2015-lart-de-la-cita..
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L’art de la citation Il faut prendre conscience qu’aujourd’hui, l’artiste n’est plus le détenteur d’un savoir-faire, ce qui ne signifie pas la perte d’un langage artistique et du geste créateur. Artiste autodidacte, c'est en passant chaque jour devant les vitrines d'une galerie qu'est née la vocation artistique de Bertrand Lavier. Paysagiste de formation, il développe seul ses capacités par l'observation et la pratique, s'intéressant très tôt au rapport entre art et réalité, s'interrogeant aussi sur le statut de l'art dans la société. S'il se fait connaître du landerneau artistique en 1974 avec 'Rouge Géranium par Duco et Ripolin', c'est en transformant en oeuvres d'art des objets de la vie quotidienne issus de la culture populaire que ce diplômé de l'Ecole nationale d'horticulture de Paris se fait reconnaître. Prolongement critique des ready made de Marcel Duchamp, ses créations 'Solid State' en 1980 puis 'Philips dans Rue de Passy' démontrent son goût du détournement d'objets, qu'il étend bientôt à l'espace public, s'appropriant panneaux publicitaires ou routiers, terrains de sport ou façades d'immeubles. Durant les années 1990, en recherche perpétuelle, il consacre également de son temps à proposer ses propres 'Walt Disney Productions', toujours dans son souci d'explorer les fondements de l'art et la perception du public. Artiste avant-gardiste et inventif, Bertrand Lavier compte désormais parmi les figures les plus marquantes de sa génération. • Bertrand LAVIER (né en 1949), Composition n°1, 1986, liquitex sur panneau de métal, Le Consortium. • Bertrand LAVIER (né en 1949) Golden Brot,1983, Liquitex, verre, aluminium, néon, 183 x 90 x 35 cm • Bertrand Lavier Mademoiselle Gauducheau 1981, Placards métalliques peints à l'acrylique, 92 cm x 195 cm x 50 cm, • Bertrand LAVIER (né en 1949) Gabriel Gaveau, 1990, Peinture acrylique sur piano, • Bertrand LAVIER (né en 1949) Brandt sur Haffner, 1984, frigidaire de la marque Brandt sur coffre fort de la marque Haffner • Bertrand Lavier (né en 1949, Harcourt/Grévin, 2002. Photo, tirage cibachrome. 140 x 120 cm. Collection de l’artiste, MAMVP • Bertrand Lavier (né en 1949) Harcourt / Grévin (Benigni), 2002 cibachrome, cm. 128 x 110 Il ne pas croire que les artistes actuels sont forcément oublieux de l’art du passé et de la tradition. Au contraire, ils ne sont pas issus d’une génération spontanée. • Planche de bande dessinée Mickey par Walt Disney, 1947 /Bertrand Lavier (né en 1949), vues de l’exposition au Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1947-2002. Œuvres de la série des Walt Disney Productions. MAMVP • Bertrand Lavier (né en 1949) Walt Disney Production 1947-1995 • Bertrand Lavier (né en 1949) La Boca sur Zanker, 2005, 174 x 215 x 81,5 cm • Salvador Dali (1904-1989), portrait de Mae West que l’on peut utiliser comme un appartement surréaliste, 193435,h/t Auparavant l’emprunt constituait la base de la formation de l’artiste : copie d’après l’antique, d’après les maîtres, déclinaison d’un thème, apprentissage au contact des œuvres ; tout cela devait être assimilé, digéré puis tu, c’est à dire ne pas transparaître dans le travail de l’artiste Beaucoup plus érudits qu’ils ne le laissent paraître, les artistes actuels connaissent ce qu’ont fait leurs aînés (ceux de la génération d’au-dessus mais aussi les plus anciens) et y font référence : sous forme d’hommage, de citation ou au contraire en leur tournant le dos. La temporalité de l’art contemporain s’inscrit alors au présent dans l’histoire de