Une aventure pédagogique Construire un canoë en papier Récit Le

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Une aventure pédagogique Construire un canoë en papier Récit Le
Une aventure pédagogique Construire un canoë en papier
« De vagues bleues en vagues qui dansent
Tu es comme un point sur la mer immense
Reviens me chercher, mon bateau de papier
Reviens me chercher, je voudrais voyager »
Jean Humenry. Chansons et comptines au fil de l’eau.
D
ans ce lieu magique appelé la Cale 2
l’île, nous redonnons vie aux bateaux en
bois, alors pourquoi vouloir construire
un canoë en papier ?
Pour vous faire voyager en compagnie de vos
enfants sur la Sèvre ou sur l’Erdre, ou peut-être
sur la mer immense !
Oui, mais pourquoi en papier ?
Les rencontres, à la cale 2 l’île, comme celles
d’une institutrice et d’un adolescent, fils
d’instituteurs, réservent bien des surprises.
L’institutrice, elle nous vient de Saint Herblain,
de l’école maternelle de la Crémetterie. Qui
aurait pu imaginer qu’elle serait à l’origine
du projet ? Son discours est rempli de noms
étranges : « FIBONACCI », « SEQUOIA », «
LA MAIN A LA PÂTE ». Derrière, se cache
un projet de développement de la démarche
d’investigation en sciences, pour les enfants.
Dans sa classe, elle anime, dans le cadre des
activités de la fondation « La main à la pâte »,
le projet « Défi bateaux ». Les enfants doivent
construire un bateau en papier et sont ainsi
amenés à chercher à résoudre des problèmes liés
à la perméabilité du matériau.
L’adolescent, à la Cale, vous le connaissez tous.
« Naviguer, ne pas naviguer », représentait
déjà pour lui une question existentielle !
Voyez comme il est fier dans son nouveau
kayak en papier. Il a vite oublié son ancienne
embarcation en toile toute usée qu’il ne pouvait
remplacer faute de moyens. Sa revue préférée
« SYSTEME D MAG » lui a donné la solution
du problème.
Alors, pourquoi ne pas poursuivre dans la voie
initiée par l’institutrice, en construisant cette
fois un grand bateau de papier, grand comme
celui de l’adolescent, en y associant les enfants
? Merci, madame Delphine Parmantier de nous
avoir « soufflé » cette idée.
Aujourd’hui, un canoë canadien, long de 4
mètres 40, large de 84 centimètres et profond de
34 centimètres, choisi par l’adolescent devenu
grand, sert de moule. Merci, monsieur Daniel
Croze.
Avant de nous mettre à l’ouvrage, un petit
voyage dans l’espace et dans le temps nous a
paru nécessaire et nous a permis de rencontrer
des hommes extraordinaires.
WATERS et ses fils. Notre première rencontre,
à Troy, dans l’état de New York. Nous sommes
aux Etats Unis d’Amérique, au temps des «
trente glorieuses » c’est-à-dire au dernier tiers du
xix°siècle, « l’âge du papier ». Ce matériau est
fabriqué industriellement à partir de la cellulose
qu’on sait maintenant libérer des fibres du bois
et non plus manuellement à partir de chiffons
de lin ou de coton. Peu coûteux, solide, léger,
malléable, ce produit « high tech » va pénétrer
les domaines les plus variés, ceux où on l’attend
le moins, construction de toits en dôme, de
coques de bateaux.
Vous auriez pensé, vous, à remplacer une coque
en bois par une coque en papier ? Le jeune
Georges Waters, passionné d’aviron, lui, oui.
L’idée lui paraît simple : un canot en papier
sera plus léger qu’un canot en bois. Entre des
mains expertes, il ira plus vite. C’est un atout
en compétition. Il arrive à convaincre son père.
Elisha Waters, le « baron de la boîte en carton »
devient rapidement « le roi du bateau en papier
». En 1871, le catalogue de la « maison Waters
et fils, constructeurs de bateaux en papier »
comme on peut lire sur la façade de l’usine,
présente des canots à un, deux rameurs ou plus.
