Relations entre cohésion et efficacité collective au sein d

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Relations entre cohésion et efficacité collective au sein d
Relations entre cohésion et efficacité collective
au sein d’équipes professionnelles masculines
et féminines de basket-ball
JEAN-PHILIPPE HEUZÉ, Université de Reims
NICOLAS RAIMBAULT, Université d’Orléans
MANUEL MASIERO, Université de Reims
Résumé
L’objectif de cette étude était d’examiner les relations
entre la cohésion et l’efficacité collective au sein
d’équipes professionnelles masculines et féminines de
basket-ball. Soixante-six joueurs et 54 joueuses francophones de 20 équipes ont complété le Questionnaire sur
l’ambiance du groupe (Heuzé & Fontayne, 2002) et un
questionnaire mesurant leurs perceptions de l’efficacité
de leur équipe en attaque, en défense et générale. Les
indices d’agrément, les coefficients de corrélation intraclasse et les étâ-carrés ont soutenu l’existence des variables au niveau du groupe. À ce niveau, les corrélations
ont indiqué l’existence de relations positives significatives entre les dimensions de la cohésion et de l’efficacité
collective. Toutefois, des analyses de régression multiple
séquentielle ont révélé que seule l’intégration opératoire
du groupe prédisait significativement l’efficacité collective et rendait compte de 38 % à 65 % de la variance des
scores d’efficacité collective. Les implications de ces
résultats sont discutées et de futures recherches utilisant
des analyses statistiques combinant différents niveaux
sont recommandées.
Abstract
The purpose of this study was to examine the relationship between cohesion and collective efficacy in professional basketball teams. A total of 66 male and 54 female
French-speaking professional players from 20 teams completed Heuzé and Fontayne’s (2002) Questionnaire sur
l’Ambiance du Groupe and a collective efficacy measure
designed to assess the athletes’ perceptions of their team
efficacy in offense, defense, and total. Index of agreement,
intraclass correlation, and eta-squared statistic supported
the existence of group perceptions for the constructs. At
group level, several positive correlations were found
between the dimensions of cohesion and collective efficacy. However, sequential multiple regression analyses
indicated that only Group integration-task was a significant predictor of collective efficacy and explained 38% to
65% of the variance of the collective efficacy scales. The
implications of the results are discussed and future studies using multilevel statistical methodologies are recommended.
La cohésion et l’efficacité collective sont reconnues
par les entraîneurs de sports collectifs comme deux
variables importantes impliquées dans les performances des équipes (les termes équipe, et groupe sont
employés de manière interchangeable tout au long de
cet article). Une définition récente de la cohésion
dans le domaine sportif la conçoit comme « un
processus dynamique reflété par la tendance du
groupe à rester lié et à rester uni dans la poursuite de
ses objectifs instrumentaux et/ou pour la satisfaction
des besoins affectifs des membres » (Carron, Brawley
& Widmeyer, 1998, p. 213).
Associé à cette définition, Carron, Widmeyer et
Brawley (1985; Brawley, Carron & Widmeyer, 1987)
ont proposé un cadre théorique rendant compte de la
nature multidimensionnelle, dynamique, instrumentale et affective de ce phénomène de groupe. Leur
modèle conceptuel a été employé dans la majorité
des recherches conduites depuis le milieu des années
1980 dans le domaine sportif (pour une revue, voir
Paskevich, Estabrooks, Brawley & Carron, 2001).
Ce modèle s’appuie sur les cognitions sociales des
membres d’un groupe qui concernent la cohésion.
Certaines de ces perceptions portent sur la manière
dont l’équipe satisfait des besoins et des objectifs
individuels. Ces « attractions individuelles pour le
groupe » (Carron et al., 1985) reflètent les motivations
personnelles qui conduisent un individu à s’impliquer dans un groupe (Carron & Brawley, 2000).
D’autres cognitions se rapportent au collectif perçu
comme une unité. Selon Carron et al. (1985), les
membres élaborent des représentations individuelles
de ce que leur équipe pense d’elle-même (par ex.,
degré d’intimité et de similitude entre les membres,
Revue canadienne des sciences du comportement, 2006, 38:1, 81-91
82 Heuzé, Raimbault et Masiero
qualité des liens affectifs). Ces perceptions sont
regroupées sous le concept « d’intégration du groupe » (Carron et al., 1985). Ces deux dimensions (i.e.,
attraction vs intégration) peuvent être centrées sur la
tâche collective (par ex., atteindre des objectifs,
obtenir une performance collective) ou sur des
aspects sociaux (par ex., développer et maintenir des
relations sociales au sein du groupe).
Le modèle conceptuel distingue donc quatre facteurs de la cohésion : les attractions individuelles
opératoires pour le groupe (AOG) reflètent les sentiments individuels des athlètes à propos de leur
implication dans la tâche de leur équipe, les attractions individuelles sociales pour le groupe ( ASG )
traduisent les sentiments individuels des membres
relatifs à leurs interactions sociales au sein de leur
groupe, l’intégration opératoire du groupe ( IOG )
désignent les perceptions individuelles des athlètes
sur l’unité de leur équipe par rapport à ses tâches et
ses objectifs, l’intégration sociale du groupe (ISG) renvoient aux perceptions individuelles des membres
sur l’unité sociale de leur groupe.
Le concept d’efficacité collective a été proposé
plus récemment par Bandura (1986, 1997) comme
une extension de la théorie de l’auto-efficacité aux
activités humaines qui nécessitent des interactions au
sein d’un groupe. Zaccaro, Blair, Peterson et Zazanis
(1995) ont défini l’efficacité collective comme « un
sentiment de compétence collective partagé entre des
individus quand ils allouent, coordonnent et intègrent leurs ressources dans une réponse concertée et
réussie à des demandes situationnelles spécifiques »
(p. 309).
