ciencias humanas 28novo.p65

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ciencias humanas 28novo.p65
Christian Mormont
Tatouage et piercing
Christian Mormont (Doutor)
Universidade de Liège - Bélgica
Tuiuti: Ciência e Cultura, n. 28, FCHLA 04, p. 311-319, Curitiba, mar. 2002
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Tatouage et piercing
Tuiuti: Ciência e Cultura, n. 28, FCHLA 04, p. 311-319, Curitiba, mar. 2002
Christian Mormont
Un idéal du monde moderne, idéal exprimé dans
la Déclaration des Droits de l´Homme, est l’égalité
des êtres humains entre eux. Que ce soit bien souvent
bafoué n’implice qu’il ne donne pas à bien des actes
sociaux une orientation Qui doit tout à cette éthique
de l’égalité et rien à la spontanéité de la nature. Que le
monde reste une jungle, que l’homme reste un loup
pour l’homme, révèle sans doute l’emprise de la
philogenèse sur chaque membre de l’espèce mais ne
trouve pas de justification de principe.
Je ne discuterai pas ici de ce que ce discours est très
largement originaire de l’occident chrétien, ni de la
crainte secondaire qu’il constitue un néo-colonialisme
moralisateur. Je ne m’attarderai pas davantage au niveau
de propositions générales et abstraire une fois que nous
aurons introduit en guise de lien dynamique, la notion
d’identité.
Je tenterai plutôt de voir en quoi l’exigence d’égalité
pourrait avoir à faire avec l’objet qui retient notre intérêt
aujourd’hui: le tatouage. Le rapport que j’évoque entre
ces deux faits apparemment étrangers l’un à l’autre
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paraîtra, je l’espère, moins arbitraire une fois que nous
aurons introduit en guise de lien dynamique, la notion
d’identité.
Mais revenons à la revendication collective, bien
que très partielle, d’égalité. Que signifie-t-elle
concrètement, sinon que les différences raciales, sociales,
culturelles, religieuses, les caractéristiques les plus le sort
de l’individu et les diverses appartenances de celui-ci
sont reléguées à l’arrière-plan en faveur de son
appartenance à l’humanité.
Toutefois, ce que l’on gagne ainsi en égalité et en
universalité, on le perd en identité personnelle, ce qui
ne peut pas être sans conséquence psychologique.
Si donc, dans un souci de progrès, on libère
l’homme des stigmates qui lui assignaient son destin, si
on lève des barrières et des limitations qui lui servaient
de guides, on le prive en même temps de repères
essentiels, et peut-être, dans certaines périodes ou états
des sociétés, cette évolution est-elle une révolution
génératrice, comme dit Durkheim, d’anomies: il n’y a
plus de règles claires de fonctionnement, plus de
chemins tracés vers des buts prévisibles. En bref, je
suggère que l’affirmation de l’égalité de tous les
hommes entre eux diminue la spécificité stable, c’està-dire, l’identité de chacun.
Cette réflexion introductive c’est inspirée par le
constant que le tatouage et le piercing refont surface
à un moment et dans les sociétés où l’identité possible
pour le plus grand nombre n’a pas de précédents
dans l’histoire, comme si le fait d’être déchargé du
poids de as caste, de as classe, de as couler, de son
hérédité entraînait un insupportable déficit identitaire,
au moins chez les plus inconsistants d’entre nous.
Mutatis mutandis, on pourrait évoquer de la même
manière l’explosion des nationalismes et des
intégrismes alors qu’enfin, les individus voient les
frontières territoriales s’estomper et la tyrannie aveugle
des religions s’affaiblir.
Le concept d’identité est complexe (Mormont,
1988-1989). L’identité qui possède une dimension
personnelle et une dimension sociale, se constitue par
un double mouvement de différenciation et de
spécification. Elle est faite de repères fixes qui, sur le
plan de l’organisation sociale par exemple, sont repris
sur la carte dite d’identité: nom, prénom, date de
naissance, sexe. Ces quelques informations suffisent
à désigner et à discriminer un individu dans son
groupe. Pratiquement, tout le reste peut changer sans
altérer cette identité.
Par ailleurs, l’identité n’est pas seulement connue,
elle est vécue; elle ne se résume pas à la connaissance
de as fiche signalétique. Celle-ci est faite de repères,
c’est-à-dire de signes, sur la base desquels se juge la
similitude entre deux objets distincts, entre moi et les
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autres, entre moi et une image, entre moi aujourd’hui
et moi hier. Le sentiment d’identité et l’expérience
subjective de cette similitude. A titre d’exemple, se sentir
homme ou femme n’est pas réductible à une féminité.
