Profs, parents, enfants: qui est le chef

Transcription

Profs, parents, enfants: qui est le chef
Jeudi 1er juin 2006
Supplément du journal « Le Soir »
Profs, parents,
enfants:
qui est
le chef ?
DESSIN DE KROLL.
L’autorité a fichu le camp. A la maison, parents et
enfants se heurtent. A l’école, l’élève a dévissé le maître de son pié-
sommaire
destal. Et entre profs et parents, le courant ne passe plus. Le modè-
Des parents déboussolés
pour des enfants terribles. P. 6 à 19
Le prof n’est plus le maître : avec
l’élève, il faut négocier. P.20 à 39
Parents et profs s’associent pour le
meilleur et pour le pire. P.40 à 56
le disciplinaire traditionnel a vécu. Le Soir analyse. Et aligne les
bons trucs pour créer un climat serein dans le triangle éducatif.
1NL
2*
Jeudi 1er juin 2006
Enfants, parents, professeurs :
le triangle éducatif souffre
L’autorité ne va plus de
soi. A la maison, l’adulte ne fait plus la loi. A
l’école, le prof n’est
plus forcément le maître. Désormais, entre
l’enfant et l’aîné, on négocie. Ou on s’affronte.
E
fants-parents-profs.
C’est, au fond, l’histoire d’un triangle
dont les trois côtés
ne tournent plus
très… rond. A la maison, enfant et adulte se heurtent. A
l’école, l’élève a fait valser le maître
de son piédestal. Et entre profs et
parents – la troisième branche de
notre propos… isocèle –, on s’échange des regards bas. A l’occasion, on
se rudoie – signe des temps : à l’initiative des députés Daniel Bacquelaine (MR) et Olivier Maingain
(FDF), une loi va bientôt corser les
peines quand la victime d’une agres-
sion physique est un professeur…
Crise ? Sans se laisser aveugler
par les situations extrêmes, par ces
« faits divers » qui nous secouent
tant, Le Soir, paisiblement, a voulu
analyser chacune des trois relations
du triangle. Pour comprendre pourquoi, à la maison, le « père » n’est
plus forcément le chef. Pour comprendre pourquoi le prof n’est plus
naturellement le maître. Pour comprendre pourquoi parents et profs
ne parlent plus forcément d’une
voix solidaire.
Etablissons d’emblée qu’il y a des
foyers paisibles. Des classes heureuses. Et des enseignants épaulés par
les parents. Et admettons aussi
qu’il y a globalement « de la crise »
à chacun de ces trois niveaux.
Ha… De mon temps ! De notre
temps ! De cette page à la dernière
de ce supplément, nous avons laissé
parler des adultes (des jeunes et des
moins jeunes) pour établir que, oui,
de leur temps, parents et profs bénéficiaient d’une autorité naturelle,
de fait. Il y avait, entre l’aîné et le
cadet, une relation en surplomb. La
règle n’était pas discutée. C’est ce
rapport de soumission qui a volé en
éclats. Aujourd’hui, l’autorité « ne
va plus de soi ». A la maison, il faut
négocier. A l’école, le rapport de for8281120
1NL
ce traditionnel ne fonctionne plus –
ou mal. Les professeurs trinquent,
tous, même si c’est à degrés divers.
« Même en maternelle, l’enseignant
commence à être victime de comportements agressifs », nous souffle ce
professeur d’école normale.
Comme le dit Christian Maroy,
professeur à l’UCL, les pouvoirs autoritaires traditionnels que sont parents et professeurs ont été bousculés par un phénomène de démocratisation : désormais, tout individu
entend contribuer à l’élaboration
de la norme et le « jeu démocratique » (l’élaboration collective de la
règle) s’est infiltré à l’école et au
sein du clan familial. La règle ne
peut plus tomber du ciel – du père
ou du prof. Il faut désormais créer
l’adhésion à la règle. Elle doit être
bâtie collectivement sous peine
d’être rejetée – en douce ou avec violence, selon les cas et les endroits.
Crise ? Beaucoup de parents sont
désarçonnés. Des profs craquent.
Crise ? Au fait, il y aurait crise
quand l’adulte, agissant en défensive, cherche à tout prix à imposer
son « modèle disciplinaire » de référence – celui qu’il a vécu, ou subi.
Pour la plupart des témoins rencontrés ici, ce modèle est mort. Et un
autre est possible (et souhaitable) :
celui où la règle est légitimée par
l’implication du groupe, de la classe, des élèves de l’école, dans le respect de chacun. En tout état de cause, le schéma d’antan a vécu. Comme on dit : il « faut faire avec ».
Mais ça s’apprend. Et c’est, au fond,
le but de ce supplément : la chasse
aux « bonnes recettes » pour établir un climat sain, et serein, à la
maison et à l’école. Bonne lecture !
PIERRE BOUILLON
DE MON TEMPS...
Joëlle Milquet, 45 ans
Présidente du CDH
« L’autorité parentale ne doit
jamais être aveugle et non fondée. Cette capacité de s’imposer est légitime et nécessaire
si elle se base sur des valeurs
à transmettre et du sens à donner aux choses : sens de l’interdit, de l’effort ou de la maîtrise
de soi. Personnellement, j’ai
perdu mon père jeune. La relation avec ma mère était en
grande partie de la complicité.
Ni trop autoritaire ni trop laxiste. C’était un bon compromis.
À l’école, le respect naturel envers les professeurs faisait
que l’autorité n’était pas nécessaire. » A.G. (st.)
3*
Jeudi 1er juin 2006
« Toute autorité doit s’expliquer,
mais elle ne doit pas se justifier »
P
Avant, c’était simple,
l’autorité était identifiée et incontestable.
Aujourd’hui, tout est
troublé. Lumière avec
Patrick Traube.
atrick Traube est psychothérapeute et formateur. Régulièrement, dans son cabinet montois, ou dans
des écoles, il est
confronté à la question de l’autorité, à ceux qui doivent l’exercer et à
ceux qui y sont confrontés. Famille, société, école, ces milieux ne
sont pas hermétiques. Des questions qui se posent aux uns se posent aux autres. Et la manière dont
on y répond dans un milieu influence parfois fortement ce qui se passe ailleurs. Intervenant à différents niveaux, Patrick Traube a accepté d’éclairer le cheminement de
ce supplément.
Parents, éducateurs, enseignants,
tous se posent la question : comment exercer l’autorité ? Mais aus-
si, y a-t-il une bonne manière
d’exercer cette autorité ?
Dans le contexte éducatif, l'autorité inclut à la fois une notion de pouvoir et une notion de puissance. Le
pouvoir c'est quelque chose que l'on
a, la puissance, c'est quelque chose
que l'on est. La mauvaise autorité,
l'autorité boiteuse, c’est celle qui ne
joue que sur une des deux jambes,
celle du pouvoir brut. Pour moi,
l'autorité idéale, c'est celle qui associe le pouvoir et la puissance.
Ce qui donne autorité aux parents
sur les enfants, c’est le statut que la
société leur confère. Il y a unanimité sur le fait que les enfants doivent
être élevé. Mais là où ça coince, c'est
lorsque le parent, le chef d'établissement, le maître, appuie son autorité sur son seul pouvoir. Un pouvoir qui n'aurait de justification
que statutaire – une place, une
fonction, un statut, éventuellement financier – mais qui n'est
pas fondé sur une puissance intérieure. Or, il se fait que les enfants,
les pré-adolescents et les adolescents, sont extrêmement sensibles à
la nuance. C'est d’ailleurs plus
qu'une nuance pour eux.
Autant ils peuvent respecter une
autorité lorsqu'ils sentent qu'il y a
derrière une véritable puissance,
autant ils n'ont que mépris pour
une autorité qui se fonderait uniquement sur un statut.
Comment peut-on aller au-delà
du pouvoir ?
La puissance, c'est la capacité de répondre. L'enfant, tant qu'il est enfant ne pose pas trop la question de
l'autorité. C'est à la pré-adolescence et à l'adolescence que l'enfant va
Suite en page 4
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4*
Jeudi 1er juin 2006
Suite de la page 3
rencontrer le détenteur légitime de
l'autorité et lui poser la question
– d'une manière ou d'une autre,
avec ses moyens d'expression à
lui : “D'où tires-tu ton autorité,
qu'est-ce qui légitimise ton pouvoir ?”
C'est à ce moment-là qu'on peut
percevoir les différentes nuances
de puissance de l'adulte. Celui qui
a cette puissance va pouvoir apporter une réponse : “Je ne tire pas ma
puissance de moi-même, je la tiens
de quelque part, elle se justifie”...
Ainsi, il faut pouvoir justifier, expliquer de manière cohérente l'exercice d'une autorité...
Au premier abord oui. Mais ensuite, il faut distinguer. Pour moi,
l'autorité n'a pas à se “justifier”,
mais elle doit pouvoir “s'expliquer”. Aujourd'hui, lorsque l'enfant pose la question, lui répondre
“parce que”, ce n'est plus acceptable.
Mais se justifier, c'est se placer en
position d'infériorité. C'est un peu
comme si je devais m'excuser
auprès de l'enfant de lui imposer
certaines choses, ou de lui interdire
certaines choses. L'explication,
c'est une transaction horizontale
d’adulte à adulte en réponse à une
question. L'adulte du parent
s'adresse à l'adulte de l'enfant.
Qu’elle soit politique, religieuse,
patronale, scolaire ou parentale,
avez-vous le sentiment que toute
autorité est contestée de nous
jours ?
Plutôt que contestée, je dirais contestable. C'est ça qui a changé.
Avant, le pouvoir n'était pas contestable. Aujourd'hui, l'autorité
doit se réaffirmer – on n'y échappera pas. Dans les dix ou vingt années qui viennent, on ne pourra
pas faire l'économie de cela. Les
autorités devront se réaffirmer.
Depuis le début du siècle environ,
il y a déjà une tendance dans ce
sens. Ainsi, la question ne se pose
plus aujourd’hui de savoir si l'éducation implique une certaine autorité.
Tout le monde est d'accord. En revanche, les gens sont paumés, parce qu'ils ont perdu le mode d'emploi. Ils veulent trouver la nouvelle
donne tout en sachant qu'on ne
pourra plus faire comme nos
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grands-parents.
La raison en est que d'une part, il
faut que l'autorité se réaffirme
mais qu'en même temps elle trouve
une autre manière de s'affirmer.
C'est le défi pour demain. Un défi
majeur et inédit.
S’agit-il d’une évolution positive,
selon vous ?
Ça me paraît en effet une bonne
chose parce que cela s'inscrit comme un progrès dans l'évolution de
la civilisation occidentale. Cela
dit, nous savons que tout progrès
se paie cash et que toute avancée se
solde par une perte. Derrière cette
bonne chose, il y a un prix à payer
en termes d'inconfort, de difficulté,
de complexité.
C'est évidemment bien plus confortable d'avoir une personne qui décide pour tout le monde. Mais c'est fini cela ! J’y vois l'aboutissement de
l'évolution historique de l'individualisme. Nous allons vers une société de l'individu maître et possesseur de sa propre loi, du sujet autonome, mais le problème, c'est comment encore “faire société” ; comment vivre ensemble dans une société d'individus autonomes.
Remarquez les slogans des marches qui ont eu lieu récemment
après les meurtres de la gare centrale et d’Anvers : les gens demandent
que l’on retrouve une nouvelle manière de vivre ensemble.
MICHEL DE MUELENAERE
1NL
DE MON TEMPS...
Philippe Geluck
52 ans, dessinateur
« Avec mes parents, l’autorité
était naturelle et intelligente.
Nous n’avons jamais eu de conflit car le dialogue permet de
comprendre le pourquoi de
l’autorité. Par contre, j’ai souffert d’une autorité imbécile à
l’athénée Adolphe Max à Bruxelles. J’ai douloureusement
vécu cette expérience, notamment la cravate obligatoire,
l’obligation de dégager la nuque et le tour d’oreilles ou encore les colères du préfet des
études pour un oui ou pour un
non. Suite à cette période un
peu noire de ma vie, j’ai refusé
de faire le service militaire. »
A.G. (st.)
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1NL
6*
Chapitre 1
Jeudi 1er juin 2006
Parents-enfants
Des parents déboussolés
pour des enfants terribles
Entre autoritarisme assumé, permissivité attendrie et savant dosage éducatif, les parents
ne savent plus toujours à quelle sauce
éduquer leurs enfants.
Petit tour d’horizon.
N
otre époque célèbre les droits de
l’enfant,
cette
charte définissant les attentes
idéales pour chacun. Mais les spécialistes de l’éducation notent que dans cette charte
fondamentale devrait aussi figurer
le droit de tout enfant à une autorité bienveillante, adaptée à son âge,
à sa personnalité, qui l’aidera à
construire son identité et à conquérir sa liberté. Le débat sur l’autorité
nourrit tant de colloques, de débats, de livres ou d’émissions sur la
notion d’échec parental que certains, faute de mieux, seraient tentés d’en appeler à un retour de l’autorité musclée et incontestée des parents qui détiendraient ainsi un
pouvoir quasi absolu sur le destin
de leur enfant. Comme si la simplicité du propos (« On n’a rien inventé de mieux que l’ordre, la discipline
et une bonne gifle ») allait raboter
les méandres de l’âme enfantine en
les ignorant superbement...
« Contrairement à autrefois, il
n’y a plus une seule référence collective mais une multiplication de modèles parentaux », analyse le psychologue Bernard Demuysère, directeur de l’Ecole des parents et des
éducateurs (1). « Comme ce modèle
collectif a disparu, chaque parent se
voit contraint de construire le sien.
Chaque individu est aussi mis en
demeure de recréer ses propres repères. Or ce qui permet de définir ces
repères, c’est la vie en commun et la
rencontre avec d’autres parents au
moment où l’on privilégie l’individualisme. On peut alors réfléchir en1NL
semble sur tel problème, imaginer
telle solution, partager telle expérience. Il faut créer ces lieux de discussion informels qui permettent
de construire ces liens entre les parents. Il en existe mais il conviendrait de les multiplier. »
De nos jours, les spécialistes de
l’éducation distinguent traditionnellement trois styles éducatifs, à savoir les modèles « autoritariste »,
« permissif » ou « éducatif ». Examinons chacun d’entre eux, en forçant quelque peu le trait, non sans
nous souvenir que chacun de ces
chemins a été le plus souvent emprunté de bonne foi par les parents
concernés.
Le modèle autoritariste
Il s’agit du fameux « modèle de référence » qu’ont encore connu la
plupart de nos grands-parents. En
gros, le chef de famille sait tout et
décide de tout. Il définit les règles
éducatives, souvent strictes, juge
les incartades et organise les punitions, quitte à recourir aux brima-
des, voire aux châtiments corporels. Dans un tel contexte d’exigence aveugle et permanente, l’enfant
se sent peu écouté et souffre d’un
manque total de liberté dans ses
choix. Face aux interdits incessants, il développe un sentiment de
culpabilité qui peut se transformer
en attitudes de soumission ou de révolte. De plus, ce fatras de règles imposées l’empêche de construire son
propre code intérieur, la voie royale
vers son statut d’adulte.
Le modèle permissif
Il se situe aux antipodes du précédent. Cette fois, l’enfant décide de
tout sous l’œil humide de ses parents qui le placent au centre de
leur monde. L’enfant ne désire pas
tel jouet, il l’exige ! Car tout lui est
dû et les adultes sont à son entière
disposition. Dans ce style éducatif,
la toute-puisssance de l’enfant n’est
jamais remise en question et rien
ne lui est imposé. Le déficit habituel de ce modèle d’éducation réside dans l’émergence d’enfants appa-
DE MON TEMPS...
Toots Thielemans,
84 ans, jazzman
« J’ai eu une enfance chétive
et j’ai été gâté par ma famille.
J’ai fait des humanités scientifiques (maths-langues) honorables. Ces bons résultats font
que je n’ai jamais ressenti de
pression autoritaire. Pourtant
l’autorité à l’école était plus importante à l’époque. La musique a heureusement pris possession de ma vie et ce sera
ainsi jusqu’à mon dernier souffle. » (C.E., st.)
7*
Jeudi 1er juin 2006
remment épanouis, mais intérieurement anxieux. Comme il ne sent
pas l’adulte assumer un rôle protecteur à son égard (« Oui, tu peux
manger une troisième glace »), comme il n’y a plus de garde-fou (« Oui,
tu peux regarder la télé jusqu’à
23 heures »), il n’est jamais sécurisé. Plus tard, il éprouvera beaucoup
de peine à prendre ses responsabilités puisqu’il n’a jamais été confronté aux conséquences de ses actes.
Le modèle éducatif
Dans ce troisième scénario non
écrit de modèle parental, on parle
aussi d’autorité construite ou éclairée. Les parents tentent ici d’éduquer leur enfant comme une personne de son âge à qui on peut expliquer le pourquoi des interdits. Tout
en restant à l’écoute des désirs et
des besoins de leur enfant, les parents définissent un ensemble de
normes familiales claires et connues de tous. Et au besoin, ils n’oublient pas de faire preuve d’autorité, conscients du fait qu’un enfant
ne se conduit pas souvent de manière raisonnable (« Non, tu ne mets
pas tes doigts dans la prise de courant ! »). Il s’agit alors d’adopter
une attitude parentale résolue mais
toujours à l’écoute de son enfant.
La difficulté principale de cette
voie éducative, privilégiée par les
spécialistes, réside dans la difficulté à la faire appliquer dans un environnement qui ne cesse de combattre ou de diluer l’autorité parentale.
À commencer par le manque de
temps que les parents ont à consacrer à leur enfant. L’autorité éducative nécessite en effet que les parents passent énormément de
Tout enfant a
droit à une
autorité bienveillante. PHOTO
PHOTONEWS.
temps avec lui, ce qui devient hautement problématique dans des familles plus fragiles, monoparentales (« Je cours du matin au soir
pour tenter d’en sortir, je ne vais
pas en plus discuter deux heures
avec lui pour qu’il m’aide à débarrasser la table ») ou recomposées
(« Je ne vais pas me disputer avec
ma fille alors que je ne la vois qu’un
week-end sur deux »). Comme il
leur faudra aussi beaucoup d’énergie et de patience pour construire
ce modèle éducatif exigeant qui nécessite une excellente connaissance
de son enfant, un lien affectif inconditionnel, une écoute permanente
et une exigence nécessaire allant
jusqu’au pouvoir de dire non.
Pour aider les parents à réussir ce
pari difficile, Bernard Demuysère
plaide en faveur d’un meilleur soutien à la parentalité : « Il faut que
des professionnels puissent venir en
aide aux parents en difficulté et les
aident à maintenir le cap de l’autorité éducative. Depuis les rencontres informelles entre parents aux
séances de psychothérapie, en passant par des actions soutenues par
les CPAS, il existe déjà une panoplie
de possibilités pour se faire aider.
Encore faut-il que les parents n’attendent pas toujours le pire pour appeler à l’aide. »
Histoire de refermer ce chapitre
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Institut des Arts de Diffusion
Ecole supérieure des Arts
Réalisation Cinéma
Réalisation Radio - Télévision
Réalisation Multimédia
Interprétation dramatique
& Mise en scène
.
.
.
.
.
.
.
.
MARC VANESSE
(1) Créée en 1949, l’Ecole des parents et
des éducateurs (EPE) a pour vocation de
soutenir la confiance de ceux-ci dans leurs
compétences éducatives. L’EPE propose des
formations, animations et activités de soutien comme Télé-Parents, un service d’écoute par téléphone. Infos : 02-733.95.50.
(2) Voir l’excellent livre « Questions d’autorité » paru sous la direction de Patrice Huerre et Danièle Guilbert, collection Enfances
et Psy, éditions Erès (214 pages - 13 euros).
8444530
Baccalauréat en 3 ans
l' IAD forme aux métiers
Image
Son
du cinéma,
Montage & Scripte
de la télévision,
Multimédia & Infographie
de la radio,
du multimédia
Agrégation ( AESS )
et du théâtre
Pour l'enseignement secondaire
.
Master en 4 ou 5 ans
par une note plus souriante, voici la
vision éclairée d’un grand spécialiste grec de l’éducation (2) : « Je n’ai
plus d’espoir pour l’avenir de notre
pays si la jeunesse d’aujourd’hui
prend le commandement demain.
Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement
terrible... Notre monde atteint un
stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du
monde ne peut être loin. » Une prophétie lancée par le grand Hésiode,
huit siècles avant notre ère...
Rue des Wallons 77
1348 Louvain-la-Neuve
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1NL
8*
Chapitre 1
Jeudi 1er juin 2006
Parents-enfants
« Non, les jeunes n’ont pas perdu
le sens des valeurs »
Après l’autoritarisme
et un retour de balancier, les enfants font face à la complexité du
monde. Traube balise
le rôle de la famille.
P
arents démissionnaires, enfants sans repères. L’équation est
connue depuis quelques années. De partout, on demande
aux familles de « reprendre en
main » l’éducation, de refixer des
normes, d’établir des repères, de
prendre des sanctions. Mais entre
le vouloir et le pouvoir, les choses
ne sont pas si simples. Le psychothérapeute et formateur Patrick
Traube poursuit son analyse avec
nous.
Est-il plus difficile aujourd’hui pour
les parents et les éducateurs
d’exercer une autorité ?
Et comment ! C’est en cela que nous
vivons aujourd’hui une mutation
en profondeur. Le problème ne s’est
jamais posé vraiment comme il se
pose aujourd’hui. Prenez la génération de nos parents et grands-parents : la question de l’autorité ne
posait pas problème. Parce que
l’autorité se justifiait d’elle-même,
elle était légitimée d’elle-même.
L’éducation des enfants travaillait
dans ce sens-là. L’enfant devait
obéir à son père parce que ce dernier
était le père. Et que le père détient
l’autorité. “Plus tard, disait-on au
jeune, tu devras obéir à ton patron
comme tu obéis à ton père et comme
tu obéis à dieu”. Le père dans la tra1NL
dition c’est le représentant de dieu à
l’intérieur de la famille, c’est le représentant du chef de l’Etat à l’intérieur du mini-Etat qu’est la famille. Les enfants étaient conditionnés dès le départ ; à l’école, on ne discutait pas quand le maître disait
quelque chose.
A partir des années soixante, le sablier s’est renversé. On est entré de
plain-pied dans l’idéologie de l’enfant-roi allant de pair avec l’idéologie du tout à l’individu. La vision
de l’enfance a changé.
Schématisons : avant soixante,
l’éducation traditionnelle considère
l’enfant comme une pâte à modeler.
Rappelons-nous des expressions,
éduquer c’était apprendre aux enfants à “marcher droit”, c’était les
mettre “sur le bon chemin”, c’était
“forger leur caractère”. Des termes
très révélateurs… Pour réaliser tout
cela, l’ingrédient essentiel c’était
l’autorité. Cela ne voulait pas dire
qu’on n’aimait pas les enfants,
mais il ne fallait pas trop leur montrer. Les parents n’étaient pas très
démonstratifs.
Passé le cap des années soixante, on
estime que pour s’épanouir les enfants ont besoin d’amour et de manifestations extérieures d’amour.
L’enfant est une sorte de potentialité sui generis dont il faut favoriser
l’éclosion spontanée. Tout interdit
risque de briser, d’enfermer, même
de traumatiser. C’est à ce momentlà qu’on a mis l’autorité au rencart,
qu’on a commencé à copiner avec
ses enfants, à instaurer une relation de séduction et qu’on a quitté le
registre de l’éducation.
Ça fait un moment qu’on en est revenu, semble-t-il.
Depuis quelques années, en effet, on
est en train d’en sortir. Mais ce n’est
qu’après avoir constaté les dégâts.
C’est une constante des civilisations
occidentales et particulièrement
européennes : on pousse le mouvement de balancier jusqu’à un extrême. Mais le balancier va si loin et
crée des dérives telles qu’à un certains moment on est confronté à des
effets contraires considérables.
Quels furent les effets contraires
de ces deux types d’éducation contraires ?
D’abord, on a expérimenté l’autorité jusqu’à l’autoritarisme. L’autorité était inhibitrice, castratrice. Cela
a donné une génération d’individus soumis. A tel point qu’ils
étaient prêts à suivre n’importe
quel appel pour autant qu’il émane
d’un chef ou de quelqu’un qui se déclare détenteur de l’autorité. On
connaît les dérives de l’éducation
autoritaire…
Puis, on a expérimenté l’éducation
permissive pendant au moins une
génération pour s’apercevoir que ce
n’était pas nécessairement mieux.
DE MON TEMPS...
Karin Gérard
Magistrate
« Mes parents étaient très
stricts mais il y avait toujours
de la place pour le dialogue. À
l’école, j’ai eu des professeurs
qui m’ont passionnée, euxmêmes étaient passionnés parce qu’ils nous enseignaient.
Nous n’étions que 18 élèves
par classe alors qu’aujourd’hui
les classes sont de plus en
plus nombreuses. C’est très difficile à gérer pour les professeurs. Il faut valoriser la fonction d’enseignant afin d’éviter
toute démotivation de leur
part. De mon temps, on nous
enseignait l’éducation civique,
ce qui, je crois, est une matière
fondamentale ». (Ma.M., st)
9*
Jeudi 1er juin 2006
On s’est rendu compte que l’éducation permissive, centrée sur la circulation de l’amour en l’absence de
toute autorité, livrait l’enfant à une
tyrannie au moins aussi puissante,
voire pire : la tyrannie de ses désirs,
de son fond pulsionnel.
Cela a donc créé ce qu’on a appelé
des enfants-tyrans ?
C’est le règne du “tout pour moi tout
de suite”. Ce tout à l’individu est la
pointe extrême d’une évolution individualiste encouragée par les nouvelles technologies et leur tendance
à l’immédiateté.
Pas mal de faits tragiques s’expliquent par cela. Des enfants devenus
adolescents et dépourvus de cadre
sont soudainement confrontés au
choc de la réalité. Ils se rendent
compte qu’on les a trompés : on leur
a fait croire qu’ils étaient des rois, et
ils constatent que le roi est nu. Que
le monde n’a pas besoin d’eux, qu’il
n’y a pas de place pour eux, que parfois ils ne sont rien. C’est un choc
frontal extrêmement dur surtout
pour des personnalités immatures,
en formation, et pas suffisamment
étayées par un cadre structurant assez puissant. Cela peut expliquer
certains faits éruptifs, comme le
meurtre de Joe Van Holsbeeck à la
gare centrale.
Pourquoi ne peut-on pas opérer
un retour aux « bonnes vieilles méthodes » ?
Ce n’est pas possible malheureusement. Le retour de balancier s’effectue, mais dans une nouvelle horloge.
Patrick Traube : « Depuis les années 60, l’enfant est une potentialité “sui
generis” dont il faut favoriser l’éclosion spontanée. » PHOTO DUCHESNES.
Eduquer est donc devenu plus difficile, moins rassurant. Comment
garder le cadrage qui rassure, tout
en éduquant au dialogue, au changement ?
C’est un véritable casse-tête ! N’oublions pas qu’on ne pourra jamais
concilier un optimum de liberté et
un optimum de sécurité. Ce qu’on
gagne en liberté, on le perd toujours
en confort et en sécurité. On ne peut
pas revendiquer le beurre et l’argent
du beurre.
On sait que l’extrême dérive de la sécurité peut être liberticide. Mais liberté et sécurité sont deux rives
d’un même fleuve : si on s’approche
d’une rive, on s’éloigne de l’autre.
D’un autre côté, il faudra éduquer
les enfants dans la perspective d’un
monde de plus en plus complexe.
Il faut périmer les anciennes antinomies, comme l’opposition progrès/tradition, l’opposition barbarie/civilisation, culturalisme/universalisme…
Sur les plans affectifs et des valeurs, le climat est également chahuté. A quelle main courante les
enfants peuvent-ils se raccrocher ?
Voilà le plus difficile. Au niveau de
la vie affective, les choses sont encore relativement simples. Car contrairement à ce que l’on entend
dans les conversations de café du
commerce, dire que la jeunesse a perdu le sens des valeurs, est tout à fait
faux.
Ils n’ont pas “perdu les valeurs”, en
revanche, leurs valeurs ne sont plus
tout à fait les mêmes que celles de
leurs parents. Et ça, c’est rassurant ! Les valeurs comme l’amour,
l’amitié la famille ne sont pas du
tout en perte de vitesse, au contraire, elles n’ont jamais été autant affirmées qu’aujourd’hui. Rappelons
qu’il n’y a pas si longtemps l’amour
n’était pas le centre de gravité dans
la formation d’un couple. L’attention que l’on apporte aux enfants,
c’est tout à fait moderne aussi. La
voilà, la main courante.