L’efficacité collective renvoie donc à des croyances
partagées sur les compétences perçues du groupe à
coordonner ses actions, la disponibilité des ressources collectives et dépend de la spécificité situationnelle ou comportementale d’une tâche à accomplir par le groupe (Paskevich, Brawley, Dorsch &
Widmeyer, 1999). Ce processus de groupe doit être
considéré comme un produit émergeant du collectif
qui résulte des interactions et des coordinations entre
les membres (Bandura, 1986, 1997) exposés aux
mêmes stimulus externes et internes (Lindsley, Brass
& Thomas, 1995).
Bandura (1997) a suggéré que l’efficacité collective
devait avoir des implications importantes pour les
équipes sportives. En effet, elle devrait affecter les
choix collectifs, la persistance de l’effort produit par
un groupe et sa performance, en particulier dans les
sports qui nécessitent des interactions pour réussir
une tâche collective (par ex., basket-ball). De plus,
Zaccaro et al. (1995) ont proposé que des propriétés
de groupe, comme la cohésion, puissent contribuer à
un sentiment collectif d’efficacité.
Malgré les suggestions de Bandura (1997) et
Zaccaro et al. (1995), seules quelques études ont
examiné les relations entre la cohésion et l’efficacité
collective en contexte sportif. Dès 1990, Spink a
mesuré la cohésion et l’efficacité collective d’équipes
masculines et féminines de volley-ball engagées dans
un tournoi annuel en catégorie élite ou loisir. Comme
mesure de l’efficacité collective, l’auteur demandait
aux athlètes d’indiquer le classement qu’ils ou elles
pensaient que leur équipe allait obtenir, puis de préciser leur degré de confiance par rapport à cet objectif. À partir d’analyses discriminantes, Spink a montré que, pour les équipes élites, les AOG et l’ISG différenciaient significativement les athlètes percevant
une haute efficacité collective de ceux ou celles percevant une faible efficacité collective. Les athlètes qui
rapportaient des niveaux élevés d’ AOG et d’ ISG
décrivaient une haute efficacité collective au sein de
leur équipe. Par contre, aucune différence significative n’a été observée pour les équipes de niveau
loisir.
Plus récemment, Paskevich et al. (1999) ont également travaillé sur des équipes masculines et féminines de volley-ball de niveau amateur. S’appuyant sur
une mesure multidimensionnelle de l’efficacité collective (par ex., attaque, défense, jeu de transition,
communication), les auteurs ont trouvé plusieurs
relations positives entre les dimensions de l’efficacité
collective et de la cohésion. Toutefois, l’orientation
opératoire de la cohésion (i.e., AOG et IOG) est apparue plus fortement liée à l’efficacité collective que
l’orientation sociale (i.e., ASG et ISG). Les athlètes qui
percevaient des niveaux élevés de cohésion opératoire au sein de leur équipe rapportaient également
une forte efficacité collective.
Des résultats similaires ont été obtenus par Kozub
et McDonnell (2000) lors d’une étude sur des équipes
masculines de rugby de niveau amateur. L’efficacité
collective était mesurée à l’aide de sept items caractérisant des situations de jeu spécifiques au rugby.
Les auteurs ont également constaté que les deux
échelles de la cohésion opératoire (i.e., AOG et IOG)
prédisaient significativement l’efficacité collective.
Mais ils ont aussi noté que parmi ces deux échelles,
l’IOG contribuait davantage à la prédiction de l’efficacité collective que les AOG. Enfin, malgré des corrélations positives significatives entre l’efficacité collective et les échelles de la cohésion sociale (i.e., ASG et
ISG), ces dernières ne prédisaient pas les scores d’efficacité collective.
Si les travaux présentés ci-dessus soutiennent
l’existence d’une relation entre la cohésion et l’efficacité collective au niveau amateur, ils donnent peu
Cohésion et efficacité collective 83
d’indication sur les relations entre ces variables à des
niveaux sportifs plus élevés (i.e., élite, professionnel).
En effet, seul Spink (1990) a tenu compte du niveau
sportif (i.e., élite vs loisir) dans l’étude de cette relation. Mais les résultats obtenus ont été remis en cause
par la mesure de l’efficacité collective employée dans
cette étude. Reprenant les arguments de Lee et Bobko
(1994) et de Feltz et Chase (1998), Kozub et
McDonnell (2000) ont souligné que cette mesure,
basée sur un seul item, pouvait confondre l’efficacité
collective et les expectations de résultats.
Pour éviter ce biais, Paskevich et al. (1999) et
Kozub et McDonnell (2000) ont privilégié des
mesures multidimensionnelles de l’efficacité collective. Mais leurs études n’ont porté que sur un niveau
sportif. Or, des éléments directs et indirects suggèrent
que le niveau de la compétition influe sur ces variables. Ainsi, Granito et Rainey (1988) ont observé des
niveaux plus élevés de cohésion opératoire au sein
d’équipes de football d’établissements d’enseignement secondaire qu’au sein d’équipes universitaires.
Gruber et Gray (1982) ont trouvé que la cohésion
sociale était plus élevée dans des équipes juniors de
basket-ball d’établissements d’enseignement secondaire que dans des équipes seniors de ces mêmes
établissements.
Enfin, la cohésion et l’efficacité collective sont
des phénomènes de groupe évalués au travers des
croyances des membres. Ainsi, Zaccaro et al. (1995)
ont souligné que la nature sociale d’un groupe influait sur le développement de ces croyances. Les clubs
sportifs professionnels et amateurs constituent sans
aucun doute deux milieux sociaux très différents qui
devraient influer sur les cognitions des athlètes. En
examinant les relations entre la cohésion et l’efficacité
collective au sein d’équipes professionnelles de basket-ball, cette étude constitue donc un prolongement
important des recherches antérieures.
