ou une flûte.
Voici les noms des différentes notes d’un clavier complet à 14 notes et 17 notes.
L’échelle musicale d’un balafon se lit de droite à gauche :
1. Turkyè ou kyièra
2. Kyièra tuure
3. Zie ‘mãane ou gãg-kyè
4. Zie-nyãanè ougãg-kyè tuure
5. Gãg-bèra
6. Gãg-bèra tuure
7. Gãg-beli
8. Gãg-beli tuure
9. Gyil-sog
10. Gyil-sog tuure
11. Gyil sog ou gyil nyãa (gãg-bèra)
12. Gãg-bèra tuure ou gyil nyãa tuure
13. Gyil zu ou gyil zigè
7
14. Gyil zigè tuure
15. Gyil zu tuure ou gyil nyûu
16. Gyil nyûu tuure
17. (Zãggbaol) gyil mã ou gãg-bèra
18. (Le kpagra)
Toutes ces notes sont utiles pour accompagner la voix humaine plus ou moins
grave à tel moment de la journée.
Mais 5 seulement sont nécessaires pour traduire un sentiment émis par la voix
humaine dans tel contexte atmosphérique donné. Ainsi dans le cas des funérailles
le son du balafon ou mieux les thèmes mélodiques de la nuit et du lever du jour
ne traduisent pas les mêmes sentiments.
De même un balafon joué aux funérailles entre 10h00 et 17h00 traduit des
sentiments plus récoltants que celui joué à partir de 18h00 (zie ‘mãafu daar). On
jouera de préférence en ce moment des thèmes mélodiques reposants où la note
« zie-mãanè » servira de tonique. Il y a des notes qu’on ne touche qu’à tel
moment de la journée, à telle circonstance donnée pour produire les effets que
l’on veut et pas à un autre moment.
Nonobstant une recherche ultérieure poussée qui fera les mises au point
nécessaires les données actuelles de nos enquêtes nous permettent d’écrire
provisoirement que la voix humaine dans des contextes atmosphériques
différents a servi de base à la structure de la musique dagara. La musique a
toujours occupé une place de choix dans l’histoire de la tradition musicale orale
8
des Dagara. L’esprit, la pensée, le mot, et même la conception de la vie et de la
mort chez les Dagara ont besoin et de la musique pour être traduits en vérité.
Une phrase comme par exemple : « î bà bàa daar bàa dog bàa puo balli a-yi » ne
peut se comprendre en vérité que dans un contexte musical des mots « ba » qui
ont une signification différente suivant la position de la langue dans la bouche
pour émettre un son « ba » plus ou moins haut, bas ou moyen ; si le linguiste
étranger ne respecte pas cette musique des mots dans l’élocution, il aboutit à un
contre sens voire un non sens par rapport à ce qu’il veut exprimer en vérité à ses
auditeurs. C’est la musique qui exprime l’harmonie entre les différents mots dans
les relations interpersonnelles et claniques.
Le « Lãg-kone » en fait parle aux funérailles, ce qui lui importe, ce n’est pas de
chanter mais de pouvoir dire ce qu’il a à dire. Et il le dit tout haut, sans complexe
en respectant beaucoup l’accent et la musique des mots pour être sûr d’être
compris en vérité.
Ce faisant, son message devient chant
grâce à une combinaison harmonieuse
de la musique et de l’accent des mots
qui soutient un fond musical de balafon.
Si vous lui demandez 5 minutes plus
tard de vous rechanter ce qu’il vient
d’exécuter, il vous dira : « un chant de
quoi ? » ce qui veut dire que pour lui
l’aspect chant n’es tpas premier. Il
avait quelque chose à dire sur le
moment et il l’a dit ; c’est difficile de
le reprendre hors contexte. Voilà la signification de « un chant de quoi ». Mais il
avait réellement besoin d’un fond musical et donc de la musique pour livrer son
message en vérité.
Même sous des apparences de monotonie ou de pagaille, la musique dagara obéit à
des règles dont on s’imprègne dans la vie. Je veux dire que ces règles
s’enseignent non dans une école de musique mais à travers la vie traditionnelle.
Pour s’en imprégner, il faut vivre dans et avec le milieu. On ne suit pas un cours
pour être lãg-kone ou gyil-mwièrè. La capacité musicale du musicien dagara ne se
mesure pas d’après le niveau de matériel employé. Même à partir d’un morceau de
fer, d’un bâton, le musicien peut obtenir ce qu’il veut.
9
Quoique toute écriture fasse défaut dans l’histoire de la tradition musicale
dagara, nos instruments de musique ont cependant la facilité de transmettre de
messages et de correspondre entre eux.
Les cérémonies du Bagr comportent par exemple, outre les épreuves physiques,
un long exercice de la mémoire musicale dont le fond musical est obtenu par un
bâtonnet frappant sur une mangeoire d’animaux (le bagr-kyur). Cette mémoire
musicale est un langage fondé sur des différences de hauteurs et de durée de
son rythmé par un bâtonnet percutant sur une mangeoire d’animaux.
Ceci nous force à conclure que le musicien noir si limitées soient les possibilités
de son instrument, obtient le maximum de rendement qu’il veut.
Tiré de :
« Jalons pour une ethnomusicologie dagara »
Enquêtes livrée par une équipe de chercheurs
sous commission de musique sacrée
pour l’équipe : Bèkuonè Somè Dèr Joseph – Mukassa
Diocèse de Diebougou, année 1976
Courriel : [email protected]
Avec son aimable autorisation
Parution de cet article dans le site du Consulat du Burkina Faso de Nice
http://www.burkinafaso-cotedazur.org
10

Documents pareils