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TRANSPLANTATION RÉNALE / KIDNEY TRANSPLANTATION GRANDS MOMENTS DE LA TRANSPLANTATION RÉNALE http://www.lebanesemedicaljournal.org/articles/63-3/history1.pdf Antoine GHOSSAIN* Ghossain A. Grands moments de la transplantation rénale. J Med Liban 2015 ; 63 (3) : 111-115. Ghossain A. Great moments in renal transplantation. J Med Liban 2015 ; 63 (3) : 111-115. RÉSUMÉ • Revue sélective de quelques grands moments de la transplantation rénale vécus ou vus de près avec quelques-uns des grands artisans de cette épopée. Le chemin parcouru était semé d’embûches, avec parfois des arrêts ou des révisions d’attitude dont ont pu pâtir ou profiter certains malades. Mots-clés : greffe rénale, historique ABSTRACT • A selective review of some great moments in renal transplantation experienced or witnessed with some of the great architects of this epic. The path was strewn with hazards, sometimes halts or changes of attitude that harmed or helped some patients. “Combien le monde aurait pu être meilleur si Mozart avait eu une greffe de rein, au lieu de mourir à 35 ans d’insuffisance rénale.” Thomas E. Starzl revascularisation d’un organe devenait possible et le problème technique des transplantations était résolu. Ces travaux valurent à Carrel le prix Nobel de médecine en 1912. Durant la première moitié du XXe siècle, les greffes entre espèces animales différentes et entre individus différents étaient des succès techniques suivis d’échecs constants. Les xénogreffes suivaient le même sort. Seules les autotransplantations expérimentales réussissaient presque toujours. La deuxième moitié du siècle dernier fut l’occasion de voir survenir des avancées nouvelles mais non sans accros, grâce à une hardiesse simultanée entre patients et médecins. La transplantation d’organes fut la grande épopée de la médecine moderne. Le rein fut, au départ, l’organe choisi sur le plan expérimental tant chez l’animal que chez l’homme, à cause de sa dualité, de son pédicule vasculaire bien individualisé, de sa voie excrétoire facile à rétablir et de la possibilité de surveiller facilement sa fonction par des examens paracliniques. Des rapports extensifs sur la transplantation rénale sont faciles à trouver dans la littérature et sur Internet. Deux références de qualité, celles de Thomas E. Starzl [1] et de René Küss [2]. Mon article sera une sélection forcément restrictive des quelques grands moments vécus personnellement de près ou de loin avec quelques grands artisans de cette aventure du rein. Le préalable à cette aventure fut, au début du siècle dernier, la mise au point des anastomoses vasculaires, grâce surtout aux travaux d’Alexis Carrel (1973-1944) à Lyon d’abord, ensuite à Chicago et à New York. Carrel avait appris la couture auprès d’une brodeuse. Durant des siècles, les vaisseaux avaient été traités, avec un certain mépris, par le cautère préconisé par Aboulcassis, le grand chirurgien arabe d’Andalousie vers le Xe siècle. Ambroise Paré, cinq siècles plus tard, fit adopter les ligatures à la place du cautère. Dominique Larrey, le chirurgien de la Grande Armée, préférait amputer un membre au lieu de réparer des vaisseaux. Il aurait fait 200 amputations à Borodino en une seule journée. Avec Carrel, la *Doyen honoraire de la Faculté de médecine, Université SaintJoseph, Beyrouth, Liban. Correspondance : Pr. Antoine Ghossain. CHU Hôtel-Dieu de France. Alfred Naccache Blvd. B.P. 16-6830. Achrafieh. Beyrouth. Liban. e-mail: [email protected] Noël 1952, Hôpital Necker, Paris. Le bloc opératoire vit un réveillon inhabituel. On procède à la transplantation d’un rein de Mme Gilberte Renard à son fils Marius, un charpentier (Fig. 1). Celui-ci était tombé quelques jours auparavant d’un échafaudage haut de plusieurs FIGURE 1 Hôpital Necker, Paris, Noël 1952. Première transplantation rénale entre Marius Renard et sa mère, Gilberte Renard. Un succès technique et clinique très médiatisé suivi d’un rejet et d’un drame. Journal Médical Libanais 2015 • Volume 63 (3) 111 mètres et s’était reçu sur la région lombaire. Son rein était éclaté et saignait abondamment. Il a été sauvé par l’ablation de ce rein. On s’est rendu compte, le lendemain, que ce rein était un rein unique dont personne ne soupçonnait l’unicité et avec lequel il avait vécu normalement jusque-là. La dialyse n’existait pas à l’époque et le jeune Marius était condamné à