Naples à vélo ?

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Naples à vélo ?
Ailleurs
Naples à vélo ?
Le vélo urbain peine à trouver sa place à Naples, où la
rue nous apparaît d’abord comme un chaos trépidant.
C’est le grand contraste avec certaines villes du nord de
l’Italie beaucoup plus cyclables.
Naples, la grande ville du sud de
l’Italie, capitale de la Campanie, trois
millions d’habitants, cinq pour la
zone urbaine, qui vivent sous la
menace avérée du Vésuve, endormi
mais pas éteint. Naples est un miracle. Ça tombe bien, me direz-vous,
pour cette ville plus dévote que
n’importe quelle autre en Italie, avec
cette particularité de vénérer non
pas une mais deux divinités : Jésus
et Maradona.
D’abord, contrairement à Pompéi,
elle n’a jamais été ensevelie par les
volcans avoisinants ; ensuite, elle
tient toujours debout et reste très
séduisante malgré sa crasse légendaire et un formidable patrimoine
hélas laissé à l’abandon ; puis, on y
mange des pizze (en italien, les
noms féminins font leur pluriel avec
un « e » final, les masculins avec un
« i » final ; « una bicicletta, due [deux]
biciclette », « un vélo, due véli ») et
pasticcerie (pâtisseries) miraculeuses.
Miracles dans la rue surtout. Car
avant de parler vélo, il faut d’abord
parler de la rue napolitaine. Elle est à
l’image de ses habitants : bruyante,
trépidante, indisciplinée, en un mot
éruptive !
Caractéristiques de la rue
napolitaine
Règle numéro 1 : on ne s’arrête pas.
Premier arrivé, premier à passer ;
inutile de forcer le passage, même si
on est prioritaire. Les deux-roues à
moteur contournent tout. Le piéton,
quant à lui, traverse en courant en
serrant tout ce qu’il peut et après
avoir regardé dix fois dans chaque
sens. A Naples, l’usager motorisé ne
laisse jamais passer le piéton ou le
cycliste, même si ce dernier est
engagé, même s’il s’agit d’enfants.
Ou bien, il s’arrête quand l’usager
mode doux fait lui-même la circulation.
Chose incroyable : on ne s’évite
qu’au tout dernier moment. A plusieurs reprises, j’ai cru assister à un
remake de la scène mythique du
film « La fureur de vivre » (Nicholas
Ray, 1955) au cours de laquelle les
deux jeunes gens s’affrontent dans
une course d’honneur folle avec un
précipice en point de mire et la
couardise pour celui qui s’éjectera le
premier de sa voiture... A Naples,
c’est tous les jours la fureur de vivre ;
c’est un coup à prendre.
D. Gesland
Règle numéro 2 : doubler à tout prix.
A droite, à gauche, passer devant au
plus court, couper la route, bref, être
devant. C’est surtout l’apanage des
deux-roues à moteur, majoritaires et
rois de la rue napolitaine. Contrairement aux idées reçues, les feux
sont dans l’ensemble respectés. Les
Signalisation dédiée aux piétons et vélos
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autorités ont été plus coercitives ces
derniers temps. Les autres panneaux
de signalisation font partie du mobilier urbain... A commencer par ceux
réglant les priorités et le stationnement.
Le trottoir comme refuge
Règle numéro 3 : aller partout. Les
véhicules à moteur transgressent
allègrement les interdictions de circuler en zone piétonne et en zone
30, jusqu’aux ruelles les plus étroites,
jusqu’aux rues les plus fréquentées.
Hallucinant. Pire, ils y roulent vite, en
application de la règle numéro 1 ! Le
promeneur accompagné de sa
famille doit utiliser sans retenue l’expression « serrez à gauche / à
droite ». Les usagers des modes
doux ne sont en paix nulle part, sauf
sur les larges trottoirs où les (rares)
vélos sont parfois tolérés (voir ciaprès).
Règle numéro 4, impossible à traduire par l’image : les règles 1 à 3
ne peuvent être appliquées que par
une utilisation répétée du klaxon,
devenu outil de communication
binaire. Mais pour le bien de nos
oreilles, le klaxon des deux-roues à
moteur est un bip bip rigolo de type
dessin animé, plutôt sympathique...
