vers une logique globale et « coopere-active
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vers une logique globale et « coopere-active
LA MALTRAITANCE DES AINEES : VERS UNE LOGIQUE GLOBALE ET « COOPERE-ACTIVE » Pr. Sid ABDELLAOUI Université de Lorraine Expert près la Cour d’Appel de Rouen En France, comme dans de nombreux autres pays, développés ou en cours de développement, on estime à plusieurs dizaines de milliers par an les personnes âgées victimes de maltraitance ou à risque élevé d’en être un jour victime. La maltraitance des aînés englobe une large série de comportements, allant des remarques blessantes à la domination ou au contrôle des activités quotidiennes d’une autre personne en passant par de la négligence systématique. Sous sa forme la plus extrême, la maltraitance des personnes âgées peut causer des préjudices physiques graves à une personne ou mettre sa vie en danger. Bien souvent, c’est également l’équilibre de l’entourage qui se trouve impacté voire mis en danger, tant du point de vue des diverses conséquences (symboliques, affectives, matérielles,…) que sur les plans civil et pénal. Les simples citoyens, tout comme les décideurs, imaginent-ils précisément l’importance des coûts directs et indirects que peut représenter la maltraitance faite à l’encontre des personnes vulnérables. Il s’agit certes de soulever le problème de ce que cela coûte d’un point de vue économique avec toutes les dépenses que cela occasionne en terme de prise en charge thérapeutique, de réorganisation des services, de mobilisation des professionnels ou encore de procédures judiciaires et administratives. Toutefois, une autre dimension doit également faire l’objet d’une prise de conscience accrue concerne le coût en terme de dynamique de confiance et de caractérisation du lien social dans une société en perpétuelle mouvement. Compte tenu des pesanteurs et de la rigidité des regards et pratiques, tout laisse à penser que ce phénomène produit plus de bénéfices qu’il n’en retire à la société en général. Et pourtant, si l’on se penche un instant sur les plans psychique et psychosocial, il est admis de nombreux chercheurs que le fait de laisser une partie de la population vivre dans la crainte, la méfiance et/ou dans le sentiment d’insécurité à l’égard de celles et ceux qui l’entourent, génère inéluctablement de la souffrance jusqu’à des niveaux extrêmes de gravité. Celle-ci est quasi systématiquement combinée à une incapacité à se projeter et à participer à l’équilibre général d’un système qu’il soit familial, organisationnel ou social. Bien souvent, les auteurs maltraitants sont souvent des personnes qui ont vocation à aider, accompagner et également comprendre. Lorsqu’elles sont elles-mêmes des professionnels de la relation, du soin ou du médical, qu’elles doivent promouvoir des valeurs d’écoute, de respect et de considération, on ne peut alors que s’interroger sur les actions de formation et d’évaluation mises en place ainsi que les politiques mises en œuvre - ou leur efficience - en matière de prévention des risques de maltraitance. Outre la dimension économique et celle de l’équilibre et du bien-être social, c’est aussi la place de la dimension humanitaire dans notre système de représentations des personnes âgées qui doit être réinterrogée. Ceci est notamment relevé à la lumière des résultats 1 issus d’études scientifiques qui témoignent de la nécessité absolue de mettre en place divers dispositifs de prévention et d’accompagnement. Ces types de mesures sont nul doute parmi les seuls à pouvoir réellement contribuer à une diminution significative de ces actes, bien que ces derniers puissent être aussi bien répréhensibles que compréhensibles. Ainsi, ils sont précisément répréhensibles au même titre que n’importe quel autre acte délictuel ou criminel car il est évident que les principes que l’on retrouve dans bon nombre de lois sont bien trop souvent bafoués, niés ou dénigrés. Ils restent toutefois compréhensibles, car pour une grande partie des cas de figure, c’est une logique globale qui est à mettre en cause. En effet, la maltraitance s’élabore souvent de façon progressive et pernicieuse et se matérialise souvent par des actes non conscients et qui ne peuvent être compris que si l’on se réfère à une approche ou à une construction systémique. Ainsi, ce phénomène de la maltraitance ne pourra être rigoureusement traité qu’en s’attachant à le décrypter sous cet angle. Il doit donc nous inviter à devoir prendre conscience à la fois de la complexité des situations et de leur caractère multifactoriel et multiforme. La prévention ne se réduit pas seulement à une pratique ou un ensemble d’actions à mettre en place indépendamment d’une réflexion, d’un croisement des regards (sociologique, culturel, managérial, juridique,…). C’est aussi une science pluridisciplinaire qui doit œuvrer pour une compréhension fine de ce qui se joue et de ce qui doit permettre d’adapter efficacement les politiques de prévention, d’accompagnement des victimes et de formation. Aborder ce phénomène sous cet angle suppose l’implication de tous les acteurs, individuels, organisationnels ou institutionnels, susceptibles de faciliter l’identification des signes de maltraitances et des facteurs favorisants, la compréhension et l’analyser des mécanismes et logiques sous-jacentes. Sur ce point, bien qu’il soit urgent de réagir et d’agir, on ne peut que souligner toute politique visant à encourager, développer et soutenir la recherche scientifique dont les savoirs rigoureusement établis ne peuvent qu’enrichir, fonder et légitimer l’orientation des politiques et divers dispositifs idoines et notamment en matière de prévention, de formation et d’évaluation des actions menées. Outre ces préconisations, il convient également de compter d’une part sur la volonté de ces acteurs, qui passe nécessairement par un soutien des institutions mais avant tout par un esprit de coopération inconditionnelle et proactif. On comprend alors que la logique de partenariat que cela suppose nécessite le développement et la valorisation d’une culture commune qu’il convient de diffuser à l’ensemble des citoyens et la société et ce, quel que soit le niveau de relation ou d’implication concerné. Enfin, il est essentiel d’avancer avec un souci de vulgarisation et d’une diffusion sans état d’âme des informations juridiques et de ce qui est proposé ou en vigueur afin de pouvoir déjouer les attentes normatives et agir sur les discours et pratiques ambiants trop souvent complices des résistances au changement. Il va sans dire que le réseau des acteurs associatifs, qu’ils soient bénévoles ou professionnels, dont l’intelligence est de considérer que chaque maltraitance est une preuve d’incapacité à agir ensemble doit impérativement être largement soutenu et valorisé. La victime, ou le témoin, doit savoir qu’elle peut ne pas être seule dans son calvaire, qu’elle peut sortir de sa torpeur, de son mutisme ou de sa gêne et qu’une réponse globale peut être apportée. Cette perspective nouvelle est fidèlement reprise, affichée et incarnée par le réseau 3977 contre la maltraitance. Elle redonne de la complexité à la situation et permettra inéluctablement d’accroître les niveaux de conscience, de contrôle des mécanismes sous-jacents et d’efficacité en matière de lutte et de prévention de la maltraitance. 2