Exposition des animaux et produits animaux aux radiations

Transcription

Exposition des animaux et produits animaux aux radiations
Rev. sci. tech. Off. int. Epiz.,
1988, 7 (1), 25-37.
Exposition des animaux et produits animaux
aux radiations.
Surveillance, contrôle des échanges commerciaux
aux plans national et international
J.A. MORRIS *
Résumé : Les principales sources de rayonnements sont identifiées et une
indication de leur équivalent de dose efficace est donnée. Les différentes voies
d'exposition aux radiations ionisantes sont discutées en même temps que leurs
effets moléculaires, biologiques et cliniques sur le bétail.
Les exigences, buts et stratégies des plans de surveillance sont envisagés,
ainsi que ceux des programmes de contrôle mis au point pour les appliquer.
Une attention particulière est portée au rôle joué par les plans de surveillance
et les programmes de contrôle dans la détermination de la nature et de la
distribution des retombées de radionucléides dans différents pays, provenant
de la traînée de radioactivité libérée au moment de l'accident de Tchernobyl.
Les mesures de protection prises par les pays pour contrôler l'entrée des
radionucléides dans la chaîne alimentaire humaine après l'accident de Tchernobyl
et leurs effets sur le commerce national et international sont rapportés.
MOTS-CLÉS : Animaux domestiques - Contamination - Environnement Produits animaux - Radiations - Radio-isotopes - Santé publique.
INTRODUCTION
Les événements récents de Tchernobyl ont fortement attiré l'attention sur les effets
des rayonnements sur les animaux et sur la contamination radioactive de leurs
productions. En 1959, l'OIE avait étudié les conséquences de l'énergie nucléaire sur
les activités des Services Vétérinaires. A cette époque, les essais atmosphériques d'armes
nucléaires se poursuivaient et des dépôts de composés radioactifs produits par ces
essais avaient lieu dans la plupart des régions du monde, sinon dans toutes. L'accident
du réacteur nucléaire de Windscale, au Royaume-Uni, venait d'avoir lieu. Les accidents
d'installations nucléaires telles que Three Mile Island aux Etats-Unis et Tchernobyl
en URSS étaient encore à venir. A cette époque, l'opinion publique était largement
consciente du pouvoir destructeur de l'énergie nucléaire dont elle ne connaissait
probablement pas aussi bien les utilisations pacifiques. L'emploi de l'énergie nucléaire
pour produire de l'électricité n'en était qu'à ses débuts. Les données concernant les
effets biologiques des radiations étaient rares et l'opinion publique était peu sensibilisée
aux effets à long terme de doses faibles.
* Chef du Département de Biochimie, Laboratoire Central Vétérinaire du Ministère de l'Agriculture,
des Pêches et de l'Alimentation, New Haw, Weybridge, Surrey KT15 3 N B , Royaume-Uni.
26
A l'époque de la réunion de 1959, le niveau annuel maximal de radiations toléré
pour l'homme était de 50 millisieverts (mSv) ; depuis 1931, où il était de 728 mSv
par an, il avait régulièrement baissé (Tableau I). De nos jours, une dose annuelle
de 5 mSv est acceptée dans quelques pays et la Commission Internationale de
Protection Radiologique (CIPR) a maintenant recommandé que les doses permises,
toutes sources confondues, pendant toute la durée d'une vie (en excluant la
radioactivité naturelle et les usages médicaux), n'excèdent pas en moyenne 1 mSv
par an.
TABLEAU I
Système International d'Unités
Grandeur
mesurée
Unité
et symbole
Autres unités
du SI
Activité
Becquerel
(Bq)
Gray
(Gy)
Sievert
(Sv)
s-
Dose
absorbée
Equivalent
de dose*
1
Jkg-
1
Jkg-
1
Ancienne
unité
Facteur de
conversion
11
1 Bq = 2,7 X KT- Ci
Curie
(Ci)
Rad
1 Gy = 100 rad
Rem
1 Sv = 100 rem
* Equivalent de dose = Dose absorbée x facteur qualitatif lié au type de rayonnement.
Facteur qualitatif = 1 pour les particules bêta et les rayonnements gamma et X.
Facteur qualitatif = 20 pour les particules alpha.
Les Services Vétérinaires ont un rôle essentiel à jouer pour protéger le public,
autant qu'il est raisonnablement possible de le faire, de l'exposition aux
contaminations radioactives par les animaux et leurs productions.