On peut aussi y voir une barge de plaisance de
45 pieds (13,5m) de long dans laquelle dix sept
personnes peuvent confortablement prendre
place en plus de six rameurs.
Nathaniel Bishop, autre personnage sortant du
commun. En 1874-1875 va emprunter rivières,
canaux, lacs et fleuves pour rallier Québec au
golfe du Mexique. 2500 miles à l’aviron. Pour
les 500 premiers, il utilise un canot en bois,
les services d’un matelot et de … Jules Verne.
Le soir, notre explorateur lit à son matelot,
émerveillé, des passages du « Voyage au Centre
de la Terre ». Les 2000 miles séparant Troy du
golfe du Mexique seront parcourus, en solitaire,
dans un canot en papier , ( la Maria Theresa)
fabriqué à TROY chez Waters.
Récemment, divers projets ont vu le jour dans
différents pays. USA : Le « Massicot », skiff
construit par un groupe d’artistes, « Mare
Liberum », hôtes du Clayton Antique Boat
Museum.(NY) avec lequel ils ont descendu
le Saint Laurent de Clayton à Montréal. (165
miles). Pays-Bas : un artiste Marten Winters,
avec l’aide de 3000 bénévoles a construit un
bateau en papier mâché de 20 mètres de long.
Pays de Galles : un canoë dont la coque est faîte
en papier tiré de crottes de mouton. Il s’agit là
d’un projet humanitaire.
A la Cale, nous avons rencontré plusieurs
personnes qui, après la seconde guerre mondiale
ont construit des kayaks en papier.
Où en est notre projet ?
150 enfants ont participé au premier essai de
collage de papier qui a débuté l’an dernier. Les
enfants de la Crémetterie ont naturellement
collé les premières bandes (merci Ouest-France
et Presse Océan), suivis par ceux de Séquoia et
de Curio-cités. Pour la journée du Patrimoine,
nous avons pu exposer une belle coque en
papier sur son moule, pas complètement sèche.
Malheureusement, l’auteur de ces lignes,
apprenti-colleur, dans sa hâte de voir la coque
en papier, l’a démoulée avant séchage complet.
Le résultat a dépassé toutes ses espérances : un
magnifique tapis de sol. Malgré cet échec, nous
avons appris beaucoup sur l’art du collage et
bien réfléchi sur les notions de précipitation et
de rapidité. Nous devons relever plusieurs défis
à cause de la forme du canoë-moule, à cause de
la participation des enfants pour le collage et
parce que nous aimerions que l’étanchéité soit
assurée par un produit naturel laissant voir le
papier-journal.
Aujourd’hui, Nous construisons la structure en
bois et le travail avance bien depuis l’arrivée
de Patrick. Bientôt nous pourrons inviter les
enfants pour le collage.
Nous serons prêts pour les rendez-vous de
l’Erdre, en septembre. Au mois de mai-juin,
nous ferons les premiers essais de flottabilité.
Si le cœur vous en dit… Nous fournissons
gracieusement les gilets de sauvetage !
A suivre
Louis
La Main à la Pâte : Fondation créée à l’initiative
du prix Nobel Charpak, et soutenue par
l’académie des sciences et par l’école des Mines
de Nantes . Le modèle américain est « Hands
on ».
Séquoia : Pôle science et environnement de la
ville de Nantes à vocation pédagogique.
Unis-Cités : service Civil Volontaire avec sa
branche Curio-Cités dans laquelle les volontaires
s’occupent de promouvoir des activités de
découverte chez les enfants.
Sites consultés : Nathaniel Bishop. En canot
de papier de Québec au Golfe du Mexique.
2500 milles à l’aviron. Version papier , ed : La
Découvrance. Ed. numérisée en accès libre sur
Google.
Ken’s paper boat revised, 2011(pour Waters et
l’histoire des bateaux en papier).
The massicot paper boat; sheep poo paper boat
et Leeuwarden paper maché boat.
