Combat pour la Paix n°498 - Culture : on ne naît pas noir, on le devient

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Combat pour la Paix n°498 - Culture : on ne naît pas noir, on le devient
Combat pour la Paix n°498 – Culture : on ne naît
pas noir, on le devient
Culture
Jean Louis Sagot-Duvauroux : on ne naît pas noir, on le
devient
« Deux familles, deux peuples se font la guerre. Il est temps de signer le traité de paix… »
C’est la conclusion du livre de Jean-Louis Sagot-Duvauroux. Il est optimiste et il voit partout les signes de cette paix possible, mais l’essentiel de son livre est consacré aux questionnements
sur les deux familles, leurs identités, leurs histoires sur lesquels il faut aller jusqu’au bout.
D’abord, dire qui est blanc, qui est noir, c’est une question essentielle et bien sûr, surprenante, que Jean Louis Sagot-Duvauroux pose dès le début de son livre. Bien sûr il y a la couleur de la
peau, mais l’identité d’un jeune noir de France n’a rien d’immédiat, elle est le produit d’une histoire, sociale, familiale, pleine de malentendus et de non-dits. Pour Jean-Louis Sagot-Duvauroux,
chercher les causes de « cette « sourde malédiction liée à une couleur presque partout synonyme de position subalterne », les obstacles qui empêchent d’arriver à dire « on dirait qu’on est les
mêmes », lorsque que l’un est noir et l’autre blanc.
C’est à éclairer ces questions qui touchent à l’identité que Jean-Louis Sagot-Duvauroux s’attache dans ce livre. Pour lui, cela oblige tout le monde, noir ou blanc, à aller très profond. « La
question est intime et oblige à sortir du prêt à porter idéologique ». Elle est aussi est en rapport avec une lourde histoire de domination.
L’auteur – français- qui a fondé une famille avec une malienne, aborde des thèmes multiples et surtout part de sa propre expérience personnelle et professionnelle d’animateur socio-culturel, des
histoires de ceux qu’il a rencontrés dans ce livre passionnant et foisonnant.
Je suis noir, je suis français, je suis malien ?
Pour un enfant français, né de parents maliens en France, quel casse-tête ! Quand un enseignant, voulant en toute bonne foi créer le dialogue et le respect de l’autre, lui demande de parler de sa
culture, il met en difficulté cet enfant qui ne connaît pas le Mali. Ses parents revendiquent pour lui sa « malianité» peu valorisante pour lui, comparée à la culture dominante occidentale.
Comment pourra-t-il se sentir citoyen français alors que ses parents n’ont jamais pu voter et qu’il sera victime de discriminations diverses du fait de la couleur de sa peau ?
Image d’ici et de là-bas : Yop chez les blédards
Comment s’y retrouver aussi avec les images stéréotypées d’ici ou de là-bas, véhiculées par les médias ou les familles. Les différences de développement entre le Sud et le Nord sont criantes,
certes mais « toute la misère du monde » opposée à l’Eldorado occidental, fait des dégâts. Notre société de consommation, « modèle mondial du bonheur », est source de frustrations pour ces
familles le plus souvent pauvres. Une illustration savoureuse de ce propos est donnée dans l’histoire de « Yop chez les blédards », réalisée par des jeunes dans un atelier animé par l’auteur.
C’est l’histoire du voyage d’un jeune envoyé au Mali par son père, son heureuse surprise de trouver une famille sympathique et de trouver « au bled » du Yop, le yaourt à boire dont il est friand
en France, et enfin sa résistance au complot familial pour le marier. Parmi les sujets évoqués, bien sûr, le choc des traditions familiales, source de conflits douloureux, mais aussi pour les
filles, des résistances et des solidarités, facteurs d’intégration pour refuser le mariage forcé ou la polygamie.
Le retour de la race – « Viva la muerte »
Cette difficulté croissante à trouver leur place dans cette société d’exclusion, aux repères brouillés, provoque un retour paradoxal à l’affirmation de la race. Puisque la « francité » est si
difficile à faire valoir, que « la société française n’a pas eu le courage de les reconnaître parmi les siens », certains jeunes revendiquent leur «blackitude », ou un Islam vengeur, réponse
parfois violente et suicidaire aux hypocrisies de la « démocratie impériale » occidentale. Ces dérives vers le communautarisme, sont de la même nature que les replis identitaires qui conduisent
au vote d’extrême -droite.
Et les politiques dans tout cela ?
Au fil des ans, des changements de gouvernement, les lois se sont durcies, entraînant une précarisation du statut des immigrés et de leurs enfants. Pourtant il y a maintenant des millions de
personnes concernées : comment vont vivre ces familles de la mondialisation, françaises et étrangères reliées par le sang ou par alliance, confrontées à des difficultés administratives pour
simplement visiter un parent. Pour Jean-Louis Sagot-Duvauroux, les politiques de gauche, y compris les communistes, ont parfois failli dans le domaine de la solidarité internationale au profit de
l’humanitaire, dont il se méfie… Mais, malgré les crises de la politique et de la citoyenneté dans notre société, l’auteur garde espoir. La mondialisation fait émerger de nouvelles pratiques
politiques et crée des bases pour une solidarité planétaire.
Conclure le traité de paix
Il est temps enfin de fonder une nouvelle histoire, de solder les comptes avec le colonialisme et l’esclavage, cette guerre mondiale de cinq siècles que l’on n’a pas nommée.. Elle a fait des
millions de victimes, et a nécessité pour l’Occident de créer la figure du «nègre » sous-homme dont on pouvait faire commerce, venant d’un continent dont l’histoire est presque complètement
inconnue encore aujourd’hui. De même que le travail de reconnaissance du crime a été fait pour l’holocauste nazi, il faut le faire avec cette guerre : reconnaissance des faits, travail de mémoire
et réparation des dommages.
C’est seulement après cela qu’on pourra bâtir la paix et Jean-louis Sagot-Duvauroux qui est optimiste, en voit partout les signes de cette paix possible, dans des solidarités, les rencontre. Il
croit au pouvoir de l’art et de la création qui permet à ceux de là-bas de trouver leur place et à ceux d’ici de mieux comprendre
Le temps du cousinage
Et c’est enfin, la paix établie, qu’on pourra vivre tous ensembles la « sinankuya », le cousinage souriant à la Malienne qui interdit le retour des coups…
Nicole Bouexel
« On ne naît pas noir, on le devient » un livre de Jean-Louis Sagot-Duvauroux
Editions Albin-michel – 232 pages – 16 euros