mourir dans les quelques jours suivants. La maman insista pour qu’on lui prélève un de ses reins et qu’on le greffe à son fils. Les médecins étaient réticents au vu de leurs échecs antérieurs dans ces cas. Ils ont fini par céder et l’opération se déroula sans accrocs, exécutée par Michon, Oeconomos et Vaysse sous la supervision de Hamburger. Un interne libanais, Assaad Rizk, était présent à l’opération de prélèvement. Le lendemain et les jours suivants, la diurèse de Marius était parfaite. L’évènement fut médiatisé à l’extrême. L’hôpital Necker devint la capitale du monde. Un grand transplanteur américain, Samuel Kountz, m’a confié en 1972 que de Stockholm, on fit appel à Michon pour un prix Nobel spécial donné avant la date classique des Nobel en décembre 1953. Michon était encore à l’aéroport, à Paris, quand son interne l’appela pour lui dire que la diurèse chez Marius s’était arrêtée. Il annula son voyage et rentra de suite à l’hôpital. Il réopéra Marius, trouvant chez lui un rein très congestionné. Il fit une décapsulation qui n’arrangea pas la situation et Marius mourut le 27 janvier 1953. La presse se déchaîna alors contre les médecins, les qualifiant d’« assassins en blouse blanche ». Le programme de transplantation à Necker a failli être arrêté, mais de Boston vint un ferme soutien académique de Harvard. Voici la lettre que John Merrill adressa à Jean Hamburger à ce sujet : « Au sujet des problèmes d’éthique médicale, soulevés par les greffes du rein, vos craintes et votre attitude timorée sont une faute à mes yeux, une faute grave envers tous les malades futurs, qui mourront parce que vous n’avez pas osé faire ce qu’il fallait pour que progressent nos connaissances et nos moyens d’action. » FIGURE 2 Boston, 23 décembre 1954. Première transplantation rénale réussie entre jumeaux homozygotes. La veille de Noël, au Peter Bent Brigham Hospital, une équipe formée de Murray, Merrill et Richardson procède à une transplantation de rein entre deux jumeaux homozygotes, Richard Herrick et son frère Ronald. 79 ans, donc 58 ans après la greffe, des suites d’une chirurgie cardiaque. Le receveur avait, après sa greffe, épousé une des infirmières des soins intensifs qui l’avait soigné et eut deux enfants. Pour la petite histoire on raconte que, du fait de sa maladie, il était devenu agressif avant son opération et avait mordu une infirmière qui faisait son lit. Boston, mai 1956. La même équipe, dans le même hôpital, procède à une greffe similaire entre 2 jumelles monozygotes de 20 ans. Là aussi, le succès fut total. L’équipe était inquiète de voir ce qui se passerait en cas de grossesse ultérieure. Les deux sœurs eurent une famille normale. La receveuse eut deux enfants et la donneuse trois (Fig. 3). La tête fœtale n’exerce donc aucun effet nocif sur le rein greffé ou sur le rein restant du donneur. L’innocuité de la grossesse et de l’accouchement avait déjà été notée par Alexis Carrel dès 1908 lorsqu’il procéda à une autotransplantation chez une chatte. Celle-ci a mis bas 11 chatons un an après, puis 3 chatons Boston, 23 décembre 1954. La veille de Noël, au Peter Bent Brigham Hospital, une équipe formée de Murray, Merrill et Richardson procède à une transplantation de rein entre jumeaux homozygotes (Fig. 2). Richard Herrick, âgé de 23 ans, est atteint d’insuffisance rénale terminale. Son frère Ronald lui donne un rein. L’identité entre les deux jumeaux avait été confirmée par une mini-greffe de peau réussie et la totale similitude de leurs empreintes digitales confirmée par la Police judiciaire. Les médias, informés à l’avance, accusèrent les chirurgiens de vouloir jouer Dieu et de faire courir des risques aux opérés pour une prouesse scientifique. L’équipe soignante a dû alors faire appel à un avis juridique qui recommanda la greffe arguant que le donneur potentiel risquait de vivre avec un complexe de culpabilité s’il savait qu’il pouvait sauver son frère et qu’il ne l’avait pas fait. L’opération fut un succès total. Le receveur vécut 12 ans après et est mort d’autre chose. Le donneur est mort en 2010 âgé de FIGURE 3 Extrait de presse montrant la descendance de deux jumelles homozygotes, donneuse et receveuse de rein. Transplantation effectuée à Boston en mai 1956. 