Un deuxième apport de cette recherche concerne
le niveau d’analyse de ces relations (i.e., individu vs
groupe). Depuis quelques années, plusieurs auteurs
ont insisté sur la nécessité de tenir compte de la véritable nature interpersonnelle des phénomènes de
groupe étudiés (par ex., Kashy & Kenny, 2000; Kenny
& La Voie, 1985; Kenny, Mannetti, Pierro, Livi &
Kashy, 2002; Moritz & Watson, 1998). Or, dans les
travaux déjà réalisés sur la relation cohésion-efficacité collective (Kozub & McDonnell, 2000; Paskevich
et al., 1999; Spink, 1990), les analyses statistiques ont
été conduites à un niveau individuel. Affirmer que
les relations démontrées à ce niveau existent également au niveau collectif sans conduire d’analyses
complémentaires, constitue une possible généralisation excessive des résultats (Moritz & Watson, 1998).
Bien que la cohésion et l’efficacité collective soient
mesurées à partir des perceptions des membres,
celles-ci se développent dans les interactions vécues
par les équipiers confrontés aux mêmes stimulus
(Bandura, 1986, 1997; Lindsley et al., 1995; Zaccaro et
al., 1995). Ainsi, les possibilités d’interactions sont
particulièrement nombreuses au sein des équipes
professionnelles compte tenu de leur volume hebdomadaire d’entraînement et du nombre de matchs
joués au cours d’une saison. Les réponses des athlètes professionnels aux questionnaires de cohésion et
d’efficacité collective devraient être influencées par
leur appartenance à leur équipe et révéler un certain
degré de consensus au sein de celle-ci. L’analyse des
relations entre la cohésion et l’efficacité collective au
niveau du groupe constitue donc un autre prolongement important des travaux précédents.
Pour résumer, l’objectif de cette étude consistait à
examiner, au niveau du groupe, les relations entre la
cohésion et l’efficacité collective dans des équipes
professionnelles de basket-ball. Du fait de la très forte
orientation des équipes professionnelles sur leurs
tâches sportives (i.e., objectif sportif précis à atteindre, organisation collective rigoureuse qui spécifie un
nombre plus ou moins important de systèmes de jeu
réglant les interactions entre les membres) et de la
nature de l’efficacité collective (i.e., compétence collective à réussir une tâche dans une situation particulière), des relations positives significatives étaient
attendues entre les facteurs de la cohésion opératoire
et de l’efficacité collective, avec l’intégration opératoire prédisant plus fortement l’efficacité collective
que les attractions opératoires pour le groupe.
Méthode
Participants
La population comprenait 120 athlètes professionnels francophones (66 joueurs et 54 joueuses) évoluant dans des équipes masculines (n = 11) et
féminines (n = 9) de basket-ball. Les athlètes masculins étaient âgés en moyenne de 25,2 ± 4,6 ans, professionnels depuis 5,5 ± 4,3 ans et membres de leur
équipe depuis 2,0 ± 3,2 ans. Ils pratiquaient le basketball depuis 13,9 ± 5,4 ans et s’entraînaient 13,6 ± 2,7
heures par semaine. Les athlètes féminines étaient
âgées en moyenne de 24,2 ± 4,5 ans, professionnelles
depuis 4,3 ± 3,8 ans et membres de leur équipe
depuis 1,3 ± 1,7 ans. Elles pratiquaient le basket-ball
depuis 15,4 ± 4,9 ans et s’entraînaient 13,6 ± 2,9
heures par semaine.
Pour des raisons de compréhension des items des
questionnaires, seuls des athlètes francophones ont
participé à l’étude. Toutefois, en France, les clubs professionnels de basket-ball emploient également des
84 Heuzé, Raimbault et Masiero
athlètes non francophones, principalement originaires des États-Unis et de la Communauté
européenne. En fonction de leur budget financier,
chaque club recrute de un à quatre étrangers/
étrangères sur des effectifs de sept à 12 professionnels/ professionnelles. En choisissant de restreindre
la population aux athlètes francophones, l’étude a
concerné en moyenne 70 % de l’effectif total des
clubs.
Mesures
Cohésion. Les athlètes ont rempli le Questionnaire
sur l’ambiance du groupe (QAG; Heuzé & Fontayne,
2002), qui comporte 18 items et mesure quatre facteurs de la cohésion : attractions individuelles opératoires pour le groupe (AOG, quatre items), attractions
individuelles sociales pour le groupe ( ASG , cinq
items), intégration opératoire du groupe (IOG, cinq
items), intégration sociale du groupe ( ISG, quatre
items).
Les réponses sont reportées sur des échelles de
type Likert en 9 points, allant de (1) « fortement en
désaccord » à (9) « fortement en accord ». Les scores aux
items 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 11, 13, 17 et 18 sont renversés
de telle sorte que des scores élevés reflètent des perceptions élevées de la cohésion. Le score de chacun
des quatre facteurs correspondait à la moyenne des
scores de l’athlète aux items constitutifs de l’échelle.
Les coefficients alpha de Cronbach (1951) calculés
sur cet échantillon étaient de ,56 pour ASG, ,77 pour
AOG, ,77 pour ISG et ,72 pour IOG. Pour l’échelle ASG,
la suppression de l’item 9 a permis d’augmenter la
consistance interne de l’échelle (α = ,64) et d’obtenir
pour les quatre facteurs des coefficients supérieurs à
,60 (Weiss, Bredemeier & Shewchuk, 1985).