Ce rapport étudie successivement :
1. Les effets des radiations sur les animaux.
2. Les plans de surveillance.
3. Les procédures de contrôle.
4. Les effets des mesures de protection sur le commerce national et international.
EFFETS DES RADIATIONS SUR LES
ANIMAUX
Radioactivité naturelle
Une exposition continue à une radioactivité naturelle de base a lieu pendant toute
l'existence et provient de quatre sources principales : rayonnement cosmique,
irradiation gamma externe en provenance de la croûte terrestre, irradiation interne
par les radionucléides présents dans les tissus et radon inhalé ainsi que ses produits
de décroissance (Tableau II). Le rayonnement cosmique est relativement constant
en un lieu donné, mais peut varier quelquefois à l'occasion d'explosions solaires. Des
variations plus fortes sont liées à la latitude et à l'altitude. L'irradiation externe par
les radio-isotopes de longue période présents dans les roches et les sols varie
27
considérablement selon le contenu radioactif des matériaux et la géologie locale. De
faibles quantités de radionucléides naturels sont présentes dans les aliments et l'eau :
ce sont elles qui sont responsables de l'irradiation interne du corps. Le radon et ses
produits de décroissance proviennent surtout des dérivés du radium-226 dans le sol
et les matériaux de construction.
TABLEAU I I
Moyenne annuelle des équivalents de dose efficace provenant de
rayonnements d'origine naturelle au Royaume-Uni (22)
Source
mSv
Cosmique
Rayonnement gamma terrestre
Produits de décroissance
du radon
Autres rayonnements internes
0,31
0,38
Total
0,80
0,37
1,86 mSv
Les doses de rayonnements provenant de sources différentes se cumulent. Outre
la radioactivité de base, les animaux peuvent être exposés à la radioactivité provenant :
1. d'une activité humaine (centrales électriques nucléaires, hôpitaux, etc. ) ;
2. d'une irradiation médicale (radiographie pour fractures, etc.) ;
3. d'une exposition accidentelle (accidents dans des centrales nucléaires).
Le Tableau III donne la liste des doses annuelles moyennes reçues par la population
du Royaume-Uni. Ces valeurs ont été fournies en 1981 par le «National Radiological
Protection Board» (NRPB) qui est une autorité centrale de référence créée par le
Parlement du Royaume-Uni en 1970.
TABLEAU III
Dose annuelle moyenne reçue par la population du Royaume-Uni
Source
mSv
Naturelle
Médicale
Travail
Fuites
Retombées
Divers
1,860
0,500
0,009
0,003
0,010
0,008
Total
2,390 mSv
28
L'exposition aux radiations naturelles (1,86 mSv) domine toutes les autres, les
actes médicaux (0,5 mSv) étant la principale source artificielle d'exposition pour la
population dans son ensemble. Toutes les autres sources n'ont qu'une importance
très faible.
Dans les conditions normales d'élevage, la dose cumulée est largement inférieure
aux seuils de sécurité internationalement acceptés pour l'homme. En temps de paix,
il est vraisemblable que seule une exposition accidentelle pourrait mettre en péril la
santé animale ou la sécurité de leurs productions.
Effets subcellulaires des rayonnements
Les rayonnements produisent des dommages en transférant aux cellules-cibles
l'énergie émise, sous forme de particules alpha et bêta ou de rayonnements gamma,
par les noyaux des atomes radioactifs lors de leur désintégration. Dans les cellulescibles, les molécules absorbent cette énergie et subissent une ionisation et/ou une
excitation (10). L'ionisation peut conduire à la production de radicaux libres qui ont
une très forte réactivité chimique. On considère que ces phénomènes d'ionisation sont
la cause principale des effets des radiations sur les tissus vivants, mais le rôle de
l'excitation dans l'induction des troubles biologiques n'est pas clairement compris.
L'effet direct et indirect des rayonnements sur des molécules aux propriétés
biologiques altérées produit la gamme étendue des effets biologiques observés chez
les organismes vivants après irradiation. Au niveau moléculaire, l'ionisation peut
endommager des macromolécules telles que les enzymes, l'ARN et l'ADN et interférer
avec des voies métaboliques, ce qui peut à son tour endommager les membranes
entourant le noyau cellulaire, les mitochondries et les liposomes, par exemple. Au
niveau cellulaire, cela peut conduire à l'inhibition de la division cellulaire, à la mort
des cellules et à leur transformation en cellules cancéreuses. La destruction de systèmes
tels que le système nerveux central, la moelle osseuse et le tractus intestinal peut
conduire à la mort de l'animal.
La quantité et la qualité des désordres biologiques dépend de la chimie des
radionucléides impliqués, de la dose de rayonnement, de la vitesse d'administration
et de la distribution de la dose dans les tissus. La taille, l'état physiologique et l'âge
de l'animal, de même que les conditions d'environnement sont, tous, des facteurs
importants qui peuvent modifier l'intensité des lésions provoquées par les
rayonnements (1, 6, 10).
Exposition externe
L'irradiation des animaux peut provenir de sources externes ou internes ou des
deux. La principale source externe est l'irradiation gamma par les dépôts de radioisotopes. Si les animaux vivent en plein air, ils peuvent aussi recevoir des irradiations
localisées bêta et même alpha de la peau par des particules de retombées chutant sur
le pelage, la fourrure ou la peau ou bien y adhérant.