En dessous des soubresauts ou des
vaguelettes de surface, il y a des socles souterrains qui, eux, restent
constants voire se réaffirment. Cela
autorise un certain optimisme. L’investissement affectif de la sphère
privée (foyer, couple, enfant…) va
s’accentuer à mesure que la sphère
publique va devenir de plus en plus
complexe. Avec le risque d’accentuer le mouvement, déjà en cours,
de désinvestissement de la sphère
publique, du politique au sens noble du terme…
C’est là qu’au niveau des valeurs je
me dis que l’on ne pourra pas faire
l’économie d’un réinvestissement
du débat public. Si l’on veut retrouver une vie commune, un monde
commun, on ne peut pas vivre dans
un monde de tout à l’individu.
MICHEL DE MUELENARE
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10*
Chapitre 1
Jeudi 1er juin 2006
Parents-enfants
Du temps de l’innocence
au tempérament de l’adolescence
Ado, l’enfant en vient
aux prises avec lui-même. Il veut être compris sans exprimer ce
qu’il vit. Conflits en perspective. A affronter
avec philosophie et
quelques balises.
DE MON TEMPS...
Didier Reynders, 47 ans,
ministre et président du MR
E
ntre discussions vives et portes claquées, le fracas des
décibels apprend vite aux parents à faire leur deuil du
temps béni de l’innocence, pour entrer dans l’ère du paradoxe adolescent : « Tout se passe comme si l’intensité de leur besoin d’être proches
avec l’un ou l’autre des parents était
inversement proportionnelle avec
leur désir de s’éloigner de ces mêmes
parents, comme pour mettre à
l’épreuve le lien », constate le psychosociologue et écrivain Jacques
Salomé (1). On se trouve face à un
ado qui souhaite être compris sans
avoir besoin d’exprimer ce qu’il vit.
Et toute initiative des parents destinée à susciter la discussion vire à
l’intrusion intempestive (« Tu ne
peux pas comprendre ! »), voire à
l’effraction caractérisée (« Sors de
ma chambre ! »), avec son lot de
réactions incontrôlées (« Vous êtes
tous des cons, je vais me casser ! »).
Des sautes d’humeur imprévisibles qui ne doivent pas trop perturber les parents. Ce n’est pas tant
leur autorité qui est ainsi remise en
cause mais leur enfant qui en vient
aux prises avec lui-même… Comme
ces conflits sont inévitables, voire
souhaitables (votre bébé d’hier apprend à marcher dans « sa » vie),
autant les affronter avec philosophie. Non sans rappeler quelques
principes essentiels pour conserver
cette autorité bienveillante, indispensable à l’harmonie familiale.
Les règles familiales
Elles sont connues depuis l’enfance et ont forcément évolué avec
l’âge. Ce qui était interdit à cinq ans
(« Tu ne roules pas en vélo sur la
route ! ») est désormais admis à
huit (« Tu peux rouler sur la route
en restant derrière moi. »). À l’adolescence, l’affaire se complique. Il
est alors question d’heures de sortie, de fréquentations, de comportements. Et ce que l’ado demande,
d’autres l’accentuent également,
puisque tous ses copains renforcent
son désir de reculer les barrières
(« Quoi ? Tu dois encore rentrer à
minuit chez tes vieux ? »). Depuis
son plus jeune âge, l’ado sait que ses
désirs ne sont pas toujours réalisables. Il importe donc de prolonger
ces limites, évidemment adaptées à
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1NL
« Mes parents, issus des classes moyennes, ont toujours travaillé durement pour faire en
sorte que leurs enfants aient
des débouchés plus importants que les leurs. Le respect
envers eux s’est donc installé
tout naturellement.
Même si la hiérarchie parentale dominait, j’ai aussi fortement ressenti l’autorité à travers mes professeurs, notamment en humanités. Je les respectais pour leurs qualités et
parce qu’ils représentaient un
exemple à suivre. Mais le respect était plus automatique et
plus discerné qu’aujourd’hui. »
(A.G. st.)
son âge et à sa personnalité, puisqu’il ne connaît pas encore (toutes)
les siennes. Et en cas d’oubli ou de
transgression, il convient de les lui
rappeler, quitte à s’opposer à lui.
Ambiance garantie…
Les règles légales
Tout petit, l’enfant a appris à mettre sa ceinture de sécurité, à traverser dans les clous ou à payer ses bonbons. Il sait donc qu’il existe aussi
des lois que ses parents respectent
et lui enseignent : on ne vole pas,
on ne frappe pas, on ne tue pas. À
l’adolescence, les zones de fréquentation avec la légalité se multiplient : fumer dans les lieux publics, chaparder dans un grand magasin, rouler sans permis de conduire, insulter un prof, sécher les
cours, sniffer de la colle, cogner un
copain, tripoter une fille… Autant
de conduites à risques, souvent recherchées par les ados, qui peuvent
déclencher une réponse judiciaire
11*
Jeudi 1er juin 2006
parallèle à l’ire parentale. Ici encore, il faut rappeler aux jeunes que la
première des lois qui le concerne,
c’est l’autorité légale des parents
sur leurs enfants. Plus ils le savent,
plus ils en seront intérieurement
rassurés : « Je me sens en sécurité.
Mes parents m’aiment et veillent
sur moi. Ils sauront toujours me retenir à temps. »
Les règles culturelles
Un mot encore sur d’autres règles
parfois plus floues qu’il convient
d’approcher avec respect. Selon tel
groupe social, telle appartenance religieuse, il existe une série de conduites particulières. On songe, par
exemple, au port du voile ou aux interdits alimentaires de certaines
communautés religieuses. Aux parents d’initier leurs enfants à la tolérance et au droit à la différence. A
fortiori en ces temps incertains…
Savoir dire « non »
On entre ici dans le vif du sujet.
Face à l’énergie inépuisable d’un enfant qui veut satisfaire son désir
(« Je veux ce pistolet intergalacti-
que ! »), face à un ado qui contreargumente chaque décision (« Et
pourquoi je ne pourrais pas rouler
en moto ? Tu en as eu une à mon
âge ! »), les parents sont généralement contraints d’entrer en résistance durant, disons, une bonne
quinzaine d’années… Mais il existe
une collection de « non » qu’il faut
maîtriser en privilégiant un minimum d’explication. 2 exemples :
– Un enfant s’amuse à couper les
tulipes du jardin. La mère Michel,
curseur vocal au maximum : « Jo,
nom di dju ! Je t’ai déjà dit cent fois
de ne pas arracher mes tulipes ! »
La mère Veille, voix calme mais ferme : « Jo, je suis triste et mécontente. Tu as arraché toutes les fleurs
que j’ai mis des heures à planter
pour avoir un beau jardin. »
– Un ado rentre d’une boum,
deux heures après l’heure convenue. Le père Forateur, l’œil en cyclone : « Je ne veux rien entendre ! File dans ta chambre ! Plus de sortie
avant un mois ! Et pour ton stage
de karaté, c’est tintin ! » Le père Sévérant, le regard triste et inquiet :
« Jo, nous t’avions fait confiance.
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Quand tu ne rentres pas à l’heure,
on s’inquiète pour toi. Si tu as un
problème, tu dois nous appeler. »
La stéréo
Aussi futiles soient-ils, les conflits entre parents sont inévitables
parce que chacun d’entre eux provient d’une culture éducative qui
lui est propre. Ils doivent pouvoir
apaiser calmement leur désaccord,
loin de leurs enfants. Tout d’abord,
pour ne pas disqualifier celui qui
vient de rappeler une règle (« OK,
toi, tu viens de rentrer ! Mais ça fait
deux heures qu’il met sa musique à
fond ! ») ou d’autoriser un comportement (« Mais il a révisé ses leçons
pendant deux heures ! Il peut bien
se détendre un peu devant la télé. »)
Ensuite, pour éviter que l’enfant ne
soit pris au piège d’un conflit ouvert
entre ses parents. Une attitude à laquelle il faut être davantage attentif
lors d’une situation de divorce ou
de séparation.
Les punitions
Le grand débat ! L’énorme question ! Et souvent teintée d’une pointe de nostalgie que le temps a forcément édulcorée : « Ah ! de mon
temps, j’aurais eu une de ces tripotées de mon père… » Pour faire
court, la punition est aujourd’hui remise en question par la plupart des
spécialistes qui préconisent plutôt
la réparation. Selon eux, la punition leur semble inefficace à moyen
terme car elle renforce l’idée chez
l’enfant qu’une incartade force ses
parents à s’intéresser à lui : « Je
fais telle bêtise pour qu’ils s’occupent de moi. » Elle peut aussi louper son objectif initial : « Je ne ferai
plus telle bêtise non parce que je
sais que ce n’est pas bien, mais pour
éviter d’être puni. » De plus, la punition systématique peut engendrer
des dérives plus sévères comme la
dissimulation, le mensonge : « Je
fais mon coup en douce, comme cela, ils ne verront rien. » Et avec un
ado, en quête de ses propres valeurs, le recours à une punition devient quasiment illusoire tant est
grande sa révolte face à « ces parents qui ne comprennent décidément rien à rien ».
Quittons, dès lors, cette zone de
turbulence pour envisager des manières d’agir plus positives non sans
insister sur ceci. Parce que le père
est fatigué, parce que la mère n’en
peut plus, parce que le gosse a été
infernal de chez infernal, il arrive
qu’une gifle parte de manière incontrôlée.
Pas de panique ! Pas de culpabilité outrancière ! Violente et isolée,
cette réponse restera une exception. Et, une fois la sérénité revenue, les protagonistes pourront s’expliquer sur cet incident en imaginant la meilleure manière de l’éviter à l’avenir. Et pourquoi pas d’en
rire ?
MARC VANESSE
(1) Dans la préface du livre : « Difficile adolescence, guide pour les parents, enseignants et éducateurs », Phare EnfantsParents, 2002 (180 pages – 22 euros).
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12*
Chapitre 1
Jeudi 1er juin 2006
Parents-enfants
Les liaisons dangereuses
Mère étouffante, père
physiquement ou virtuellement absent…
Certains ados cherchent à couper le cordon par la violence. Il
faut très vite leur offrir
une alternative.
A
limentation désordonnée, désintérêt
scolaire, absentéisme, crises d’angoisse, état dépressif, indifférence inhabituelle, scènes de violence, automutilation… Cette fois, c’est sûr, cet adolescent vit une période épouvantable ! En l’absence d’un problème de
santé particulier qui justifierait ce
changement de comportement, les
parents, les éducateurs doivent mener discrètement l’enquête pour détecter l’origine du mal qui le ronge.
Un deuil difficile ? Un divorce mal
géré ? Une déception sentimentale ? Une assuétude aux stupéfiants ? Un conflit avec un prof ?
Un racket à la sortie de l’école ? Les
causes de ce désarroi peuvent être
multiples et nécessitent une réaction immédiate des parents.
Homme de terrain, Claude Seron
compte trente années d’activité au
sein de l’aide et de la protection de
la jeunesse. Il dirige aussi l’association liégeoise « Paroles d’enfant »
qui vient en aide aux adolescents
« cabossés », principalement victimes d’actes sexuels et de leur famille. Aux côtés de l’ethnologue
français Boris Cyrulnik, ce psychothérapeute a notamment développé une réflexion intense sur « la révolution des nourrissons géants »,
ces enfants violents, emprisonnés
dans un étouffoir familial (1) : « Cyrulnik dit qu’il existe une relation
entre un parent et son enfant qui
“crée le cocon jusqu’au dégoût”. C’est
notamment le gamin qui n’a que sa
mère comme univers, une situation
fréquente dans les familles monoparentales, voire dans des couples où
le père est complètement évanescent
(abandon, alcool, chômage…). Et
dans ce climat incestueux, l’enfant
1NL
est propulsé au statut d’égal de sa
mère. Dans d’autres familles, on
voit aussi une maternalisation de
la fonction paternelle. Certains pères, qui ont connu des rapports de
soumission à un père autoritaire,
ont décidé d’arrondir complètement leur manière d’être. »
Tiers séparateur
Ce « nourrisson géant » se trouve
face à une relation étouffante où il
n’y a plus de « tiers séparateur » lui
permettant d’y échapper : « La mère construit une relation telle avec
son enfant qu’elle touche à la complétude, poursuit Claude Seron. Et
en l’absence d’un tiers séparateur
qui lui permette de respirer, l’enfant cherche à se dégager de sa mère
étouffante par la violence. »
Et le psychologue d’illustrer son
propos par des phrases entendues
en thérapie : « Il n’a pas rangé sa
chambre, donc il ne m’aime pas ! »,
« Ma fille a été opérée et mon fils ne
m’a pas demandé ce que ça m’a
fait ! »
Pire, certains enfants confrontés
à des mères aussi fragiles, en viennent à protéger leur parent : « Ils
ne peuvent faire leur crise d’adolescence par peur de fragiliser leur mère carencée. Je reçois en consultation une jeune fille modèle depuis
trois ans. Elle prend tout sur elle !
Elle se sent entièrement responsable
de tout ce qui foire à la maison. Récemment, on a décidé de son place-
ment en institution. Un mois plus
tard, elle est devenue pubère (à
15 ans !), son corps de jeune fille
s’est développé. Et elle a commencé à
contester les éducateurs, à prendre
position. En clair, elle a enfin osé
faire sa crise d’adolescence car le milieu l’y a autorisé. Et sa mère m’a
dit : “ Vous vous rendez compte, elle
m’a fait ses premières règles ailleurs que chez moi ! ” »
Après un divorce difficile, après
une éducation personnelle inadéquate, après une déglingue économique ou affective, certains adultes
conduisent
imperceptiblement
leurs enfants au bord du gouffre :
« Ces parents sont tellement déstructurés, tellement en difficulté
avec eux-mêmes, qu’ils sont incapables de proposer une disponibilité
émotionnelle à leur enfant. Aux antipodes des besoins réels et concrets
de leur enfant, ils sont incapables
d’être parents, une conclusion toujours dure à admettre. Et là, on doit
prendre la décision d’aider l’enfant
à investir d’autres liens. Il pourra
prendre pour modèle un éducateur
attentif, un professeur bienveillant.
Comme dit le proverbe africain : “Il
faut un village pour élever un enfant.” »
MARC VANESSE
(1) Claude Seron vient de publier un ouvrage passionnant, en deux tomes, sur les enfants en difficulté : « Au secours, on veut
m’aider », éditions Fabert (216 et 280 pages
– 25 euros chacun).
DE MON TEMPS...
Bruno Taloche,
45 ans, humoriste
« L’éducation, c’est le respect.
Il ne faut pas considérer les enfants comme des petits adultes. Ils ont des droits, mais aussi des devoirs. Ils doivent savoir respecter les adultes. Les
parents n’ont pas toujours à se
justifier. Mes parents nous ont
permis, à mon frère et à moi,
de choisir notre voie tout en
nous apprenant les règles essentielles de politesse.
Dans la société actuelle, il y a
une dérive permanente, et un
certain laxisme. Les parents
sont de plus en plus stressés.
Il y a de plus en plus de divorce. Je pense qu’il faut plus de
rigueur. Les enfants apprécient le fait d’avoir des repères. » (Ma.M, st)
13*
Jeudi 1er juin 2006
Aux frontières du réel
Pourquoi est-il plus difficile aujourd’hui d’exercer son autorité parentale ? Parce que les
temps ont changé. Et
les choix sont infinis.
C
hez les amis ou au
bistrot, à la sortie de
l’école ou au boulot,
cette question lancinante revient souvent : « Pourquoi
l’exercice de l’autorité parentale
semble-t-il si délicat de nos
jours ? » La sociologue Danielle
Mouraux de répondre en six mots :
« Parce que les temps ont changé. »
Et cette spécialiste de la famille
d’évoquer en vrac les sinuosités
d’un parcours dont on ne parvient
pas toujours à maîtriser la trajectoire : « Contrairement au modèle
quasi unique d’autrefois, chaque
adulte se trouve désormais devant
une infinité de choix. Faut-il se marier ou cohabiter ? Avoir des enfants ou non ? Avec l’arrivée d’un
enfant, faut-il travailler à deux ou
non ? Si oui, qui sacrifie sa carrière
ou demande un congé parental ?
Les petits, vaut-il mieux les éduquer soi-même, les placer à la crèche
ou solliciter les grands-parents ? Et
le choix de l’école ? Et les stages ? Et
les loisirs ? En cas de divorce, qui
aura la garde des enfants ? Comment organiser leur éducation une
fois séparés ? On le voit, la palette
des choix accuse une augmentation
exponentielle. »
Autre écueil souvent cité, la confrontation des familles à un environ-
nement sociétal discordant où, de
surcroît, chaque parent manque davantage de temps pour recadrer
une foultitude de messages captés
par les plus jeunes : « Pour élever
son enfant et construire une relation chaleureuse avec lui, il faut
passer énormément de temps ensemble. Envahies par d’autres valeurs
(l’école, l’argent, la réussite, la publicité, les médias, les consoles de
jeux…), les familles éprouvent
d’énormes difficultés pour imposer
les siennes car elles sont systématiquement comparées à d’autres. Au
vu de cette évolution, les parents doivent développer des compétences parentales nouvelles qui n’existaient
pas voici cinquante ans. »
« Il suffit parfois
d’un racket à l’école… »
À ce tableau de la complexité sociétale, le psychiatre Nicolas Zdanowicz ajoute : « Imaginons même
que des parents se transforment en
super-parents, hyper-proches et attentifs à l’éducation de leurs enfants. Mais on n’aura rien changé
au chômage, à la dépendance économique, à l’hypercompétition, au
stress professionnel, à la violence, à
la survalorisation des objets… Au
cabinet, je reçois aussi des gosses délinquants qui vivent dans des familles très chouettes ! Il suffit parfois d’un racket à l’école pour tout
faire basculer. »
Et le professeur de psychopathologie (UCL) d’en revenir invariablement à cette nécessité, encore accrue de nos jours, d’encadrer l’enfant ou l’adolescent pour lui éviter
les pièges que lui pose son environnement immédiat : « On le sait, les
films violents ont un impact catastrophique sur un enfant. Mais on
a aussi multiplié les expériences
qui démontrent qu’un film violent
« Pour élever son enfant et construire une relation chaleureuse avec lui,
il faut passer énormément de temps ensemble. » PHOTO P.-Y. THIENPONT.
peut devenir structurant. S’il est regardé avec des parents encadrants,
il y aura discussion, mise en perspective et construction de valeurs.
Prenons le début du film “Il faut
sauver le soldat Ryan” qui est extrêmement violent.
Mais la suite permettra à un ado-
lescent de mieux comprendre ce
qu’est la guerre, la souffrance, la
mort, le combat pour la liberté. Les
images les plus violentes, ce sont les
séquences “No comment” sur Euronews où tout conflit armé est livré
sans la moindre mise en contexte. »
MARC VANESSE
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14*
Chapitre 1
Jeudi 1er juin 2006
Parents-enfants
Les limites et les jeux interdits
Les parents le savent :
chaque enfant adore tirer sur l’élastique des
règles établies avec
une obstination qui dépasse l’entendement.
L
e truc de l’enfant,
c’est je veux tout et
tout de suite ! », résume le psychiatre Nicolas Zdanowicz qui
rappelle le rôle fondateur des limites et des interdits en
évoquant cette expérience menée
avec des adolescents pour leur appendre à gérer leur consommation
d’alcool. « Afin de tester une campagne publique de prévention, trois
groupes d’ados ont été constitués
pour être suivis durant plusieurs
mois. Il y avait ceux qui étaient soumis à une famille hypercontrôlante
(« Tu ne boiras pas ! »), ceux qui vivaient dans une famille encadrante
(« Tu peux boire un coup mais tu
fais gaffe ! ») et ceux qui avaient le
droit de tout faire (« De toute façon,
tu boiras quand même »). On a vite
constaté que les premier et troisième groupes avaient adopté un comportement catastrophique vis-à-vis
de l’alcool. Le groupe appartenant
aux familles encadrantes avait produit le moins d’alcooliques. »
Tous les parents le savent, chaque enfant adore tirer sur l’élastique des règles établies avec une obstination qui dépasse l’entendement. Certains rejetons arrivent
même à scier une à une ces barrières symboliques en emportant, de
guerre lasse, la bataille de tous
leurs désirs. Après une journée d’enfer au boulot et une tapée de problèmes domestiques à régler dans l’urgence, la garde des parents a aussi
tendance à s’abaisser, histoire d’éviter un cyclone supplémentaire à la
maison. N’empêche : le respect des
règles définies en famille joue un rôle primordial pour le développement de l’enfant. Même si celui-ci a
décidé de ruer dans les brancards, il
convient de lui délimiter son espace
de liberté et de sécurité.
Sociologue, Danielle Mouraux a
beaucoup étudié la vie des familles : « Aujourd’hui, on accorde
beaucoup plus d’importance à la
place de chacun au sein de la cellule
familiale. Chaque « je » peut dire
son mot. La difficulté majeure des
parents consiste dès lors à rester à
l’écoute de chacun de ces « je » et de
décider ensuite. Mais les enfants
ont besoin d’un code de conduite sur
lequel s’appuyer en leur indiquant
ce qu’il est possible de faire. Si on demande, par exemple, à de jeunes enfants de définir ce qui est permis ou
interdit, ils vont vous transformer
la maison ou l’école en véritable
camp de concentration ! »
Ils cherchent à grandir
Adaptés à chaque âge, les interdits sont souvent source de conflits.
À chacun son rôle. Aux parents
d’imposer des règles adaptées à
leur progéniture. Aux enfants de
chercher à en repousser les limites.
En agissant ainsi, ils cherchent tout
simplement à grandir…
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Poser des limites, définir des interdits, c’est aussi créer un cadre de
vie structurant pour l’enfant, lui
ôter l’idée illusoire de sa toutepuissance. La frustration crée le
manque. Et sans le manque, il n’y a
pas de désir, ce désir indispensable
à toute relation au monde et aux autres. « Combien d’adolescents, qui
ont eu tout et tout de suite, ne se sentent-ils pas comblés et blasés ?, s’interroge ce jeune professeur namurois. Coulés dans l’ennui, ils se légumisent devant des jeux débiles parce qu’ils ne désirent plus rien. »
Enfin que chaque parent se rassure, son enfant ne doit pas filer chez
un psy parce qu’il se rebiffe contre
une interdiction en protestant, en
argumentant ou en criant. On a rarement vu un gosse réagir favorablement devant ses parents qui lui interdisent de regarder tel film à la télé : « Évidemment, vous avez raison ! Ce film ne me convient pas. Je
monte tout de suite dans ma chambre pour aller réviser mes maths. »
À la limite, c’est celui-là qu’il faudrait conduire fissa chez docteur
Freud…
MARC VANESSE
DE MON TEMPS...
Florence Reuter, 36 ans,
présentatrice du JT sur RTL
« Mes parents étaient cohérents et justes. Dire “oui” pour
quelque chose et le lendemain
“non” pour la même chose parce que l’on est fatigué ou dépassé, c’est un piège qui menace tous les parents mais qui
perd les enfants. Si ces derniers ne savent plus où se situer, les dérives peuvent commencer. À l’école, je n’étais
pas des plus sages ou disciplinées. Mais j’arrivais à adopter
la juste attitude afin d’éviter
de sombrer dans l’échec. Question de fierté et de dignité. Au
pire, j’ai reçu une retenue ou
deux points en moins en discipline. » (A.G., st.)
15*
Jeudi 1er juin 2006
Le meilleur des mondes
Si la famille glisse vers
un modèle plus démocratique où chacun
trouve sa place, il doit
rester un patron pour
analyser et décider.
D
eux attitudes caricaturales conduiront à coup sûr votre enfant dans le
lac des désillusions : lui dire
« non » à tout et lui dire « oui » à
tout. Entre ces berges de l’intransigeance et du laxisme, on n’a rien inventé de mieux que le dialogue, la
négociation, la responsabilisation,
la confiance. Si la famille glisse de
plus en plus vers un modèle démocratique où chacun trouve pleinement sa place, il doit rester un « patron » qui analyse chaque situation
et décide en fonction des valeurs défendues par la famille.
Lorsqu’un conflit survient, il est
plus aisé pour les parents de faire
valoir leur point de vue en l’argumentant. Comme il n’est pas indé-
cent d’écouter celui de l’enfant, ses
arguments n’étant pas tous à rejeter. Très souvent, il est possible de
dégager un compromis qui ne fait
perdre la face à personne. Et cette
manière d’entrouvrir progressivement le jeu initie aussi les plus jeunes à leur future vie en société. Prenons deux situations courantes.
Le look. Comme tous les ados de
son âge, Soraya (14 ans) n’échappe
pas à la tyrannie des marques vestimentaires : « Je n’ai plus que des
trucs ringards à me mettre ! » Parce que ses parents n’ont pas un budget illimité ou qu’ils ne le souhaitent pas, le renouvellement de sa
garde-robe ne pourra se faire en un
jour : « Nous allons fixer ensemble
un budget et tu pourras acheter ce
que tu souhaites. » Et même si ce
pantalon un peu trash ou ce pull un
peu court fait douter ses parents, Soraya pourra tout de même s’offrir sa
petite fantaisie et gagner le respect
de sa bande d’amis.
Les sorties. Un ado de 14 ans n’est
pas un ado de 17 ans. Avant sa première soirée avec des copains, Raphaël (14 ans) devra négocier ferme
avec ses parents : « Où vas-tu ?
Avec qui ? Comment y vas-tu ? À
quelle heure rentres-tu ? Qui te ra-
Ni oui ni non à
tout, mais un
dialogue permanent. PHOTO
ALAIN DEWEZ.
mènera ? » Entre le « non » catégorique et le « oui » distrait, Raphaël
apprendra à évaluer l’ensemble de
la situation et à comprendre les limites que ses parents lui ont fixées.
Se sentant responsable, voyant ses
parents tenir à lui, il aura envie
d’être à la hauteur de leur confiance. Il ne rentrera pas avec un conducteur bourré, il respectera la plage horaire négociée, il ne fréquentera pas un endroit à risques. Plus
tard, il aura gagné un horaire plus
souple et une meilleure confiance
de ses parents qui auront compris
qu’il respectait les consignes sans
(trop) déraper.
Cette indispensable confiance
souhaitée par les parents et les enfants repose sur un contrat mutuel : « Je te fais confiance parce
que je te connais bien et que je sais
que tu es capable de prendre soin de
toi. Et toi, tu sais que je veille sur toi
et que tu peux toujours compter sur
moi en cas de pépin. » Au fil des
ans, l’autorité glisse imperceptiblement vers l’autorisation, vers l’autonomie. Car les parents savent que le
patrimoine symbolique qu’ils transmettent à leur enfant depuis tant
d’années devient son propre mode
de conduite. Certes avec ses nuances, ses approbations et ses rejets.
On n’est pas jeune pour rien !
MARC VANESSE
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16*
Chapitre 1
Jeudi 1er juin 2006
Parents-enfants
Exercice de style sur l’air
de : « Range tes godasses »
Comment, à travers le
siècle écoulé, l’autorité
parentale s’est sérieusement adoucie. Face
à des enfants dotés de
tous les droits, les parents ne savent plus
sur quel pied danser.
DE MON TEMPS...
Grégoire Dallemagne
33 ans, président de Télé2
« Mon père était malade. Avec
mes frères et sœurs, nous
avons toujours fait preuve d’autonomie. Cependant, mes parents restaient présents et indiquaient de manière très claire
la marche à suivre, et ce, sans
compromis. Grâce à leur autorité, nous avons eu tous trois
un parcours sans échec. Au
collège Saint-Augustin de Gerpinnes et à l’Institut NotreDame de Charleroi, la majorité
des professeurs étaient respectés. Nous leur reconnaissions
une autorité importante et, de
ce fait, les prenions comme référence. » A.G. (st.)
N
ous sommes en
1911. Après sa
journée passée au
fond de la mine,
le père rentre à la
maison. Épuisé,
il dénoue ses godasses crottées qu’il
laisse tomber à terre. Sous la table
de la cuisine, il voit les chaussures
de son fils abandonnées. Il rappelle
son rejeton sèchement à l’ordre et
exige qu’il les range immédiatement. Occupée dans ses marmites,
la mère ramasse les pompes de son
mari et confirme d’un ton mécontent : « Ton père t’a dit de ranger
tes chaussures ! » Le gamin s’exécute sur-le-champ, heureux de ne pas
se prendre une torgnole au passage.