Efficacité collective. Un questionnaire d’efficacité
collective a été construit en respectant les recommandations de Bandura (1986, 1997), Lindsley et al. (1995)
et de Paskevich et al. (1999). Un entraîneur expert
(i.e., entraînant des équipes professionnelles de basket-ball depuis 20 ans) et les auteurs de l’étude (le
deuxième étant un ancien entraîneur de l’équipe de
France junior de basket, employé actuellement par la
Fédération française de basket-ball) ont développé
des items reflétant des compétences de jeu importantes au niveau professionnel, en attaque et en
défense (par ex., aptitude à prendre des rebonds
offensifs, aptitude à jouer une défensive de zone).
Puis la clarté et la pertinence des items ont été examinées par trois athlètes professionnels. Suivant leurs
recommandations, des modifications ont été
apportées si nécessaire. Le produit final de ces différentes étapes correspondait à un questionnaire de
27 items mesurant l’efficacité collective en attaque
(ECA, 13 items) et en défense (ECD, 14 items).
Suivant la suggestion de Moritz et Watson (1998),
les consignes demandaient à la personne d’indiquer
ce que son équipe croyait à propos de sa confiance
dans son aptitude à réaliser des actions de jeu particulières. Les réponses étaient reportées sur des
échelles en 11 points, graduées de (0 %) « pas du tout
confiante » à (100 %) « extrêmement confiante »
(McAuley & Mihalko, 1998). Des scores élevés
représentaient des perceptions de forte efficacité collective. La moyenne des réponses d’une personne
aux items constitutifs d’une échelle constituait le
score de celle-ci. Une mesure générale de l’efficacité
collective (ECG) a également été obtenue en calculant
la moyenne des réponses sur les 27 items.
Sur l’échantillon de cette étude, les coefficients
alpha de Cronbach (1951) ont révélé une bonne
consistance interne des échelles d’efficacité collective
en attaque (α = ,87), en défense (α = ,91) et générale
(α = ,94).
Procédure
En France, le basket-ball représente le deuxième
sport collectif le plus pratiqué. Les équipes professionnelles masculines sont réparties dans deux divisions de 16 équipes chacune; 12 équipes féminines
composent le championnat professionnel féminin. Au
début de la saison 2001-2002, l’étude a été présentée à
tous les entraîneurs des équipes professionnelles
masculines et féminines, à la fin de deux conférences
réalisées par le premier auteur. Les entraîneurs principaux de 20 équipes ont accepté la participation de
leur groupe à l’étude.
Pour chacune des équipes, les entraîneurs ne connaissaient pas les objectifs précis de l’étude, mais
étaient informés que l’objectif général consistait à
étudier le fonctionnement d’équipes professionnelles
de basket-ball. Puis chaque entraîneur principal recevait un nombre de questionnaires correspondant à
l’effectif de son équipe. Il lui était demandé d’organiser une passation en milieu de semaine (les matchs
ayant lieu le samedi soir), entre le premier et le
deuxième tiers du championnat. Cette période de
passation permettait de s’assurer que les athlètes
aient eu suffisamment de temps pour interagir
ensemble et développer des croyances de cohésion et
d’efficacité collective.
Les questionnaires étaient distribués aux athlètes
avant un entraînement. Ceux-ci ou celles-ci devaient
lire les instructions écrites sur la première page, donner leur consentement pour participer à l’étude, puis
remplir les questionnaires individuellement. Pour
s’assurer de la confidentialité des résultats, chaque
Cohésion et efficacité collective 85
TABLEAU 1
Coefficients de corrélation intraclasse (r), indices d’agrément, rwg(j), et statistiques descriptives pour les échelles de cohésion et d’efficacité collective
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Athlètes
Equipesa
(n = 120)
(n = 20)
––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
––––––––––––––––––––
rwg(j)
r
Variable
η2
F
p<
Moyenne ± SD2
Moyenne ± SD2
(1, 19)
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
ASG
,43 ± ,33
,23
,34
2,75
,001
5,60 ± 1,02b
AOG
,69 ± ,29
,44
,52
5,74
,001
7,12 ± 1,23b
ISG
,72 ± ,20
,55
,61
8,36
,001
4,28 ± 1,39b
IOG
,82 ± ,22
,33
,43
3,92
,001
6,76 ± 0,86b
ECA
,98 ± ,01
,41
,49
5,13
,001
64,54 ± 6,64c
ECD
,98 ± ,01
,38
,47
4,61
,001
64,07 ± 6,96c
ECG
,99 ± ,00
,42
,50
5,26
,001
64,30 ± 6,48c
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Notes : ASG = Attractions individuelles sociales pour le groupe; AOG = Attractions individuelles opératoires pour le groupe; ISG =
Intégration sociale du groupe; IOG = Intégration opératoire du groupe; ECA = Efficacité collective en attaque; ECD = Efficacité collective
en défense; ECG = Efficacité collective générale; a : statistiques descriptives sur données non standardisées; b : score évalué sur une échelle
en 9 points graduée de 1 à 9; c: score évalué sur une échelle en 11 points graduée de 0 % à 100 %.
participant ou participante plaçait ses questionnaires
remplis dans une enveloppe sans indication (distribuée avec les questionnaires), fermait celle-ci et la
remettait à l’entraîneur principal. Ces enveloppes
étaient réunies dans une grande enveloppe renvoyée
au premier auteur.
Résultats
Niveau d’analyse
Pour déterminer le niveau des analyses statistiques (i.e., individu vs groupe), les indices d’agrément (James, Demaree & Wolf, 1984), les corrélations
intraclasses (ICC; Kenny & La Voie, 1985) et les êtacarrés (Georgopolous, 1986) ont été calculés. Comme
Moritz et Watson (1998) l’ont signalé, l’indice d’agrément renseigne sur le degré de consensus au sein
d’un groupe à propos d’une croyance particulière.