Ce qu’il est convenu d’appeler identité de genre relève
d’avantage d’une évidence phénoménologique que
d’une auto-définition cognitive. L’exemple permet de
comprendre que moins cette évidence est vécue, plus
l’individu aura recours à des béquilles identitaires
constituées par des signes ajoutés pour pallier le manque fondamental.
Sur un plan plus social, on peut prendre des
exemples analogues, comme l’appartenance à une classe ou à une culture; cette appartenance est un fait mais
n’est souvent même pas perceptible pour l’individu
qui fait partie du groupe ou de la culture, alors que
celui qui est étranger est frappé par les caractéristiques
singulières du groupe ou de la culture. Dans ce registre, celui que l’on qualifie avec dédain de “nouveau
riche” est celui qui possède un critère concret d’inclusion
dans le groupe des riches mais qui n’en présente pas
les autres caractéristiques. Ainsi commettra-t-il impairs
sur bévues lorsqu’il voudra prendre l’identité sociale
des membres de la classe ou de la culture dans laquelle
il veut entrer en en apprenant maladroitement les
signes, les rite. Ou plus souvent encore en croyant
naïvement les connaître et les pratiquer.
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Nous en viendrions à dire que moins quelqu’un a
un vécu identitaire solide, plus il est enclin à discourir
sur l’identité qu’il revendique et à recourir à des renforts
identitaires, c’est-à-dire à des ajouts, que, par leur
contenu et leur durabilité, ont marqué une
appartenance ou une unicité sans cela insuffisante.
Pour des raisons qui sont loin d’être claires – fautil y voir la rémanence du rôle des coordinations
perceptive-motrices Qui règlent l’instinct animal -,
beaucoup de cultures ont recouru au tatouage, à la
scarification et au piercing afin d’inscrire de façon
indélébile sur le corps même des individus le signe de
leur appartenance au groupe et aussi des facteurs de
prestige et de séduction. De telles pratiques archaïques
nous laissent perplexes tant par leur cruauté habituelle
que par leurs effets mutilants ou déformants, et il semble
aller de soi que leur abandon est un essai et un moyen
de civilisation.
Mais ce qui est, tout compte fait plus étonnant,
c’est de voir régresser tant d’individus de nos sociétés
vers de telles conduites barbares et symboliquement
pauvres.
Et ici convient-il sans doute de distinguer piercing
et tatouage.
Si les quelques études empiriques qu’il m’a été donné
de consulter n’infirment pas certaines opinions
classiques concernant le rôle du groupe, en particulier
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chez les adolescents en quête d’identité (Bezaury et Moron,
1983; Coe et al., 1993; Grumet 1983; Houghton et al.,
1996; Martin 1997), il apparaît dans la société en général
que le phénomène déborde les cadres traditionnels (Bekhor
et al., 1995; Garcia San Cornelio, 1987; Loimer et Werner,
1992; Taylor, 1974) pour se rencontrer de plus en plus
fréquemment chez des personnes prestigieuses comme
des vedettes du cinéma, de la chanson, du sport, personnes
que l ‘on pourrait croire rassurées sur leur identité et
suffisamment capables de projeter dans l’avenir les
conséquences de ces dermographismes, mais aussi les
femmes (Armstrong, 1991) moins exposées, dans notre
culture, aux pratiques du tatouage. Et c’est peut-être ici
que pourraient s’appliquer nos réflexions initiales sur la
minimisation des stigmates “innés”, engendrant une
carence en repères identitaires, carence compensée à son
tour par la fabrication de repères artificiels: les tatouages
(Coudrais, 1988).
Comment comprendre qu’un tatouage puisse jouer
ce rôle de défense contre l’angoisse identitaire?
