Samson, David, Jonas, conclusion
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Samson, David, Jonas, conclusion
127 Samson tue les Philistins avec une mâchoire d’âne. SAMSON Un élu trop humain, ou le jouet de Dieu ? 128 METHODOLOGIE Nous avons commencé il y a environ une semaine à travailler sur le dossier. A notre décharge, nous avons expression au deuxièm changé de groupe de culture - e se mestre. Nous avons cherché tous les renseignement utiles à la bibliothèque de la Part-Dieu, pe ndant une journée entière. Nos recherches ont été asse z limitées. Comme nous avons travaillé ensemble la m ise en comm un a été autom atique et systém atique. Nous n'avons rencontré aucun problèm e particul ier et avons apprécié l' intérêt de cette recherche. Ce chapitre est le résultat d’une s ynthèse entre le dossier de Déborah Colloc et Marie-Amélie Frère et le texte d’exposé de David Ruby. PLAN I- Un héros populaire élu par Dieu. A) La naissance de Samson. B) Le symbolisme de la chevelure. C) Les démonstrations de force de Samson. II- Un homme faible face à la perfidie des femmes. A) Les trahisons féminines dans le récit biblique. B) Interprétations de la trahison de Dalila. III- L’instrument de la vengeance divine. A) Péché et repentir. B) Machination divine. C) Renversement de situation. 129 INTRODUCTION Les origines du récit biblique sur S amson, inséré dans le Livre des Juges, sont sans doute à chercher dans un conte populaire. Le héros fait théoriquement partie des grands juges 1 d'Israël, comme l’indiquent XV, 20 et XVI, 31, m ais hormis ces deux allu sions rien ne m ontre que Sam son assume une fonction de juge, c’est-à- dire de chef politique q ui gouverne le peuple israélite et s’efforce d ’en réu nir les tribu s. Au contr aire m ême, les hommes de la tribu de J uda, des Israél ites donc, le livrent aux Philistins . Il serait plutôt un héros local agissant pour son propre com pte contre les ennemis de son peuple, dont on se raconte les exploits éclatants et légendaires en les embellissant au fil des siècles. Samson appartient en effet à un type de personnages que l’on trouve dans toutes les mythologies : c’est un surhomme, comme Achille, Hercule ou Superm an, et il a comm e eux un point faible. Le mythe de la f orce invincible liée à une faiblesse, qui perm et aux hommes de rêver m ais aussi de s’iden tifier au héros, a été superposé aux impératifs bibliques déf inissant l’élu, ce qui donne une cu rieuse histoire, construite en sept épiso des success ifs liés entre eux par des échos et des effets d’annonce — par exemple entre l’énigme du mariage de Samson et la trahison de Dalila, entre le s dif férentes m anifestations d e puissan ce de Samson pour son compte et la révélation finale de sa puissance au service de Dieu —, s’ouvrant et se fermant sur les manifestations de la grâce divine. Samson a été consacré à Dieu dès sa conception et doté par Lui d'une force exceptionnelle. Pourtant, bien que choisi pour être nazir (cf. infra) et juge, Sam son ne s' est pas toujours rendu digne de ce choix. Sa principale faiblesse est son attirance pour les femmes enne mies de son peuple, qui, par trois f ois, le trah iront. On peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit Yahvé à choisir un homme qui semble manquer de volonté et d’intelligence. Pourquoi Samson, si fort, élu par Dieu pour sauver son peuple, devient-il si faible lorsqu'il est aux prises avec une femme ? Samson déçoit-il Dieu d ans ses attentes, ou bien ses faiblesses sont-elles utilisées par la puissance divine à des fins supérieures ? On se demandera dans quelle mesure la composante légendaire du récit conduit à infléchir la figure divine. Nous tenterons d'éclairer ces problèmes à travers l'étude des actes de ont données les artis tes (peinture, Samson et les interprétations qu’en littérature, musique). A près avoir anal ysé la réputation de héros populaire qui a rendu Sa mson cé lèbre, nous ve rrons comment, m algré son élection divine, son hum anité prédom ine, à mo ins que ce ne soit l’injustice d’un Dieu tiraillé entre la Bible et la légende. 1 Yahvé a su scité des Juges pour éloigner les Israélites d es faux-dieux et les rem ettre dans le droit chemin. Le Juge sauve ses compatriotes de la colère de Dieu. 130 I-UN HEROS POPULAIRE ELU DE DIEU. A-La naissance de Samson. Samson naquit après quarante années d' occupation de son peuple par les Philistins ; en ef fet les Isr aélites avaient déçu Yahvé qui les ava it punis en envoyant contre eux leurs plus pr oches ennem is. Alors que sa m ère n’était pas en m esure d’enfanter, un ange vint lui annoncer la naissance prochaine d’un fils, m arqué d’un signe di vin, et sa destinée de libérateur. Elle décida de l' appeler Sa mson ( Shimston, dérivé de Shemesh, sole il). L'ange de Yahvé exigea d' elle pendant sa g rossesse et surtout d e so n fils ensuite l' ascétisme du nazir : d' après le Dictionnaire de La Bible, le n azir était une personne qui se consacrait à Yahvé par un vœu, pour une période donnée — dans le cas de Sam son, c’est un naziréat im posé dès avant la naissance et définitif. L e naziréat, réaction con tre le relâchement religieux, était très réglem enté et im posait d ifférentes s ortes d' abstinence : il était notamment interdit au nazir de consomme r de l’alcool ou des produits de la vigne ainsi que de couper ses chev eux, qui appartenaient à Dieu. La légendaire force surnatu relle de Sam son, qu’il possède seul dans le peuple d’Israël, résidait ainsi moins dans sa chevelu re que dans l' état de nazir qu'elle indiquait : « la consécration était sur sa tête ». Cette préface fait entrer le récit folklorique dans le domaine biblique par l’annonce de l’ange à la m ère stérile, qui inscrit Sam son dans la lignée des élus de Dieu. Dans la Bible, les exemples de femmes stériles qui on t un enfant grâce à l' action de Dieu ne sont pas rares : suite à l’annonce divine, Sara, femme d’Abraham, conçoit un fils alors qu' elle est déjà très âgée. De même Rébecca, la femm e d' Isaac, elle au ssi s térile, se verra confier p ar Yahvé lui- m ême qu'elle enfantera des jumeaux ; citons encore la m ère de Samuel. Dans le Nouveau Testament, le récit de l’Annonciation relate que la cousine de Marie, Elisabeth, bien qu’âgée et stérile, enfantera Jean-Baptiste. Mais, contrairement aux autres enfants choisis par Dieu, Sam son n’aura pas un rôle de m eneur d’hommes, de chef d’armée ou de prophète, c’est par le biais d’actions motivées par des fins pe rsonnelles que Dieu se servira de lui comme instrum ent de vengeance pour son peuple. Mis à part sa force 131 exceptionnelle, Samson ne jouit d’aucun pr ivilège terrestre pa rticulier et ne semble pas avoir de « consignes » célestes. Il semblerait que Dieu ne lui ait donné que la force, sans le discerne ment ou la conscience d’une m ission plus haute : c’est un des grands paradoxes de ce héros. Samson, plus qu’aucun autre élu, illu stre la liberté souveraine