La dose nécessaire pour tuer 50 % d'un groupe d'animaux exposés en 60 jours
est désignée D L
(2 , 3 , 9 , 31). Selon la plupart des études, la dose en question
est reçue dans les quatre premiers jours d'irradiation (1, 4, 9, 19). Le Tableau IV
résume la sensibilité relative des animaux à l'irradiation. Les volailles sont plus
résistantes que les ovins ou les bovins (4).
5 0 / 6 0
29
TABLEAU I V
Dose létale moyenne (LD ) 60 jours après l'exposition
d'animaux d'élevage à des rayonnements gamma seuls (externe)
et en association avec une irradiation bêta (externe + interne)
50
Exposition gamma totale (Sv)
Corps entier
Corps entier + peau
+ tube digestif
Bovins
Moutons
Porcs
Chevaux
Volailles
5,0
4,0
6,4
6,7
9,0
1,8
2,4
5,5*
3,5*
8,0*
D'après Bell, Sasser et West (4).
* Estimations fondées sur l'anatomie, les modes de pâturage et la physiologie des espèces.
Les symptômes précoces comportent une forte diminution des plaquettes
sanguines, entraînant la perte de sang dans les espaces intercellulaires et à partir des
tractus respiratoire et gastro-intestinal, par défaillance de la coagulation sanguine
(2, 11). L'augmentation de la perméabilité capillaire contribue également à la perte
de cellules sanguines, de plasma et d'electrolytes. On peut aussi observer des
leucopénies accompagnées de fièvre et d'invasions bactériennes (4, 11, 23). Si la
quantité de rayonnement est inférieure à la dose létale, la plupart des animaux sont
capables de guérir de leurs troubles. Une exposition plus grave est accompagnée d'un
syndrome gastro-intestinal (diarrhée par perte des cellules de la muqueuse) (32) et,
dans quelques cas, un syndrome cérébral lié à des lésions du tissu nerveux (1, 24)
peut également survenir. Parmi les animaux présentant ces symptômes, les survivants,
s'il y en a, seront peu nombreux. En ce qui concerne l'état de santé général des grands
animaux, les conséquences d'une irradiation gamma seront ordinairement plus graves
que les effets d'une irradiation bêta par des isotopes déposés dans l'environnement
(2, 3). Néanmoins, il peut arriver que les doses de rayonnements bêta provenant des
retombées sur les pâturages soient suffisantes pour produire des lésions des zones
sensibles de l'animal, telles que les muqueuses de la mamelle, des yeux, du nez et
de la bouche (7). Des lésions cutanées par irradiation consécutive à des retombées
ont été observées chez des bovins exposés à Alamogordo (Etats-Unis) en 1945 (8).
Ces lésions se sont manifestées sous forme de brûlures thermiques. Chez quelques
animaux, des carcinomes squameux de la peau, sur les zones lésées par les
rayonnements, sont apparus 15 ans après l'exposition (8).
Exposition interne
Les sources internes de rayonnements proviennent de la consommation d'herbages
contaminés et de l'inhalation de radionucléides. Les émetteurs alpha et bêta inhalés
irradient la muqueuse pulmonaire, tandis que les émetteurs gamma irradient le corps
entier.
L'ingestion d'herbages contaminés entraîne l'exposition du tube digestif.
Relativement peu de radionucléides sont absorbés au cours de la digestion ; ainsi,
la majeure partie de la radioactivité traverse le tractus gastro-intestinal sans pénétrer
30
dans le sang (15, 16, 17, 28). Pendant le transit, il peut y avoir irradiation de la paroi
intestinale par les particules bêta, et de tout l'organisme par les rayonnements gamma
(4, 26, 32). Les lésions du tube digestif sont fonction de la radiosensibilité spécifique
de chaque tissu exposé, des concentrations de radioactivité aux différents points de
l'intestin et de la durée du transit (5). Le rumen et l'abomasum sont les organes les
plus délicats : dans les cas expérimentaux où des lésions aiguës étaient localisées dans
ces organes, aucune lésion macroscopique du gros intestin n'a pu être observée (4).
La faible quantité de radionucléides qui pénètre dans le torrent circulatoire peut
être distribuée dans tout l'organisme ou rester localisée dans des tissus spécifiques,
en fonction de leurs propriétés chimiques et de leur métabolisme (15, 25, 27, 28).
Des recherches sur le métabolisme du césium-137 chez des vaches laitières (25) ont
montré qu'il est largement distribué dans l'organisme et se comporte comme le
potassium. Les nucléides du césium vont donc dégager une dose efficace d'irradiation
corporelle totale et leurs effets seront similaires à ceux d'une dose d'irradiation de
tout l'organisme provenant d'une source externe. L'iode-131 se comporte comme
l'iode stable et se concentre dans la thyroïde. Par conséquent, ce tissu recevra des
doses de rayonnements bien plus fortes que tout autre tissu de l'organisme et sera
plus vraisemblablement lésé après ingestion d'iode-131 par des moutons ou des vaches.