Nous sommes en 1936. Employé
de commerce, le père rentre chez
lui fatigué. Il enlève ses chaussures
tout en découvrant celles de son fils
qui trônent dans le vestibule. Il appelle son fils et lui demande de les
ranger sans délai. Et la mère, occupée dans ses fourneaux, dit au gamin : « Ton père t’a dit de ranger
tes chaussures ! » Puis, elle range
les godasses du père en pensant secrètement : « Il pourrait tout de même le faire lui-même ! » Quant au
fils, il s’exécute tout en se disant :
« Pourquoi moi, je dois ranger mes
chaussures et pas lui ? »
Nous sommes en 1961. Instituteur, le père rentre à la maison. En
enlevant ses chaussures, il découvre de nouveau celles de son fils au
milieu du jeu de quilles. Il l’appelle : « Je t’ai déjà dit de ranger tes
chaussures quand tu rentres. » Il
1NL
pose les siennes dans un coin et se
dit qu’il les rangera plus tard après
s’être détendu. La mère ajoute au
gamin : « Sois gentil, range tes
chaussures. » Voyant celles de son
mari, elle ajoute devant l’enfant
avec une pointe d’ironie : « Chéri,
avant de dire à ton fils de ranger ses
chaussures, tu pourrais commencer
par les tiennes. » L’enfant, soutenu
par sa maman, finit par ranger ses
godasses en râlant : « Moi, j’rangerai d’abord mes chaussures avant
de le demander à mes enfants. »
Nous sommes en 1986. Cadre dans
une banque, Papa rentre énervé par
le plan de restructuration. Une fois
encore, les chaussures de son fils
traînent dans le hall. Hélas, les normes de Mai 68 ont modifié la donne et il se trouve devant trois scénarios. Ou il donne l’ordre à son fils de
les ranger avec un sourire qui exprime son manque de conviction en sa
propre capacité à commander
(l’autorité paradoxale). Ou, lassé de
répéter les mêmes choses, il ne dit
rien et file devant la télévision pour
oublier toutes ces complications (le
renoncement). Ou il range lui-même ses chaussures avant d’appeler
son fils pour qu’il en fasse de même
(le prix du respect).
La mère peut aussi intervenir de
différentes manières. Elle peut lâcher du tac au tac : « Laisse-le tranquille, tu vois bien qu’il fait ses devoirs. Et puis, tu pourrais commencer par ranger les tiennes ! » Et le
fils de se marrer en comptant les
coups, tout en se réjouissant de cette alliance objective contre l’autorité paternelle. Elle peut aussi ne rien
dire et laisser ces deux-là s’expliquer. L’autorité du père n’étant
plus relayée, elle est disqualifiée au
risque de disparaître. Père et fils
vont alors s’affronter avant de sortir blessés par l’affaire.
Face à la démission du père, la
mère peut encore ramasser les
chaussures de l’un et de l’autre en disant : « Je ne suis pas votre bon-
ne ! » Elle équilibre ainsi la position du père et du fils, ce dernier
étant encore moins enclin à céder le
premier. Elle peut aussi décider, à
son tour, de laisser tomber les bras.
Et lorsque ces deux-là auront faim,
elle leur dira : « Vous n’avez qu’à réchauffer votre barquette au microondes ! » Avec pour corollaire, une
attitude qui réduit à néant toute forme d’autorité partagée.
Face à la troisième hypothèse, la
mère peut aussi dire à son fils
« Prends exemple sur ton père et
range, toi aussi, tes chaussures ! »
Elle montre ainsi le respect que son
père a pour lui et le respect qu’ellemême porte à son mari. Elle donne
ainsi un modèle identificatoire à
son fils, qui commence par appliquer à lui-même ce qu’il demande à
l’autre…
MARC VANESSE
Inspiré du texte du psychiatre français Daniel Marcelli, « Des godasses aux Nike, petite histoire de l’autorité », paru dans « Questions d’autorité » (opus cité).
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1NL
18*
Jeudi 1er juin 2006
Chapitre 1
Parents-enfants
« On peut vivre castré, réfréner
ses désirs et être heureux ! »
Pour le spécialiste de
l’adolescence Nicolas
Zdanowicz, trois étapes sont nécessaires à
la formation d’un adulte : la privation, la frustration, la castration.
ENTRETIEN
L
e soleil bat la chamade sur les pelouses
qui entourent les cliniques universitaires
de Mont-Godinne.
Un moment propice
à la détente pour entamer une réflexion aérée sur la notion d’autorité parentale aux côtés de Nicolas
Zdanowicz, spécialiste de l’adolescence et professeur de psychopathologie et psychosomatique à l’UCL.
Comment définiriez-vous l’autorité
parentale ?
Il est parfois plus facile de définir
une notion par son contraire.
L’autorité, ce n’est ni faire du charme pour séduire son enfant ni faire
preuve de cet autoritarisme agressif
qui trahit plutôt l’échec de l’autorité
parentale. Cette dernière se rapproche plus de l’idée que l’on retrouve
dans des expressions comme « faire
autorité », « faire référence ».
Comment s’inscrit-elle progressivement dans l’esprit de l’enfant ?
Trois étapes sont nécessaires à la
formation d’un individu adulte,
soit une personne capable de différer son plaisir pour s’investir sur le
long terme : la privation, la frustration, la castration. Les deux premières se jouent principalement avec la
mère, la troisième avec le père.
Commençons par l’étape de la privation, qui concerne le bébé…
Prenons l’exemple simple de l’allaitement. Si la mère passe son temps
sur la tête de son enfant, le bébé sera
persuadé que le sein de sa mère n’est
pas différent de lui. Il a faim, il tète.
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Il n’a pas besoin de désirer. Si la mère le laisse un peu pleurer avant de
le nourrir, le bébé va accéder à sa
première pensée, la représentation
du sein. Il va téter dans le vide en
découvrant que ce sein n’est pas disponible à tout bout de champ.
Et la frustration ?
Vers deux ou trois ans, la mère joue
avec son enfant. Le père rentre et la
mère l’abandonne pour aller embrasser son mari. Le gosse râle ! Il
découvre qu’ils ne sont pas que
deux dans la vie. Il voit que l’on vit
avec d’autres personnes comme son
père qui accapare aussi sa mère. Le
bénéfice de la frustration, c’est de
faire naître chez l’enfant le senti8281010
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19*
Jeudi 1er juin 2006
ment de permanence au-delà de la
disparition de la mère dans l’immédiateté. Il se dit : « Maman joue
avec moi, elle part mais elle revient
toujours. »
Qu’en est-il de la castration où intervient davantage le père ?
Pour un enfant de quatre à cinq
ans, le père se positionne davantage
comme celui qui est soumis à la loi :
il respecte le code de la route, il ne
vole pas, il respecte sa femme… Inconsciemment, l’enfant se dit que
son père est castré dans ses désirs
immédiats mais qu’il vit bien cette
situation. On peut vivre castré, réfréner ses désirs et être heureux ! Il
se dit qu’il peut aussi devenir cela
en cherchant à l’imiter.
Quelles conclusions peut-on tirer
de cette évolution en trois temps ?
Pour ces trois opérations, il faut que
les parents ne soient pas eux-mêmes dans une demande d’amour
perpétuel. Si la mère devient une
maman-poule, si elle est trop fragile et refuse de voir son gosse pleurer,
le processus sera perturbé. Il y a aussi pour l’enfant la découverte d’une
hiérarchisation des places. En face
de lui, il y a un couple qui vit sa vie
de couple. Et les parents doivent accepter la critique de leur enfant qui
leur demande : « Tu préfères papa
ou maman à moi ? » Eh bien, oui,
c’est comme ça !
L’affaire ne se complique-t-elle pas
lorsque la famille est recomposée ?
L’enfant n’a pas à émettre de reproches sur le nouveau conjoint de papa ou maman. C’est une histoire entre adultes. Pas la sienne ! On trouve beaucoup de beaux-pères, de belles-mères qui ne veulent pas endosser le rôle de père ou de mère dans le
quotidien sous prétexte qu’il ne
s’agit pas de leur enfant. Je ne suis
pas d’accord ! Ils sont des adultes
qui s’en rapprochent. Pour faciliter
la vie en commun, ils peuvent dire
à l’enfant d’aller se laver les mains
avant de passer à table. Mais cela
suppose aussi que le nouveau conjoint soit intronisé en tant que tel
par le parent biologique. Il doit
avoir un statut officiel qui lui donne sa place hiérarchique dans cette
structure démocratique.
Que se passe-t-il ensuite à l’adolescence ?
Ces trois étapes vont être retestées.
Mais cette fois, arrivé à la taille et à
la force de son père, l’adolescent cherche à se façonner une personnalité
propre. Autant avec un enfant plus
jeune, on a pu lui imposer les choses, autant avec un adolescent, on
ne peut plus utiliser l’impératif.
Car le but du jeu, c’est que l’ado se
fasse une loi à lui tout seul ! Si les
parents lui parlent à l’impératif, ils
détricotent ce que ce jeune est en
train de construire. Et on entend
des phrases du genre lancées à son
père : « Tu me dis que la famille est
importante mais tu rentres tous les
jours à minuit ! Moi, je serai à la
maison tous les jours à 19 heures. »
L’ado se fabrique une loi.
Chaque famille définit ses règles
de conduite. Comment gérer les
inévitables incartades ?
J’en reviens au début : il ne faut
tomber ni dans la séduction ni
dans l’autoritarisme. Le parent
doit devenir une référence qui fait
naturellement autorité. Si le gosse
arrive en retard au dîner, on lui
dit : « Nous avons mangé, tu te débrouilles. Tout est dans le frigo. »
C’est différent de l’attitude qui consiste à recuire son repas (séduction)
ou à le consigner dans sa chambre
sans manger (autoritarisme).
Lorsque l’enfant commet une boulette plus sérieuse, quel type de punition faut-il envisager ?
Il faut évidemment adapter la punition à chaque âge. Avec un adolescent, c’est plus compliqué. Mais si
la punition rime avec réparation,
c’est un bon plan ! Si un enfant défonce une porte en jouant, on ne va
pas lui demander de régler la facture qui sera de toute manière prise en
charge par l’assurance familiale.
Après avoir exigé ses excuses, on
peut lui demander de tondre la pelouse durant un mois pour réparer
sa faute. Mais si on n’a jamais pratiqué la punition dès l’enfance, ce sera impossible à l’adolescence. C’est
tout de suite ou jamais !
Qu’entend-on par la démission des
parents ?
Même si cela arrive, ce sont rarement des parents qui ont abandonné leur enfant ou préféré leur carrière. Ce sont plutôt des parents qui sacrifient tout pour leur enfant parce
qu’ils estiment qu’il est leur unique
raison de vivre. Seul leur enfant
donne sens à leur vie. Comme il est
tout pour eux, ils ne peuvent pas le
priver, le punir, car leur enfant doit
les aimer. Le gosse décide de tout !
Si un parent est triste de punir son
gosse parce qu’il va râler sur lui,
alors il ne faut pas être parent !
Propos recueillis par
MARC VANESSE
DE MON TEMPS...
Jean-Michel Saive
37 ans, pongiste
« On doit se prendre en charge soi-même et assez vite.
Moi j’ai fait ça toute ma vie. Je
savais que je voulais faire du
sport, j’étais motivé et déterminé. Mes parents n’étaient pas
très stricts. Grâce au sport, j’ai
appris la discipline. Quand
j’avais 15 ans, j’avais un entraîneur très dur, mais aujourd’hui
je peux dire que je lui dois
beaucoup. Moi-même, je suis
un papa assez cool, mais je
n’hésite pas à faire la police
quand il le faut. » (Ma.M., st)
8455870
Faculté universitaire
des Sciences agronomiques
www.fusagx.be
Académie universitaire Wallonie-Europe
L’Université des métiers du développement durable
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d’information
sur les études
samedi 24 juin (10h)
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20*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
Le prof n’est plus le maître :
avec l’élève, il faut négocier
L’enseignant souffre.
Son autorité ne va plus
de soi. A l’école, la règle ne s’impose plus
d’elle-même. Il faut
souvent la négocier.
Constats. Explications.
Et pistes de solutions.
I
l est fini, le temps où il suffisait d’un claquement de
doigts pour imposer le calme en classe. Il est fini le
temps où l’élève se pliait à
la règle sans broncher.
Dans les écoles, aujourd’hui, l’enseignant doit négocier, convaincre,
motiver. Et à l’occasion… subir.
Dans certains bahuts, au secondaire singulièrement, donner cours
relève du corps à corps usant.
Certes, le paysage scolaire est divers. Parler d’école, c’est tendre un
élastique qui part d’une paisible
classe maternelle de Waterloo pour
arriver à une classe professionnelle
de Charleroi ou Bruxelles. Mais
quelle que soit la diversité des vécus, le corps enseignant dans son
La soumission silencieuse à la règle, c’est fini. L’enseignant doit négocier, convaincre et susciter l’adhésion à la règle. PHOTO SYLVAIN PIRAUX.
ensemble confesse un malaise, diffus et pesant – décrit et exprimé
dans une série de rapports récents.
Et la relation difficile entre élève et
professeur (en tout cas : plus difficile que naguère…) est un élément clé
de ce malaise.
Entre élève et prof, c’est la crise ?
Disons : le rapport a changé. Evolué. Exactement comme le père
n’est plus l’Autorité indiscutée au
sein du clan familial, le maître a été
dévissé de son socle. A l’école, comme à la maison, il n’y a plus de soumission docile et silencieuse, ni à la
règle ni à l’aîné. Aujourd’hui, il faut
susciter l’adhésion. L’école (comme
le clan familial, encore une fois),
s’est « démocratisée ». On veut dire : on y a transposé les règles du
jeu de la démocratie en ceci que la
norme doit recueillir, sous une forme ou sous une autre, l’assentiment
du groupe.
Mais tout est-il négociable ?
Non. Et comment établir un climat
serein, sain, détendu dans les classes ? Dans les pages qui suivent,
nous avons rencontré des experts,
des enseignants, des directeurs, des
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I N S T I T U T D ’ A R C H I T E C T U R E V I C T O R H O R TA
■
■
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■
Enseignement de niveau universitaire
Cours à option dispensés à l’U.L.B.
Programmes d’échange européen
Laboratoire de C.A.O.
Inscriptions à partir de la deuxième semaine du mois de juillet.
Campus de la Plaine, accès 5
bd du Triomphe C.P. 248 - 1050 Bruxelles
Téléphone : 02 650 50 52 - Fax : 02 650 50 93
E-mail : [email protected] - http ://www.ulb.ac.be/horta
1NL
formateurs, des professeurs d’école
normale. Avec une préoccupation :
découvrir leurs pratiques et lever
leurs bonnes « recettes » (parce
qu’il y en a…).
Question centrale, dans ce chapitre : le futur enseignant est-il formé
à la gestion des groupes, aux problèmes de discipline ? Oui. C’est assez
récent. Et salué. Mais plusieurs de
nos interlocuteurs, comme Anne
Chevalier (formatrice d’enseignants) ou Jean-Benoît Cuvellier
(chef du département pédagogique, à la Haute Ecole catholique de
Namur) soulignent l’importance
« vitale » (pas moins…) d’accompagner le jeune enseignant en début
de carrière. « A l’école normale, en
matière de discipline, de gestion de
groupes, on donne le b.a.-ba, dit Cuvellier. Mais c’est quand le jeune enseignant commence à avoir un vécu, qu’il commence à vivre des expériences, des problèmes de discipline,
qu’un travail peut vraiment être
fait avec eux sur ces questions. »
Message reçu, le politique ?
PIERRE BOUILLON
SIGNES D’AUTORITÉ
Le surveillant
Le surveillant – le pion – aura
été, pour des générations de potaches, la figure emblématique
de l’autorité à l’époque où la discipline se concevait prioritairement sur le mode répressif. Un
personnage volontiers sournois,
au teint olivâtre, au menton
bleui par une barbe dure, qu’un
obscur destin condamnait à errer sans fin dans des couloirs
enténébrés, précédé par le tintinnabulement de son trousseau de maton (« Frinc ! Frinc !
Frinc ! », font les clefs du redoutable monsieur Viot dans « Le
Petit Chose » d’Alphonse Daudet). Ce pion-là a désormais rejoint les limbes où s’égosillent
en vain d’autres représentants
furibards de la vieille école : proviseurs et autres préfets de discipline… Aujourd’hui, les surveillants se sont mués en éducateurs. Et les Petits Choses en
ados chatteurs. (S.D.)
Jeudi 1er juin 2006
21*
« L’école n’est pas un lieu de vie »
U
Jadis séparés, les mondes de la famille et de
l’école sont désormais
en contact et parfois
en conflit. Qui fait
quoi ? Traube explique.
n père qui pénètre dans l’école de
son fils pour insulter et agresser le
professeur. Des
enseignants forcés de « faire de la discipline » –
d’apprendre aux enfants à s’asseoir,
à écouter l’autre parler… – avant de
pouvoir entamer le programme.
Des parents totalement désintéressés par la vie scolaire. Les relations
entre la famille et l’école ne sont pas
toujours aisées. Peut-on les réconcilier ? La parole à Patrick Traube.
Naguère, les lieux et les personnes
dépositaires de l’autorité étaient
clairement identifiés. Aujourd’hui,
où est-elle ? Et particulièrement
qui, de l’école ou des parents, la détient encore ?
D’une part, l’autorité est éclatée,
d’autre part on a perdu le consen-
sus historique entre famille et école.
Il y a quelques décennies, si le maître punissait un enfant, il arrivait
que les parents “en remettent”. Famille et école partageaient les mêmes valeurs. Il n’y avait pas de problèmes territoriaux. Les sphères
étaient nettement séparées : la famille avait pour mission d’éduquer, l’Etat avait pour mission
d’instruire.
Au fil du temps, les missions de l’école ont gonflé. L’attente à l’égard de
l’école a grandi, devenant parfois
utopique. On lui a demandé de sortir de sa mission purement instructive, passant ainsi du règne de
l’“instruction publique” à celui de
l’“éducation nationale”. Forcément,
les deux territoires se sont superposés avec tous les conflits que cela
peut générer. Avec la possibilité
pour les familles les plus fragilisées
de s’en remettre à l’école pour pren-
dre en charge ce qu’elles-mêmes
abandonnaient.
En outre, les lieux d’autorité se
sont multipliés…
La société est devenue de plus en
plus complexe. L’enfant peut être
soumis à deux logiques culturelles
différentes, celle de l’école et celle de
la famille. Et parfois, au sein de la
famille, à des valeurs antagonistes.
Les enfants doivent apprendre à vivre dans ce monde-là. Car les continents vont dériver de plus en plus.
Ils vont rentrer dans un monde professionnel soumis à une certaine
culture, puis vont en changer, en se
soumettant à d’autres lois, puis
vont voyager, se retrouver dans une
culture différente. C’est positif, c’est
une opportunité, mais ça rend les
choses plus difficiles.
Soit. Une exigence de flexibilité
Suite en page 22
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1NL
22*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
Suite de la page 21
s’impose aux jeunes. Raison de
plus pour disposer d’une solide colonne vertébrale. Où vont-ils la
trouver ?
Vont-ils encore pouvoir ? Nous sommes en train de passer de l’ère des vérités, voire des vérités multiples, à
l’ère des erreurs provisoires. Les jeunes doivent s’habituer à vivre dans
un monde intellectuel et culturel
dans lequel on ne peut plus se raccrocher à des vérités absolues. Nous
sommes condamnés à sauter d’une
erreur provisoire à l’autre. Quel sera leur garde-fou ? Tout dépend des
registres. Sur le plan intellectuel, la
seule chose auquel ils pourront se
raccrocher, c’est l’épistémologie : savoir comment se forge la connaissance, comment elle se travaille,
comment elle fonctionne, c’est le
seul socle rationnel qui pourra encore offrir un semblant de sécurité ou
de confort. L’école doit donner les outils pour décoder et comprendre l’information, pour comprendre que
des modes de fonctionnement peuvent être différents sans pour autant être mauvais. Si l’un a raison,
l’autre n’a pas nécessairement tort.
Politique et école sont confrontés
aux mêmes difficultés, aux mêmes
défis. Comment organiser un monde commun dans une société d’indi-
DE MON TEMPS...
Jean-Marc Nollet, 36 ans
Député fédéral écolo
« Je n’ai pas vécu ma famille
comme une autorité. Mon père et ma mère jouaient leur rôle de parents sans qu’il ne soit
directement question d’autorité. Ils montraient les limites.
Nous étions quatre enfants et
tout se faisait de manière
contrôlée, il n’y avait pas d’accès de colère. Ils refusaient
parfois des choses, parfois ils
disaient oui. Dire oui fait aussi
partie de l’autorité. J’ai eu des
enseignants justes dans leur
autorité mais certains en imposaient plus que d’autres. Le respect c’est ce qui reste quand
l’autorité est physiquement absente. » (C.E., st)
1NL
vidus autonomes et qui revendiquent farouchement leur autonomie ? Pour l’école, c’est plus difficile : l’institution est plus contestée
qu’auparavant et son autorité naturelle a quasiment disparu.
Le savoir est mis en cause, le professeur est mis en cause, l’autorité
est mise en cause… Pas facile de
fonctionner dans ce cadre.
Une certitude : dans les dix prochaines années, l’école en tant qu’institution va devoir retrouver une nouvelle légitimité. Elle va devoir se resituer, reconquérir le territoire qui
était le sien et le requalifier.
Depuis les années 70-80, suite à
une revendication de la base de l’école (les enseignants, les chefs d’établissement), les écoles ont acquis
une autonomie pédagogique, une
autonomie administrative. Elles
ont établi leur “projet”, leur règlement disciplinaire… Mais cette évolution n’a pas eu que des effets positifs. L’école a en effet mis le doigt
sans s’en rendre compte dans l’engrenage de la marchandisation, de
la logique concurrentielle du marché, de la logique du marketing. On
en est arrivé à une situation où chaque établissement dispose de son
propre projet et se place en position
de producteur, de donneur d’offre,
vis-à-vis du client-famille. Dans ce
schéma, l’école est parfois fragilisée.
Même remarque à propos du slogan “l’école de la vie”. Honorable :
on a voulu sortir de l’école prison,
de l’école caserne. Je peux comprendre cela. Mais avant d’ouvrir les
portes et les fenêtres de l’école sur la
vie, il fallait en peser les conséquences. Si la vie pénètre dans l’école, ce
n’est pas seulement sous ses meilleurs aspects. C’est aussi avec toutes
les casseroles qu’elle traîne, notamment la violence sous toutes ses formes. Car la vie, c’est aussi la survie,
la prédation, la concurrence, l’ins-
tinct territorial…
Vous dites requalifier le territoire
scolaire. Que voulez-vous dire ?
Il faut recréer des clôtures symboliques. Depuis une dizaine d’années,
pour se protéger de la violence de la
vie, on a érigé des murs, reconstruit
des clôtures, avec des vigiles, etc. Je
ne dis pas qu’il ne fallait pas le faire, mais ce n’est pas viable à terme.
Si on avait gardé les clôtures symboliques, on aurait pu éviter cela.
D’abord, il faut cesser de dire aux
parents et aux enfants que l’école
c’est la vie. C’est aussi autre chose.
Ce n’est pas un lieu de vie ordinaire. Ou alors, elle doit sacrifier sa
mission.
L’institution scolaire a une mission. Pour cela, elle a besoin de
moyens et d’un cadre institutionnel
bien circonscrit. C’est ça la clôture
symbolique. Mais cela ne viendra
pas tout seul. Chacun à son niveau
– le maître dans sa classe, le chef
d’établissement dans son école, les
pouvoirs organisateurs, le ministre
de l’éducation à son niveau – doit
réaffirmer que l’école est un territoire à part.
Cela ne veut pas dire un univers fermé, mais un territoire différent. Il
faut qu’il soit clair pour l’enfant
que quand il pénètre dans l’école,
d’autres règles s’appliquent, qu’une
autre culture y a cours. Ce n’est plus
celle du trottoir, ce n’est plus celle de
sa famille.
Famille et école doivent-elles revenir sur leurs positions d’antan ?
Elles ont des missions différentes et
sont confrontées à des enjeux différents. La mission de la famille est
de transmettre et de faire circuler
l’amour et son défi majeur est comment faire circuler l’amour en
créant le moins de folie ou de névrose possible. La mission de l’école est
de transmettre l’héritage, le savoir
et la culture d’une génération à l’au-
tre. Son défi : comment transmettre
cet héritage en générant le moins
d’exclusion possible ? Tout en sachant que de l’exclusion il y en aura
toujours.
Pour autant, on n’en revient pas
comme avant au chacun pour soi. Il
doit y avoir des points de jonction.
Mais le fait de dire qu’on doit collaborer, que l’éducation est une tâche
commune, ne doit pas obérer le fait
que famille et école restent deux
rouages bien différents. Qui doivent s’engrener.
Reste que des professeurs doivent
enseigner le respect, la politesse,
sanctionner la violence. Avant, il
s’agissait de missions familiales…
Ce n’est pas tenable ! Si on pousse
cette logique à son terme, l’école ne
pourra plus fonctionner. Il ne faut
pas généraliser : la majorité ce sont
des familles complètement paumées
qui se rendent compte qu’elles ont
un problème d’autorité mais qui ne
savent plus quoi faire parce que
c’est trop tard. Les premiers conditionnements à l’autorité se font
avant l’âge de 2-3 ans. Si l’obéissance et le respect n’ont pas été inculqués dès cet âge-là, on aura des difficultés après. Et plus on attend, plus
les problèmes seront graves.
MICHEL DE MUELENAERE
SIGNES D’AUTORITÉ
La férule
On apprenait sous la férule d’un
maître à l’époque où l’apprentissage revenait, pour l’essentiel, à
enfoncer mécaniquement quelque chose dans le crâne des enfants – on croyait, à l’époque,
qu’une calotte avait l’heur de déclencher l’activité des « petites
cellules grises » chères à Hercule Poirot. La férule désignait
une petite palette en bois ou en
cuir avec laquelle on frappait la
main des écoliers en faute – la
férule, on le sait moins, désigne
d’abord une grande plante ombellifère dont la tige robuste,
une fois séchée, se prêtait merveilleusement à cet usage. Daudet, dont la scolarité dut être
particulièrement traumatisante,
évoque « le seau plein de saumure (…) dans lequel trempaient les
férules pour rendre le cuir plus cinglant ». Voilà belle lurette que
la férule – comme la badine – a
quitté la panoplie de l’enseignant qui, désormais, n’a plus
que sa pédagogie à apposer à
l’indolence de l’élève. Et cela se
passe beaucoup mieux. Surtout
pour les élèves. (S.D.)
8458000
1NL
24*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
Contexte global : il y a malaise,
dans la profession enseignante
La relation prof-élève
est plus complexe à gérer qu’avant. À l’occasion, elle est carrément
conflictuelle. Un malaise qui se superpose à
une crise globale du
métier d’enseignant.
SIGNES D’AUTORITÉ
L’exclusion définitive
C’est l’arme absolue contre les
irréductibles. Mais son usage
est minutieusement réglementé
par le décret « missions » du 23
septembre 1997. Ainsi un élève
ne peut-il être définitivement
exclu que si les faits dont il
s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un
membre du personnel ou d’un
élève, compromettent l’organisation ou la bonne marche de
l’établissement ou lui font subir
un préjudice matériel ou moral
grave. Si la gravité des faits le
justifie, le chef d’établissement
peut écarter provisoirement
l’élève de l’école pendant la durée de la procédure d’exclusion.
L’exclusion définitive, dûment
motivée, est signifiée par lettre
recommandée aux parents de
l’élève qui disposent d’un droit
de recours (non suspensif)
auprès du ministre. (S.D.)
C
’est un élément avec
lequel l’école doit
compter depuis quelques années, et qui
sévira un bout de
temps encore : la
profession enseignante est en pénurie. On manque de profs. Et beaucoup de jeunes, à peine campés sur
l’estrade, détalent à la moindre occasion. Malaise ? Il a été perçu et décrit dans une série d’enquêtes. Et la
relation enseignant-élève, difficile,
plus complexe que naguère en tout
cas, en est un facteur-clé.
Difficile d’analyser cette relation
maître-élève sans peindre d’abord
le malaise global de la profession.
Professeur à l’UCL et directeur du
Girsef (Groupe interfacultaire de recherche sur les systèmes d’éducation et de formation), Christian Maroy a enquêté, en 1998-1999, sur le
degré de satisfaction des profs.