Le piercing a toujours persisté sous la faim d’un vestige
culturellement intégré et corporellement anodin
(percement des oreilles chez les petites filles de toutes classes
sociales). Par contre, son émergence sous des formes plus
saugrenues semble devoir beaucoup au milieu
sadomasochiste homosexuel (Moser et al., 1993; Myers,
1992; Buhrich, 1983). Si nous en restions au plaisir pervers
trouvé dans la douleur par une infime minorité
d’individus, le fait n’aurait pas d’autre intérêt que d’illustrer
des conduites érotiques déviantes. On ne voit pas bien
comment comprendre autrement le piercing des seins,
du clitoris, des grandes et des petites lèvres chez la femme,
du prépuce ou du gland chez l’homme... et les jeux qui en
dérivent. A l’inverse, la multiplication modérée des trous
dans les oreilles voire l’imitation des femmes hindoues
par le percement de l’aile du nez, bien que quelque peu
énigmatiques ne semblent pas procéder d’une perturbation
particulière ou déterminée. Ces pratiques sont d’ailleurs
le fait de filles et de garçons éventuellement assez
conventionnels et qui ne sacrifient guère plus à la mode
par ce piercing soft qu’ils ne le feraient en portant des
jeans ou jadis des corsets trop étroits ou des souliers
inconfortables.
Notons cependant au passage que le port de boucles
d’oreilles par les garçons avait disparu, probablement
depuis le XVII ème siècle, et est réapparu en même temps
que le goût pour l’ornementalisme naïf des hippies “peace
and love” des années ’60 – 70 d’une part, et d’autre part en
cette époque de libération sexuelle, comme expression
ostensible d’une mignardise homosexuelle prompte à
l’efféminement. L’extension dans les milieux toxicomanes
n’a pas tardé et il fut un temps où, selon, que l’on portait
une boucle d’oreille à gauche ou à droite, on indiquait
que l’on était homosexuel ou toxicomane. L’adoption
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par les délinquants classique n’a été possible qu’après que
ces pseudo super-mâles ait gommé au plan conscient la
connotation homosexuelle de la boucle d’oreille, donnant
dès lors en toute tranquillité une satisfaction acceptable
aux tendances homosexuelles latentes dont ils ne sont que
très rarement dépourvus. La banalisation actuelle du port
de la boucle d’oreille chez les hommes n’en évacue pas
complètement la signification qui est de l’ordre, me
semble-t-il, d’une certaine afféterie narcissique: il s’agit en
effet d’une ornementation dont certes chacun peut juger
de l’effet séduisant, mais qui est délibérément choisie par
un individu parce qu’elle accroche un appendice
supplémentaire à l’image de soi.
Ces considérations valent probablement pour le
piercing en général, mais coïncident surtout avec la
catégorie “légère” que nous évoquions, en opposition
au piercing pervers.
Mais entre ces deux catégories, il en existe une
troisième et qui, sans inclure nécessairement des
conduites révélatrices d’une perversion sadomasochiste
(et peut-être d’autres troubles graves de l’identité
personnelle et sociale), dépassent ce Qui s’expliquerait
par une forme de coquetterie. Il s’agit du piercing de la
langue, des lèvres, de l’arcade sourcilière, du cuir chevelu,
de la cloison nasale, etc.
Personnellement, je ne vois guère d’explication à
proposer à ce type de piercing, sinon qu’il semble constituer
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une source continue de sensations et qu’une telle assuétude
aux sensations est, au plan psychologique, fréquemment
associée à des troubles de personnalité, eux-mêmes
accompagnés de troubles de l’identité.
Il faut dire aussi que ce genre de piercing suscite chez
beaucoup de congénères “normaux” des réactions
d’étonnement, d’evitement, de dégoût, de peur ou de
rejet. Ces réactions atteignent leur comble face aux
individus littéralement ferrés et reprennent à leur compte
la dialectique de la provocation et du rejet qui avaient
initiée avec tant d’éclat les punks des années ‘70 – ‘80.
Quelles carences ou quels troubles narcissiques sont
nécessaires pour que l’intégrité de l’enveloppe corporelle
ne soit pas une priorité? Pour que la douleur ou même la
gêne ne soient pas rédhibitoires ? Pour que, chez l’autre,
soit préférée la peur à l’attrait, le rejet à l’approche ? La
défense contre l’angoisse de dépersonnalisation,
d’inconsistance, amène-t-elle à payer un tel prix ? Le tatoué
cherche-t-il à se donner une enveloppe identifiante alors
que par le piercing, il s’agirait d’avantage de démontrer à
autrui que celui-ci ne peut avoir aucune emprise sur un
corps que le moi a déjà sacrifié? Et quelles questions cela
pose-t-il à notre monde apparemment si peu apte à
trouver un juste milieu entre la libération de toutes les
contraintes aliénantes (exigence d’égalité) et la valorisation
des engagements, des choix, des renoncements qui sont
en mesure de donner à l’individu un cadre et un sens.
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