La toxicité aiguë de l'iode-131 a été étudiée chez les ovins et chez les bovins (18, 21).
Les résultats sont résumés dans le Tableau V. La glande thyroïde du mouton est plus
sensible que celle de la vache, mais il faut des doses s'élevant à des dizaines de Sv,
apportées selon un débit de dose de 10 Sv par jour, pour produire une lésion même
modérée. Or, une lésion peu importante des glandes thyroïdes des ovins et des bovins
n'a que des effets limités et temporaires sur leur état de santé général. Des bovins
ayant reçu des doses suffisantes pour détruire leurs glandes thyroïdes ont néanmoins
survécu et sont restés fertiles, mais leur production lactée a diminué de plus de moitié
(18).
TABLEAU V
Effets de l'irradiation de la glande thyroïde de bovins par l'iode-131
Dose (Sv)
Débit de dose par jour Effet
300
15
700
30
2 000-3 000 100-150
Aucun effet observé
Légère hyperplasie des follicules
Nécrose étendue de la thyroïde, myxœdème mais
pas de troubles hématologiques. Diminution de la
production lactée. Pas d'altération de la fertilité
D'après Garner, Sansom, Jones & West (18).
Les animaux sont beaucoup plus sensibles aux rayonnements provenant de sources
associées (par exemple, une source externe, un dépôt sur leur peau et des radio-isotopes
ingérés) qu'à ceux provenant d'une source unique (par exemple, irradiation de tout
l'organisme par une source externe) (Tableau IV).
Effets sur la reproduction
Les performances de reproduction des bovins exposés à la première bombe
atomique à Alamogordo (Etats-Unis) n'ont pas été affectées. L'étude des performances
31
de reproduction de génisses exposées à une dose de rayonnement de 2-4 Sv n'a montré
aucune perte à long terme des performances de reproduction chez les survivantes,
8 ans après leur irradiation (8). Pour stériliser des femelles, il faudrait appliquer,
directement sur les ovaires, des doses supérieures au double de la dose létale (12, 13).
Une étude des effets de l'irradiation corporelle totale (4-8 Sv) sur la production de
sperme chez des taureaux, verrats, lapins et rongeurs n'a pas apporté la preuve que
cette irradiation induisait une stérilité permanente (1). Plusieurs études de longue durée
ont recherché chez la souris les effets à terme de doses faibles (28, 29). L'une de ces
études a porté sur 55 générations successives de reproducteurs mâles dont chacun
a reçu une dose aiguë de 2 Sv (28). En comparant la durée de leur fertilité et la taille
de leurs portées sevrées avec celles d'un groupe témoin non irradié, on n'a trouvé
aucune différence significative. Pendant la gestation, l'embryon est très sensible aux
rayonnements au stade de la formation des bourgeons des membres. Chez les vaches,
ce stade correspond aux 32 -34 jours de gestation et, chez les brebis, aux 22 -24
jours (14, 20). Lorsque des femelles gestantes sont irradiées par 1 Sv ou plus à ce
moment de leur gestation, un pourcentage élevé de leurs produits présente des
malformations osseuses (14, 20).
e
e
e
e
Des doses de radioactivité suffisantes pour mettre en danger la santé animale ne
pourraient être libérées qu'à proximité immédiate d'un réacteur nucléaire gravement
accidenté ou dans un cas d'explosion non contrôlée d'un engin nucléaire. Les doses
de rayonnements reçues par des animaux d'élevage exposés aux émissions incontrôlées
des centrales électriques nucléaires, et la dose parvenue dans les pays d'Europe
occidentale à partir des retombées de radio-isotopes libérés pendant l'accident de
Tchernobyl, sont inférieures de plusieurs ordres de grandeur aux doses pouvant être
jugées dangereuses pour la santé animale.
PLANS DE
SURVEILLANCE
Outre son rôle dans le maintien de la santé et du bien-être du bétail, le vétérinaire
doit également prendre en compte la radioactivité pénétrant dans la chaîne alimentaire
sous la forme de produits animaux contaminés par des composés radioactifs.
