La mémoire de la parole

Transcription

La mémoire de la parole
La mémoire de la parole
Je ne me souviens pas du village dévasté où je me trouvais. Je ne me souviens pas
de la couleur du ciel, ni du temps qu'il faisait. Je ne me souviens pas avoir vu de
soldats debout. Je ne me souviens pas avoir vu de soldats vivants.
Je ne me souviens pas d'un soldat couché, au sol. Je ne me souviens pas de
l'uniforme qu'il portait. Je ne me souviens pas de la couleur de sa peau. Je ne me
souviens pas s'il était jeune ou âgé. Je ne me souviens pas de la forme de ses yeux ni
de celle de sa bouche. Je ne me souviens pas de son nez emporté par une rafale de
mitraillette. Mais je me souviens du tremblement de sa main, alors qu'il était mort.
Maëva et Charline
Je ne me souviens pas de tous les soldats qui ont fait don de leur vie à notre
pays. Je ne me souviens pas de toute la violence ni des morts de cette guerre. Mais je
me souviens de cet homme, cet homme avec un casque sur la tête et un fusil à la main.
Je me souviens qu'il courait après la mort, pour sauver son pays. Je me souviens de
cet homme percuté par un obus, de ses restes éparpillés...
Antoine
Il y a des mots qui font vivre
Des mots qui déchirent le silence
Le mot parole le mot muet
Le mot murmurer et le mot chuchoter
Le mot crier et le mot hurler
Le mot bégayer et le mot chanter
Ajoutons-y pleurer
Les soldats qui sont morts nous ont laissé leur vie
Tutoyons-les pour qu'ils puissent reposer en paix
Grâce à eux nous avons été vainqueurs
Tutoyons-nous pour qu'ils soient vivants au fond de notre cœur
Céline
Aujourd'hui, on a reconstruit les villages
On a enlevé les pierres et les briques
On a enterré les dépouilles des soldats
On a repeint les façades
On a chanté
On a dansé
On a tout recommencé
Mais on n'a rien oublié.
Audrey et Erwan
Un homme est parti qui n'avait d'autre choix
Que partir ou mourir
Un homme est parti qui n'avait d'autre route
Que celle où l'on tue pour ne pas être tué
Un homme est parti qui continue la lutte
Contre la mort contre la peur
Car tout ce qu'il veut nous le voulons aussi
Nous le voulons aujourd'hui
Que cesse la terreur
Pour la fraternité
Et la paix sur terre
Manuel
Le silence. Enfin. Pas de cris d'horreur. Pas de larmes. Pas de détonations ni
d'explosions. Juste... du silence. Qu'est-ce que j'aurais donné pour voir ma fille
s'avancer vers moi, me prendre la main et m'annoncer que tout ça n'était qu'un rêve.
Son rire était gravé au plus profond de mon âme. Le rire. Le sourire. Des choses qui
nous étaient devenues inconnues depuis le le début de la guerre. Un cri perçant brisa
le silence. Encore un homme mort. Encore une famille brisée. Je levai les yeux vers le
ciel, c'était une assez belle journée, il faisait soleil. Je fermai les yeux pour sentir le
vent me caresser le visage et m'ébouriffer les cheveux. Je relus pour la troisième
fois de la journée la lettre de ma femme qui me disait que tout allait bien et que je
rentrerais bientôt. C'était faux. Tout n'allait pas bien à en juger par les traces de
larmes séchées sur la lettre et... Je ne rentrerai pas bientôt. Peut-être même que je
ne rentrerai pas.
Jeanne
La mémoire inscrite dans le paysage
Paysage écorché, blessé par son histoire.
La plaie présente en ce lieu, est et demeure ouverte.
Manuel
Mon amie, la plage, je ne te connais pas. Toi qui nous accueilles l'été pour nos
vacances, sans rien nous demander en retour. Toi qui caches ta souffrance en
recouvrant d'une vague éclatante ton immense cicatrice. Tu as été poignardée, tu as
reçu tant de coups que ta plainte court, tous les soirs, entre les dunes. Peut-être que
panser ta blessure ne te suffit pas. Les mouettes te questionnent et admirent ta
façon de cacher, à ceux qui te rendent visite, ton passé douloureux.
Coralie
L'écume a un goût amer,
Je dirais même, un goût de sang
Charline
La terre est malade, la terre est blessée
La terre a mal, le terre souffre
La terre crie, la terre saigne
La terre demande de l'aide
La terre n'est pas entendue
La lumière l'empoisonne
Le vent l'étouffe.
Erwan
Sous mes pieds, la terre.