du Tout-Puissant, qui choisit des hommes comme les autres, avec leurs défauts, peut-être ici dans l’intention pédagogi que de montrer à travers l’exemple de Samson qu’un homme sans volonté est faible m ême s’il est doué d’une force physique herculéenne, que la véritable force n’est pas dans les muscles mais dans la foi. B- Le symbolisme de la chevelure. D'après le livre Les allusions bibliques, la pilosité était ressentie dans les an ciennes civ ilisations comm e un cr itère essentiel de distinction e ntre l'animal et l' homme. Ce qu' il y a d' animal en l’h omme, notamment la force brutale par oppositio n à l’in telligence, était sy mbolisé par les ch eveux, la barbe, la toison, ce qu’exprime de nos jours encore l’adage « cheveux longs, idées courtes ». Etre rasé ou tondu signifiait renoncer à ses instincts primitifs, à sa sensu alité débr idée — la p erte des chev eux de Sam son m et fin à sa liaison avec Dalila —, sym bolique qui est toujours d’actualité : que l’on songe au châtim ent infligé aprè s la Seconde Guerre Mondiale aux femmes qui étaient sup posées avo ir eu des relations sexuelles avec des Allemands, dans lequel l’hum iliation d’une perte sym bolique de puissan ce s’ajoute à la marque d’infamie. On voit par ce glissement que la force v itale sym bolisée par une chevelure abondante n’est pas seulem ent connotée négativem ent : elle peut être source de fierté pour celui qui la porte. Dans la Bible, on trouve à la fois l’exemple d’Absalom que sa chevelure orgueilleuse conduit à sa perte et celui de Sam son chez qui elle est le s igne de la puissance divine sur lui. L'interdiction faite à Samson de se couper les cheveux peut être vue comme le renoncement de l'homme de Dieu à la civilisation de son tem ps : secouer 132 les colonnes du tem ple, symboles des in stitutions, des valeurs m orales, des fondements matériels ou spirituels de la société des Philistins, c'est briser les conventions et les habitudes pour fonder un ordre nouveau, celui du Dieu de la Terre Promise. C-Les démonstrations de force de Samson. Par son naziréat, Sam son acquiert une force hors du comm un qui lui sera utile po ur combattre les Philistins. Homme à l’âm e simple et naïve, il est app récié par le p euple tant que ses actes n’ont pas de conséquences désastreuses. Il existe dans La Bible plusieurs passages sur cette force su rhumaine dont le prem ier est son combat avec le lion ( Juges XIV, 5-18). Les commentateurs du Moy en-Age et n otamment l'auteur anon yme de la Glose ordinaire ont reconnu dans ce premier exploit de Samson la préfiguration du Christ aux Limbes, vainqueur de Satan. Cette interprétation explique la f réquence du sujet dans l'art chrétien dès le XII e siècle. Dans l' iconographie trad itionnelle, Sam son est presque toujours rep résenté che vauchant le f auve et lu i renv ersant la tête pou r lu i écarteler les mâchoires de ses deux m ains désarmées. Au XV e siècle, Dürer le représente assis sur la croupe de l'animal. Samson le terrasse en lui brisant l'encolure avec sa jam be droite repliée. Le m ême épisode est rep ris par Rubens au XVII e siècle, mais la mise en scène diffère quelque peu : Samson écarte les m âchoires du lion qu' il vient de tuer et un essaim s'échappe de sa gueule, ces abeilles d' abeilles rappelant la phrase de l’énigm e de Samson : «de celui qui m ange est s orti ce qui se m ange, du fort est sorti le doux ». Ce dessin est à la gloire du pa pe Urbain, les trois abeilles qui se détachent s ur le ro cher (sym bole d e la papau té) form ent l' emblème de sa famille ; la lyre qui se trouve à droite est une allusion au talent poétiqu e du pape (voir l'annexe). Comme nous l' apprend le liv re des Symboles dans La Bible, lorsqu'un être hum ain rem porte un com bat contre un lion, c' est un héros historique qui a le dessus sur un anim al réel, il n' y a pas de portée 133 symbolique, cette victoire est le sim ple signe de la «dextérité», de la force musculaire et de la bénédiction divine. 134 Samson combattant le lion, A. Dürer, 1497-1498, bois 38, 2x27, 8 cm. 135 Samson et le lion, Rubens, 1633-1634, dessin à la plume et à la craie noire, 17, 9x13, 8 cm. Un autre é pisode c élèbre de la force de Sam son est celui de la «mâchoire d'âne» (Juges XV, 15-16) : armé d'une mâchoire d'âne, Sa mson abat m ille Philis tins venus le chercher pour « le traiter comm e il [les a] traités ». Ce passage est imm édiatement suivi de l’ épisode des portes de Gaza (Juges XVI, 4) : Samson, recherché, s’enfuit en arrachant les portes de la ville et les dépose au somm et d’ une collin e en face d’Hébron. Il laisse ainsi la ville sans défense et hum iliée. Ces épisodes, bien que sûrem exagérés, illustrent la force phénoménale du nazir. ent 136 Le quatrième et dernier épisode célèbre de la force de Sam son, celui du tem ple des Philistins ( Juges XVII, 28-3 0), est celu i qui exp licite s a mission d’élu et lui perm et de mettre directement sa force a u service de son peuple et de son Dieu. Samson, qui a été trahi par Dalila, est emprisonné par ses ennemis et tourné en dérision lors d'une fête religieuse consacrée à leur dieu Dagon. Sa force, qui l' avait abandonné quand Dalila par traîtrise lui avait fait couper les cheveux, revient pe u à peu en m ême temps que ceux-ci repoussent. Prétextant de la fatigue , il dem ande à s' appuyer contre les colonnes centrales de l' édifice. Il adre sse au S eigneur une prière : «Yahvé, daigne te souvenir de moi et m e re ndre plus fort ». S’arc-boutant sur chacune des colonnes, il retrouve la grâce de Yahvé et sa force : le temple s'écroule, ensevelissant le héro s et se s ennemis : « les morts qu'il fit mourir par sa m ort furent plus nom breux que ceux qu'il avait fait mourir durant sa vie ». Dieu avait-il prém édité sa faib lesse av ec Dalila po ur susc iter chez Samson le désir de vengeance — c’ psychologique constant de notre héros Samson et son repentir qui le condui est le m ode de fonctionnem ent —, ou bien est-ce la prière de sirent à rendre sa f orce au nazir pardonné ? Quoi qu’il en soit, Samson fait preuve dans cette fin épique d’un courage nouveau : il ne s’agit plus seulement d’un exploit physique qu’il est sûr de pouvoir accom plir, m ais d’un act e de foi en sa force revenue, d’où l’ampleur spectaculaire de son exploit et son insertion dans la Bible. II-UN HOMME FAIBLE FACE A LA PERFIDIE DES FEMMES. On peut se dem ander pourquoi il a fallu tant de péripéties pour parvenir à l’épisode du Tem ple, qui donne son sens biblique à l’histoire de Samson. C’est que le héros a un point faible : l’homm e le plus fort du monde ne sait pas résister aux fe mmes. Elu, nazir, juge : il est homme avant tout, influençable comme Adam face à Eve lors du péché origin el ; il a un point faible comme tous les héros « invincibles ». 