Louis Bortuzzo
Récit Le Saint-Michel II est revenu !
Lundi 13 août 1877, vers huit heures du matin
au Croisic.
Un joli cotre d’une vingtaine de tonneaux vient
d’embouquer le chenal d’accès au port du Croisic.
L’entrée peut s’avérer délicate pour qui n’est pas
familier des côtes guérandaises, ce qui fut le cas
ce jour-là après une navigation difficile depuis
Brest et des escales à Douarnenez, Concarneau,
les Glénans et enfin Belle-Île. De délicates
manœuvres dans les passes n’empêcheront pas
le bateau de s’échouer sur les bancs de sables de
Mabon, et il faudra attendre la marée suivante
pour s’amarrer au quai vers 17h30. L’équipage
épuisé passera sagement la nuit à bord pour se
remettre de cette arrivée insolite et peu glorieuse.
Jules Verne avait-il en tête cet incident lorsqu’il
écrira en 1881, avec son frère Paul : « Par
moments, il semble même y avoir si peu d’eau
sous la quille du navire, qu’on pense malgré soi
à un échouage possible ; mais ce n’est qu’une
illusion produite par la limpidité de la mer. »
(De Rotterdam à Copenhague, à bord du yacht à
vapeur Saint-Michel).
Jules Verne, débarquant du Saint-Michel II avec
son fils Michel, foulait ainsi les pavés de la
petite cité portuaire du Croisic, sans doute pour
la première fois. Il aurait certainement préféré un
atterrage plus calme pour aborder une ville qu’il
connaissait néanmoins. Ce qui était bien naturel
pour un Nantais amoureux de la mer et qui
appréciait les sardines du Croisic - « délicieuses,
j’oserai même dire succulentes » écrit-il dans son
Voyage à reculons en Angleterre et en Ecosse,
un texte posthume inspiré d’un voyage réalisé en
1859 mais publié seulement en 1989 - au point
d’en adresser une caisse à son éditeur Hetzel lors
d’un séjour à Chantenay en 1866. « Le Croisic
(2416 hab.), petit port à l’extrémité d’une langue
de terre, qui fait la pêche, exploite les marais
salants, fabrique de la soude et des engrais de
varech, et dont les bains de mer sont fréquentés
», ainsi présente-t-il la ville dans sa Géographie
illustrée de la France et de ses colonies (18671868). Peut-être se remémorait-il les regrets qui
avaient été les siens de ne pouvoir rejoindre ses
parents et sa sœur Marie lors d’un séjour qu’ils y
firent pendant l’été 1856 : « vous devez prendre
d’excellents bains de mer, et je vous envie de
tout mon cœur, car mon plus grand désir serait
de partager vos immersions ».
Jules Verne venait d’accomplir l’un de ses grands
rêves de navigation : faire le tour de la Bretagne et
arriver à Nantes par la voie maritime, rejoignant
ainsi sa ville natale depuis son domicile picard,
en embarquant sur son yacht au Havre. Pressé
d’arriver à Nantes, où il revenait s’installer
quelques mois afin de rapprocher son fils des
cousins nantais et de le scolariser au lycée de la
ville, il pensait peut-être déjà à ce capitaine de
quinze ans qu’il rêvait de le voir devenir. Jules ne
s’attarda donc guère au Croisic, puisqu’il repartit
le lendemain par la route avec son fils Michel,
se faisant conduire en voiture jusqu’à SaintNazaire par « le fils Levesque », avant de profiter
du train qui desservait le port depuis 1857. Les
famille Verne et Levesque se connaissaient bien
et voisinaient même à Chantenay. Jules-Evariste
Levesque (1837-1910), descendant d’une lignée
d’armateurs et d’industriels et dont le grandpère Louis était maire de Nantes (1819-1830)
quand Jules vint au monde, s’occupait alors des
affaires familiales (usine de sardines, dont les
boîtes de conserve ont reçu une médaille d’or
à l’Exposition universelle de Paris de 1878). Il
résidait dans la belle propriété de Pen Avel - sur
la côte sauvage près de la plage de Port-Lin - dans
laquelle Jules Verne fut donc accueilli. C’est lui
qui embellit Pen Avel d’un parc original dans un
secteur balayé par le vent et soumis aux embruns
salés de fréquentes tempêtes, imaginant « une
architecture végétale basée sur le volume et la
couleur ». Jules-Evariste Levesque partageait
aussi une même passion de la voile, navigant
alors sur le Vent-Debout, un cotre de mer de
treize mètres qui a donc du côtoyer ce jour-là le
Saint-Michel II.