l’art. L’art post-moderne nous invite à la revisiter. Le dialogue avec les maîtres a toujours existé. Il signifie : parler d'un autre ou avec un autre, pour parler de soi. « Quiconque n'a pas commencé par imiter ne sera jamais original ». Théophile Gautier Les artistes contemporains connaissent leurs classiques. Ils ont fait leur gamme et se sont nourris de la culture occidentale en la prenant dans leur arbre généalogique, en étudiant de près les grands maîtres précédents et en assimilant les points marquants et pierre d’achoppement de l’histoire de l’art. Ils aiment à reprendre le fil de la discussion en dialoguant avec les anciens. Ils revisitent ou relisent avec un regard neuf les thèmes traditionnels mais aussi les ruptures stylistiques ou les œuvres phares. Les phénomènes d’emprunt, de variation autour d’un même thème, de citation, de détournement jouent un rôle crucial dans tous les champs d’action de l’art contemporain. Les artistes de notre époque ne sont pas les premiers à faire de la réappropriation des oeuvres antérieures le moteur de leur démarche créatrice, mais ils lui donnent aujourd’hui une ampleur inédite. Auparavant l’emprunt constituait la base de la formation de l’artiste : copie d’après l’antique, d’après les maîtres, déclinaison d’un thème, apprentissage au contact des œuvres ; tout cela devait être assimilé, digéré puis tu, c’est à dire ne pas transparaître dans le travail de l’artiste. La référence aux œuvres classiques est devenue actuellement une composante récurrente dans la démarche des artistes. Force est de constater qu’elle prend souvent une apparence de discours critique qui nous amène à nous interroger sur l’histoire de l’art toute entière, la transmission des savoirs de même que le rôle et la place de l’art. Les artistes de maintenant emploient facilement des formes plus inédites comme l’inventaire, la relecture, l’appropriation, la mise en situation, le remake, le recyclage, ou la parodie... Faire du neuf avec du vieux L’œuvre actuelle découle d’une chaîne qui remonte à l’œuvre source et celle-ci peut être clairement indiquée ou simplement évoquée. La question à se poser devient : du point de départ au point final, quelle est la nature du rapport qui existe entre les deux œuvres? L’autre série de questions fécondes que vous vous poserez concernera l’intention de l’artiste dans ces réinterprétations: dans quel but ? pour quelles raisons ? quel en est l’enjeu ? S’il emprunte, qu’apporte-il à son tour ? S’agit-il d’un prêté pour un rendu ? Sans aucun doute quand l’artiste réactualise l’art du passé c’est pour «inventer dans la langue une nouvelle langue, une langue étrangère en quelque sorte » comme le dit Deleuze. L’artiste invente dans l’art un art autre. La citation relève du métalangage. Il ne s’agit pas de réemploi mais bien d’oeuvres originales qui s’inscrivent dans une réflexion entamée par d’autres artistes dans le passé. Emprunter pour mieux créer Dans la gamme infiniment variée de ces jeux d’écho, on peut retrouver cinq types d'emprunts : le modèle stylistique puise dans la manière, la griffe ou la signature d’un autre ou d’une époque (Louis Cane et les Nymphéas). La reprise de la structure s’intéresse particulièrement à l’organisation plastique de l’œuvre de départ, l’artiste la décortique cherche à trouver comment elle est faite, pas forcément pour mieux la comprendre mais pour rebondir à partir d’elle en produisant à son tour une création nouvelle. Cette pratique relève de ce qu’on pourrait nommer « l’hommage iconoclaste », sorte de prolongement du questionnement posé par l’artiste