137 A- Les trahisons féminines dans le récit biblique. Par trois fois, Samson sera victime des femmes. La prem ière fois, celle qui est devenue sa femme lui extorque la réponse de l' énigme qu'il avait pro posée et la donne à ses com pagnons philistins : s 'en suivront des repré sailles jusqu' au f ameux épisode de «la mâchoire d'âne». Si Eve se laisse conva incre par le serpent par curiosité, la première "femme" de Sam son, elle, ne liv re la clef de l’énigm e de Sa mson aux Philistins que parce qu’ils font peser sur elle une menace. Ainsi ne peuton la taxer de traîtrise gratuite, pui sque c’est par peur des représailles qu’elle trahit Samson. La deuxième fois, même si le texte biblique n’est pas explicite à ce sujet, on p eut supposer qu’une pros tituée de Gaza le dénonce, là encore sans doute par crainte. Enfin, la troisième fois, la plus célèbre de toutes, Dalila le livre aux Philistins. Dalila est une femme, probablement philistine, dont s'éprend Samson pour sa perte. Elle se fait acheter par les chefs de son peuple pour leur livrer ce héros qui les terrorise et les em pêche d'opprimer les Israélites, et finit par lui arracher le secret de sa force prodigieuse. Dalila fait donc raser Samson pendant son somm eil, afin de le priver de sa force et de l' assistance divine dont il s' est rendu indigne en exposant à des mains étrangères ce qui était voué à Dieu. Puis elle appelle les Philis tins qui le captu rent. La trahison de Dalila es t b eaucoup plu s condam nable que celle des deux autres femmes. C’est la cu pidité qui la m otive, m ais surtou t Dalila inc arne la f orce de persuasion des femmes, thème biblique s’il en est — la Bible tente en effet à maintes reprises de démontrer la fa iblesse des h ommes face aux femmes, justifiant par là-même la classification des femmes dans le dom aine du mal, du péché. Elle use de tous ses pouvoirs pour convaincre Samson de lui livrer le secret de sa force, avec au poi nt culm inant l’a rgument f éminin " par excellence", la m ise en doute de l’am our que lui porte Sam son : elle reproche à ce dernier de ne pas lui a ccorder sa confiance et donc de ne pas l’aimer. 138 B- Interprétations de la trahison de Dalila. De nom breux artistes se sont in spirés de ce tte c élèbre trah ison, éludant pour la plupart la partie de l’histoire qui lui est antérieure, aussi bien musiciens ( par exem ple Cam ille Saint-Sa ëns dans son opéra Samson et Dalila en 1877) qu'écrivains. Milton, dans The reason of church Government urg'd against Prelaty (1641) développe une ample image fondée sur l' histoire du champion hébreu : Milton y com pare à Sam son, qui succom ba sous les flatteries d'une courtisane, les rois qui cèdent aux tentations de l'absolutisme et aux conseils pernicieux des prélats, ceux-ci ayant tôt fait de les dépouiller de leur juste pouvoir. Alfred de Vigny écrit dans les Destinées un poème intitulé La Colère de Samson qui illustre bien l’idée de la p erfidie des fe mmes. Œuvre empreinte du ressentim ent de l’am ant orgueilleux et bafoué — Vigny vient de rompre avec Marie D orval —, comme en témoigne la prem ière personne du pluriel au dernier quat rain, le poèm e condense le récit biblique pour se centrer sur la trahison, pour Vigny emblématique d’une lutte sans merci que se livrent « la bonté d’Homm e » e t « la ruse de Femme ». La bêtise de Samson qui transparaît dans le récit biblique est ici gommée au profit de sa grandeur d’âm e : Sa mson fait de son dernier aveu un c hoix librement consenti et suicidaire — ce qui aurait été inadmissible dans la Bible pour un élu de Dieu —, pour préserver sa libert é digne d’Homme dans la mort. Il ne cède pas par faiblesse aux fourbes cajol eries de la femme, m ais c’es t en toute lucidité qu’il voit sa dépendance comm l’homme dè s la petite enfance et d e une fat alité inscrite en écide d’y m ettre un term e. Tout son comportement est excusé par la fatalité : les homm es sont physiquement dépendants des femmes et il leur est impossible de vivre sans elles, même si elles sont fondam entalement mauvaises et perverties. Le poète fait de Samson trahi par Dalila un martyr de la « cause masculine ». 139 La Colère de Samson, in Les destinées, A. de Vigny, publié à titre posthume en 1864, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, p. 140-142. Le désert est muet, la tente est solitaire. Quel Pasteur coura geux la dress a sur la terre Du sable et des lions ? — La nuit n’a pas calmé La fo urnaise du jour dont l ’air est enflammé. Un vent léger s’élève à l’horizon et ride Les fl ots de l a po ussière ai nsi qu ’un l ac limpide. Le lin b lanc d e la ten te est b ercé mollement ; L’œuf d ’autruche allu mé v eille paisiblement, Des voyageurs voilés intérieure étoile, Et jet te l onguement deu x o mbres sur l a toile. L’une est grande et superbe, et l’autre est à ses pieds : C’est Dalila, l’esclav e, et ses b ras son t liés Aux ge noux r éunis du m aître je une et grave Dont la force divine obéit à l’esclave. Comme u n doux léop ard elle est soup le, et répand Ses cheveux dén oués aux pi eds de son amant. Ses grands y eux, e ntr’ouverts com me s’ouvre l’amande, Sont br ûlants du plaisir que son re gard demande, Et j ettent, par éclats, leu rs m obiles lueurs. Ses b ras fin s to ut m ouillés d e tièd es sueurs, Ses pi eds voluptueux qui s ont c roisés sous elle, Ses flancs pl us élancés que ceux de la gazelle, Pressés de bracelets, d’a nneaux, de boucles d’or, Sont bru ns ; et , co mme il sie d au x filles de Hatsor, Ses de ux sei ns, t out c hargés d’amulettes anciennes, Sont cha stement pres sés d ’étoffes syriennes. Les ge noux de Sam son f ortement so nt unis Comme les deux genoux d u co losse Anubis. Elle s’endort sans force et riante et bercée Par la puissante main sous sa tête placée. Lui, m urmure ce cha nt funè bre et douloureux Prononcé dans la go rge av ec d es m ots Hébreux. Elle ne comprend pas la parole étrangère, Mais le chant verse un somme en sa tête légère. * « Une lu tte ét ernelle en t out te mps, en tout lieu, Se livre sur la terre, en présence de Dieu, Entre l a bonté d’ Homme et l a ruse de Femme. Car la Femme est un être impur de corps et d’âme. « L’Homme a to ujours besoin de caresse et d’amour, Sa mère l’en abre uve alors qu’il vient au jour, Et ce b ras le p remier l’en gourdit, le balance Et lu i do nne un d ésir d’amour et d’indolence. — Troublé dans l’action, troublé dans le dessein, Il rêvera partout à la chaleur du sein, Aux c hansons de l a nuit, au x bai sers de l’aurore, A la lèvre de feu que sa lèvre dévore, Aux cheveux dénoués qui roulent sur son front, Et les reg rets d u lit, en march ant, le suivront. Il ira dans la ville, et là les vierges folles Le pr endront d ans leu rs lacs aux premières paroles. Plus fort il sera né, mieux il sera vaincu, Car plus le fleuve est grand et plus il est ému. Quand le combat que Dieu fit pour la créature Et cont re s on sem blable et contre la Nature Force l’Hom me à cherc her un sein où reposer, Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut un baiser. Mais il n’a pa s encor fini toute sa tâche. — Vient un autre combat plus secret, traître et lâche ; Sous s on bras, so us s on c œur se l ivre celui-là, Et p lus ou m oins la Femm e est to ujours Dalila. 