Mais le consensus ne suffit pas pour justifier l’agrégation des perceptions individuelles et leur traitement au niveau du groupe. Une variabilité intergroupes doit également être démontrée pour soutenir
l’existence du construit au niveau du groupe. Les ICC
et les êta-carrés associés permettent de déterminer si
la variance d’un construit se situe davantage entre les
groupes ou à l’intérieur de ceux-ci.
Les indices d’agrément pour les échelles de cohésion et d’efficacité collective sont présentés dans le
Tableau 1. Moritz et Watson (1998) ont proposé qu’un
degré suffisant de consensus était démontré lorsque
les valeurs des indices étaient supérieures ou égales à
,50. Toutefois, Carron et al. (2003) ont suggéré
d’abaisser ce seuil à ,40 pour les deux échelles d’attractions (i.e., AOG et ASG) qui mesurent une forme
de cohésion se manifestant à un niveau individuel.
En tenant compte de ces deux critères, les valeurs
moyennes ont révélé un degré de consensus suffisant
au sein des équipes pour traiter la cohésion et l’efficacité collective au niveau du groupe.
De même, les ICC ont témoigné d’une variabilité
intergroupes importantes et ont soutenu l’existence
d’un niveau de groupe pour ces construits. Les
ANOVA s ont même souligné des effets de groupe
fortement significatifs sur les perceptions de cohésion
et d’efficacité collective (p < ,001). De plus, les êta-carrés ont confirmé ces effets, avec des valeurs toutes
supérieures à ,20, seuil employé comme critère d’agrégation dans des études antérieures (par ex.,
Carron, Bray & Eys, 2002; Dirks, 2000). Ces résultats
ont soutenu l’existence de perceptions de la cohésion
et de l’efficacité collective au niveau du groupe. Les
analyses suivantes ont donc été réalisées à ce niveau.
Statistiques descriptives
Avant d’être agrégées au niveau des équipes, les
données ont été standardisées pour tenir compte des
différences de format entre les échelles de cohésion et
d’efficacité collective (i.e., 9 et 11 points). Puis, deux
MANOVAs ont été réalisées pour tester un éventuel
effet du genre sur ces variables. Les résultats n’ont
pas révélé d’influence du genre sur les perceptions
de cohésion, λ de Wilks = ,61, F(4, 15) = 2,45, p > ,05,
ou d’efficacité collective, λ de Wilks = ,83, F(3, 16) =
1,11, p > ,05. Les équipes masculines et féminines ont
donc été traitées ensemble dans les analyses suivantes. Le Tableau 1 propose un résumé des statistiques descriptives des équipes professionnelles
féminines et masculines de basket-ball.
Cohésion et efficacité collective
Le Tableau 2 présente les corrélations entre les
86 Heuzé, Raimbault et Masiero
TABLEAU 2
Corrélations (Pearson) entre les échelles de cohésion et d’efficacité collective au
niveau du groupe
––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
AOG
ISG
IOG
ECA
ECD
ECG
––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
ASG
,51*
,81***
,53*
,51*
,41
,48*
AOG
,59**
,67**
,70**
,46*
,60**
ISG
,72***
,71***
,60**
,69**
IOG
,82***
,64**
,76***
ECA
,81***
,95***
ECD
,96***
––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Notes : ASG = Attractions individuelles sociales pour le groupe; AOG = Attractions
individuelles opératoires pour le groupe; ISG = Intégration sociale du groupe;
IOG = Intégration opératoire du groupe; ECA = Efficacité collective en attaque;
ECD = Efficacité collective en défense; ECG = Efficacité collective générale.
*** p < ,001; ** p < ,01; * p < ,05.
TABLEAU 3
Dimensions de la cohésion prédisant l’efficacité collective en attaque, en défense et générale
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
R2ajusté
∆R2
β
t
Variable dépendante Variable indépendante F(degrés de liberté)
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
ECA
Étape 1 :
IOG
36,07*** (1, 18)
,65
,82
6,01***
Étape 2 :
IOG et AOG
20,87*** (2, 17)
,68
,04
IOG
,63
3,60**
AOG
,28
1,60
Étape 3 :
IOG, AOG, ISG et ASG
10,34*** (4, 15)
,66
,02
IOG
,49
2,25*
AOG
,26
1,41
ISG
-,13
-0,57
ASG
,31
1,11
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
ECD
Étape 1 :
IOG
12,74**
(1, 18)
,38
,64
3,57**
Étape 2 :
IOG et AOG
6,06*
(2, 17)
,35
,00
IOG
,61
2,45*
AOG
,05
0,22
Étape 3 :
IOG, AOG et ISG
4,43*
(3, 16)
,35
,04
IOG
,44
1,46
AOG
,00
0,00
ISG
,29
1,05
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
ECG
Étape 1 :
IOG
24,89*** (1, 18)
,56
,76
4,99***
Étape 2 :
IOG et AOG
12,55*** (2, 17)
,55
,02
IOG
,65
3,14**
AOG
,17
0,82
Étape 3 :
IOG, AOG, ISG et ASG
6,50**
(4, 15)
,54
,04
IOG
,47
1,83
AOG
,14
0,65
ISG
,39
1,19
ASG
-,15
-0,57
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Notes : ECA = Efficacité collective en attaque; ECD = Efficacité collective en défense; ECG = Efficacité collective générale; IOG =
Intégration opératoire du groupe; AOG = Attractions individuelles opératoires du groupe; ISG = Intégration sociale du groupe; ASG =
Attractions individuelles sociales du groupe. * p < ,05; ** p < ,01; *** p < ,001.
variables. Les quatre facteurs de cohésion sont
apparus corrélés entre eux (corrélations comprises
entre ,51 et ,82), de même que les trois mesures d’efficacité collective (corrélations comprises entre ,81 et
,96). Pour la relation cohésion-efficacité collective, les
résultats ont révélé des corrélations positives significatives entre les échelles de la dimension intégration et les trois mesures d’efficacité collective (corrélations comprises entre ,60 et ,82). De même, les
attractions individuelles opératoires pour le groupe
Cohésion et efficacité collective 87
étaient corrélées positivement avec les trois échelles
d’efficacité collective (corrélations comprises entre
,46 et ,70). Enfin, les attractions individuelles sociales
pour le groupe n’étaient positivement corrélées qu’à
l’efficacité collective en attaque (r = ,51) et à la
mesure générale de l’efficacité collective (r = ,48).
