Profs, parents, enfants: qui est le chef
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Profs, parents, enfants: qui est le chef
Jeudi 1er juin 2006 Supplément du journal « Le Soir » Profs, parents, enfants: qui est le chef ? DESSIN DE KROLL. L’autorité a fichu le camp. A la maison, parents et enfants se heurtent. A l’école, l’élève a dévissé le maître de son pié- sommaire destal. Et entre profs et parents, le courant ne passe plus. Le modè- Des parents déboussolés pour des enfants terribles. P. 6 à 19 Le prof n’est plus le maître : avec l’élève, il faut négocier. P.20 à 39 Parents et profs s’associent pour le meilleur et pour le pire. P.40 à 56 le disciplinaire traditionnel a vécu. Le Soir analyse. Et aligne les bons trucs pour créer un climat serein dans le triangle éducatif. 1NL 2* Jeudi 1er juin 2006 Enfants, parents, professeurs : le triangle éducatif souffre L’autorité ne va plus de soi. A la maison, l’adulte ne fait plus la loi. A l’école, le prof n’est plus forcément le maître. Désormais, entre l’enfant et l’aîné, on négocie. Ou on s’affronte. E fants-parents-profs. C’est, au fond, l’histoire d’un triangle dont les trois côtés ne tournent plus très… rond. A la maison, enfant et adulte se heurtent. A l’école, l’élève a fait valser le maître de son piédestal. Et entre profs et parents – la troisième branche de notre propos… isocèle –, on s’échange des regards bas. A l’occasion, on se rudoie – signe des temps : à l’initiative des députés Daniel Bacquelaine (MR) et Olivier Maingain (FDF), une loi va bientôt corser les peines quand la victime d’une agres- sion physique est un professeur… Crise ? Sans se laisser aveugler par les situations extrêmes, par ces « faits divers » qui nous secouent tant, Le Soir, paisiblement, a voulu analyser chacune des trois relations du triangle. Pour comprendre pourquoi, à la maison, le « père » n’est plus forcément le chef. Pour comprendre pourquoi le prof n’est plus naturellement le maître. Pour comprendre pourquoi parents et profs ne parlent plus forcément d’une voix solidaire. Etablissons d’emblée qu’il y a des foyers paisibles. Des classes heureuses. Et des enseignants épaulés par les parents. Et admettons aussi qu’il y a globalement « de la crise » à chacun de ces trois niveaux. Ha… De mon temps ! De notre temps ! De cette page à la dernière de ce supplément, nous avons laissé parler des adultes (des jeunes et des moins jeunes) pour établir que, oui, de leur temps, parents et profs bénéficiaient d’une autorité naturelle, de fait. Il y avait, entre l’aîné et le cadet, une relation en surplomb. La règle n’était pas discutée. C’est ce rapport de soumission qui a volé en éclats. Aujourd’hui, l’autorité « ne va plus de soi ». A la maison, il faut négocier. A l’école, le rapport de for8281120 1NL ce traditionnel ne fonctionne plus – ou mal. Les professeurs trinquent, tous, même si c’est à degrés divers. « Même en maternelle, l’enseignant commence à être victime de comportements agressifs », nous souffle ce professeur d’école normale. Comme le dit Christian Maroy, professeur à l’UCL, les pouvoirs autoritaires traditionnels que sont parents et professeurs ont été bousculés par un phénomène de démocratisation : désormais, tout individu entend contribuer à l’élaboration de la norme et le « jeu démocratique » (l’élaboration collective de la règle) s’est infiltré à l’école et au sein du clan familial. La règle ne peut plus tomber du ciel – du père ou du prof. Il faut désormais créer l’adhésion à la règle. Elle doit être bâtie collectivement sous peine d’être rejetée – en douce ou avec violence, selon les cas et les endroits. Crise ? Beaucoup de parents sont désarçonnés. Des profs craquent. Crise ? Au fait, il y aurait crise quand l’adulte, agissant en défensive, cherche à tout prix à imposer son « modèle disciplinaire » de référence – celui qu’il a vécu, ou subi. Pour la plupart des témoins rencontrés ici, ce modèle est mort. Et un autre est possible (et souhaitable) : celui où la règle est légitimée par l’implication du groupe, de la classe, des élèves de l’école, dans le respect de chacun. En tout état de cause, le schéma d’antan a vécu. Comme on dit : il « faut faire avec ». Mais ça s’apprend. Et c’est, au fond, le but de ce supplément : la chasse aux « bonnes recettes » pour établir un climat sain, et serein, à la maison et à l’école. Bonne lecture ! PIERRE BOUILLON DE MON TEMPS... Joëlle Milquet, 45 ans Présidente du CDH « L’autorité parentale ne doit jamais être aveugle et non fondée. Cette capacité de s’imposer est légitime et nécessaire si elle se base sur des valeurs à transmettre et du sens à donner aux choses : sens de l’interdit, de l’effort ou de la maîtrise de soi. Personnellement, j’ai perdu mon père jeune. La relation avec ma mère était en grande partie de la complicité. Ni trop autoritaire ni trop laxiste. C’était un bon compromis. À l’école, le respect naturel envers les professeurs faisait que l’autorité n’était pas nécessaire. » A.G. (st.) 3* Jeudi 1er juin 2006 « Toute autorité doit s’expliquer, mais elle ne doit pas se justifier » P Avant, c’était simple, l’autorité était identifiée et incontestable. Aujourd’hui, tout est troublé. Lumière avec Patrick Traube. atrick Traube est psychothérapeute et formateur. Régulièrement, dans son cabinet montois, ou dans des écoles, il est confronté à la question de l’autorité, à ceux qui doivent l’exercer et à ceux qui y sont confrontés. Famille, société, école, ces milieux ne sont pas hermétiques. Des questions qui se posent aux uns se posent aux autres. Et la manière dont on y répond dans un milieu influence parfois fortement ce qui se passe ailleurs. Intervenant à différents niveaux, Patrick Traube a accepté d’éclairer le cheminement de ce supplément. Parents, éducateurs, enseignants, tous se posent la question : comment exercer l’autorité ? Mais aus- si, y a-t-il une bonne manière d’exercer cette autorité ? Dans le contexte éducatif, l'autorité inclut à la fois une notion de pouvoir et une notion de puissance. Le pouvoir c'est quelque chose que l'on a, la puissance, c'est quelque chose que l'on est. La mauvaise autorité, l'autorité boiteuse, c’est celle qui ne joue que sur une des deux jambes, celle du pouvoir brut. Pour moi, l'autorité idéale, c'est celle qui associe le pouvoir et la puissance. Ce qui donne autorité aux parents sur les enfants, c’est le statut que la société leur confère. Il y a unanimité sur le fait que les enfants doivent être élevé. Mais là où ça coince, c'est lorsque le parent, le chef d'établissement, le maître, appuie son autorité sur son seul pouvoir. Un pouvoir qui n'aurait de justification que statutaire – une place, une fonction, un statut, éventuellement financier – mais qui n'est pas fondé sur une puissance intérieure. Or, il se fait que les enfants, les pré-adolescents et les adolescents, sont extrêmement sensibles à la nuance. C'est d’ailleurs plus qu'une nuance pour eux. Autant ils peuvent respecter une autorité lorsqu'ils sentent qu'il y a derrière une véritable puissance, autant ils n'ont que mépris pour une autorité qui se fonderait uniquement sur un statut. Comment peut-on aller au-delà du pouvoir ? La puissance, c'est la capacité de répondre. L'enfant, tant qu'il est enfant ne pose pas trop la question de l'autorité. C'est à la pré-adolescence et à l'adolescence que l'enfant va Suite en page 4 8431560 ) * ! '''" "( #$%&'% #(($ ) &$* &( &$ + #$%)&( )&' , !)&( )&' " ! " #$%&% '''" "( 1NL 4* Jeudi 1er juin 2006 Suite de la page 3 rencontrer le détenteur légitime de l'autorité et lui poser la question – d'une manière ou d'une autre, avec ses moyens d'expression à lui : “D'où tires-tu ton autorité, qu'est-ce qui légitimise ton pouvoir ?” C'est à ce moment-là qu'on peut percevoir les différentes nuances de puissance de l'adulte. Celui qui a cette puissance va pouvoir apporter une réponse : “Je ne tire pas ma puissance de moi-même, je la tiens de quelque part, elle se justifie”... Ainsi, il faut pouvoir justifier, expliquer de manière cohérente l'exercice d'une autorité... Au premier abord oui. Mais ensuite, il faut distinguer. Pour moi, l'autorité n'a pas à se “justifier”, mais elle doit pouvoir “s'expliquer”. Aujourd'hui, lorsque l'enfant pose la question, lui répondre “parce que”, ce n'est plus acceptable. Mais se justifier, c'est se placer en position d'infériorité. C'est un peu comme si je devais m'excuser auprès de l'enfant de lui imposer certaines choses, ou de lui interdire certaines choses. L'explication, c'est une transaction horizontale d’adulte à adulte en réponse à une question. L'adulte du parent s'adresse à l'adulte de l'enfant. Qu’elle soit politique, religieuse, patronale, scolaire ou parentale, avez-vous le sentiment que toute autorité est contestée de nous jours ? Plutôt que contestée, je dirais contestable. C'est ça qui a changé. Avant, le pouvoir n'était pas contestable. Aujourd'hui, l'autorité doit se réaffirmer – on n'y échappera pas. Dans les dix ou vingt années qui viennent, on ne pourra pas faire l'économie de cela. Les autorités devront se réaffirmer. Depuis le début du siècle environ, il y a déjà une tendance dans ce sens. Ainsi, la question ne se pose plus aujourd’hui de savoir si l'éducation implique une certaine autorité. Tout le monde est d'accord. En revanche, les gens sont paumés, parce qu'ils ont perdu le mode d'emploi. Ils veulent trouver la nouvelle donne tout en sachant qu'on ne pourra plus faire comme nos 8407340 grands-parents. La raison en est que d'une part, il faut que l'autorité se réaffirme mais qu'en même temps elle trouve une autre manière de s'affirmer. C'est le défi pour demain. Un défi majeur et inédit. S’agit-il d’une évolution positive, selon vous ? Ça me paraît en effet une bonne chose parce que cela s'inscrit comme un progrès dans l'évolution de la civilisation occidentale. Cela dit, nous savons que tout progrès se paie cash et que toute avancée se solde par une perte. Derrière cette bonne chose, il y a un prix à payer en termes d'inconfort, de difficulté, de complexité. C'est évidemment bien plus confortable d'avoir une personne qui décide pour tout le monde. Mais c'est fini cela ! J’y vois l'aboutissement de l'évolution historique de l'individualisme. Nous allons vers une société de l'individu maître et possesseur de sa propre loi, du sujet autonome, mais le problème, c'est comment encore “faire société” ; comment vivre ensemble dans une société d'individus autonomes. Remarquez les slogans des marches qui ont eu lieu récemment après les meurtres de la gare centrale et d’Anvers : les gens demandent que l’on retrouve une nouvelle manière de vivre ensemble. MICHEL DE MUELENAERE 1NL DE MON TEMPS... Philippe Geluck 52 ans, dessinateur « Avec mes parents, l’autorité était naturelle et intelligente. Nous n’avons jamais eu de conflit car le dialogue permet de comprendre le pourquoi de l’autorité. Par contre, j’ai souffert d’une autorité imbécile à l’athénée Adolphe Max à Bruxelles. J’ai douloureusement vécu cette expérience, notamment la cravate obligatoire, l’obligation de dégager la nuque et le tour d’oreilles ou encore les colères du préfet des études pour un oui ou pour un non. Suite à cette période un peu noire de ma vie, j’ai refusé de faire le service militaire. » A.G. (st.) 8491690 1NL 6* Chapitre 1 Jeudi 1er juin 2006 Parents-enfants Des parents déboussolés pour des enfants terribles Entre autoritarisme assumé, permissivité attendrie et savant dosage éducatif, les parents ne savent plus toujours à quelle sauce éduquer leurs enfants. Petit tour d’horizon. N otre époque célèbre les droits de l’enfant, cette charte définissant les attentes idéales pour chacun. Mais les spécialistes de l’éducation notent que dans cette charte fondamentale devrait aussi figurer le droit de tout enfant à une autorité bienveillante, adaptée à son âge, à sa personnalité, qui l’aidera à construire son identité et à conquérir sa liberté. Le débat sur l’autorité nourrit tant de colloques, de débats, de livres ou d’émissions sur la notion d’échec parental que certains, faute de mieux, seraient tentés d’en appeler à un retour de l’autorité musclée et incontestée des parents qui détiendraient ainsi un pouvoir quasi absolu sur le destin de leur enfant. Comme si la simplicité du propos (« On n’a rien inventé de mieux que l’ordre, la discipline et une bonne gifle ») allait raboter les méandres de l’âme enfantine en les ignorant superbement... « Contrairement à autrefois, il n’y a plus une seule référence collective mais une multiplication de modèles parentaux », analyse le psychologue Bernard Demuysère, directeur de l’Ecole des parents et des éducateurs (1). « Comme ce modèle collectif a disparu, chaque parent se voit contraint de construire le sien. Chaque individu est aussi mis en demeure de recréer ses propres repères. Or ce qui permet de définir ces repères, c’est la vie en commun et la rencontre avec d’autres parents au moment où l’on privilégie l’individualisme. On peut alors réfléchir en1NL semble sur tel problème, imaginer telle solution, partager telle expérience. Il faut créer ces lieux de discussion informels qui permettent de construire ces liens entre les parents. Il en existe mais il conviendrait de les multiplier. » De nos jours, les spécialistes de l’éducation distinguent traditionnellement trois styles éducatifs, à savoir les modèles « autoritariste », « permissif » ou « éducatif ». Examinons chacun d’entre eux, en forçant quelque peu le trait, non sans nous souvenir que chacun de ces chemins a été le plus souvent emprunté de bonne foi par les parents concernés. Le modèle autoritariste Il s’agit du fameux « modèle de référence » qu’ont encore connu la plupart de nos grands-parents. En gros, le chef de famille sait tout et décide de tout. Il définit les règles éducatives, souvent strictes, juge les incartades et organise les punitions, quitte à recourir aux brima- des, voire aux châtiments corporels. Dans un tel contexte d’exigence aveugle et permanente, l’enfant se sent peu écouté et souffre d’un manque total de liberté dans ses choix. Face aux interdits incessants, il développe un sentiment de culpabilité qui peut se transformer en attitudes de soumission ou de révolte. De plus, ce fatras de règles imposées l’empêche de construire son propre code intérieur, la voie royale vers son statut d’adulte. Le modèle permissif Il se situe aux antipodes du précédent. Cette fois, l’enfant décide de tout sous l’œil humide de ses parents qui le placent au centre de leur monde. L’enfant ne désire pas tel jouet, il l’exige ! Car tout lui est dû et les adultes sont à son entière disposition. Dans ce style éducatif, la toute-puisssance de l’enfant n’est jamais remise en question et rien ne lui est imposé. Le déficit habituel de ce modèle d’éducation réside dans l’émergence d’enfants appa- DE MON TEMPS... Toots Thielemans, 84 ans, jazzman « J’ai eu une enfance chétive et j’ai été gâté par ma famille. J’ai fait des humanités scientifiques (maths-langues) honorables. Ces bons résultats font que je n’ai jamais ressenti de pression autoritaire. Pourtant l’autorité à l’école était plus importante à l’époque. La musique a heureusement pris possession de ma vie et ce sera ainsi jusqu’à mon dernier souffle. » (C.E., st.) 7* Jeudi 1er juin 2006 remment épanouis, mais intérieurement anxieux. Comme il ne sent pas l’adulte assumer un rôle protecteur à son égard (« Oui, tu peux manger une troisième glace »), comme il n’y a plus de garde-fou (« Oui, tu peux regarder la télé jusqu’à 23 heures »), il n’est jamais sécurisé. Plus tard, il éprouvera beaucoup de peine à prendre ses responsabilités puisqu’il n’a jamais été confronté aux conséquences de ses actes. Le modèle éducatif Dans ce troisième scénario non écrit de modèle parental, on parle aussi d’autorité construite ou éclairée. Les parents tentent ici d’éduquer leur enfant comme une personne de son âge à qui on peut expliquer le pourquoi des interdits. Tout en restant à l’écoute des désirs et des besoins de leur enfant, les parents définissent un ensemble de normes familiales claires et connues de tous. Et au besoin, ils n’oublient pas de faire preuve d’autorité, conscients du fait qu’un enfant ne se conduit pas souvent de manière raisonnable (« Non, tu ne mets pas tes doigts dans la prise de courant ! »). Il s’agit alors d’adopter une attitude parentale résolue mais toujours à l’écoute de son enfant. La difficulté principale de cette voie éducative, privilégiée par les spécialistes, réside dans la difficulté à la faire appliquer dans un environnement qui ne cesse de combattre ou de diluer l’autorité parentale. À commencer par le manque de temps que les parents ont à consacrer à leur enfant. L’autorité éducative nécessite en effet que les parents passent énormément de Tout enfant a droit à une autorité bienveillante. PHOTO PHOTONEWS. temps avec lui, ce qui devient hautement problématique dans des familles plus fragiles, monoparentales (« Je cours du matin au soir pour tenter d’en sortir, je ne vais pas en plus discuter deux heures avec lui pour qu’il m’aide à débarrasser la table ») ou recomposées (« Je ne vais pas me disputer avec ma fille alors que je ne la vois qu’un week-end sur deux »). Comme il leur faudra aussi beaucoup d’énergie et de patience pour construire ce modèle éducatif exigeant qui nécessite une excellente connaissance de son enfant, un lien affectif inconditionnel, une écoute permanente et une exigence nécessaire allant jusqu’au pouvoir de dire non. Pour aider les parents à réussir ce pari difficile, Bernard Demuysère plaide en faveur d’un meilleur soutien à la parentalité : « Il faut que des professionnels puissent venir en aide aux parents en difficulté et les aident à maintenir le cap de l’autorité éducative. Depuis les rencontres informelles entre parents aux séances de psychothérapie, en passant par des actions soutenues par les CPAS, il existe déjà une panoplie de possibilités pour se faire aider. Encore faut-il que les parents n’attendent pas toujours le pire pour appeler à l’aide. » Histoire de refermer ce chapitre 8281030 Institut des Arts de Diffusion Ecole supérieure des Arts Réalisation Cinéma Réalisation Radio - Télévision Réalisation Multimédia Interprétation dramatique & Mise en scène . . . . . . . . MARC VANESSE (1) Créée en 1949, l’Ecole des parents et des éducateurs (EPE) a pour vocation de soutenir la confiance de ceux-ci dans leurs compétences éducatives. L’EPE propose des formations, animations et activités de soutien comme Télé-Parents, un service d’écoute par téléphone. Infos : 02-733.95.50. (2) Voir l’excellent livre « Questions d’autorité » paru sous la direction de Patrice Huerre et Danièle Guilbert, collection Enfances et Psy, éditions Erès (214 pages - 13 euros). 8444530 Baccalauréat en 3 ans l' IAD forme aux métiers Image Son du cinéma, Montage & Scripte de la télévision, Multimédia & Infographie de la radio, du multimédia Agrégation ( AESS ) et du théâtre Pour l'enseignement secondaire . Master en 4 ou 5 ans par une note plus souriante, voici la vision éclairée d’un grand spécialiste grec de l’éducation (2) : « Je n’ai plus d’espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible... Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut être loin. » Une prophétie lancée par le grand Hésiode, huit siècles avant notre ère... Rue des Wallons 77 1348 Louvain-la-Neuve Tél.: +32 10 47 80 20 iad @ iad-arts.be www.iad-arts.be !! " #! $ %&'()* +++ , 1NL 8* Chapitre 1 Jeudi 1er juin 2006 Parents-enfants « Non, les jeunes n’ont pas perdu le sens des valeurs » Après l’autoritarisme et un retour de balancier, les enfants font face à la complexité du monde. Traube balise le rôle de la famille. P arents démissionnaires, enfants sans repères. L’équation est connue depuis quelques années. De partout, on demande aux familles de « reprendre en main » l’éducation, de refixer des normes, d’établir des repères, de prendre des sanctions. Mais entre le vouloir et le pouvoir, les choses ne sont pas si simples. Le psychothérapeute et formateur Patrick Traube poursuit son analyse avec nous. Est-il plus difficile aujourd’hui pour les parents et les éducateurs d’exercer une autorité ? Et comment ! C’est en cela que nous vivons aujourd’hui une mutation en profondeur. Le problème ne s’est jamais posé vraiment comme il se pose aujourd’hui. Prenez la génération de nos parents et grands-parents : la question de l’autorité ne posait pas problème. Parce que l’autorité se justifiait d’elle-même, elle était légitimée d’elle-même. L’éducation des enfants travaillait dans ce sens-là. L’enfant devait obéir à son père parce que ce dernier était le père. Et que le père détient l’autorité. “Plus tard, disait-on au jeune, tu devras obéir à ton patron comme tu obéis à ton père et comme tu obéis à dieu”. Le père dans la tra1NL dition c’est le représentant de dieu à l’intérieur de la famille, c’est le représentant du chef de l’Etat à l’intérieur du mini-Etat qu’est la famille. Les enfants étaient conditionnés dès le départ ; à l’école, on ne discutait pas quand le maître disait quelque chose. A partir des années soixante, le sablier s’est renversé. On est entré de plain-pied dans l’idéologie de l’enfant-roi allant de pair avec l’idéologie du tout à l’individu. La vision de l’enfance a changé. Schématisons : avant soixante, l’éducation traditionnelle considère l’enfant comme une pâte à modeler. Rappelons-nous des expressions, éduquer c’était apprendre aux enfants à “marcher droit”, c’était les mettre “sur le bon chemin”, c’était “forger leur caractère”. Des termes très révélateurs… Pour réaliser tout cela, l’ingrédient essentiel c’était l’autorité. Cela ne voulait pas dire qu’on n’aimait pas les enfants, mais il ne fallait pas trop leur montrer. Les parents n’étaient pas très démonstratifs. Passé le cap des années soixante, on estime que pour s’épanouir les enfants ont besoin d’amour et de manifestations extérieures d’amour. L’enfant est une sorte de potentialité sui generis dont il faut favoriser l’éclosion spontanée. Tout interdit risque de briser, d’enfermer, même de traumatiser. C’est à ce momentlà qu’on a mis l’autorité au rencart, qu’on a commencé à copiner avec ses enfants, à instaurer une relation de séduction et qu’on a quitté le registre de l’éducation. Ça fait un moment qu’on en est revenu, semble-t-il. Depuis quelques années, en effet, on est en train d’en sortir. Mais ce n’est qu’après avoir constaté les dégâts. C’est une constante des civilisations occidentales et particulièrement européennes : on pousse le mouvement de balancier jusqu’à un extrême. Mais le balancier va si loin et crée des dérives telles qu’à un certains moment on est confronté à des effets contraires considérables. Quels furent les effets contraires de ces deux types d’éducation contraires ? D’abord, on a expérimenté l’autorité jusqu’à l’autoritarisme. L’autorité était inhibitrice, castratrice. Cela a donné une génération d’individus soumis. A tel point qu’ils étaient prêts à suivre n’importe quel appel pour autant qu’il émane d’un chef ou de quelqu’un qui se déclare détenteur de l’autorité. On connaît les dérives de l’éducation autoritaire… Puis, on a expérimenté l’éducation permissive pendant au moins une génération pour s’apercevoir que ce n’était pas nécessairement mieux. DE MON TEMPS... Karin Gérard Magistrate « Mes parents étaient très stricts mais il y avait toujours de la place pour le dialogue. À l’école, j’ai eu des professeurs qui m’ont passionnée, euxmêmes étaient passionnés parce qu’ils nous enseignaient. Nous n’étions que 18 élèves par classe alors qu’aujourd’hui les classes sont de plus en plus nombreuses. C’est très difficile à gérer pour les professeurs. Il faut valoriser la fonction d’enseignant afin d’éviter toute démotivation de leur part. De mon temps, on nous enseignait l’éducation civique, ce qui, je crois, est une matière fondamentale ». (Ma.M., st) 9* Jeudi 1er juin 2006 On s’est rendu compte que l’éducation permissive, centrée sur la circulation de l’amour en l’absence de toute autorité, livrait l’enfant à une tyrannie au moins aussi puissante, voire pire : la tyrannie de ses désirs, de son fond pulsionnel. Cela a donc créé ce qu’on a appelé des enfants-tyrans ? C’est le règne du “tout pour moi tout de suite”. Ce tout à l’individu est la pointe extrême d’une évolution individualiste encouragée par les nouvelles technologies et leur tendance à l’immédiateté. Pas mal de faits tragiques s’expliquent par cela. Des enfants devenus adolescents et dépourvus de cadre sont soudainement confrontés au choc de la réalité. Ils se rendent compte qu’on les a trompés : on leur a fait croire qu’ils étaient des rois, et ils constatent que le roi est nu. Que le monde n’a pas besoin d’eux, qu’il n’y a pas de place pour eux, que parfois ils ne sont rien. C’est un choc frontal extrêmement dur surtout pour des personnalités immatures, en formation, et pas suffisamment étayées par un cadre structurant assez puissant. Cela peut expliquer certains faits éruptifs, comme le meurtre de Joe Van Holsbeeck à la gare centrale. Pourquoi ne peut-on pas opérer un retour aux « bonnes vieilles méthodes » ? Ce n’est pas possible malheureusement. Le retour de balancier s’effectue, mais dans une nouvelle horloge. Patrick Traube : « Depuis les années 60, l’enfant est une potentialité “sui generis” dont il faut favoriser l’éclosion spontanée. » PHOTO DUCHESNES. Eduquer est donc devenu plus difficile, moins rassurant. Comment garder le cadrage qui rassure, tout en éduquant au dialogue, au changement ? C’est un véritable casse-tête ! N’oublions pas qu’on ne pourra jamais concilier un optimum de liberté et un optimum de sécurité. Ce qu’on gagne en liberté, on le perd toujours en confort et en sécurité. On ne peut pas revendiquer le beurre et l’argent du beurre. On sait que l’extrême dérive de la sécurité peut être liberticide. Mais liberté et sécurité sont deux rives d’un même fleuve : si on s’approche d’une rive, on s’éloigne de l’autre. D’un autre côté, il faudra éduquer les enfants dans la perspective d’un monde de plus en plus complexe. Il faut périmer les anciennes antinomies, comme l’opposition progrès/tradition, l’opposition barbarie/civilisation, culturalisme/universalisme… Sur les plans affectifs et des valeurs, le climat est également chahuté. A quelle main courante les enfants peuvent-ils se raccrocher ? Voilà le plus difficile. Au niveau de la vie affective, les choses sont encore relativement simples. Car contrairement à ce que l’on entend dans les conversations de café du commerce, dire que la jeunesse a perdu le sens des valeurs, est tout à fait faux. Ils n’ont pas “perdu les valeurs”, en revanche, leurs valeurs ne sont plus tout à fait les mêmes que celles de leurs parents. Et ça, c’est rassurant ! Les valeurs comme l’amour, l’amitié la famille ne sont pas du tout en perte de vitesse, au contraire, elles n’ont jamais été autant affirmées qu’aujourd’hui. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps l’amour n’était pas le centre de gravité dans la formation d’un couple. L’attention que l’on apporte aux enfants, c’est tout à fait moderne aussi. La voilà, la main courante. En dessous des soubresauts ou des vaguelettes de surface, il y a des socles souterrains qui, eux, restent constants voire se réaffirment. Cela autorise un certain optimisme. L’investissement affectif de la sphère privée (foyer, couple, enfant…) va s’accentuer à mesure que la sphère publique va devenir de plus en plus complexe. Avec le risque d’accentuer le mouvement, déjà en cours, de désinvestissement de la sphère publique, du politique au sens noble du terme… C’est là qu’au niveau des valeurs je me dis que l’on ne pourra pas faire l’économie d’un réinvestissement du débat public. Si l’on veut retrouver une vie commune, un monde commun, on ne peut pas vivre dans un monde de tout à l’individu. MICHEL DE MUELENARE 8281090 ) * # # # " $%$&' $ ( ! " !""!"