revisité et interrogation sur le thème éternel et central du métier d’artiste, au travers des allusions à la peinture du passé comme l’a fait Picasso avec les Ménines de Vélasquez, le déjeuner dur l’herbe de Manet ou les femmes d’Alger dans leur intérieur de Delacroix. L’emprunt peut aussi se situer sur le plan iconographique : il s’agit alors de variations et déclinaisons d’un sujet classique pour le mettre au goût du jour et le réactualiser (Dali revisitant la tentation de Saint Antoine). Si la citation se signale sans équivoque dans un texte par la présence des guillemets marquant que l'auteur laisse la parole à un autre, dans les arts visuels l'emprunt reste plus discret et on ne le distingue pas toujours avec la même sûreté. A vous d’utiliser toute votre acuité pour détecter les références auxquelles l’artiste s’est attaché. Parfois aussi les artistes actuels opèrent des raccourcis, des accélérations temporelles comme pour remonter un ressort et utiliser l’effet de ricochets. Ils créent une interaction entre l’œuvre référence et leur production qui en découle. Pour sentir toute la subtilité de ces rébus pour initiés, vous devrez faire preuve de grandes connaissances vous-même (ainsi avec le déjeuner sur l’herbe d’Alain Jacquet qui fait référence à la série de Picasso, qui elle même est issue de Manet qui lui même évoque Titien…). Vous serez vite pris au jeu. Enfin l’hommage irrévérencieux , c'est-à-dire le réemploi et la provocation, la distanciation, le clin d’œil, l’ironie ou la perversion de l'œuvre source s’avère une pratique fréquente depuis Duchamp, qui en 1919 affuble de moustaches La Joconde dans une œuvre fameuse titrée L.H.O.O.Q. Ce n’est bien sur pas un hasard si de nombreuses œuvres d’art contemporain sont peu ou prou redevables à Marcel Duchamp, le pasticheur est à son tour pastiché. Pensons à Sherrie Lewine déclinant la Fontaine de Duchamp en bronze poli ou à Maurizio Cattelan moquant Fontana en réduisant le geste sacrilège de la lacération au signe populaire du Z de Zorro et l’on perçoit toute la réflexion (dans les deux sens reflet et idée) que les artistes de notre temps appliquent à l’Histoire de l’art avec un grand H. Certains artistes utilisent volontairement le plagiat, le duplicata, le remake, le remix, la redite comme un pied de nez face au caractère instable de la forme de l’image et de sa reproduction. Ces références doivent se lire dans un contexte qui permet d’en donner une lecture différente en rapport avec l’état du monde actuel étant donné que l’époque n’est plus la même que celle de la création de l’œuvre d’origine, de nouvelles pages d’histoire ont été tournées nous faisant prendre conscience du temps qui passe. C’est évident quand Alain Declercq refait en 2003 le geste provocant de Chris Burden de 1973 où ils tirent tous deux sur un avion en vol, cette action prend en effet tout son sens après le 11 septembre 2001, comme celle de l’artiste américain traduisait son engagement en fin de guerre du Vietnam! • Claude Monet, Nymphéas, h/t,1914-1917/Louis Cane "Nympheas"1994/95 Huile sur soie Papier peint de brocart avec motifs de fleurs & "Nympheas"1919/94 Huile sur papier peint de brocart avec motif de fleurs. 