« Notre première question était
“Êtes-vous satisfait d’être enseignant ?” Là, de 65 à 70 % des profs
se disaient “moyennement satisfaits” ou “satisfaits”. En soi, ce n’est
pas mal. Mais au même moment, le
nombre de travailleurs belges se disant satisfaits de leur métier atteignait 80 %. » Autre question de
l’enquête : « Si vous en aviez la possibilité, quitteriez-vous l’enseignement ? » Là, 20 % des profs se disaient prêts à quitter totalement le
métier, 40 % partiellement.
Malaise ? Christian Maroy le confirme. Mais distingue : il évoque un
mal-être collectif (celui de la profession) et le malaise individuel, lié au
vécu de chacun. Le malaise collectif ? Les enseignants ont le sentiment d’être dépossédés de leur métier, atteints dans leur autonomie.
Ici, Maroy évoque d’abord un « cadrage de plus en plus important de
la pratique pédagogique » par le politique – allusion à ces réformes qui
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25*
Jeudi 1er juin 2006
nées 90 (décret-réussite, décretmissions, contrat pour l’école, etc.).
Pendant ces mêmes années 90,
les profs, en conflit avec le politique, ont subi des revers (ils n’ont pu
empêcher les pertes de l’emploi) ou
ont eu l’impression d’en subir (sur
le plan salarial). « Les enseignants,
comme groupe, sentent que leur place vis-à-vis de l’Etat a changé et que
leur capacité de négociation des aspects de leur profession est plus difficile. En sus : la profession se donnait l’image, pas fausse, d’être investie d’une mission dépassant l’intérêt personnel. Les grèves ont lézardé
cette image altruiste. »
L’enseignant se sent aussi menacé dans son autonomie par les parents (désormais clients du marché
scolaire), auxquels, en sus, le législateur accorde de plus en plus de prérogatives (notamment via le Conseil de participation de l’école ou les
possibilités de recours contre les décisions du Conseil de classe…).
Voilà donc les racines du malaise
collectif, auxquelles se greffent les
explications générales, non spécifiquement belges : le prof n’a plus le
monopole du savoir (« Il n’est plus
une… rareté », dit Maroy).
Pour ce dernier, le malaise individuel est, lui, essentiellement déterminé par trois facteurs : la qualité
de la relation (bonne ou mauvaise)
avec le directeur, la qualité des relations avec les collègues et, bien sûr,
élément central, la vie en classe, la
possibilité ou non d’enseigner dans
de bonnes conditions.
Se pose ici, centralement, la question de l’autorité. « L’autorité, c’est
le fait que le pouvoir est accepté, légitime. Et là, il y a une évolution culturelle globale : comme la famille,
l’école n’est plus une institution qui
peut se fonder sur sa propre tradition. Le prof ne peut plus imposer
la norme par simple fait qu’il est
l’aîné. Il y a une “procéduralisation” de la norme. Il faut l’adhésion.
C’est neuf par rapport aux années
30, 40, 50. Et ça commence à basculer dans les années 60. Quand chacun commence à se considérer comme un sujet qui peut contribuer à
construire la norme collective. C’est
lié à la montée de l’individualisation. La société doit s’organiser en
fonction du bonheur de chacun. Et
chacun définit les formes de son propre bonheur. Il n’y a plus de normes
ou d’institutions, en position de surplomb, qui puissent dicter les rôles
à suivre sans assentiment. Certes,
l’école garde une légitimité naturelle, comme vecteur de savoirs. Mais
de façon générale, la norme n’est légitime, acceptée, que si elle est définie au moyen de procédures qui en
appellent à la participation de chaque individu du groupe. »
Maroy croise ce phénomène avec
celui de la massification de l’école –
notamment due à la portée de l’obligation scolaire à 18 ans. Le système
belge, fondé sur la ségrégation (par
les pratiques du redoublement,
orientation en technique/professionnel, etc.) a créé des ghettos,
avec ici les bons publics et, là, les
ados en rejet de l’école. Cela dit :
« Même dans les “bonnes” écoles,
l’enseignant se plaint. Soit à cause
de ce rapport nouveau par rapport
à la norme. Soit par des effets de dénigrement d’élèves de milieux socialement très favorisés à l’égard du
professeur. »
PIERRE BOUILLON
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« Mes parents avaient une
autorité positive qui s’exerçait
dans mes choix journaliers et
de vie. Ils ne m’imposaient rien
mais me faisaient comprendre
pourquoi telle ou telle décision
était plus judicieuse.
À l’école, les professeurs
avaient une certaine autorité
de par leur position. Ils étaient
respectés, ce qui n’est plus le
cas aujourd’hui. Par contre, le
service militaire évoque pour
moi l’autorité bête et méchante. » (A.G., st.)
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26*
Jeudi 1er juin 2006
Chapitre 2
Profs-enfants
M. Dur a de l’autorité…
M. Dur a de l’autorité.
Il ne sait pas pourquoi.
C’est comme ça. Les
élèves ne l’aiment pas.
Mais il est craint. Et,
pour lui, c’est ce qui
compte… Caricature a.
M
onsieur Dur a
59 ans. Et son
« modèle pédagogique »
(l’expression,
déjà, le fait rire…), ce n’est ni Decroly. Ni Freinet. Ni Dieu sait quel abruti à qui
l’on doit la ruine lente, mais sûre,
de l’édifice scolaire.
Non : son modèle à lui, c’est Winston Churchill.
« Je ne vous promets que de la
sueur, du sang et des larmes. »
Voilà le mot d’accueil qu’il sert à
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ses élèves en début d’année. Et les
présentations faites, M. Dur entame son cours.
Il enseigne les mathématiques.
Le cours qui angoisse et qui buse.
Et M. Dur pense ceci : un élève qui
trouille, c’est un élève qui file doux.
Et dans sa classe, on se tait. C’est un
principe sacré. Auquel lui, législateur absolu des lieux, n’a prévu aucune dérogation. Ici, on se tait.
C’est sa loi. Il n’y en a aucune autre.
M. Dur a de l’autorité.
Il ne sait pas pourquoi. C’est comme ça. C’est naturel. C’est sans doute dû à son physique lourd, sa barbe
en collier, sa voix de baryton et ses
mains aussi larges que des palettes
de boulanger.
Il est peut-être… dissuasif.
Il tolère des questions – pas trop.
Il exclut toute discussion. Le mot
« débat » l’agace (débat-on des mathématiques ?) Il n’y a pas à débattre chez lui. M. Dur pense que discuter avec l’ennemi – parce que l’élève, c’est devenu ça, potentiellement, il ne faut pas être naïf –, c’est
déjà baisser la garde.
M. Dur pense ceci : il sait, ils ne
savent pas. Un cours est forcément
une voie à sens unique. Qu’est-ce
qu’un élève pourrait lui apprendre ? Je sais : ils avalent. Je donne :
ils prennent. S’ils veulent. Et s’ils ne
veulent pas, il s’en fiche. Du moment qu’ils se taisent.
M. Dur a 59 ans. C’est sa dernière
année d’école. Et il se dit : tant
mieux. L’enseignement, ce n’est
plus ce que c’était.
Au début, dans les années 70, ça
oui. Les jeunes en voulaient. Et il en
a formé des futurs ingénieurs, des
matheux solides – d’ailleurs, il les revoit souvent, ses anciens. Ah ! ses
premières classes ! Des jeunes épatants ! Il s’est amusé, à l’époque –
oui, on peut dire ça : il s’est amusé.
Mais là, aujourd’hui, ce sont des
veaux. Des décérébrés. Des comateux. Des corps mous emballés
dans des vêtements pratiquement
aussi informes que leurs occupants.
C’est clair pour lui : le niveau baisse. Les élèves tournent fou. La société se déglingue. Les parents démissionnent. Les ministres de l’Enseignement sont des abrutis, aveuglés
par des gourous qui n’ont jamais
touché un bout de craie. Et tout ça
n’est plus pour lui. En attendant, et
jusqu’à sa dernière minute de prestation, la loi restera sa loi. Ici, chez
lui, pas de nombril apparent, pas de
portables (même éteints, il ne veut
pas voir ça), pas de casquette, pas
de MP3 (« Je vois, je saisis », article
2 alinéa 3 de son code pénal à lui).
Et pas de tutoiement – quelle horreur !… –, pas de prénom, pas de familiarité.
Un jour, ça remonte aux années
1981 ou 1982, un élève a osé perturber le déroulement d’une intégrale
en lançant Dieu sait quel début de
chahut. M. Dur l’a empoigné, serré
au col et jeté dans le couloir. À l’époque, c’était permis. Le directeur approuvait. Et les parents soutenaient. Maintenant, on risque l’inspecteur, l’avocat de la famille, le délégué général aux droits de l’enfant
et Dieu sait qui d’autre.
Les élèves ne l’aiment pas ? Il sait
ça. Il est craint : c’est ce qui compte.
Les autres profs ricanent dans son
dos ? Il sait ça. Mais il ricane aussi.
Chez ses jeunes collègues (à peine
mieux habillés que leurs élèves, notez), ça discute, ça débat – Ah ! ce
mot… À son estime, ça chahute, surtout, chez les pédagogues-démagogues.
Ici, c’est chez lui. Et chez lui, il
fait ce qu’il veut. Et chez lui, c’est
sang, terreur et matière.
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Jeudi 1er juin 2006
27*
… et M. Mou n’en a guère
Monsieur Mou n’a pas
d’autorité. Il ne sait pas
pourquoi. C’est comme
ça. Donner cours ?
C’est parfaitement impossible. Caricature b.
D
enis
Mou
a
24 ans. Et il gardera un souvenir assez mauvais, il
faut le dire, de la
toute première
minute de cours de sa vie.
« Bonjour. Eh bien, voilà : je
m’appelle Denis. Et là, je vais peutêtre me présenter pour… »
Un malabar l’a coupé : « Pourquoi tu dis “peut-être” ? T’es pas
sûr ? »
Le chahut a commencé là. Et huit
mois plus tard, il n’est pas encore
complètement terminé.
Denis Mou a tout essayé : la méthode douce, le dialogue, la discipline autogérée, cogérée, le contratdiscipline collectif, la dictature
éclairée et la manière forte (là, la
DE MON TEMPS...
classe a beaucoup rigolé). Mais rien
ne marche : il ne les tient pas.
Donner cours ? C’est une lutte.
C’est un corps-à-corps permanent.
C’est une épreuve qui scie les nerfs,
qui pompe l’énergie, et qui casse la
voix.
Denis Mou n’a pas d’autorité.
Il ne sait pas pourquoi. C’est comme ça. Il a une absence d’autorité…
naturelle. C’est peut-être dû à son
air juvénile et sa voix haut perchée.
Peut-être…
Pourtant, il bosse, Denis.
Pendant les congés, il suit des formations, des conférences et il bouquine-bouquine-bouquine. Et en
soirée, chez lui, après l’école, il prépare-prépare-prépare.
À la salle des professeurs, il s’est
fait accrocher par M. Dur, son collègue du degré supérieur de la section générale : « Pourquoi donc, le
soir, chez vous, préparez-vous des leçons qu’une fois en classe vous
n’êtes pas capable de donner ? »
Salopard…
Dur, lui, il ne prépare pas ses
cours. Et dans la classe un murmure relève du chahut – vite réprimé.
Denis, lui, il pense que c’est évidemment plus facile de donner
maths à des maths fortes que d’enseigner morale et citoyenneté aux
jeunes de 3e professionnelle.
Il tente d’intéresser ses élèves.
À l’occasion, il a tenté de les brancher sur des thèmes qui les tou-
chent : la drogue, le rap, le sexe, la
violence, l’islam, l’anniversaire de
Tchernobyl ou les élections.
Pour l’islam, Tchernobyl et les
élections, il n’a pas pu en placer une
parce que ça ne les intéressait pas.
Pour la drogue, le sexe, le rap et la
violence, il n’a pas pu en placer une
parce qu’ils en savaient plus que lui
– et ils lui ont vite fait savoir (seraitce ce jour-là, ou un autre, qu’il s’est
fait traiter de bouffon ?)
« N’êtes pas assez dur, lui a dit
M. Dur. Les élèves sont naturellement sournois. Et vous, vous les caressez dans le sens du poil. Mais cassez-les, jeune homme ! Ne discutez
pas et cassez-les ! »
Denis, lui, il pense que l’autorité,
c’est une négociation et un assentiment collectif autour des règles. À
défaut, pense-t-il, c’est un stupide
rapport de forces.
Dur et lui, sur ce point, ne sont
pas d’accord. Au fait, ils ne sont jamais d’accord sur rien. Et quand Denis dit que les « élèves, quelque
part, lui apportent beaucoup » et
qu’il « tire au fond énormément de
choses de son contact avec les jeunes », Dur ricane : « Mais que peuvent-ils donc vous apporter ? À
part des ennuis ? Et du bruit ? »
L’inspecteur est venu, il y a quelques semaines. Et ce jour-là, ils ont
été calmes – il faut dire que le directeur était là et que le préfet de discipline rôdait pas loin, pas là mais
bien visible. L’inspecteur était content. Il s’est à peine étonné des traces de pas sur les bancs, du taux élevé d’absentéisme, de quelques mégots traînant au sol et des insultes
écrites à l’envers du tableau (c’était
plus méchant que bouffon, là…).
Denis aime ses fauves, quand même. Ses fauves aussi, ils l’aiment
bien – c’est ce qu’ils disent, en tout
cas. Mais Denis est usé. Il en a trop
vu, en un an. Il achève sa première
année d’enseignement. Il a décidé
ceci : ce sera aussi sa dernière.
PIERRE BOUILLON
SIGNES D’AUTORITÉ
Le journal de classe
« C’est, professe un enseignant,
le baromètre de l’élève. » A cet
égard, un journal de classe
plein de blancs révélerait, pour
user de la même métaphore météorologique, d’une assiduité à
nébulosité variable. Le journal
de classe est le lien régulier entre l’école et les parents qui,
dans beaucoup d’établissements, sont invités à le signer
régulièrement. Il doit être complété au jour le jour. L’élève doit
en disposer à tout moment. Et
le présenter, à peine de sanction, au professeur qui le lui demande. (S.D.)
8480720
Fabienne Bister, 42 ans
Administrateur dél. de Bister
« C’est mon papa qui faisait le
plus preuve d’autorité. Ma mère était plus ouverte au dialogue et à l’échange de points de
vue. À l’école nous étions en
uniforme et nous n’imaginions
pas ne pas obéir. Quand j’étais
adolescente, un prof était terrorisé par ses élèves qui en
profitaient. La personnalité du
prof déterminait en général si
les élèves chahutaient ou non.
Si vous êtes bien dans votre tête et dans votre rôle, l’autorité
est naturelle. » (C.E., st)
1NL
28*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
« Il faut beaucoup gendarmer »
Quarante années de
carrière dans le rétroviseur : personne, mieux
que Madame D., ne
peut juger de l’évolution de l’école et de
ceux qui la peuplent.
M
adame D. vouvoie ses élèves. Et rien,
en quarante
années de carrière, n’est venu remettre fondamentalement en
cause cette option moins inspirée
par quelque coquetterie langagière
que par l’idée qu’elle se fit d’emblée
du rapport qu’il convenait d’établir
avec eux : un respect réciproque
dans « la distance souhaitable »
dont ce vouvoiement lui paraît le
premier gage.
Beaucoup de choses, pourtant,
ont changé dans cet établissement
réputé du Tournaisis où Madame
D. aura fait toute sa carrière de professeur de mathématiques – « Un
métier fantastique qu’il me coûtera
beaucoup de quitter », dit-elle.
L’école, qui n’accueille alors que
des filles, est encore dirigée d’une
main de fer par une religieuse lorsque Madame D. y fait son entrée en
1966. « Il y régnait une discipline
très très stricte, même pour les professeurs », se souvient-elle.
Les couloirs de l’école, dont la traversée s’apparente aujourd’hui à un
slalom entre élèves en vadrouille et
cartables abandonnés, ne sont
alors parcourus, à heures fixes, que
par des escouades savamment alignées de jeunes filles en uniforme
entre lesquelles les religieuses circulent en serre-file. Des élèves toutes
pareilles : chemisier bleu ciel avec
trois piqûres au col, jupe bleu marine – « Trois plis devant, autant derrière » – cravate rouge, socquettes
blanches. La proclamation des
résultats, en fin d’année, se déroule
dans le silence le plus absolu en
présence des 250 élèves : « Maintenant, vous pouvez toujours y aller… »
Chaque mois, les jeunes pensionnaires – presque toutes sont internes – reçoivent une carte dont la
teinte varie selon que leur comportement a été jugé perfectible ou irréprochable. Les manquements à la
discipline sont toujours véniels : ce
sont des jeunes filles sages. Et nul
ne songerait à contester un système
qui tire une justification quasi immanente de l’environnement social
de l’école : « Les élèves sont issues
d’un milieu privilégié qui fait
grand cas de leur éducation. Elles
sont très bien élevées. Il était facile,
à l’époque, d’avoir de l’autorité. »
Puis, insensiblement, l’école a
changé parce que le monde changeait. Un jour, la direction de l’école a été confiée à des laïques, sans
doute plus enclins à composer avec
les réalités ambiantes. En 1973, on
a cessé de donner cours le samedi.
L’uniforme a été « allégé », puis
supprimé. Les rangs se sont peu à
peu débandés. L’obligation scolaire
a maintenu plus longtemps à l’école
un contingent disparate d’élèves
traîne-la-patte plus difficile à mobiliser.
Et les premiers garçons ont fait
leur entrée dans l’établissement en
1981 : « La mixité a changé l’ambiance des cours, estime Madame D. On s’est d’emblée trouvés
confrontés à ce besoin qu’ont cer-
tains garçons de faire le coq dès lors
qu’il y a des filles. »
L’établissement a malgré tout su
rester « une école ou l’on travaille ». Et même plus qu’avant : « En
mathématique, les programmes
sont plus durs et l’on a moins de
temps. » En face, il y a surtout
moins d’attention, moins de motivation, moins d’application : « Les élèves qui nous arrivent aujourd’hui
restent, pour la plupart, bien éduqués mais, depuis une dizaine d’années, leur rythme de vie a changé.
Ils sont sollicités de toutes parts : ils
sortent, ils “chattent”, ils surfent
sur internet, se dispersent entre une
kyrielle de loisirs. L’école, c’est clair,
n’est plus le centre de leur vie. Ils
ont bien souvent perdu en rigueur
ce qu’ils ont gagné en spontanéité.
Ils connaissent beaucoup de choses,
aurent Berger vient d’obtenir
sa mutation : à la rentrée de
septembre, il aura quitté cette
école « à discrimination positive »
de Bruxelles où, romaniste, il aura
enseigné durant plus de dix ans. Il a
choisi de partir, dit-il, avant d’être
aigri. Avant « de céder au cynisme ». Avant d’abdiquer les quelques principes qui ont toujours guidé sa vocation de professeur. « Je défends l’idée que l’enseignant est un
passeur, explique-t-il. J’ai une
conception un peu républicaine de
l’école qui doit être l’instrument de
l’émancipation pour tous – une vision à la Jules Ferry. Je suis de gauche. Je pense qu’il faut donner des
armes – de bonnes armes ! – aux
L
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1NL
STÉPHANE DETAILLE
« J’ai choisi de partir
avant d’être aigri »
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mais superficiellement. Ils sont
moins concentrés, plus dissipés.
Il faut beaucoup gendarmer, déployer des trésors de créativité à la
seule fin de capter leur attention et
de soutenir leur intérêt : toutes choses qui réclament de l’enseignant
un surcroît de travail. »
Les parents aussi ont changé.
Toujours concernés, bien sûr, mais
moins disponibles. Et plus démunis dans une fonction dont les repères se sont estompés : « Ils attendent davantage de l’école qu’elle les
supplée dans l’éducation de leurs enfants alors que, paradoxalement,
ils soutiennent moins les enseignants – même s’ils les accablent rarement. Beaucoup viennent aux
réunions en espérant s’entendre dire que tout va bien. »
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+$87( e&2/(*URXSH,&+(&,6&6$,17/28,6,6)6&
pauvres. »
Malgré quoi, il est venu buter,
comme une abeille contre une vitre,
sur une réalité qu’il n’a pu changer.
Au contraire : tout ce qui, une décennie durant, avait mortifié ses
convictions s’est sournoisement radicalisé. Ces années-là, Laurent
Berger les a passées dans une école
difficile, au cœur d’un quartier qui,
sans doute, ne l’est pas moins. Un
bahut de 570 élèves – majoritairement des filles –, presque tous issus
de l’immigration. « Je ne me suis jamais soucié de leurs origines, dit-il.
Un élève est un élève. À charge pour
moi d’en faire un citoyen. »
Mais cette seule mission-là – Laurent Berger ne sera pas long à s’en
rendre compte – est déjà considérée avec hostilité dans un milieu
qui, dit-il, regarde comme suspect
quiconque prétend enseigner la diversité, la complexité. « Ce n’est pas
tant les violences physiques ou verbales qui m’ont abasourdi. Même si
elles sont réelles : aujourd’hui encore, j’évite de tourner le dos à certaines classes. Non, ce qui m’a consterné, c’est le milieu lui-même. Le
ghetto. Un monde cloisonné, replié
sur lui-même, et qui, en l’absence de
toute espèce de mixité, a fini par développer une suridentité proche du
29*
Jeudi 1er juin 2006
tribalisme : une culture clanique,
intolérante, prosélytique, dont les
références empruntent tout à la fois
à l’endoctrinement de l’islam radical et de la société de consommation. Ici, ce n’est plus le prof, le savoir, la connaissance qui font autorité, mais les gourous : ceux de la
pub et les autres. Un milieu où il est
mal vu d’enseigner Darwin ou Voltaire. Où l’intello est regardé comme un traître parce qu’il prétend diffuser des valeurs. Où le contrôle social est tyrannique. Où les élèves refusent de se rendre au théâtre ou au
musée. Où les efforts que vous faites
pour les aider à s’élever sont
conspués parce qu’ils heurtent la logique victimaire qui fonde une bonne part de leur identité. Où vos discours humanistes vous sont retournés en pleine gueule, vous laissant
le plus souvent à quia parce que
c’est vrai qu’il est toujours aussi difficile de trouver un job quand on
s’appelle Mohamed. »
Laurent Berger s’accroche. Même si, dit-il, « les conditions de la
transmission ne sont pas réunies »
dans une école zieutée par des ca-
méras de surveillance, où l’accès se
fait par un sas de sécurité, où la sécurité est devenue une affaire de
procédures semi-carcérales. Difficile, surtout, de travailler sur des objectifs à long terme : des préfets qui
finissent tôt ou tard par jeter l’éponge – « J’en ai connu quatre en dix
ans » –, des profs qui s’encourent –
« Certains n’ont pas tenu trois heures » – des élèves qui pratiquent le
nomadisme scolaire – « Impossible
de se forger une réputation : tout est
à recommencer tous les jours. » Les
cours sont épuisants : « Une classe,
ici, n’est qu’une somme de cas. Chaque élève arrive au cours avec le
poids de son vécu. L’enseignement
se pratique par bribes, durant les
quelques minutes propices que votre humour et votre expérience – la
pédagogie et le dialogue ne suffisent
plus – ont pu ménager pendant
l’heure de cours. Vous pratiquez la
lenteur, la réflexion, devant un public adepte du zapping et de l’immédiateté. J’ai pu, jusqu’ici, m’exprimer assez librement. Mais l’addition est salée. » Elle a coûté à l’enseignant des trésors d’humour, de psy-
chologie et de philosophie personnelle – elle l’aura soutenu aussi solidement que sa passion pour l’écriture.
En janvier dernier, Laurent Berger a compris qu’il était temps « de
partir construire autre chose ailleurs ». Il a demandé sa mutation.
Il part sans amertume. Fier, même,
« du peu qu’il a pu faire » dans des
conditions difficiles. Satisfait, aussi, d’avoir été à la pointe du combat
lorsqu’il s’était agi, en 2003, d’obtenir de l’école qu’elle interdise le
port du voile, devenu « un instrument de prosélytisme ». Il n’a renié
aucune de ses convictions. Au contraire, dit-il, d’un système « qui ne
pratique plus l’émancipation », qui
assiste sans moufter « aux ravages
de la société de consommation »,
qui fait si peu de cas « des passeurs
de savoir » : « On ne peut, dit-il,
que s’interroger sur une société qui
envoie des enfants de sans-papiers
dans les centres fermés et qui laisse
courir des agresseurs de prof sous
prétexte qu’il n’y a plus de place
pour eux dans les centres fermés ».
DE MON TEMPS...
Brigitte Becue
33 ans, nageuse
« Mes parents m’ont toujours
laissé une certaine liberté. Je
pouvais dire ce que je voulais,
tant que mes propos étaient
modérés et respectueux. Les
professeurs, eux, étaient autoritaires. Lorsqu’on est jeune,
on pense que c’est sévère
mais c’est en fait nécessaire
pour connaître ses limites. Les
professeurs jouaient un rôle
important dans notre vie, davantage que les entraîneurs
que nous ne voyions que deux
heures par jour. » (A.G. st.)
STÉPHANE DETAILLE
8430560
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1NL
30*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
La leçon du skateboard
Dans la classe de Stéphane Lambert, la règle se discute, s’interpelle, voire se construit collectivement.
Exemple à la clé…
C
ela se passe à l’école
communale de Limelette (Brabant wallon). Un jour, deux
grands de primaire
apportent leur skateboard et inaugurent un jeu : un enfant s’assoit sur la planche, un autre
pousse et les deux skates font la
course autour du petit terrain de
foot. Le jeu fait vite contagion. Aussi vite, les surveillantes veulent l’interdire. Elles font valoir que les skates risquent de bousculer les petits
de maternelles. Stéphane Lambert,
instituteur des grands de primaire,
propose plutôt de cadrer les choses.
Le conseil de classe se réunit. Élèves et instituteur décident ceci : il
faudra un « permis de conduire »
pour pouvoir participer aux courses
(l’examen : une épreuve pratique et
quelques questions théoriques). Le
permis pourra être retiré si l’usager
en fait mauvais… usage. Et deux élèves portant un brassard fluo contrôleront les courses. Le scénario sera
validé par le conseil de l’école.
Cette histoire, Stéphane Lambert
la livrait dans Traces de changement, la revue du mouvement
« Changement pour l’égalité ».
L’instituteur disant : l’école vivra à
l’heure du skate trois semaines durant avant que le foot reprenne ses
droits. Mais il en est resté une leçon
Au lieu d’interdire le skate à
l’école, les élèves ont dû obtenir un permis…
pratique de sécurité et un exercice
collectif d’élaboration de la règle.
Nous avons rencontré Stéphane
Lambert dans sa classe. Et quand
on lui demande : « Ici, qui est le
chef ? » Il répond : « Moi ! Aucun
doute là-dessus ! L’enfant a besoin
d’une référence. Comme moi j’ai besoin d’une directrice qui soit le chef.
Une fois l’autorité installée, on peut
se centrer sur le travail. La vraie
question, c’est “comment” l’autorité.
La réponse fera la différence entre
soumission ou éducation. »
Alors : comment l’autorité ? « Le
point de départ, ce sont des institutions – conseil de classe, conseil
d’école. Et c’est aussi : bien connaître l’élève, ses racines, son histoire… » Il raconte aussitôt : « Un
jour, je constate qu’un enfant bloque complètement devant sa dictée.
Après rencontre avec ses parents et
discussion avec lui, je réalise que
ses parents le terrorisent en exigeant le résultat maximum. Et il en
était incapable. Alors, on a passé
contrat : on a fait une fausse dictée
pour ses parents, impeccable. Et on
en a fait une vraie, pour nous, entre
nous. Dilemme, hein ! Car, quelque
part, on a “triché” – sauf sur mes exi-
gences, que j’ai bien sûr maintenues. En attendant, les parents,
sans doute rassurés, ont relâché la
pression. L’enfant s’est calmé et s’est
débloqué. Voilà pourquoi je dis
qu’il faut connaître l’enfant, son histoire, ce qu’il traîne dans son “sac à
dos”… » Pour Stéphane Lambert, la
règle doit pouvoir être interrogée et
discutée. Et comme dit plus haut,
édifiée collectivement – en conseil
de classe, d’école ou, comme quand
l’établissement comptait moins
d’enfants, en assemblée des élèves.
Tout est donc « discutable », ici ?