Des analyses de régression multiple séquentielle
ont été conduites avec les mesures d’efficacité collective représentant les variables dépendantes et les facteurs de cohésion comme variables indépendantes.
Tabachnick et Fidell (2001) ont avancé que ce type de
régression devait être utilisé lorsque l’importance relative des variables était établie. Or, comme indiqué
précédemment, l’orientation opératoire de la cohésion (i.e., AOG et IOG) a été trouvée plus fortement
liée à l’efficacité collective que l’orientation sociale
(Kozub & McDonnell, 2000; Paskevich et al., 1999).
De plus, Kozub et McDonnell (2000) ont également
montré que l’IOG permettait une prédiction légèrement supérieure de l’efficacité collective que les AOG.
Par conséquent, l’IOG a été entrée comme variable
prédictive à la première étape de chaque modèle de
régression, suivie par les AOG à la deuxième étape,
puis les deux échelles de cohésion sociale à la
troisième étape, excepté pour la prédiction de l’efficacité collective en défense où l’échelle ASG n’a pas
été entrée à la troisième étape du fait de son absence
de liaison significative avec cette dimension de l’efficacité collective.
Ces analyses séquentielles permettaient d’examiner si les AOG et les deux dimensions de la cohésion
sociale amélioraient la prédiction des dimensions de
l’efficacité collective lorsqu’elles s’ajoutaient à l’IOG.
Du fait de la corrélation élevée entre les échelles ASG
et ISG (r = ,81), des tests de colinéarité ont été réalisés
(Tabachnick & Fidell, 2001), mais n’ont pas révélé
une trop forte corrélation entre ces deux variables.
Les résultats des analyses de régression séquentielle sont présentés dans le Tableau 3. Ils ont révélé
que seule l’IOG était une variable prédictive significative de l’efficacité collective. Plus précisément, l’IOG
expliquait de 38 à 65 % de la variance des scores
observés aux échelles d’efficacité collective. Ainsi, les
athlètes qui percevaient des niveaux plus élevés
d’IOG dans leur équipe rapportaient une meilleure
efficacité collective en attaque, en défense et de
manière générale.
Les autres facteurs de la cohésion ne contribuaient
pas à prédire de manière significative les dimensions
d’efficacité collective. L’ajout des AOG ne rendait
compte que de 2 à 4 % supplémentaires de la variance d’efficacité collective (respectivement pour ECG
et ECA). L’ajout des variables de cohésion sociale
(ASG et ISG) n’expliquait que 2 à 4 % de variance sup-
plémentaire de l’efficacité collective (respectivement
pour ECA et ECG). Enfin, l’ajout de l’ISG permettait
d’expliquer 4 % de variance supplémentaire de l’efficacité en défense.
Discussion
L’objectif principal de cette étude était d’examiner
les relations entre la cohésion et l’efficacité collective
au sein d’équipes professionnelles masculines et
féminines de basket-ball. Un but secondaire de l’étude se rapportait au niveau d’analyse le plus approprié (i.e., individu vs groupe) pour étudier ces relations.
Les résultats obtenus ont souligné l’existence, au
niveau du groupe, de relations positives significatives entre les facteurs de la cohésion et les échelles
d’efficacité collective. De plus, des analyses de
régression ont montré que l’IOG prédisait fortement
les trois échelles d’efficacité collective (i.e., R2 ajusté
de ,65, ,38 et ,56 respectivement pour ECA, ECD et
ECG). Mais l’ajout des autres facteurs de la cohésion
ne permettait d’expliquer qu’entre 0 et 4 % supplémentaires de la variance des mesures d’efficacité collective, sans les prédire de manière significative.
Concernant les corrélations entre les variables
étudiées, les résultats obtenus étaient globalement
consistants avec ceux de Paskevich et al. (1999) et de
Kozub et McDonnell (2000) qui soutenaient des
liaisons entre toutes les dimensions de la cohésion et
l’efficacité collective. Les équipes professionnelles de
basket-ball qui se caractérisaient par des niveaux
élevés de cohésion se distinguaient également par de
forts sentiments d’efficacité collective. Toutefois, ces
relations ne sont pas apparues avec la même intensité
dans cette étude que dans celles précédemment
citées.
Ainsi, si Paskevich et al. (1999) et Kozub et
McDonnell (2000) avaient constaté que les relations
les plus fortes s’établissaient entre la cohésion opératoire et l’efficacité collective, nos résultats ont
souligné un modèle différent. Les deux échelles de la
dimension d’intégration (i.e., IOG et ISG ) sont
apparues plus fortement liées à l’efficacité collective
que celles de la dimension de l’attraction (i.e., AOG et
ASG). Au sein des équipes françaises professionnelles
de basket-ball, il a semblé qu’une qualité générale de
fonctionnement de groupe était requise, à la fois par
rapport à la tâche et à des aspects sociaux, car elle
était liée à l’efficacité des équipes.
