Corps à corps - Raconter la vie
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Corps à corps - Raconter la vie
Page 1/5 Mouvements de possession. Apocryphe À califourchon – absurde – ciel de Paris tout proche – escarpin déchaussé – robe relevée sur bas noirs – bouche à bouche – ballottée de la langue L’image domine : nu, je suis nue dans la glace de la chambre – bouquet d’ongles laqués ma main sur le crâne piqueté de blancs Hanches relevées reins creusés la masse blanche des fesses malaxée à sa main – ses mots précis incisifs indiquant la posture Le cuir mince et noir de la cravache – la chair flasque et pâle de son gourdin – l’une et l’autre – mon corps domestiqué – rendu à la Loi du plus fort Côte à côte couchés − lumière orange des rideaux sur le soleil – l’écoutant parler du passé – son expérience des – son goût jamais partagé avec ses proches – l’espoir d’en trouver une qui veuille demeurer près de lui Tout ce temps ma bouche appâtée par S’arracher / Rejoindre les rues inondées de lumière / Cette lumière / hivernale /claire / Franche / Comme une lame / « Donne » Je m’approche, oscillant doucement sur les hauts talons. Il veut que ce soit moi qui fasse le geste de me donner. Ses yeux brillent, durs et sales, derrière les verres. Il ricane quand je dépose mon sexe dans l’une de ses mains. Ses doigts remontent lentement, son autre main à mes fesses. Je garde les yeux fermés tout le temps qu’il fouille, répondant à chacune de ses suggestions. L’image de putain qui me vient déclenche mon plaisir autant que ses caresses. Je rouvre les yeux et bois sa paume comme il veut. Ses yeux durs sourient, ses mots me giflent pendant que je passe et repasse la langue sur sa paume et ses doigts. Ensuite, il m’attrape les hanches, je sens ses mains qui pèsent, son sexe déjà dur qui durcit encore. « Prends-le » Il dit d’une voix chaude, fermant les yeux. Je le prends, m’assieds Page 2/5 dessus, poussant fort, jambes écartées largement pour davantage de force. Il soupire, s’abandonne, enfin planté. Ses mains pèsent plus lourd. Je ferme aussi les yeux, abaissant mon visage sur le sien, m’ouvrant à la langue dure, impérieuse. Le corps comblé cette fois. * Nous restons longtemps en cette même posture, laissant la télévision nous distraire de notre corps à corps. Il me dit laisser la télévision allumée à l’intention des voisins, afin de couvrir nos bruits. Je mouille nos peaux, mes bas, sans qu’il bouge, ni moi-même. Plus tard, nous dînons sur le pouce. Il est entendu que je reste. Inutile de le dire. Après le dîner, je fais la vaisselle, lui prépare une infusion qu’il noie de cognac généreusement. Une bonne partie de la nuit, il me remplit et je le laisse faire. * Il aura suffi d’un regard – ce regard bleu et froid cerné d’or fin – dès la porte de « Les mots à la bouche » − ce regard et la traque qui s’en est suivie au sous-sol de la librairie – pour que j’acquiesce soudain à l’homme – au désir de l’homme. Il me regarde. Je lui rends son regard. Bouche à bouche dans l’ombre – la première qui paraisse assez épaisse – sa main poussant ma main sur son sexe dur et doux. Pierres aux genoux, douloureuses. Incroyable vanité – son sexe durcissant encore – sa main poussant contre davantage − la bouche envahie, étouffée, ébranlée. Il me regarde doucement, boiseries sombres, ambre chaud, cafés déroulant leurs anneaux lentement, s’estompant dans l’air chaud, le silence. Geste bref, ses doigts caressent mes lèvres, se souvenant, ses yeux le disent, soulignant. Je me déshabille devant lui, sans hâte, confiant. Il ne dit rien aux bijoux, au vernis à mes pieds ; rien non plus à la seule dentelle qui recouvre mon sexe, quand je m’approche. Il m’enlace, me caresse longuement les cuisses, en silence, buvant de l’autre main à un verre plein de whisky. Il m’indique de m’asseoir près de lui, baise mes lèvres de ses lèvres parfumées et mouillées. Abandonnant son verre, il écarte la dentelle, riant un rien complice quand je me Page 3/5 blottis contre lui. Écartant mes cuisses, il précise sa caresse, l’interrompt, le temps juste de me prendre une main, la poser à l’endroit de sa bosse. Je me sens durcir lentement et d’un coup quand sa bouche succède à sa main. J’abandonne ma propre caresse, maladroite, indifférente, concentrée seulement sur le plaisir qui me vient. Je me plains et crie, déchargeant à longues et profondes saccades dans sa bouche qui maintient son étreinte chaude et douce jusqu’à ce que je retombe. Quand je rouvre les yeux, j’ai peur de son regard. Une peur insensée. Une peur d’enfance. Mais il sourit et se penche pour un baiser encore, m’entraînant vers une porte, un couloir et une autre pièce. * Plein hiver sale et gris. J’y retourne. Charlety dépassé, sa coupole sur le ciel livide, une page de Fleurs de Ruine. Une femme, masque de poudre, bouche rouge, ongles aussi ; je l’envie depuis mon coin. Plus tard, elle me sert de modèle dans la petite salle de bains tandis que je m’apprête. À sa fenêtre, Femme recomposant sa coiffure, Épingles à ses lèvres, L’aisselle soudain ouverte, Grimace pâle, épaisse, Promesse odieuse, A quoi succomber sans cesse, Toujours, Couche épaisse de fards, corsetée de vinyle noir, limite de l’étouffement, jambes de résille rose, nue autrement entièrement. La cravache a sifflé, une fois, trois fois, x fois. D’une fesse à l’autre. Sur les seins. Brûlure vive d’abord ; cuisson excitante ensuite. Surtout au contact frais du sexe succédant au fouet. Peupliers comme un peigne. Bouleau, jaune gracile pointillés sur les façades de béton gris. Gracile comme le cri de l’oiseau, moineau, mésange, qui s’échappe à l’approche du pigeon. Je regarde une femme renverser son cabas – cabas comme dans l’enfance − les miettes, croûtes s’éparpiller. L’essaim aussitôt de pigeons. Banc vert écaillé, initiales et cœurs gravés. Au revers de ma peau, le poinçon enfin qui Page 4/5 me rend consistance. Page 5/5