Il montre quatre affiches collées audessus de la porte. « Non ! Ça, ça
n’est pas discutable ! » Ça, ce sont
quatre règles de base : 1. nous sommes ici pour apprendre ; 2. chacun
a le droit à la parole ; 3. je prends
soin de moi et des autres. 4. si nous
voulons que quelque chose change,
nous y travaillons. Quatre « fondamentaux », au fond, que Stéphane
Lambert a élaborés au fil de rencontres, de formations à la pédagogie
institutionnelle notamment. « Si
les élèves et moi respectons ça, travailler est possible. »
Comment agir en cas de tension,
de conflit ? « Quand le face-à-face
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est destructeur, je mets en place un
triangle. En cas de conflit entre
deux enfants, il faut un troisième
acteur – un témoin, un reformulateur, qui peut être l’instituteur ou le
conseil de classe. » Il raconte : un
jour, quatre élèves se bagarrent dur
dans la cour. « On me les amène. Je
leur ai demandé d’écrire les faits.
Puis d’écrire ce qu’ils ont ressenti.
Puis de quoi ils avaient besoin. On
a échangé les feuilles. Chacun a lu
la feuille des autres. On a parlé. Le
conflit s’est réglé comme ça avec,
pour chaque enfant, une perception
claire de ce que l’autre avait ressenti et de ce qu’il voulait… »
Et la punition ? Si un élève perturbe la classe, par exemple ? « Son besoin et le besoin du groupe, qui est
de travailler, ne coïncident plus. Je
lui propose de l’isoler. Après, on s’explique. » Stéphane Lambert répète
le mot sens – règles et sanctions doivent avoir du sens – avant de valser
dans ses souvenirs de collège, d’enfance, quand la punition volait bas.
« On se prenait 20 pages par ci,
20 pages par là. Pour un rien.
Qu’est-ce que ça m’a appris ? Rien.
En quoi cela a-t-il changé mon comportement ? En rien. Ça n’avait pas
de sens. Seuls résultats : de la révolte et un sentiment d’injustice. »
PIERRE BOUILLON
DE MON TEMPS…
Etienne Davignon, 72 ans
Vice-président Suez-Tractebel
« Mes parents n’étaient pas
spécialement autoritaires, ça
dépendait du contexte… Il y
avait une répartition logique et
égale de l’autorité entre le caractère paternel et maternel.
L’affection était puissante des
deux côtés. À l’école je supportais mieux l’autorité quand
j’étais petit. Plus grand il m’arrivait de la contester. L’école
était plus autoritaire à l’époque mais le contexte était différent. » (C.E., st)
31*
Jeudi 1er juin 2006
La Madeleine divise les tâches
Dans cette école technique et professionnelle
de Tournai, les professeurs sont probablement moins seuls
qu’ailleurs face aux situations difficiles.
SIGNES D’AUTORITÉ
Les points d’éducation
C’était une grille de 30 cases
imprimée dans le journal de
classe. Le point de départ était
fixé à la case 24 : selon que son
comportement le distinguait en
bien ou en mal, l’élève progressait ou reculait dans cette grille
– que la case « départ » coïncidât avec le 24 en disait long sur
l’opinion élevée que l’on se faisait de l’élève, plus susceptible
de reculade que de progression.
Ceux que leurs manquements
amenaient à épuiser la totalité
de leur capital risquaient gros :
les préfets de discipline savaient comment mâter ces
gaillards-là. Ceux que leurs mérites amenaient jusqu’à la case
30 de cet épuisant jeu de l’oie
ne gagnaient guère que l’estime
de leur professeur, les quolibets
de leurs condisciples et, parfois,
une image porteuse de quelque
maxime édifiante. (S.D.)
L
’Institut de La Madeleine, à Tournai : un
établissement d’enseignement technique et professionnel
qui accueille 530 élèves, dont un bon tiers de garçons.
Un public qui, sans être « difficile », « n’est guère en symbiose avec
l’univers scolaire », selon l’expression de Rosine Deraedt, la directrice de l’école. La Madeleine n’est
plus, comme autrefois, une école de
relégation mais la plupart des élèves qui s’y inscrivent ont débuté ailleurs leur parcours scolaire : « La
Madeleine est rarement leur premier choix, admet Rosine Deraedt.
Mais on constate, depuis quelques
années, que leur inscription procède désormais d’une démarche plus
volontariste. »
Les groupes n’en demeurent pas
moins difficiles à gérer. Ici, plus
que dans l’enseignement général,
les enseignants sont confrontés à
l’hétérogénéité des classes – il y a
parfois, entre les étudiants, d’importantes différences d’âge imputables
à la variété de leurs parcours –, à la
grande mobilité d’un effectif très enclin à pratiquer le nomadisme scolaire, au peu de cas que certains élèves font de l’institution scolaire et
des règles qui régissent la vie en
commun.
Mais ici, les professeurs sont probablement moins seuls qu’ailleurs
face aux situations difficiles : elles
sont, depuis une demi-douzaine
d’années, prises en charge par une
équipe pluridisciplinaire dont la
mission est aussi de les prévenir.
Ici, les professeurs ne sanctionnent
eux-mêmes que les manquements
les plus véniels – ils disposent pour
ce faire d’un « recueil de procédures » fixant un modus operandi
commun dans neuf situations ré-
pertoriées. Les sanctions qu’appellent des manquements plus graves
sont prises par d’autres, au nom de
la discrimination que l’école entend faire entre le travail scolaire –
c’est le domaine réservé du professeur – et le comportement de l’élève.
« Journées d’accueil »
« À cette distinction répond une
distribution des tâches », explique
Nadine Horincq, l’assistante sociale de l’école. Selon le degré d’enseignement qu’il fréquente, chaque
élève fait ainsi l’objet de l’attention
particulière de l’un des trois éducateurs de l’école, et de l’un ou l’autre
des cinq coordinateurs de l’établissement – des enseignants spécialement détachés, quelques heures
par semaine, pour régler de façon
cohérente la kyrielle de problèmes
que charrie le quotidien d’une école. Les sanctions, par exemple, sont
prises par le titulaire de l’élève, en
bonne intelligence avec le coordinateur et l’éducateur qui l’épaulent.
« L’élève est entendu sur les faits
mais la sanction n’est pas négociable, explique Rosine Deraedt. Le
cas échéant, on lui propose une aide. »
Des réunions de coordination rassemblent régulièrement la direction et les coordinateurs en présence de l’assistante sociale. C’est l’endroit où l’on prend du recul, où l’on
réfléchit au bien-être de l’école, où
l’on identifie les problèmes, où l’on
imagine les solutions. Comme ces
« journées d’accueil » qui reviennent à chaque rentrée scolaire :
« C’est l’occasion de développer des
solidarités entre les élèves d’une même classe, de leur faire comprendre
qu’ils partagent des objectifs communs. De les inviter à réfléchir à certains concepts : la loi, le respect, la
sanction… À la dernière rentrée scolaire, on avait cru pouvoir faire
l’économie de ces journées dans les
classes du dernier degré. On l’a regretté : on a constaté une nette recrudescence de l’absentéisme. Avec
la grande rotation de notre population scolaire, tout est constamment
à refaire. C’est aussi une remise en
question permanente. Le personnel
éducatif suit de nombreuses formations : gestion des conflits, animation positive… On tente de dépister
les élèves qui ne travaillent pas, de
leur parler, de les réorienter, le cas
échéant. C’est l’élève qui est au centre de toute notre démarche. Mais,
au bout du compte, ce travail aide
aussi beaucoup les enseignants. »
STÉPHANE DETAILLE
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32*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
Esprit ouvert, porte close
L’Institut Don Bosco, à
Woluwé-Saint-Pierre, a
choisi de confier à la
technique les quelques
soucis dont elle pouvait
le soulager. Le reste
est une affaire d’hommes et de femmes.
D
iscret. Le système
de reconnaissance biométrique
installé dans le
hall d’entrée de
l’Institut
Don
Bosco, avenue du Val d’Or, à Woluwé-Saint-Pierre, est un simple
boîtier qui commande le déverrouillage de la porte principale
pourvu que son empreinte digitale
signale le visiteur comme « une personne autorisée » : élève, professeur ou membre du personnel de
l’établissement.
Installé depuis dix-huit mois, le
système a d’emblée mis un terme
aux intrusions qui, jusqu’alors, troublaient épisodiquement la sérénité
de l’établissement – il arrivait que
des jeunes, étrangers à l’école, viennent chercher noise aux élèves jusque dans l’enceinte de l’institut.
« Le système, commente la directrice, Bernadette Devillé, coûte un peu
d’argent mais il nous procure une
paix que nous n’aurions pu garantir qu’en nous barricadant derrière
l’un de ces rideaux de fer dont nous
ne voulions pas : l’école doit rester
ouverte sur l’extérieur ».
C’est singulièrement vrai pour
Olivier Strelli
60 ans, couturier
La porte de l’Institut Don Bosco ne s’ouvre qu’à ceux dont le système a
reconnu l’empreinte digitale. PHOTO ALAIN DEWEZ.
une école qui, dans la grande tradition salésienne, a pour vocation
d’accueillir tous les jeunes, quels
que soient leurs origines, leur milieu et leur culture. Ici, cela fait 639
élèves – dont sept filles – représentant 36 nationalités...
Parler, écouter
L’établissement a choisi de confier à la technique les quelques soucis dont elle pouvait le soulager. Le
système de reconnaissance biométrique ne résout pas seulement le
problème de la violence extérieure :
il permet aussi d’identifier les retardataires – le contingent moyen des
traînards a fondu de 100 à 17 par
jour depuis l’installation du boîtier
– et de savoir précisément qui – et
quand – a franchi la porte de l’école.
De la même façon, la généralisation d’une curieuse clef en plastique bleu a réduit à la portion con8480680
1112"-323-4 5-2"-323
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DE MON TEMPS…
grue tous les problèmes que l’argent peut susciter dans une école :
ce sésame, qui fonctionne comme
une carte Proton, règle tous les
achats envisageables dans l’enceinte de l’école.
Le reste, tout le reste, est une affaire d’hommes et de femmes :
« Ici, explique Stéphane Allard, le
sous-directeur, tous les professeurs
passent bénévolement deux heures
par semaine à surveiller les couloirs, à s’assurer que tout se passe
bien dans les classes de leurs collègues, à détecter les situations qui
peuvent donner lieu à des problèmes. Les récrés, ils les passent dans
l’école, pas dans la salle des profs ».
La violence, physique et verbale,
est rarissime. Malgré l’hétérogénéité du public – « Il y a ici des enfants
de diplomates, des jeunes placés
dans des institutions et des allocataires du CPAS », explique Marcel
Louis, le chef des travaux – et le vécu parfois douloureux de beaucoup
d’élèves : « Tous, on le sait, ne mangent pas tous les jours à leur faim »,
glisse Bernadette Devillé.
La discipline, pourtant, est généralement bien admise : « Les élèves
peuvent admettre les règles pourvu
qu’ils les comprennent, explique Stéphane Allard. On passe beaucoup
de temps à leur parler, à les écouter,
à établir une relation de confiance.
On essaie aussi que les sanctions
aient une portée éducative : je fais
toujours se rencontrer l’enseignant
et l’élève qui lui a manqué de respect ».
STÉPHANE DETAILLE
« En famille, nous étions 6 enfants, donc en surnombre par
rapport à nos parents… Nous
avons pris le dessus, mais tout
se passait avec un respect
énorme, une écoute, une grande liberté d’expression et beaucoup d’amour. A l’école, ça allait plutôt mal. J’étais assez
“chahuteur”, très désobéissant et indocile, mais comme
disait mon père c’était un “passage obligé” et je m’y suis
adapté. Pour moi, l’autorité
doit s’exercer fermement,
mais il faut toujours rester à
l’écoute de l’autre. Je suis un
directif affectif. » (C.E., st.)
SIGNES D’AUTORITÉ
Le règlement d’ordre intérieur
Ce sont les tables de la loi.
Avant de prendre l’inscription
d’un élève, le chef d’établissement porte à sa connaissance
ainsi qu’à celle de ses parents
le projet éducatif et pédagogique du pouvoir organisateur, le
projet d’établissement, le règlement des études et le règlement d’ordre intérieur comprenant notamment les indications
relatives aux sanctions disciplinaires et aux procédures de recours qui peuvent leur être opposées.
Son inscription dans une école
signifie que l’élève et ses parents en acceptent le règlement
d’ordre intérieur.
Le R.O.I. varie d’une école à l’autre. L’évolution de la société implique qu’il soit régulièrement
mis à jour pour interdire ou endiguer, par exemple, les dernières outrances vestimentaires.
Ou pour tenir compte de « phénomènes émergents » comme
les blogs dont les contenus, à
l’insu de leurs auteurs, violent
souvent certains principes garantis par la loi. (S.D.)
33*
Jeudi 1er juin 2006
Le ROI, le décret, la liberté…
Au-delà des décrets
(et du bon sens…), chaque école fixe librement son règlement
d’ordre intérieur. Ici, on
impose l’uniforme. Là,
on prohibe les armes…
E
n matière de discipline, il y a, au fond,
trois niveaux. Dans
sa classe, le professeur fixe « ses » règles du jeu (en concertation avec ses élèves, le cas
échéant). A un deuxième niveau,
l’établissement établit son règlement interne. Au-delà, la Communauté française (par décret, arrêté
ou circulaire) pose les grandes règles de base – les écoles étant tenues de s’y conformer.
Ces grandes règles de base se nichent pour l’essentiel dans le « décret-missions » de 1997. S’imposent ainsi à toutes les écoles, les règles relatives à la présence aux
cours (combien de jours d’absence
sont-ils tolérés ?), les modalités
d’inscription (à quelles conditions
une école peut-elle refuser un élève ?), les possibilités de recours contre une décision du Conseil de classe ou, parmi d’autres encore, les modalités de renvoi (rappelons qu’en
vertu du décret-missions : « Un élève ne peut être exclu définitivement
que si les faits dont il s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité
physique, psychologique ou morale
d’un membre du personnel ou d’un
élève, compromettent l’organisation ou la bonne marche de l’établissement ou lui font subir un préjudice matériel ou moral grave »).
Au-delà des règles de bases décrétées par la Communauté, la discipline interne est organisée par chaque
établissement. Chaque école produit (au moins) trois textes de base
(fondus en un document ou séparés, selon les cas) : son projet pédagogique, un règlement des études
et un règlement d’ordre intérieur.
Ces textes doivent être communiqués à l’élève et/ou ses parents au
moment de l’inscription, et signés.
Le règlement des études définit
les règles en matière scolaire. L’école précise ici ses méthodes d’évaluation, la façon avec laquelle elle communique les résultats aux élèves et
parents, etc. Le règlement d’ordre
intérieur (« ROI ») évoque plus particulièrement l’organisation pratique de la vie commune au sein de
l’école et le comportement de l’élève – dans certains cas, il précise aussi les droits et devoirs des enseignants (comme l’obligation de
confidentialité, par exemple.)
Ces textes sont bien sûr imbibés
des textes communautaires (le règlement de l’école précise généralement, par exemple, les modalités
des recours contre les décisions du
Conseil de classe). Cela permet des
« touches personnelles ». On notera que, même dans le réseau de la
Communauté, les écoles ont une
marge de liberté.
Tel ROI, donc, impose (et décrit)
l’uniforme. Tel autre interdit le couvre-chef. Ici, on juge nécessaire de
préciser que les armes sont prohibées à l’école et « dans son voisinage immédiat ». Là, on préconise
des « cheveux soignés sans extravagance ». Ici, on interdit le pearcing.
Là, le ROI évoque le phénomène
des blogs en rappelant les règles relatives à la protection de la vie privée… Le ROI fait aussi l’inventaire
des sanctions possibles. On notera,
entre l’ordinaire retenue et le jour
d’exclusion, la pratique de plus en
plus générale des « travaux d’intérêt général »… PIERRE BOUILLON
DE MON TEMPS...
Tatiana Silva
20 ans, miss Belgique 2005
« Le rôle des parents dans
l’éducation est essentiel : ils
donnent des valeurs. Les professeurs ont un rôle plus complémentaire. Ils sont là pour
ouvrir l’esprit des élèves, leur
apporter une culture générale.
Ma mère était autoritaire pour
certaines choses, par exemple
au niveau des résultats scolaires. La priorité pour mes parents était que je réussisse
mes études. Avoir des amis
était plus accessoire. Dans
mon école, il y avait une certaine discipline. On devait se mettre en rang avant de rentrer en
classe. La discipline est nécessaire, au travail ou dans d’autres domaines. » (Ma.M., st)
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34*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
Des clés pour que la classe ne soit
pas un « théâtre malgré moi »
Anne Chevalier, formatrice d’enseignants, livre ses conseils pour
un climat serein : être
clair, laisser de l’espace à la négociation et,
entre professeurs, parler, parler, parler…
A
nne Chevalier a naguère enseigné les
maths au secondaire, avant de travailler en école normale. Actuellement,
elle est formatrice à la CGE (mouvement enseignant « Changement
pour l’égalité »). Elle s’occupe notamment des questions relatives à
la discipline. Elle forme aussi des futurs agrégés à l’université (UCL) et,
parmi d’autres activités de forma-
tion, « accompagne » des jeunes enseignants d’une école bruxelloise.
De son expérience, elle dégage un
constat général : « Certains ensei-
gnants sont démunis sur les questions de discipline et les outils possibles en la matière. Et ils sont souvent désarçonnés car, dans les classes, les évidences ne sont plus des évi-
dences. Oui, quelque chose a évolué : il n’est plus “évident” qu’on ne
marche pas sur les bancs. Il faut le
dire… »
Que faire pour créer, en classe,
8410520
Le prof est-il préparé ?
es futurs profs sont-ils préparés aux problèmes d’autorité,
de discipline, de gestion des
groupes ? Oui – directement ou indirectement. Et c’est assez neuf.
La formation d’instituteur (fondamental) et régent (secondaire inférieur) prévoit ainsi, et quel que soit
le réseau de l’école normale, une
« approche théorique et pratique
de la diversité culturelle », un cours
de « psychologie de la relation et de
la communication », un cours sur
les « techniques de gestion de groupe » et un éveil aux techniques de
« détection/remédiation des difficultés d’apprentissage ».
Chacun de ces modules représente 30 heures de cours.
A l’université, les agrégations qui
forment le licencié à l’enseignement secondaire supérieur prévoient un module sur la gestion des
L
1NL
classes (30 heures à l’UCL, par
exemple, sur un total de 300 h).
Est-ce assez ? Et en fait-on assez
dans les domaines plus spécifiques
de la gestion de la violence ou du décrochage ? Sans doute que non. Marie-Dominique Simonet, ministre
de l’Enseignement supérieur, a
chargé le Conseil supérieur pédagogique (réunissant les « patrons »
des écoles normales) de l’éclairer
sur ce point. On attend son avis.
En tout état de cause, les efforts
de l’école normale sont salués.
« Elle amorce une prise de conscience », dit Anne Chevalier (lire ci-dessus). Celle-ci ajoute qu’un travail
sur l’autorité a aussi de l’intérêt une
fois l’enseignant en piste, quand il a
un « vécu ». Et elle juge « capital »
d’assurer un « accompagnement »
des profs en début de carrière.
PIERRE BOUILLON
35*
Jeudi 1er juin 2006
un climat sain ? Anne Chevalier répond : « Il y a souvent des problèmes de discipline parce que la règle
n’est pas claire. Dans la relation entre le professeur et les élèves, il y a
une large part de règles implicites
qui peuvent entraîner des malentendus et laisser beaucoup de place à
des jeux de pouvoir, tant du côté des
professeurs que des élèves. Il faut
être clair avec les élèves. Il faut dire : moi, professeur, voilà ce que j’attends de vous. Et voilà ce que vous
pouvez attendre de moi… »
La formatrice poursuit : « Dans
la relation professeur-élèves, il faut
laisser du négociable. Ça fait mieux
admettre le non-négociable. Un
exemple de non-négociable : le fait
qu’il faut lire 10 livres par an pour
le cours de français. On peut en revanche négocier les délais et le choix
de certains livres. Le négociable permet à l’élève de se faire une place et
de s’engager dans l’apprentissage. »
En tout état de cause – principe
cardinal ! – il faut être cohérent et
respecter les règles que l’on demande aux élèves de respecter.
Pour Anne Chevalier, l’« autorité
naturelle », ça n’existe pas. « Ceux
qui pensent ça “risquent leur peau”.
Il n’y a pas plus d’enseignants avec
de l’autorité naturelle que des enseignants qui, “par définition”, n’en
auraient pas. Avoir de l’autorité exi-
ge de la confiance en soi. Il faut les
pieds sur le sol et ça se travaille. »
Au-delà, existe-t-il des structures
à mettre en place pour établir une
bonne discipline ?
Laisser un « différé » entre
l’incident et la réaction
« Je crois en la nécessité de créer
des institutions de régulation et de
décisions – conseil des enseignants,
conseil de classe, conseil d’école. On
pourra y évoquer les incidents qui
habitent la vie en groupe. Ou prendra aussi de la distance par rapport aux incidents critiques. Il n’est
pas bon de réagir à chaud. Il faut de
la sérénité. Il est important de laisser un “différé” entre l’incident et le
rappel ou l’édification de la règle.
Et puis, on ne doit pas passer son
temps à faire la loi. Il faut un lieu et
un moment pour ça. »
Anne Chevalier juge capital qu’il
y ait un dialogue serré entre les enseignants. « Souvent, ils parlent
peu entre eux. Ils ne s’accordent
donc pas sur les règles. En formation, quand on demande aux enseignants d’une école quelles sont leurs
règles capitales, on entend tout.
Pour l’un, c’est dire bonjour, pour
l’autre, c’est ne pas se battre, pour le
troisième, c’est l’interdiction du
port de la casquette. Dans une équipe, il faut une cohésion. »
Pas de « défaitisme », aussi : « Il
ne faut enfouir les incidents anodins. Il ne faut pas fermer les yeux.
On peut ancrer son autorité en modifiant de petites choses. En tout
cas, il ne faut pas accepter qu’une
classe tourne en “théâtre malgré
moi”. Il faut lutter contre le défaitisme, parfois entretenu par les collègues, consistant à dire : avec telle
classe, rien n’est possible. »
Comment punir ?
« Nommer la transgression et
rappeler la règle est déjà en soi une
sanction et on peut s’en tenir là
dans 90 % des cas. Au delà, la sanction doit être raisonnable, proportionnée, avoir du sens, être en lien
avec la transgression. Mais la sanction pose une question institutionnelle. Un prof qui sévit immédiatement, ce peut être mauvais. Il est
sous le coup de la colère. Et si l’indiscipline l’a visé, il est juge et partie. Il
faut éviter ça. C’est une règle de base
dans la vie collective : elle doit l’être
à l’école. Je crois nécessaire de créer,
à l’école, des institutions qui gèrent
les questions de discipline – et pas
seulement des personnes comme
l’éducateur ou le préfet de discipline. Des institutions où il y a plainte, relation des faits et, en quelque
sorte, “plaidoiries”. Ce qui permet
d’intégrer la règle, c’est le sentiment
de justice. »
PIERRE BOUILLON
DE MON TEMPS...
Georges-Henri Beauthier
Avocat
« Pour moi, il y a deux principes. Le premier est le respect
de l’autre, la loyauté et la confiance. Le deuxième est qu’il
n’y a pas de droit sans obligation. Il faut prendre ses responsabilités. Mes parents m’ont
éduqué de façon plus unilatérale. Je ne me moquais jamais de
leur autorité. Moi, je suis avec
mes enfants pour rire, pas
pour gueuler. Mon autorité ne
passe pas par les cris. Je suis
rebelle à toute autorité arbitraire. Je ne supporte pas les gens
qui donnent des ordres pour
donner des ordres. Je préfère
parler de responsabilité plutôt
que d’autorité. Il faut entreprendre et frissonner avec ses
enfants. » (Ma.M, st)
8407320
Facultés universitaires Saint-Louis
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L’UNIVERSITÉ
DE CHOIX
1NL
36*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
Pression, répression, dépression :
l’école dans un cercle vicieux
Un livre « coup de boule » (sic) pour secouer
l’institution scolaire.
Les jeunes nous échappent, disent ses auteurs. Leur propos : on
doit, et on peut, changer l’école.
DE MON TEMPS...
Philippe Dewulf
34 ans, ancien tennisman
I
ls s’y sont mis à trois. Et le
résultat – leur livre – a de
la cogne (1). Ces trois-là,
c’est Abraham Franssen,
Guy Bajoit et Pierre Hardy. Les deux premiers
sont sociologues et travaillent à la
Faculté ouverte de politique économique et sociale (Fopes) à l’UCL.
Le troisième, Pierre Hardy, enseignant, a travaillé en école professionnelle, dans un centre fermé
pour mineurs délinquants, en classe d’accueil et comme médiateur
scolaire – ouf ! Un itinéraire « en
bordure » du système scolaire, là
où échoue l’ado éjecté de l’institution, par les mécanismes de relégation que l’on sait. Mais le livre ne se
braque pas sur les situations extrêmes. Et fait le constat d’une école
globalement en crise. Ce livre « parlera » à tout enseignant, qu’il travaille en professionnelle ou dans un
« paisible » (?) bahut où « sous des
apparences plus lisses, s’y pose aussi la question du sens de ce que l’on
y vit et de ce que l’on y fait ».
En introduction, Hardy livre son
« coup de boule » – un cri de colère : « La vie dans les écoles est devenue difficile. Les relations entre ses
principaux protagonistes – les enseignants et les élèves – se sont durcies. Les jeunes nous échappent. Souvent, on ne sait plus par quel bout
les prendre (…). De nombreux établissements adoptent des stratégies
défensives, qui aboutissent à un
cloisonnement et à un isolement accru des enseignants. Ceux-ci s’efforcent de tenir bon, alors que les repères sociaux et culturels qui légitimaient la pratique de leur métier se
1NL
Le modèle disciplinaire a vécu. Il faut réinventer autre
chose. PH. PIRAUX.
sont transformés. » Il ajoute : « Ce
n’est pas un décret sur les missions
de l’école qui nous permettra de
changer celle-ci. C’est par un changement radical dans la formation
des enseignants, par de nouvelles
normes d’encadrement favorisant
des relations humaines positives,
par une responsabilisation des acteurs, par du temps de travail reconnu pour travailler en équipe, par
des espaces de négociations et d’évaluations concertées. Bref : par une
transformation, dès le fondamental, de la relation de pouvoir entre
les différents acteurs de l’école. »
On relève que le modèle disciplinaire ne tient plus (« L’enseignant
n’a plus le monopole du savoir et la
légitimité de son autorité est contestée »). Et l’école « n’a pas encore accompli sa révolution culturelle ». Pire : elle file dans un cercle vicieux :
« Plus les élèves sont difficiles, plus
les enseignants ont tendance à faire
appel à la pression pour les contrôler. Mais plus ils ont recours à ces
méthodes qui ne sont plus perçues
comme légitimes, plus les élèves les
rejettent et deviennent difficiles.
C’est l’escalade jusqu’à la rupture :
pression, répression et dépression
de l’enseignant, versus protestation, rage et décrochage du jeune. »
A la stratégie de l’affrontement,
de la pression, les auteurs préfèrent
celle de légitimation : « Elle implique l’ouverture d’un espace de parole et de négociation dans lequel se déterminent, de manière partagée, les
objectifs poursuivis et les règles du
jeu communes ». Avant de livrer un
exemple concret, une marche à suivre pour concilier professeurs et élèves sur des règles communes, les auteurs disent : « Il ne s’agit pas de
leurrer les jeunes en disant que tout
est possible et permis. Négocier les
règles, décider ensemble, cela ne supprime pas le cadre légal et les contraintes. »
On lira avec intérêt les conseils
pratiques pour installer une relation saine entre l’adulte et l’élève
dans le cadre scolaire (« Etre juste,
respecter, savoir s’excuser, ne pas
blesser, ne pas punir mais faire réparer, “bannir le copain-copain”,
etc.) Plus qu’une « trousse médicale
pour école en crise (encore que…),
ce livre pourra donner envie de repenser sa pratique avant, comme le
disent les auteurs, qu’il soit trop
tard…
PIERRE BOUILLON
« Eduquer face à la violence – L’école, du
coup de boule au projet », Pierre Hardy,
Abraham Franssen et Guy Bajoit, éd. EVO.
