La croix du Christ sauve-t
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La croix du Christ sauve-t
Chalais, Vendredi Saint, la croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? , Fr. Bernard Senelle op La croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? "Quand Je serai élevé de terre, J'attirerai tous les hommes à Moi". (Jn12, 32) Qu’en est-il de la volonté divine de sauver toute l’humanité ? Qu’en est-il du salut de celles et ceux qui n’appartiennent pas à l’Eglise visible ? Qu’en est-il du salut de ceux à qui l’Evangile n’a jamais été annoncé, et qui, de ce fait, sans qu’ils en soient responsables n’ont jamais eu la possibilité de confesser le message du salut chrétien, de vénérer la croix du Christ ? Qu’en est-il de celles et ceux qui sont aux périphéries, qui sont malades, en fin de vie, réfugiés, chômeurs et qui disent : « pourquoi moi ? » Mercredi, lors de l’audience générale consacrée au Triduum pascal, le pape François disait : «La passion de Jésus dure jusqu’à la fin du monde, parce que c’est une histoire de partage avec les souffrances de toute l’humanité et une présence permanente dans les événements de la vie personnelle de chacun de nous» Au cœur du procès de Jésus et de sa Passion, résonne ses propres paroles : « Quand j’aurais été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn12, 32) C’est l’heure de la Révélation du mystère de Dieu, du Dieu miséricorde, du cœur de notre vie. « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis », Femme, voici ton Fils… Voici ta mère », « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi l’as-tu abandonné ? », « J’ai soif… », « « Tout est achevé », « Père entre tes mains, je remets mon esprit » Voilà Jésus le Christ, ce qu’il dit en cette heure à toute l’humanité. Alors, la croix du Christ sauve-elle tous les hommes ? La souffrance est là et nous voyons bien qu’elle ne peut être évacuée de nos vies personnelles et communautaires. Récemment, j’entendais un médecin dirigeant une unité de soins palliatifs s’exprimer en ces termes « Nous pouvons dire à l’autre : c’est catastrophique mais je crois que vous allez trouver votre chemin. » Notre intimité se nourrit de la capacité à trouver du sens. L’espérance donne du sens, et permets de vivre car je ne suis pas abandonné. Tout le monde peut-il être sauvé ? Dès le début la question s’est posée, elle nous est posée en cette heure de mort et de ténèbre, en cette heure de toutes les trahisons et de toutes les accusations. Le Sauveur a-t-il encore la force de sauver quelqu’un ? Il est notre roc (I), il demeure attentif à chacun (II). 1 Chalais, Vendredi Saint, la croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? , Fr. Bernard Senelle op I. Christ notre roc « N’es-tu pas aussi un disciple de cet homme-là ? », « Pourquoi me questionnes-tu ? » « Pourquoi me frappes-tu ? » Ces questions sont posées soit par l’accusation à Jésus, soit par Jésus à ses accusateurs. Nous savons, c’est l’accusation qui va triompher, celui qui s’expose, celui qui tend le dos à ceux qui lui arrachent la barbe va périr. En cette heure le Père accueille l’infinie souffrance de son Fils, Dieu vient habiter la souffrance du monde et l’immense solitude de son Christ. Car Jésus, entouré de ses disciples est bien seul au milieu des oliviers, dans ce jardin où il est avec ses disciples et où on va l’arrêter. Il a beau savoir qu’il est dans la main de Dieu, le monde semble désert comme au livre de la Genèse : « il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé ». 1 On semble en être revenu à cet état d’avant la Création de l’homme. D’ailleurs Jésus en croix dit : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ». Il remet tout dans les mains de Celui qui a créé le monde avec ses mains. Le Fils qui sait faire revivre les morts, le Roi de l’Univers entrevoit son naufrage, abandonné de tous. Peut-il sauver tous les hommes celui qui ne peut plus se sauver lui-même ? Même en cette heure, il demeure notre roc, il est en paix quand se déchaîne la violence, la hargne et que règne l’agitation la plus extrême. En lui, il n’y a ni haine, ni amertume et c’est même la condition de possibilité du salut. Quand il répond : « C’est moi » à ceux qui le cherchent, tout le monde recule et tombe par terre : sa puissance de vie est intacte et le restera jusqu’à la fin. Alors est-elle pour tous ? La question n’est posée qu’une seule fois dans le Nouveau Testament : dans les Actes des apôtres. (Ac3, 21). « Il faut en