Samedi 18 et dimanche 19 août 1877, escale
pornicaise.
Un événement que ces festivités estivales
organisées par la Société des régates et la
municipalité de Pornic : les épreuves avaient
attiré d’innombrables bateaux, transformant la
rade en un spectacle nautique haut en couleurs,
complété le soir par un simulacre de combat
naval, un feu d’artifice et une retraite aux
flambeaux. La foule était au rendez-vous, des
tribunes de la Noëveillard aux quais et à la place
de l’Amiral-Leray illuminés par des cordons de
lanternes vénitiennes. Pornic pouvait accueillir
ainsi la foule des trains de plaisir depuis l’arrivée
du chemin de fer en septembre 1875 - le Croisic
ne sera desservi qu’en 1879. Le quotidien nantais
Le Phare de la Loire rapporte l’événement dans
son édition du mardi 21 août 1877 : « Nous y
avons aussi reconnu M. Jules Verne, un des plus
glorieux enfants de Nantes, l’auteur de Vingt
mille lieues sous les mers, du Tour du Monde,
et de tant d’autres œuvres populaires. M. Jules
Verne, qui doit passer plusieurs mois à Nantes,
était venu à Pornic sur son yacht le Saint-Michel
depuis Boulogne-sur-Mer, après avoir franchi
ainsi un espace de 3 ou 400 lieues de côtes ».
Jules Verne faisait, à cette occasion, sa dernière
sortie sur le Saint-Michel II, retrouvé à Saint-
Nazaire après qu’il l’eut quitté au Croisic cinq
jours plus tôt. Il était accompagné de son frère
Paul, de son neveu Gaston, et du « fils Levesque
». Ce fut également l’occasion de dîner, puis
de déjeuner le lendemain, chez des amis qui
possédaient le Chalet Arnaud, l’un des premiers
construit sur la côte vers 1856 par Lionel Arnaud,
marchand de fer à Nantes. Sa petite-fille Laure
Gaillard (1890-1972), fille d’un banquier nantais,
épousera Jean-Donatien Levesque (1889-1962),
le fils de Donatien Levesque (1842-1908), luimême frère de Jules-Evariste Levesque. Ce
Donatien - peut-être était-ce lui à bord du SaintMichel II ? - un grand sportif, était un cavalier
émérite, véritable globe-trotter et aussi écrivain.
Il était également très lié avec Paul Verne (le
frère de Jules) avec qui il se retrouva en 1871 à
Chamonix pour une escalade que Paul rapporta
dans Quarantième ascension française au Mont
Blanc, une courte nouvelle publiée par Hetzel en
accompagnement du roman Le Docteur Ox et de
quelques nouvelles de son frère.
Ce fut le dernier voyage de Jules Verne à bord
du Saint-Michel II, qui poursuivra sa carrière au
service du pilotage de Saint-Nazaire. Un mois
plus tard, il eut le coup de foudre pour un steamyacht de 33 mètres construit aux chantiers Jollet
et Babin de Nantes. D’autres rêves de croisières
plus lointaines s’offraient à lui, en Méditerranée
ou vers les mers du Nord. Car l’écrivain était aussi
un vrai marin, qui faisait sienne la confession
d’Olivier Sinclair dans Le Rayon vert (1882) :
« Je pense que j’étais fait pour être marin, et si
cette carrière n’a pas été la mienne depuis mon
enfance, je le regrette chaque jour ! »
Jean-Yves Paumier