140 « Elle rit et trio mphe ; en sa fro ideur savante, Au m ilieu d e ses sœu rs elle atten d et se vante De ne rien éprouver des atteintes du feu. A sa plus belle amie elle en a fait l’aveu : " Elle se fait ai mer san s ai mer ellemême. Un Maître l ui fait p eur. C ’est le p laisir qu’elle aime, L’Homme est r ude et l e prend sa ns savoir le donner. Un sacrifice illustre et fait pour étonner Rehausse m ieux qu e l’o r, au x yeux d e ses pareilles, La beaut é q ui pro duit t ant d’ét ranges merveilles Et d’un sa ng précie ux sait arrose r ses pas. « Donc ce q ue j’ai voulu, Sei gneur, n’existe pas. — Celle à qui va l ’amour et de qui vient la vie, Celle-là, p ar Orgu eil, se fait n otre ennemie. La Femme est, à prése nt, pi re que da ns ces temps Où, voyant les Hu mains, Dieu dit : " Je me repens ! " Bientôt, se r etirant da ns un hi deux royaume, La F emme au ra Go morrhe et l’ Homme aura Sodôme, Et, se jetant, de loin, un regard irrité, Les deux s exes m ourront c hacun de s on côté. « Eternel ! Di eu des fo rts ! vous savez que mon âme N’avait pou r ali ment q ue l ’amour d’ une femme, Puisant da ns l ’amour se ul plus de sai nte vigueur Que m es cheveux di vins n’en donnaient à mon cœur. — Jugez-nous. — La voilà sur mes pieds endormie. Trois fois elle a ve ndu mes secrets et m a vie, Et trois fois a versé des pleurs fallacieux Qui n’ont pu me cacher la rage de ses yeux ; Honteuse qu’elle était plus e ncor qu’étonnée De se voir découverte en semble et pardonnée. Car la Bonté de l’Homm e est forte et sa douceur Ecrase, en l’ab solvant, l’être faib le et menteur. Mais en fin j e suis las. — J’ai l’â me si pesante, Que m on c orps gi gantesque et ma t ête puissante Qui so utiennent le p oids des co lonnes d’airain Ne l a peu vent po rter a vec t out so n chagrin. Toujours voir serpenter la vipère dorée Qui se traî ne en sa fa nge et s’y croit ignorée ; Toujours ce co mpagnon don t le cœu r n’est pas sûr, La Fe mme, en fant m alade et douze fois impur ! Toujours m ettre sa force à gar der sa colère Dans son c œur offensé, c omme en un sanctuaire D’où l e fe u s’écha ppant i rait t out dévorer ; Interdire à ses yeux de voir ou de pleurer, C’est t rop ! — Di eu s’i l l e veut peut balayer ma cendre. J’ai don né mo n secret ; Dalila v a le vendre. — Qu’ils seront beaux, les pieds de celui qui viendra Pour m’annoncer la mort ! — Ce qui sera sera ! » Il d it et s’endo rmit p rès d’elle j usqu’à l’heure Où les guerriers tremblants d’être dans sa demeure, Payant au poids de l ’or c hacun de ses cheveux, Attachèrent se s mains et brûlère nt ses yeux, Le t raînèrent san glant et chargé d ’une chaîne Que douze grands taurea ux ne tiraient qu’avec peine, Le placèrent debout, silencieusement, Devant Da gon l eur Di eu qui gémit sourdement Et de ux f ois, en t ournant, recula s ur sa base Et fi t pâl ir deux fois ses prêt res e n extase ; Allumèrent l ’encens ; dressèrent un festin Dont le bruit s’entendait du mont le plus lointain, Et près de l a géni sse a ux pieds d u Di eu tuée Placèrent Dalila, pâle prostituée, Couronnée, adorée et reine du repas, 141 Mais tremblante et disant : il ne me verra pas ! * Terre et Ci el ! av ez-vous tressailli d’allégresse Lorsque vous avez vu la m enteuse maîtresse Suivre d’un œ il hagar d l es yeux t achés de sang Qui ch erchaient le so leil d ’un reg ard impuissant, Et qua nd en fin Sam son, s ecouant l es colonnes Qui faisaien t le so utien des i mmenses Pylônes, Des peintres aussi ont été inspir Ecrasa d’un s eul co up s ous l es dé bris mortels Ses t rois m ille ennem is, l eurs Di eux et leurs autels ? Terre et Ciel ! punissez pa r de telles justices La trahison ourdie en des amours factices Et le délation du secret de nos cœurs Arraché dans nos bras par des bai sers menteurs ! Ecrit à Shavington, Angleterre, 7 avril 1839. és par cet épisode biblique. Un tableau de Rubens (vers 1625) nous rela te la tonte de Sam son. Tandis qu' il est endormi sur les genoux de Dalila, un valet s' approche de lui et lui cou pe les cheveux . L' action est éclairée par une vieille fe mme qui surve ille la scène. Dalila sem ble s' abandonner com plètement ; elle regarde Sam son et son visage est paisible. Au fond de la scène, en haut à dr oite, l'on aperçoit l'armée des Philis tins qu i attend à la porte. Ces deux scènes sont éclairé es par des bougies qui m ettent en relief l'abandon total de Sam son, le point central du tableau étant par ailleurs la musculature puissante de son dos. On peut noter le contraste entre cette expression de force physique et la position presque fœtale du héros. Les deux pers onnages principaux se laissent faire et ce sont les personnages secondaires qui agissent. Rubens est toutefois plus indulgent à l'égard de Dalila que ne le sera Rembrandt. Ici, la traîtresse est tout aussi passive que son amant. 142 Samson et Dalila, Sir Anthony van Dyck, v. 1630, Dulwich Picture Gallery, Londres. 143 Samson et Dalila, Rubens, XVIIe s, Londres. Si l’on considère L'aveuglement de Samson de Re mbrandt (1636), « dans la pénombre, Dalila, tenant la chevelure coupée de Sam son, s'enfuit : le héros étant ainsi réduit à l' impuissance, les P hilistins s'emparent de lui et lui cr èvent les yeux. La trahiso n, l' horrible m utilation du héros, sont exprimées avec force par la puissance et le choc de la coul eur qui n'est plus utilisée pour sa facilité de reproduire la réalité mais se voit conférer de façon inattendue ici un véritable rôle de porte-parole du drame. Sans doute, le peintre n'a-t-il voulu, tout d' abord, que fuir la réalité de la scène et rendre la lumière qui pénètre par l'ouverture de la sombre draperie. Dans le co ntre-jour, le s Philistin s aler tés p ar Dalila enc haînent Samson et l' aveuglent. Un éclairage dram atique tom be de l' ouverture par laquelle Dalila s' enfuit. Sa m ain, tena nt les ciseaux, est le point le plus éclairé du tableau. Se détach ant sur le bleu pâle, le jaune citron, les gris de l'arrière-plan lumineux, le formidable pied de Samson ne peut plus atteindre celle qui l’a trahi. Les couleurs brillantes des vêtem ents du héros, le gris terne et la suavité du jaune for ment un contraste angoissant avec le rouge 144 profond du guerrier, à gauche. Cette fo is encore, Rem brandt utilise en contrepoint la struc ture linéaire et la composition colorée po ur accentuer la vie de l' ensemble. Dalila tr iomphante f orme le sommet de la com position pyramidale dont Sam son aveugle constitu e la base. Grâce à ses couleurs singulières, ce dernier constitu e un véritab le centre secondaire de la composition. » (Rembrandt de L. Munz et B. Haack). Aveuglement de Samson, Rembrandt, 1636, huile sur toile, 236x306 cm. III- L’INSTRUMENT DE LA VENGEANCE DIVINE. Dans le poèm e de Vigny se dessin e toutefois une interprétation qui va au-delà de la lam entation sur la pe rfidie fém inine. En effet, c’est dans l’ordre du monde créé par Dieu que caresses de leurs m les hommes sont dépendants des ères puis de leurs am antes : comm ent peut-on comprendre le rôle de Dieu dans l’histoire de Samson ? 