« Mes parents m’ont inculqué
le respect des adultes. Ils décidaient à ma place car ils savaient mieux que moi ce qu’il
me fallait. Je n’étais pas toujours d’accord, mais il n’y avait
pas grand-chose à faire. Je pense qu’ils m’ont bien élevé, même si j’étais un peu trop gentil.
A l’école, je ne répondais jamais aux professeurs. Tandis
qu’aujourd’hui, les jeunes les
tutoient et s’adressent à eux
par leur prénom. Les adolescents se considèrent plutôt
comme des adultes car tout va
très vite dans notre société de
communication. » (A.G., st.)
SIGNES D’AUTORITÉ
La retenue
« L’heure de colle » reste une
véritable institution : elle continue d’apparaître, avec le rappel
à l’ordre et la réprimande, dans
la plupart des règlements d’ordre intérieur. La différence,
c’est qu’on tente davantage, désormais, de lui donner « un
sens » pour lui donner une portée plus éducative : de plus en
plus souvent, la retenue consiste ainsi en « un travail d’utilité
collective ou de réparation »
sous la forme, par exemple,
d’une participation « au nettoyage des infrastructures ». Les
« collés » d’aujourd’hui occupent ainsi, serpillière à la main,
les heures de retenue que leurs
aînés passaient à recopier sans
fin le premier chant de l’Enéide.
C’est plus malin. (S.D.)
37*
Jeudi 1er juin 2006
La répétition usante de petits faits
La violence physique
à l’école est spectaculaire, mais rare. L’enseignant se plaint plutôt
d’agressions verbales,
de petits faits usants.
L
’école et ses abords
sont-ils devenus des
milieux
violents ?
Une série de faits divers, spectaculaires,
heurtants et médiatisés, donnent à penser que oui. En
fait, la violence dure (l’agression
physique), pour insupportable
qu’elle soit, est exceptionnelle. L’enseignant se plaindrait plutôt de violences verbales, de moqueries, de
« petits faits » dont la répétition
prendrait un caractère « usant ».
De quoi dispose-t-on pour dire ceci ? De deux études menées par
l’ULG et l’UCL en 2000 et en 2003
au secondaire. L’enquête de 2003 a
touché 2.921 élèves et 655 profs de
24 écoles. Ils ont été interrogés sur
les faits subis pendant les quatre
mois précédant l’enquête.
Notons d’emblée que ces enquêtes, menées à trois ans de distance,
révèlent une situation stationnaire.
Côté enseignant, l’acte le plus souvent subi est la moquerie (24,4 %).
Suivant : menace verbale (19 %), rumeur (17,7), racisme (9,4), vol (7,5),
vandalisme (4,3), menace au
moyen d’un objet (0,5), au moyen
d’une arme (0,3), attouchement
sexuel (0,3), coups (0,2). Selon l’enquête, il n’existe pas de profil type
du prof victime de violence.
Les élèves, eux, citent les faits suivants : moquerie (56 %), rumeur
(34), coups (29), menace verbale
(22), vol (22), drogue (19), racisme
(18), vandalisme (15), sexisme (11),
attouchement sexuel (6,4), menace
par arme (3,7) et racket (2,9). Victimes et auteurs sont plutôt des garçons. La victime est plutôt un élève
du début du secondaire.
Conclusion : la violence grave est
rare, et « extrêmement rare »
quand elle vise un prof. « La violence à l’école ne présente pas le caractère dramatique et paroxystique que
les médias lui attribuent. Elle se manifeste essentiellement à travers des
atteintes verbales. »
Rassurant ? Non. Les chercheurs
attirent l’attention sur les « actes de
moindre intensité, répétés au fil des
jours », comme l’atteinte verbale,
l’incident disciplinaire ou l’absentéisme. « Ces événements sont pour
la plupart presque banals mais
leur accumulation et leur répétition semblent “faire violence” aux
personnes qui y sont confrontées,
pouvant susciter un sentiment d’insécurité et de réelles souffrances psychologiques. Il semble nécessaire de
considérer que la souffrance individuelle de chaque acteur (prof ou élève) peut découler aussi bien d’une
agression brutale et chaotique que
d’une répétition usante d’événements multiples, rarement pénalisés et pas forcément pénalisables ».
Certaines pratiques pédagogiques influencent le climat de l’école : « Les résultats suggèrent un impact positif de la disponibilité et de
La responsabilité du politique
e climat s’est un peu tendu,
dans les écoles. C’est dit. Quelle est la responsabilité du monde politique dans cette évolution ?
Contexte : en 1989, quand on
transfère l’école aux communautés,
on soumet celle-ci à la diète. La maîtrise des coûts (ou la tentative de
maîtrise des coûts) est certes antérieure. Mais à partir de 1989, le système de financement des communautés emballe la mécanique d’austérité. Qui atteindra son paroxysme
en 1996 quand la Communauté
française ampute l’école secondaire
de 3.000 postes. Un coup rude qui
aggravera les conditions de travail
dans le segment scolaire où l’encadrement des jeunes pose, naturellement, le plus de difficultés.
Le devoir de maîtrise des coûts va
porter le monde politique à répandre l’idée que l’école coûte cher et
est inefficace. Le propos, explicite
ou suggéré, doit permettre aux ministres de valider devant l’opinion
leurs mesures d’austérité. Certaines mesures (la réforme des systèmes de congés de maladie) iront jus-
L
qu’à suggérer, lourdement, que l’enseignant « tire la carotte ».
Même les réformes « positives »
a priori (comme le « décret sur la
réussite » de 1994) ont une intention budgétaire (moins d’élèves qui
doublent = moins d’enfants à encadrer = économies) et leur côté stigmatisant : on présente le prof comme un maniaque du redoublement.
Maladresse supplémentaire : la
création, en 1997, d’un mécanisme
offrant à l’élève d’aller en recours
contre les décisions d’échec et redoublement. En soi, ceci a du sens –
toute décision de l’autorité doit pouvoir être discutée en appel. Mais voilà le prof désormais réputé potentiellement… injuste.
Autant dire que ces offensives
ont très abîmé le statut de l’enseignant (dessiné, au total, comme un
travailleur incapable, paresseux, potentiellement injuste et, en prime…
gréviculteur) et, du même coup,
compliqué encore ses relations avec
parents et élèves.
On n’en est plus là. Au sortir des
années 90, les coûts scolaires sont
globalement maîtrisés. L’école obtient un refinancement. L’austérité
n’est plus de mise. Aujourd’hui, on
réinvestit. Mais les dégâts sont
lourds. La profession est désabusée. Le secteur est touché par la pénurie (grave dans certaines fonctions). Et l’atmosphère dans les classes s’est dégradée. Les années 90
ont permis de mater les coûts. Mais
le statut de l’enseignant a pris de
méchants coups. La réparation sera
lente.
PIERRE BOUILLON
l’écoute des enseignants vis-à-vis
des élèves, du soutien qu’ils leur apportent, de l’équité dont ils font
preuve dans leurs rapports avec
eux. Par contre, les résultats de l’enquête invitent à éviter tout comportement discriminatoire ou dévalorisant à l’encontre d’un élève ». Autre
leçon : « Une implication active et
soutenante de la direction et une solide coordination des professionnels œuvrant dans l’établissement
pourraient avoir des effets pacificateurs marqués sur le climat régnant
dans l’école. » PIERRE BOUILLON
DE MON TEMPS...
Jean-Luc Fonk
49 ans, chanteur
« A mon époque, les parents
cautionnaient complètement
l’école. Ils ne tenaient pas
compte de l’avis des enfants.
Il n’y avait aucune notion de
permissivité. Mes parents
n’étaient pas autoritaires,
mais inspiraient le respect. Je
suis pour l’autorité, mais l’autorité légitime. A mon époque, il
y avait moins de stress, et un
climat de sécurité. C’est ce
qu’il manque de nos jours.
Mais j‘ai confiance en l’être humain même si de nos jours il y
a de moins en moins de solidarité. L’important, c’est
l’amour. » (Ma.M, st)
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1NL
38*
Chapitre 2
Jeudi 1er juin 2006
Profs-enfants
« L’autorité, ça se construit… »
Avant de rencontrer sa
classe, le prof a intérêt
à se renseigner sur le
climat de l’école et le
dossier de chaque élève, selon le médiateur
Baudouin Vendy.
ENTRETIEN
L
’autorité du professeur dans sa classe.
« C’est ce qui manque et c’est ce que les
enseignants et les élèves recherchent », réagit Baudouin Vendy, conseiller en
éducation et médiateur scolaire.
Comment gérer un groupe d’adolescents quand toute consigne de
travail et de comportement doit
désormais se négocier et être
motivée ?
SIGNES D’AUTORITÉ
Le renvoi temporaire
Le renvoi temporaire ne peut,
dans le courant d’une même année scolaire, excéder 12 demijournées (à la demande du chef
d’établissement, le ministre
peut toutefois déroger à cette
disposition dans des circonstances exceptionnelles). Cette exclusion provisoire sanctionne
les fautes graves telles qu’elles
sont définies dans le règlement
d’ordre intérieur : atteinte à la
sécurité d’un tiers, voies de
faits, vol, état d’ébriété ou comportement « sous influence »,
introduction d’alcool ou de drogue dans l’enceinte de l’école,
dégradation volontaire d’un bâtiment ou du mobilier, manque
de respect envers un membre
du personnel, introduction
d’une arme ou de tout autre objet pouvant en tenir lieu, falsification de certificats médicaux,
photographie d’un membre du
personnel ou d’un élève sans
l’accord de celui-ci. Cette liste
n’est pas limitative. (S.D.)
1NL
Négocier est le mot-clé. L’enseignant doit préparer son premier
contact avec la classe avant de la
rencontrer. Il doit se renseigner sur
le type d’école, sentir son climat, son
environnement, ses forces et ses faiblesses. Il doit s’intéresser aux parcours scolaires de ses élèves, aller
consulter leurs dossiers individuels. C’est surtout important en 3e
et 4e où beaucoup d’élèves viennent
d’autres sections, d’autres écoles.
Cette analyse de l’état des lieux se
fera en quelques heures, sans a priori. Pour préparer un climat de confiance.
Et arrive le premier jour d’école…
Le professeur a tout intérêt à marquer très vite son territoire – fixer la
loi, les limites et les sanctions – et à
définir ses objectifs. Il clarifiera sa
mission d’apprentissage. Ce faisant, il évitera l’inconnu. Sinon, les
élèves s’apercevront vite qu’il a
peur. Et si la classe le sent, c’est terminé.
Tout ça doit être réglé – et dit – dans
les dix premiers jours de septembre.
Il est, en effet, fondamental que le
professeur ait de l’assurance et impose à tous le respect de sa fonction.
L’enseignant doit effectuer cette démarche pour chacune de ses classes.
Avec la multiplication des options,
les classes changent, presque
d’heure en heure, de composition.
Ce n’est pas facile pour le pro-
fesseur…
L’enseignant ne peut rien changer
au système : aux grilles, aux horaires, aux options multiples, etc. Quelle que soit sa classe, il doit être motivé et avoir un projet pédagogique,
dire à ses élèves : « On ne va pas
s’ennuyer. » Parce que le premier déclencheur de décrochage et de violence en classe, c’est l’ennui.
Vous préférez autorité à pouvoir…
Oui. L’autorité, c’est installer petit
à petit une façon de travailler, avec
respect mutuel. Il y a des choses qui
ne se discutent pas : les valeurs,
l’éthique, le caractère singulier
d’une personne. La loi du respect
doit être installée au nom de laquelle on refuse l’impunité et la banalisation.
Le pouvoir, c’est « moi, je sais » et
vous vous taisez. Et à la moindre
perturbation, un autre pouvoir va
s’installer en face, du côté des élèves.
L’autorité est-elle un don ou s’acquiert-elle ?
Ce n’est pas un don. On croit que
c’est un don et c’est peut-être pour
cela que cela va si mal dans certaines classes. L’autorité, ça se prépare
sans tricher. Le professeur n’est pas
là pour être aimé.
Comment se prépare l’autorité ?
L’enseignant doit marquer le
« Je », dans un sens constructif.
« Je » veux que vous réussissiez,
que « nous » réussissions ensemble.
L’enseignant doit reconnaître et valoriser ses élèves. Et l’enseignant
doit aussi gérer le « non ». Très vite, il doit oser dire « non » quand il
se rend compte que, dans certaines
conditions d’apprentissage, il ne
pourra pas atteindre son objectif.
Exemple…
Quand un professeur de maçonnerie se rend compte qu’il ne dispose
pas du matériel adéquat, il se met
en difficulté. Il faut qu’il le dise.
Il n’est pas seul. La phase d’accueil
doit durer jusqu’au moment où le
climat de la classe est serein et
stable.
Qu’est-ce qu’un bon professeur ?
Un bon professeur est un professeur
motivé, qui amène la majorité de
ses élèves à la réussite.
Les élèves disent souvent : « On a
besoin d’un guide, d’une autorité,
d’une structure. »
Que pensez-vous des professeurs
qui acceptent de se laisser tutoyer ?
D’accord si le groupe est installé
dans un climat de confiance et de
respect mutuel. Mais le tutoiement
devient dangereux le jour où surgit
une difficulté ou lorsqu’un nouvel
élève arrive dans la classe. Ce dernier peut avoir une tout autre
conception du tutoiement. C’est l’enseignant qui doit toujours gérer le
jeu. Il ne peut pas se laisser manipuler, il ne doit pas croire que s’il devient le copain de ses élèves, cela ira
mieux.
L’enseignant est un chef d’orchestre ?
… ou un fleuriste-artiste. On lui
donne des fleurs, toutes différentes,
et il doit construire un beau bouquet. Chaque fleur doit s’épanouir.
A chacune il doit trouver sa place
dans le bouquet. Bouquet qu’il doit
« emballer » d’un beau projet et ficeler par un cordon. Ce cordon, ce sera
son autorité…
Et s’il constate qu’une fleur n’est
pas à sa place dans le bouquet ?
Il doit la retirer du bouquet, pour
lui apporter un suivi particulier en
dehors de la… classe ou pour la réorienter vers une autre classe, une autre école.
Déculpabilisons aussi les professeurs. Il faut oser le dire : certaines
classes sont carrément ingérables.
Encore une fois, le professeur n’est
pas seul. Il doit appeler à l’aide :
l’éducateur, le directeur, une équipe
extérieure spécialisée, etc.
MICHELLE LAMENSCH
39*
Jeudi 1er juin 2006
Et quand l’élève est ingérable ?
Parfois, plus rien n’est
possible. Un dispositif
a été créé pour récupérer les irrécupérables.
Mais l’accent reste mis
sur la prévention.
I
l arrive à l’école, quand
plus rien n’est possible, de
baisser les bras. Et de flanquer l’élève à la porte. Estce fréquent ? Comme le
soulignait voici peu la ministre de l’Education, les réseaux
subventionnés ne sont pas tenus de
signaler les exclusions à l’administration. Les chiffres dont on dispose concernent donc le réseau de la
Communauté (écoles ex-Etat). Selon ces données, le nombre d’exclusions s’élèverait à 1,5 % du nombre
d’élèves de ce réseau. Pour Marie
Arena, ce pourcentage est sans doute transposable à l’ensemble.
Ce qui fonde ces exclusions ? Elles sont motivées par des violences
physiques à l’endroit d’autres élèves (24 % du nombre d’exclusions),
par des « violences morales » à l’en-
droit d’autres élèves (15 %), par des
violences physiques à l’endroit des
profs (7 %), par des « violences verbales » visant les profs (10 %), par
des actes de racket (2 %), ce dernier
chiffre étant à prendre avec prudence, une victime de racket hésitant
souvent à révéler la chose.
Que deviennent les élèves exclus,
et mineurs – en âge d’obligation scolaire, donc ? Selon Arena, 90 % se
réinscrivent dans une autre école,
7 % sont pris en charge par un service de type SAS (lire plus bas) et 3 %
sont des étrangers abandonnant
leur scolarité en Belgique.
Sous la précédente législature,
Pierre Hazette (MR), ministre de
l’Education, voulait créer une demidouzaine de « centres de rescolarisation » (écoles des caïds) à destination de l’élève violent ou en décrochage forcené. Au bout d’âpres négociations avec PS et Ecolo, un décret-compromis sera voté (en mai
2004). Quelques mois (et une élection) plus tard, Arena prendra le relais à l’Education et gèlera le texte.
Les centres de rescolarisation
n’ont pas été créés. Seul le volet préventif a été activé. On a ainsi créé
une équipe de médiateurs (lire en
page 38). Ils sont 21 en Wallonie
(ils seront 30 en 2007). Ils sont 41 à
Bruxelles (et seront 56 en 2007).
En 2004-2005, et toujours selon
Arena, les médiateurs wallons ont
traité 1.548 demandes d’intervention. Les chiffres ne sont pas communiqués pour Bruxelles.
Si les médiateurs agissent plutôt
pour prévenir les problèmes, des
équipes mobiles (une trentaine de
personnes), agissant par duos, interviennent en situation de crise, à la
demande du pouvoir organisateur.
Ils aident aussi les équipes éducatives dans l’accueil ou la réintégration d’enfants en crise.
Au bout de ce système de prévention et d’action à l’école, on a développé des SAS (service d’accrochage scolaire), hors école, et en lien
avec l’Aide à la jeunesse. Il y a 8 SAS
actuellement (bientôt 12). Ils s’occupent de resocialiser l’élève. De
l’aveu même d’Arena, et comme dénoncé par le MR, ce type de service
« ne prend pas toujours suffisamment en compte la rescolarisation ». Une réflexion est donc ouverte à ce propos. En tout état de cause, et selon les chiffres ministériels,
les SAS ont permis de réintégrer à
l’école 160 jeunes, soit 80 % des élèves qui sont passés par ces services.
A terme, une fois au nombre de 12,
les SAS devraient pouvoir prendre
en charge 400 jeunes.
DE MON TEMPS...
Fadila Laanan
38 ans, ministre de la Culture
« Quand j’étais jeune, à l’école, il y avait une autorité plus
significative et plus visible
qu’aujourd’hui… Mes parents
sont illettrés, dès lors l’école
était considérée comme sacrée. Mon père me disait que
si je déconnais à l’école, je devais la quitter et comme je suis
marocaine, je courais le risque
d’être mariée sans amour. En
tant que fille, je ne pouvais pas
sortir tard le soir. Je n’ai pas
beaucoup “guindaillé”. Mes parents étaient sévères, mais ils
avaient une autorité douce, ils
se montraient affectueux, cependant ils ne me laissaient
pas toujours beaucoup d’espace de liberté. » (C.E., st)
PIERRE BOUILLON
8431260
1NL
40*
Chapitre 3
Jeudi 1er juin 2006
Parents-profs
Parents et profs s’associent
pour le meilleur et pour le pire
Pour les parents, l’école devient de plus un
plus « illisible ». De
nouvelles stratégies
permettent souvent de
renouer le contact,
mais elles ne sont pas
présentes partout.
D
es parents qui insultent ou frappent un enseignant, un autre
qui glisse un billet
de mille francs
dans la poche du prof. Une bellemère qui demande sans détour combien de cours particuliers sont nécessaires pour réussir l’examen de
passage puis qui enchaîne : « Et
combien en plus si l’élève ne doit
pas les suivre ? ». Il y a des parents
qui ignorent jusqu’au nom de l’instituteur de leur enfant, qui signent le
journal de classe sans regarder ou
qui regardent sans voir.
Mais aussi des profs qui ferment
leur classe à clé pendant la réunion
des parents… et une direction qui
laisse faire. Des profs qui enfilent
les certificats médicaux en prévenant trop tard pour que l’intérimaire qui les remplace (trop bien parfois ?) puisse continuer sa mission.
Des profs qui confondent discipline
et autoritarisme, punition et vexation, consignes et vexations.
En écoutant les parents et les professeurs nous parler du couple certes momentané, mais parfois très intense, qu’ils forment dans le processus de croissance intellectuelle, sociale, humaine du jeune, nous
avons rencontré cette galerie d’horreurs et des pratiques à faire dresser les cheveux sur la tête.
Mais nous avons aussi, et très majoritairement, rencontré le contraire. Des profs passionnés qui ne
comptent ni temps ni énergie, qui
n’ont pas d’objection à taper sur les
mêmes clous, toujours et encore,
parce que les nouvelles générations
1NL
de jeunes constituent un travail toujours recommencé, une tâche littéralement sans fin. Une prof nous
confie qu’elle a toujours demandé
des classes de première année,
« parce que, encore davantage que
les autres, elles nous forcent à nous
remettre en question, à sortir des
sentiers battus ».
Des parents attentifs, présents,
consciencieux, nous en avons rencontré aussi. Dans toutes les classes
sociales. Certains apprennent même la langue de l’école pour mieux
aider leur fille ou leur fils.
Des cartes à redessiner
Dans un entretien qu’il nous a accordé, le professeur Marcel Crahay
souligne néanmoins combien la situation de marché scolaire, lié à
l’histoire de la scolarisation en Belgique, brouille les pistes entre différentes écoles, entre écoles sanctuaires et écoles ghettos, nourrissant
une inégalité foncière entre les différents établissements. L’expert ne cache pas qu’il est favorable à l’instauration d’une carte scolaire, qui impose l’école selon la résidence.
D’autant que, comme le souligne
un responsable d’association de parents, le travail du prof a énormément changé, les tâches des parents
se sont compliquées, le monde tourne plus vite. On croit qu’il est resté à
sa place et pourtant c’est comme si
toutes les cartes géographiques
étaient à refaire, les droits et devoirs de chacun à repréciser…
D’autant que l’école va mal… On
invoque comme un mantra le bilinguisme dans le secondaire (zut,
c’était pour 2000, c’est trop tard,
c’est même pire qu’avant) et on se
console en voyant les candidats de
« Génies en herbe » si malins ou
des dictées télévisées où un ado bat
des célébrités. Mais la réalité est
qu’en vingt ans, l’élève du secondaire a perdu un an sur six de présence
frontale avec l’enseignant. Même
un cheval qui ne sait compter que
jusqu’à dix sait que la base de la pédagogie, c’est la répétition, le sillon
que l’on creuse, les occasions que
l’on multiplie. Avec moins d’heures
et plus d’enfants dans les classes, il
y a moins à manger pour les cerveaux. Tous les écrans multimédias
du monde n’y changeront rien.
FRÉDÉRIC SOUMOIS
DE MON TEMPS...
Eric Deflandre
Footballeur
« Quand j’étais enfant, les parents étaient plus sévères. A
notre époque de plus en plus
de parents démissionnent et
rejettent la responsabilité de
l’éducation sur l’école. Les professeurs sont là pour compléter l’éducation, non pour la faire. Dans les années 70, j’habitais dans un petit village près
des Ardennes, et mon père
était instituteur. Je n’étais pas
tenté par le vice. Les tentations existent de plus en plus
et les principes d’éducation
ont changé. » (Ma.M., st)
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42*
Chapitre 3
Jeudi 1er juin 2006
Parents-profs
Soumise au marché, l’école
hésite entre sanctuaire et ghetto
Le prof est-il seul
maître à bord dans
sa classe ? Quelle est
la place des parents
dans le processus pédagogique ? Comment
peuvent-ils, comment
doivent-ils collaborer ?
ENTRETIEN
N
ous avons interrogé Marcel Crahay, professeur
en sciences pédagogiques aux universités de Liège
et de Genève.
Comment s’établit le rapport
d’autorité et de décision entre
l’école et les parents ? Qui est le patron ?
Normalement, l’autorité n’est légitime que si elle fait référence à des valeurs. Sinon elle ne sert à rien. Parents et professeurs ont chacun leur
sphère d’autorité mais il y a évidemment une intersection, qui ne peut
fonctionner que si les droits et pouvoirs de chacun sont clairement définis. Normalement, l’école établit
un contrat social avec la société,
mais il doit être établi à un niveau
supérieur que les enseignants et les
parents, il doit l’être au niveau politique au sens noble du terme, au niveau des règles qui font fonctionner
la cité. C’est ce qui fait l’importance
du décret Missions, élaboré par la
ministre Onkelinx, qui avait pour
tâche de réactualiser le contrat entre école et société.
Le réactualiser ? Pourquoi ?
Je ne dis pas que ce décret a réussi
sa… mission, mais les politiques de
l’époque ont voulu faire bouger l’école. Pour clairement établir que les
valeurs civiques et la citoyenneté
étaient essentielles à mettre en place
aux côtés des acquis et compétences
de base. Ce que je crains, c’est que le
décret n’ait pas été bien expliqué.
1NL
Souvent, en matière éducative, on
néglige la communication vers les
enseignants et les parents. Du coup,
les parents ont vécu ce décret comme quelque chose qui ne les concernait pas et les enseignants, plutôt
surpris, ont pris ce texte comme une
réforme comme une autre. Alors
qu’il s’agissait de déplacer l’école
vers l’agora, d’abandonner le principe de l’égalité des chances pour aller
vers l’égalité des acquis. La règle est
que tout le monde doit apprendre à
lire et qu’on ajuste les moyens à cet
objectif, quitte à introduire une inégalité de moyens. C’était une transformation philosophique de l’école,
pas une réformette… Beaucoup d’enseignants ne l’ont pas compris et
moins encore de parents.
Qui détient l’autorité dans la classe ?
Justement, si on avait fait comme
en Suisse, où je vis aujourd’hui, une
votation sur le décret Missions, le
contrat social serait clair. Quand
des parents contestent une méthode
pédagogique, une manière de donner un cours, le décret Missions serait là pour donner des balises. Est-
il respecté ? Alors le prof a raison.
Est-il bafoué ? Alors les parents ont
raison. La base de transaction est
claire, à défaut de résoudre toutes
les questions. Au lieu de cela, nous
nous trouvons dans une communication floue et ambiguë. Sur quoi
peut-il y avoir accord ? Sur le projet
d’école. Dans l’idéal, il pourrait être
négocié et renégocié régulièrement
avec les parents, dans le cadre global du décret, au sein du conseil de
participation.
Mais cela fonctionne mal…
Parce que les profs voient ce conseil
comme une ingérence des parents
dans leur choix d’expertise, dans les
procédés qu’ils ont élaborés comme
les professionnels de l’éducation
qu’ils sont. C’est dommage, c’est une
occasion ratée. Parce que nous sommes dans un système paradoxal. Ce
contrat social, il ne peut fonctionner que dans un système social scolaire où l’État organise et assume la
gestion de l’école. Mais quand on
place l’école dans un marché, comme en Belgique, tout ce système perd
son sens.
Vous êtes contre la liberté de choix
du père de famille ?
En tout cas, le décret Missions ne
fonctionnera pas avec une liberté de
choix, avec un marché scolaire de
facto, où les écoles sont en concurrence permanente. Comment réagit un
parent qui n’approuve pas les choix
effectués ? Participe-t-il à la renégociation du projet d’école ? Non, il
menace de changer son enfant d’établissement et il le fait parfois. Si
dans la boutique scolaire, le produit ou les services que j’obtiens ne
me conviennent pas, je vais voir ailleurs. Ou je recherche un meilleur
nom pour mettre sur mon curriculum. Dans certaines écoles où les
choses vont bien, la perte est légère,
mais dans d’autres, où perdre des
élèves peut entraîner la disparition
de l’école, on s’aplatit. Quitte à diminuer le niveau… ou à l’augmenter.
Car les écoles anticipent les demandes des parents pour ajuster l’offre.
Nous avons alors des écoles favorisées, des écoles « sanctuaires » où
l’on accueille les enfants favorisés et
où l’on écarte les enfants qui ne sont
pas dans la norme. Qui vont eux
dans des écoles-ghettos. Dans une
43*
Jeudi 1er juin 2006
école-sanctuaire, on accueille l’enfant de bonne famille, disposant
d’une éducation de bon niveau, on
peut se montrer particulièrement
exigeant et sévère. Même le taux
d’échec élevé sera vu comme un critère de qualité. Dans les écoles-ghettos, le directeur et les enseignants
font ce qu’ils peuvent pour apporter
une aide à des enfants à la dérive,
ils sont profs, assistants sociaux,
parents de remplacement. Certes, il
y a des mécanismes de discrimination positive, mais cela ne suffit
pas. Les études internationales
montrent que notre système est un
de ceux qui imposent le plus un clivage entre écoles, où la ségrégation
sociale joue très fortement.
Mais la liberté de choix permet aussi au parent d’opter pour un modèle pédagogique particulier.
Je n’y crois pas. En 1920, lors de la
généralisation de l’obligation scolaire, l’État a joué un rôle supplétif
pour que chacun trouve une école
correspondant à sa conception philosophique, face aux écoles communales et catholiques qui existaient.