#! $%&'() *'+' ,'" - . /&('/) 1NL 10* Chapitre 1 Jeudi 1er juin 2006 Parents-enfants Du temps de l’innocence au tempérament de l’adolescence Ado, l’enfant en vient aux prises avec lui-même. Il veut être compris sans exprimer ce qu’il vit. Conflits en perspective. A affronter avec philosophie et quelques balises. DE MON TEMPS... Didier Reynders, 47 ans, ministre et président du MR E ntre discussions vives et portes claquées, le fracas des décibels apprend vite aux parents à faire leur deuil du temps béni de l’innocence, pour entrer dans l’ère du paradoxe adolescent : « Tout se passe comme si l’intensité de leur besoin d’être proches avec l’un ou l’autre des parents était inversement proportionnelle avec leur désir de s’éloigner de ces mêmes parents, comme pour mettre à l’épreuve le lien », constate le psychosociologue et écrivain Jacques Salomé (1). On se trouve face à un ado qui souhaite être compris sans avoir besoin d’exprimer ce qu’il vit. Et toute initiative des parents destinée à susciter la discussion vire à l’intrusion intempestive (« Tu ne peux pas comprendre ! »), voire à l’effraction caractérisée (« Sors de ma chambre ! »), avec son lot de réactions incontrôlées (« Vous êtes tous des cons, je vais me casser ! »). Des sautes d’humeur imprévisibles qui ne doivent pas trop perturber les parents. Ce n’est pas tant leur autorité qui est ainsi remise en cause mais leur enfant qui en vient aux prises avec lui-même… Comme ces conflits sont inévitables, voire souhaitables (votre bébé d’hier apprend à marcher dans « sa » vie), autant les affronter avec philosophie. Non sans rappeler quelques principes essentiels pour conserver cette autorité bienveillante, indispensable à l’harmonie familiale. Les règles familiales Elles sont connues depuis l’enfance et ont forcément évolué avec l’âge. Ce qui était interdit à cinq ans (« Tu ne roules pas en vélo sur la route ! ») est désormais admis à huit (« Tu peux rouler sur la route en restant derrière moi. »). À l’adolescence, l’affaire se complique. Il est alors question d’heures de sortie, de fréquentations, de comportements. Et ce que l’ado demande, d’autres l’accentuent également, puisque tous ses copains renforcent son désir de reculer les barrières (« Quoi ? Tu dois encore rentrer à minuit chez tes vieux ? »). Depuis son plus jeune âge, l’ado sait que ses désirs ne sont pas toujours réalisables. Il importe donc de prolonger ces limites, évidemment adaptées à 8407300 1NL « Mes parents, issus des classes moyennes, ont toujours travaillé durement pour faire en sorte que leurs enfants aient des débouchés plus importants que les leurs. Le respect envers eux s’est donc installé tout naturellement. Même si la hiérarchie parentale dominait, j’ai aussi fortement ressenti l’autorité à travers mes professeurs, notamment en humanités. Je les respectais pour leurs qualités et parce qu’ils représentaient un exemple à suivre. Mais le respect était plus automatique et plus discerné qu’aujourd’hui. » (A.G. st.) son âge et à sa personnalité, puisqu’il ne connaît pas encore (toutes) les siennes. Et en cas d’oubli ou de transgression, il convient de les lui rappeler, quitte à s’opposer à lui. Ambiance garantie… Les règles légales Tout petit, l’enfant a appris à mettre sa ceinture de sécurité, à traverser dans les clous ou à payer ses bonbons. Il sait donc qu’il existe aussi des lois que ses parents respectent et lui enseignent : on ne vole pas, on ne frappe pas, on ne tue pas. À l’adolescence, les zones de fréquentation avec la légalité se multiplient : fumer dans les lieux publics, chaparder dans un grand magasin, rouler sans permis de conduire, insulter un prof, sécher les cours, sniffer de la colle, cogner un copain, tripoter une fille… Autant de conduites à risques, souvent recherchées par les ados, qui peuvent déclencher une réponse judiciaire 11* Jeudi 1er juin 2006 parallèle à l’ire parentale. Ici encore, il faut rappeler aux jeunes que la première des lois qui le concerne, c’est l’autorité légale des parents sur leurs enfants. Plus ils le savent, plus ils en seront intérieurement rassurés : « Je me sens en sécurité. Mes parents m’aiment et veillent sur moi. Ils sauront toujours me retenir à temps. » Les règles culturelles Un mot encore sur d’autres règles parfois plus floues qu’il convient d’approcher avec respect. Selon tel groupe social, telle appartenance religieuse, il existe une série de conduites particulières. On songe, par exemple, au port du voile ou aux interdits alimentaires de certaines communautés religieuses. Aux parents d’initier leurs enfants à la tolérance et au droit à la différence. A fortiori en ces temps incertains… Savoir dire « non » On entre ici dans le vif du sujet. Face à l’énergie inépuisable d’un enfant qui veut satisfaire son désir (« Je veux ce pistolet intergalacti- que ! »), face à un ado qui contreargumente chaque décision (« Et pourquoi je ne pourrais pas rouler en moto ? Tu en as eu une à mon âge ! »), les parents sont généralement contraints d’entrer en résistance durant, disons, une bonne quinzaine d’années… Mais il existe une collection de « non » qu’il faut maîtriser en privilégiant un minimum d’explication. 2 exemples : – Un enfant s’amuse à couper les tulipes du jardin. La mère Michel, curseur vocal au maximum : « Jo, nom di dju ! Je t’ai déjà dit cent fois de ne pas arracher mes tulipes ! » La mère Veille, voix calme mais ferme : « Jo, je suis triste et mécontente. Tu as arraché toutes les fleurs que j’ai mis des heures à planter pour avoir un beau jardin. » – Un ado rentre d’une boum, deux heures après l’heure convenue. Le père Forateur, l’œil en cyclone : « Je ne veux rien entendre ! File dans ta chambre ! Plus de sortie avant un mois ! Et pour ton stage de karaté, c’est tintin ! » Le père Sévérant, le regard triste et inquiet : « Jo, nous t’avions fait confiance. 8553790 !"# #$ %" &' ()*+, !"# #$ %" -.&' (), !"# !..'$ %" # !.*' (), /"&"0 (), & &' (&1# 1#%., (2*3, 001#" (&1# ., (2, 0&'#.*&1# (&1# 1#%., (4, 0'" (&1# ., (4, 0 #! (&1# 1#%., (4, %'5(, &.05(, (6*4, #7 8' (.8., (4, #"# (.8., (4, #. 0&91# (&1# ., (:, "0. ; "0#< 0"0. #7 "# %' &.0 < =#9 (6, # C& < 90 .! ()*+, -& %' ()*6, -& . %' 0.# # # C< %' (0, (6, -& !.&"0# (), -& &..!# C.. '" (C..! '", (), -& &' # (+, 0"%. " (6, %' (. 0 * C"..!, (6, . .## * . 08 (6, #" #. . (6, 0". ..# '!' 1#" (+, ) # . .< &. * <" # < * >3)*46)?34> : # #5 * >3)*46)?3>4 4 @'A # .< !' . '" * >3)*:BB?+22 2 # !' &1# . * >3)*46)?346 + # #0"# .'.. . * >3)*46)?343 6 # .< #0"# . "!.!1# .'.. . &. * >3)*46)?34B 3 # !' &1# . .'.. . * >3)*46)?344 ! " ! # $ %&&& '( ()**+++,,- &.#$/0#,1## ,2(,- Quand tu ne rentres pas à l’heure, on s’inquiète pour toi. Si tu as un problème, tu dois nous appeler. » La stéréo Aussi futiles soient-ils, les conflits entre parents sont inévitables parce que chacun d’entre eux provient d’une culture éducative qui lui est propre. Ils doivent pouvoir apaiser calmement leur désaccord, loin de leurs enfants. Tout d’abord, pour ne pas disqualifier celui qui vient de rappeler une règle (« OK, toi, tu viens de rentrer ! Mais ça fait deux heures qu’il met sa musique à fond ! ») ou d’autoriser un comportement (« Mais il a révisé ses leçons pendant deux heures ! Il peut bien se détendre un peu devant la télé. ») Ensuite, pour éviter que l’enfant ne soit pris au piège d’un conflit ouvert entre ses parents. Une attitude à laquelle il faut être davantage attentif lors d’une situation de divorce ou de séparation. Les punitions Le grand débat ! L’énorme question ! Et souvent teintée d’une pointe de nostalgie que le temps a forcément édulcorée : « Ah ! de mon temps, j’aurais eu une de ces tripotées de mon père… » Pour faire court, la punition est aujourd’hui remise en question par la plupart des spécialistes qui préconisent plutôt la réparation. Selon eux, la punition leur semble inefficace à moyen terme car elle renforce l’idée chez l’enfant qu’une incartade force ses parents à s’intéresser à lui : « Je fais telle bêtise pour qu’ils s’occupent de moi. » Elle peut aussi louper son objectif initial : « Je ne ferai plus telle bêtise non parce que je sais que ce n’est pas bien, mais pour éviter d’être puni. » De plus, la punition systématique peut engendrer des dérives plus sévères comme la dissimulation, le mensonge : « Je fais mon coup en douce, comme cela, ils ne verront rien. » Et avec un ado, en quête de ses propres valeurs, le recours à une punition devient quasiment illusoire tant est grande sa révolte face à « ces parents qui ne comprennent décidément rien à rien ». Quittons, dès lors, cette zone de turbulence pour envisager des manières d’agir plus positives non sans insister sur ceci. Parce que le père est fatigué, parce que la mère n’en peut plus, parce que le gosse a été infernal de chez infernal, il arrive qu’une gifle parte de manière incontrôlée. Pas de panique ! Pas de culpabilité outrancière ! Violente et isolée, cette réponse restera une exception. Et, une fois la sérénité revenue, les protagonistes pourront s’expliquer sur cet incident en imaginant la meilleure manière de l’éviter à l’avenir. Et pourquoi pas d’en rire ? MARC VANESSE (1) Dans la préface du livre : « Difficile adolescence, guide pour les parents, enseignants et éducateurs », Phare EnfantsParents, 2002 (180 pages – 22 euros). 8297530 +$87(e&2/( 62,16'(6$17e (9(/,1($163$&+ 9RXVYRXOH]GHYHQLU ,1),50,(5(RX$&&28&+(86( RXYRXVVSpFLDOLVHUHQ 3e',$75,(36<&+,$75,( 6$//('¶23e5$7,21RX5e$'$37$7,21 &HQWUH+RVSLWDOLHU8QLYHUVLWDLUH%UXJPDQQ 3ODFH$9DQ*HKXFKWHQ%UX[HOOHV 7pORX)D[ (PDLOKHIISDUDPHGLFDOH#EUXQHWWHEUXFLW\EH 1NL 12* Chapitre 1 Jeudi 1er juin 2006 Parents-enfants Les liaisons dangereuses Mère étouffante, père physiquement ou virtuellement absent… Certains ados cherchent à couper le cordon par la violence. Il faut très vite leur offrir une alternative. A limentation désordonnée, désintérêt scolaire, absentéisme, crises d’angoisse, état dépressif, indifférence inhabituelle, scènes de violence, automutilation… Cette fois, c’est sûr, cet adolescent vit une période épouvantable ! En l’absence d’un problème de santé particulier qui justifierait ce changement de comportement, les parents, les éducateurs doivent mener discrètement l’enquête pour détecter l’origine du mal qui le ronge. Un deuil difficile ? Un divorce mal géré ? Une déception sentimentale ? Une assuétude aux stupéfiants ? Un conflit avec un prof ? Un racket à la sortie de l’école ? Les causes de ce désarroi peuvent être multiples et nécessitent une réaction immédiate des parents. Homme de terrain, Claude Seron compte trente années d’activité au sein de l’aide et de la protection de la jeunesse. Il dirige aussi l’association liégeoise « Paroles d’enfant » qui vient en aide aux adolescents « cabossés », principalement victimes d’actes sexuels et de leur famille. Aux côtés de l’ethnologue français Boris Cyrulnik, ce psychothérapeute a notamment développé une réflexion intense sur « la révolution des nourrissons géants », ces enfants violents, emprisonnés dans un étouffoir familial (1) : « Cyrulnik dit qu’il existe une relation entre un parent et son enfant qui “crée le cocon jusqu’au dégoût”. C’est notamment le gamin qui n’a que sa mère comme univers, une situation fréquente dans les familles monoparentales, voire dans des couples où le père est complètement évanescent (abandon, alcool, chômage…). Et dans ce climat incestueux, l’enfant 1NL est propulsé au statut d’égal de sa mère. Dans d’autres familles, on voit aussi une maternalisation de la fonction paternelle. Certains pères, qui ont connu des rapports de soumission à un père autoritaire, ont décidé d’arrondir complètement leur manière d’être. » Tiers séparateur Ce « nourrisson géant » se trouve face à une relation étouffante où il n’y a plus de « tiers séparateur » lui permettant d’y échapper : « La mère construit une relation telle avec son enfant qu’elle touche à la complétude, poursuit Claude Seron. Et en l’absence d’un tiers séparateur qui lui permette de respirer, l’enfant cherche à se dégager de sa mère étouffante par la violence. » Et le psychologue d’illustrer son propos par des phrases entendues en thérapie : « Il n’a pas rangé sa chambre, donc il ne m’aime pas ! », « Ma fille a été opérée et mon fils ne m’a pas demandé ce que ça m’a fait ! » Pire, certains enfants confrontés à des mères aussi fragiles, en viennent à protéger leur parent : « Ils ne peuvent faire leur crise d’adolescence par peur de fragiliser leur mère carencée. Je reçois en consultation une jeune fille modèle depuis trois ans. Elle prend tout sur elle ! Elle se sent entièrement responsable de tout ce qui foire à la maison. Récemment, on a décidé de son place- ment en institution. Un mois plus tard, elle est devenue pubère (à 15 ans !), son corps de jeune fille s’est développé. Et elle a commencé à contester les éducateurs, à prendre position. En clair, elle a enfin osé faire sa crise d’adolescence car le milieu l’y a autorisé. Et sa mère m’a dit : “ Vous vous rendez compte, elle m’a fait ses premières règles ailleurs que chez moi ! ” » Après un divorce difficile, après une éducation personnelle inadéquate, après une déglingue économique ou affective, certains adultes conduisent imperceptiblement leurs enfants au bord du gouffre : « Ces parents sont tellement déstructurés, tellement en difficulté avec eux-mêmes, qu’ils sont incapables de proposer une disponibilité émotionnelle à leur enfant. Aux antipodes des besoins réels et concrets de leur enfant, ils sont incapables d’être parents, une conclusion toujours dure à admettre. Et là, on doit prendre la décision d’aider l’enfant à investir d’autres liens. Il pourra prendre pour modèle un éducateur attentif, un professeur bienveillant. Comme dit le proverbe africain : “Il faut un village pour élever un enfant.” » MARC VANESSE (1) Claude Seron vient de publier un ouvrage passionnant, en deux tomes, sur les enfants en difficulté : « Au secours, on veut m’aider », éditions Fabert (216 et 280 pages – 25 euros chacun). DE MON TEMPS... Bruno Taloche, 45 ans, humoriste « L’éducation, c’est le respect. Il ne faut pas considérer les enfants comme des petits adultes. Ils ont des droits, mais aussi des devoirs. Ils doivent savoir respecter les adultes. Les parents n’ont pas toujours à se justifier. Mes parents nous ont permis, à mon frère et à moi, de choisir notre voie tout en nous apprenant les règles essentielles de politesse. Dans la société actuelle, il y a une dérive permanente, et un certain laxisme. Les parents sont de plus en plus stressés. Il y a de plus en plus de divorce. Je pense qu’il faut plus de rigueur. Les enfants apprécient le fait d’avoir des repères. » (Ma.M, st) 13* Jeudi 1er juin 2006 Aux frontières du réel Pourquoi est-il plus difficile aujourd’hui d’exercer son autorité parentale ? Parce que les temps ont changé. Et les choix sont infinis. C hez les amis ou au bistrot, à la sortie de l’école ou au boulot, cette question lancinante revient souvent : « Pourquoi l’exercice de l’autorité parentale semble-t-il si délicat de nos jours ? » La sociologue Danielle Mouraux de répondre en six mots : « Parce que les temps ont changé. » Et cette spécialiste de la famille d’évoquer en vrac les sinuosités d’un parcours dont on ne parvient pas toujours à maîtriser la trajectoire : « Contrairement au modèle quasi unique d’autrefois, chaque adulte se trouve désormais devant une infinité de choix. Faut-il se marier ou cohabiter ? Avoir des enfants ou non ? Avec l’arrivée d’un enfant, faut-il travailler à deux ou non ? Si oui, qui sacrifie sa carrière ou demande un congé parental ? Les petits, vaut-il mieux les éduquer soi-même, les placer à la crèche ou solliciter les grands-parents ? Et le choix de l’école ? Et les stages ? Et les loisirs ? En cas de divorce, qui aura la garde des enfants ? Comment organiser leur éducation une fois séparés ? On le voit, la palette des choix accuse une augmentation exponentielle. » Autre écueil souvent cité, la confrontation des familles à un environ- nement sociétal discordant où, de surcroît, chaque parent manque davantage de temps pour recadrer une foultitude de messages captés par les plus jeunes : « Pour élever son enfant et construire une relation chaleureuse avec lui, il faut passer énormément de temps ensemble. Envahies par d’autres valeurs (l’école, l’argent, la réussite, la publicité, les médias, les consoles de jeux…), les familles éprouvent d’énormes difficultés pour imposer les siennes car elles sont systématiquement comparées à d’autres. Au vu de cette évolution, les parents doivent développer des compétences parentales nouvelles qui n’existaient pas voici cinquante ans. » « Il suffit parfois d’un racket à l’école… » À ce tableau de la complexité sociétale, le psychiatre Nicolas Zdanowicz ajoute : « Imaginons même que des parents se transforment en super-parents, hyper-proches et attentifs à l’éducation de leurs enfants. Mais on n’aura rien changé au chômage, à la dépendance économique, à l’hypercompétition, au stress professionnel, à la violence, à la survalorisation des objets… Au cabinet, je reçois aussi des gosses délinquants qui vivent dans des familles très chouettes ! Il suffit parfois d’un racket à l’école pour tout faire basculer. » Et le professeur de psychopathologie (UCL) d’en revenir invariablement à cette nécessité, encore accrue de nos jours, d’encadrer l’enfant ou l’adolescent pour lui éviter les pièges que lui pose son environnement immédiat : « On le sait, les films violents ont un impact catastrophique sur un enfant. Mais on a aussi multiplié les expériences qui démontrent qu’un film violent « Pour élever son enfant et construire une relation chaleureuse avec lui, il faut passer énormément de temps ensemble. » PHOTO P.-Y. THIENPONT. peut devenir structurant. S’il est regardé avec des parents encadrants, il y aura discussion, mise en perspective et construction de valeurs. Prenons le début du film “Il faut sauver le soldat Ryan” qui est extrêmement violent. Mais la suite permettra à un ado- lescent de mieux comprendre ce qu’est la guerre, la souffrance, la mort, le combat pour la liberté. Les images les plus violentes, ce sont les séquences “No comment” sur Euronews où tout conflit armé est livré sans la moindre mise en contexte. » MARC VANESSE 8407440 ! " !"#$$$%& * '() 8507010 # ! $% &" '( $& ( )* ' +,, '( $ ! ' . /0 1 .2 3,456)784),3,&" 9/,+-3,7:7- "/,+-3,;,8; <= >'' 5 '( ! ( # $&/ 1NL 14* Chapitre 1 Jeudi 1er juin 2006 Parents-enfants Les limites et les jeux interdits Les parents le savent : chaque enfant adore tirer sur l’élastique des règles établies avec une obstination qui dépasse l’entendement. L e truc de l’enfant, c’est je veux tout et tout de suite ! », résume le psychiatre Nicolas Zdanowicz qui rappelle le rôle fondateur des limites et des interdits en évoquant cette expérience menée avec des adolescents pour leur appendre à gérer leur consommation d’alcool. « Afin de tester une campagne publique de prévention, trois groupes d’ados ont été constitués pour être suivis durant plusieurs mois. Il y avait ceux qui étaient soumis à une famille hypercontrôlante (« Tu ne boiras pas ! »), ceux qui vivaient dans une famille encadrante (« Tu peux boire un coup mais tu fais gaffe ! ») et ceux qui avaient le droit de tout faire (« De toute façon, tu boiras quand même »). On a vite constaté que les premier et troisième groupes avaient adopté un comportement catastrophique vis-à-vis de l’alcool. Le groupe appartenant aux familles encadrantes avait produit le moins d’alcooliques. » Tous les parents le savent, chaque enfant adore tirer sur l’élastique des règles établies avec une obstination qui dépasse l’entendement. Certains rejetons arrivent même à scier une à une ces barrières symboliques en emportant, de guerre lasse, la bataille de tous leurs désirs. Après une journée d’enfer au boulot et une tapée de problèmes domestiques à régler dans l’urgence, la garde des parents a aussi tendance à s’abaisser, histoire d’éviter un cyclone supplémentaire à la maison. N’empêche : le respect des règles définies en famille joue un rôle primordial pour le développement de l’enfant. Même si celui-ci a décidé de ruer dans les brancards, il convient de lui délimiter son espace de liberté et de sécurité. Sociologue, Danielle Mouraux a beaucoup étudié la vie des familles : « Aujourd’hui, on accorde beaucoup plus d’importance à la place de chacun au sein de la cellule familiale. Chaque « je » peut dire son mot. La difficulté majeure des parents consiste dès lors à rester à l’écoute de chacun de ces « je » et de décider ensuite. Mais les enfants ont besoin d’un code de conduite sur lequel s’appuyer en leur indiquant ce qu’il est possible de faire. Si on demande, par exemple, à de jeunes enfants de définir ce qui est permis ou interdit, ils vont vous transformer la maison ou l’école en véritable camp de concentration ! » Ils cherchent à grandir Adaptés à chaque âge, les interdits sont souvent source de conflits. À chacun son rôle. Aux parents d’imposer des règles adaptées à leur progéniture. Aux enfants de chercher à en repousser les limites. En agissant ainsi, ils cherchent tout simplement à grandir… 8458080 !" "# $ %#&'(')&#)"!*+ ,)- ! " # . + &%*- ) 1NL Poser des limites, définir des interdits, c’est aussi créer un cadre de vie structurant pour l’enfant, lui ôter l’idée illusoire de sa toutepuissance. La frustration crée le manque. Et sans le manque, il n’y a pas de désir, ce désir indispensable à toute relation au monde et aux autres. « Combien d’adolescents, qui ont eu tout et tout de suite, ne se sentent-ils pas comblés et blasés ?, s’interroge ce jeune professeur namurois. Coulés dans l’ennui, ils se légumisent devant des jeux débiles parce qu’ils ne désirent plus rien. » Enfin que chaque parent se rassure, son enfant ne doit pas filer chez un psy parce qu’il se rebiffe contre une interdiction en protestant, en argumentant ou en criant. On a rarement vu un gosse réagir favorablement devant ses parents qui lui interdisent de regarder tel film à la télé : « Évidemment, vous avez raison ! Ce film ne me convient pas. Je monte tout de suite dans ma chambre pour aller réviser mes maths. » À la limite, c’est celui-là qu’il faudrait conduire fissa chez docteur Freud… MARC VANESSE DE MON TEMPS... Florence Reuter, 36 ans, présentatrice du JT sur RTL « Mes parents étaient cohérents et justes. Dire “oui” pour quelque chose et le lendemain “non” pour la même chose parce que l’on est fatigué ou dépassé, c’est un piège qui menace tous les parents mais qui perd les enfants. Si ces derniers ne savent plus où se situer, les dérives peuvent commencer. À l’école, je n’étais pas des plus sages ou disciplinées. Mais j’arrivais à adopter la juste attitude afin d’éviter de sombrer dans l’échec. Question de fierté et de dignité. Au pire, j’ai reçu une retenue ou deux points en moins en discipline. » (A.G., st.) 15* Jeudi 1er juin 2006 Le meilleur des mondes Si la famille glisse vers un modèle plus démocratique où chacun trouve sa place, il doit rester un patron pour analyser et décider. D eux attitudes caricaturales conduiront à coup sûr votre enfant dans le lac des désillusions : lui dire « non » à tout et lui dire « oui » à tout. Entre ces berges de l’intransigeance et du laxisme, on n’a rien inventé de mieux que le dialogue, la négociation, la responsabilisation, la confiance. Si la famille glisse de plus en plus vers un modèle démocratique où chacun trouve pleinement sa place, il doit rester un « patron » qui analyse chaque situation et décide en fonction des valeurs défendues par la famille. Lorsqu’un conflit survient, il est plus aisé pour les parents de faire valoir leur point de vue en l’argumentant. Comme il n’est pas indé- cent d’écouter celui de l’enfant, ses arguments n’étant pas tous à rejeter. Très souvent, il est possible de dégager un compromis qui ne fait perdre la face à personne. Et cette manière d’entrouvrir progressivement le jeu initie aussi les plus jeunes à leur future vie en société. Prenons deux situations courantes. Le look. Comme tous les ados de son âge, Soraya (14 ans) n’échappe pas à la tyrannie des marques vestimentaires : « Je n’ai plus que des trucs ringards à me mettre ! » Parce que ses parents n’ont pas un budget illimité ou qu’ils ne le souhaitent pas, le renouvellement de sa garde-robe ne pourra se faire en un jour : « Nous allons fixer ensemble un budget et tu pourras acheter ce que tu souhaites. » Et même si ce pantalon un peu trash ou ce pull un peu court fait douter ses parents, Soraya pourra tout de même s’offrir sa petite fantaisie et gagner le respect de sa bande d’amis. Les sorties. Un ado de 14 ans n’est pas un ado de 17 ans. Avant sa première soirée avec des copains, Raphaël (14 ans) devra négocier ferme avec ses parents : « Où vas-tu ? Avec qui ? Comment y vas-tu ? À quelle heure rentres-tu ? Qui te ra- Ni oui ni non à tout, mais un dialogue permanent. PHOTO ALAIN DEWEZ. mènera ? » Entre le « non » catégorique et le « oui » distrait, Raphaël apprendra à évaluer l’ensemble de la situation et à comprendre les limites que ses parents lui ont fixées. Se sentant responsable, voyant ses parents tenir à lui, il aura envie d’être à la hauteur de leur confiance. Il ne rentrera pas avec un conducteur bourré, il respectera la plage horaire négociée, il ne fréquentera pas un endroit à risques. Plus tard, il aura gagné un horaire plus souple et une meilleure confiance de ses parents qui auront compris qu’il respectait les consignes sans (trop) déraper. Cette indispensable confiance souhaitée par les parents et les enfants repose sur un contrat mutuel : « Je te fais confiance parce que je te connais bien et que je sais que tu es capable de prendre soin de toi. Et toi, tu sais que je veille sur toi et que tu peux toujours compter sur moi en cas de pépin. » Au fil des ans, l’autorité glisse imperceptiblement vers l’autorisation, vers l’autonomie. Car les parents savent que le patrimoine symbolique qu’ils transmettent à leur enfant depuis tant d’années devient son propre mode de conduite. Certes avec ses nuances, ses approbations et ses rejets. On n’est pas jeune pour rien ! MARC VANESSE 8410600 !" #$"$ %&'())( ***"$"$ !" #$$"% 1NL 16* Chapitre 1 Jeudi 1er juin 2006 Parents-enfants Exercice de style sur l’air de : « Range tes godasses » Comment, à travers le siècle écoulé, l’autorité parentale s’est sérieusement adoucie. Face à des enfants dotés de tous les droits, les parents ne savent plus sur quel pied danser. DE MON TEMPS... Grégoire Dallemagne 33 ans, président de Télé2 « Mon père était malade. Avec mes frères et sœurs, nous avons toujours fait preuve d’autonomie. Cependant, mes parents restaient présents et indiquaient de manière très claire la marche à suivre, et ce, sans compromis. Grâce à leur autorité, nous avons eu tous trois un parcours sans échec. Au collège Saint-Augustin de Gerpinnes et à l’Institut NotreDame de Charleroi, la majorité des professeurs étaient respectés. Nous leur reconnaissions une autorité importante et, de ce fait, les prenions comme référence. » A.G. (st.) N ous sommes en 1911. Après sa journée passée au fond de la mine, le père rentre à la maison. Épuisé, il dénoue ses godasses crottées qu’il laisse tomber à terre. Sous la table de la cuisine, il voit les chaussures de son fils abandonnées. Il rappelle son rejeton sèchement à l’ordre et exige qu’il les range immédiatement. Occupée dans ses marmites, la mère ramasse les pompes de son mari et confirme d’un ton mécontent : « Ton père t’a dit de ranger tes chaussures ! » Le gamin s’exécute sur-le-champ, heureux de ne pas se prendre une torgnole au passage. Nous sommes en 1936. Employé de commerce, le père rentre chez lui fatigué. Il enlève ses chaussures tout en découvrant celles de son fils qui trônent dans le vestibule. Il appelle son fils et lui demande de les ranger sans délai. Et la mère, occupée dans ses fourneaux, dit au gamin : « Ton père t’a dit de ranger tes chaussures ! » Puis, elle range les godasses du père en pensant secrètement : « Il pourrait tout de même le faire lui-même ! » Quant au fils, il s’exécute tout en se disant : « Pourquoi moi, je dois ranger mes chaussures et pas lui ? » Nous sommes en 1961. Instituteur, le père rentre à la maison. En enlevant ses chaussures, il découvre de nouveau celles de son fils au milieu du jeu de quilles. Il l’appelle : « Je t’ai déjà dit de ranger tes chaussures quand tu rentres. » Il 1NL pose les siennes dans un coin et se dit qu’il les rangera plus tard après s’être détendu. La mère ajoute au gamin : « Sois gentil, range tes chaussures. » Voyant celles de son mari, elle ajoute devant l’enfant avec une pointe d’ironie : « Chéri, avant de dire à ton fils de ranger ses chaussures, tu pourrais commencer par les tiennes. » L’enfant, soutenu par sa maman, finit par ranger ses godasses en râlant : « Moi, j’rangerai d’abord mes chaussures avant de le demander à mes enfants. » Nous sommes en 1986. Cadre dans une banque, Papa rentre énervé par le plan de restructuration. Une fois encore, les chaussures de son fils traînent dans le hall. Hélas, les normes de Mai 68 ont modifié la donne et il se trouve devant trois scénarios. Ou il donne l’ordre à son fils de les ranger avec un sourire qui exprime son manque de conviction en sa propre capacité à commander (l’autorité paradoxale). Ou, lassé de répéter les mêmes choses, il ne dit rien et file devant la télévision pour oublier toutes ces complications (le renoncement). Ou il range lui-même ses chaussures avant d’appeler son fils pour qu’il en fasse de même (le prix du respect). La mère peut aussi intervenir de différentes manières. Elle peut lâcher du tac au tac : « Laisse-le tranquille, tu vois bien qu’il fait ses devoirs. Et puis, tu pourrais commencer par ranger les tiennes ! » Et le fils de se marrer en comptant les coups, tout en se réjouissant de cette alliance objective contre l’autorité paternelle. Elle peut aussi ne rien dire et laisser ces deux-là s’expliquer. L’autorité du père n’étant plus relayée, elle est disqualifiée au risque de disparaître. Père et fils vont alors s’affronter avant de sortir blessés par l’affaire. Face à la démission du père, la mère peut encore ramasser les chaussures de l’un et de l’autre en disant : « Je ne suis pas votre bon- ne ! » Elle équilibre ainsi la position du père et du fils, ce dernier étant encore moins enclin à céder le premier. Elle peut aussi décider, à son tour, de laisser tomber les bras. Et lorsque ces deux-là auront faim, elle leur dira : « Vous n’avez qu’à réchauffer votre barquette au microondes ! » Avec pour corollaire, une attitude qui réduit à néant toute forme d’autorité partagée. Face à la troisième hypothèse, la mère peut aussi dire à son fils « Prends exemple sur ton père et range, toi aussi, tes chaussures ! » Elle montre ainsi le respect que son père a pour lui et le respect qu’ellemême porte à son mari. Elle donne ainsi un modèle identificatoire à son fils, qui commence par appliquer à lui-même ce qu’il demande à l’autre… MARC VANESSE Inspiré du texte du psychiatre français Daniel Marcelli, « Des godasses aux Nike, petite histoire de l’autorité », paru dans « Questions d’autorité » (opus cité). 