145 A- Péché et repentir de Samson. On peut comprendre que Sam son a déçu les attentes de Dieu sur lui. C’est ainsi que Milton, dans Samson Agonistes, insiste su r la culpab ilité personnelle de Sam son, ouvrant su r une approche psychologique du personnage que la Bible ne perm ettait pa s. Il décrit la lu tte intérieure de l'homme, il veut représenter la vie et le caractère de Samson, sa régénération par le repentir et la foi. Samson a failli à la mission qui lui avait été confiée. Devant l' énormité de son crim e « indigne d' un homm e, ignom inieux, infâme », il s' est abîmé dans le désespoir. Au centre d e ce d rame lyrique se trouvent le péché et les ravages qu' il produit dans la conscience, puis la purification et la ré conciliation av ec Dieu par la souf france et le rep entir. Milton m odifie le personnage de d'esprit, et de tem La Bible qui est naïf, presque simple pérament surtou t em porté, pour lui attribuer de la puissance, de la dignité et m ême, co mme dira le chœur, « un héroïque génie ». Le poète exagère aussi la dése spérance tragique, le dégoût de vivre qui caractérise Sam son. Milton fait de l’histoire de Sa mson une légende archétypique : une femme maléfique arrache par perfidie le secret sa force à un homme et le voue à l'humiliation publique puis par extension à la mort. SAMSON AGONISTES, MILTON, 1671 l'Allégro, Il penseroso et Samson Agonistes, Milton, coll. Bilingue, Montaigne, Paris, p. 128-129. O impotence of mind, in body strong ! But wh at is streng th without a do uble share Of wisdom, vast, unwieldy, burdensom, Proudly secure, yet liable to fall By weakest suttleties, not made to rule, But to subserve where wisdom bears command. God, when he gave me strength, to shew withal How sligh t the g ift was, hun g it in my Hair. 60 But peace, I must not quarrel with the will Of highest dispensation, which herein Happ'ly had ends above my reach to know : Suffices that to me strength is my bane, And pr oves th e so urse o f all my miseries ; So many, and so huge, that each apart Would ask a life to wail, but chief of all, O loss of sight, of thee I most complain ! Blind am ong ennemies, O wo rse t hen chains, Dungeon, or beggery, or decrepit age ! Light t he prime wor k o f Go d t o m e i s extinct, And all her various objects of delight Annull'd, whi ch m ight i n part my gri ef have eas'd, Inferiour to the vilest now become Of m an o r worm ; th e v ilest h ere ex cel me, They cree p, yet see, I dark in light expos'd To daily fraud, contem pt, abuse and wrong, Within doors, or without, still as a fool, In power of others, never in my own ; Scarce hal f I seem to live, dead m ore then half. 146 il fau drait un e v ie d e larm es. Mais c'es t toi avant tout, ô pe rte de m a vue , que je dépl ore l e plus ! Etre av eugle au m ilieu d 'ennemis, ô chose plus affreuse que l es fers, l e cachot , l a pauvreté ou l a décrépitude ! La lumière, l'œuvre première de Dieu, est éteinte pour moi ; tous les obj ets, tou tes les joies qu'elle illumine sont ab olis, qui e ussent p u en pa rtie alléger ma douleur. Je suis tombé plus bas que le plus vil des hommes ou q ue l e v er de t erre ; oui l e pl us vil l'emporte ici sur moi : il rampe, mais il v oit. Pour moi, entouré d'ombre au sei n de la lum ière, je suis en butte chaque jour à la trom perie, a u m épris, à l'insulte, à l'injustice, en ma demeure ou au dehors ; ainsi qu'un homme privé de sa raison, toujours je suis à la m erci d'autrui, et ne suis plus mon maître ; à peine suis -je encore à de mi vivant, semble-t-il, et pl us q u'à dem i-mort. traduction : Faiblesse de l 'esprit da ns un cor ps pl ein de force ! Mais qu' est-ce que l a fo rce sans u ne double part de sa gesse ? Sa g randeur même et son poids vous accablent ; si sû re d 'elle en son orgueil, elle est prompte pourtant à succomber aux ruses les pl us grosses ; elle n'est point faite pour commander, mais pou r ser vir so us l e g ouvernement de la sagesse. Lorsque Dieu m'accorda la force, pour bien montrer combien frag ile était ce d on, il la p laça dans mes cheveux. Mais, silen ce ! Oserais-j e m'insurger contre la volonté du suprême Dispensateur qui en ceci poursuivait qu elque fi n, peut-être, qui échappe à mon esprit ? qu'il m e suffi se q ue m a for ce est m on malheur, et qu' elle est devenue l a so urce de m es maux, si nombreux, et si vastes aussi, que p our les pleurer un à un B- Machination divine. Mais on p eut également lire l’ histoire de Sa mson comme la complexe m achination d’un Dieu aux voi es im pénétrables, qui se serait servi de la faiblesse de Sa mson enve rs les femmes pour lui faire prendre conscience de sa mission et préférer la gloire de Dieu à sa propre survie. On peut trouver les logiques des vengeances de Sa mson quelque peu contraires à l’idée de la Justic e di vine. L’énigm e que Sa mson pose aux jeunes Philistins est tota lement indéchiffrable à qui n’est pas Sam puisque lui seul sait qu’il a tué un lion et qu’il a son, plus tard trouvé du m iel dans la carcasse de l’anim al : elle ne fait appel à aucun e sprit de déduction. La conséquence ne se fait pas atte ndre : pour trouve r la réponse, les Philistins "trichent". Et Sa mson, pour se venger de leur tricherie, tu e trente hommes pour donner leurs vêtem ents aux tricheurs … Lorsque Samson retourne peu après chercher sa femme, le père de cette dernière, pensant — logiquement — que Sam son ne l’aim ait plus, l’a donnée à un autre. Alors 147 Samson, pour se venger, brûle les cham ps de blé … des Philistins. En conséquence, les Philistins brûlent vifs le père et sa f ille. Alors Samson leur dit : « Puisque vous vous conduisez de la sorte, je ne me tiendrai pas tranquille tant que je ne me serai pas vengé de vous ». Cette réaction peut paraître effarante puisque ce sont sa conduite et la démesure de ses réactions qui ont tout causé. Or c’est Dieu qui dirige le bras de Samson, comme le dit le texte en XIV, 4 : « … le Seign eur lu i-même avait in spiré c e dés ir à leur f ils p our avoir un e o ccasion de s’en prendre a ux Philis tins ». Ce Dieu para ît bien injuste, poussant Sam son vers son des tin pour m ieux défaire les Philistins, lui inspirant des vengeances illogiques et excessives, punissant d’ailleurs les Philistins pour un crime qu’ils n’ont pas commis puisque c’est lui-même, le Dieu des Israélites, qui avait livré so n peuple au joug des Philistins pour lui faire payer le non-respect de ses lois. C- Renversement de situation. Le Samson de Bernstein, pièce de théâ tre écrite en 1907, file la métaphore en la personne de Jacques, un industriel nouvellement enrichi qui accède à la haute société en contractant un m ariage