L'absorption de certains radionucléides par le tractus gastro-intestinal et leur passage
dans des tissus consommables et le lait ont lieu chez des ruminants paissant sur des
herbages contaminés (15). Les dérivés du césium, par exemple, sont distribués dans
tout l'organisme de l'animal et pourraient entrer dans la chaîne alimentaire si des
tissus contaminés étaient consommés. Des expériences portant sur les produits de
fission mixtes provenant des essais d'armes atomiques ont montré que les isotopes
radioactifs suivants passent, dans une mesure relativement importante, des aliments
ingérés par les vaches à leur lait : l'iode-131, le tellurium-132, le strontium-90, le
barium-140 et le césium-137 (16, 30). Parmi ces radionucléides, l'iode-131, le césium137 et le strontium-90 sont biologiquement les plus importants. Le lait reste un
constituant majeur de l'alimentation humaine dans nombre de pays et les jeunes
enfants sont les plus exposés au danger que présente la consommation de lait
contaminé.
Il est souhaitable de mettre en œuvre des systèmes de surveillance des niveaux
de radionucléides pénétrant dans la chaîne alimentaire humaine et, si la moindre
élévation de ces niveaux est détectée, de lancer des programmes de contrôle plus
intensifs pour s'assurer que la santé publique n'est pas mise en danger.
32
Les plans de surveillance et la programmation stratégique dépendent, dans chaque
pays, de la façon dont sont perçus les problèmes posés par la libération des
radionucléides, des contraintes politiques, des considérations commerciales et des
ressources disponibles.
Dans les pays où des plans de surveillance sont mis en œuvre, des organismes
officiels contrôlent la présence de radionucléides dans l'air, les poussières, les sols,
les eaux et les produits agricoles. Dans les pays côtiers, les animaux et les végétaux
marins ainsi que les sédiments peuvent aussi faire l'objet d'analyses. Ce travail est
habituellement organisé sous la forme d'un réseau et peut avoir recours aux services
de l'Armée de l'Air pour l'échantillonnage en altitude. Si nécessaire, d'autres
organismes y participent, dont des universités, des laboratoires commerciaux et des
centrales électriques nucléaires.
Le rôle joué par les différents Services Vétérinaires dans leurs plans de surveillance
nationaux est extrêmement variable. En Angleterre et au Pays de Galles, par exemple,
le Service Vétérinaire officiel est responsable de l'analyse régulière des productions
laitières et agricoles ; au Canada, on ne pratique pas d'examens de routine des
animaux, mais les produits animaux sont inclus dans le programme d'échantillonnage
réalisé par la Direction de la Protection de la Santé ; aux Philippines, l'exposition
des animaux aux rayonnements est surveillée indirectement, par un contrôle de
l'environnement des animaux.
Le but des plans de surveillance est la collecte des données sur les quantités de
composés radioactifs qui pénètrent dans la chaîne alimentaire humaine. Il faut des
informations concernant différents produits dans des zones représentatives, et un
système central de collation et d'évaluation des données. Un accident entraînant la
libération de radioactivité ne peut être, selon toute vraisemblance, qu'un événement
isolé ; le programme de surveillance doit donc avoir la souplesse nécessaire pour
permettre l'obtention rapide d'un nombre suffisant de données sur les produits
concernés. Pour réagir à un incident, on doit pouvoir identifier les radio-isotopes
libérés, le site des dépôts et leur intensité. Ces informations permettent d'évaluer la
nature et la localisation des produits contaminés, les conséquences probables de cette
contamination, et d'identifier les groupes de population exposés à des risques
particuliers.
En Angleterre et au Pays de Galles, par exemple, le programme de surveillance
comporte la collecte et l'analyse d'échantillons provenant du voisinage de chacun des
17 sites nucléaires autorisés, dont font partie les centrales électriques nucléaires, des
établissements de recherche, les laboratoires engagés dans la production commerciale
de radio-isotopes et l'usine de Sellafield qui procède au retraitement intégral des déchets
radioactifs. Ce programme vise à quantifier les émissions à partir de ces sites et à
évaluer le degré d'exposition de la population locale à une contamination par les
aliments. La première phase de ce programme couvre les sites autorisés qui produisent
des émissions gazeuses. Une fois qu'il sera pleinement opérationnel, le contrôle sera
étendu aux installations portuaires, aux industries et à d'autres secteurs. Un
programme similaire contrôle les émissions dans les eaux côtières.
Les échantillons collectés sont, pour l'essentiel, des denrées alimentaires. Le lait
en forme la. majorité, avec quelque 6 200 échantillons collectés par an. Des échantillons
de céréales et de légumes sont recueillis selon les possibilités, ainsi que des tissus
animaux et un nombre limité d'échantillons de sols et de fèces. Tous les échantillons
33
sont envoyés au Laboratoire Vétérinaire Central de Weybridge (CVL) et analysés pour
y détecter les radio-isotopes dont la présence au voisinage de chaque site particulier
est jugée probable. Une unité centrale, à Londres, collationne et évalue les données
produites par le CVL, de même que celles produites par le laboratoire chargé de
surveiller l'environnement aquatique.