Comme la mobilité était faible, le
choix se résumait à école confessionnelle ou non. Mais aujourd’hui les
parents et les enfants bougent et
voyagent et le marché scolaire est
là. L’offre et la demande sont toujours sous-jacentes aux relations entre école et parents. Dans les sanctuaires, les profs ont l’autorité, les
parents sont demandeurs et heureux, ils se mettent sur liste d’attente, voire campent devant la porte les
jours d’inscription. Dans les autres
écoles, il faut séduire les parents qui
sont plus difficiles, il faut faire des
compromis. Mais il faut jouer subtilement, faire la démonstration de
sa qualité et en même temps, si les
parents sont mécontents, il faut
pouvoir défendre son point de vue…
ou le modifier. Quant aux ghettos,
les élèves sont parfois heureux de
trouver un endroit où on les accepte
encore…
Que faudrait-il faire pour assainir
ce partenariat parents-école ?
Cela va faire hurler, mais il faudrait réduire la liberté de choix des
parents à l’intérieur d’un bassin scolaire. Au niveau européen, des pays
comme la France ou la Suisse ont
opté pour une carte scolaire qui désigne une école selon le domicile. Bien
entendu, des dérogations sont possibles et généralement accordées notamment pour des motifs pédagogiques, mais c’est symboliquement
tout à fait différent que de faire son
choix d’école comme on choisit un
produit en supermarché. Je sais
que ce serait une terrible révolution
en Belgique francophone.
DE MON TEMPS...
Xavier Deutsch
41 ans, écrivain
Les valeurs civiques et la citoyenneté sont essentielles à mettre en place
à l’école, aux côtés des acquis et compétences de base. PHOTO A. DEWEZ.
Et les opinions philosophiques ?
La Suisse est un pays très religieux,
mais la tradition protestante place
la religion dans la sphère privée, intime et il n’y a pas de cours de religion à l’école, qui est neutre. Quand
quelque chose ne va pas, le parent
utilise le conseil de participation
pour tenter de faire changer l’école,
il ne la déserte pas.
Des parents trouvent qu’ils sont
placés en situation d’infériorité.
Il faut aussi qu’ils reconnaissent le
rôle de l’enseignant et sa mission
particulière… mais pourquoi pas
adopter pour l’occasion une disposition de la classe en cercle plutôt que
des bancs face à face ? Il faudrait
aussi que les enseignants soient
conscients qu’ils ont un rôle à jouer
avec les parents. Mais sont-ils bien
formés à la négociation et à la con-
certation avec les parents ? Y réserve-t-on une place conséquente lors
de leur formation, lors de leurs stages ? Je ne le pense pas. La massification de l’enseignement a entraîné
une dévalorisation de la fonction
enseignante, qui est sortie de l’élite,
dont les revenus n’ont pas augmenté parallèlement aux autres fonctions-clés de la société. Parallèlement, la Belgique est un des trois
pays (avec la Roumanie et l’Autriche) où l’on ne forme pas tous les
profs à l’université. Il faudra bien
un jour qu’on mette cela à plat.
Dans le passé, une sanction du
prof était majoritairement appliquée par la famille. Aujourd’hui,
c’est presque l’inverse.
Sans dialogue préalable, il est impossible de faire le tri entre la sanction nécessaire et le malentendu et
« Je pense avoir vécu et grandi
dans un milieu familial et scolaire où l’autorité était exercée
de manière éclairée. Quand
j’étais élève en secondaire, certains profs se faisaient chahuter et je ressentais un réel malaise. Il m’arrivait de faire partie des chahuteurs, mais sans
aucune joie. Pour moi, l’autorité est liée au savoir, à la
connaissance, à la sagesse, et
à la sincérité. Ce n’est pas une
chose que l’on impose de façon arbitraire. L’autorité se travaille, pas dans le rapport de
force, mais dans un rapport de
respect que l’on construit, que
l’on acquiert ». (C.E., st)
l’arbitraire. Si le projet pédagogique est expliqué, la crise est expliquée et le dialogue noué est aussi
une éducation à la citoyenneté, parce que ce genre de conflit se retrouve
à plein de moments de la vie sociale.
La sanction ne peut tomber que
quand le dialogue a échoué, pas
quand il n’est pas né.
Propos recueillis par
FRÉDÉRIC SOUMOIS
8430870
1NL
44*
Chapitre 3
Jeudi 1er juin 2006
Parents-profs
« Nous voulons ouvrir l’école »
Même davantage associés à la vie de l’école,
les parents estiment
être trop souvent laissés en marge des choix
fondamentaux.
D
’après une étude,
45 % des profs de
la communauté
française préféreraient avoir des
élèves sans parents. Pas orphelins, mais dont les
parents n’interviennent pas dans le
processus éducatif ou n’entrent pas
en interaction avec le professeur.
L’information fait bondir Philippe Schwarzenberger, président de
la Fédération des associations de
parents de l’enseignement officiel
(Fapeo). « Mais cela veut dire aussi
que plus de la moitié veulent travailler avec nous, conçoivent leur
pédagogie comme ouverte, acceptent de nous consacrer du temps et
de sortir du cadre normatif. » Car
les parents qui s’affilient à l’association de parents veulent aussi discuter pédagogie : « On dit aux profs
qu’on les respecte infiniment, qu’on
a manifesté pour eux quand ils perdaient leur emploi par milliers,
qu’on est reconnaissant pour la dette que l’on a face à l’école publique,
mais qu’ils ne nous ont pas fourni
un sens critique pour ne pas l’utiliser aujourd’hui. »
Chaque parent
est schizophrène
Pour Schwarzenberger, chaque
parent est schizophrène. Il désire
que l’école offre le bain social et
l’égalité des chances, mais veut aussi la meilleure école pour son enfant, veut décrocher le meilleur ascenseur social disponible. « Mais il
faut alors accepter que l’école soit
duale, qu’il y en ait une pour les riches, une pour les pauvres, une
pour les parents qui se saignent
aux quatre veines, une pour ceux
qui ne s’en préoccupent pas ou n’ont
pas le bon mode d’emploi. » Alors
certains parents, lassés de chercher
une bonne école qui assure la transmission des savoirs sans grosse fatigue, sans désorganisation, sans pos1NL
te non pourvu, se tournent vers des
écoles élitaires, quel que soit le réseau. « C’est dans le droit fil des conclusions de Davos. On fait tourner
une société avec 20 % d’une cohorte.
Mais que fait-on des autres ? C’est
souvent une partie de l’enseignement public qui en hérite. »
Le décret a reconnu la place de
l’association de parents, a consacré
le conseil de participation. « Et
après ? Tout cela est formel. Si on
veut des résultats, il faut “pogner”
dedans, cela demande un temps et
un effort considérable, l’école n’est
pas prête à cela. »
Pourquoi ne plus accepter du maître le choix de la méthode, la punition raisonnable, la direction des
travaux, comme par le passé ?
« Mais parce que je n’ai plus confiance en l’école publique, qu’on
joue avec nos pieds, que la fausse démocratie, c’est pire que la dictature
et qu’un conseil de participation
avec des acteurs non formés à travailler ensemble, c’est de l’imposture. » Schwarzenberger refuse le conseil de classe où le parent convoqué
comparaît face au maître, parfois
engoncé dans un banc trop petit, en
contrebas de l’estrade, réelle ou
mentale. Il se place à côté de lui, en
position d’égalité. « Moi, je le fais,
mais que fait celui qui ne connaît
pas les règles de l’école, qui ne sait ni
lire et écrire, dont le gosse est le seul
à parler le français, dont le gosse est
seul à se lever le matin, parce que ni
les parents ni les grands-parents ne
travaillent. »
Pour le président de la Fapeo, il
faut ouvrir l’accès à l’école, « dernière maison du peuple », organiser
des réunions de parents, aller cher-
cher ceux qui ne viennent pas seuls,
donner des moments et des lieux
avec des contenus et parler de valeurs. Avec un joli conseil : fleurir
les enseignants le premier jour de
classe, pour symboliser le projet
commun de l’institution, pour
concrétiser la main tendue. « Pendant l’école normale, il y a en tout et
pour tout quatre heures de cours
sur les relations entre familles et écoles, c’est très insuffisant. » Pour parler de quoi ? « De pédagogie, de la
constante macabre. » La constante
macabre ? C’est la constatation que
face à un groupe, quel qu’il soit, un
professeur aura tendance à coter
ses élèves en trois tiers, un tiers génies, un tiers nuls, un tiers moyens.
Il y a des techniques qui permettent
aux profs de contrer cette constante
macabre. Schwarzenberger veut,
au moins, en parler. « Mais on
nous dénie le droit de s’occuper de
pédagogie. Le projet d’école ? Mais
c’est un contrat léonin. Quand on
croit avoir trouvé l’école qui convient, on vend son propre produit,
on fait accepter son enfant dans
l’école, on affirme qu’il est propre,
qu’il se tient bien, qu’il n’a jamais
eu de problèmes et on signe le projet
d’école. Sans discuter. »
FRÉDÉRIC SOUMOIS
« La carte de l’école a changé »
es parents, cela n’existe pas,
réagit Henri Wittorski, porteparole de l’Union des fédérations des associations de parents de
l’enseignement catholique (Ufapec). Il y a des parents qui ont été
élèves à la fin de la guerre scolaire,
il y a les trentenaires qui ont déjà
une autre vie, une autre éducation,
il y a ceux qui viennent dans l’avenir. » Et de souligner que les jeunes
gens exclus de l’école (plus de 1.360
en 2005 pour la seule communauté
française) sont les parents de de-
L
main : « Que fait la société pour pacifier ces jeunes adultes pour permettre de construire un accrochage
scolaire pour leurs propres enfants ? Il faut gérer les écoles, mais
il faut aussi casser cette spirale. »
Pour Wittorski, beaucoup de réformes d’aujourd’hui sont prises à
travers le miroir de notre mémoire
de scolarité des enfants d’hier. Suppression des devoirs à la maison ?
C’est un élève d’hier qui règle ses
comptes d’enfant. Pour le ministre
d’alors, la répétition n’est pas un de-
voir, parce que la lecture et l’écriture sont des portes ouvertes sur l’autonomie. « Mais au nom de la traque aux abus, on a dérapé en faisant croire que le travail à domicile
était une torture. »
Pour le porte-parole de l’Ufapec,
la difficulté est que les parents d’aujourd’hui voient l’école avec les repères du passé, du temps où ils étaient
eux-mêmes élèves. « L’école a tant
changé en quelques années. C’est
une difficulté pour le parent et pour
l’enseignant. Mon père savait quel
45*
Jeudi 1er juin 2006
cours j’allais suivre, j’avais les mêmes livres de classe que lui. Mes petits frères en ont changé et aujourd’hui mon fils en a eu un différent
que sa sœur à peine plus jeune. Les
cartes routières ont changé, il faut
instaurer un dialogue, sinon on utilise les mêmes mots, mais ils n’ont
pas le même sens. » Et de prendre
comme exemple la pub où le « Ça
va aller ? » indigné d’un magasinier incapable de fournir 5.000 lavabos en un jour se voit traduit par
un rassurant « Ça va aller ! » du service commercial. « Si on ne prend
pas le temps de leur expliquer ce que
l’on veut faire, pas étonnant que les
parents ne comprennent rien. »
Et de noter les trois phrases qui
tuent en réunion de parents.
1. « C’est toujours les mêmes qu’on
voit. » « Merci bien, c’est sympa
pour ceux qui sont venus ! » 2.
« C’est pas ceux qu’on veut voir
qu’on voit. » « Un parent qui est là
s’intéresse au parcours de son enfant, veut le suivre. Et ceux qui ne
sont pas là, connaissent-ils cette
opportunité ou sont-ils dégoûtés ? »
3. « De toute façon, vous n’y con-
naissez rien. » « Certes, nous ne
sommes pas des experts, mais comment faire du bon travail sans confronter les idées, sans expliquer ? »
Dans une classe, le professeur
explique aux enfants qu’il a besoin
de recevoir les parents pour leur expliquer la manière dont les choses
vont se dérouler. A la réunion de parents qui débute l’année, le titulaire
reçoit 50 parents. Dans la classe
d’en face, il y a juste 3 parents. Le
titulaire a répondu aux enfants :
« Je n’ai rien à dire à vos parents ».
« Le premier a compris que pour
avoir un meilleur contact quand il
y a difficulté, il faut entamer ce contact quand tout va bien. Comment
agir face au décrochage scolaire si
on n’a jamais vu les parents ? »
Ce n’est pas toujours facile, certains parents ont littéralement
peur de l’école, d’être jugés à leur
mine, à leur niveau d’éducation, à
leur connaissance de la langue.
Dans une école en discrimination
positive, où la plupart des parents
n’ont pas le français comme langue
première, des goûters interculturels ont brisé la glace, permis de je-
ter des ponts, de tresser des liens.
« Il faut que l’école les apprivoise et
qu’ils apprivoisent l’école. »
Les outils ? D’abord la liberté du
père de famille. « C’est dans le contact avec le directeur que se noue
l’accrochage scolaire… parental.
L’école ne doit pas être un bastion
clos, mais un lieu de vie, occupé largement. » Contre la carte scolaire,
alors ? « Je ne vois pas pourquoi les
gens d’un endroit devraient être
condamnés à rester dans cet endroit. Si on empêchait de se déplacer, on aurait d’autres ghettos. » La
sanction qui n’est plus acceptée ?
« Avant, les familles étaient en osmose avec la société, aujourd’hui
celle-ci multiplie les ouragans autour d’elle, après 68, après la noncompréhension de Dolto. L’enfant
d’aujourd’hui vit dans une famille
décomposée, entre maman et papa,
hypersollicité par la pub, le commerce, les invites. On dit les parents
démissionnaires, mais ils suivaient les règles de la société. Aujourd’hui elle n’en donne plus, ceux
qui veulent des rails sont perdus. »
DE MON TEMPS...
François de Brigode, 44 ans
Présentateur du JT à la RTBF
« Mes parents étaient positivement dirigistes. Il existait des
moments de crispation, mais
leur autorité était intelligente
car elle induisait toujours le
dialogue. Je n’ai jamais subi de
décision injuste. C’est aussi face à l’autorité que l’on affirme
son caractère. A l’école, je collectionnais les heures de retenue quand je brossais, mais jamais au-delà. Grâce à l’autorité parentale, le travail des professeurs était facilité. C’est un
jeu de dominos. » (A.G., st.)
FRÉDÉRIC SOUMOIS
8410540
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46*
Chapitre 3
Jeudi 1er juin 2006
Parents-profs
Les élèves se lèvent pour le prof
Ancienne préfète, Marie-Thérèse se souvient
d’un temps où les
profs professaient et
voyaient surtout les parents des bons élèves.
E
tait-ce un autre
temps ? La civilisation a-t-elle tant
changé depuis 1979,
année où Marie-Thérèse Nicolaï, professeur de géographie, est devenue préfète de l’athénée communal Théo
Lambert, à Anderlecht ? Quand un
professeur entrait dans sa classe,
les élèves se levaient naturellement.
« C’est vrai que cela dépend aussi
de l’âge. En première, les élèves se
battaient pour avoir l’honneur d’effacer le tableau, en rhétorique, il fallait trouver une victime. »
La réunion de parents se résume
souvent à la rencontre des parents
des « bons élèves », sauf en cas de
problème particulier, où des parents sont « convoqués ». « Mais
souvent, on n’attendait pas une réunion quand un problème se posait. » Aujourd’hui on se réunit davantage entre professeurs. « Nous
Un temps où
les élèves se levaient quand le
prof entrait…
PHOTO DEWEZ.
le faisions aussi, mais nous avions
une heure de “conseil de classe” par
semaine, où nous évoquions les problèmes éventuels et où nous nous informions des nouveautés pédagogiques. Aujourd’hui, les profs doivent
le faire sur leur temps libre, ce qui
peut créer des tensions. »
Des parents qui veulent qu’un résultat soit expliqué, cela arrive.
« On finissait par connaître tout le
monde, souvent les familles envoyaient plusieurs enfants, ce qui
permet des rapports plus aisés. »
Parfois, la direction doit convoquer les parents pour absentéisme.
Au-dessus d’un certain nombre de
journées d’absence non justifiée,
l’élève n’est plus subsidié, il n’est
plus régulier et est écarté. « On surveillait cela à temps pour que cela
n’arrive pas. Parfois, le concierge devait aller mettre une enveloppe
blanche lui-même chez les parents,
parce que les élèves guettaient le facteur et le papier à en-tête. »
C’est parfois délicat. Un père se
présente sans comprendre. Au contraire, il est fier de son fils, qui commence à être un bon joueur de foot,
au stade Astrid. « Quand il a compris que son fils risquait d’être mis
à la porte, j’ai vu sa main frémir.
J’ai pris le temps d’expliquer que
des coups ne servaient à rien. » Parfois, la direction doit laisser s’empiler les certificats de maladie, toujours du même médecin : « Rien à
faire contre cela. » Mais la vérité est
que certains parents ne réagissent
pas au courrier, ne prennent pas
contact avec la direction ou les professeurs. Pour parfois s’étonner de
l’échec qui arrive en fin d’année.
La préfète, qui ne dédaigne pas
mettre la main à la pâte, veut lutter
contre l’absentéisme de l’après-midi, quand les élèves qui disposent
d’une autorisation de sortie, ne rentrent pas à temps. « Avec un jeune
prof de gym, j’allais faire la tournée
des cafés les plus proches, et on ra-
menait notre monde. Tout cela restait bon enfant. »
La menace de parents d’aller mettre leur enfant ailleurs ? « Quand
un préfet reçoit un élève transféré, il
se demande pourquoi il a voulu partir. Les documents qui attestent des
résultats le suivent. »
Cahiers de matières vues pour le
prof, journal de classe détaillé pour
l’élève, le tout est régulièrement visé. Parce que c’est le moyen de mettre le contrat éducatif à plat, mais
aussi parce que la commission d’homologation veille et que le risque de
voir un résultat d’une section invalidé existe. A l’époque, pas d’association de parents, mais un comité scolaire qui ne touche pas au pédagogique, mais va casser les pieds au personnel politique de la commune
chaque fois que c’est nécessaire.
« Un jour, une dame me dit qu’elle
trouve que les murs ont besoin
d’une couche de peinture. Je lui réponds gentiment que la demande a
été faite, mais que cela prend du
temps. Je ne sais pas qui elle a appelé, mais on avait les peintres dans
la quinzaine. »
FRÉDÉRIC SOUMOIS
DE MON TEMPS...
8480720
Vincent Taloche
37 ans, humoriste
« Mes parents m’ont appris la
politesse, l’honnêteté et à ne
jamais rabaisser les autres.
L’autorité est primordiale. J’ai
vu des enfants évoluer de façon différente selon la façon
dont ils ont été éduqués. Souvent, les enfants ayant eu des
parents stricts ont moins de
problèmes que les autres. Mes
parents n’étaient pas extrêmement stricts, mais ont toujours
instauré le respect dans la maison. Mes professeurs se faisaient respecter aussi. Les professeurs de nos jours ont l’air
d’en avoir marre, et je les comprends. » (Ma. M., st)
1NL
47*
Jeudi 1er juin 2006
Notre école doit rester ouverte
Jeune préfet dans le
Hainaut, Frank Livin estime essentiel de garder la porte ouverte
aux problèmes. Mais
ne transige pas sur les
fondamentaux de l’instruction.
S
incèrement, je ne pense pas que les choses
aient tant changé. Il y
a peu de rapports tendus et de conflits ouverts entre professeurs
et parents », estime Frank Livin,
préfet depuis 5 ans de l’Athénée
provincial Warocqué à Morlanwelz, dans le Hainaut. Qui ne se
souvient que d’un cas disciplinaire
grave où, malgré les conclusions
d’un expert judiciaire, les parents
n’avaient pas voulu reconnaître
l’évidence et avaient envoyé un avocat pour contester la sanction prise. « C’était un vrai enfant-roi, les
parents restaient sourds à toutes
les autres voix. Mais c’est une exception face à 1.100 élèves. » Parfois,
en professionnel ou technique, les
rapports entre profs et parents
sont plus tendus. « C’est un réflexe
de protection compréhensible, où
les parents refusent de voir leur enfant comme nous le voyons. Généralement, nous convoquons alors un
conseil de classe. Quand les parents
entendent comment se comporte
leur enfant, cela suffit à faire le chemin pour trouver ensemble des solutions. »
« La vérité, c’est que dans la plupart des cas, je prends une sanction
éventuelle après avoir entendu
tous les protagonistes et que, malgré ma demande, je n’obtiens aucune réaction des parents. » S’en
moquent-ils, ont-ils honte ? On
n’en sait rien. Il y a des exceptions,
bien sûr. Récemment, des parents
ont tenu à ce qu’une élève s’excuse
verbalement et par écrit devant le
conseil de classe. « Difficile pour elle, mais cela a permis de passer un
cap et de ne pas rester coincé sur la
sanction. »
Ferme quant aux règles du « vivre ensemble » codifiées en code
DE MON TEMPS...
Elio Di Rupo, 54 ans, ministreprésident de la Région wallonne
Pour le jeune préfet Frank Livin, il est essentiel de « garder la porte ouverte aux problèmes ». PHOTO JEAN-LOUIS WERTZ.
de discipline, le préfet tient à cœur
une politique d’ouverture radicale
de l’école. « Quand un problème se
pose, l’élève doit en parler au professeur, puis au titulaire, qui accompagne l’élève dans sa construction
éducative et personnelle et qui est
généralement mieux placé pour
aider à débloquer une situation. »
C’est le titulaire qui veille à ce que
le journal de classe soit signé une
fois par semaine ou qu’une note
particulière le soit le jour même en
cas d’incident.
De nouveaux devoirs
pour le prof
« Ce n’est que quand tout cela est
épuisé que la direction entre en
jeu. » En pratiquant la politique de
la porte ouverte. Si prendre un rendez-vous aide toujours, la porte du
préfet ne reste pas fermée si ce
n’est pas le cas : « Franchement,
c’est perturbant, fatigant, cela bouleverse l’emploi du temps en permanence et cela rallonge les journées,
mais cela permet de régler beau-
coup de problèmes tout de suite,
sans accumuler de rancœur supplémentaire. » La méthode : « Obliger l’autre à poser un autre regard
sur les faits. »
L’Athénée dispose d’un conseil
de participation qui associe parents, profs et élèves. « Nous avons
placé au centre du processus pédagogique la communication entre acteurs de l’école. Les parents apprécient l’ouverture d’esprit et la manière dont nous envisageons la
construction de l’esprit critique »,
explique le préfet, soulignant qu’il
n’érige pas pour autant son établissement en modèle.
Journal de classe à signer chaque
semaine, trois réunions de parents,
mais aussi des manifestations toute l’année qui doivent aider le dialogue entre parents et professeurs.
« Tous les profs n’apprécient pas
nécessairement, certains restent attachés au statut de dispensateur du
savoir. Mais les acteurs et la pièce
changent progressivement. » Le décret missions crée des obligations
« Je n’étais pas spécialement
contestataire dans ma famille
ni à l’égard de mes professeurs. C’est à l’université que
j’ai pris la tête de certaines revendications étudiantes, que
j’ai défendues devant les autorités académiques. Je fais confiance et je ne pense pas qu’il
faille, en tant que responsable
d’une équipe, jouer les gendarmes. J’ai la chance d’être entouré de collaborateurs motivés et de qualité, qui n’ont pas
besoin d’être mis sous pression pour donner le meilleur
d’eux-mêmes. Lorsqu’il faut
prendre des décisions, je consulte énormément. » (C.E., st)
supplémentaires, des recours, une
participation chronovore que certains vivent comme une ingérence.
L’Athénée est peu soumis à la
menace de perte d’inscription, pouvant inscrire chaque élève qui le demande, ne refusant personne sur
dossier. « Mais à la fin de la deuxième, il faut pouvoir le dire à ceux
qui se sont trompés de voie dans le
général. » Ouverte, l’école ne transige pas avec les « fondamentaux »
indispensables, l’écoute attentive,
le matériel, la régularité. « Nous ne
sommes pas une garderie. »
FRÉDÉRIC SOUMOIS
8383770
1NL
48*
Chapitre 3
Jeudi 1er juin 2006
Parents-profs
Une sanction peut être éducative,
mais sous de strictes conditions
à cette question : “Sanctionner,
écrit-il, c’est bien en effet attribuer
à l’autre la responsabilité de ses actes et même si cette attribution est
constitutivement prématurée, même si elle est, au moment où elle est
faite, un leurre – puisque l’enfant
n’est précisément pas déjà éduqué –, elle contribue à son éducation en créant chez lui progressivement cette capacité d’imputation
par laquelle sa liberté se construit.
Celui qui a commis la faute n’aura
peut-être pas agi de son plein gré, il
aura peut-être été le jouet de l’influence de son entourage ou, simplement de ses impulsions… Mais
le fait de lui attribuer la responsabilité de ses actes le mettra en situation de s’interroger progressivement sur ceux-ci et d’en être, de
plus en plus, le véritable auteur”. »
Pour Prairat, l’utilisation de la sanction fait
partie du processus
éducatif. Mais c’est
une arme délicate,
qu’il faut encadrer
sous peine de détruire
au lieu de construire.
F
aut-il punir dans
l’école ? Même légitime, une sanction estelle nécessairement
formatrice ?
C’est
l’objet de la recherche d’Eirick Prairat, professeur de
sciences de l’éducation à Nancy 2,
venu en mai faire part de ses travaux aux préfets réunis à l’ULB.
Y a-t-il une sanction légitime ?
« Le droit n’est pas la morale. Légitimer une sanction, c’est l’inscrire
dans un espace marqué du sceau de
la règle. C’est le rôle du règlement intérieur d’un établissement scolaire,
qui transcrit la norme par écrit et
qui a vocation à organiser la vie sociale. Son principe est la réciprocité, chacun est soumis aux mêmes devoirs mais dispose aussi des mêmes
droits. » A quoi cela sert ? « La
sanction ne se justifie que s’il en résulte quelque chose de bon. Si l’enfant doit être puni, c’est seulement
dans la mesure où l’action de punir
peut être intégrée à l’œuvre d’éducation. Une sanction éducative doit
satisfaire un triple objectif, politique, éthique, social. »
Un objectif politique. « La sanction vise à rappeler la primauté de
la loi et non la prééminence des
adultes. Elle manifeste l’importance de l’existence d’un ordre symbolique structurant : le droit ou plus
simplement l’ensemble des règles
explicitées. Une sanction qui entend faire œuvre d’éducation ne
peut donc être utilisée comme une
stratégie de réactivation du pouvoir du maître ou de l’adulte. Rappeler la loi, c’est aussi en appeler à
1NL
Un objectif social. « La sanction
est un coup d’arrêt. Sans celui-ci,
l’enfant peut être amené à persévé-
DE MON TEMPS...
Damien Vandermeersch
48 ans, professeur d'université
sa valeur d’instance, c’est-à-dire à
sa capacité à lier un “je” à un “tu”
pour faire advenir un “nous”. La
sanction rappelle que les lois que le
groupe se donne ne peuvent être impunément ignorées ou violées au risque de le faire éclater. Mais qu’estce qu’un rappel à la loi si la loi est
inique ou n’est qu’une petite règle tatillonne ? Réfléchir sur la sanction,
c’est toujours réfléchir en amont. Le
sens, la lisibilité de la loi et la mise
en place d’un véritable cadre socialisant est une exigence essentielle car
la sanction ne prend sens que comme élément d’un dispositif plus global où se nouent paroles, lois et responsabilité. »
Un objectif éthique. « La transgression, sous certaines conditions, par-
ticipe à la construction du sujet
social, tout comme l’erreur, dans
des conditions didactiques précises,
participe à l’évolution intellectuelle
du sujet cognitif. Embarqués dans
leur quête d’identité et de reconnaissance, l’enfant et l’adolescent se
plaisent à bousculer les règles. Ils
s’éprouvent en éprouvant la fiabilité de leur environnement social.
Il n’y a rien de rien de pire que le silence en cas de transgression caractérisée. Il importe de toujours rétablir les limites, de reformuler à chaque fois les interdits structurants.