effet que le ciel l’accueille jusqu’à l’époque où tout sera rétabli, comme Dieu l’avait dit par la bouche des saints, ceux d’autrefois, ses prophètes. » C’est l’apocatastase, le rétablissement de toutes choses. Entre l’apocatastase, cette certitude du salut où même les démons seront restaurés (Origène) et le châtiment éternel envisagé par Jean Chrysostome et Augustin y-a-t-il une issue ? D’une part, tous sont coupables, d’autre part, tous seront sauvés. Nous pensons aussi à l’axiome souvent mal compris « Hors de l’Eglise point de salut » qui est un avertissement à l’adresse de ceux à qui le message a été annoncé, qui sont baptisés et qui sont en danger de se séparer à nouveau de la foi et de l’unité de l’Eglise. Jadis, nous étions dans un contexte où chacun 1 Gn2,5 2 Chalais, Vendredi Saint, la croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? , Fr. Bernard Senelle op était censé avoir été atteint par l’Evangile. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Alors la croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? Que dit le Concile Vatican II : « Ceux qui, sans qu’il y ait de leur faute, ignorent l’Évangile du Christ et son Église, mais cherchent pourtant Dieu d’un cœur sincère et s’efforcent, sous l’influence de sa grâce, d’agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, eux aussi peuvent arriver au salut éternel [33]. À ceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. »2 Christ, juge des vivants et des morts est bien mort pour nous tous sur la croix : « En effet, puisque le Christ est mort pour tous [39] et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. »3 C’est la volonté de Dieu de sauver tous les hommes (1Tm2, 4). Dieu a purifié Naaman le Syrien alors qu’il y avait beaucoup de lépreux en Israël, au temps d’Elie et de la grande famine, le prophète ne fut pas envoyé vers les veuves d’Israël mais à Sarepta4. Chez Augustin, on trouve la formule de l’ecclesia ab Abel, l’Eglise qui existe depuis Abel le juste. Pour Thomas d’Aquin, le Christ n’est pas seulement la tête de l’Eglise mais la tête de tous les humains. Pour Thomas l’Eglise est faite d’êtres humains depuis le commencement du monde jusqu’à sa fin. Le Christ est uni à chaque être humain : « Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme. »5 « Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde. » (Ro11, 32) Le « non » de l’homme qui refuse Dieu ne peut être mis sur un pied d’égalité avec le « oui » inconditionnel de Dieu à l’homme6. 2 LG 16 GS 22, 5 4 Lc 4, 24 5 GS 22, 2 6 K. Rahner, Traité fondamental de la foi. 3 3 Chalais, Vendredi Saint, la croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? , Fr. Bernard Senelle op Balthasar a indiqué une voie médiane entre Origène et Augustin. L’enfer existe mais il est vide. Ces affirmations dépassent le domaine de notre expérience : il s’agit d’encourager la confiance en la miséricorde divine tout en appelant à se convertir. Il est possible de rater sa vie : si Dieu veut le salut de tous les hommes, il ne veut pas l’accomplir sans l’homme. « Aujourd’hui, je mets devant tes yeux la vie et le bonheur, la mort ou le malheur, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie. » (Dt 30, 15-19) Paul exhorte à travailler à notre salut avec crainte et tremblement. Il ne s’agit pas de craindre l’enfer mais de craindre le salut de Dieu et de le laisser en nous et à travers nous. La miséricorde divine qui a la primauté doit aussi avoir le dernier mot. Et elle en appelle à la liberté de l’homme. Dieu conseille mais ne force jamais7. Car, dit, de son côté Augustin : « Celui qui t’a créé sans ton accord ne veut pas te sauver sans toi 8 ». II. Christ attentif à chacun. La miséricorde en appelle à la responsabilité de l’homme, elle ne cesse de la solliciter et d’inciter l’homme à se décider tout en lui donnant la possibilité de la faire. « Que fait Dieu dans notre monde détraqué ? » A cette question, Dieu répond « Tu dis que je ne fais rien ? Mais tu te trompes ! Je t’ai fait toi ! » Notre responsabilité c’est de communiquer la bonté, de proposer au monde la lumière avec la certitude que la plus petite lampe triomphera toujours des ténèbres. Voilà la nouveauté apportée par Jésus. Il ne vient pas purifier notre monde de ses impuretés, il ne vient pas éliminer il vient illuminer, nous conduire à cette heure où la nuit comme le jour est lumière. Nous ne devons pas trier comme Jésus qui, jusqu’au bout, jusqu’à son arrestation a considéré Judas comme