Le programme de surveillance a été étendu de manière à contrôler les productions
à l'échelle nationale quand les radio-isotopes libérés à Tchernobyl se sont déposés
au Royaume-Uni. Les données initiales de la surveillance et les informations sur les
conditions météorologiques ont permis d'identifier les zones où des dépôts avaient
eu lieu. Ainsi a pu être mise au point une stratégie d'échantillonnage ; grâce aux
données obtenues, une carte des dépôts de radioactivité au Royaume-Uni a été établie.
Les retombées ont présenté des variations considérables selon les régions, au RoyaumeUni comme ailleurs. La Norvège, la Suède et la Suisse ont aussi réalisé des cartes
des dépôts radioactifs à partir des données fournies par leurs réseaux de stations de
contrôle.
CONTRÔLE
On doit pouvoir disposer de méthodes d'analyse appropriées pour garantir la
possibilité d'adapter les programmes de surveillance à n'importe quelle situation, ainsi
que des installations nécessaires pour la détermination des radionucléides émettant
des rayonnements alpha, bêta et gamma. Les spécifications des procédures de contrôle
seront établies en fonction des objectifs des programmes de surveillance. La gamme
des procédures peut aller des techniques globales, grâce auxquelles de nombreux radioisotopes sont mesurés en même temps, à des techniques plus fines assurant la
séparation et la mesure de radionucléides individuels. La spectrométrie des
rayonnements gamma peut être utilisée pour mesurer les émetteurs gamma. Cette
technique ne demande qu'un minimum de préparation des échantillons et, en
employant un programme informatique interactif, on peut comparer un spectre aux
spectres de référence d'une base de données. L'iode-131, le césium-134 et le césium137 peuvent être mesurés de cette façon. Des analyses radiochimiques sont nécessaires
pour déterminer les émetteurs bêta de faible énergie comme le tritium, le carbone-14
et le soufre-35. La mesure des radionucléides émetteurs alpha, tels le plutonium,
l'américium et l'uranium, peut être faite par spectrométrie alpha mais, au contraire
de la spectrométrie gamma, il faut une séparation chimique et une préparation de
l'échantillon avant de pouvoir l'examiner. En général, si l'on doit détecter des niveaux
faibles de radioactivité, le temps de comptage nécessaire sera long. Ce fait doit être
mis en balance avec le nombre des échantillons à examiner et les ressources du
laboratoire d'analyses.
Les principaux radionucléides déposés par la traînée de radioactivité de Tchernobyl
étaient l'iode-131, le césium-134 et le césium-137. Quelques pays ont aussi signalé
des dépôts de quantités plus faibles d'autres radionucléides, dont du ruthénium-103
et du strontium-90. La détection de l'iode-131 dans les échantillons d'air et d'herbages
a montré qu'un contrôle intensif du lait était nécessaire. L'iode-131 pouvant être
détecté dans le lait dans les heures suivant son ingestion, les analyses de lait ont
constitué une part essentielle des programmes de contrôle dès que ce radionucléide
a été identifié. L'iode-131 entre très rapidement dans la chaîne alimentaire et se
concentre dans la thyroïde des consommateurs. Le lait de brebis et de chèvre a présenté
une tendance à contenir des taux d'iode-131 plus élevés que le lait de vache (15). L'iode-
34
131, surtout, mais aussi, ensuite, le césium-134 et le césium-137 ont été recherchés
dans les produits laitiers également.
Lorsque les schémas de la contamination des différents pays sont mieux apparus
et que l'importance radiobiologique de l'iode-131 a diminué, l'effort principal des
programmes de contrôle s'est modifié. L'accroissement des taux de césium-134 et
de césium-137 dans les muscles des animaux au pâturage a alerté les scientifiques sur
la possibilité d'un second type de problème ; il en a résulté une intensification générale
du contrôle des viandes de bovins et d'ovins. De plus, quelques pays ont inclus dans
leur programmes de contrôle les poissons, le gibier, les chèvres et les rennes. Parmi
les autres denrées alimentaires analysées, on peut citer les céréales (au moment de
leur moisson), les fruits frais, le miel, les légumes à feuilles et à racines. Dans de
nombreux cas, la spectroscopie gamma a été utilisée pour contrôler ces produits, car
elle assurait de bons niveaux de détection pour un débit maximum d'échantillons.
On a aussi pratiqué le contrôle de tout l'organisme d'animaux vivants.