8281140 1NL 18* Jeudi 1er juin 2006 Chapitre 1 Parents-enfants « On peut vivre castré, réfréner ses désirs et être heureux ! » Pour le spécialiste de l’adolescence Nicolas Zdanowicz, trois étapes sont nécessaires à la formation d’un adulte : la privation, la frustration, la castration. ENTRETIEN L e soleil bat la chamade sur les pelouses qui entourent les cliniques universitaires de Mont-Godinne. Un moment propice à la détente pour entamer une réflexion aérée sur la notion d’autorité parentale aux côtés de Nicolas Zdanowicz, spécialiste de l’adolescence et professeur de psychopathologie et psychosomatique à l’UCL. Comment définiriez-vous l’autorité parentale ? Il est parfois plus facile de définir une notion par son contraire. L’autorité, ce n’est ni faire du charme pour séduire son enfant ni faire preuve de cet autoritarisme agressif qui trahit plutôt l’échec de l’autorité parentale. Cette dernière se rapproche plus de l’idée que l’on retrouve dans des expressions comme « faire autorité », « faire référence ». Comment s’inscrit-elle progressivement dans l’esprit de l’enfant ? Trois étapes sont nécessaires à la formation d’un individu adulte, soit une personne capable de différer son plaisir pour s’investir sur le long terme : la privation, la frustration, la castration. Les deux premières se jouent principalement avec la mère, la troisième avec le père. Commençons par l’étape de la privation, qui concerne le bébé… Prenons l’exemple simple de l’allaitement. Si la mère passe son temps sur la tête de son enfant, le bébé sera persuadé que le sein de sa mère n’est pas différent de lui. Il a faim, il tète. 8407280 4VSNIXI^ZSYW HERW %43003'31192-'%8-327&) 4LSXS.0;IVX^ P´EZIRMV -RWGVMTXMSRWHYEYNYMPPIX IXHYESXEYWITXIQFVI %GXMZMXqWTVqTEVEXSMVIWEY\GSYVW KqRqVEY\1EXL4L]WMUYIIXGIRPERKYIW %RKPEMW2qIVPERHEMWEY\QqXLSHIWHIXVEZEMP HYESXEYWITXIQFVI 2SYZIEYXqHERWPIWTVSKVEQQIWHIFEGLIPMIV MRXVSHYGXMSRH³YRGSYVWHIGLMRSMW VYI0SYZVI\&lX2&0MrKI 8qP*E\ FHHY6IGXSVEX&lX&&0MrKI 8qP*E\ 1NL &EGLIPMIVIR WGMIRGIWHIKIWXMSR &EGLIPMIVIR WGMIRGIWqGSRSQMUYIW IXHIKIWXMSR &EGLIPMIVIX1EWXIV IRMRKqRMIYVHIKIWXMSR 1EWXIVIRWGMIRGIW HIKIWXMSR 1EWXIVIRWGMIRGIW qGSRSQMUYIW 4EWWIVIPPIW GSYVWHYNSYVSYLSVEMVIHqGEPq LIG$YPKEGFI [[[LIGYPKEGFI Il n’a pas besoin de désirer. Si la mère le laisse un peu pleurer avant de le nourrir, le bébé va accéder à sa première pensée, la représentation du sein. Il va téter dans le vide en découvrant que ce sein n’est pas disponible à tout bout de champ. Et la frustration ? Vers deux ou trois ans, la mère joue avec son enfant. Le père rentre et la mère l’abandonne pour aller embrasser son mari. Le gosse râle ! Il découvre qu’ils ne sont pas que deux dans la vie. Il voit que l’on vit avec d’autres personnes comme son père qui accapare aussi sa mère. Le bénéfice de la frustration, c’est de faire naître chez l’enfant le senti8281010 +$87(e&2/( !"#$%&''%#'(% )" 19* Jeudi 1er juin 2006 ment de permanence au-delà de la disparition de la mère dans l’immédiateté. Il se dit : « Maman joue avec moi, elle part mais elle revient toujours. » Qu’en est-il de la castration où intervient davantage le père ? Pour un enfant de quatre à cinq ans, le père se positionne davantage comme celui qui est soumis à la loi : il respecte le code de la route, il ne vole pas, il respecte sa femme… Inconsciemment, l’enfant se dit que son père est castré dans ses désirs immédiats mais qu’il vit bien cette situation. On peut vivre castré, réfréner ses désirs et être heureux ! Il se dit qu’il peut aussi devenir cela en cherchant à l’imiter. Quelles conclusions peut-on tirer de cette évolution en trois temps ? Pour ces trois opérations, il faut que les parents ne soient pas eux-mêmes dans une demande d’amour perpétuel. Si la mère devient une maman-poule, si elle est trop fragile et refuse de voir son gosse pleurer, le processus sera perturbé. Il y a aussi pour l’enfant la découverte d’une hiérarchisation des places. En face de lui, il y a un couple qui vit sa vie de couple. Et les parents doivent accepter la critique de leur enfant qui leur demande : « Tu préfères papa ou maman à moi ? » Eh bien, oui, c’est comme ça ! L’affaire ne se complique-t-elle pas lorsque la famille est recomposée ? L’enfant n’a pas à émettre de reproches sur le nouveau conjoint de papa ou maman. C’est une histoire entre adultes. Pas la sienne ! On trouve beaucoup de beaux-pères, de belles-mères qui ne veulent pas endosser le rôle de père ou de mère dans le quotidien sous prétexte qu’il ne s’agit pas de leur enfant. Je ne suis pas d’accord ! Ils sont des adultes qui s’en rapprochent. Pour faciliter la vie en commun, ils peuvent dire à l’enfant d’aller se laver les mains avant de passer à table. Mais cela suppose aussi que le nouveau conjoint soit intronisé en tant que tel par le parent biologique. Il doit avoir un statut officiel qui lui donne sa place hiérarchique dans cette structure démocratique. Que se passe-t-il ensuite à l’adolescence ? Ces trois étapes vont être retestées. Mais cette fois, arrivé à la taille et à la force de son père, l’adolescent cherche à se façonner une personnalité propre. Autant avec un enfant plus jeune, on a pu lui imposer les choses, autant avec un adolescent, on ne peut plus utiliser l’impératif. Car le but du jeu, c’est que l’ado se fasse une loi à lui tout seul ! Si les parents lui parlent à l’impératif, ils détricotent ce que ce jeune est en train de construire. Et on entend des phrases du genre lancées à son père : « Tu me dis que la famille est importante mais tu rentres tous les jours à minuit ! Moi, je serai à la maison tous les jours à 19 heures. » L’ado se fabrique une loi. Chaque famille définit ses règles de conduite. Comment gérer les inévitables incartades ? J’en reviens au début : il ne faut tomber ni dans la séduction ni dans l’autoritarisme. Le parent doit devenir une référence qui fait naturellement autorité. Si le gosse arrive en retard au dîner, on lui dit : « Nous avons mangé, tu te débrouilles. Tout est dans le frigo. » C’est différent de l’attitude qui consiste à recuire son repas (séduction) ou à le consigner dans sa chambre sans manger (autoritarisme). Lorsque l’enfant commet une boulette plus sérieuse, quel type de punition faut-il envisager ? Il faut évidemment adapter la punition à chaque âge. Avec un adolescent, c’est plus compliqué. Mais si la punition rime avec réparation, c’est un bon plan ! Si un enfant défonce une porte en jouant, on ne va pas lui demander de régler la facture qui sera de toute manière prise en charge par l’assurance familiale. Après avoir exigé ses excuses, on peut lui demander de tondre la pelouse durant un mois pour réparer sa faute. Mais si on n’a jamais pratiqué la punition dès l’enfance, ce sera impossible à l’adolescence. C’est tout de suite ou jamais ! Qu’entend-on par la démission des parents ? Même si cela arrive, ce sont rarement des parents qui ont abandonné leur enfant ou préféré leur carrière. Ce sont plutôt des parents qui sacrifient tout pour leur enfant parce qu’ils estiment qu’il est leur unique raison de vivre. Seul leur enfant donne sens à leur vie. Comme il est tout pour eux, ils ne peuvent pas le priver, le punir, car leur enfant doit les aimer. Le gosse décide de tout ! Si un parent est triste de punir son gosse parce qu’il va râler sur lui, alors il ne faut pas être parent ! Propos recueillis par MARC VANESSE DE MON TEMPS... Jean-Michel Saive 37 ans, pongiste « On doit se prendre en charge soi-même et assez vite. Moi j’ai fait ça toute ma vie. Je savais que je voulais faire du sport, j’étais motivé et déterminé. Mes parents n’étaient pas très stricts. Grâce au sport, j’ai appris la discipline. Quand j’avais 15 ans, j’avais un entraîneur très dur, mais aujourd’hui je peux dire que je lui dois beaucoup. Moi-même, je suis un papa assez cool, mais je n’hésite pas à faire la police quand il le faut. » (Ma.M., st) 8455870 Faculté universitaire des Sciences agronomiques www.fusagx.be Académie universitaire Wallonie-Europe L’Université des métiers du développement durable Séance d’information sur les études samedi 24 juin (10h) Espace Senghor à Gembloux 081/62 22 65 – www.fusagx.be - [email protected] 1NL 20* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants Le prof n’est plus le maître : avec l’élève, il faut négocier L’enseignant souffre. Son autorité ne va plus de soi. A l’école, la règle ne s’impose plus d’elle-même. Il faut souvent la négocier. Constats. Explications. Et pistes de solutions. I l est fini, le temps où il suffisait d’un claquement de doigts pour imposer le calme en classe. Il est fini le temps où l’élève se pliait à la règle sans broncher. Dans les écoles, aujourd’hui, l’enseignant doit négocier, convaincre, motiver. Et à l’occasion… subir. Dans certains bahuts, au secondaire singulièrement, donner cours relève du corps à corps usant. Certes, le paysage scolaire est divers. Parler d’école, c’est tendre un élastique qui part d’une paisible classe maternelle de Waterloo pour arriver à une classe professionnelle de Charleroi ou Bruxelles. Mais quelle que soit la diversité des vécus, le corps enseignant dans son La soumission silencieuse à la règle, c’est fini. L’enseignant doit négocier, convaincre et susciter l’adhésion à la règle. PHOTO SYLVAIN PIRAUX. ensemble confesse un malaise, diffus et pesant – décrit et exprimé dans une série de rapports récents. Et la relation difficile entre élève et professeur (en tout cas : plus difficile que naguère…) est un élément clé de ce malaise. Entre élève et prof, c’est la crise ? Disons : le rapport a changé. Evolué. Exactement comme le père n’est plus l’Autorité indiscutée au sein du clan familial, le maître a été dévissé de son socle. A l’école, comme à la maison, il n’y a plus de soumission docile et silencieuse, ni à la règle ni à l’aîné. Aujourd’hui, il faut susciter l’adhésion. L’école (comme le clan familial, encore une fois), s’est « démocratisée ». On veut dire : on y a transposé les règles du jeu de la démocratie en ceci que la norme doit recueillir, sous une forme ou sous une autre, l’assentiment du groupe. Mais tout est-il négociable ? Non. Et comment établir un climat serein, sain, détendu dans les classes ? Dans les pages qui suivent, nous avons rencontré des experts, des enseignants, des directeurs, des 8407390 I N S T I T U T D ’ A R C H I T E C T U R E V I C T O R H O R TA ■ ■ ■ ■ ■ Enseignement de niveau universitaire Cours à option dispensés à l’U.L.B. Programmes d’échange européen Laboratoire de C.A.O. Inscriptions à partir de la deuxième semaine du mois de juillet. Campus de la Plaine, accès 5 bd du Triomphe C.P. 248 - 1050 Bruxelles Téléphone : 02 650 50 52 - Fax : 02 650 50 93 E-mail : [email protected] - http ://www.ulb.ac.be/horta 1NL formateurs, des professeurs d’école normale. Avec une préoccupation : découvrir leurs pratiques et lever leurs bonnes « recettes » (parce qu’il y en a…). Question centrale, dans ce chapitre : le futur enseignant est-il formé à la gestion des groupes, aux problèmes de discipline ? Oui. C’est assez récent. Et salué. Mais plusieurs de nos interlocuteurs, comme Anne Chevalier (formatrice d’enseignants) ou Jean-Benoît Cuvellier (chef du département pédagogique, à la Haute Ecole catholique de Namur) soulignent l’importance « vitale » (pas moins…) d’accompagner le jeune enseignant en début de carrière. « A l’école normale, en matière de discipline, de gestion de groupes, on donne le b.a.-ba, dit Cuvellier. Mais c’est quand le jeune enseignant commence à avoir un vécu, qu’il commence à vivre des expériences, des problèmes de discipline, qu’un travail peut vraiment être fait avec eux sur ces questions. » Message reçu, le politique ? PIERRE BOUILLON SIGNES D’AUTORITÉ Le surveillant Le surveillant – le pion – aura été, pour des générations de potaches, la figure emblématique de l’autorité à l’époque où la discipline se concevait prioritairement sur le mode répressif. Un personnage volontiers sournois, au teint olivâtre, au menton bleui par une barbe dure, qu’un obscur destin condamnait à errer sans fin dans des couloirs enténébrés, précédé par le tintinnabulement de son trousseau de maton (« Frinc ! Frinc ! Frinc ! », font les clefs du redoutable monsieur Viot dans « Le Petit Chose » d’Alphonse Daudet). Ce pion-là a désormais rejoint les limbes où s’égosillent en vain d’autres représentants furibards de la vieille école : proviseurs et autres préfets de discipline… Aujourd’hui, les surveillants se sont mués en éducateurs. Et les Petits Choses en ados chatteurs. (S.D.) Jeudi 1er juin 2006 21* « L’école n’est pas un lieu de vie » U Jadis séparés, les mondes de la famille et de l’école sont désormais en contact et parfois en conflit. Qui fait quoi ? Traube explique. n père qui pénètre dans l’école de son fils pour insulter et agresser le professeur. Des enseignants forcés de « faire de la discipline » – d’apprendre aux enfants à s’asseoir, à écouter l’autre parler… – avant de pouvoir entamer le programme. Des parents totalement désintéressés par la vie scolaire. Les relations entre la famille et l’école ne sont pas toujours aisées. Peut-on les réconcilier ? La parole à Patrick Traube. Naguère, les lieux et les personnes dépositaires de l’autorité étaient clairement identifiés. Aujourd’hui, où est-elle ? Et particulièrement qui, de l’école ou des parents, la détient encore ? D’une part, l’autorité est éclatée, d’autre part on a perdu le consen- sus historique entre famille et école. Il y a quelques décennies, si le maître punissait un enfant, il arrivait que les parents “en remettent”. Famille et école partageaient les mêmes valeurs. Il n’y avait pas de problèmes territoriaux. Les sphères étaient nettement séparées : la famille avait pour mission d’éduquer, l’Etat avait pour mission d’instruire. Au fil du temps, les missions de l’école ont gonflé. L’attente à l’égard de l’école a grandi, devenant parfois utopique. On lui a demandé de sortir de sa mission purement instructive, passant ainsi du règne de l’“instruction publique” à celui de l’“éducation nationale”. Forcément, les deux territoires se sont superposés avec tous les conflits que cela peut générer. Avec la possibilité pour les familles les plus fragilisées de s’en remettre à l’école pour pren- dre en charge ce qu’elles-mêmes abandonnaient. En outre, les lieux d’autorité se sont multipliés… La société est devenue de plus en plus complexe. L’enfant peut être soumis à deux logiques culturelles différentes, celle de l’école et celle de la famille. Et parfois, au sein de la famille, à des valeurs antagonistes. Les enfants doivent apprendre à vivre dans ce monde-là. Car les continents vont dériver de plus en plus. Ils vont rentrer dans un monde professionnel soumis à une certaine culture, puis vont en changer, en se soumettant à d’autres lois, puis vont voyager, se retrouver dans une culture différente. C’est positif, c’est une opportunité, mais ça rend les choses plus difficiles. Soit. Une exigence de flexibilité Suite en page 22 8281060 1NL 22* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants Suite de la page 21 s’impose aux jeunes. Raison de plus pour disposer d’une solide colonne vertébrale. Où vont-ils la trouver ? Vont-ils encore pouvoir ? Nous sommes en train de passer de l’ère des vérités, voire des vérités multiples, à l’ère des erreurs provisoires. Les jeunes doivent s’habituer à vivre dans un monde intellectuel et culturel dans lequel on ne peut plus se raccrocher à des vérités absolues. Nous sommes condamnés à sauter d’une erreur provisoire à l’autre. Quel sera leur garde-fou ? Tout dépend des registres. Sur le plan intellectuel, la seule chose auquel ils pourront se raccrocher, c’est l’épistémologie : savoir comment se forge la connaissance, comment elle se travaille, comment elle fonctionne, c’est le seul socle rationnel qui pourra encore offrir un semblant de sécurité ou de confort. L’école doit donner les outils pour décoder et comprendre l’information, pour comprendre que des modes de fonctionnement peuvent être différents sans pour autant être mauvais. Si l’un a raison, l’autre n’a pas nécessairement tort. Politique et école sont confrontés aux mêmes difficultés, aux mêmes défis. Comment organiser un monde commun dans une société d’indi- DE MON TEMPS... Jean-Marc Nollet, 36 ans Député fédéral écolo « Je n’ai pas vécu ma famille comme une autorité. Mon père et ma mère jouaient leur rôle de parents sans qu’il ne soit directement question d’autorité. Ils montraient les limites. Nous étions quatre enfants et tout se faisait de manière contrôlée, il n’y avait pas d’accès de colère. Ils refusaient parfois des choses, parfois ils disaient oui. Dire oui fait aussi partie de l’autorité. J’ai eu des enseignants justes dans leur autorité mais certains en imposaient plus que d’autres. Le respect c’est ce qui reste quand l’autorité est physiquement absente. » (C.E., st) 1NL vidus autonomes et qui revendiquent farouchement leur autonomie ? Pour l’école, c’est plus difficile : l’institution est plus contestée qu’auparavant et son autorité naturelle a quasiment disparu. Le savoir est mis en cause, le professeur est mis en cause, l’autorité est mise en cause… Pas facile de fonctionner dans ce cadre. Une certitude : dans les dix prochaines années, l’école en tant qu’institution va devoir retrouver une nouvelle légitimité. Elle va devoir se resituer, reconquérir le territoire qui était le sien et le requalifier. Depuis les années 70-80, suite à une revendication de la base de l’école (les enseignants, les chefs d’établissement), les écoles ont acquis une autonomie pédagogique, une autonomie administrative. Elles ont établi leur “projet”, leur règlement disciplinaire… Mais cette évolution n’a pas eu que des effets positifs. L’école a en effet mis le doigt sans s’en rendre compte dans l’engrenage de la marchandisation, de la logique concurrentielle du marché, de la logique du marketing. On en est arrivé à une situation où chaque établissement dispose de son propre projet et se place en position de producteur, de donneur d’offre, vis-à-vis du client-famille. Dans ce schéma, l’école est parfois fragilisée. Même remarque à propos du slogan “l’école de la vie”. Honorable : on a voulu sortir de l’école prison, de l’école caserne. Je peux comprendre cela. Mais avant d’ouvrir les portes et les fenêtres de l’école sur la vie, il fallait en peser les conséquences. Si la vie pénètre dans l’école, ce n’est pas seulement sous ses meilleurs aspects. C’est aussi avec toutes les casseroles qu’elle traîne, notamment la violence sous toutes ses formes. Car la vie, c’est aussi la survie, la prédation, la concurrence, l’ins- tinct territorial… Vous dites requalifier le territoire scolaire. Que voulez-vous dire ? Il faut recréer des clôtures symboliques. Depuis une dizaine d’années, pour se protéger de la violence de la vie, on a érigé des murs, reconstruit des clôtures, avec des vigiles, etc. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas le faire, mais ce n’est pas viable à terme. Si on avait gardé les clôtures symboliques, on aurait pu éviter cela. D’abord, il faut cesser de dire aux parents et aux enfants que l’école c’est la vie. C’est aussi autre chose. Ce n’est pas un lieu de vie ordinaire. Ou alors, elle doit sacrifier sa mission. L’institution scolaire a une mission. Pour cela, elle a besoin de moyens et d’un cadre institutionnel bien circonscrit. C’est ça la clôture symbolique. Mais cela ne viendra pas tout seul. Chacun à son niveau – le maître dans sa classe, le chef d’établissement dans son école, les pouvoirs organisateurs, le ministre de l’éducation à son niveau – doit réaffirmer que l’école est un territoire à part. Cela ne veut pas dire un univers fermé, mais un territoire différent. Il faut qu’il soit clair pour l’enfant que quand il pénètre dans l’école, d’autres règles s’appliquent, qu’une autre culture y a cours. Ce n’est plus celle du trottoir, ce n’est plus celle de sa famille. Famille et école doivent-elles revenir sur leurs positions d’antan ? Elles ont des missions différentes et sont confrontées à des enjeux différents. La mission de la famille est de transmettre et de faire circuler l’amour et son défi majeur est comment faire circuler l’amour en créant le moins de folie ou de névrose possible. La mission de l’école est de transmettre l’héritage, le savoir et la culture d’une génération à l’au- tre. Son défi : comment transmettre cet héritage en générant le moins d’exclusion possible ? Tout en sachant que de l’exclusion il y en aura toujours. Pour autant, on n’en revient pas comme avant au chacun pour soi. Il doit y avoir des points de jonction. Mais le fait de dire qu’on doit collaborer, que l’éducation est une tâche commune, ne doit pas obérer le fait que famille et école restent deux rouages bien différents. Qui doivent s’engrener. Reste que des professeurs doivent enseigner le respect, la politesse, sanctionner la violence. Avant, il s’agissait de missions familiales… Ce n’est pas tenable ! Si on pousse cette logique à son terme, l’école ne pourra plus fonctionner. Il ne faut pas généraliser : la majorité ce sont des familles complètement paumées qui se rendent compte qu’elles ont un problème d’autorité mais qui ne savent plus quoi faire parce que c’est trop tard. Les premiers conditionnements à l’autorité se font avant l’âge de 2-3 ans. Si l’obéissance et le respect n’ont pas été inculqués dès cet âge-là, on aura des difficultés après. Et plus on attend, plus les problèmes seront graves. MICHEL DE MUELENAERE SIGNES D’AUTORITÉ La férule On apprenait sous la férule d’un maître à l’époque où l’apprentissage revenait, pour l’essentiel, à enfoncer mécaniquement quelque chose dans le crâne des enfants – on croyait, à l’époque, qu’une calotte avait l’heur de déclencher l’activité des « petites cellules grises » chères à Hercule Poirot. La férule désignait une petite palette en bois ou en cuir avec laquelle on frappait la main des écoliers en faute – la férule, on le sait moins, désigne d’abord une grande plante ombellifère dont la tige robuste, une fois séchée, se prêtait merveilleusement à cet usage. Daudet, dont la scolarité dut être particulièrement traumatisante, évoque « le seau plein de saumure (…) dans lequel trempaient les férules pour rendre le cuir plus cinglant ». Voilà belle lurette que la férule – comme la badine – a quitté la panoplie de l’enseignant qui, désormais, n’a plus que sa pédagogie à apposer à l’indolence de l’élève. Et cela se passe beaucoup mieux. Surtout pour les élèves. (S.D.) 8458000 1NL 24* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants Contexte global : il y a malaise, dans la profession enseignante La relation prof-élève est plus complexe à gérer qu’avant. À l’occasion, elle est carrément conflictuelle. Un malaise qui se superpose à une crise globale du métier d’enseignant. SIGNES D’AUTORITÉ L’exclusion définitive C’est l’arme absolue contre les irréductibles. Mais son usage est minutieusement réglementé par le décret « missions » du 23 septembre 1997. Ainsi un élève ne peut-il être définitivement exclu que si les faits dont il s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un membre du personnel ou d’un élève, compromettent l’organisation ou la bonne marche de l’établissement ou lui font subir un préjudice matériel ou moral grave. Si la gravité des faits le justifie, le chef d’établissement peut écarter provisoirement l’élève de l’école pendant la durée de la procédure d’exclusion. L’exclusion définitive, dûment motivée, est signifiée par lettre recommandée aux parents de l’élève qui disposent d’un droit de recours (non suspensif) auprès du ministre. (S.D.) C ’est un élément avec lequel l’école doit compter depuis quelques années, et qui sévira un bout de temps encore : la profession enseignante est en pénurie. On manque de profs. Et beaucoup de jeunes, à peine campés sur l’estrade, détalent à la moindre occasion. Malaise ? Il a été perçu et décrit dans une série d’enquêtes. Et la relation enseignant-élève, difficile, plus complexe que naguère en tout cas, en est un facteur-clé. Difficile d’analyser cette relation maître-élève sans peindre d’abord le malaise global de la profession. Professeur à l’UCL et directeur du Girsef (Groupe interfacultaire de recherche sur les systèmes d’éducation et de formation), Christian Maroy a enquêté, en 1998-1999, sur le degré de satisfaction des profs. « Notre première question était “Êtes-vous satisfait d’être enseignant ?” Là, de 65 à 70 % des profs se disaient “moyennement satisfaits” ou “satisfaits”. En soi, ce n’est pas mal. Mais au même moment, le nombre de travailleurs belges se disant satisfaits de leur métier atteignait 80 %. » Autre question de l’enquête : « Si vous en aviez la possibilité, quitteriez-vous l’enseignement ? » Là, 20 % des profs se disaient prêts à quitter totalement le métier, 40 % partiellement. Malaise ? Christian Maroy le confirme. Mais distingue : il évoque un mal-être collectif (celui de la profession) et le malaise individuel, lié au vécu de chacun. Le malaise collectif ? Les enseignants ont le sentiment d’être dépossédés de leur métier, atteints dans leur autonomie. Ici, Maroy évoque d’abord un « cadrage de plus en plus important de la pratique pédagogique » par le politique – allusion à ces réformes qui se sont enchaînées à partir des an8431400 Parlons d'avenir Nous rencontrer, choisir, vous préparer Lundi 26 juin i-day rhétos De fin juin à fin septembre Du 21 août au 1er septembre Du 21 août au 8 septembre Université catholique de Louvain 1NL UCL i pour s'informer, s'inscrire à Louvain-la-Neuve et à Bruxelles inscriptions à Bastogne, Bruxelles, Charleroi, Chimay, Eupen, Louvain-la-Neuve et Tournai cours d'été en sciences humaines à Louvain-la-Neuve cours d'été en sciences à Louvain-la-Neuve et à Bruxelles Tous les détails : www.uclouvain.be/rhetos Tél. 010 47 87 00 25* Jeudi 1er juin 2006 nées 90 (décret-réussite, décretmissions, contrat pour l’école, etc.). Pendant ces mêmes années 90, les profs, en conflit avec le politique, ont subi des revers (ils n’ont pu empêcher les pertes de l’emploi) ou ont eu l’impression d’en subir (sur le plan salarial). « Les enseignants, comme groupe, sentent que leur place vis-à-vis de l’Etat a changé et que leur capacité de négociation des aspects de leur profession est plus difficile. En sus : la