112 Journal Médical Libanais 2015 • Volume 63 (3) A. GHOSSAIN – Grands moments de la transplantation rénale l’année suivante. Cette histoire est rapportée par Küss [2]. La receveuse, Edith Helm, était restée la doyenne des survivantes jusqu’à sa mort en 2011 à l’âge de 75 ans, 55 ans après la greffe. Entre-temps elle était devenue mère, grand-mère et arrière-grand-mère. Les succès des autotransplantations expérimentales et des transplantations entre jumeaux homozygotes comparés aux échecs constants des homotransplantations entre individus différents ont fini par convaincre la communauté scientifique que les échecs n’étaient pas dus à des problèmes techniques mais à des intolérances biologiques, peut-être immunologiques, et le mot rejet entra dans le lexique médical. C’est là que les travaux sur l’immunologie, faits surtout par Peter Medawar (Fig. 4), furent remis en relief. Peter Medawar, né au Brésil d’un père libanais, et établi à Londres, était un biologiste de renom. Il fut honoré du prix Nobel en 1960. Il fut invité, à cette occasion, par Emile Boustany au Liban où j’ai eu l’occasion de le rencontrer à un déjeuner à Zahlé. Il fut entouré d’honneurs et une rue de Beyrouth porte son nom. Partant de l’hypothèse immunologique, deux voies furent balisées. Une première, initiée après les travaux de Dausset (Prix Nobel en 1980), sur les groupes tissulaires, préconisait de sélectionner les donneurs et les receveurs sur le rapprochement de leur groupe tissulaire. Ce fut une avancée certaine en cas de fratrie, mais son intérêt n’était pas évident entre individus différents. Une autre voie, qui se révéla plus pratique était de modifier l’immunité du receveur. On se rabattit sur l’irradiation de ce dernier qui a permis de rapporter des succès entre jumeaux dizygotes ou même entre individus différents, rapportés vers 1959. Puis vint l’époque des drogues immunosuppressives, azathioprine, cortisone, qui, pendant des années, et jusqu’à maintenant, ont assuré des succès spectaculaires. Les déplétions lymphatiques par thymectomie et splénectomie furent essayées. Une canulation du canal thoracique et le sérum antilymphocytaire furent eux aussi Grèce Israël Slovaquie Danemark Grand-Bretagne Estonie Suisse Pologne Hongrie Norvège États-Unis Rép. Tchèque Finlande France Italie Autriche Irlande Espagne FIGURE 5. F IGURE 4 Peter Medawar (Prix Nobel 1960), né au Brésil d’un père libanais et établi à Londres, fut un des premiers à étudier les phénomènes de rejet. proposés. Puis vint ultérieurement, à partir de 1980, la cyclosporine qui a permis à la transplantation d’atteindre sa vitesse de croisière, du moins pour le moment. Ces drogues immunodépressives, jointes à la pénurie d’organes, ont ressuscité les essais de xénotransplantation qui n’ont pas abouti à des succès. Elles ont surtout lancé le programme de transplantations à partir de donneurs décédés à cœur arrêté qui ont rarement abouti à des succès. Vint alors le concept de coma dépassé avec prélèvement sur cœur battant, surtout à partir des travaux de Mollaret et Goulon à l’hôpital Foch, Paris. L’idée de ces prélèvements mit du temps avant d’être adoptée par l’opinion publique et même par la communauté médicale. Un conditionnement psychosocial est aussi important que la coopération des équipes médicales pour progresser dans ce domaine. L’Espagne est le pays le plus avancé dans ce domaine avec le taux de prélèvement le plus grand par million d’habitants (Fig. 5). 6 9 10 12 12 13 14 15 16 20 20 21 21 21 21 22 23 35 Quantité de prélèvements d’organes sur donneurs cadavériques par million d’habitants, en 2004, d’après https://fr.wikipedia.org/wiki/Greffe_(médecine). Madison, Wisconsin, 1984-1985. Un grand centre de transplantation avait été créé par F. Belzer. Dans un grand hall, on trouve des photos de donneurs et de receveurs entre frères et sœurs, parents et grands-parents, conjoints, amis, avec des T-shirts portant leur nom, la date de la transplantation ou autres commentaires (Fig. 7a & 7b). Ce centre n’hésitait pas à pratiquer également des transplantations itératives (3 à 4 fois). F IGURE 6 John Erik Hexum, Victime d’un tragique accident, fut l’exemple type de prélèvements d’organes sur coma dépassé avec cœur battant (Hollywood 1984). Voici deux exemples vécus sur ce conditionnement dans la société américaine. Le 16 octobre 1984, tragique accident à Hollywood. On tournait un film à Beverley Hills. Un acteur très connu, John Erik Hexum (Fig. 6), en jouant à la roulette russe avec un revolver chargé à blanc rapprocha le canon de sa tempe et tira un coup. La