avec Anne-Marie, fille d’une grande famille noble mais désargentée. S a belle-famille et sa f ille le méprisent mais l’acceptent en raison de sa richesse. Tout s’écroule quand il fait f aillite, m ais Anne-Mar ie lui dit qu’ elle l’aim e enf in . Il ref use cet amour et dans la tou te fin se com pare à Sam son et com pare sa fem me à Dalila. Les humiliations et les rem arques perfides que sa belle-f amille lui a fait subir sont analogues au supplice infligé à Sa mson par les Philistins. Cette analogie avec le héros biblique nous fait pressentir un retournem ent soudain de situation de la part du protagoniste. C’est cette derniè re interprétation qu’il f audrait retenir entr e toutes : la possibilité que chacun a de se racheter, qu’il soit fort ou faible, d’avoir une seconde chance, d’apprendre par ses erreurs et de revenir encore plus fort. 148 H. BERNSTEIN, Samson, Acte IV, scène 5, 1907 (édition du Rocher, 1997, p. 169). Anne-Marie — C'est tout ? Jacques — Oh ! non ! … Fichtre non ! … Mais ne me soyez pas injuste ! ce n'est déjà pas mal… L'amour humilié de ce gosse des rues … La survie d'un songe …Ce mirage … Et l'homme ensuite qui amasse des millions et des millions, et qui grimpe sur ce tas d'or pour dénicher tout en haut de la tour féodale la petite bonne femme de son rêve ! … Allons ! Allons ! c'est assez bien … et vous n'en disconvenez pas. Nous avons mieux ! Depuis quelques heures, nous avons mieux. (Un silence. Jacques porte une main à son front, fait effort, et continue.) Une histoire aujourd'hui me trotte par la tête … Une b elle h istoire … Une b elle lég ende … la p lus b elle… Samson … Anne-Marie, souriant. — Samson et Dalila ? Jacques — N' est-ce pas qu'elle est splendide ? … C e pauvre grand mâle de Sam son, priso nnier des Philistins, qu i lu i on t crev é l es yeu x, qui l e réduisent à t ourner l a m eule d' un moulin … Et l e géant déch u se pl ie, s'accoutume à son ass ervissement … M ais les vai nqueurs i nventent u ne dérision plus c ruelle … Il s c élèbrent l a ho nte de l eur ca ptif, et l 'homme assiste à cette fête … Le gueux, il dut e n avaler de féroces ! … Je pense que les conv ives insultaient à son malheur, à tous ses m alheurs … Alors, d'affreux so uvenirs se rallu mèrent en lui. Une ra ge d' autrefois tor dit ce cœur dégradé … Sam son c omprend qu'il est rede venu Sa mson … Il ne laisse rien p araître, il est malin, il sait … Mais ses mains tatô nnantes, caressent, m esurent les deux piliers qui supportent le temple … Et soudain sur les buveurs, sur les noceurs, c'est un fracas !… CONCLUSION Samson, bien qu' il ne puisse pas êt re considéré comm e un sauveur d'Israël, ses attaqu es contre les Philistins étant tr op individuelles et isolées, est toutefois un modèle pour le peuple hébreu, qui a pu se reconnaître en lui avec ses forces et ses faiblesses. Ma is la confrontation dans une mêm e histoire d’élém ents relevant du conte populaire et de la théologie biblique permet d’éclairer sous un jour nouv eau la problém atique de l’élection : Samson perd le don divin qui lui a été accordé, comme ces héros de légende à qui un pouvoir conditionnel a été rem is par une puissance supérieure ; mais son él ection ne peut disparaître, et l’épisode final nous le m restauré d ans sa force. Est-ce l’effe t de son repentir et ontre de sa prise de conscience, comme voudrait le m ontrer un texte exaltant la m iséricorde divine répondant à la foi, ou un épisode de plus dans le jeu d’un Dieu toutpuissant qui aurait manipulé Samson depuis le début ? BIBLIOGRAPHIE La Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, 1964, p. 337-343. 149 DICTIONNAIRES Dictionnaire des noms propres de la Bible, J. O delain et Séguineau, CerfDesclée, 1978, p. 331. Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Maredsous, Brepols, 1987, p. 1164. Dictionnaire de la Bible, A. M Gérard, coll. «Bouquins», Laffont, 1989, p. 1238-1241. Dictionnaire Culturel de la Bible, Cerf-Nathan, 1990, p. 260. Encyclopédie Encarta, Microsoft, 1999. «MYTHES» ET SYMBOLES BIBLIQUES Les allusions bibliques, Jean-Claude Bologne, coll. «Le souffle des m ots», Larousse, 1991, p. 219-221. Les symboles dans la Bible, M. Girard, Cerf, 1991, p. 800. Les grandes figures de la Bible, F. Com te, coll. «Les com pacts», Bord as, Paris, 1992, p. 224-226. CRITIQUES ET INTERPRETATIONS Introduction critique à l'Ancien Testament, Tome 2. H. Cazelle, Desclée et Compagnie, 1973. LIVRES D'ART Rubens, C. Scribner III, Cercle d'art, 1993, p. 162. Albrecht Dürer, œuvres gravées, Paris-Musées, 1990, p. 145. Rembrandt, L. Münz et B. Haack, Cercle d'art, 1994. 150 Samson terrasse un lion. 151 Samson enlève les portes de Gaza. Mort de Samson. 152 Le Roi David (tapisserie d'Ecouen, 1510-1520). LE ROI DAVID. 153 SOMMAIRE Protocole de travail Introduction I- David, un roi presque parfait. 1) David, préfiguration du Messie 2) Un modèle de roi chrétien II- David, un homme ambivalent 1) Similitudes de David avec Saül 2) Motivations affectives et politiques du comportement de David 3) Un caractère complexe à l’origine de la réussite de David 4) La vie amoureuse de David : illustration de l’ambivalence. Conclusion Bibliographie PROTOCOLE DE TRAVAIL L’élaboration de ce dos sier sur David, r oi d’Is raël, n ’a pas ét é de t out repos , notamment à cause de problèmes d’ organisation. M a col lègue de binôme a arrêt é l'université avant le commencement des recherches. Le travail en solitaire a présenté quelques avantages (inutile de trouver des heures libres communes, pas de désaccord sur la présentation, sur le contenu…) mais surtout des inconvénients (personne pour discuter des i dées, p our ai der à l ire l es doc uments, po ur t aper à l ’ordinateur…), a fortiori à l’approche de la date-limite. J'ai commencé mes recherches à la Biblio thèque Universitaire de Bron mais je n’y ai pas t rouvé beaucoup de re nseignements. E nsuite, enco re pleine d’espoir, je me suis rendue à La Part -Dieu et là, la panique s’est emparée de m oi ! Après a voir identifié la mu ltitude de livres disponibles sur le suj et, j e ne savais plus p ar où commencer ni comm ent m’y pr endre. C ’est do nc s urtout à ce m oment-là que j ’ai pris du retard puis qu’il a fa llu lire, com parer, t rier, et tout ceci sur place car la plupart des documents ne pouvaient être empruntés. Au bout de deux semaines, après avoir passé de très longues heures assise à une table d e la b ibliothèque, les idées et le p lan étaient prêts. En quelques jours, j’ai rédigé le dossier, un peu frustrée de ne pas pouvoir accomplir quelque chose de plus complet, faut e de t emps. Si l ’ordinateur n’a vait pas eu une pa nne, i l aurai t ét é possible de t erminer au b on m oment et d’évi ter u n su rplus de st ress ! C ’est d onc avec une semaine de retard que j’ai pu rendre ce travail, lequel a été effectué avec un grand intérêt. 