profession se donnait l’image, pas fausse, d’être investie d’une mission dépassant l’intérêt personnel. Les grèves ont lézardé cette image altruiste. » L’enseignant se sent aussi menacé dans son autonomie par les parents (désormais clients du marché scolaire), auxquels, en sus, le législateur accorde de plus en plus de prérogatives (notamment via le Conseil de participation de l’école ou les possibilités de recours contre les décisions du Conseil de classe…). Voilà donc les racines du malaise collectif, auxquelles se greffent les explications générales, non spécifiquement belges : le prof n’a plus le monopole du savoir (« Il n’est plus une… rareté », dit Maroy). Pour ce dernier, le malaise individuel est, lui, essentiellement déterminé par trois facteurs : la qualité de la relation (bonne ou mauvaise) avec le directeur, la qualité des relations avec les collègues et, bien sûr, élément central, la vie en classe, la possibilité ou non d’enseigner dans de bonnes conditions. Se pose ici, centralement, la question de l’autorité. « L’autorité, c’est le fait que le pouvoir est accepté, légitime. Et là, il y a une évolution culturelle globale : comme la famille, l’école n’est plus une institution qui peut se fonder sur sa propre tradition. Le prof ne peut plus imposer la norme par simple fait qu’il est l’aîné. Il y a une “procéduralisation” de la norme. Il faut l’adhésion. C’est neuf par rapport aux années 30, 40, 50. Et ça commence à basculer dans les années 60. Quand chacun commence à se considérer comme un sujet qui peut contribuer à construire la norme collective. C’est lié à la montée de l’individualisation. La société doit s’organiser en fonction du bonheur de chacun. Et chacun définit les formes de son propre bonheur. Il n’y a plus de normes ou d’institutions, en position de surplomb, qui puissent dicter les rôles à suivre sans assentiment. Certes, l’école garde une légitimité naturelle, comme vecteur de savoirs. Mais de façon générale, la norme n’est légitime, acceptée, que si elle est définie au moyen de procédures qui en appellent à la participation de chaque individu du groupe. » Maroy croise ce phénomène avec celui de la massification de l’école – notamment due à la portée de l’obligation scolaire à 18 ans. Le système belge, fondé sur la ségrégation (par les pratiques du redoublement, orientation en technique/professionnel, etc.) a créé des ghettos, avec ici les bons publics et, là, les ados en rejet de l’école. Cela dit : « Même dans les “bonnes” écoles, l’enseignant se plaint. Soit à cause de ce rapport nouveau par rapport à la norme. Soit par des effets de dénigrement d’élèves de milieux socialement très favorisés à l’égard du professeur. » PIERRE BOUILLON DE MON TEMPS… Thierry Boutsen, 48 ans Ancien pilote de Formule 1 « Mes parents avaient une autorité positive qui s’exerçait dans mes choix journaliers et de vie. Ils ne m’imposaient rien mais me faisaient comprendre pourquoi telle ou telle décision était plus judicieuse. À l’école, les professeurs avaient une certaine autorité de par leur position. Ils étaient respectés, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Par contre, le service militaire évoque pour moi l’autorité bête et méchante. » (A.G., st.) 8407370 w w w. u l g . a c.be Université de Liège Partenaire de ton a venir Un avant-goût de l’Université ? Nous te préparons durant l’été ! Des doutes ? Nous en discutons ensemble ! Un bon plan logement, sportif ou culturel ? Nous te conseillons ! Décision prise ? Deviens étudiant à l’ULg ! INSCRIPTIONS DU 3 AU 14 JUILLET ET DU 17 AOÛT AU 29 SEPTEMBRE 2006 PLACE DU 20-AOÛT, 7 +32(0)4 366 52 49 [email protected] 1NL 26* Jeudi 1er juin 2006 Chapitre 2 Profs-enfants M. Dur a de l’autorité… M. Dur a de l’autorité. Il ne sait pas pourquoi. C’est comme ça. Les élèves ne l’aiment pas. Mais il est craint. Et, pour lui, c’est ce qui compte… Caricature a. M onsieur Dur a 59 ans. Et son « modèle pédagogique » (l’expression, déjà, le fait rire…), ce n’est ni Decroly. Ni Freinet. Ni Dieu sait quel abruti à qui l’on doit la ruine lente, mais sûre, de l’édifice scolaire. Non : son modèle à lui, c’est Winston Churchill. « Je ne vous promets que de la sueur, du sang et des larmes. » Voilà le mot d’accueil qu’il sert à 8407420 We create the future MATINÉE PORTES OUVERTES BACHELIERS - MASTERS Y Sciences de gestion révisorat et expertise comptable, finance, management des PME, marketing Y Ingéniorat de gestion méthodes quantitatives et informatique de gestion Y Sciences politiques relations internationales et management public Y Sciences humaines et sociales information et communication Y ses élèves en début d’année. Et les présentations faites, M. Dur entame son cours. Il enseigne les mathématiques. Le cours qui angoisse et qui buse. Et M. Dur pense ceci : un élève qui trouille, c’est un élève qui file doux. Et dans sa classe, on se tait. C’est un principe sacré. Auquel lui, législateur absolu des lieux, n’a prévu aucune dérogation. Ici, on se tait. C’est sa loi. Il n’y en a aucune autre. M. Dur a de l’autorité. Il ne sait pas pourquoi. C’est comme ça. C’est naturel. C’est sans doute dû à son physique lourd, sa barbe en collier, sa voix de baryton et ses mains aussi larges que des palettes de boulanger. Il est peut-être… dissuasif. Il tolère des questions – pas trop. Il exclut toute discussion. Le mot « débat » l’agace (débat-on des mathématiques ?) Il n’y a pas à débattre chez lui. M. Dur pense que discuter avec l’ennemi – parce que l’élève, c’est devenu ça, potentiellement, il ne faut pas être naïf –, c’est déjà baisser la garde. M. Dur pense ceci : il sait, ils ne savent pas. Un cours est forcément une voie à sens unique. Qu’est-ce qu’un élève pourrait lui apprendre ? Je sais : ils avalent. Je donne : ils prennent. S’ils veulent. Et s’ils ne veulent pas, il s’en fiche. Du moment qu’ils se taisent. M. Dur a 59 ans. C’est sa dernière année d’école. Et il se dit : tant mieux. L’enseignement, ce n’est plus ce que c’était. Au début, dans les années 70, ça oui. Les jeunes en voulaient. Et il en a formé des futurs ingénieurs, des matheux solides – d’ailleurs, il les revoit souvent, ses anciens. Ah ! ses premières classes ! Des jeunes épatants ! Il s’est amusé, à l’époque – oui, on peut dire ça : il s’est amusé. Mais là, aujourd’hui, ce sont des veaux. Des décérébrés. Des comateux. Des corps mous emballés dans des vêtements pratiquement aussi informes que leurs occupants. C’est clair pour lui : le niveau baisse. Les élèves tournent fou. La société se déglingue. Les parents démissionnent. Les ministres de l’Enseignement sont des abrutis, aveuglés par des gourous qui n’ont jamais touché un bout de craie. Et tout ça n’est plus pour lui. En attendant, et jusqu’à sa dernière minute de prestation, la loi restera sa loi. Ici, chez lui, pas de nombril apparent, pas de portables (même éteints, il ne veut pas voir ça), pas de casquette, pas de MP3 (« Je vois, je saisis », article 2 alinéa 3 de son code pénal à lui). Et pas de tutoiement – quelle horreur !… –, pas de prénom, pas de familiarité. Un jour, ça remonte aux années 1981 ou 1982, un élève a osé perturber le déroulement d’une intégrale en lançant Dieu sait quel début de chahut. M. Dur l’a empoigné, serré au col et jeté dans le couloir. À l’époque, c’était permis. Le directeur approuvait. Et les parents soutenaient. Maintenant, on risque l’inspecteur, l’avocat de la famille, le délégué général aux droits de l’enfant et Dieu sait qui d’autre. Les élèves ne l’aiment pas ? Il sait ça. Il est craint : c’est ce qui compte. Les autres profs ricanent dans son dos ? Il sait ça. Mais il ricane aussi. Chez ses jeunes collègues (à peine mieux habillés que leurs élèves, notez), ça discute, ça débat – Ah ! ce mot… À son estime, ça chahute, surtout, chez les pédagogues-démagogues. Ici, c’est chez lui. Et chez lui, il fait ce qu’il veut. Et chez lui, c’est sang, terreur et matière. PIERRE BOUILLON Passerelles pour bacheliers et gradués 8281040 UNE FORMATION DE QUALITÉ. UNE UNIVERSITÉ PROCHE DE SES ÉTUDIANTS !"# !$% H HW H 6HUYLFHV6RFLDX[ H HW H 3XpULFXOWXUH Membre de l’Académie universitaire ‘Louvain’ 1NL H 3XpULFXOWHXUWULFH H HW H $X[LOLDLUH)DPLOLDOHHHW6DQLWDLUH H 3URIHVVLRQQHO%&RPSOpPHQWHQPRQLWRUDW SRXUFROOHFWLYLWpVG¶HQIDQWV62 H 3URIHVVLRQQHO&&(66 www.fucam.ac.be Facultés Universitaires Catholiques de Mons Chaussée de Binche 151 - B-7000 Mons Tél. +32 (0) 65 32 33 27 - [email protected] +{SLWDO(UDVPH ,QILUPLHUqUHV+RVSLWDOLHUqUHV%UHYHWpHV DQVOLEUHFLUFXODWLRQ&((&(66HQILQGH UH DQQpH Jeudi 1er juin 2006 27* … et M. Mou n’en a guère Monsieur Mou n’a pas d’autorité. Il ne sait pas pourquoi. C’est comme ça. Donner cours ? C’est parfaitement impossible. Caricature b. D enis Mou a 24 ans. Et il gardera un souvenir assez mauvais, il faut le dire, de la toute première minute de cours de sa vie. « Bonjour. Eh bien, voilà : je m’appelle Denis. Et là, je vais peutêtre me présenter pour… » Un malabar l’a coupé : « Pourquoi tu dis “peut-être” ? T’es pas sûr ? » Le chahut a commencé là. Et huit mois plus tard, il n’est pas encore complètement terminé. Denis Mou a tout essayé : la méthode douce, le dialogue, la discipline autogérée, cogérée, le contratdiscipline collectif, la dictature éclairée et la manière forte (là, la DE MON TEMPS... classe a beaucoup rigolé). Mais rien ne marche : il ne les tient pas. Donner cours ? C’est une lutte. C’est un corps-à-corps permanent. C’est une épreuve qui scie les nerfs, qui pompe l’énergie, et qui casse la voix. Denis Mou n’a pas d’autorité. Il ne sait pas pourquoi. C’est comme ça. Il a une absence d’autorité… naturelle. C’est peut-être dû à son air juvénile et sa voix haut perchée. Peut-être… Pourtant, il bosse, Denis. Pendant les congés, il suit des formations, des conférences et il bouquine-bouquine-bouquine. Et en soirée, chez lui, après l’école, il prépare-prépare-prépare. À la salle des professeurs, il s’est fait accrocher par M. Dur, son collègue du degré supérieur de la section générale : « Pourquoi donc, le soir, chez vous, préparez-vous des leçons qu’une fois en classe vous n’êtes pas capable de donner ? » Salopard… Dur, lui, il ne prépare pas ses cours. Et dans la classe un murmure relève du chahut – vite réprimé. Denis, lui, il pense que c’est évidemment plus facile de donner maths à des maths fortes que d’enseigner morale et citoyenneté aux jeunes de 3e professionnelle. Il tente d’intéresser ses élèves. À l’occasion, il a tenté de les brancher sur des thèmes qui les tou- chent : la drogue, le rap, le sexe, la violence, l’islam, l’anniversaire de Tchernobyl ou les élections. Pour l’islam, Tchernobyl et les élections, il n’a pas pu en placer une parce que ça ne les intéressait pas. Pour la drogue, le sexe, le rap et la violence, il n’a pas pu en placer une parce qu’ils en savaient plus que lui – et ils lui ont vite fait savoir (seraitce ce jour-là, ou un autre, qu’il s’est fait traiter de bouffon ?) « N’êtes pas assez dur, lui a dit M. Dur. Les élèves sont naturellement sournois. Et vous, vous les caressez dans le sens du poil. Mais cassez-les, jeune homme ! Ne discutez pas et cassez-les ! » Denis, lui, il pense que l’autorité, c’est une négociation et un assentiment collectif autour des règles. À défaut, pense-t-il, c’est un stupide rapport de forces. Dur et lui, sur ce point, ne sont pas d’accord. Au fait, ils ne sont jamais d’accord sur rien. Et quand Denis dit que les « élèves, quelque part, lui apportent beaucoup » et qu’il « tire au fond énormément de choses de son contact avec les jeunes », Dur ricane : « Mais que peuvent-ils donc vous apporter ? À part des ennuis ? Et du bruit ? » L’inspecteur est venu, il y a quelques semaines. Et ce jour-là, ils ont été calmes – il faut dire que le directeur était là et que le préfet de discipline rôdait pas loin, pas là mais bien visible. L’inspecteur était content. Il s’est à peine étonné des traces de pas sur les bancs, du taux élevé d’absentéisme, de quelques mégots traînant au sol et des insultes écrites à l’envers du tableau (c’était plus méchant que bouffon, là…). Denis aime ses fauves, quand même. Ses fauves aussi, ils l’aiment bien – c’est ce qu’ils disent, en tout cas. Mais Denis est usé. Il en a trop vu, en un an. Il achève sa première année d’enseignement. Il a décidé ceci : ce sera aussi sa dernière. PIERRE BOUILLON SIGNES D’AUTORITÉ Le journal de classe « C’est, professe un enseignant, le baromètre de l’élève. » A cet égard, un journal de classe plein de blancs révélerait, pour user de la même métaphore météorologique, d’une assiduité à nébulosité variable. Le journal de classe est le lien régulier entre l’école et les parents qui, dans beaucoup d’établissements, sont invités à le signer régulièrement. Il doit être complété au jour le jour. L’élève doit en disposer à tout moment. Et le présenter, à peine de sanction, au professeur qui le lui demande. (S.D.) 8480720 Fabienne Bister, 42 ans Administrateur dél. de Bister « C’est mon papa qui faisait le plus preuve d’autorité. Ma mère était plus ouverte au dialogue et à l’échange de points de vue. À l’école nous étions en uniforme et nous n’imaginions pas ne pas obéir. Quand j’étais adolescente, un prof était terrorisé par ses élèves qui en profitaient. La personnalité du prof déterminait en général si les élèves chahutaient ou non. Si vous êtes bien dans votre tête et dans votre rôle, l’autorité est naturelle. » (C.E., st) 1NL 28* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants « Il faut beaucoup gendarmer » Quarante années de carrière dans le rétroviseur : personne, mieux que Madame D., ne peut juger de l’évolution de l’école et de ceux qui la peuplent. M adame D. vouvoie ses élèves. Et rien, en quarante années de carrière, n’est venu remettre fondamentalement en cause cette option moins inspirée par quelque coquetterie langagière que par l’idée qu’elle se fit d’emblée du rapport qu’il convenait d’établir avec eux : un respect réciproque dans « la distance souhaitable » dont ce vouvoiement lui paraît le premier gage. Beaucoup de choses, pourtant, ont changé dans cet établissement réputé du Tournaisis où Madame D. aura fait toute sa carrière de professeur de mathématiques – « Un métier fantastique qu’il me coûtera beaucoup de quitter », dit-elle. L’école, qui n’accueille alors que des filles, est encore dirigée d’une main de fer par une religieuse lorsque Madame D. y fait son entrée en 1966. « Il y régnait une discipline très très stricte, même pour les professeurs », se souvient-elle. Les couloirs de l’école, dont la traversée s’apparente aujourd’hui à un slalom entre élèves en vadrouille et cartables abandonnés, ne sont alors parcourus, à heures fixes, que par des escouades savamment alignées de jeunes filles en uniforme entre lesquelles les religieuses circulent en serre-file. Des élèves toutes pareilles : chemisier bleu ciel avec trois piqûres au col, jupe bleu marine – « Trois plis devant, autant derrière » – cravate rouge, socquettes blanches. La proclamation des résultats, en fin d’année, se déroule dans le silence le plus absolu en présence des 250 élèves : « Maintenant, vous pouvez toujours y aller… » Chaque mois, les jeunes pensionnaires – presque toutes sont internes – reçoivent une carte dont la teinte varie selon que leur comportement a été jugé perfectible ou irréprochable. Les manquements à la discipline sont toujours véniels : ce sont des jeunes filles sages. Et nul ne songerait à contester un système qui tire une justification quasi immanente de l’environnement social de l’école : « Les élèves sont issues d’un milieu privilégié qui fait grand cas de leur éducation. Elles sont très bien élevées. Il était facile, à l’époque, d’avoir de l’autorité. » Puis, insensiblement, l’école a changé parce que le monde changeait. Un jour, la direction de l’école a été confiée à des laïques, sans doute plus enclins à composer avec les réalités ambiantes. En 1973, on a cessé de donner cours le samedi. L’uniforme a été « allégé », puis supprimé. Les rangs se sont peu à peu débandés. L’obligation scolaire a maintenu plus longtemps à l’école un contingent disparate d’élèves traîne-la-patte plus difficile à mobiliser. Et les premiers garçons ont fait leur entrée dans l’établissement en 1981 : « La mixité a changé l’ambiance des cours, estime Madame D. On s’est d’emblée trouvés confrontés à ce besoin qu’ont cer- tains garçons de faire le coq dès lors qu’il y a des filles. » L’établissement a malgré tout su rester « une école ou l’on travaille ». Et même plus qu’avant : « En mathématique, les programmes sont plus durs et l’on a moins de temps. » En face, il y a surtout moins d’attention, moins de motivation, moins d’application : « Les élèves qui nous arrivent aujourd’hui restent, pour la plupart, bien éduqués mais, depuis une dizaine d’années, leur rythme de vie a changé. Ils sont sollicités de toutes parts : ils sortent, ils “chattent”, ils surfent sur internet, se dispersent entre une kyrielle de loisirs. L’école, c’est clair, n’est plus le centre de leur vie. Ils ont bien souvent perdu en rigueur ce qu’ils ont gagné en spontanéité. Ils connaissent beaucoup de choses, aurent Berger vient d’obtenir sa mutation : à la rentrée de septembre, il aura quitté cette école « à discrimination positive » de Bruxelles où, romaniste, il aura enseigné durant plus de dix ans. Il a choisi de partir, dit-il, avant d’être aigri. Avant « de céder au cynisme ». Avant d’abdiquer les quelques principes qui ont toujours guidé sa vocation de professeur. « Je défends l’idée que l’enseignant est un passeur, explique-t-il. J’ai une conception un peu républicaine de l’école qui doit être l’instrument de l’émancipation pour tous – une vision à la Jules Ferry. Je suis de gauche. Je pense qu’il faut donner des armes – de bonnes armes ! – aux L IRUPDWLRQV 1NL STÉPHANE DETAILLE « J’ai choisi de partir avant d’être aigri » 8407410 UXHGHOD3RVWH %UX[HOOHV WpO ID[ HPDLOLQIR#LVIVFEH VLWHZZZLVIVFEH mais superficiellement. Ils sont moins concentrés, plus dissipés. Il faut beaucoup gendarmer, déployer des trésors de créativité à la seule fin de capter leur attention et de soutenir leur intérêt : toutes choses qui réclament de l’enseignant un surcroît de travail. » Les parents aussi ont changé. Toujours concernés, bien sûr, mais moins disponibles. Et plus démunis dans une fonction dont les repères se sont estompés : « Ils attendent davantage de l’école qu’elle les supplée dans l’éducation de leurs enfants alors que, paradoxalement, ils soutiennent moins les enseignants – même s’ils les accablent rarement. Beaucoup viennent aux réunions en espérant s’entendre dire que tout va bien. » %DFKHOLHU$VVLVWDQWHVRFLDOH %DFKHOLHUHQ&RPPXQLFDWLRQ %DFKHOLHUHQeFULWXUHPXOWLPpGLD &RQFHSWLRQGHVLWHV,QWHUQHWGHERUQHV HWGHGYGLQWHUDFWLIV +$87( e&2/(*URXSH,&+(&,6&6$,17/28,6,6)6& pauvres. » Malgré quoi, il est venu buter, comme une abeille contre une vitre, sur une réalité qu’il n’a pu changer. Au contraire : tout ce qui, une décennie durant, avait mortifié ses convictions s’est sournoisement radicalisé. Ces années-là, Laurent Berger les a passées dans une école difficile, au cœur d’un quartier qui, sans doute, ne l’est pas moins. Un bahut de 570 élèves – majoritairement des filles –, presque tous issus de l’immigration. « Je ne me suis jamais soucié de leurs origines, dit-il. Un élève est un élève. À charge pour moi d’en faire un citoyen. » Mais cette seule mission-là – Laurent Berger ne sera pas long à s’en rendre compte – est déjà considérée avec hostilité dans un milieu qui, dit-il, regarde comme suspect quiconque prétend enseigner la diversité, la complexité. « Ce n’est pas tant les violences physiques ou verbales qui m’ont abasourdi. Même si elles sont réelles : aujourd’hui encore, j’évite de tourner le dos à certaines classes. Non, ce qui m’a consterné, c’est le milieu lui-même. Le ghetto. Un monde cloisonné, replié sur lui-même, et qui, en l’absence de toute espèce de mixité, a fini par développer une suridentité proche du 29* Jeudi 1er juin 2006 tribalisme : une culture clanique, intolérante, prosélytique, dont les références empruntent tout à la fois à l’endoctrinement de l’islam radical et de la société de consommation. Ici, ce n’est plus le prof, le savoir, la connaissance qui font autorité, mais les gourous : ceux de la pub et les autres. Un milieu où il est mal vu d’enseigner Darwin ou Voltaire. Où l’intello est regardé comme un traître parce qu’il prétend diffuser des valeurs. Où le contrôle social est tyrannique. Où les élèves refusent de se rendre au théâtre ou au musée. Où les efforts que vous faites pour les aider à s’élever sont conspués parce qu’ils heurtent la logique victimaire qui fonde une bonne part de leur identité. Où vos discours humanistes vous sont retournés en pleine gueule, vous laissant le plus souvent à quia parce que c’est vrai qu’il est toujours aussi difficile de trouver un job quand on s’appelle Mohamed. » Laurent Berger s’accroche. Même si, dit-il, « les conditions de la transmission ne sont pas réunies » dans une école zieutée par des ca- méras de surveillance, où l’accès se fait par un sas de sécurité, où la sécurité est devenue une affaire de procédures semi-carcérales. Difficile, surtout, de travailler sur des objectifs à long terme : des préfets qui finissent tôt ou tard par jeter l’éponge – « J’en ai connu quatre en dix ans » –, des profs qui s’encourent – « Certains n’ont pas tenu trois heures » – des élèves qui pratiquent le nomadisme scolaire – « Impossible de se forger une réputation : tout est à recommencer tous les jours. » Les cours sont épuisants : « Une classe, ici, n’est qu’une somme de cas. Chaque élève arrive au cours avec le poids de son vécu. L’enseignement se pratique par bribes, durant les quelques minutes propices que votre humour et votre expérience – la pédagogie et le dialogue ne suffisent plus – ont pu ménager pendant l’heure de cours. Vous pratiquez la lenteur, la réflexion, devant un public adepte du zapping et de l’immédiateté. J’ai pu, jusqu’ici, m’exprimer assez librement. Mais l’addition est salée. » Elle a coûté à l’enseignant des trésors d’humour, de psy- chologie et de philosophie personnelle – elle l’aura soutenu aussi solidement que sa passion pour l’écriture. En janvier dernier, Laurent Berger a compris qu’il était temps « de partir construire autre chose ailleurs ». Il a demandé sa mutation. Il part sans amertume. Fier, même, « du peu qu’il a pu faire » dans des conditions difficiles. Satisfait, aussi, d’avoir été à la pointe du combat lorsqu’il s’était agi, en 2003, d’obtenir de l’école qu’elle interdise le port du voile, devenu « un instrument de prosélytisme ». Il n’a renié aucune de ses convictions. Au contraire, dit-il, d’un système « qui ne pratique plus l’émancipation », qui assiste sans moufter « aux ravages de la société de consommation », qui fait si peu de cas « des passeurs de savoir » : « On ne peut, dit-il, que s’interroger sur une société qui envoie des enfants de sans-papiers dans les centres fermés et qui laisse courir des agresseurs de prof sous prétexte qu’il n’y a plus de place pour eux dans les centres fermés ». DE MON TEMPS... Brigitte Becue 33 ans, nageuse « Mes parents m’ont toujours laissé une certaine liberté. Je pouvais dire ce que je voulais, tant que mes propos étaient modérés et respectueux. Les professeurs, eux, étaient autoritaires. Lorsqu’on est jeune, on pense que c’est sévère mais c’est en fait nécessaire pour connaître ses limites. Les professeurs jouaient un rôle important dans notre vie, davantage que les entraîneurs que nous ne voyions que deux heures par jour. » (A.G. st.) STÉPHANE DETAILLE 8430560 U N I V E R S I T É L I B R E D E B R U X E L L E S , U N I V E R S I T É D ’ E U R O P E choisir l’ULB …c’est découvrir une université complète. Plus de 20.000 étudiantes et étudiants viennent y construire leur avenir. Située au cœur de l’Europe, l’ULB fonde sa réputation internationale sur un lien étroit entre un enseignement et une recherche de qualité. Depuis sa création, l’ULB se caractérise également par une tradition de tolérance, d’indépendance et de défense des libertés. CHOISIR L’ULB C’EST PARTAGER LE GOÛT DE LA DÉCOUVERTE, JOUR APRÈS JOUR. OUVERTURE DES INSCRIPTIONS : 26 JUIN 2006 Renseignements : 02 650 20 30. Les inscriptions se feront à : ❚ Bruxelles : Avenue Buyl 87A - 1050 Bruxelles. du 26 juin au 20 juillet et du 18 août au 30 septembre 2006. Du lundi au vendredi de 9h30 à 16h ❚ Nivelles : Rue des Canonniers, 2 - 1400 Nivelles Du 10 au 14 juillet et du 16 août au 13 octobre 2006. Les mardis et vendredis de 15h à 20h. Le jeudi de 9h à 14h ❚ Tournai : Rue des Clarisses, 13 - 7500 Tournai Les 3,5,12 juillet, les 16, 23, 30 août et les 6 et 13 septembre 2006. De 14h à 17h30. ❚ Charleroi : Liaison ULB-Wallonie-Campus de Parentville Rue de Villers, 227 - 6010 Charleroi Du 6 juillet au 13 septembre 2006. Les jeudis de 10h à 12h et de 14h à 16h ❚ Treignes : Ecomusée de la Région du Viroin Rue de la Gare, 81 - 5670 Treignes - Tél. : 060 39 96 24 Du 26 juin au 15 septembre 2006. Uniquement sur rendez-vous http://www.ulb.ac.be M E M B R E D E L ’ A C A D É M I E W A L L O N I E - B R U X E L L E S E T D U P Ô L E U N I V E R S I TA I R E E U R O P É E N D E B R U X E L L E S W A L L O N I E 1NL 30* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants La leçon du skateboard Dans la classe de Stéphane Lambert, la règle se discute, s’interpelle, voire se construit collectivement. Exemple à la clé… C ela se passe à l’école communale de Limelette (Brabant wallon). Un jour, deux grands de primaire apportent leur skateboard et inaugurent un jeu : un enfant s’assoit sur la planche, un autre pousse et les deux skates font la course autour du petit terrain de foot. Le jeu fait vite contagion. Aussi vite, les surveillantes veulent l’interdire. Elles font valoir que les skates risquent de bousculer les petits de maternelles. Stéphane Lambert, instituteur des grands de primaire, propose plutôt de cadrer les choses. Le conseil de classe se réunit. Élèves et instituteur décident ceci : il faudra un « permis de conduire » pour pouvoir participer aux courses (l’examen : une épreuve pratique et quelques questions théoriques). Le permis pourra être retiré si l’usager en fait mauvais… usage. Et deux élèves portant un brassard fluo contrôleront les courses. Le scénario sera validé par le conseil de l’école. Cette histoire, Stéphane Lambert la livrait dans Traces de changement, la revue du mouvement « Changement pour l’égalité ». L’instituteur disant : l’école vivra à l’heure du skate trois semaines durant avant que le foot reprenne ses droits. Mais il en est resté une leçon Au lieu d’interdire le skate à l’école, les élèves ont dû obtenir un permis… pratique de sécurité et un exercice collectif d’élaboration de la règle. Nous avons rencontré Stéphane Lambert dans sa classe. Et quand on lui demande : « Ici, qui est le chef ? » Il répond : « Moi ! Aucun doute là-dessus ! L’enfant a besoin d’une référence. Comme moi j’ai besoin d’une directrice qui soit le chef. Une fois l’autorité installée, on peut se centrer sur le travail. La vraie question, c’est “comment” l’autorité. La réponse fera la différence entre soumission ou éducation. » Alors : comment l’autorité ? « Le point de départ, ce sont des institutions – conseil de classe, conseil d’école. Et c’est aussi : bien connaître l’élève, ses racines, son histoire… » Il raconte aussitôt : « Un jour, je constate qu’un enfant bloque complètement devant sa dictée. Après rencontre avec ses parents et discussion avec lui, je réalise que ses parents le terrorisent en exigeant le résultat maximum. Et il en était incapable. Alors, on a passé contrat : on a fait une fausse dictée pour ses parents, impeccable. Et on en a fait une vraie, pour nous, entre nous. Dilemme, hein ! Car, quelque part, on a “triché” – sauf sur mes exi- gences, que j’ai bien sûr maintenues. En attendant, les parents, sans doute rassurés, ont relâché la pression. L’enfant s’est calmé et s’est débloqué. Voilà pourquoi je dis qu’il faut connaître l’enfant, son histoire, ce qu’il traîne dans son “sac à dos”… » Pour Stéphane Lambert, la règle doit pouvoir être interrogée et discutée. Et comme dit plus haut, édifiée collectivement – en conseil de classe, d’école ou, comme quand l’établissement comptait moins d’enfants, en assemblée des élèves. Tout est donc « discutable », ici ? Il montre quatre affiches collées audessus de la porte. « Non ! Ça, ça n’est pas discutable ! » Ça, ce sont quatre règles de base : 1. nous sommes ici pour apprendre ; 2. chacun a le droit à la parole ; 3. je prends soin de moi et des autres. 