son ami. Plus près de nous Christian de Chergé, prieur des moines de Tibhirine a écrit: « Et pour toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’a pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi, je le veux ce merci et cet « A-Dieu » envisagé de toi » Une des caractéristiques de la miséricorde divine est de tenir compte de notre liberté humaine. Dieu conseille mais ne force jamais9, il nous poursuit mais ne nous prend jamais par surprise, ne nous soumet à aucune pression. Dans sa miséricorde, Dieu a réservé un chemin de salut pour quiconque reconnaît sa faute et désire vraiment se convertir quand bien même il aurait 7 Irénée, Contre les Hérésies V, 1,1 Aug. , Sermon 169 c.11 N 13. 9 Irénée, Adversus Haereses, VI, 1 8 4 Chalais, Vendredi Saint, la croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? , Fr. Bernard Senelle op commis d’énormes péchés et aurait totalement gâché sa vie. Jusqu’à la fin, la miséricorde ira à la recherche de tout homme ; pour lui elle met en en action la communion des saints, tout en prenant très au sérieux la liberté humaine. Nous célébrons la Croix du Christ, nous célébrons un Dieu qui n’est pas apathique, le Christ qui était de condition divine, a pris condition d’esclave, s’est abaissé lui-même. (Ph2, 6 sq.) Folie aux yeux du monde, il est sagesse de Dieu (1 Co 1, 21-23). En 1956, dans l’encyclique Haurietis aquas, le pape Pie XII insistait sur le fait qu’en, raison de la nature humaine avec la nature divine, les souffrances de Jésus en tant qu’homme sont aussi celle de la personne divine. Dieu ne peut ni subir passivement la souffrance, ni souffrir contre sa volonté et encore moins être dominé par la souffrance. C’est le choix de Dieu, libre et gratuit, de se laisser toucher et émouvoir : Il a la possibilité de souffrir et de compatir avec nous. « L’homme a pour Dieu une valeur si grande que lui-même s’est fait homme pour pouvoir compatir avec l’homme de manière très réelle…De là, dans toute souffrance humaine est entré quelqu’un qui partage la souffrance et la patience ; de là se répand dans toute souffrance, la consolatio, la consolation de l’amour qui vient de Dieu et ainsi surgit l’étoile de l’espérance »10 Dieu a tout fait, tout supporté par amour pour nous, pour moi. Il a pris sur lui notre péché, mon péché. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. », dit-il en croix. Jésus qui s’est tu pendant tout son procès, ne parlera plus que sur la croix pour pardonner, pour ouvrir le chemin de la vie au larron : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis. ». Il ne parle plus qu’à son Père ou pour conduire au Père : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » Il nous confie tous entre les mains de Dieu. Toutes nos peurs, jusqu’à la peur de la mort, sont remises au créateur, à Celui qui a façonné le monde avec ses mains. C’est l’heure du repos, du retour à maison. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui et nous ferons une demeure chez lui. » (Jn14, 23) Mais peut-être pouvons-nous lui poser une dernière question. Pourquoi et dans quel but l’immense détresse et la souffrance de tant d’innocents dans le monde ? En toute situation, si tourmentée soit-elle, nous croyons que Dieu est avec nous. » Il a pris nos souffrances et s’est chargé de nos infirmités. »11 Sur la 10 11 Benoît XVI, Sauvés dans l’espérance, 39 Mt8, 17 5 Chalais, Vendredi Saint, la croix du Christ sauve-t-elle tous les hommes ? , Fr. Bernard Senelle op croix, Jésus se charge de tout le poids du mal : « « Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il s’était chargé… dans ses blessures, nous trouvons la guérison » 12 Celles et ceux qui ne partagent pas notre foi peuvent avoir besoin de notre compassion dans les situations difficiles. Ils comptent sur notre aide, sur notre proximité : avoir de l’espérance pour les autres est un témoignage de miséricorde. C’est ce qu’a fait Jésus pour le larron crucifié avec lui. Nous sommes là pour donner écho à son dialogue avec cet homme : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis » Mais, c’est du crucifié dont nous recevons la vie et il n’y a pas de salut sans la Croix. Quiconque s’oppose à la croix et dit comme Pierre : « cela ne t’arrivera pas », ne peut entendre la parole sur la résurrection : « Tous vous allez succomber, car il est écrit : je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. Mais après ma résurrection, je vous précèderai en Galilée »13 12 13 Is 53, 4.5 Mc 14, 27.28 6