Ne faisons pas silence sur ce qui
s’est passé. » Surprenant, car certains réprouvent que l’on punisse
un enfant encore en construction,
« irresponsable ». « Philippe Meirieu donne une tentative de réponse
« Comme tous les gosses, je réfutais parfois les actes d’autorité posés par mes parents. Il
m’arrivait aussi de les comprendre sur le moment ou plus
tard, avec le recul. A l’école, je
ressentais l’autorité surtout
quand elle frappait arbitrairement. Souvent, le prof dont on
se souvient c’est celui qui faisait peur, qui abusait de son
autorité pour effrayer. Il arrivait qu’un enseignant fasse
des différences parmi les élèves, notamment entre les meilleurs et les moins bons. Ces
derniers étaient sanctionnés
alors qu’il aurait été plus juste
de les encourager. » (C.E, st)
49*
Jeudi 1er juin 2006
rer, à aller plus loin, à faire plus
mal, à se faire plus mal. L’éducateur doit soutenir des “non”. La
peur de ne plus être aimé taraude
souvent l’éducateur qui s’oppose ou
se risque à poser un refus. La sanction éducative, par-delà son effet césure, tend à réinscrire le coupable
dans le jeu social de la réciprocité. »
Principes structurants. Ces objectifs clarifiés, le chercheur en tire
des conclusions opératives pour les
pédagogues… même si, comme il le
souligne lui-même, « c’est plus facile à dire qu’à faire. Ainsi, la sanction éducative ne peut être qu’individuelle, pas collective. Pas de mises
en scène spectaculaires, pas de punitions “exemplaires et édifiantes” devant le groupe. Mais de la symbolique et de la solennité. La gravité est
appel à la raison. La sanction
appelle à la parole : pas de sanction
appliquée qui ne soit expliquée.
Il faut sanctionner un acte, mais
pas une personne, un vol mais pas
un voleur. L’adulte doit se refuser
tout discours sur le caractère et la
personnalité de l’enfant. Une sanction éducative peut être la privation de l’exercice d’un droit, une mise à l’écart temporaire, une interdiction d’activité. Son ressort n’est pas
l’humiliation, mais la frustration.
Enfin, la sanction doit s’accompagner d’un geste du coupable à l’intention de la victime ou du groupe.
Le besoin de réparer est aussi le désir de se réparer ».
FRÉDÉRIC SOUMOIS
Les recours contre le conseil
de classe crispent l’atmosphère
Depuis 1999, la décision d’un conseil de
classe est soumise à un
appel. « Légitime », disent les uns. « Tracassier », disent les autres.
D
ébut septembre, je dois
prendre dix jours rien que
pour la rédaction des procès-verbaux de conseils de classe et
pour recevoir les plaintes et les recours. » Ce préfet du secondaire reçoit entre 30 et 40 parents pour les
1.700 élèves de son établissement.
« Souvent, à la vue du contenu de
l’examen écrit, le problème est réglé, le parent se rend compte que
son fils ou sa fille lui a raconté des
histoires. » Mais il arrive que l’affaire ne se résolve pas aussi vite.
Après une nouvelle tentative de
conciliation au niveau du pouvoir
organisateur, et parfois un retour
vers un conseil de classe extraordinaire, ce qui allonge les démarches, c’est une commission de recours centrale qui devra trancher.
8279500
Il y a en deux, une par réseau, afin
que chacun réforme ses propres décisions, sans que l’on puisse suspecter des règlements de compte.
L’originalité du recours est qu’audelà de la vérification du caractère
formel de l’épreuve (y a-t-il eu examen, la copie a-t-elle été valablement et équitablement corrigée ?),
la commission doit se pencher sur
le niveau atteint. En d’autres termes, un élève recalé par rapport à
sa classe ou son école peut être
« sauvé » s’il atteint les compétences requises au niveau global.
810 recours en 2005 pour des dizaines de milliers d’élèves, soit un
taux de 0,046 %, c’est un chiffre
que le cabinet de la ministre chargée de l’Education Marie Arena
trouve raisonnable, estimant
qu’on n’a pas subi une invasion de
procédures, comme certains le craignaient après l’introduction de cette possibilité en 1999 (décret missions). Pour l’autorité, il n’était
plus tenable de ne pas ouvrir de
possibilité de recours contre une
décision qui peut engager l’avenir
d’un ado. « La plupart du temps,
la décision est parfaitement adéquate. Mais les conseils de classe
sont composés d’êtres humains,
donc faillibles. »
Plus globalement, le sentiment
d’une partie de la communauté
éducative est une progressive judiciarisation des rapports dans l’école. Il n’est plus rare de voir des parents débarquer avec un avocat
pour faire valoir leurs droits. D’autres rétorquent que c’est bien normal après des décennies de pouvoir scolaire quasi absolu et sans
appel.
Les recours contre l’exclusion de
l’école sont également en hausse
(1.365 en 2005) et la rentrée prochaine devrait sans doute ouvrir le
chantier des recours contre les refus d’inscription, que les directions
devront systématiquement justifier sous peine de sanctions.
« Je dois consacrer dix jours à dégonfler des baudruches, puis à produire une paperasse considérable,
chaque étape de la conciliation exigeant un procès-verbal détaillé des
arguments échangés. Ce sont dix
jours où je suis soustrait de mes tâches essentielles, à un moment-clé,
puisque c’est le moment de la rentrée scolaire. Et puis, sincèrement,
j’en entends des vertes et des pas
mûres. Pourtant, il y a eu moins
d’un cas par an où la décision a été
revue », confie notre préfet.
FRÉDÉRIC SOUMOIS
8410560
1NL
50*
Chapitre 3
Jeudi 1er juin 2006
Parents-profs
Les pièges de la « parentocratie »
Entre l’école et les familles, le dialogue est
fragile. Comment naissent et meurent les discordes et les incompréhensions ? L’analyse
d’Eric Mangez, sociologue (Cerisis-UCL).
ENTRETIEN
E
ric Mangez est sociologue
spécialisé
dans les questions
d’éducation. Il est
membre de l’équipe
« enseignement »
du Centre de recherche interdisciplinaire pour la solidarité et l’innovation sociale (Cerisis), attaché à
l’Université catholique de Louvain.
Il porte un regard éclairé sur les rapports qu’entretiennent les parents
avec le monde scolaire.
Autrefois, l’école et la famille
étaient séparées de façon très distincte. Aujourd’hui, les politiques
scolaires visent à rapprocher ces
deux univers. A faire de l’école et
des parents, de véritables « partenaires ». Comment s’opère ce rapprochement ?
Tout d’abord, il faut replacer la relation école-familles dans un contexte
économique global. L’ère du pleinemploi est révolue. Le monde du travail est dominé par la flexibilité,
l’instabilité, la précarité. Les délocalisations d’entreprises progressent.
Les parents, de façon légitime, sont
traversés par une même crainte.
Quel va être l’avenir de mes enfants ? Les attentes vis-à-vis de l’école sont immenses. On attend qu’elle
puisse transmettre un maximum
de connaissances, qu’elle puisse être
« le » chemin vers la réussite, l’épanouissement personnel, la stabilité
professionnelle…
En outre, les exigences du monde du
travail sont grandes. Stress, logique
de la performance, contraintes horaires… Les parents doivent « composer » avec les garderies, les coups
de pouce à domicile, etc. Dans ce contexte, le rapprochement entre les fa1NL
Les attentes vis-à-vis de l’école sont immenses : elle doit être le chemin
vers la réussite, l’épanouissement, la stabilité professionnelle. PH. J.L. WERTZ
milles et l’école peut être source d’incompréhensions et de critiques mutuelles.
Qu’entendez-vous par incompréhensions ?
Du côté des enseignants, on entend
dire parfois que les parents “se désinvestissent de plus en plus”; qu’ils
“ne s’occupent pas bien de leurs enfants” ; qu’ils “viennent toujours
pour se plaindre”… Du côté des parents, on se dit exclu du projet pédagogique, incompris, mal accueilli…
Un exemple : le « mythe » des parents démissionnaires. Celui-ci est
éclairant et révélateur de paradoxes. A ma connaissance, il n’existe pas (ou si peu) de parents qui ne
soient pas préoccupés par la scolarité et par l’avenir de leur enfant.
D’un autre côté, certains enseignants ne souhaitent pas que ces parents s’investissent trop dans la
sphère pédagogique. Estimant, à
raison, que la pédagogie, c’est leur
territoire, leur savoir-faire, leur
identité professionnelle. La frontière entre l’école et la famille est fragile, ténue, en perpétuelle évolution.
Au travers de votre recherche menée auprès des familles défavorisées « à l’épreuve de la maternelle », vous avez pu constater combien les « repères » (culturels, sociaux…) des parents ne sont pas
ceux des enseignants.
En effet. Lors de nos entretiens,
nous avons pu constater que les con-
flits naissent de problèmes domestiques et pratiques : la perte d’un objet, un vêtement abîmé, le manque
d’autorité d’un enseignant… Ces parents comparent l’école à la maison.
Ils ont une idée précise de ce que
doit être la discipline, l’apprentissage, la surveillance… Et classent ce
qui est « bien » dans leur esprit et
ce qui est « mauvais ». Ainsi, une
maman va juger négativement une
institutrice parce qu’elle a laissé
son enfant rentrer chez lui avec des
mains sales ou parce qu’elle lui apprend à lire en jouant. Pour cette
maman, l’école doit être synonyme
de propreté et d’hygiène, et l’apprentissage n’est pas un jeu. De ces malentendus culturels naissent parfois des discordes.
Les mesures prises pour combler
ce fossé entre l’école et les familles
sont-elles suffisantes ?
Non, je ne le pense pas. Or, l’enjeu
est capital. Il ne s’agit pas seulement de créer un bon climat dans
l’école. C’est tout le processus d’apprentissage chez l’enfant qui en dépend.
Si, dans le milieu scolaire, cet enfant perçoit que ses parents ne sont
pas reconnus à leur juste valeur, ça
n’est pas sain. Si, à la maison, il entend que la légitimité de ses profs
est perpétuellement mise en cause,
ça n’est pas constructif non plus.
L’enfant ne peut construire son
identité sur un sentiment de « trahi-
son », une situation de porte-àfaux, un affrontement, ou une distanciation.
Comment peut-on repenser la relation écoles familles ?
En repensant cette relation de façon équilibrée. Jusqu’ici, les mesures prises par les pouvoirs publics
allaient souvent dans le sens des parents : conseils de recours, conseils
de participation, fin du redoublement… Il ne faudrait pas affaiblir
les enseignants dans ce rapport école-familles. Ils ont besoin d’être reconnus, associés, entendus. Plusieurs pays européens, comme la
France ou l’Angleterre, vont également dans un sens du « tout aux parents ». En Grande-Bretagne, par
exemple, les familles ont un vrai
pouvoir de gestion dans l’enseignement. Ma crainte, c’est que ce soit le
« marché « qui fasse la loi. Que l’on
entre dans une forme de « parentocratie ». Que l’on construise une politique scolaire en se basant sur les
attentes des parents et non en s’appuyant sur un projet public ou sur
des valeurs fondatrices : l’égalité,
l’émancipation, etc.
HUGUES DORZÉE
DE MON TEMPS...
Jacques Stas, 37 ans
Basketteur professionnel
« Fils unique, j’ai été élevé par
mes grands-parents. Ma grandmère était très stricte, ayant
connu la guerre. Je ne disais jamais un mot plus haut que l’autre et faisais tout ce que l’on
me demandait.
En classe, l’autorité était aussi
naturelle. Nous étions seulement quinze. Les professeurs,
Jésuites, avaient donc la mainmise sur les élèves. Si l’autorité est parfois dure à vivre, on
s’aperçoit vite qu’elle est nécessaire pour acquérir un certain savoir-vivre. Elle se transforme alors en auto-discipline ». (A.G., st.)
51*
Jeudi 1er juin 2006
Petits trucs sans recette miracle
Comme dans un couple ou dans une entreprise, il n’y a pas d’ingrédient miracle pour
que les relations parents-profs s’épanouissent. Sinon la parole et
l’échange… préventif.
P
oser les problèmes,
c’est utile, cerner les
limites, c’est bien,
mais donner quelques pistes à appliquer sur le terrain,
que l’on soit prof, élève, parent ou
directeur, c’est mieux. Attention :
la liste n’est pas exhaustive et tous
les petits trucs ne sont pas applicables partout…
Pour le professeur Marcel Crahay, il faut instaurer, dans le primaire, une réunion des parents tôt
dans l’année, pour expliquer aux parents la conception pédagogique.
Le journal de classe doit jouer un
double rôle, pour tenir lieu de fil
rouge à l’enfant, mais aussi d’outil
de communication avec le parent.
Il faut qu’il soit signé et consulté de
manière très régulière. « L’enfant
obtient ainsi une régulation temporelle et des balises. Car il est clair
que sans cela l’élève, même très jeune, trouve vite comment jouer le
prof contre le parent… » Dans le secondaire, l’expert est favorable à un
maximum de réunions de parents
et de concertation. « Je trouve dommage que certaines écoles n’en aient
aucune. Le journal de classe revêt
un rôle différent, parce que l’adolescent a besoin d’un début d’autonomie. Si le prof se sert du journal de
classe pour obtenir des parents un
contrôle sur les parents, cela peut
être mal vu. Ici, il est plutôt un outil
entre le prof et l’élève. Ce qui n’empêche pas de l’utiliser, à certains moments, en demandant de le faire
explicitement signer. Ce sera d’autant plus difficile si le premier contact entre parents et professeur se
fait au moment d’une crise. Mais si
le contact est déjà établi avec le titulaire de classe, par exemple, celui-ci
peut servir de médiateur entre un
prof et l’ado ou sa famille. L’ado est
un adolescent au sens étymologique, il demande que sa place et son
importance soient reconnues, il
n’est plus un infans (“celui qui ne
parle pas”). Une réunion de parents
peut expliquer tout cela de manière
précoce. »
Les responsables d’association de
parents donnent, eux, un joli conseil : fleurir les enseignants le
premier jour de classe, pour symboliser le projet commun de l’institution, pour concrétiser la main
tendue.
Plus prosaïquement, beaucoup
d’acteurs soulignent que la participation accrue obtenue à la suite du
décret missions (à certains endroits, il ne faisait que mettre en
texte les pratiques anciennes des
écoles) ne peut fonctionner qu’avec
une pleine participation des acteurs. Prendre part aux réunions
des parents, mais aussi profiter de
moments festifs pour mieux connaître le cadre d’éducation où doivent
s’épanouir les enfants. « Dans le secondaire, beaucoup de parents ignorent jusqu’au nom et au visage de la
plupart des profs de leur enfant. Ce
n’est pas normal… même et surtout
si tout semble aller bien », souligne
un expert.
FRÉDÉRIC SOUMOIS
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52*
Chapitre 3
Jeudi 1er juin 2006
Parents-profs
Quatre pistes pour faire tomber
les murs entre l’école et la famille
Cahier de communication, local « des parents », cogestion… Les
écoles mettent en place des projets pour se
rapprocher des familles. Petit mode
d’emploi.
A
gauche, le bahut. A
droite, les parents.
Entre les deux ? Un
mur d’incompréhension, parfois.
Un beau partenariat, souvent. « Les agressions, les
intrusions, les difficultés de communication, ça n’est pas la norme ! »,
insiste Emily Hoyos, la directrice
du service d’études de la Ligue des
familles. « Les parents et l’école ne
sont pas condamnés à évoluer dos à
dos. Il existe de nombreuses initiatives positives et concrètes ».
Ces initiatives sont souvent informelles. Elles émanent de la « base » (direction, enseignants, parents…) et permettent de rapprocher les points de vue. Quelques pistes parmi d’autres…
Soigner la relation dès l’inscription. La relation famille-école commence à la rentrée. En dehors des
formalités administratives, l’établissement peut apporter un soutien
concret aux parents (rédaction des
documents, éventuelle traduction…) ; les informer plus ou moins
largement (pédagogie, coût, sécurité…) ; prendre en considération
leur situation familiale et/ou sociale, les habitudes et les éventuelles
maladies de l’enfant… L’inscription
peut être un premier moment d’intégration (visite des lieux, rencontre avec les enseignants…). C’est là
que va se tisser la relation de confiance entre les parents et l’école.
Un « facilitateur » de dialogue.
« Dans le rapprochement école-parents, le chef d’établissement joue
1NL
La relation famille-école
commence à la
rentrée. PHOTO
ALAIN DEWEZ.
un rôle fondamental », commente
Emily Hoyos. « C’est lui qui va mettre les parents en confiance, encourager les enseignants à monter des
projets vis-à-vis des parents, donner une impulsion au conseil de
participation… ». Tolérance, sens
de l’écoute, charisme… Les qualités
humaines de ce directeur sont évidemment importantes.
Une communication en continu.
Téléphone, mot dans le cartable, recommandé, recours au journal de
classe… Entre l’école et la maison,
tous les moyens de communication
sont utilisés. Certains sont efficaces, d’autres moins. Il peut y avoir
des barrages culturels, linguistiques, économiques… Le moyen le
plus direct reste l’entretien (informel ou non). Certaines écoles ont
mis en place des dispositifs « planifiés » tout au long de l’année : groupe de mamans, excursions conjointes avec les parents, atelier rencontre avant la classe… Autre initiative : le cahier de communication.
Utilisé en maternelle, cet outil permet aux parents qui ont très peu de
contacts avec les instituteurs, de faire passer des petites « informations » de la vie quotidienne (petit
bobo, incident en famille…). « Ça
se passe en dehors du journal de
classe, l’enfant n’est pas mis dans la
confidence, et ça permet de maintenir le lien. Seul problème : on doit
passer par l’écrit, ce qui dans les milieux défavorisés n’est pas toujours
opportun », note Emily Hoyos.
Faire « tomber » les murs. Ouverture d’un local « des parents « avec
coin café, création de commissions
thématiques (fête, voyage…), participation à la gestion financière…
Plusieurs établissements ont mis
en place des stratégies pour impliquer davantage les parents dans la
vie quotidienne.
Valoriser l’école et la maison. La relation parents-école passe aussi par
un respect réciproque : valoriser les
apprentissages scolaires, véhiculer
une image positive de l’enseignant,
soutenir l’enfant dans son cursus…
A l’inverse, l’école aura tout à gagner à valoriser les compétentes
des parents : peindre des bâtiments, cuisiner pour une fête, témoigner de son métier en classe,
participer à l’heure du conte… Autant de « petites choses » qui vont
faire des parents des « partenaires » à part entière.
HUGUES DORZEE
DE MON TEMPS...
Jean-Philippe Ducart, 39 ans
Porte-parole de Test-Achats
« Mes parents n’hésitaient pas
à corriger certains aspects de
mon comportement afin de
me faire connaître mes limites.
Mais il y a toujours eu un dialogue entre nous. J’ai davantage
ressenti l’autorité à l’école,
chez les jésuites de Mons. La
discipline était très stricte, parfois même militaire : système
d’avertissement avec cartes
de couleur ou exclusion des
cancres. Mais les règles
étaient claires.
Par ailleurs, j’ai toujours été un
élève et un enfant relativement obéissant. J’ai forgé ma
personnalité différemment. »
(A.G, st.)
53*
Jeudi 1er juin 2006
« L’école doit restaurer l’autorité,
sinon, on va se casser la gueule »
Enseigner, ce n’est pas
une histoire d’amour,
c’est une histoire de
respect. Confrontée
aux demandes éducatives, que doit faire l’école ? Traube conclut.
R
edonner à l’école sa
place dans notre société. Redéfinir ses
missions. Requalifier son territoire,
dit Patrick Traube,
psychothérapeute et formateur. Un
chemin existe. Et tout espoir n’est
pas perdu…
Moi, quand j’évoque les professeurs,
je parle à dessein des “maîtres”, c’est
un mot à restaurer, je trouve. Il faut
que les maîtres dans leur classe, les
chefs d’établissements réaffirment
les règles de base, les procédures.
Les choses se présentent plutôt bien
pour l’autorité : le mouvement est
en route. Et il était urgent qu’il le
soit. Cela prendra encore quelques
années, mais au niveau des institutions scolaires et même des parents
tout le monde est acquis à l’idée que
pendant plusieurs décennies il y a
eu une défaillance et que l’on va se
casser la gueule si on ne restaure
pas l’autorité.
Mais comment faire ?
La situation est moins dégradée aujourd’hui qu’il y a six ou sept ans,
notamment au niveau des grandes
villes. En cas de problème grave, il
est parfois plus facile de repartir de
rien. D’où la nécessité de frapper
fort, plutôt que de procéder à des
aménagements de façade. De changer le nom de l’école, sa direction,
éventuellement son équipe. L’objectif doit être de restaurer la communication et le rapport à la loi et à
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Suite en page 54
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l’autorité, de redonner du sens, de reconstituer de véritables équipes –
pas des individus atomisés – et de
restaurer une direction forte.
Mais on n’en arrive pas systématiquement à de telles extrémités.
Comment restaurer le rapport à la
loi ?
Attention : une stratégie qui marche admirablement bien dans une
école peut rater dans une école voisine… Quoi qu’il en soit, pour restaurer l’autorité, il faut être prêt à donner des explications. Et pour pouvoir les donner, il faut d’abord être
au clair soi-même avec ses propres
règles.
Cela suppose qu’on redéfinisse la
mission de l’école…
Et pour moi, on est mal parti ! Avec
l’intention louable d’associer les parents à l’école et les demandes auxquelles celle-ci est confrontée, la confusion règne. Comment peut-on
imaginer une école “requalifiée” si
les enseignants se demandent à tout
moment qui ils sont, ce qu’ils sont
censés faire, où ils vont apprendre
ce qu’ils n’ont pas appris ? Si les professeurs ne se sentent respectés ni
par les parents, ni par les enfants ni
par la société, alors qu’on leur demande de respecter l’enfant ? Comment peut-on respecter l’enfant si
on ne sent pas respecté soi-même ?
L’enseignant ne peut se sentir respecté que dans une école que l’on a
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54*
Jeudi 1er juin 2006
Chapitre 3
Parents-profs
du monde ne repose pas sur ses
épaules. La manière dont la famille
se comporte, ce n’est pas l’affaire de
l’enseignant ; inversement, la famille n’a pas à venir se mêler de la
manière dont l’enseignant mène sa
classe et enseigne les valeurs de notre société. Chacun chez lui.
Je rappelle qu’il existe un engagement écrit, et pas seulement un engagement moral. Lorsqu’une famille inscrit son enfant dans une
école publique, elle signe cette charte. Cette signature l’engage et peut
lui être opposée en cas de conflit.
Suite de la page 53
recadrée dans ses attributions fondamentales.
Mais les demandes émanant de
l’extérieur existent bel et bien. Les
enfants « à problème » ne manquent pas. Comment l’école peutelle faire face ?
Le doit-elle ? On ne lui a pas donné
le choix jusqu’à présent, mais il
faut remarquer qu’au niveau politique il y a désormais une prise de
conscience. On se rend compte que
si parallèlement à l’évolution scolaire on ne fait pas un travail sur les
familles – par exemple sous la forme d’une guidance familiale – on
ne s’en sortira pas.
Les familles doivent aussi être requalifiées en tant que première institution de socialisation et d’humanisation. Cela ne sert à rien de travailler en aval au niveau de l’école
si l’on ne travaille pas en amont.
Comment ?
Encore une fois à tous les niveaux
en même temps, le pouvoir politique doit agir en prenant des mesures législatives, réglementaires, contraignantes s’il le faut. Mais en même temps, il y a un travail d’éducation à faire. De la formation, de la
communication. Par les médias notamment.
La tendance est-elle à une certaine
« restauration » ?
A mon avis on est au point d’exacerbation du mouvement d’individualisme. On ne pourra pas aller plus
loin. Il faut réintroduire un équili-
MICHEL DE MUELENAERE
Traube : « Les familles doivent aussi être requalifiées en tant que première institution de socialisation et d’humanisation ». PHOTO D.R.
bre entre l’individu et le monde commun. Les mettre non pas en opposition mais en dialectique – c’est-à-dire maintenir ces deux polarités
dans leur antagonisme – sans chercher à tout prix une synthèse.
L’école devra néanmoins faire face
à des demandes éducatives. Jusqu’à quel point doit-elle y répondre ?
La partie éducative que l’école peut
remplir, c’est à travers la transmission de la culture. Point final. Cet
héritage comporte le savoir mais
aussi quelques valeurs fondamentales.
A savoir…
Tout ce qui fait que nous sommes
des Européens ; les héritages gréco-
romain, judéo-chrétien, celui des lumières. Les droits de l’homme, l’égalité entre homme et femme, la liberté d’expression avec la responsabilité. La contestation des savoirs fait
aussi partie de notre héritage culturel…
N’oublions pas que l’école a une mission prioritaire de consensus social.
Sa mission est de promouvoir les valeurs de la société démocratique
européenne. Le modèle scolaire est
LE modèle. Cela ne signifie pas que
le modèle familial – lorsqu’il est antagoniste – est mauvais. Mais l’école a ses propres valeurs et les défend
sur son territoire. Point barre.
L’enseignant n’est pas responsable
de la misère du monde et l’avenir
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F A C U LT É P O LY T E C H N I Q U E D E M O N S
Année académique 2006-2007
INSCRIPTION A L’EXAMEN D’ADMISSION
Session de juillet : avant le 27 juin 2006 • Session de septembre : avant le 28 août 2006
JOURNEES DE PRESENTATION DE L’EXAMEN D’ADMISSION AUX ELEVES DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
Du 21 au 25 août 2006, de 9 à 16 h • Programme sur www.fpms.ac.be (rubrique «Etudes»)
INGÉNIEUR CIVIL EN
I Architecture
I Chimie et Science des matériaux
I Electricité
I Informatique et gestion
I Mécanique
I Mines et Géologie
DE MON TEMPS...
Jean-Claude Van Damme
36 ans, acteur
« Ma sœur et moi avons reçu
une éducation stricte. Mais
nous en sommes heureux et
fiers. Très tôt, nos parents
nous ont fait prendre conscience que dans la vie, il n’y a que
le labeur qui paie. Mes parents
étaient fleuristes et avaient
des horaires difficiles. Nous
n’avons jamais manqué de
rien. Mais ils m’ont toujours inculqué la valeur de l’argent et
la sueur qu’il fallait produire
pour en gagner. Nous devions
faire preuve de beaucoup de
respect pour tout le monde. Dire merci ou s’il vous plaît chaque fois qu’une situation l’imposait. Cela a tendance à disparaître. Dans le bus, je me levais pour laisser la place à une
dame âgée. L’autorité, c’est apprendre à ses enfants ce qui
est bon ou mauvais dans la
vie, ce qu’ils peuvent faire et
ne pas faire, les guider, durement s’il le faut, mais toujours
pour leur bien. Avec amour. »
(Ma.M., st)
La 1ère année du grade de bachelier est aussi organisée à Charleroi. Formation identique à celle de Mons.
Secrétariat des Etudes - 9, rue de Houdain - 7000 MONS
Tél.: 065/37 40 30 à 32 | Fax: 065/37 40 34 | [email protected] | http://www.fpms.ac.be
La Polytech est membre de l'Académie Universitaire Wallonie-Bruxelles
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Haute École Libre de Bruxelles - Ilya Prigogine
Technique
Social
Economique
Paramédical
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Cinématographie
Ecologie sociale
Electronique
Ergothérapie
Informatique de gestion
Prigogine,
c’est :
Kinésithérapie
Photographie
Podologie-Podothérapie
Soins infirmiers et spécialisations (SIAMU,
pédiatrie, santé communautaire)
Campus Erasme
(dès septembre 2007)
Département paramédical
Section accoucheuses et soins infirmiers / EIULB
Route de Lennik 808 à 1070 Bruxelles
Tél. + 32 2 555 35 47 – Fax + 32 2 555 47 66
[email protected]
Département économique
Section ergothérapie, kinésithérapie,
podologie-podothérapie / ILB – ISCAM
Sections informatique de gestion et
relations publiques / ILB – INRACI
Rue du Trône 218 à 1050 Bruxelles
Tél. + 32 2 349 14 47 – Fax + 32 2 646 53 58
[email protected]
Av. Victor Rousseau 75, 1190 Bxl
Tél. +32 2 340 10 18 - Fax +32 2 340 10 15
[email protected]
Département social
Département technique
Sections assistant(e) social(e) et
écologie sociale / EOS
Sections cinématographie, photographie et
électronique appliquée / INRACI
Rue Brogniez 44, 1070 Bxl
Tél. +32 2 523 80 40 – Fax + 32 2 521 73 68
[email protected]
Av. Victor Rousseau 75, 1190 Bxl
Tél. +32 2 340 10 18 - Fax +32 2 340 10 15
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www.helb-prigogine.be
1NL
Campus Duden