4. si nous voulons que quelque chose change, nous y travaillons. Quatre « fondamentaux », au fond, que Stéphane Lambert a élaborés au fil de rencontres, de formations à la pédagogie institutionnelle notamment. « Si les élèves et moi respectons ça, travailler est possible. » Comment agir en cas de tension, de conflit ? « Quand le face-à-face 8506820 Brochure gratuite? 02/513.30.30 Un An d’Etude à l’Etranger QProgramme de cours de 9 mois à l’étranger (possibilité semestre) laces ! QCours à option possible lques p s ste que Q30 destinations emaine lus il re s p z rs e u d ie à plus N’atten s de 2 e QStage en entreprise durant votre séjour le m ib m ss Progra core po l’été en Q4 nouveaux Masters (économie, tourisme, art, IT) durant QPossibilité de passer des examens officiels de langue EF Education, rue de Stassart 117, 1050 Bruxelles, Tél : 02/513.30.30, fax : 02/513.66.99, Lic A 1861 1NL www.ef.com est destructeur, je mets en place un triangle. En cas de conflit entre deux enfants, il faut un troisième acteur – un témoin, un reformulateur, qui peut être l’instituteur ou le conseil de classe. » Il raconte : un jour, quatre élèves se bagarrent dur dans la cour. « On me les amène. Je leur ai demandé d’écrire les faits. Puis d’écrire ce qu’ils ont ressenti. Puis de quoi ils avaient besoin. On a échangé les feuilles. Chacun a lu la feuille des autres. On a parlé. Le conflit s’est réglé comme ça avec, pour chaque enfant, une perception claire de ce que l’autre avait ressenti et de ce qu’il voulait… » Et la punition ? Si un élève perturbe la classe, par exemple ? « Son besoin et le besoin du groupe, qui est de travailler, ne coïncident plus. Je lui propose de l’isoler. Après, on s’explique. » Stéphane Lambert répète le mot sens – règles et sanctions doivent avoir du sens – avant de valser dans ses souvenirs de collège, d’enfance, quand la punition volait bas. « On se prenait 20 pages par ci, 20 pages par là. Pour un rien. Qu’est-ce que ça m’a appris ? Rien. En quoi cela a-t-il changé mon comportement ? En rien. Ça n’avait pas de sens. Seuls résultats : de la révolte et un sentiment d’injustice. » PIERRE BOUILLON DE MON TEMPS… Etienne Davignon, 72 ans Vice-président Suez-Tractebel « Mes parents n’étaient pas spécialement autoritaires, ça dépendait du contexte… Il y avait une répartition logique et égale de l’autorité entre le caractère paternel et maternel. L’affection était puissante des deux côtés. À l’école je supportais mieux l’autorité quand j’étais petit. Plus grand il m’arrivait de la contester. L’école était plus autoritaire à l’époque mais le contexte était différent. » (C.E., st) 31* Jeudi 1er juin 2006 La Madeleine divise les tâches Dans cette école technique et professionnelle de Tournai, les professeurs sont probablement moins seuls qu’ailleurs face aux situations difficiles. SIGNES D’AUTORITÉ Les points d’éducation C’était une grille de 30 cases imprimée dans le journal de classe. Le point de départ était fixé à la case 24 : selon que son comportement le distinguait en bien ou en mal, l’élève progressait ou reculait dans cette grille – que la case « départ » coïncidât avec le 24 en disait long sur l’opinion élevée que l’on se faisait de l’élève, plus susceptible de reculade que de progression. Ceux que leurs manquements amenaient à épuiser la totalité de leur capital risquaient gros : les préfets de discipline savaient comment mâter ces gaillards-là. Ceux que leurs mérites amenaient jusqu’à la case 30 de cet épuisant jeu de l’oie ne gagnaient guère que l’estime de leur professeur, les quolibets de leurs condisciples et, parfois, une image porteuse de quelque maxime édifiante. (S.D.) L ’Institut de La Madeleine, à Tournai : un établissement d’enseignement technique et professionnel qui accueille 530 élèves, dont un bon tiers de garçons. Un public qui, sans être « difficile », « n’est guère en symbiose avec l’univers scolaire », selon l’expression de Rosine Deraedt, la directrice de l’école. La Madeleine n’est plus, comme autrefois, une école de relégation mais la plupart des élèves qui s’y inscrivent ont débuté ailleurs leur parcours scolaire : « La Madeleine est rarement leur premier choix, admet Rosine Deraedt. Mais on constate, depuis quelques années, que leur inscription procède désormais d’une démarche plus volontariste. » Les groupes n’en demeurent pas moins difficiles à gérer. Ici, plus que dans l’enseignement général, les enseignants sont confrontés à l’hétérogénéité des classes – il y a parfois, entre les étudiants, d’importantes différences d’âge imputables à la variété de leurs parcours –, à la grande mobilité d’un effectif très enclin à pratiquer le nomadisme scolaire, au peu de cas que certains élèves font de l’institution scolaire et des règles qui régissent la vie en commun. Mais ici, les professeurs sont probablement moins seuls qu’ailleurs face aux situations difficiles : elles sont, depuis une demi-douzaine d’années, prises en charge par une équipe pluridisciplinaire dont la mission est aussi de les prévenir. Ici, les professeurs ne sanctionnent eux-mêmes que les manquements les plus véniels – ils disposent pour ce faire d’un « recueil de procédures » fixant un modus operandi commun dans neuf situations ré- pertoriées. Les sanctions qu’appellent des manquements plus graves sont prises par d’autres, au nom de la discrimination que l’école entend faire entre le travail scolaire – c’est le domaine réservé du professeur – et le comportement de l’élève. « Journées d’accueil » « À cette distinction répond une distribution des tâches », explique Nadine Horincq, l’assistante sociale de l’école. Selon le degré d’enseignement qu’il fréquente, chaque élève fait ainsi l’objet de l’attention particulière de l’un des trois éducateurs de l’école, et de l’un ou l’autre des cinq coordinateurs de l’établissement – des enseignants spécialement détachés, quelques heures par semaine, pour régler de façon cohérente la kyrielle de problèmes que charrie le quotidien d’une école. Les sanctions, par exemple, sont prises par le titulaire de l’élève, en bonne intelligence avec le coordinateur et l’éducateur qui l’épaulent. « L’élève est entendu sur les faits mais la sanction n’est pas négociable, explique Rosine Deraedt. Le cas échéant, on lui propose une aide. » Des réunions de coordination rassemblent régulièrement la direction et les coordinateurs en présence de l’assistante sociale. C’est l’endroit où l’on prend du recul, où l’on réfléchit au bien-être de l’école, où l’on identifie les problèmes, où l’on imagine les solutions. Comme ces « journées d’accueil » qui reviennent à chaque rentrée scolaire : « C’est l’occasion de développer des solidarités entre les élèves d’une même classe, de leur faire comprendre qu’ils partagent des objectifs communs. De les inviter à réfléchir à certains concepts : la loi, le respect, la sanction… À la dernière rentrée scolaire, on avait cru pouvoir faire l’économie de ces journées dans les classes du dernier degré. On l’a regretté : on a constaté une nette recrudescence de l’absentéisme. Avec la grande rotation de notre population scolaire, tout est constamment à refaire. C’est aussi une remise en question permanente. Le personnel éducatif suit de nombreuses formations : gestion des conflits, animation positive… On tente de dépister les élèves qui ne travaillent pas, de leur parler, de les réorienter, le cas échéant. C’est l’élève qui est au centre de toute notre démarche. Mais, au bout du compte, ce travail aide aussi beaucoup les enseignants. » STÉPHANE DETAILLE 8444690 (&2/('¶$&7(8563$5$//$;DVEO !"#$%#& !'()*+,,,*!'*" 1NL 32* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants Esprit ouvert, porte close L’Institut Don Bosco, à Woluwé-Saint-Pierre, a choisi de confier à la technique les quelques soucis dont elle pouvait le soulager. Le reste est une affaire d’hommes et de femmes. D iscret. Le système de reconnaissance biométrique installé dans le hall d’entrée de l’Institut Don Bosco, avenue du Val d’Or, à Woluwé-Saint-Pierre, est un simple boîtier qui commande le déverrouillage de la porte principale pourvu que son empreinte digitale signale le visiteur comme « une personne autorisée » : élève, professeur ou membre du personnel de l’établissement. Installé depuis dix-huit mois, le système a d’emblée mis un terme aux intrusions qui, jusqu’alors, troublaient épisodiquement la sérénité de l’établissement – il arrivait que des jeunes, étrangers à l’école, viennent chercher noise aux élèves jusque dans l’enceinte de l’institut. « Le système, commente la directrice, Bernadette Devillé, coûte un peu d’argent mais il nous procure une paix que nous n’aurions pu garantir qu’en nous barricadant derrière l’un de ces rideaux de fer dont nous ne voulions pas : l’école doit rester ouverte sur l’extérieur ». C’est singulièrement vrai pour Olivier Strelli 60 ans, couturier La porte de l’Institut Don Bosco ne s’ouvre qu’à ceux dont le système a reconnu l’empreinte digitale. PHOTO ALAIN DEWEZ. une école qui, dans la grande tradition salésienne, a pour vocation d’accueillir tous les jeunes, quels que soient leurs origines, leur milieu et leur culture. Ici, cela fait 639 élèves – dont sept filles – représentant 36 nationalités... Parler, écouter L’établissement a choisi de confier à la technique les quelques soucis dont elle pouvait le soulager. Le système de reconnaissance biométrique ne résout pas seulement le problème de la violence extérieure : il permet aussi d’identifier les retardataires – le contingent moyen des traînards a fondu de 100 à 17 par jour depuis l’installation du boîtier – et de savoir précisément qui – et quand – a franchi la porte de l’école. De la même façon, la généralisation d’une curieuse clef en plastique bleu a réduit à la portion con8480680 1112"-323-4 5-2"-323 / ! ! ""#! $%&'()*(+ ,,-#! $%&./))+$ -0 $%&**(*%$ 0,#! $%&.*$)/$ !" 1NL DE MON TEMPS… grue tous les problèmes que l’argent peut susciter dans une école : ce sésame, qui fonctionne comme une carte Proton, règle tous les achats envisageables dans l’enceinte de l’école. Le reste, tout le reste, est une affaire d’hommes et de femmes : « Ici, explique Stéphane Allard, le sous-directeur, tous les professeurs passent bénévolement deux heures par semaine à surveiller les couloirs, à s’assurer que tout se passe bien dans les classes de leurs collègues, à détecter les situations qui peuvent donner lieu à des problèmes. Les récrés, ils les passent dans l’école, pas dans la salle des profs ». La violence, physique et verbale, est rarissime. Malgré l’hétérogénéité du public – « Il y a ici des enfants de diplomates, des jeunes placés dans des institutions et des allocataires du CPAS », explique Marcel Louis, le chef des travaux – et le vécu parfois douloureux de beaucoup d’élèves : « Tous, on le sait, ne mangent pas tous les jours à leur faim », glisse Bernadette Devillé. La discipline, pourtant, est généralement bien admise : « Les élèves peuvent admettre les règles pourvu qu’ils les comprennent, explique Stéphane Allard. On passe beaucoup de temps à leur parler, à les écouter, à établir une relation de confiance. On essaie aussi que les sanctions aient une portée éducative : je fais toujours se rencontrer l’enseignant et l’élève qui lui a manqué de respect ». STÉPHANE DETAILLE « En famille, nous étions 6 enfants, donc en surnombre par rapport à nos parents… Nous avons pris le dessus, mais tout se passait avec un respect énorme, une écoute, une grande liberté d’expression et beaucoup d’amour. A l’école, ça allait plutôt mal. J’étais assez “chahuteur”, très désobéissant et indocile, mais comme disait mon père c’était un “passage obligé” et je m’y suis adapté. Pour moi, l’autorité doit s’exercer fermement, mais il faut toujours rester à l’écoute de l’autre. Je suis un directif affectif. » (C.E., st.) SIGNES D’AUTORITÉ Le règlement d’ordre intérieur Ce sont les tables de la loi. Avant de prendre l’inscription d’un élève, le chef d’établissement porte à sa connaissance ainsi qu’à celle de ses parents le projet éducatif et pédagogique du pouvoir organisateur, le projet d’établissement, le règlement des études et le règlement d’ordre intérieur comprenant notamment les indications relatives aux sanctions disciplinaires et aux procédures de recours qui peuvent leur être opposées. Son inscription dans une école signifie que l’élève et ses parents en acceptent le règlement d’ordre intérieur. Le R.O.I. varie d’une école à l’autre. L’évolution de la société implique qu’il soit régulièrement mis à jour pour interdire ou endiguer, par exemple, les dernières outrances vestimentaires. Ou pour tenir compte de « phénomènes émergents » comme les blogs dont les contenus, à l’insu de leurs auteurs, violent souvent certains principes garantis par la loi. (S.D.) 33* Jeudi 1er juin 2006 Le ROI, le décret, la liberté… Au-delà des décrets (et du bon sens…), chaque école fixe librement son règlement d’ordre intérieur. Ici, on impose l’uniforme. Là, on prohibe les armes… E n matière de discipline, il y a, au fond, trois niveaux. Dans sa classe, le professeur fixe « ses » règles du jeu (en concertation avec ses élèves, le cas échéant). A un deuxième niveau, l’établissement établit son règlement interne. Au-delà, la Communauté française (par décret, arrêté ou circulaire) pose les grandes règles de base – les écoles étant tenues de s’y conformer. Ces grandes règles de base se nichent pour l’essentiel dans le « décret-missions » de 1997. S’imposent ainsi à toutes les écoles, les règles relatives à la présence aux cours (combien de jours d’absence sont-ils tolérés ?), les modalités d’inscription (à quelles conditions une école peut-elle refuser un élève ?), les possibilités de recours contre une décision du Conseil de classe ou, parmi d’autres encore, les modalités de renvoi (rappelons qu’en vertu du décret-missions : « Un élève ne peut être exclu définitivement que si les faits dont il s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un membre du personnel ou d’un élève, compromettent l’organisation ou la bonne marche de l’établissement ou lui font subir un préjudice matériel ou moral grave »). Au-delà des règles de bases décrétées par la Communauté, la discipline interne est organisée par chaque établissement. Chaque école produit (au moins) trois textes de base (fondus en un document ou séparés, selon les cas) : son projet pédagogique, un règlement des études et un règlement d’ordre intérieur. Ces textes doivent être communiqués à l’élève et/ou ses parents au moment de l’inscription, et signés. Le règlement des études définit les règles en matière scolaire. L’école précise ici ses méthodes d’évaluation, la façon avec laquelle elle communique les résultats aux élèves et parents, etc. Le règlement d’ordre intérieur (« ROI ») évoque plus particulièrement l’organisation pratique de la vie commune au sein de l’école et le comportement de l’élève – dans certains cas, il précise aussi les droits et devoirs des enseignants (comme l’obligation de confidentialité, par exemple.) Ces textes sont bien sûr imbibés des textes communautaires (le règlement de l’école précise généralement, par exemple, les modalités des recours contre les décisions du Conseil de classe). Cela permet des « touches personnelles ». On notera que, même dans le réseau de la Communauté, les écoles ont une marge de liberté. Tel ROI, donc, impose (et décrit) l’uniforme. Tel autre interdit le couvre-chef. Ici, on juge nécessaire de préciser que les armes sont prohibées à l’école et « dans son voisinage immédiat ». Là, on préconise des « cheveux soignés sans extravagance ». Ici, on interdit le pearcing. Là, le ROI évoque le phénomène des blogs en rappelant les règles relatives à la protection de la vie privée… Le ROI fait aussi l’inventaire des sanctions possibles. On notera, entre l’ordinaire retenue et le jour d’exclusion, la pratique de plus en plus générale des « travaux d’intérêt général »… PIERRE BOUILLON DE MON TEMPS... Tatiana Silva 20 ans, miss Belgique 2005 « Le rôle des parents dans l’éducation est essentiel : ils donnent des valeurs. Les professeurs ont un rôle plus complémentaire. Ils sont là pour ouvrir l’esprit des élèves, leur apporter une culture générale. Ma mère était autoritaire pour certaines choses, par exemple au niveau des résultats scolaires. La priorité pour mes parents était que je réussisse mes études. Avoir des amis était plus accessoire. Dans mon école, il y avait une certaine discipline. On devait se mettre en rang avant de rentrer en classe. La discipline est nécessaire, au travail ou dans d’autres domaines. » (Ma.M., st) 8281070 ,,,"*+-" !"#$%&'#$%%()*+*"* ./0 1NL 34* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants Des clés pour que la classe ne soit pas un « théâtre malgré moi » Anne Chevalier, formatrice d’enseignants, livre ses conseils pour un climat serein : être clair, laisser de l’espace à la négociation et, entre professeurs, parler, parler, parler… A nne Chevalier a naguère enseigné les maths au secondaire, avant de travailler en école normale. Actuellement, elle est formatrice à la CGE (mouvement enseignant « Changement pour l’égalité »). Elle s’occupe notamment des questions relatives à la discipline. Elle forme aussi des futurs agrégés à l’université (UCL) et, parmi d’autres activités de forma- tion, « accompagne » des jeunes enseignants d’une école bruxelloise. De son expérience, elle dégage un constat général : « Certains ensei- gnants sont démunis sur les questions de discipline et les outils possibles en la matière. Et ils sont souvent désarçonnés car, dans les classes, les évidences ne sont plus des évi- dences. Oui, quelque chose a évolué : il n’est plus “évident” qu’on ne marche pas sur les bancs. Il faut le dire… » Que faire pour créer, en classe, 8410520 Le prof est-il préparé ? es futurs profs sont-ils préparés aux problèmes d’autorité, de discipline, de gestion des groupes ? Oui – directement ou indirectement. Et c’est assez neuf. La formation d’instituteur (fondamental) et régent (secondaire inférieur) prévoit ainsi, et quel que soit le réseau de l’école normale, une « approche théorique et pratique de la diversité culturelle », un cours de « psychologie de la relation et de la communication », un cours sur les « techniques de gestion de groupe » et un éveil aux techniques de « détection/remédiation des difficultés d’apprentissage ». Chacun de ces modules représente 30 heures de cours. A l’université, les agrégations qui forment le licencié à l’enseignement secondaire supérieur prévoient un module sur la gestion des L 1NL classes (30 heures à l’UCL, par exemple, sur un total de 300 h). Est-ce assez ? Et en fait-on assez dans les domaines plus spécifiques de la gestion de la violence ou du décrochage ? Sans doute que non. Marie-Dominique Simonet, ministre de l’Enseignement supérieur, a chargé le Conseil supérieur pédagogique (réunissant les « patrons » des écoles normales) de l’éclairer sur ce point. On attend son avis. En tout état de cause, les efforts de l’école normale sont salués. « Elle amorce une prise de conscience », dit Anne Chevalier (lire ci-dessus). Celle-ci ajoute qu’un travail sur l’autorité a aussi de l’intérêt une fois l’enseignant en piste, quand il a un « vécu ». Et elle juge « capital » d’assurer un « accompagnement » des profs en début de carrière. PIERRE BOUILLON 35* Jeudi 1er juin 2006 un climat sain ? Anne Chevalier répond : « Il y a souvent des problèmes de discipline parce que la règle n’est pas claire. Dans la relation entre le professeur et les élèves, il y a une large part de règles implicites qui peuvent entraîner des malentendus et laisser beaucoup de place à des jeux de pouvoir, tant du côté des professeurs que des élèves. Il faut être clair avec les élèves. Il faut dire : moi, professeur, voilà ce que j’attends de vous. Et voilà ce que vous pouvez attendre de moi… » La formatrice poursuit : « Dans la relation professeur-élèves, il faut laisser du négociable. Ça fait mieux admettre le non-négociable. Un exemple de non-négociable : le fait qu’il faut lire 10 livres par an pour le cours de français. On peut en revanche négocier les délais et le choix de certains livres. Le négociable permet à l’élève de se faire une place et de s’engager dans l’apprentissage. » En tout état de cause – principe cardinal ! – il faut être cohérent et respecter les règles que l’on demande aux élèves de respecter. Pour Anne Chevalier, l’« autorité naturelle », ça n’existe pas. « Ceux qui pensent ça “risquent leur peau”. Il n’y a pas plus d’enseignants avec de l’autorité naturelle que des enseignants qui, “par définition”, n’en auraient pas. Avoir de l’autorité exi- ge de la confiance en soi. Il faut les pieds sur le sol et ça se travaille. » Au-delà, existe-t-il des structures à mettre en place pour établir une bonne discipline ? Laisser un « différé » entre l’incident et la réaction « Je crois en la nécessité de créer des institutions de régulation et de décisions – conseil des enseignants, conseil de classe, conseil d’école. On pourra y évoquer les incidents qui habitent la vie en groupe. Ou prendra aussi de la distance par rapport aux incidents critiques. Il n’est pas bon de réagir à chaud. Il faut de la sérénité. Il est important de laisser un “différé” entre l’incident et le rappel ou l’édification de la règle. Et puis, on ne doit pas passer son temps à faire la loi. Il faut un lieu et un moment pour ça. » Anne Chevalier juge capital qu’il y ait un dialogue serré entre les enseignants. « Souvent, ils parlent peu entre eux. Ils ne s’accordent donc pas sur les règles. En formation, quand on demande aux enseignants d’une école quelles sont leurs règles capitales, on entend tout. Pour l’un, c’est dire bonjour, pour l’autre, c’est ne pas se battre, pour le troisième, c’est l’interdiction du port de la casquette. Dans une équipe, il faut une cohésion. » Pas de « défaitisme », aussi : « Il ne faut enfouir les incidents anodins. Il ne faut pas fermer les yeux. On peut ancrer son autorité en modifiant de petites choses. En tout cas, il ne faut pas accepter qu’une classe tourne en “théâtre malgré moi”. Il faut lutter contre le défaitisme, parfois entretenu par les collègues, consistant à dire : avec telle classe, rien n’est possible. » Comment punir ? « Nommer la transgression et rappeler la règle est déjà en soi une sanction et on peut s’en tenir là dans 90 % des cas. Au delà, la sanction doit être raisonnable, proportionnée, avoir du sens, être en lien avec la transgression. Mais la sanction pose une question institutionnelle. Un prof qui sévit immédiatement, ce peut être mauvais. Il est sous le coup de la colère. Et si l’indiscipline l’a visé, il est juge et partie. Il faut éviter ça. C’est une règle de base dans la vie collective : elle doit l’être à l’école. Je crois nécessaire de créer, à l’école, des institutions qui gèrent les questions de discipline – et pas seulement des personnes comme l’éducateur ou le préfet de discipline. Des institutions où il y a plainte, relation des faits et, en quelque sorte, “plaidoiries”. Ce qui permet d’intégrer la règle, c’est le sentiment de justice. » PIERRE BOUILLON DE MON TEMPS... Georges-Henri Beauthier Avocat « Pour moi, il y a deux principes. Le premier est le respect de l’autre, la loyauté et la confiance. Le deuxième est qu’il n’y a pas de droit sans obligation. Il faut prendre ses responsabilités. Mes parents m’ont éduqué de façon plus unilatérale. Je ne me moquais jamais de leur autorité. Moi, je suis avec mes enfants pour rire, pas pour gueuler. Mon autorité ne passe pas par les cris. Je suis rebelle à toute autorité arbitraire. Je ne supporte pas les gens qui donnent des ordres pour donner des ordres. Je préfère parler de responsabilité plutôt que d’autorité. Il faut entreprendre et frissonner avec ses enfants. » (Ma.M, st) 8407320 Facultés universitaires Saint-Louis Séances d'information Samedi 24 juin 2006 à 10h Samedi 2 septembre 2006 à 10h Cours préparatoires Août-septembre 2006 Venez découvrir nos programmes de philosophie et lettres, de droit, de sciences économiques, sociales et politiques Facultés universitaires Saint-Louis - Bd du Jardin botanique 43 - 1000 Bruxelles Tél. 02 211 78 11 • Fax 02 211 79 97 E-mail: [email protected] - www.fusl.ac.be L’UNIVERSITÉ DE CHOIX 1NL 36* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants Pression, répression, dépression : l’école dans un cercle vicieux Un livre « coup de boule » (sic) pour secouer l’institution scolaire. Les jeunes nous échappent, disent ses auteurs. Leur propos : on doit, et on peut, changer l’école. DE MON TEMPS... Philippe Dewulf 34 ans, ancien tennisman I ls s’y sont mis à trois. Et le résultat – leur livre – a de la cogne (1). Ces trois-là, c’est Abraham Franssen, Guy Bajoit et Pierre Hardy. Les deux premiers sont sociologues et travaillent à la Faculté ouverte de politique économique et sociale (Fopes) à l’UCL. Le troisième, Pierre Hardy, enseignant, a travaillé en école professionnelle, dans un centre fermé pour mineurs délinquants, en classe d’accueil et comme médiateur scolaire – ouf ! Un itinéraire « en bordure » du système scolaire, là où échoue l’ado éjecté de l’institution, par les mécanismes de relégation que l’on sait. Mais le livre ne se braque pas sur les situations extrêmes. Et fait le constat d’une école globalement en crise. Ce livre « parlera » à tout enseignant, qu’il travaille en professionnelle ou dans un « paisible » (?) bahut où « sous des apparences plus lisses, s’y pose aussi la question du sens de ce que l’on y vit et de ce que l’on y fait ». En introduction, Hardy livre son « coup de boule » – un cri de colère : « La vie dans les écoles est devenue difficile. Les relations entre ses principaux protagonistes – les enseignants et les élèves – se sont durcies. Les jeunes nous échappent. Souvent, on ne sait plus par quel bout les prendre (…). De nombreux établissements adoptent des stratégies défensives, qui aboutissent à un cloisonnement et à un isolement accru des enseignants. Ceux-ci s’efforcent de tenir bon, alors que les repères sociaux et culturels qui légitimaient la pratique de leur métier se 1NL Le modèle disciplinaire a vécu. Il faut réinventer autre chose. PH. PIRAUX. sont transformés. » Il ajoute : « Ce n’est pas un décret sur les missions de l’école qui nous permettra de changer celle-ci. C’est par un changement radical dans la formation des enseignants, par de nouvelles normes d’encadrement favorisant des relations humaines positives, par une responsabilisation des acteurs, par du temps de travail reconnu pour travailler en équipe, par des espaces de négociations et d’évaluations concertées. Bref : par une transformation, dès le fondamental, de la relation de pouvoir entre les différents acteurs de l’école. » On relève que le modèle disciplinaire ne tient plus (« L’enseignant n’a plus le monopole du savoir et la légitimité de son autorité est contestée »). Et l’école « n’a pas encore accompli sa révolution culturelle ». Pire : elle file dans un cercle vicieux : « Plus les élèves sont difficiles, plus les enseignants ont tendance à faire appel à la pression pour les contrôler. Mais plus ils ont recours à ces méthodes qui ne sont plus perçues comme légitimes, plus les élèves les rejettent et deviennent difficiles. C’est l’escalade jusqu’à la rupture : pression, répression et dépression de l’enseignant, versus protestation, rage et décrochage du jeune. » A la stratégie de l’affrontement, de la pression, les auteurs préfèrent celle de légitimation : « Elle implique l’ouverture d’un espace de parole et de négociation dans lequel se déterminent, de manière partagée, les objectifs poursuivis et les règles du jeu communes ». Avant de livrer un exemple concret, une marche à suivre pour concilier professeurs et élèves sur des règles communes, les auteurs disent : « Il ne s’agit pas de leurrer les jeunes en disant que tout est possible et permis. Négocier les règles, décider ensemble, cela ne supprime pas le cadre légal et les contraintes. » On lira avec intérêt les conseils pratiques pour installer une relation saine entre l’adulte et l’élève dans le cadre scolaire (« Etre juste, respecter, savoir s’excuser, ne pas blesser, ne pas punir mais faire réparer, “bannir le copain-copain”, etc.) Plus qu’une « trousse médicale pour école en crise (encore que…), ce livre