EFFETS DES MESURES D E PROTECTION
SUR LE COMMERCE NATIONAL ET INTERNATIONAL
Une fois qu'un problème a été identifié, une action doit être engagée pour garantir
que la radioactivité pénétrant dans la chaîne alimentaire humaine reste à un niveau
acceptable. Quand on veut déterminer quels niveaux sont acceptables, on doit
considérer le secteur le plus vulnérable d'une population, de telle sorte que les individus
ne soient pas exposés à des niveaux de rayonnements potentiellement dangereux. L'avis
d'organismes tels que la Commission Internationale de Protection Radiologique est
souvent sollicité pour déterminer les seuils de tolérance pour l'exposition associée à
la chaîne alimentaire humaine. Pour ce faire, on doit prendre en compte la dose de
radioactivité à laquelle les individus peuvent avoir été exposés antérieurement et les
niveaux prévisibles de leur exposition future. Des données sur le régime alimentaire
national, incluant la quantité et la fréquence de consommation des différents aliments,
sont importantes pour évaluer l'exposition et définir des seuils de sécurité pour les
radionucléides présents dans différents types d'aliments. Les variations locales,
traduisant des variations dans les habitudes alimentaires, sont à prendre en
considération. Les seuils de sécurité peuvent varier considérablement d'un pays à
l'autre, reflétant les différences nationales de régime alimentaire et de valeur sociale
attribuée à la nourriture.
Les contrôles des échanges commerciaux peuvent diminuer l'exposition d'une
population en circonscrivant le problème. A l'échelle nationale, cela peut être réalisé
en contrôlant la circulation des animaux et/ou des produits animaux à partir des zones
contaminées. Au plan international, la stratégie est inversée : chaque pays a pour
objectif de contrôler l'entrée sur son marché national des animaux contaminés et de
leurs produits. Souvent, le choix des mesures à appliquer et celui du moment de leur
mise en oeuvre ne dépendent pas seulement des facteurs objectifs de la contamination
de l'environnement, mais aussi du rapport coût-efficacité de ces mesures.
Commerce national
En réaction à la contamination provenant de Tchernobyl, plusieurs pays ont
recommandé à leurs éleveurs de différer l'abattage des moutons et des chèvres. Des
35
pays comme la Norvège ou le Royaume-Uni ont pris des mesures de protection pour
réduire l'entrée de césium-134 et de césium-137 véhiculé par la viande dans la chaîne
alimentaire humaine. La Norvège a contrôlé les moutons, chèvres, bovins et rennes.
Le Royaume-Uni a contrôlé les moutons. Dans les deux cas, l'élément décisif a été
la division du pays en zones en fonction des résultats du contrôle. C'est ainsi qu'en
Norvège, il y a eu des «zones indemnes» (abattage sans restriction) et des «zones
d'interdiction» (les animaux pouvaient être abattus mais leur consommation était
interdite). Le Royaume-Uni a imposé des restrictions aux déplacements et à l'abattage
des moutons dans certaines «zones désignées». Toutes les autres régions du RoyaumeUni n'étaient soumises à aucune restriction. L'objectif était d'empêcher les animaux
des «zones désignées» de pénétrer dans la chaîne alimentaire humaine aussi longtemps
que les impératifs de la sécurité l'exigeaient.
Un régime alimentaire spécial, à radioactivité basse, a été instauré en Norvège
lorsque les animaux furent retirés des herbages de montagne et déplacés dans des
zones dites «spéciales». Le Royaume-Uni a été confronté à un problème début août,
quand les agneaux des «zones sous restrictions» ont été prêts pour être vendus aux
engraisseurs et déplacés vers les pâturages d'embouche. Les fermiers des «zones
désignées» ne disposaient pas des aliments nécessaires pour les garder sans mettre
en péril leurs réserves pour l'hiver. Il a donc fallu instaurer un «programme de
marquage et d'autorisation de vente», par lequel les moutons étaient clairement
marqués et leur commercialisation autorisée. Les moutons des zones sous restrictions
ont pu être identifiés et leur abattage n'a été autorisé qu'après la levée des restrictions
dans la «zone désignée» d'où ils provenaient. Dans certaines zones, il était probable
que ces restrictions seraient levées rapidement, tandis que, dans d'autres, on prévoyait
qu'il faudrait plus de temps pour que la radioactivité revienne à des niveaux
acceptables. Les «zones désignées» ont donc été subdivisées en «zones peu
contaminées» (où on prévoyait que les restrictions seraient levées rapidement) et en
«zones fortement contaminées» (où, pensait-on, les restrictions dureraient plus
longtemps). En Suède et au Royaume-Uni, les pertes subies par les producteurs du
fait de la radioactivité ont donné lieu au versement d'indemnités.
La stratégie consistant à contrôler les produits contaminés venant d'une zone contaminée avait été adoptée une première fois au Royaume-Uni en 1957, après l'accident
de Windscale. L'iode-131 était alors le principal radionucléide libéré et le lait des vaches
proches du lieu de l'accident fut interdit à la consommation. Après l'accident de
Tchernobyl, la Suisse a recommandé que les enfants de moins de deux ans, les femmes
enceintes et les mères allaitantes consomment, non pas du lait frais, mais des produits
laitiers préparés avant l'accident. Dans certaines parties de l'Italie, des mesures visant
à interdire la consommation de lait frais et de produits laitiers ont été prises localement ; à Chypre, la consommation du lait frais de brebis a été suspendue.