154 INTRODUCTION David, figure royale de l’Ancien Te stament, l’ « aimé de Dieu », a connu une grande renommée dans divers dom aines culturels tels que la musique, la littérature, le théâtre. Alors qu’il n’est encore qu’un jeun e berger, D avid est choisi par Yahvé pour devenir le successeu r du roi Saül. Fort d e la protection divine, il entre à la cour de Saül, selon les versions grâce à ses talents de m usicien ou grâce à son combat v ictorieux contre Goliath le Philistin, et s’y lie d’amitié avec le prince Jonathan. Son ascension est alors fulgurante. Malgré l’hostilité de Saül, jaloux des succès de ce nouvel élu de Dieu qui rem porte victoire sur victoire à la tête de ses armées, Da vid parviendra sur le trône d’Israël à la m ort de Saül. Faisant preuve de ruse et de vaillan ce, David devient le roi « parfait », invincible, juste, bon. La grandeur de son règne est cependant ternie par une faute personnelle, l’adultère avec Bethsa bée et le m eurtre de son m ari Urie, et p ar de s épisodes m ilitaires dif ficiles à la f in de sa vie. La tradition m onothéiste donne de David l’im age d’un roi idéal, mais le t exte biblique suggère des nuances dans la façon d’appréhender le personnage. Oi nt du Seigneur, David dem eure cependant u n homme à la p ersonnalité ch angeante, su sceptible de pécher même s’il témoigne toujours d’un repentir sincère. Ne pourraiton pas le qualifier d’ambivalent ? Nous verrons dans un prem ier temps comm ent David a pu être sublimé dans les traditions religieuses juive et chrétienne, notamment dans le contexte de la monarchie de droit divin, puis exam inerons des interprétations plus m odernes qu i insis tent s ur la com plexité de l’homme. 155 I- DAVID, UN ROI PRESQUE PARFAIT. 1) David, préfiguration du Messie. David doit conserver pour la postérité l’im age du roi parfait. Il est intéressant d’exam iner comm ent la tradition kabbalistiq ue 2 s’es t efforcée d’atténu er sa faute vis-à-vis d’Urie et de Bethsabée en recourant à l’idée de pré destination des élus (cf. R. Gikatila, Le secret du mariage de David et Bethsabée). D’après une tradition rapportée dans le Talmud, Bethsabée appartenait à David bien avant qu’Urie ne l’épouse : « Bethsabée était destinée à David depuis les six jours de la Genèse », les â mes des deux partenaires du couple ne faisai ent qu’un e à l’or igine. Gikatila explique longuement les raisons pour lesquelles les deux am ants ne se sont pas rencontrés dès le départ et pourquoi Ur ie ne m éritait pas sa femme. Per sonnellement, je trouve cette théorie de l’androgynie des âmes un pe u hypocrite — m ême si l’ idée selon laquelle chaque être humain peut trouv er sa « moitié » parf aite est s éduisante — puisqu’elle permet d’accepter, d’excuser l’adultère et m ême de ne pas le reconnaître comme une faute. Dès lors en effet, la « faute » de David ne consiste pas à avoir pris ce qui de toute f açon lui r evenait, m ais à l’avo ir pr is trop tô t, précipitant un dénouement inéluctable. David re produit ainsi la faute du prem ier homm e qui, selon la Kabbale, n’aurait pas fauté en consommant de l’arbre de la connaissance du bien et du m al, mais en consommant trop tôt de son fruit, avant que le tem ps du « prépuce » des arbres n’ait été écoulé (cf. Lévitique XIX, 23). Bethsabée est encore dans le dom aine du bien et 2 du m al, sous la coupe de la Kabbale : interprétation juive ésotérique et symbolique du texte de la Bib le, dont le liv re principal est le Zohar ou Livre de la splendeur. 156 « coquille » et du « prépuce » représentés par Urie, quand le roi David, pressé par le « dur penchant » qu’il a hérité d’Adam, la reprend prématurément. Dans la conception théosophique Malkhout, la royauté divine, celle que 3 , Bethsabée est la Sephira David devrait pleinem ent recevoir pour faire de son règne le règne messianique et établir ici-bas le Royaum e des Cieux. Mais, depuis le péché d’Adam , la Sefira Malkhout, symbolisée par l’arbre de la connaissance, demeure dans la prison du Serpent et elle attend l’he ure où elle sera totalem ent purgée du domm age qu’Adam lui a inflig é en la rendant im pure. Bethsabée allait ê tre p urifiée e t ré parée e t il n e lui re stait qu’un bref mom ent à passer dans la geôle du Serpent-Urie . Mais David prit les devants et s’unit à e lle avant qu ’elle n e soit totalem ent d étachée du dom aine impur. A c ause de cela, il ne put réparer complètem ent le péché d’Adam et son règne ne fut pas ce lui du Messie. A cause de sa hâte excessive pour s’unir à Bethsabée, il perdit la royauté pour un tem ps et le premier fils qui naquit de leur union mourut. 3 théosophie : doctrine fondée sur la th éorie de la sag esse divine, selon laquelle celle-ci es t omniprésente dans l’univers et dans l’homme. 157 David, Miniature grecque, VIe siècle. 2) Un modèle de roi chrétien. 1- Humble serviteur de Dieu. David est au début du récit un sim ple berger, m ais c’est paradoxalement cette hum ble co ndition qui lui donne la puissan ce divine. Du Bellay, dans son poème épique intitulé Monomachie de David et Goliath et sans doute adressé au défunt roi Henri II, développe le motif de l’ « humilité efficace ». La victoire de l’hum ble berger hébreu sur le pu issant mais trop ar rogant guerrier philistin est présentée c omme l’illu stration d e la m axime évangé lique « Qui s’exalte sera abaissé, qui s’abai sse sera exalté ». Rapportée aux événements contem porains de la rédaction du poè me, elle préfigure les succès que sa sage politique a va lu à Henri II face aux Anglais et à l’orgueilleux Charles Quint, aprè s les rever s que la France avait essuyés et qui avaient suscité, comme pour David et les Hébreux, l’aide divine. La monomachie de David et Goliath Non autrement, par une longue entorce (v. 189) Ce caut berger guignant à teste basse Contregardoit son impareille force Contre l'horreur de la pesante masse. Le grand guerrier à tour et à travers Menoit les bras d'une force incroyable, Et fendant l'air par un sifflant revers Alloit finir ce combat pitoyable ; Quant du Seigneur la bonté secourable Trompa le coup de la cruelle dextre, Qui lourdement foudroyant sur le sable, Raza les pieds du berger plus adextre. Finablement courbé sur les genous, Panché à droit, d'un pié ferme il se fonde : Ainsi que Dieu, lors qu'il darde sur nous Le feu vengeur des offenses du monde. Ce fort Hèbrieu rouant ainsi sa fonde Deux fois, trois fois, assez loing de sa teste, Avec un bruit, qui en fendant l'air gronde, Fit descocher le traict de sa tempeste. Droit sur le front, où le coup fut donné, Se va planter la fureur de la pierre. Le grand Colosse à ce coup estonné D'un sault horrible alla bruncher par terre. Son harnois tonne, et le vainqueur le serre : Puis le cyant mesmes de son espée, Entortilla, pour le pris de sa guerre, Autour du bras la grand'teste coupée. Lors Israël, que la peur du danger Suyvoit encor' en sa victoire mesme, Sort de son camp, et du vainqueur Berger Envoye au ciel la louange supreme. Le Philistin palle de peur extreme Monstre le doz, d'une fuyte vilaine : Abandonnant le grand tronc froid, et blesme, Qui gist sans nom sur la deserte plaine. 