pourra donner envie de repenser sa pratique avant, comme le disent les auteurs, qu’il soit trop tard… PIERRE BOUILLON « Eduquer face à la violence – L’école, du coup de boule au projet », Pierre Hardy, Abraham Franssen et Guy Bajoit, éd. EVO. « Mes parents m’ont inculqué le respect des adultes. Ils décidaient à ma place car ils savaient mieux que moi ce qu’il me fallait. Je n’étais pas toujours d’accord, mais il n’y avait pas grand-chose à faire. Je pense qu’ils m’ont bien élevé, même si j’étais un peu trop gentil. A l’école, je ne répondais jamais aux professeurs. Tandis qu’aujourd’hui, les jeunes les tutoient et s’adressent à eux par leur prénom. Les adolescents se considèrent plutôt comme des adultes car tout va très vite dans notre société de communication. » (A.G., st.) SIGNES D’AUTORITÉ La retenue « L’heure de colle » reste une véritable institution : elle continue d’apparaître, avec le rappel à l’ordre et la réprimande, dans la plupart des règlements d’ordre intérieur. La différence, c’est qu’on tente davantage, désormais, de lui donner « un sens » pour lui donner une portée plus éducative : de plus en plus souvent, la retenue consiste ainsi en « un travail d’utilité collective ou de réparation » sous la forme, par exemple, d’une participation « au nettoyage des infrastructures ». Les « collés » d’aujourd’hui occupent ainsi, serpillière à la main, les heures de retenue que leurs aînés passaient à recopier sans fin le premier chant de l’Enéide. C’est plus malin. (S.D.) 37* Jeudi 1er juin 2006 La répétition usante de petits faits La violence physique à l’école est spectaculaire, mais rare. L’enseignant se plaint plutôt d’agressions verbales, de petits faits usants. L ’école et ses abords sont-ils devenus des milieux violents ? Une série de faits divers, spectaculaires, heurtants et médiatisés, donnent à penser que oui. En fait, la violence dure (l’agression physique), pour insupportable qu’elle soit, est exceptionnelle. L’enseignant se plaindrait plutôt de violences verbales, de moqueries, de « petits faits » dont la répétition prendrait un caractère « usant ». De quoi dispose-t-on pour dire ceci ? De deux études menées par l’ULG et l’UCL en 2000 et en 2003 au secondaire. L’enquête de 2003 a touché 2.921 élèves et 655 profs de 24 écoles. Ils ont été interrogés sur les faits subis pendant les quatre mois précédant l’enquête. Notons d’emblée que ces enquêtes, menées à trois ans de distance, révèlent une situation stationnaire. Côté enseignant, l’acte le plus souvent subi est la moquerie (24,4 %). Suivant : menace verbale (19 %), rumeur (17,7), racisme (9,4), vol (7,5), vandalisme (4,3), menace au moyen d’un objet (0,5), au moyen d’une arme (0,3), attouchement sexuel (0,3), coups (0,2). Selon l’enquête, il n’existe pas de profil type du prof victime de violence. Les élèves, eux, citent les faits suivants : moquerie (56 %), rumeur (34), coups (29), menace verbale (22), vol (22), drogue (19), racisme (18), vandalisme (15), sexisme (11), attouchement sexuel (6,4), menace par arme (3,7) et racket (2,9). Victimes et auteurs sont plutôt des garçons. La victime est plutôt un élève du début du secondaire. Conclusion : la violence grave est rare, et « extrêmement rare » quand elle vise un prof. « La violence à l’école ne présente pas le caractère dramatique et paroxystique que les médias lui attribuent. Elle se manifeste essentiellement à travers des atteintes verbales. » Rassurant ? Non. Les chercheurs attirent l’attention sur les « actes de moindre intensité, répétés au fil des jours », comme l’atteinte verbale, l’incident disciplinaire ou l’absentéisme. « Ces événements sont pour la plupart presque banals mais leur accumulation et leur répétition semblent “faire violence” aux personnes qui y sont confrontées, pouvant susciter un sentiment d’insécurité et de réelles souffrances psychologiques. Il semble nécessaire de considérer que la souffrance individuelle de chaque acteur (prof ou élève) peut découler aussi bien d’une agression brutale et chaotique que d’une répétition usante d’événements multiples, rarement pénalisés et pas forcément pénalisables ». Certaines pratiques pédagogiques influencent le climat de l’école : « Les résultats suggèrent un impact positif de la disponibilité et de La responsabilité du politique e climat s’est un peu tendu, dans les écoles. C’est dit. Quelle est la responsabilité du monde politique dans cette évolution ? Contexte : en 1989, quand on transfère l’école aux communautés, on soumet celle-ci à la diète. La maîtrise des coûts (ou la tentative de maîtrise des coûts) est certes antérieure. Mais à partir de 1989, le système de financement des communautés emballe la mécanique d’austérité. Qui atteindra son paroxysme en 1996 quand la Communauté française ampute l’école secondaire de 3.000 postes. Un coup rude qui aggravera les conditions de travail dans le segment scolaire où l’encadrement des jeunes pose, naturellement, le plus de difficultés. Le devoir de maîtrise des coûts va porter le monde politique à répandre l’idée que l’école coûte cher et est inefficace. Le propos, explicite ou suggéré, doit permettre aux ministres de valider devant l’opinion leurs mesures d’austérité. Certaines mesures (la réforme des systèmes de congés de maladie) iront jus- L qu’à suggérer, lourdement, que l’enseignant « tire la carotte ». Même les réformes « positives » a priori (comme le « décret sur la réussite » de 1994) ont une intention budgétaire (moins d’élèves qui doublent = moins d’enfants à encadrer = économies) et leur côté stigmatisant : on présente le prof comme un maniaque du redoublement. Maladresse supplémentaire : la création, en 1997, d’un mécanisme offrant à l’élève d’aller en recours contre les décisions d’échec et redoublement. En soi, ceci a du sens – toute décision de l’autorité doit pouvoir être discutée en appel. Mais voilà le prof désormais réputé potentiellement… injuste. Autant dire que ces offensives ont très abîmé le statut de l’enseignant (dessiné, au total, comme un travailleur incapable, paresseux, potentiellement injuste et, en prime… gréviculteur) et, du même coup, compliqué encore ses relations avec parents et élèves. On n’en est plus là. Au sortir des années 90, les coûts scolaires sont globalement maîtrisés. L’école obtient un refinancement. L’austérité n’est plus de mise. Aujourd’hui, on réinvestit. Mais les dégâts sont lourds. La profession est désabusée. Le secteur est touché par la pénurie (grave dans certaines fonctions). Et l’atmosphère dans les classes s’est dégradée. Les années 90 ont permis de mater les coûts. Mais le statut de l’enseignant a pris de méchants coups. La réparation sera lente. PIERRE BOUILLON l’écoute des enseignants vis-à-vis des élèves, du soutien qu’ils leur apportent, de l’équité dont ils font preuve dans leurs rapports avec eux. Par contre, les résultats de l’enquête invitent à éviter tout comportement discriminatoire ou dévalorisant à l’encontre d’un élève ». Autre leçon : « Une implication active et soutenante de la direction et une solide coordination des professionnels œuvrant dans l’établissement pourraient avoir des effets pacificateurs marqués sur le climat régnant dans l’école. » PIERRE BOUILLON DE MON TEMPS... Jean-Luc Fonk 49 ans, chanteur « A mon époque, les parents cautionnaient complètement l’école. Ils ne tenaient pas compte de l’avis des enfants. Il n’y avait aucune notion de permissivité. Mes parents n’étaient pas autoritaires, mais inspiraient le respect. Je suis pour l’autorité, mais l’autorité légitime. A mon époque, il y avait moins de stress, et un climat de sécurité. C’est ce qu’il manque de nos jours. Mais j‘ai confiance en l’être humain même si de nos jours il y a de moins en moins de solidarité. L’important, c’est l’amour. » (Ma.M, st) 8508090 &ROOqJH -8 6DFUp&°XU eFROHSULPDLUH 5HVSHFWHUHWDJLU LPPHUVLRQQpHUODQGDLVGHSXLV eFROHVHFRQGDLUH (QVHLJQHPHQWJpQpUDO LPPHUVLRQQpHUODQGDLV ERXOHYDUG$XGHQW &KDUOHURL ,QVFULSWLRQVHWLQIRUPDWLRQV ZZZVDFUHFRHXUFKDUOHURLEH 1NL 38* Chapitre 2 Jeudi 1er juin 2006 Profs-enfants « L’autorité, ça se construit… » Avant de rencontrer sa classe, le prof a intérêt à se renseigner sur le climat de l’école et le dossier de chaque élève, selon le médiateur Baudouin Vendy. ENTRETIEN L ’autorité du professeur dans sa classe. « C’est ce qui manque et c’est ce que les enseignants et les élèves recherchent », réagit Baudouin Vendy, conseiller en éducation et médiateur scolaire. Comment gérer un groupe d’adolescents quand toute consigne de travail et de comportement doit désormais se négocier et être motivée ? SIGNES D’AUTORITÉ Le renvoi temporaire Le renvoi temporaire ne peut, dans le courant d’une même année scolaire, excéder 12 demijournées (à la demande du chef d’établissement, le ministre peut toutefois déroger à cette disposition dans des circonstances exceptionnelles). Cette exclusion provisoire sanctionne les fautes graves telles qu’elles sont définies dans le règlement d’ordre intérieur : atteinte à la sécurité d’un tiers, voies de faits, vol, état d’ébriété ou comportement « sous influence », introduction d’alcool ou de drogue dans l’enceinte de l’école, dégradation volontaire d’un bâtiment ou du mobilier, manque de respect envers un membre du personnel, introduction d’une arme ou de tout autre objet pouvant en tenir lieu, falsification de certificats médicaux, photographie d’un membre du personnel ou d’un élève sans l’accord de celui-ci. Cette liste n’est pas limitative. (S.D.) 1NL Négocier est le mot-clé. L’enseignant doit préparer son premier contact avec la classe avant de la rencontrer. Il doit se renseigner sur le type d’école, sentir son climat, son environnement, ses forces et ses faiblesses. Il doit s’intéresser aux parcours scolaires de ses élèves, aller consulter leurs dossiers individuels. C’est surtout important en 3e et 4e où beaucoup d’élèves viennent d’autres sections, d’autres écoles. Cette analyse de l’état des lieux se fera en quelques heures, sans a priori. Pour préparer un climat de confiance. Et arrive le premier jour d’école… Le professeur a tout intérêt à marquer très vite son territoire – fixer la loi, les limites et les sanctions – et à définir ses objectifs. Il clarifiera sa mission d’apprentissage. Ce faisant, il évitera l’inconnu. Sinon, les élèves s’apercevront vite qu’il a peur. Et si la classe le sent, c’est terminé. Tout ça doit être réglé – et dit – dans les dix premiers jours de septembre. Il est, en effet, fondamental que le professeur ait de l’assurance et impose à tous le respect de sa fonction. L’enseignant doit effectuer cette démarche pour chacune de ses classes. Avec la multiplication des options, les classes changent, presque d’heure en heure, de composition. Ce n’est pas facile pour le pro- fesseur… L’enseignant ne peut rien changer au système : aux grilles, aux horaires, aux options multiples, etc. Quelle que soit sa classe, il doit être motivé et avoir un projet pédagogique, dire à ses élèves : « On ne va pas s’ennuyer. » Parce que le premier déclencheur de décrochage et de violence en classe, c’est l’ennui. Vous préférez autorité à pouvoir… Oui. L’autorité, c’est installer petit à petit une façon de travailler, avec respect mutuel. Il y a des choses qui ne se discutent pas : les valeurs, l’éthique, le caractère singulier d’une personne. La loi du respect doit être installée au nom de laquelle on refuse l’impunité et la banalisation. Le pouvoir, c’est « moi, je sais » et vous vous taisez. Et à la moindre perturbation, un autre pouvoir va s’installer en face, du côté des élèves. L’autorité est-elle un don ou s’acquiert-elle ? Ce n’est pas un don. On croit que c’est un don et c’est peut-être pour cela que cela va si mal dans certaines classes. L’autorité, ça se prépare sans tricher. Le professeur n’est pas là pour être aimé. Comment se prépare l’autorité ? L’enseignant doit marquer le « Je », dans un sens constructif. « Je » veux que vous réussissiez, que « nous » réussissions ensemble. L’enseignant doit reconnaître et valoriser ses élèves. Et l’enseignant doit aussi gérer le « non ». Très vite, il doit oser dire « non » quand il se rend compte que, dans certaines conditions d’apprentissage, il ne pourra pas atteindre son objectif. Exemple… Quand un professeur de maçonnerie se rend compte qu’il ne dispose pas du matériel adéquat, il se met en difficulté. Il faut qu’il le dise. Il n’est pas seul. La phase d’accueil doit durer jusqu’au moment où le climat de la classe est serein et stable. Qu’est-ce qu’un bon professeur ? Un bon professeur est un professeur motivé, qui amène la majorité de ses élèves à la réussite. Les élèves disent souvent : « On a besoin d’un guide, d’une autorité, d’une structure. » Que pensez-vous des professeurs qui acceptent de se laisser tutoyer ? D’accord si le groupe est installé dans un climat de confiance et de respect mutuel. Mais le tutoiement devient dangereux le jour où surgit une difficulté ou lorsqu’un nouvel élève arrive dans la classe. Ce dernier peut avoir une tout autre conception du tutoiement. C’est l’enseignant qui doit toujours gérer le jeu. Il ne peut pas se laisser manipuler, il ne doit pas croire que s’il devient le copain de ses élèves, cela ira mieux. L’enseignant est un chef d’orchestre ? … ou un fleuriste-artiste. On lui donne des fleurs, toutes différentes, et il doit construire un beau bouquet. Chaque fleur doit s’épanouir. A chacune il doit trouver sa place dans le bouquet. Bouquet qu’il doit « emballer » d’un beau projet et ficeler par un cordon. Ce cordon, ce sera son autorité… Et s’il constate qu’une fleur n’est pas à sa place dans le bouquet ? Il doit la retirer du bouquet, pour lui apporter un suivi particulier en dehors de la… classe ou pour la réorienter vers une autre classe, une autre école. Déculpabilisons aussi les professeurs. Il faut oser le dire : certaines classes sont carrément ingérables. Encore une fois, le professeur n’est pas seul. Il doit appeler à l’aide : l’éducateur, le directeur, une équipe extérieure spécialisée, etc. MICHELLE LAMENSCH 39* Jeudi 1er juin 2006 Et quand l’élève est ingérable ? Parfois, plus rien n’est possible. Un dispositif a été créé pour récupérer les irrécupérables. Mais l’accent reste mis sur la prévention. I l arrive à l’école, quand plus rien n’est possible, de baisser les bras. Et de flanquer l’élève à la porte. Estce fréquent ? Comme le soulignait voici peu la ministre de l’Education, les réseaux subventionnés ne sont pas tenus de signaler les exclusions à l’administration. Les chiffres dont on dispose concernent donc le réseau de la Communauté (écoles ex-Etat). Selon ces données, le nombre d’exclusions s’élèverait à 1,5 % du nombre d’élèves de ce réseau. Pour Marie Arena, ce pourcentage est sans doute transposable à l’ensemble. Ce qui fonde ces exclusions ? Elles sont motivées par des violences physiques à l’endroit d’autres élèves (24 % du nombre d’exclusions), par des « violences morales » à l’en- droit d’autres élèves (15 %), par des violences physiques à l’endroit des profs (7 %), par des « violences verbales » visant les profs (10 %), par des actes de racket (2 %), ce dernier chiffre étant à prendre avec prudence, une victime de racket hésitant souvent à révéler la chose. Que deviennent les élèves exclus, et mineurs – en âge d’obligation scolaire, donc ? Selon Arena, 90 % se réinscrivent dans une autre école, 7 % sont pris en charge par un service de type SAS (lire plus bas) et 3 % sont des étrangers abandonnant leur scolarité en Belgique. Sous la précédente législature, Pierre Hazette (MR), ministre de l’Education, voulait créer une demidouzaine de « centres de rescolarisation » (écoles des caïds) à destination de l’élève violent ou en décrochage forcené. Au bout d’âpres négociations avec PS et Ecolo, un décret-compromis sera voté (en mai 2004). Quelques mois (et une élection) plus tard, Arena prendra le relais à l’Education et gèlera le texte. Les centres de rescolarisation n’ont pas été créés. Seul le volet préventif a été activé. On a ainsi créé une équipe de médiateurs (lire en page 38). Ils sont 21 en Wallonie (ils seront 30 en 2007). Ils sont 41 à Bruxelles (et seront 56 en 2007). En 2004-2005, et toujours selon Arena, les médiateurs wallons ont traité 1.548 demandes d’intervention. Les chiffres ne sont pas communiqués pour Bruxelles. Si les médiateurs agissent plutôt pour prévenir les problèmes, des équipes mobiles (une trentaine de personnes), agissant par duos, interviennent en situation de crise, à la demande du pouvoir organisateur. Ils aident aussi les équipes éducatives dans l’accueil ou la réintégration d’enfants en crise. Au bout de ce système de prévention et d’action à l’école, on a développé des SAS (service d’accrochage scolaire), hors école, et en lien avec l’Aide à la jeunesse. Il y a 8 SAS actuellement (bientôt 12). Ils s’occupent de resocialiser l’élève. De l’aveu même d’Arena, et comme dénoncé par le MR, ce type de service « ne prend pas toujours suffisamment en compte la rescolarisation ». Une réflexion est donc ouverte à ce propos. En tout état de cause, et selon les chiffres ministériels, les SAS ont permis de réintégrer à l’école 160 jeunes, soit 80 % des élèves qui sont passés par ces services. A terme, une fois au nombre de 12, les SAS devraient pouvoir prendre en charge 400 jeunes. DE MON TEMPS... Fadila Laanan 38 ans, ministre de la Culture « Quand j’étais jeune, à l’école, il y avait une autorité plus significative et plus visible qu’aujourd’hui… Mes parents sont illettrés, dès lors l’école était considérée comme sacrée. Mon père me disait que si je déconnais à l’école, je devais la quitter et comme je suis marocaine, je courais le risque d’être mariée sans amour. En tant que fille, je ne pouvais pas sortir tard le soir. Je n’ai pas beaucoup “guindaillé”. Mes parents étaient sévères, mais ils avaient une autorité douce, ils se montraient affectueux, cependant ils ne me laissaient pas toujours beaucoup d’espace de liberté. » (C.E., st) PIERRE BOUILLON 8431260 1NL 40* Chapitre 3 Jeudi 1er juin 2006 Parents-profs Parents et profs s’associent pour le meilleur et pour le pire Pour les parents, l’école devient de plus un plus « illisible ». De nouvelles stratégies permettent souvent de renouer le contact, mais elles ne sont pas présentes partout. D es parents qui insultent ou frappent un enseignant, un autre qui glisse un billet de mille francs dans la poche du prof. Une bellemère qui demande sans détour combien de cours particuliers sont nécessaires pour réussir l’examen de passage puis qui enchaîne : « Et combien en plus si l’élève ne doit pas les suivre ? ». Il y a des parents qui ignorent jusqu’au nom de l’instituteur de leur enfant, qui signent le journal de classe sans regarder ou qui regardent sans voir. Mais aussi des profs qui ferment leur classe à clé pendant la réunion des parents… et une direction qui laisse faire. Des profs qui enfilent les certificats médicaux en prévenant trop tard pour que l’intérimaire qui les remplace (trop bien parfois ?) puisse continuer sa mission. Des profs qui confondent discipline et autoritarisme, punition et vexation, consignes et vexations. En écoutant les parents et les professeurs nous parler du couple certes momentané, mais parfois très intense, qu’ils forment dans le processus de croissance intellectuelle, sociale, humaine du jeune, nous avons rencontré cette galerie d’horreurs et des pratiques à faire dresser les cheveux sur la tête. Mais nous avons aussi, et très majoritairement, rencontré le contraire. Des profs passionnés qui ne comptent ni temps ni énergie, qui n’ont pas d’objection à taper sur les mêmes clous, toujours et encore, parce que les nouvelles générations 1NL de jeunes constituent un travail toujours recommencé, une tâche littéralement sans fin. Une prof nous confie qu’elle a toujours demandé des classes de première année, « parce que, encore davantage que les autres, elles nous forcent à nous remettre en question, à sortir des sentiers battus ». Des parents attentifs, présents, consciencieux, nous en avons rencontré aussi. Dans toutes les classes sociales. Certains apprennent même la langue de l’école pour mieux aider leur fille ou leur fils. Des cartes à redessiner Dans un entretien qu’il nous a accordé, le professeur Marcel Crahay souligne néanmoins combien la situation de marché scolaire, lié à l’histoire de la scolarisation en Belgique, brouille les pistes entre différentes écoles, entre écoles sanctuaires et écoles ghettos, nourrissant une inégalité foncière entre les différents établissements. L’expert ne cache pas qu’il est favorable à l’instauration d’une carte scolaire, qui impose l’école selon la résidence. D’autant que, comme le souligne un responsable d’association de parents, le travail du prof a énormément changé, les tâches des parents se sont compliquées, le monde tourne plus vite. On croit qu’il est resté à sa place et pourtant c’est comme si toutes les cartes géographiques étaient à refaire, les droits et devoirs de chacun à repréciser… D’autant que l’école va mal… On invoque comme un mantra le bilinguisme dans le secondaire (zut, c’était pour 2000, c’est trop tard, c’est même pire qu’avant) et on se console en voyant les candidats de « Génies en herbe » si malins ou des dictées télévisées où un ado bat des célébrités. Mais la réalité est qu’en vingt ans, l’élève du secondaire a perdu un an sur six de présence frontale avec l’enseignant. Même un cheval qui ne sait compter que jusqu’à dix sait que la base de la pédagogie, c’est la répétition, le sillon que l’on creuse, les occasions que l’on multiplie. Avec moins d’heures et plus d’enfants dans les classes, il y a moins à manger pour les cerveaux. Tous les écrans multimédias du monde n’y changeront rien. FRÉDÉRIC SOUMOIS DE MON TEMPS... Eric Deflandre Footballeur « Quand j’étais enfant, les parents étaient plus sévères. A notre époque de plus en plus de parents démissionnent et rejettent la responsabilité de l’éducation sur l’école. Les professeurs sont là pour compléter l’éducation, non pour la faire. Dans les années 70, j’habitais dans un petit village près des Ardennes, et mon père était instituteur. Je n’étais pas tenté par le vice. Les tentations existent de plus en plus et les principes d’éducation ont changé. » (Ma.M., st) 8280990 CORPS ET COMMUNICATIONS MOUVEMENTS ET SOINS AU BENEFICE DE LA SANTE NOUS ASSURONS LES FORMATIONS SUIVANTES Site Uccle : • Bachelier en Soins Infirmiers (3 ans) Un enseignement de qualité, dans un cadre, à taille humaine, de verdure et de calme: les conditions "anti-stress" idéales. ❖ Site UCL Bruxelles : • Master en Kinésithérapie • Bachelier-Educateur Spécialisé en (niveau universitaire - 4 ans) Activités Socio-sportives (3 ans) • Bachelier en Podothérapie (3 ans) • Bachelier-AESI en Education • Bachelier en Ergothérapie (3 ans) Physique (3 ans) • Spécialisation en Psychomotricité (1 an), accessible aux porteurs de diverses formations supérieures, diplôme agréé par la Communauté française de Belgique. • DESS en Périnéologie Nos professeurs garantissent l'excellence de nos formations. Notre enseignement, ouvert aux échanges internationaux, fera de vous des professionnels reconnus pour leur compétence, leur humanité et leur faculté d'adaptation et de créativité. Notre exclusivité: un enseignement interdisciplinaire. Vous souhaitez des renseignements complémentaires ? Tél.: 02 761 08 50 - Fax: 02 761 08 51 Web: www.parnasse-deuxalice.edu INSTITUT D'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR PARNASSE - DEUX ALICE. Site U.C.L. Bruxelles : avenue Mounier, 84 - 1200 Bruxelles Tél.: 02 761 08 50 Site Uccle : rue Groeselenberg, 57 - 1180 Bruxelles Tél.: 02 379 28 60 1NL 42* Chapitre 3 Jeudi 1er juin 2006 Parents-profs Soumise au marché, l’école hésite entre sanctuaire et ghetto Le prof est-il seul maître à bord dans sa classe ? Quelle est la place des parents dans le processus pédagogique ? Comment peuvent-ils, comment doivent-ils collaborer ? ENTRETIEN N ous avons interrogé Marcel Crahay, professeur en sciences pédagogiques aux universités de Liège et de Genève. Comment s’établit le rapport d’autorité et de décision entre l’école et les parents ? Qui est le patron ? Normalement, l’autorité n’est légitime que si elle fait référence à des valeurs. Sinon elle ne sert à rien. Parents et professeurs ont chacun leur sphère d’autorité mais il y a évidemment une intersection, qui ne peut fonctionner que si les droits et pouvoirs de chacun sont clairement définis. Normalement, l’école établit un contrat social avec la société, mais il doit être établi à un niveau supérieur que les enseignants et les parents, il doit l’être au niveau politique au sens noble du terme, au niveau des règles qui font fonctionner la cité. C’est ce qui fait l’importance du décret Missions, élaboré par la ministre Onkelinx, qui avait pour tâche de réactualiser le contrat entre école et société. Le réactualiser ? Pourquoi ? Je ne dis pas que ce décret a réussi sa… mission, mais les politiques de l’époque ont voulu faire bouger l’école. Pour clairement établir que les valeurs civiques et la citoyenneté étaient essentielles à mettre en place aux côtés des acquis et compétences de base. Ce que je crains, c’est que le décret n’ait pas été bien expliqué. 