Commerce international
Au niveau des contrôles internationaux, la prescription par le pays importateur
de seuils de tolérance des radionucléides dans chacun des types d'aliments qu'il importe
est un élément essentiel. Ces seuils doivent être communiqués à ses partenaires
commerciaux ; si besoin est, les techniques utilisées pour les mesurer doivent être
également précisées. Ces seuils peuvent varier d'un pays à l'autre, comme nous l'avons
vu précédemment, mais il est raisonnable d'escompter que les seuils requis pour le
contrôle des aliments importés ne soient pas supérieurs à ceux utilisés pour contrôler
les aliments produits dans le pays lui-même.
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Le système de contrôle en vigueur dépendra des exigences et des ressources du
pays importateur, mais il doit satisfaire aux conditions suivantes :
a) pouvoir être mis en œuvre rapidement ;
b) permettre un dédouanement rapide des produits dans les ports ;
c) fournir des données quantitatives sur les niveaux de radionucléides dans des
aliments spécifiques ;
d) être acceptable par les partenaires commerciaux ;
e) être efficace.
Le degré d'exposition des pays à la traînée de radioactivité libérée par le réacteur
de Tchernobyl a été et reste difficile à évaluer. L'émotion de l'opinion publique en
Grèce et dans certaines régions de l'Italie a été telle que des mesures immédiates ont
été localement appliquées. Certaines d'entre elles sont peut-être difficiles à justifier
au plan scientifique mais, politiquement, elles étaient nécessaires à cause de
l'incertitude et de la peur devant un risque inconnnu qui étaient largement répandues.
Le manque d'informations et les mauvaises communications ont été à l'origine de
restrictions et de contre-restrictions dans les échanges internationaux. L'Allemagne
a interdit les légumes italiens ; l'Italie a interdit le lait allemand ; les membres de la
CEE ont pris des mesures nationales à l'encontre des importations en provenance
de l'Europe de l'Est. La Commission Européenne s'est efforcée de jouer un rôle de
médiateur en proposant des normes communautaires. Les degrés d'exposition variables, le désir des pays d'être perçus comme prenant des mesures de protection et le
manque d'informations sur les niveaux de contamination dans les différents pays,
notamment ceux de l'Europe de l'Est, ont abouti à un compromis inévitable. Les
niveaux proposés pour l'iode-131 ont été conservatoires et ont fait l'objet de critiques
scientifiques, mais ceux mis en vigueur par la suite pour le césium-134 et le césium137 ont été jugés plus réalistes à 600 Bq/kg pour l'ensemble des aliments et à 370 Bq/1
pour le lait. Les scientifiques de l'Euratom ont avisé la Commission de la CEE que,
selon eux, un niveau de 1 000 Bq/kg pour le césium-134 et le césium-137 était en
général adéquat pour les principaux constituants de l'alimentation.
Entre-temps, la Jordanie a interdit les importations en provenance de tous les pays
jugés contaminés ; l'Italie a interdit celles en provenance d'Autriche, de l'Europe de
l'Est, de Scandinavie et de Suisse ; Chypre a rejeté certains produits importés d'URSS
et de Bulgarie ; le Sri Lanka a détruit certains lots de produits venant d'Europe ;
enfin, les représentants commerciaux de l'Autriche, de la Belgique, du Danemark,
de la France, des Pays-Bas, de la Suède et de la Suisse ont donné une conférence
de presse commune à Taïwan, pour garantir aux consommateurs locaux la salubrité
des produits provenant de leurs pays. Au moment de la rédaction de ce rapport,
certains pays contrôlent les importations à l'arrivée, d'autres acceptent un certificat
attestant que les animaux et produits animaux exportés respectent les limites de sécurité
spécifiées par le pays importateur, et quelques-uns se fient à la bonne volonté et au
sens des responsabilités du pays exportateur.
En conclusion, les événements associés à l'accident de Tchernobyl ont clairement
démontré la nécessité :
1. de contrôles réguliers afin de déterminer les niveaux de base de rayonnements
pouvant être utilisés pour évaluer l'importance d'une situation d'urgence ;
2. de déterminer des niveaux d'action pour les radionucléides dans les principales
denrées alimentaires ;
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3. d'un échange international rapide d'informations sur les accidents nucléaires
et leurs conséquences ;
4. de tout l'ensemble des dispositions pouvant être prises rapidement pour faire
face à une situation imprévue ;
5. d'une couverture responsable et bien informée par la presse pour ne pas inquiéter
inutilement l'opinion publique ;
6. d'une amélioration du niveau général de compréhension de la radioactivité.
Assurons-nous qu'il sera fait un bon usage de ces leçons de Tchernobyl.
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BIBLIOGRAPHIE
(voir p. 22)