FIFI BRINDACIER: REBELLE ET MODELE

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FIFI BRINDACIER: REBELLE ET MODELE
Photo: Lena Granefelt/imagebank.sweden.se
FIFI BRINDACIER:
REBELLE ET MODELE
Aux quatre coins du monde, Fifi Brindacier a encouragé des
générations de petites filles à s’amuser et à croire en ellesmêmes. En ce sens, elle a fait énormément pour l’égalité entre
les sexes. En 2015, le personnage peut-être le plus controversé
des livres pour enfants d’Astrid Lindgren fête ses soixante-dix
ans.
La libératrice des enfants
Fifi Brindacier est vraiment une petite fille extraordinaire. Elle ne dépend de
personne puisqu’elle possède un sac rempli de pièces d’or. Elle sait se
servir d’un revolver et elle a navigué sur les sept mers. À la fois rude et
gentille, elle peut soulever un cheval et elle bat l’homme le plus fort du
monde, Arthur le Costaud.
Fifi Brindacier est une rebelle, et depuis soixante-dix ans elle a aidé à
libérer les enfants partout dans le monde. Dans son univers fabuleux, elle a
sauvé les enfants des lois des adultes et du carcan de l’école. Elle leur a
distribué de la limonade à gogo et a volé au secours des plus faibles. Pas
étonnant que cette Fifi anti-autoritaire ait été victime de la censure dans les
pays conservateurs et les dictatures, et qu’elle ait horrifié bien des grandes
personnes.
Il y a dix ans encore, un débatteur suédois affirmait que le « culte de Fifi »
avait eu une influence extrêmement nocive sur l’école et l’éducation des
enfants. « Le culte de Fifi a tout mis sens dessus dessous, l’école, la vie de
famille, les comportements normaux », pouvait-on lire dans un article de
débat du quotidien Svenska Dagbladet.
Les rôles sexuels tournés en dérision
Peut-être les critiques et les censeurs ont-ils vu Fifi d’un œil un peu trop
sérieux et trop adulte. Les enfants savent bien que ça ne se fait pas de
boire de la limonade à même la carafe quand on est invité chez des gens. Il
n’empêche que Fifi, tout comme d’autres figures populaires de la littérature
enfantine, a laissé sa trace dans les idées et le comportement des enfants.
Ce qui est intéressant chez Fifi, c’est qu’elle fait table rase de l’image
conventionnelle de la petite fille, et peut-être va même jusqu’à tourner en
dérision les rôles sexuels des grandes personnes. Comme par exemple
quand elle va à la foire avec son immense chapeau parasol. Elle s’est noirci
les sourcils avec du charbon, elle s’est peint les lèvres et les ongles en
rouge et elle a mis une longue robe de bal. Ses chaussures sont garnies de
grands rubans verts. Parce que Fifi trouve qu'il faut ”avoir l'air d'une vraie
dame » quand on va à la foire. Mais Fifi ne se soucie pas autant de son
apparence que beaucoup d’autres filles et femmes. Fifi n’est définitivement
Photo: Lena Granefelt/imagebank.sweden.se
pas une fille-objet, et de toute évidence pas une victime de l’industrie de la
beauté.
Dans une des boutiques de la petite ville, il y a en vitrine une publicité qui
dit : « SOUFFREZ-VOUS DE TACHES DE ROUSSEUR? » Ce n’est pas le cas
de Fifi. Elle ne veut pas acheter de pommade contre les taches de rousseur
et dit résolument « non » à la marchande ébahie. « Non, je ne souffre pas
de taches de rousseur », explique-t-elle. « Mais chère enfant », répond la
marchande, « tu as la figure pleine de taches de rousseur. » « Je sais », dit
Fifi. « Mais je n’en souffre pas. Je les aime. Bonne journée! »
De nouvelles contraintes pour les filles
Il peut sembler logique que Fifi soit devenue avec le temps une sorte de
modèle pour le mouvement féministe. Dans la foulée est apparu ces
dernières décennies – du moins parmi les adultes attentifs à l’égalité des
chances dans l’éducation – un désir de voir les filles devenir comme Fifi,
fortes, drôles, audacieuses, sans complexes, rebelles et contestataires.
Parce que ces traits de caractère commencent à être tolérés, beaucoup de
filles ont gagné une plus grande liberté de mouvement. Elles ont pu
avancer leurs positions par rapport aux garçons, qui ont depuis longtemps
droit à beaucoup plus d’indulgence quant ils sont bruyants et chahuteurs.
Mais paradoxalement, même un modèle d’insoumission comme Fifi peut
en venir à imposer aux filles des contraintes plus ou moins invisibles. Des
contraintes qui peuvent être, elles aussi, difficiles à assumer – du moins
pour certaines. Par exemple la sage et proprette Annika, camarade de Fifi
et petite fille modèle de son temps. Aujourd’hui Annika fait souvent figure
de repoussoir – simplement parce qu’elle n’est pas effrontée, ne rêve pas
d’aventure et ne joue pas un rôle de meneur dans le trio de copains. Sage
et ennuyeuse, voilà l’image d’Annika. Mais toutes les filles ne peuvent tout
de même pas être aussi courageuses, fortes et marrantes que Fifi?
Une belle histoire, pas un programme
féministe
Astrid Lindgren n’avait certainement pas d’intentions explicitement
féministes en immortalisant cette petite fille hors du commun et ses deux
meilleurs amis. Fifi n’en a pas moins été une source d'inspiration dans la
lutte pour l’égalité entre les sexes – et elle est l'héroïne du jour.
Aux quatre coins du monde, des petites filles se sont senties encouragées
à rire et s’amuser, à être un peu plus hardies et à croire en elles-mêmes.
Autrement dit, tout donne à penser que Fifi a effectivement accompli des
prodiges au cours des soixante-dix dernières années.
Tiina Meri
Tiina Meri est journaliste indépendante et éditorialiste. | Traduction : Lydie Rousseau
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