1NL Souvent, en matière éducative, on néglige la communication vers les enseignants et les parents. Du coup, les parents ont vécu ce décret comme quelque chose qui ne les concernait pas et les enseignants, plutôt surpris, ont pris ce texte comme une réforme comme une autre. Alors qu’il s’agissait de déplacer l’école vers l’agora, d’abandonner le principe de l’égalité des chances pour aller vers l’égalité des acquis. La règle est que tout le monde doit apprendre à lire et qu’on ajuste les moyens à cet objectif, quitte à introduire une inégalité de moyens. C’était une transformation philosophique de l’école, pas une réformette… Beaucoup d’enseignants ne l’ont pas compris et moins encore de parents. Qui détient l’autorité dans la classe ? Justement, si on avait fait comme en Suisse, où je vis aujourd’hui, une votation sur le décret Missions, le contrat social serait clair. Quand des parents contestent une méthode pédagogique, une manière de donner un cours, le décret Missions serait là pour donner des balises. Est- il respecté ? Alors le prof a raison. Est-il bafoué ? Alors les parents ont raison. La base de transaction est claire, à défaut de résoudre toutes les questions. Au lieu de cela, nous nous trouvons dans une communication floue et ambiguë. Sur quoi peut-il y avoir accord ? Sur le projet d’école. Dans l’idéal, il pourrait être négocié et renégocié régulièrement avec les parents, dans le cadre global du décret, au sein du conseil de participation. Mais cela fonctionne mal… Parce que les profs voient ce conseil comme une ingérence des parents dans leur choix d’expertise, dans les procédés qu’ils ont élaborés comme les professionnels de l’éducation qu’ils sont. C’est dommage, c’est une occasion ratée. Parce que nous sommes dans un système paradoxal. Ce contrat social, il ne peut fonctionner que dans un système social scolaire où l’État organise et assume la gestion de l’école. Mais quand on place l’école dans un marché, comme en Belgique, tout ce système perd son sens. Vous êtes contre la liberté de choix du père de famille ? En tout cas, le décret Missions ne fonctionnera pas avec une liberté de choix, avec un marché scolaire de facto, où les écoles sont en concurrence permanente. Comment réagit un parent qui n’approuve pas les choix effectués ? Participe-t-il à la renégociation du projet d’école ? Non, il menace de changer son enfant d’établissement et il le fait parfois. Si dans la boutique scolaire, le produit ou les services que j’obtiens ne me conviennent pas, je vais voir ailleurs. Ou je recherche un meilleur nom pour mettre sur mon curriculum. Dans certaines écoles où les choses vont bien, la perte est légère, mais dans d’autres, où perdre des élèves peut entraîner la disparition de l’école, on s’aplatit. Quitte à diminuer le niveau… ou à l’augmenter. Car les écoles anticipent les demandes des parents pour ajuster l’offre. Nous avons alors des écoles favorisées, des écoles « sanctuaires » où l’on accueille les enfants favorisés et où l’on écarte les enfants qui ne sont pas dans la norme. Qui vont eux dans des écoles-ghettos. Dans une 43* Jeudi 1er juin 2006 école-sanctuaire, on accueille l’enfant de bonne famille, disposant d’une éducation de bon niveau, on peut se montrer particulièrement exigeant et sévère. Même le taux d’échec élevé sera vu comme un critère de qualité. Dans les écoles-ghettos, le directeur et les enseignants font ce qu’ils peuvent pour apporter une aide à des enfants à la dérive, ils sont profs, assistants sociaux, parents de remplacement. Certes, il y a des mécanismes de discrimination positive, mais cela ne suffit pas. Les études internationales montrent que notre système est un de ceux qui imposent le plus un clivage entre écoles, où la ségrégation sociale joue très fortement. Mais la liberté de choix permet aussi au parent d’opter pour un modèle pédagogique particulier. Je n’y crois pas. En 1920, lors de la généralisation de l’obligation scolaire, l’État a joué un rôle supplétif pour que chacun trouve une école correspondant à sa conception philosophique, face aux écoles communales et catholiques qui existaient. Comme la mobilité était faible, le choix se résumait à école confessionnelle ou non. Mais aujourd’hui les parents et les enfants bougent et voyagent et le marché scolaire est là. L’offre et la demande sont toujours sous-jacentes aux relations entre école et parents. Dans les sanctuaires, les profs ont l’autorité, les parents sont demandeurs et heureux, ils se mettent sur liste d’attente, voire campent devant la porte les jours d’inscription. Dans les autres écoles, il faut séduire les parents qui sont plus difficiles, il faut faire des compromis. Mais il faut jouer subtilement, faire la démonstration de sa qualité et en même temps, si les parents sont mécontents, il faut pouvoir défendre son point de vue… ou le modifier. Quant aux ghettos, les élèves sont parfois heureux de trouver un endroit où on les accepte encore… Que faudrait-il faire pour assainir ce partenariat parents-école ? Cela va faire hurler, mais il faudrait réduire la liberté de choix des parents à l’intérieur d’un bassin scolaire. Au niveau européen, des pays comme la France ou la Suisse ont opté pour une carte scolaire qui désigne une école selon le domicile. Bien entendu, des dérogations sont possibles et généralement accordées notamment pour des motifs pédagogiques, mais c’est symboliquement tout à fait différent que de faire son choix d’école comme on choisit un produit en supermarché. Je sais que ce serait une terrible révolution en Belgique francophone. DE MON TEMPS... Xavier Deutsch 41 ans, écrivain Les valeurs civiques et la citoyenneté sont essentielles à mettre en place à l’école, aux côtés des acquis et compétences de base. PHOTO A. DEWEZ. Et les opinions philosophiques ? La Suisse est un pays très religieux, mais la tradition protestante place la religion dans la sphère privée, intime et il n’y a pas de cours de religion à l’école, qui est neutre. Quand quelque chose ne va pas, le parent utilise le conseil de participation pour tenter de faire changer l’école, il ne la déserte pas. Des parents trouvent qu’ils sont placés en situation d’infériorité. Il faut aussi qu’ils reconnaissent le rôle de l’enseignant et sa mission particulière… mais pourquoi pas adopter pour l’occasion une disposition de la classe en cercle plutôt que des bancs face à face ? Il faudrait aussi que les enseignants soient conscients qu’ils ont un rôle à jouer avec les parents. Mais sont-ils bien formés à la négociation et à la con- certation avec les parents ? Y réserve-t-on une place conséquente lors de leur formation, lors de leurs stages ? Je ne le pense pas. La massification de l’enseignement a entraîné une dévalorisation de la fonction enseignante, qui est sortie de l’élite, dont les revenus n’ont pas augmenté parallèlement aux autres fonctions-clés de la société. Parallèlement, la Belgique est un des trois pays (avec la Roumanie et l’Autriche) où l’on ne forme pas tous les profs à l’université. Il faudra bien un jour qu’on mette cela à plat. Dans le passé, une sanction du prof était majoritairement appliquée par la famille. Aujourd’hui, c’est presque l’inverse. Sans dialogue préalable, il est impossible de faire le tri entre la sanction nécessaire et le malentendu et « Je pense avoir vécu et grandi dans un milieu familial et scolaire où l’autorité était exercée de manière éclairée. Quand j’étais élève en secondaire, certains profs se faisaient chahuter et je ressentais un réel malaise. Il m’arrivait de faire partie des chahuteurs, mais sans aucune joie. Pour moi, l’autorité est liée au savoir, à la connaissance, à la sagesse, et à la sincérité. Ce n’est pas une chose que l’on impose de façon arbitraire. L’autorité se travaille, pas dans le rapport de force, mais dans un rapport de respect que l’on construit, que l’on acquiert ». (C.E., st) l’arbitraire. Si le projet pédagogique est expliqué, la crise est expliquée et le dialogue noué est aussi une éducation à la citoyenneté, parce que ce genre de conflit se retrouve à plein de moments de la vie sociale. La sanction ne peut tomber que quand le dialogue a échoué, pas quand il n’est pas né. Propos recueillis par FRÉDÉRIC SOUMOIS 8430870 1NL 44* Chapitre 3 Jeudi 1er juin 2006 Parents-profs « Nous voulons ouvrir l’école » Même davantage associés à la vie de l’école, les parents estiment être trop souvent laissés en marge des choix fondamentaux. D ’après une étude, 45 % des profs de la communauté française préféreraient avoir des élèves sans parents. Pas orphelins, mais dont les parents n’interviennent pas dans le processus éducatif ou n’entrent pas en interaction avec le professeur. L’information fait bondir Philippe Schwarzenberger, président de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (Fapeo). « Mais cela veut dire aussi que plus de la moitié veulent travailler avec nous, conçoivent leur pédagogie comme ouverte, acceptent de nous consacrer du temps et de sortir du cadre normatif. » Car les parents qui s’affilient à l’association de parents veulent aussi discuter pédagogie : « On dit aux profs qu’on les respecte infiniment, qu’on a manifesté pour eux quand ils perdaient leur emploi par milliers, qu’on est reconnaissant pour la dette que l’on a face à l’école publique, mais qu’ils ne nous ont pas fourni un sens critique pour ne pas l’utiliser aujourd’hui. » Chaque parent est schizophrène Pour Schwarzenberger, chaque parent est schizophrène. Il désire que l’école offre le bain social et l’égalité des chances, mais veut aussi la meilleure école pour son enfant, veut décrocher le meilleur ascenseur social disponible. « Mais il faut alors accepter que l’école soit duale, qu’il y en ait une pour les riches, une pour les pauvres, une pour les parents qui se saignent aux quatre veines, une pour ceux qui ne s’en préoccupent pas ou n’ont pas le bon mode d’emploi. » Alors certains parents, lassés de chercher une bonne école qui assure la transmission des savoirs sans grosse fatigue, sans désorganisation, sans pos1NL te non pourvu, se tournent vers des écoles élitaires, quel que soit le réseau. « C’est dans le droit fil des conclusions de Davos. On fait tourner une société avec 20 % d’une cohorte. Mais que fait-on des autres ? C’est souvent une partie de l’enseignement public qui en hérite. » Le décret a reconnu la place de l’association de parents, a consacré le conseil de participation. « Et après ? Tout cela est formel. Si on veut des résultats, il faut “pogner” dedans, cela demande un temps et un effort considérable, l’école n’est pas prête à cela. » Pourquoi ne plus accepter du maître le choix de la méthode, la punition raisonnable, la direction des travaux, comme par le passé ? « Mais parce que je n’ai plus confiance en l’école publique, qu’on joue avec nos pieds, que la fausse démocratie, c’est pire que la dictature et qu’un conseil de participation avec des acteurs non formés à travailler ensemble, c’est de l’imposture. » Schwarzenberger refuse le conseil de classe où le parent convoqué comparaît face au maître, parfois engoncé dans un banc trop petit, en contrebas de l’estrade, réelle ou mentale. Il se place à côté de lui, en position d’égalité. « Moi, je le fais, mais que fait celui qui ne connaît pas les règles de l’école, qui ne sait ni lire et écrire, dont le gosse est le seul à parler le français, dont le gosse est seul à se lever le matin, parce que ni les parents ni les grands-parents ne travaillent. » Pour le président de la Fapeo, il faut ouvrir l’accès à l’école, « dernière maison du peuple », organiser des réunions de parents, aller cher- cher ceux qui ne viennent pas seuls, donner des moments et des lieux avec des contenus et parler de valeurs. Avec un joli conseil : fleurir les enseignants le premier jour de classe, pour symboliser le projet commun de l’institution, pour concrétiser la main tendue. « Pendant l’école normale, il y a en tout et pour tout quatre heures de cours sur les relations entre familles et écoles, c’est très insuffisant. » Pour parler de quoi ? « De pédagogie, de la constante macabre. » La constante macabre ? C’est la constatation que face à un groupe, quel qu’il soit, un professeur aura tendance à coter ses élèves en trois tiers, un tiers génies, un tiers nuls, un tiers moyens. Il y a des techniques qui permettent aux profs de contrer cette constante macabre. Schwarzenberger veut, au moins, en parler. « Mais on nous dénie le droit de s’occuper de pédagogie. Le projet d’école ? Mais c’est un contrat léonin. Quand on croit avoir trouvé l’école qui convient, on vend son propre produit, on fait accepter son enfant dans l’école, on affirme qu’il est propre, qu’il se tient bien, qu’il n’a jamais eu de problèmes et on signe le projet d’école. Sans discuter. » FRÉDÉRIC SOUMOIS « La carte de l’école a changé » es parents, cela n’existe pas, réagit Henri Wittorski, porteparole de l’Union des fédérations des associations de parents de l’enseignement catholique (Ufapec). Il y a des parents qui ont été élèves à la fin de la guerre scolaire, il y a les trentenaires qui ont déjà une autre vie, une autre éducation, il y a ceux qui viennent dans l’avenir. » Et de souligner que les jeunes gens exclus de l’école (plus de 1.360 en 2005 pour la seule communauté française) sont les parents de de- L main : « Que fait la société pour pacifier ces jeunes adultes pour permettre de construire un accrochage scolaire pour leurs propres enfants ? Il faut gérer les écoles, mais il faut aussi casser cette spirale. » Pour Wittorski, beaucoup de réformes d’aujourd’hui sont prises à travers le miroir de notre mémoire de scolarité des enfants d’hier. Suppression des devoirs à la maison ? C’est un élève d’hier qui règle ses comptes d’enfant. Pour le ministre d’alors, la répétition n’est pas un de- voir, parce que la lecture et l’écriture sont des portes ouvertes sur l’autonomie. « Mais au nom de la traque aux abus, on a dérapé en faisant croire que le travail à domicile était une torture. » Pour le porte-parole de l’Ufapec, la difficulté est que les parents d’aujourd’hui voient l’école avec les repères du passé, du temps où ils étaient eux-mêmes élèves. « L’école a tant changé en quelques années. C’est une difficulté pour le parent et pour l’enseignant. Mon père savait quel 45* Jeudi 1er juin 2006 cours j’allais suivre, j’avais les mêmes livres de classe que lui. Mes petits frères en ont changé et aujourd’hui mon fils en a eu un différent que sa sœur à peine plus jeune. Les cartes routières ont changé, il faut instaurer un dialogue, sinon on utilise les mêmes mots, mais ils n’ont pas le même sens. » Et de prendre comme exemple la pub où le « Ça va aller ? » indigné d’un magasinier incapable de fournir 5.000 lavabos en un jour se voit traduit par un rassurant « Ça va aller ! » du service commercial. « Si on ne prend pas le temps de leur expliquer ce que l’on veut faire, pas étonnant que les parents ne comprennent rien. » Et de noter les trois phrases qui tuent en réunion de parents. 1. « C’est toujours les mêmes qu’on voit. » « Merci bien, c’est sympa pour ceux qui sont venus ! » 2. « C’est pas ceux qu’on veut voir qu’on voit. » « Un parent qui est là s’intéresse au parcours de son enfant, veut le suivre. Et ceux qui ne sont pas là, connaissent-ils cette opportunité ou sont-ils dégoûtés ? » 3. « De toute façon, vous n’y con- naissez rien. » « Certes, nous ne sommes pas des experts, mais comment faire du bon travail sans confronter les idées, sans expliquer ? » Dans une classe, le professeur explique aux enfants qu’il a besoin de recevoir les parents pour leur expliquer la manière dont les choses vont se dérouler. A la réunion de parents qui débute l’année, le titulaire reçoit 50 parents. Dans la classe d’en face, il y a juste 3 parents. Le titulaire a répondu aux enfants : « Je n’ai rien à dire à vos parents ». « Le premier a compris que pour avoir un meilleur contact quand il y a difficulté, il faut entamer ce contact quand tout va bien. Comment agir face au décrochage scolaire si on n’a jamais vu les parents ? » Ce n’est pas toujours facile, certains parents ont littéralement peur de l’école, d’être jugés à leur mine, à leur niveau d’éducation, à leur connaissance de la langue. Dans une école en discrimination positive, où la plupart des parents n’ont pas le français comme langue première, des goûters interculturels ont brisé la glace, permis de je- ter des ponts, de tresser des liens. « Il faut que l’école les apprivoise et qu’ils apprivoisent l’école. » Les outils ? D’abord la liberté du père de famille. « C’est dans le contact avec le directeur que se noue l’accrochage scolaire… parental. L’école ne doit pas être un bastion clos, mais un lieu de vie, occupé largement. » Contre la carte scolaire, alors ? « Je ne vois pas pourquoi les gens d’un endroit devraient être condamnés à rester dans cet endroit. Si on empêchait de se déplacer, on aurait d’autres ghettos. » La sanction qui n’est plus acceptée ? « Avant, les familles étaient en osmose avec la société, aujourd’hui celle-ci multiplie les ouragans autour d’elle, après 68, après la noncompréhension de Dolto. L’enfant d’aujourd’hui vit dans une famille décomposée, entre maman et papa, hypersollicité par la pub, le commerce, les invites. On dit les parents démissionnaires, mais ils suivaient les règles de la société. Aujourd’hui elle n’en donne plus, ceux qui veulent des rails sont perdus. » DE MON TEMPS... François de Brigode, 44 ans Présentateur du JT à la RTBF « Mes parents étaient positivement dirigistes. Il existait des moments de crispation, mais leur autorité était intelligente car elle induisait toujours le dialogue. Je n’ai jamais subi de décision injuste. C’est aussi face à l’autorité que l’on affirme son caractère. A l’école, je collectionnais les heures de retenue quand je brossais, mais jamais au-delà. Grâce à l’autorité parentale, le travail des professeurs était facilité. C’est un jeu de dominos. » (A.G., st.) FRÉDÉRIC SOUMOIS 8410540 1NL 46* Chapitre 3 Jeudi 1er juin 2006 Parents-profs Les élèves se lèvent pour le prof Ancienne préfète, Marie-Thérèse se souvient d’un temps où les profs professaient et voyaient surtout les parents des bons élèves. E tait-ce un autre temps ? La civilisation a-t-elle tant changé depuis 1979, année où Marie-Thérèse Nicolaï, professeur de géographie, est devenue préfète de l’athénée communal Théo Lambert, à Anderlecht ? Quand un professeur entrait dans sa classe, les élèves se levaient naturellement. « C’est vrai que cela dépend aussi de l’âge. En première, les élèves se battaient pour avoir l’honneur d’effacer le tableau, en rhétorique, il fallait trouver une victime. » La réunion de parents se résume souvent à la rencontre des parents des « bons élèves », sauf en cas de problème particulier, où des parents sont « convoqués ». « Mais souvent, on n’attendait pas une réunion quand un problème se posait. » Aujourd’hui on se réunit davantage entre professeurs. « Nous Un temps où les élèves se levaient quand le prof entrait… PHOTO DEWEZ. le faisions aussi, mais nous avions une heure de “conseil de classe” par semaine, où nous évoquions les problèmes éventuels et où nous nous informions des nouveautés pédagogiques. Aujourd’hui, les profs doivent le faire sur leur temps libre, ce qui peut créer des tensions. » Des parents qui veulent qu’un résultat soit expliqué, cela arrive. « On finissait par connaître tout le monde, souvent les familles envoyaient plusieurs enfants, ce qui permet des rapports plus aisés. » Parfois, la direction doit convoquer les parents pour absentéisme. Au-dessus d’un certain nombre de journées d’absence non justifiée, l’élève n’est plus subsidié, il n’est plus régulier et est écarté. « On surveillait cela à temps pour que cela n’arrive pas. Parfois, le concierge devait aller mettre une enveloppe blanche lui-même chez les parents, parce que les élèves guettaient le facteur et le papier à en-tête. » C’est parfois délicat. Un père se présente sans comprendre. Au contraire, il est fier de son fils, qui commence à être un bon joueur de foot, au stade Astrid. « Quand il a compris que son fils risquait d’être mis à la porte, j’ai vu sa main frémir. J’ai pris le temps d’expliquer que des coups ne servaient à rien. » Parfois, la direction doit laisser s’empiler les certificats de maladie, toujours du même médecin : « Rien à faire contre cela. » Mais la vérité est que certains parents ne réagissent pas au courrier, ne prennent pas contact avec la direction ou les professeurs. Pour parfois s’étonner de l’échec qui arrive en fin d’année. La préfète, qui ne dédaigne pas mettre la main à la pâte, veut lutter contre l’absentéisme de l’après-midi, quand les élèves qui disposent d’une autorisation de sortie, ne rentrent pas à temps. « Avec un jeune prof de gym, j’allais faire la tournée des cafés les plus proches, et on ra- menait notre monde. Tout cela restait bon enfant. » La menace de parents d’aller mettre leur enfant ailleurs ? « Quand un préfet reçoit un élève transféré, il se demande pourquoi il a voulu partir. Les documents qui attestent des résultats le suivent. » Cahiers de matières vues pour le prof, journal de classe détaillé pour l’élève, le tout est régulièrement visé. Parce que c’est le moyen de mettre le contrat éducatif à plat, mais aussi parce que la commission d’homologation veille et que le risque de voir un résultat d’une section invalidé existe. A l’époque, pas d’association de parents, mais un comité scolaire qui ne touche pas au pédagogique, mais va casser les pieds au personnel politique de la commune chaque fois que c’est nécessaire. « Un jour, une dame me dit qu’elle trouve que les murs ont besoin d’une couche de peinture. Je lui réponds gentiment que la demande a été faite, mais que cela prend du temps. Je ne sais pas qui elle a appelé, mais on avait les peintres dans la quinzaine. » FRÉDÉRIC SOUMOIS DE MON TEMPS... 8480720 Vincent Taloche 37 ans, humoriste « Mes parents m’ont appris la politesse, l’honnêteté et à ne jamais rabaisser les autres. L’autorité est primordiale. J’ai vu des enfants évoluer de façon différente selon la façon dont ils ont été éduqués. Souvent, les enfants ayant eu des parents stricts ont moins de problèmes que les autres. Mes parents n’étaient pas extrêmement stricts, mais ont toujours instauré le respect dans la maison. Mes professeurs se faisaient respecter aussi. Les professeurs de nos jours ont l’air d’en avoir marre, et je les comprends. » (Ma. M., st) 1NL 47* Jeudi 1er juin 2006 Notre école doit rester ouverte Jeune préfet dans le Hainaut, Frank Livin estime essentiel de garder la porte ouverte aux problèmes. Mais ne transige pas sur les fondamentaux de l’instruction. S incèrement, je ne pense pas que les choses aient tant changé. Il y a peu de rapports tendus et de conflits ouverts entre professeurs et parents », estime Frank Livin, préfet depuis 5 ans de l’Athénée provincial Warocqué à Morlanwelz, dans le Hainaut. Qui ne se souvient que d’un cas disciplinaire grave où, malgré les conclusions d’un expert judiciaire, les parents n’avaient pas voulu reconnaître l’évidence et avaient envoyé un avocat pour contester la sanction prise. « C’était un vrai enfant-roi, les parents restaient sourds à toutes les autres voix. Mais c’est une exception face à 1.100 élèves. » Parfois, en professionnel ou technique, les rapports entre profs et parents sont plus tendus. « C’est un réflexe de protection compréhensible, où les parents refusent de voir leur enfant comme nous le voyons. Généralement, nous convoquons alors un conseil de classe. Quand les parents entendent comment se comporte leur enfant, cela suffit à faire le chemin pour trouver ensemble des solutions. » « La vérité, c’est que dans la plupart des cas, je prends une sanction éventuelle après avoir entendu tous les protagonistes et que, malgré ma demande, je n’obtiens aucune réaction des parents. » S’en moquent-ils, ont-ils honte ? On n’en sait rien. Il y a des exceptions, bien sûr. Récemment, des parents ont tenu à ce qu’une élève s’excuse verbalement et par écrit devant le conseil de classe. « Difficile pour elle, mais cela a permis de passer un cap et de ne pas rester coincé sur la sanction. » Ferme quant aux règles du « vivre ensemble » codifiées en code DE MON TEMPS... Elio Di Rupo, 54 ans, ministreprésident de la Région wallonne Pour le jeune préfet Frank Livin, il est essentiel de « garder la porte ouverte aux problèmes ». PHOTO JEAN-LOUIS WERTZ. de discipline, le préfet tient à cœur une politique d’ouverture radicale de l’école. « Quand un problème se pose, l’élève doit en parler au professeur, puis au titulaire, qui accompagne l’élève dans sa construction éducative et personnelle et qui est généralement mieux placé pour aider à débloquer une situation. » C’est le titulaire qui veille à ce que le journal de classe soit signé une fois par semaine ou qu’une note particulière le soit le jour même en cas d’incident. De nouveaux devoirs pour le prof « Ce n’est que quand tout cela est épuisé que la direction entre en jeu. » En pratiquant la politique de la porte ouverte. Si prendre un rendez-vous aide toujours, la porte du préfet ne reste pas fermée si ce n’est pas le cas : « Franchement, c’est perturbant, fatigant, cela bouleverse l’emploi du temps en permanence et cela rallonge les journées, mais cela permet de régler beau- coup de problèmes tout de suite, sans accumuler de rancœur supplémentaire. » La méthode : « Obliger l’autre à poser un autre regard sur les faits. » L’Athénée dispose d’un conseil de participation qui associe parents, profs et élèves. « Nous avons placé au centre du processus pédagogique la communication entre acteurs de l’école. Les parents apprécient l’ouverture d’esprit et la manière dont nous envisageons la construction de l’esprit critique », explique le préfet, soulignant qu’il n’érige pas pour autant son établissement en modèle. Journal de classe à signer chaque semaine, trois réunions de parents, mais aussi des manifestations toute l’année qui doivent aider le dialogue entre parents et professeurs. « Tous les profs n’apprécient pas nécessairement, certains restent attachés au statut de dispensateur du savoir. Mais les acteurs et la pièce changent progressivement. » Le décret missions crée des obligations « Je n’étais pas spécialement contestataire dans ma famille ni à l’égard de mes professeurs. C’est à l’université que j’ai pris la tête de certaines revendications étudiantes, que j’ai défendues devant les autorités académiques. Je fais confiance et je ne pense pas qu’il faille, en tant que responsable d’une équipe, jouer les gendarmes. J’ai la chance d’être entouré de collaborateurs motivés et de qualité, qui n’ont pas besoin d’être mis sous pression pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Lorsqu’il faut prendre des décisions, je consulte énormément. » (C.E., st) supplémentaires, des recours, une participation chronovore que certains vivent comme une ingérence. L’Athénée est peu soumis à la menace de perte d’inscription, pouvant inscrire chaque élève qui le demande, ne refusant personne sur dossier. « Mais à la fin de la deuxième, il faut pouvoir le dire à ceux qui se sont trompés de voie dans le général. » Ouverte, l’école ne transige pas avec les « fondamentaux » indispensables, l’écoute attentive, le matériel, la régularité. « Nous ne sommes pas une garderie. » FRÉDÉRIC SOUMOIS 8383770 1NL 48* Chapitre 3 Jeudi 1er juin 2006 Parents-profs Une sanction peut être éducative, mais sous de strictes conditions à cette question : “Sanctionner, écrit-il, c’est bien en effet attribuer à l’autre la responsabilité de ses actes et même si cette attribution est constitutivement prématurée, même si elle est, au moment où elle est faite, un leurre – puisque l’enfant n’est précisément pas déjà éduqué –, elle contribue à son éducation en créant chez lui progressivement cette capacité d’imputation par laquelle sa liberté se construit. Celui qui a commis la faute n’aura peut-être pas agi de son plein gré, il aura peut-être été le jouet de l’influence de son entourage ou, simplement de ses impulsions… Mais le fait de lui attribuer la responsabilité de ses actes le mettra en situation de s’interroger progressivement sur ceux-ci et d’en être, de plus en plus, le véritable auteur”. » Pour Prairat, l’utilisation de la sanction fait partie du processus éducatif. Mais c’est une arme délicate, qu’il faut encadrer sous peine de détruire au lieu de construire. F aut-il punir dans l’école ? Même légitime, une sanction estelle nécessairement formatrice ? C’est l’objet de la recherche d’Eirick Prairat, professeur de sciences de l’éducation à Nancy 2, venu en mai faire part de ses travaux aux préfets réunis à l’ULB. Y a-t-il une sanction légitime ? « Le droit n’est pas la morale. Légitimer une sanction, c’est l’inscrire dans un espace marqué du sceau de la règle. C’est le rôle du règlement intérieur d’un établissement scolaire, qui transcrit la norme par écrit et qui a vocation à organiser la vie sociale. Son principe est la réciprocité, chacun est soumis aux mêmes devoirs mais dispose aussi des mêmes droits. » A quoi cela sert ? « La sanction ne se justifie que s’il en résulte quelque chose de bon. Si l’enfant doit être puni, c’est seulement dans la mesure où l’action de punir peut être intégrée à l’œuvre d’éducation. Une sanction éducative doit satisfaire un triple objectif, politique, éthique, social. » Un objectif politique. « La sanction vise à rappeler la primauté de la loi et non la prééminence des adultes. Elle manifeste l’importance de l’existence d’un ordre symbolique structurant : le droit ou plus simplement l’ensemble des règles explicitées. Une sanction qui entend faire œuvre d’éducation ne peut donc être utilisée comme une stratégie de réactivation du pouvoir du maître ou de l’adulte. Rappeler la loi, c’est aussi en appeler à 1NL Un objectif social. « La sanction est un coup d’arrêt. Sans celui-ci, l’enfant peut être amené à persévé- DE MON TEMPS... Damien Vandermeersch 48 ans, professeur d'université sa valeur d’instance, c’est-à-dire à sa capacité à lier un “je” à un “tu” pour faire advenir un “nous”. La sanction rappelle que les lois que le groupe se donne ne peuvent être impunément ignorées ou violées au risque de le faire éclater. Mais qu’estce qu’un rappel à la loi si la loi est inique ou n’est qu’une petite règle tatillonne ? Réfléchir sur la sanction, c’est toujours réfléchir en amont. Le sens, la lisibilité de la loi et la mise en place d’un véritable cadre socialisant est une exigence essentielle car la sanction ne prend sens que comme élément d’un dispositif plus global où se nouent paroles, lois et responsabilité. » Un objectif éthique. « La transgression, sous certaines conditions, par- ticipe à la construction du sujet social, tout comme l’erreur, dans des conditions didactiques précises, participe à l’évolution intellectuelle du sujet cognitif. Embarqués dans leur quête d’identité et de reconnaissance, l’enfant et l’adolescent se plaisent à bousculer les règles. Ils s’éprouvent en éprouvant la fiabilité de leur environnement social. Il n’y a rien de rien de pire que le silence en cas de transgression caractérisée. Il importe de toujours rétablir les limites, de reformuler à chaque fois les interdits structurants. Ne faisons pas silence sur ce qui s’est passé. » Surprenant, car certains réprouvent que l’on punisse un enfant encore en construction, « irresponsable ». « Philippe Meirieu donne une tentative de réponse « Comme tous les gosses, je réfutais parfois les actes d’autorité posés par mes parents. Il m’arrivait aussi de les comprendre sur le moment ou plus tard, avec le recul. A l’école, je ressentais l’autorité surtout quand elle frappait arbitrairement. Souvent, le prof dont on se souvient c’est celui qui faisait peur, qui abusait de son autorité pour effrayer. Il arrivait qu’un enseignant fasse des différences parmi les élèves, notamment entre les meilleurs et les moins bons. Ces derniers étaient sanctionnés alors qu’il aurait été plus juste de les encourager. » (C.E, st) 49* Jeudi 1er juin 2006 rer, à aller plus loin, à faire plus mal, à se faire plus mal. L’éducateur doit soutenir des “non”. La peur de ne plus être aimé taraude souvent l’éducateur qui s’oppose ou se risque à poser un refus. La sanction éducative, par-delà son effet césure, tend à réinscrire le coupable dans le jeu social de la réciprocité. » Principes structurants. Ces objectifs clarifiés, le chercheur en tire des conclusions opératives pour les pédagogues… même si, comme il le souligne lui-même, « c’est plus facile à dire qu’à faire. Ainsi, la sanction éducative ne peut être qu’individuelle, pas collective. Pas de mises en scène spectaculaires, pas de punitions “exemplaires et édifiantes” devant le groupe. Mais de la symbolique et de la solennité. La gravité est appel à la raison. La sanction appelle à la parole : pas de sanction appliquée qui ne soit expliquée. Il faut sanctionner un acte, mais pas une personne, un vol mais pas un voleur. L’adulte doit se refuser tout discours sur le caractère et la personnalité de l’enfant. Une sanction éducative peut être la privation de l’exercice d’un droit, une mise à l’écart temporaire, une interdiction d’activité. Son ressort n’est pas l’humiliation, mais la frustration. Enfin, la sanction doit s’accompagner d’un geste du coupable à l’intention de la victime ou du groupe. Le besoin de réparer est aussi le désir de se réparer ». FRÉDÉRIC SOUMOIS Les recours contre le conseil de classe crispent l’atmosphère Depuis 1999, la décision d’un conseil de classe est soumise à un appel. « Légitime », disent les uns. « Tracassier », disent les autres. D ébut septembre, je dois prendre dix jours rien que pour la rédaction des procès-verbaux de conseils de classe et pour recevoir les plaintes et les recours. » Ce préfet du secondaire reçoit entre 30 et 40 parents pour les 1.700 élèves de son établissement. « Souvent, à la vue du contenu de l’examen écrit, le problème est réglé, le parent se rend compte que son fils ou sa fille lui a raconté des histoires. » Mais il arrive que l’affaire ne se résolve pas aussi vite. Après une nouvelle tentative de conciliation au niveau du pouvoir organisateur, et parfois un retour vers un conseil de classe extraordinaire, ce qui allonge les démarches, c’est une commission de recours centrale qui devra trancher. 