162x130cm • Edouard Manet, Le Déjeuner sur l'herbe, 1863 /Le Titien Concert champêtre - Vers 1509 Louvre/Pablo Picasso Le déjeuner sur l’herbe – 1960/Alain Jacquet Le déjeuner sur l’herbe – 1963 • Velasquez Le pape Innocent X, 1650, Gal Pamphili/ Bacon (1909-92) Etude d’après le portrait du pape Innocent X, 1953, NY • Jan Van Eyck Les époux Arnolfini, 1434, National Gallery, Londres/Fernando Botero (Né en 1932) Les époux Arnolfini, 1956, • Jacopo da Pontormo la visitation, 1528-29, Saint Michel, Carmignano /Bill Viola (Né en 1951) La salutation, 1995, vidéo • Leonardo DA VINCI, la Joconde c. 1503-06/Mistinguett en Joconde photo de Talbot, dans le magazine Comedia illustré • Carte postale de propagande 1918 caricaturant Guillaume II, empereur d’Allemagne/ Marcel L.H.O.O.Q. La Joconde readymade retouché, 1919, portant une moustache et une barbiche/Robert Filliou La Joconde est dans les escaliers Mona Lisa, 1969, carton, balai brosse, seau et serpillère/Andy Warhol (1928-1987) Thirty are better than one, 1963, Coll. Part • La Vénus de Milo Fin du IIe s. av. JC Louvre /Dali Vénus de Milo aux tiroirs / Arman Vénus $, 1970, Accumulation de dollars/ • Salvador Dali, Buste de femme rétrospectif, 1933 ; porcelaine peinte ; coll part /MILLET-L’Angélus, 1857-59, • La Victoire de Samothrace vers 190 avant J.-C Louvre /Yves Klein, Victoire de Samothrace • PICASSO, sculpture monumentale, 1967,Civic Center Chicago/Claes Oldenburg, (Né en 1929) Soft Version of Maquette for a Monument Donated to the City of Chicago by Pablo Picasso, 1968 sculpture toile et cordelette peintes au liquitex, • Ingres, La grande Odalisque/Martial Raysse, (né en 1936), Made in Japan. La Grande odalisque, 1964. CGP • Degas Petite danseuse de 14 ans 1881 bronze Orsay/Louise Lawler (Née en 1947) photo,102,5x137,5 • DUCHAMP Nu descendant l’escalier, 1911-12/Gerhard Richter (Né en 1932) Emma nue 1964 /Shigeko Kubota (Née en 1937) Nu descendant l’escalier, 1976, vidéo sculpture, • DUCHAMP, Fontaine, 1917, ready made/Yan Lei (Né en 1965), Catalogue Covers Séries : Duchamp, 2002, Courbet, L’origine du monde, 1866, Orsay/ Orlan (Née en 1947) l’origine de la guerre, 1989, Cibachrome • Fontana Concetto spaziale, attese (T104),1958/Maurizio Cattelan (Né en 1960) Zorro 1993, • Burden (né en 1946) 747, Photographie N&B, /Alain Declercq (Né en 1969) B 52 Affiche en couleurs, 2003, • Cindy Sherman, from History Portraits / Old Masters, 1988-1990 • Cindy Sherman (née en 1954), Untitiled #96, 1981 • Yasumasa Morimura (né en 1951), Pour ma petite soeur Cindy Sherman, 1998, photographie couleur, 120x66,7cm • CARAVAGE, 1571-1640, David et Goliath, 1609-10, huile sur toile, 125x101 cm, Rome, Galerie Borghese • ERNEST PIGNON ERNEST (né en 1942),Naples, 1988, sérigraphie avec tête de Pasolini • Andy Warhol (1928-1987), Marilyn, 1964 • David Lachapelle ( né en 1963) My own Marilyn, Amanda As Marilyn, 2002 • Andy Warhol (1928-1987), Liz, 1964 • David Lachapelle (né en 1963)My own Liz, Amanda as Liz red Au-delà du renvoi à l’art du passé, déjà au cours du XX° siècle les artistes avaient pris l’habitude d’emprunter aux autres cultures des références visuelles : arts primitifs, art populaire, art brut… Pourtant le fait très contemporain de sortir du domaine artistique qui leur est propre, constitue une nouveauté. Désormais les peintres empruntent aussi aux métiers qui ne sont pas les leurs : aux cinéastes, aux architectes, aux ingénieurs…les installateurs ajoutent des sons ou de la musique, les artistes font des liens avec la littérature, la sociologie ou l’anthropologie… Le champs artistique s’est étendu et même décloisonné. Dans les démarches artistiques contemporaines se retrouvent également un emprunt aux modes de production : industriels, artisanats, tribaux, technologiques… La citation prend souvent une apparence de discours critique qui nous force à nous interroger sur l’histoire de l’art toute entière, la transmission des savoirs de même que le rôle et la place de l’art.