Ma terre. Notre terre.
Cette terre qui a vécu tant d'horreurs et de souffrances.
Quand elle voit les touristes, elle voit les soldats.
Quand elle voit la mer, elle voit le sang.
Quand elle entend les ballons des enfants, elle entend les balles qui sifflent.
Elle aimerait tant oublier ce qu'elle a vu.
Mais elle ne le peut pas.
Et elle ne le pourra jamais.
Jeanne
Les tombes
Cimetière
Champ de pierres
Lieu de rendez-vous
Jardin où poussent les souvenirs
Lieu de paix et de partage
Où le silence est roi et la mort est reine
Cassandre
A quoi servent les tombes ?
Elles servent aux morts, mais aussi aux vivants
Aux morts qui se rappellent aux vivants
Aux vivants qui se rappellent aux morts
Elles servent aux morts pour se cacher
Mais aussi aux vivants pour les trouver
Romain
Dans un jardin de larmes, de chagrin,
Les pensées voyagent.
Entre qui ? Par quels moyens ?
Un dialogue,
Une conversation entre morts et vivants.
Des paroles transmises par le vent, les larmes,
Intermédiaires de ces deux mondes.
Charline
Quand on est triste de l'intérieur, on se meurt
Alors ce vivant, au milieu du cimetière, est presque mort, au dehors
Il venait pour des retrouvailles
Il y trouva des sensations, des émotions
Au milieu de ce champ de tombes, il n'en vit aucune
Mais seulement son ami perdu
Ni l'un, ni l'autre ne se parlèrent mais ils se comprirent
Romain
Le blanc, le noir
Le soleil, la pluie
La mer, la neige
Le sourire, les larmes
Le souvenir, l'oubli
La vie, la mort
Que s'est-il passé ?
Je ne suis plus qu'une pièce de marbre
Pourquoi tout ça ?
Le vent emporte ma plainte jusqu'à lui...
Se souvient-il de moi ?
Je ne le vois pas mais je l'entends qui vient vers moi
Dans ce jardin de larmes, nous essayons de nous rejoindre
Malgré le temps qui nous a séparés...
Coralie
Je suis venu leur rendre hommage.
Mais je reste immobile, dans l'ombre.
Je ne mérite pas d'être sous la lumière du soleil
Comme ceux qui sont morts dans les combats pour notre liberté.
Nathan
Pierres glacées aux ombres de lumière, dans un jardin de larmes éternelles,
Ici les morts sont vivants et les vivants sont morts.
Dans cette immensité de croix blanches, il n'y a que paix et tristesse.
Océane
La Libération
On nous avait tout pris, nos maisons, nos écoles, nos vies.
Nous étions désespérés.
Un jour, nous entendîmes du bruit dans la rue. Nous sortîmes et, pour notre plus
grande joie, nous les vîmes, les Américains, nos sauveurs. Ils venaient pour nous !
Pourquoi ? Ils ne nous connaissaient pas ; ils risquaient la mort pour nous. Ce jour
était magique, si beau que je n'arrivais pas à respirer. Le ciel était bleu, lumineux,
resplendissant. Les gens criaient de bonheur, pleuraient de joie. Je n'en croyais pas
mes yeux. Pourtant ce n'était pas un rêve, c'était réel !
Théo
Nous avons levé nos bras,
Nous avons pleuré,
Nous avons tout simplement
recommencé à vivre.
Coralie
Ils sont arrivés, bien armés,
Ils sont venus nous sauver,
Ils sont morts pour nous protéger,
Alors que nous leur étions étrangers.
Mais nous les avons acclamés ensemble,
Nous avons pleuré de joie, il me semble.
Ils ont déambulé dans nos rues,
Ce jour-là, on a su que rien n'était perdu.
Car, pour nous, ils sont venus,
Pour nous, l'horreur, ils l'ont vue,
Pour nous, ils ont combattu,
Et pour nous, ils ont vaincu !
Morgane
On a pris leur maison,
Leur nourriture
Leur dignité
Et leurs amis
On leur a tout pris
Pourtant aujourd'hui,
L'espoir renaît
Retrouver la liberté
Retrouver sa dignité
Ne plus être contrôlé, humilié
Ne plus devoir baisser la tête
Et maintenant faire la fête
Et applaudir les soldats
Qui les ont libérés de cette vie-là
Acclamons-les, les occupants sont partis
Acclamons-les, ils ont changé nos vies
Remercions ceux qui ne nous connaissaient pas
Remercions ceux qui n'étaient jamais venus
Remercions ceux qui ont tout perdu
Pour nous
Manuel