8279500 Il y a en deux, une par réseau, afin que chacun réforme ses propres décisions, sans que l’on puisse suspecter des règlements de compte. L’originalité du recours est qu’audelà de la vérification du caractère formel de l’épreuve (y a-t-il eu examen, la copie a-t-elle été valablement et équitablement corrigée ?), la commission doit se pencher sur le niveau atteint. En d’autres termes, un élève recalé par rapport à sa classe ou son école peut être « sauvé » s’il atteint les compétences requises au niveau global. 810 recours en 2005 pour des dizaines de milliers d’élèves, soit un taux de 0,046 %, c’est un chiffre que le cabinet de la ministre chargée de l’Education Marie Arena trouve raisonnable, estimant qu’on n’a pas subi une invasion de procédures, comme certains le craignaient après l’introduction de cette possibilité en 1999 (décret missions). Pour l’autorité, il n’était plus tenable de ne pas ouvrir de possibilité de recours contre une décision qui peut engager l’avenir d’un ado. « La plupart du temps, la décision est parfaitement adéquate. Mais les conseils de classe sont composés d’êtres humains, donc faillibles. » Plus globalement, le sentiment d’une partie de la communauté éducative est une progressive judiciarisation des rapports dans l’école. Il n’est plus rare de voir des parents débarquer avec un avocat pour faire valoir leurs droits. D’autres rétorquent que c’est bien normal après des décennies de pouvoir scolaire quasi absolu et sans appel. Les recours contre l’exclusion de l’école sont également en hausse (1.365 en 2005) et la rentrée prochaine devrait sans doute ouvrir le chantier des recours contre les refus d’inscription, que les directions devront systématiquement justifier sous peine de sanctions. « Je dois consacrer dix jours à dégonfler des baudruches, puis à produire une paperasse considérable, chaque étape de la conciliation exigeant un procès-verbal détaillé des arguments échangés. Ce sont dix jours où je suis soustrait de mes tâches essentielles, à un moment-clé, puisque c’est le moment de la rentrée scolaire. Et puis, sincèrement, j’en entends des vertes et des pas mûres. Pourtant, il y a eu moins d’un cas par an où la décision a été revue », confie notre préfet. FRÉDÉRIC SOUMOIS 8410560 1NL 50* Chapitre 3 Jeudi 1er juin 2006 Parents-profs Les pièges de la « parentocratie » Entre l’école et les familles, le dialogue est fragile. Comment naissent et meurent les discordes et les incompréhensions ? L’analyse d’Eric Mangez, sociologue (Cerisis-UCL). ENTRETIEN E ric Mangez est sociologue spécialisé dans les questions d’éducation. Il est membre de l’équipe « enseignement » du Centre de recherche interdisciplinaire pour la solidarité et l’innovation sociale (Cerisis), attaché à l’Université catholique de Louvain. Il porte un regard éclairé sur les rapports qu’entretiennent les parents avec le monde scolaire. Autrefois, l’école et la famille étaient séparées de façon très distincte. Aujourd’hui, les politiques scolaires visent à rapprocher ces deux univers. A faire de l’école et des parents, de véritables « partenaires ». Comment s’opère ce rapprochement ? Tout d’abord, il faut replacer la relation école-familles dans un contexte économique global. L’ère du pleinemploi est révolue. Le monde du travail est dominé par la flexibilité, l’instabilité, la précarité. Les délocalisations d’entreprises progressent. Les parents, de façon légitime, sont traversés par une même crainte. Quel va être l’avenir de mes enfants ? Les attentes vis-à-vis de l’école sont immenses. On attend qu’elle puisse transmettre un maximum de connaissances, qu’elle puisse être « le » chemin vers la réussite, l’épanouissement personnel, la stabilité professionnelle… En outre, les exigences du monde du travail sont grandes. Stress, logique de la performance, contraintes horaires… Les parents doivent « composer » avec les garderies, les coups de pouce à domicile, etc. Dans ce contexte, le rapprochement entre les fa1NL Les attentes vis-à-vis de l’école sont immenses : elle doit être le chemin vers la réussite, l’épanouissement, la stabilité professionnelle. PH. J.L. WERTZ milles et l’école peut être source d’incompréhensions et de critiques mutuelles. Qu’entendez-vous par incompréhensions ? Du côté des enseignants, on entend dire parfois que les parents “se désinvestissent de plus en plus”; qu’ils “ne s’occupent pas bien de leurs enfants” ; qu’ils “viennent toujours pour se plaindre”… Du côté des parents, on se dit exclu du projet pédagogique, incompris, mal accueilli… Un exemple : le « mythe » des parents démissionnaires. Celui-ci est éclairant et révélateur de paradoxes. A ma connaissance, il n’existe pas (ou si peu) de parents qui ne soient pas préoccupés par la scolarité et par l’avenir de leur enfant. D’un autre côté, certains enseignants ne souhaitent pas que ces parents s’investissent trop dans la sphère pédagogique. Estimant, à raison, que la pédagogie, c’est leur territoire, leur savoir-faire, leur identité professionnelle. La frontière entre l’école et la famille est fragile, ténue, en perpétuelle évolution. Au travers de votre recherche menée auprès des familles défavorisées « à l’épreuve de la maternelle », vous avez pu constater combien les « repères » (culturels, sociaux…) des parents ne sont pas ceux des enseignants. En effet. Lors de nos entretiens, nous avons pu constater que les con- flits naissent de problèmes domestiques et pratiques : la perte d’un objet, un vêtement abîmé, le manque d’autorité d’un enseignant… Ces parents comparent l’école à la maison. Ils ont une idée précise de ce que doit être la discipline, l’apprentissage, la surveillance… Et classent ce qui est « bien » dans leur esprit et ce qui est « mauvais ». Ainsi, une maman va juger négativement une institutrice parce qu’elle a laissé son enfant rentrer chez lui avec des mains sales ou parce qu’elle lui apprend à lire en jouant. Pour cette maman, l’école doit être synonyme de propreté et d’hygiène, et l’apprentissage n’est pas un jeu. De ces malentendus culturels naissent parfois des discordes. Les mesures prises pour combler ce fossé entre l’école et les familles sont-elles suffisantes ? Non, je ne le pense pas. Or, l’enjeu est capital. Il ne s’agit pas seulement de créer un bon climat dans l’école. C’est tout le processus d’apprentissage chez l’enfant qui en dépend. Si, dans le milieu scolaire, cet enfant perçoit que ses parents ne sont pas reconnus à leur juste valeur, ça n’est pas sain. Si, à la maison, il entend que la légitimité de ses profs est perpétuellement mise en cause, ça n’est pas constructif non plus. L’enfant ne peut construire son identité sur un sentiment de « trahi- son », une situation de porte-àfaux, un affrontement, ou une distanciation. Comment peut-on repenser la relation écoles familles ? En repensant cette relation de façon équilibrée. Jusqu’ici, les mesures prises par les pouvoirs publics allaient souvent dans le sens des parents : conseils de recours, conseils de participation, fin du redoublement… Il ne faudrait pas affaiblir les enseignants dans ce rapport école-familles. Ils ont besoin d’être reconnus, associés, entendus. Plusieurs pays européens, comme la France ou l’Angleterre, vont également dans un sens du « tout aux parents ». En Grande-Bretagne, par exemple, les familles ont un vrai pouvoir de gestion dans l’enseignement. Ma crainte, c’est que ce soit le « marché « qui fasse la loi. Que l’on entre dans une forme de « parentocratie ». Que l’on construise une politique scolaire en se basant sur les attentes des parents et non en s’appuyant sur un projet public ou sur des valeurs fondatrices : l’égalité, l’émancipation, etc. HUGUES DORZÉE DE MON TEMPS... Jacques Stas, 37 ans Basketteur professionnel « Fils unique, j’ai été élevé par mes grands-parents. Ma grandmère était très stricte, ayant connu la guerre. Je ne disais jamais un mot plus haut que l’autre et faisais tout ce que l’on me demandait. En classe, l’autorité était aussi naturelle. Nous étions seulement quinze. Les professeurs, Jésuites, avaient donc la mainmise sur les élèves. Si l’autorité est parfois dure à vivre, on s’aperçoit vite qu’elle est nécessaire pour acquérir un certain savoir-vivre. Elle se transforme alors en auto-discipline ». (A.G., st.) 51* Jeudi 1er juin 2006 Petits trucs sans recette miracle Comme dans un couple ou dans une entreprise, il n’y a pas d’ingrédient miracle pour que les relations parents-profs s’épanouissent. Sinon la parole et l’échange… préventif. P oser les problèmes, c’est utile, cerner les limites, c’est bien, mais donner quelques pistes à appliquer sur le terrain, que l’on soit prof, élève, parent ou directeur, c’est mieux. Attention : la liste n’est pas exhaustive et tous les petits trucs ne sont pas applicables partout… Pour le professeur Marcel Crahay, il faut instaurer, dans le primaire, une réunion des parents tôt dans l’année, pour expliquer aux parents la conception pédagogique. Le journal de classe doit jouer un double rôle, pour tenir lieu de fil rouge à l’enfant, mais aussi d’outil de communication avec le parent. Il faut qu’il soit signé et consulté de manière très régulière. « L’enfant obtient ainsi une régulation temporelle et des balises. Car il est clair que sans cela l’élève, même très jeune, trouve vite comment jouer le prof contre le parent… » Dans le secondaire, l’expert est favorable à un maximum de réunions de parents et de concertation. « Je trouve dommage que certaines écoles n’en aient aucune. Le journal de classe revêt un rôle différent, parce que l’adolescent a besoin d’un début d’autonomie. Si le prof se sert du journal de classe pour obtenir des parents un contrôle sur les parents, cela peut être mal vu. Ici, il est plutôt un outil entre le prof et l’élève. Ce qui n’empêche pas de l’utiliser, à certains moments, en demandant de le faire explicitement signer. Ce sera d’autant plus difficile si le premier contact entre parents et professeur se fait au moment d’une crise. Mais si le contact est déjà établi avec le titulaire de classe, par exemple, celui-ci peut servir de médiateur entre un prof et l’ado ou sa famille. L’ado est un adolescent au sens étymologique, il demande que sa place et son importance soient reconnues, il n’est plus un infans (“celui qui ne parle pas”). Une réunion de parents peut expliquer tout cela de manière précoce. » Les responsables d’association de parents donnent, eux, un joli conseil : fleurir les enseignants le premier jour de classe, pour symboliser le projet commun de l’institution, pour concrétiser la main tendue. Plus prosaïquement, beaucoup d’acteurs soulignent que la participation accrue obtenue à la suite du décret missions (à certains endroits, il ne faisait que mettre en texte les pratiques anciennes des écoles) ne peut fonctionner qu’avec une pleine participation des acteurs. Prendre part aux réunions des parents, mais aussi profiter de moments festifs pour mieux connaître le cadre d’éducation où doivent s’épanouir les enfants. « Dans le secondaire, beaucoup de parents ignorent jusqu’au nom et au visage de la plupart des profs de leur enfant. Ce n’est pas normal… même et surtout si tout semble aller bien », souligne un expert. FRÉDÉRIC SOUMOIS 8486240 8430450 ! ! " # $%&' ()*+,,,-./ ,0,,12, ,QVWLWXWGH5DGLRpOHFWULFLWpHWGH &LQpPDWRJUDSKLH 1,9($86(&21'$,5( 7HFKQLTXHVDUWLVWLTXHVSKRWRJUDSKLH 7HFKQLFLHQQHHQSKRWRJUDSKLH (OHFWURPpFDQLTXH 7HFKQLFLHQQHHQpOHFWURQLTXH ,QVFULSWLRQVGXDXMXLOOHWLQFOXV HWjSDUWLUGXDRWGHKjK HWGHKjK 5HQVHLJQHPHQWV $YHQXH-XSLWHU %UX[HOOHV)RUHVW )D[ HPDLOLQUDFL#LQUDFLEH ZZZLQUDFLEH 1NL 52* Chapitre 3 Jeudi 1er juin 2006 Parents-profs Quatre pistes pour faire tomber les murs entre l’école et la famille Cahier de communication, local « des parents », cogestion… Les écoles mettent en place des projets pour se rapprocher des familles. Petit mode d’emploi. A gauche, le bahut. A droite, les parents. Entre les deux ? Un mur d’incompréhension, parfois. Un beau partenariat, souvent. « Les agressions, les intrusions, les difficultés de communication, ça n’est pas la norme ! », insiste Emily Hoyos, la directrice du service d’études de la Ligue des familles. « Les parents et l’école ne sont pas condamnés à évoluer dos à dos. Il existe de nombreuses initiatives positives et concrètes ». Ces initiatives sont souvent informelles. Elles émanent de la « base » (direction, enseignants, parents…) et permettent de rapprocher les points de vue. Quelques pistes parmi d’autres… Soigner la relation dès l’inscription. La relation famille-école commence à la rentrée. En dehors des formalités administratives, l’établissement peut apporter un soutien concret aux parents (rédaction des documents, éventuelle traduction…) ; les informer plus ou moins largement (pédagogie, coût, sécurité…) ; prendre en considération leur situation familiale et/ou sociale, les habitudes et les éventuelles maladies de l’enfant… L’inscription peut être un premier moment d’intégration (visite des lieux, rencontre avec les enseignants…). C’est là que va se tisser la relation de confiance entre les parents et l’école. Un « facilitateur » de dialogue. « Dans le rapprochement école-parents, le chef d’établissement joue 1NL La relation famille-école commence à la rentrée. PHOTO ALAIN DEWEZ. un rôle fondamental », commente Emily Hoyos. « C’est lui qui va mettre les parents en confiance, encourager les enseignants à monter des projets vis-à-vis des parents, donner une impulsion au conseil de participation… ». Tolérance, sens de l’écoute, charisme… Les qualités humaines de ce directeur sont évidemment importantes. Une communication en continu. Téléphone, mot dans le cartable, recommandé, recours au journal de classe… Entre l’école et la maison, tous les moyens de communication sont utilisés. Certains sont efficaces, d’autres moins. Il peut y avoir des barrages culturels, linguistiques, économiques… Le moyen le plus direct reste l’entretien (informel ou non). Certaines écoles ont mis en place des dispositifs « planifiés » tout au long de l’année : groupe de mamans, excursions conjointes avec les parents, atelier rencontre avant la classe… Autre initiative : le cahier de communication. Utilisé en maternelle, cet outil permet aux parents qui ont très peu de contacts avec les instituteurs, de faire passer des petites « informations » de la vie quotidienne (petit bobo, incident en famille…). « Ça se passe en dehors du journal de classe, l’enfant n’est pas mis dans la confidence, et ça permet de maintenir le lien. Seul problème : on doit passer par l’écrit, ce qui dans les milieux défavorisés n’est pas toujours opportun », note Emily Hoyos. Faire « tomber » les murs. Ouverture d’un local « des parents « avec coin café, création de commissions thématiques (fête, voyage…), participation à la gestion financière… Plusieurs établissements ont mis en place des stratégies pour impliquer davantage les parents dans la vie quotidienne. Valoriser l’école et la maison. La relation parents-école passe aussi par un respect réciproque : valoriser les apprentissages scolaires, véhiculer une image positive de l’enseignant, soutenir l’enfant dans son cursus… A l’inverse, l’école aura tout à gagner à valoriser les compétentes des parents : peindre des bâtiments, cuisiner pour une fête, témoigner de son métier en classe, participer à l’heure du conte… Autant de « petites choses » qui vont faire des parents des « partenaires » à part entière. HUGUES DORZEE DE MON TEMPS... Jean-Philippe Ducart, 39 ans Porte-parole de Test-Achats « Mes parents n’hésitaient pas à corriger certains aspects de mon comportement afin de me faire connaître mes limites. Mais il y a toujours eu un dialogue entre nous. J’ai davantage ressenti l’autorité à l’école, chez les jésuites de Mons. La discipline était très stricte, parfois même militaire : système d’avertissement avec cartes de couleur ou exclusion des cancres. Mais les règles étaient claires. Par ailleurs, j’ai toujours été un élève et un enfant relativement obéissant. J’ai forgé ma personnalité différemment. » (A.G, st.) 53* Jeudi 1er juin 2006 « L’école doit restaurer l’autorité, sinon, on va se casser la gueule » Enseigner, ce n’est pas une histoire d’amour, c’est une histoire de respect. Confrontée aux demandes éducatives, que doit faire l’école ? Traube conclut. R edonner à l’école sa place dans notre société. Redéfinir ses missions. Requalifier son territoire, dit Patrick Traube, psychothérapeute et formateur. Un chemin existe. Et tout espoir n’est pas perdu… Moi, quand j’évoque les professeurs, je parle à dessein des “maîtres”, c’est un mot à restaurer, je trouve. Il faut que les maîtres dans leur classe, les chefs d’établissements réaffirment les règles de base, les procédures. Les choses se présentent plutôt bien pour l’autorité : le mouvement est en route. Et il était urgent qu’il le soit. Cela prendra encore quelques années, mais au niveau des institutions scolaires et même des parents tout le monde est acquis à l’idée que pendant plusieurs décennies il y a eu une défaillance et que l’on va se casser la gueule si on ne restaure pas l’autorité. Mais comment faire ? La situation est moins dégradée aujourd’hui qu’il y a six ou sept ans, notamment au niveau des grandes villes. En cas de problème grave, il est parfois plus facile de repartir de rien. D’où la nécessité de frapper fort, plutôt que de procéder à des aménagements de façade. De changer le nom de l’école, sa direction, éventuellement son équipe. L’objectif doit être de restaurer la communication et le rapport à la loi et à 8279000 5R\DOGH.RHNHOEHUJ YRXVRIIUHXQHIRUPDWLRQJpQpUDOHSUpSDUDQWHI¿FDFHPHQWjWRXWHVOHV RULHQWDWLRQVGHVpWXGHVVXSpULHXUHV PDWKpPDWLTXH HW VFLHQWL¿TXH JUkFH j GHV RSWLRQV GH EDVH VLPSOHV SHUPHWWDQWXQHIRUPDWLRQGHKDXWHTXDOLWpSKLORORJLTXHSDUOHELDLVG¶XQ FKRL[G¶RSWLRQVH[FHSWLRQQHOODWLQJUHFQpHUODQGDLVDQJODLVDOOHPDQG HVSDJQROKLVWRULTXHpFRQRPLTXH !"#$" %& ' 'HPDQGH]QRWUHGRFXPHQWDWLRQ Suite en page 54 /·$WKpQpH 8297620 l’autorité, de redonner du sens, de reconstituer de véritables équipes – pas des individus atomisés – et de restaurer une direction forte. Mais on n’en arrive pas systématiquement à de telles extrémités. Comment restaurer le rapport à la loi ? Attention : une stratégie qui marche admirablement bien dans une école peut rater dans une école voisine… Quoi qu’il en soit, pour restaurer l’autorité, il faut être prêt à donner des explications. Et pour pouvoir les donner, il faut d’abord être au clair soi-même avec ses propres règles. Cela suppose qu’on redéfinisse la mission de l’école… Et pour moi, on est mal parti ! Avec l’intention louable d’associer les parents à l’école et les demandes auxquelles celle-ci est confrontée, la confusion règne. Comment peut-on imaginer une école “requalifiée” si les enseignants se demandent à tout moment qui ils sont, ce qu’ils sont censés faire, où ils vont apprendre ce qu’ils n’ont pas appris ? Si les professeurs ne se sentent respectés ni par les parents, ni par les enfants ni par la société, alors qu’on leur demande de respecter l’enfant ? Comment peut-on respecter l’enfant si on ne sent pas respecté soi-même ? L’enseignant ne peut se sentir respecté que dans une école que l’on a ,QVFULSWLRQVWRXVOHVMRXUVG¶RXYHUWXUHGHO¶$WKpQpH DLQVLTXHGXDXHWGXDXGHKjK 5HQVHLJQHPHQWV DYGH%HUFKHP6WH$JDWKH %UX[HOOHV 7pO ZZZHQVLULVQHWEH 1NL 54* Jeudi 1er juin 2006 Chapitre 3 Parents-profs du monde ne repose pas sur ses épaules. La manière dont la famille se comporte, ce n’est pas l’affaire de l’enseignant ; inversement, la famille n’a pas à venir se mêler de la manière dont l’enseignant mène sa classe et enseigne les valeurs de notre société. Chacun chez lui. Je rappelle qu’il existe un engagement écrit, et pas seulement un engagement moral. Lorsqu’une famille inscrit son enfant dans une école publique, elle signe cette charte. Cette signature l’engage et peut lui être opposée en cas de conflit. Suite de la page 53 recadrée dans ses attributions fondamentales. Mais les demandes émanant de l’extérieur existent bel et bien. Les enfants « à problème » ne manquent pas. Comment l’école peutelle faire face ? Le doit-elle ? On ne lui a pas donné le choix jusqu’à présent, mais il faut remarquer qu’au niveau politique il y a désormais une prise de conscience. On se rend compte que si parallèlement à l’évolution scolaire on ne fait pas un travail sur les familles – par exemple sous la forme d’une guidance familiale – on ne s’en sortira pas. Les familles doivent aussi être requalifiées en tant que première institution de socialisation et d’humanisation. Cela ne sert à rien de travailler en aval au niveau de l’école si l’on ne travaille pas en amont. Comment ? Encore une fois à tous les niveaux en même temps, le pouvoir politique doit agir en prenant des mesures législatives, réglementaires, contraignantes s’il le faut. Mais en même temps, il y a un travail d’éducation à faire. De la formation, de la communication. Par les médias notamment. La tendance est-elle à une certaine « restauration » ? A mon avis on est au point d’exacerbation du mouvement d’individualisme. On ne pourra pas aller plus loin. Il faut réintroduire un équili- MICHEL DE MUELENAERE Traube : « Les familles doivent aussi être requalifiées en tant que première institution de socialisation et d’humanisation ». PHOTO D.R. bre entre l’individu et le monde commun. Les mettre non pas en opposition mais en dialectique – c’est-à-dire maintenir ces deux polarités dans leur antagonisme – sans chercher à tout prix une synthèse. L’école devra néanmoins faire face à des demandes éducatives. Jusqu’à quel point doit-elle y répondre ? La partie éducative que l’école peut remplir, c’est à travers la transmission de la culture. Point final. Cet héritage comporte le savoir mais aussi quelques valeurs fondamentales. A savoir… Tout ce qui fait que nous sommes des Européens ; les héritages gréco- romain, judéo-chrétien, celui des lumières. Les droits de l’homme, l’égalité entre homme et femme, la liberté d’expression avec la responsabilité. La contestation des savoirs fait aussi partie de notre héritage culturel… N’oublions pas que l’école a une mission prioritaire de consensus social. Sa mission est de promouvoir les valeurs de la société démocratique européenne. Le modèle scolaire est LE modèle. Cela ne signifie pas que le modèle familial – lorsqu’il est antagoniste – est mauvais. Mais l’école a ses propres valeurs et les défend sur son territoire. Point barre. L’enseignant n’est pas responsable de la misère du monde et l’avenir 8430660 F A C U LT É P O LY T E C H N I Q U E D E M O N S Année académique 2006-2007 INSCRIPTION A L’EXAMEN D’ADMISSION Session de juillet : avant le 27 juin 2006 • Session de septembre : avant le 28 août 2006 JOURNEES DE PRESENTATION DE L’EXAMEN D’ADMISSION AUX ELEVES DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE Du 21 au 25 août 2006, de 9 à 16 h • Programme sur www.fpms.ac.be (rubrique «Etudes») INGÉNIEUR CIVIL EN I Architecture I Chimie et Science des matériaux I Electricité I Informatique et gestion I Mécanique I Mines et Géologie DE MON TEMPS... Jean-Claude Van Damme 36 ans, acteur « Ma sœur et moi avons reçu une éducation stricte. Mais nous en sommes heureux et fiers. Très tôt, nos parents nous ont fait prendre conscience que dans la vie, il n’y a que le labeur qui paie. Mes parents étaient fleuristes et avaient des horaires difficiles. Nous n’avons jamais manqué de rien. Mais ils m’ont toujours inculqué la valeur de l’argent et la sueur qu’il fallait produire pour en gagner. Nous devions faire preuve de beaucoup de respect pour tout le monde. Dire merci ou s’il vous plaît chaque fois qu’une situation l’imposait. Cela a tendance à disparaître. Dans le bus, je me levais pour laisser la place à une dame âgée. L’autorité, c’est apprendre à ses enfants ce qui est bon ou mauvais dans la vie, ce qu’ils peuvent faire et ne pas faire, les guider, durement s’il le faut, mais toujours pour leur bien. Avec amour. » (Ma.M., st) La 1ère année du grade de bachelier est aussi organisée à Charleroi. Formation identique à celle de Mons. Secrétariat des Etudes - 9, rue de Houdain - 7000 MONS Tél.: 065/37 40 30 à 32 | Fax: 065/37 40 34 | [email protected] | http://www.fpms.ac.be La Polytech est membre de l'Académie Universitaire Wallonie-Bruxelles 1NL Editeur responsable Patrick Hurbain Rue Royale, 120, 1000 Bruxelles 8551600 !" # ! "# $ % & ' $( - )*+# ,$- %. ' % $#/ 1NL 8525940 Haute École Libre de Bruxelles - Ilya Prigogine Technique Social Economique Paramédical s, mpu a c 2 ons i t a orm f 2 ts, 1 n e Accoucheuse rtem a p é d Assistant(e) social(e) 4 Cinématographie Ecologie sociale Electronique Ergothérapie Informatique de gestion Prigogine, c’est : Kinésithérapie Photographie Podologie-Podothérapie Soins infirmiers et spécialisations (SIAMU, pédiatrie, santé communautaire) Campus Erasme (dès septembre 2007) Département paramédical Section accoucheuses et soins infirmiers / EIULB Route de Lennik 808 à 1070 Bruxelles Tél. + 32 2 555 35 47 – Fax + 32 2 555 47 66 [email protected] Département économique Section ergothérapie, kinésithérapie, podologie-podothérapie / ILB – ISCAM Sections informatique de gestion et relations publiques / ILB – INRACI Rue du Trône 218 à 1050 Bruxelles Tél. + 32 2 349 14 47 – Fax + 32 2 646 53 58 [email protected] Av. Victor Rousseau 75, 1190 Bxl Tél. +32 2 340 10 18 - Fax +32 2 340 10 15 [email protected] Département social Département technique Sections assistant(e) social(e) et écologie sociale / EOS Sections cinématographie, photographie et électronique appliquée / INRACI Rue Brogniez 44, 1070 Bxl Tél. +32 2 523 80 40 – Fax + 32 2 521 73 68 [email protected] Av. Victor Rousseau 75, 1190 Bxl Tél. +32 2 340 10 18 - Fax +32 2 340 10 15 [email protected] www.helb-prigogine.be 1NL Campus Duden