détonation était forte et le blast suffisant pour lui causer un traumatisme crânien sévère. À l’hôpital, malgré les soins qu’il reçut, il fut déclaré en coma dépassé. La mère, appelée sur place, exigea qu’on poursuive la réanimation et qu’on prélève ses organes. Après trois jours, six receveurs avaient profité de ses organes : foie, cœur, 2 reins et 2 cornées. Le cadavre subit une crémation et ses cendres ont été dispersées dans le Pacifique. Les embûches de la transplantation L’histoire de la transplantation fut jalonnée parfois par des accrocs. Des assertions solennelles, hâtives et des recommandations devenues obsolètes quelque temps après ont été à l’origine de décisions dont ont pu pâtir quelques malades. La bi-néphrectomie des reins natifs a été considérée parfois comme un préalable à la transplantation avec l’idée que ces reins pouvaient faire récidiver la maladie sur le greffon ou entraîner un rejet aigu. Cette assertion fut contestée plus tard. La retransplantation paraissait comme une prouesse et un défi à l’immunologie et était écartée, souvent de principe, alors que les chirurgiens de San Francisco, Samuel Kountz et Folkert Belzer, avaient osé enlever un rein greffé et de fonction douteuse, au dixième jour, et le remplacer par un nouveau rein utilisant les mêmes vaisseaux et la même place. Des infections sévères survenues chez des malades en attente ne menaient pas forcément à une renonciation à la greffe, dès lors que l’infection était contrôlée. La découverte par Dausset des groupes tissulaires avait fait rêver quelques transplanteurs de créer un World Transplant Programme où un receveur potentiel en Amérique, par exemple, pouvait profiter d’un rein compatible prélevé en Russie. La conservation prolongée des reins initiée par Belzer semblait aider à la réalisation de ce rêve qui est resté un rêve inabouti. b a FIGURE 7. Madison, Wisconsin 1984-1985. Un grand centre de transplantation avait été créé par F. Belzer. 114 Journal Médical Libanais 2015 • Volume 63 (3) A. GHOSSAIN – Grands moments de la transplantation rénale Le cross match initié par Terasaki reste actuellement le préalable à toute transplantation. La tolérance définitive acquise permettant de se soustraire aux immunosuppresseurs reste un rêve risqué, malgré le fait que quelques cas anecdotiques de succès ont pu être rapportés. Le rôle des transfusions fut le sujet de recommandations changeantes. Considérée pendant des années comme un danger pour la transplantation future, la transfusion a été remise à l’honneur dès 1973, son effet pouvant parfois être bénéfique. On ne voit plus actuellement de malades vivant avec un hématocrite à 15 ou 20 dans l’attente d’un rein. Les xénogreffes n’ont pas réussi à s’imposer malgré l’espoir mis sur elles par Starzl, espoir dopé par des immunosuppresseurs puissants. Est aussi écarté le rêve de Voronoff qui, en 1928, voyait l’avenir des transplantations dans des « fermes étendues sur les rivages méditerranéens de Naples à Marseille qui abriteraient des singes, vastes usines à fournir des pièces de rechange pour la machine humaine ». Cette boutade est citée dans l’article de Küss [2]. Les incitations au don passent par les cartes de donneurs. On ne réalise pas, cependant, que la plupart des A. GHOSSAIN – Grands moments de la transplantation rénale morts recensées dans les médias ne se passent pas souvent dans des conditions favorables aux prélèvements. John Merrill, le grand transplanteur de Boston, est mort noyé. David Hume, le grand transplanteur de Richmond, Virginia, est mort d’un accident dans son avion personnel. Tous deux portaient des cartes de donneurs ! On ne peut terminer cette étude sur le passé sans parler des rêves futurs caressés par les généticiens sur la fabrication d’organes à partir des cellules souches. Ces rêves encore inaboutis ne doivent pas faire oublier le passé épique récent qui a permis à des centaines de milliers de greffés de vivre une seconde vie grâce aux prouesses médicales du siècle dernier. Arrivera-t-on un jour à cette croyance mythique ? Si on naît pour vivre, on ne doit plus mourir sans essayer de faire vivre d’autres. RÉFÉRENCES 1. Starzl TE. The development of clinical renal transplantation. Am J Kidney Dis 1990 Dec; 16 (6): 548-56. 2. Küss R. [The history of kidney transplantation]. [Article in French] Prog Urol 1996 Oct; 6 (5): 677-82. Lebanese Medical Journal 2015 • Volume 63 (3) 115