Une zone urbaine de 60 km
de long
Alors, dans ces conditions rapidement - mais objectivement - exposées, prendriez-vous votre vélo pour
vous déplacer dans Naples ? Non,
sûrement. Et vous auriez raison.
Les vélos se font très rares à Naples,
en dehors d’enfants, dans un usage
ludique du vélo, de quelques illuminés sur leur vélo électrique (car
Naples est, pour ne rien arranger,
cernée de collines) et autres idéalistes-inconscients en VTT. Les conditions de sécurité et d’agrément ne
sont pas réunies dans ce qu’il faut
bien qualifier de jungle.
L’organisation spatiale de la ville ne
se prête pas non plus à l’usage du
Quelques lueurs d’espoir
cependant
Trois rayons de soleil éclairent ce
sinistre tableau de la « cyclabilité » de
Naples.
Tout d’abord, malgré les conditions
de circulation dantesques (Naples a
sa place « Dante » !), nous n’avons
vu chez les usagers en une semaine
ni accident, ni dispute, ni tension, ni
nom d’oiseau lancé, ni geste obscène ébauché. Voici encore un autre
miracle : ça roule et ça passe ! Les
napolitains se déplacent ainsi, c’est
leur quotidien et personne n’y trouve
à redire. Le visiteur, interloqué au
début, doit s’adapter rapidement et
sans broncher. Transposez ces comportements en France et c’est
l’émeute.
Arceaux, entre la Naples monumentale et la place du Plébiscite
Dans le quartier de « Chiaia », quartier branché situé à l’ouest du centre,
on trouve même un jalonnement
guidant vers la principale artère
napolitaine, la Via Toledo. Remarquez
sur la photo ci-contre l’esthétique du
pictogramme ; le beau en Italie n’est
pas réservé à Michelangelo, il se
retrouve dans les pictos vélo !
Toujours dans le domaine des efforts,
des arceaux ont été installés (photo
ci-dessus), surtout dans le centre et
sur les lieux les plus fréquentés par...
les touristes. De là à penser que la timide - politique cyclable de la ville
n’a d’autre fin que de donner une
image progressiste à la ville, il n’y a
qu’un coup de pédale...
symbole d’une autre Italie, où il fait
bon se perdre, pour apprécier ses
charmes architecturaux, ses petits
commerces typiques, ses habitants
souriants et ses odeurs de citronniers
et de jasmin.
David Gesland
Autorisé mais impossible...
Enfin, les cyclistes urbains sont bien
autorisés à emprunter 100 % des
voies du centre historique, le cœur
palpitant de Naples, et quelques
voies structurantes. C’est bien, même
s’il faut partager ces rues et ruelles
avec les autos, les scooters, les passants, les livreurs, les poubelles, les
détritus, les chiens, les étals, ...
Autrement dit, impossible parfois de
se frayer un chemin !
En conclusion, ami-e-s cycliste-s
urbain-e-s, que cela ne vous rebute
pas ! Heureusement, il nous reste
nos jambes, idéales et plus adaptées
que le vélo à cette ville envoûtante,
D. Gesland
Par ailleurs, on sent que la municipalité essaye de se mettre à la page,
en tout cas à la page italienne.
Rappelons en effet que la rue de
certaines villes du nord (Parme,
Bologne, Florence, ...) ressemble
étrangement à celle des villes flamandes et hollandaises. On peut
alors voir, surtout dans le “centro
storico” (centre historique) et le
quartier de la gare de fréquents pictogrammes vélo peints sur la chaussée et les trottoirs. On se demande à
quoi ils peuvent bien servir et on
reste dubitatif quant à leur efficacité
incitative.
D.Gesland
vélo. Quand ils ne sont pas escarpés,
les quartiers de Naples, pourtant
intimistes, sont reliés entre eux par
de larges artères dépourvues de voie
cyclable, propices à la vitesse ou
souvent encombrées. La zone
urbaine est par ailleurs très étendue,
sans discontinuité rurale d’un bout
(cap Misène à l’ouest) à l’autre
(Sorrente, au sud-est) de la baie, soit
une longueur urbaine d’environ
60 km. Les transports collectifs, bien
que crades, sont très bien cadencés,
bon marché, diversifiés (tram, métro,
bus, trains, funiculaires) et permettent d’accéder rapidement à tous les
quartiers.
Pictogramme vélo sur chaussée pavée
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