Concernant la possible prédiction de l’efficacité
collective par des facteurs de la cohésion, nos résultats n’ont soutenu qu’en partie notre hypothèse et les
résultats des études antérieures (Kozub &
McDonnell, 2000; Paskevich et al., 1999). Dans les
88 Heuzé, Raimbault et Masiero
équipes professionnelles de basket-ball, seule l’intégration opératoire du groupe a prédit significativement l’efficacité collective. Les athlètes qui percevaient des niveaux élevés d’intégration opératoire au
sein de leur équipe, rapportaient également une
meilleure efficacité collective. Or, lors de leurs analyses de régression multiple, Kozub et McDonnell
avaient observé que 22 % de la variance de l’efficacité
collective étaient expliqués par l’IOG et 10 % par les
AOG. Dans notre étude, l’IOG expliquait 56 % de la
variance de l’efficacité collective générale, alors que
les AOG n’en expliquaient que 2 %.
Selon Bandura (1997), la relation entre l’intégration opératoire du groupe et l’efficacité collective
peut s’expliquer par le fait que ce facteur de la cohésion présente un intérêt direct pour les perceptions
d’efficacité collective dans les sports interactifs (par
ex., le basket-ball). Il renseigne en effet sur le degré
auquel les membres d’une équipe travaillent ensemble pour atteindre un objectif commun (Carron et al.,
1985). Or, d’après Kozub et McDonnell (2000), plus
un ou une athlète perçoit son équipe comme un collectif uni où les membres travaillent ensemble pour
atteindre des buts communs, plus il ou elle devrait
avoir confiance dans les capacités de son équipe à
réussir des tâches qui nécessitent un haut degré de
coordination et de travail collectif.
En revanche, contrairement à Kozub et McDonnell
(2000), les AOG n’ont pas permis de prédire l’efficacité collective dans notre étude. Ce résultat tient sans
doute à la mesure de cette variable et à son niveau
d’analyse, ainsi qu’à la spécificité du sport professionnel.
Pour mesurer l’efficacité collective, Kozub et
McDonnell (2000) avaient demandé aux participants
d’indiquer la confiance qu’ils avaient dans des capacités particulières de leur équipe. Ce type de consigne évalue des croyances individuelles à propos de
certaines capacités d’une équipe et non les perceptions du groupe lui-même relatives à son efficacité
dans des situations données (Moritz & Watson, 1998).
De plus, comme Kozub et McDonnell (2000) ont
analysé leurs données à un niveau individuel, il semble cohérent que des préoccupations individuelles en
rapport avec la tâche sportive (AOG; par ex., les motivations personnelles pour faire partie d’un groupe, le
degré de satisfaction à l’égard du style de jeu) prédisent des croyances individuelles d’efficacité collective.
Dans notre étude, les consignes du questionnaire
d’efficacité collective visaient à mesurer les croyances
du groupe sur son efficacité. L’évaluation et l’analyse
de cette variable au niveau du groupe peuvent expliquer pourquoi, dans notre étude, les corrélations les
plus fortes ont été trouvées avec l’intégration du
groupe (i.e., IOG et ISG), soit la dimension de la cohésion qui renvoie au groupe perçu comme un tout uni
(Carron et al., 1985), et que seule l’intégration opératoire ait prédit les scores d’efficacité collective.
La spécificité du basket-ball professionnel permet
aussi de comprendre la forte relation observée entre
ce facteur de la cohésion (IOG) et les perceptions de
compétence collective. Dans cette étude, 38 à 65 % de
la variance des scores d’efficacité collective étaient
prédits par l’IOG. À ce niveau de jeu, les entraîneurs
et leurs athlètes accordent une grande importance à
l’organisation du fonctionnement collectif, à la coordination des actions individuelles pour développer
des systèmes de jeu efficaces. En outre, ils disposent
de volumes horaires hebdomadaires conséquents
(par ex., près de 14 heures en moyenne dans cet
échantillon), ce qui favorisent les interactions entre
athlètes.
Toutefois, la nature corrélationnelle de cette étude
n’a pas permis de préciser le sens de la relation entre
l’intégration opératoire et l’efficacité collective. Si
Zaccaro et al. (1995) ont suggéré que la cohésion pouvait être à la fois un antécédent et une conséquence
de l’efficacité collective, seuls les résultats de
Paskevich et al. (1999) ont soutenu cette réciprocité
de la relation dans des équipes de niveau amateur.
De futures recherches devront s’intéresser au sens de
cette relation dans des équipes professionnelles de
sports collectifs.
Parmi les dimensions de l’efficacité collective, l’efficacité en attaque (i.e., ECA) est apparue plus fortement liée à l’IOG. À nouveau, le contexte professionnel dans lequel évoluent les participants explique
vraisemblablement ce résultat. À ce niveau, les
prestations offensives sont fortement valorisées, les
statistiques individuelles privilégient les actions de
jeu offensives au détriment des actions défensives. Or
ces statistiques sont souvent employées pour
analyser les prestations des équipes, des joueurs ou
des joueuses. Ce contexte social peut contribuer à
rendre plus saillantes les performances des équipes
en attaque et conduire les athlètes à les associer à la
qualité de fonctionnement de leur groupe sur le plan
opératoire (i.e., IOG).
À ce contexte social s’ajoute, dans cette étude, l’absence de prise en compte des performances antérieures des équipes. Si les passations ont été réalisées
en milieu de semaine, pour éviter l’influence du
résultat d’un match sur les perceptions des athlètes,
elles se sont déroulées entre le premier et le deuxième
tiers des championnats respectifs des équipes. Ces
dernières avaient donc enregistré un certain nombre
de victoires et de défaites. Les performances
Cohésion et efficacité collective 89
antérieures influençant les perceptions de cohésion
(par ex., Carron, Colman, Wheeler & Stevens, 2002) et
d’efficacité collective (par ex., Feltz & Lirgg, 1998),
elles ont pu influencer les relations entre ces deux
variables, voire accentuer la relation entre l’IOG et
l’ECA. En effet, une série de victoires pourrait conduire les membres d’une équipe à percevoir un haut
niveau de fonctionnement opératoire et une efficacité
collective élevée en attaque. Des recherches futures
devront donc contrôler les performances antérieures
afin de vérifier si celles-ci influent sur les relations
entre la cohésion et l’efficacité collective au sein
d’équipes professionnelles.
Dans notre échantillon, les résultats ont également
révélé que les perceptions de la cohésion et de l’efficacité collective étaient relativement similaires entre
les membres d’une même équipe professionnelle de
basket-ball. Ceci conforte la conceptualisation de ces
construits en tant que croyances partagées (Bandura,
1997; Carron et al., 1998; Carron & Brawley, 2000;
Zaccaro et al., 1995), dont des démonstrations empiriques ont déjà été fournies dans des études récentes
(Carron et al., 2002; Paskevich et al., 1999). Ces résultats ont également supporté l’hypothèse que le
groupe était le niveau d’analyse le plus approprié
pour étudier les relations entre la cohésion et l’efficacité collective au sein d’équipes professionnelles de
basket-ball.
Toutefois, si une proportion significative de la
variance dans les réponses aux questionnaires était
imputable aux équipes, une autre source de variation
existait au niveau individuel. Si le choix d’examiner
les relations au niveau du groupe se justifiait par la
nature interpersonnelle des variables étudiées, les
valeurs importantes des indices statistiques (i.e.,
rwg(j), ICC, η2) et la taille de notre échantillon, il reste
qu’en agrégeant les données, une proportion d’information apportée par les estimations individuelles de
la cohésion et de l’efficacité collective a été perdue
(Carron et al., 2002; Hoyle & Crawford, 1994). La
prise en compte de celle-ci supposerait l’utilisation
d’analyses multi-niveaux (cf., Castro, 2002; Kenny et
al., 2002; Moritz & Watson, 1998) qui nécessitent des
échantillons plus larges (Castro, 2002). Des études
futures devront recourir à un plus grand nombre
d’équipes professionnelles pour combiner les
niveaux d’analyse (i.e., individu vs. groupe) et examiner leurs effets d’interaction sur la relation cohésion-efficacité collective.
Le recours à un nombre plus élevé d’équipes professionnelles permettrait également de dissocier,
dans les analyses, les équipes masculines et féminines. Dans cette population, l’absence d’influence
du genre sur les perceptions de la cohésion ou de l’ef-
ficacité collective nous a conduit à analyser les données de manière globale. Toutefois, la probabilité que
les perceptions de cohésion soient influencées par le
genre était de ,09. Si, à notre connaissance, aucune
étude n’a montré d’influence du genre sur les perceptions de cohésion ou d’efficacité collective au sein
d’équipes sportives, la méta-analyse de Carron,
Colman et al. (2002) a indiqué que cette variable
affectait l’intensité de la relation entre la cohésion et
la performance. D’autres études apparaissent donc
nécessaires pour examiner plus précisément l’impact
du genre sur les relations cohésion-efficacité collective et leur intensité. De plus, la prise en compte
d’équipes professionnelles composées d’athlètes parlant la même langue permettrait de prolonger cette
étude en vérifiant si les relations observées ici peuvent être généralisées aux équipes professionnelles,
ou si elles ne caractérisent que les athlètes francophones des équipes étudiées.
Pour finir, les valeurs des indices statistiques,
employés pour justifier l’agrégation des données, ont
indiqué des niveaux de consensus et d’homogénéité
des réponses des membres d’un même groupe
généralement supérieurs à ceux obtenus par Carron
et al. (2002) ou Paskevich et al. (1999). L’effectif réduit
de notre échantillon ne permet pas de conclure si ces
résultats caractérisent les équipes professionnelles de
basket-ball ou s’ils sont spécifiques aux groupes
étudiés ici.
Toutefois, les équipes professionnelles rassemblent
des athlètes qui ont une bonne connaissance des
tâches à accomplir dans leur sport et une expérience
importante du fonctionnement collectif. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que les joueurs et les
joueuses professionnelles développent des perceptions plus fines, plus précises des propriétés de leur
équipe. Ceci se traduirait par une moins grande variabilité des réponses entre les professionnels d’un
même groupe. Dans cet échantillon, les athlètes pratiquaient le basket-ball depuis plus de 14 ans en
moyenne, étaient professionnels depuis cinq ans et
évoluaient dans leur équipe depuis plus d’un an et
demi. Au moment de la passation, ils ou elles avaient
une bonne connaissance des propriétés de leur
équipe telles que la cohésion et l’efficacité collective.
Des études comparatives entre équipes amateurs et
professionnelles permettraient de tester cette
hypothèse et de préciser si les groupes professionnels
se caractérisent par des niveaux plus élevés de consensus et d’homogénéité des perceptions individuelles de la cohésion et de l’efficacité collective.
Les correspondances concernant cet article peuvent être
adressées à Jean-Philippe Heuzé, UFR STAPS, Université
90 Heuzé, Raimbault et Masiero
de Reims, Bât. 5 ter, Chemin des Rouliers, BP 1036 , 51687
Reims cedex 2, France (Téléphone : 33 (0) 3 26 91 83 79;
courriel : [email protected]).
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Reçu le 13 novembre 2003
Révisé le 21 décembre 2004
Accepté le 7 janvier 2005