159 160 Dans le Saül d’André Gide, le jeune m usicien David insiste à plusieurs reprises sur le fait qu’il ne souhaite pas devenir roi. Il explique à Jonathan qu e s’il décid e de devenir chef des Philis tins, c’est pour empêcher une nouvelle attaque de leur part face à l’inertie de Saül, et ensuite pour donner le pouvoir au fils du roi. Dans cette pièce de th éâtre transp araît la piété du jeune souverain d’Israël, puisque, de nom breuses fois, après le com bat contre Goliath par exemple, il précis e qu’il a vaincu gr âce à l’aide de Dieu et qu’il ne mérite pas qu’on l’appelle « seigneur » ou « prince » alors qu’il n’est que simple berger. Il ajoute ég alement que « [son] courage n’est pas plus grand que [sa] foi ». 2- Roi légitime, élu par Dieu. Parce qu' il est élu par Dieu pour son peuple, David devient un grand roi : c’est le choix divin qui légitim e son pouvoir. A ce titre, David a toujours constitué un m odèle pour justifier la m onarchie de droit divin et l’autorité que les rois tirent, par la volonté divine, de leur seule naissance. On raconte sa geste, à l’instar de celle des hu it autres p reux ; elle est souvent traduite en tapisserie au Moyen-Age et à la Renaissance. On peut en particulier citer la tapisserie d’Ecouen, l’une des plus belles du monde par ses dim ensions, l’intérêt des scènes qu’elle représente, la perfection du dessin et la splendeur des coloris, même si elle a été longtem ps m éconnue. L’ar tiste y a ajouté quelques scènes absentes du texte biblique : l’adieu d’Urie à son épouse, ou encore une nouvelle représentation de Bethsab ée après la mort de son m ari où, enceinte, elle supplie le roi de pr endre sous sa protection l’enfant qu’elle porte (cf. F. Salet, David et Bethsabée). 3- Roi pieux et repentant. Même pécheur, David reste un modèle car il se repent. L’intérêt particulier que porte le Moyen-Age à l’histoire de David et Bethsabée s’explique sans doute par la passion du sym bolisme et la force de la tradition selo n laque lle, si David était la préfiguration du Christ, Beth sabée était celle de l’ Eglise et Urie celle du peuple juif. 161 Mais le récit du Livre de Samuel est surtout riche en enseignements : il affirme la nécessité de la pénitenc e après la faute. David a g ravement péché contre son Dieu, il s’est enfo ncé dans l’ignom inie ; sa conduite scandaleuse a « fait mépriser Yahvé par ses ennem is ». Mais il a payé par la m ort de l’enfant le prix du rachat, il l’a accepté aus sitôt et un repentir s incère l’a réconcilié av ec Dieu, au point qu’il a eu de nouveau le pouvoir de conduire le destin victorieux d’Israël ; c’est de Bethsabée que David a engendré Salom on, par qui vont s’accom plir les desseins victorieux de l’Eternel. La pénitence après la faute permet le rachat. On comprend donc, comme l’exprime F. Salet, qu’une civilisation pétrie des vérités chrétiennes ait vu dans cette histoire illustrant en fait la m iséricorde divine, tout spécialem ent à l 'égard du roi, autre chose qu’un fait divers scabreux et que les grands de ce monde aient accepté de se voir rappeler, par le truchem ent de la tapisserie, une doctrine si consolante. David et Bethsabée, Tapisserie d'Ecouen, 1510-1520. 162 David, en tant qu’élu, n’agit pas selon sa propre volonté m ais selon celle de Dieu. T out ce qu i lui a rrive s’ inscrit dans un plan préétabli. L orsqu’Etân, le rédacteur m is en scène par Stefan Heym dans son rom an La Chronique du Roi David, essaie de tran cher entre réalité et tradition pour rendre compte de l’histoire de David, Salomon et son entourage insistent pour qu’il conserve le cas échéant plusieurs versions des événem ents : David est introduit auprès de Saül en tant que musicien et en tant que guerrier vi ctorieux, le dédoublem ent des épisodes souligne la volonté divine que Saül et David se rencontrent. David préfigure par ailleurs le Me ssie et donc le Christ dans la tradition ch rétienne, c e qui exp lique la p lace centrale qu ’il occupe dans l’iconographie de cette dernière. Selon J. Cazeaux dans L’Impossible David, David est trop haut pour la politiqu e et trop pur pour l’Histoire. Il joue le rôle d’un écho, étant comme l’ombre portée de l’idée ambiguë de la Royauté de Yahvé. Le roi est sublim é, on l’exalte en gommant ses fautes. David et Bethsabée, Madrid, Palacio Real. II- DAVID, UN HOMME AMBIVALENT. Les inte rprétations m odernes en m arge des trad itions religieuses ne cherchent pas à id éaliser David, mais à comprendre la complexité du personnage. 163 1) Similitudes de David avec Saül. L’élection de David ne le m et pas pour autant à l’abri des tentations de violence, et s’il se définit au début du récit biblique comme le roi-berger à venir, antithèse du roi-guerrier qu’e st Saü l, il conn aîtra m algré des circonstances plus favor ables la m ême tenta tion du glaive que son prédécesseur. Stefan Heym brosse le por trait d’un « tyran » qui n’hésite pas à m archer sur des cadavres pour arriver au pouvoir et à commettre des crimes pour le conserver. C’est l’exercice du pouvoir qui conduit David à se transformer, ce qui fait dire à Cazeau x que le système royal en lui-même est vengeance, ruine et m ort de ce qu ’il devait conserver à la vie ; m ais la nature de D avid n’a pas su em pêcher cette corruption occasionnée par le système. Dans Chronique du Roi David de Stefan Heym et Mémoires du Roi David de C. Coccioli, on peut voir un Da vid qui fait preuve de violence également en privé. Mical, interview ée par le chroniqueur Etân dans le roman de Heym , té moigne par exemple en ce s term es : « Cette nu it-là, il vint à m oi avec le fouet, je m ’étendis devant lui, il m e corrigea et je m e laissai f aire. » Cette violence f ait écho à celle du Saül de Gide, qui, se rendant compte que sa f emme, mère de Jonathan, le faisait surveiller, la tue à coups de javelot. Coccioli rapproche explicitement les deux rois. Le jeune David se plaint du com portement changeant de Saül qui tantôt l’appelle « mon fils » et tantôt le po urchasse av ec un acharnem ent qui n’a plus rien de logique ni d’humain. Mais il pourra observer chez lui le m ême type d’am bivalence. Abigaïl arrive à introduire la peur et le doute chez David à propos de son onction, en lui rappelant que Saül aussi était l’oint de l’Eternel. 2) Motivations affectives et politiques du comportement de David. Comme le montre J.-P. Bonnes dans son ouvrage David et les psaumes (Seuil, coll. « Maîtres spirituels », 1957), David présente une ambivalence visible tout au long de son histoire. Dans de nombreuses circonstances, il est diffici le de dire si David se com porte en grand stratège politique ou en artiste sensible et d élicat, qui possède un sens 164 prodigieux de la sty lisation dramatique. Souvent ces deux facettes d e sa personnalité interfèrent. Par exemple, lors de la mort de Saül et de Jonathan qu’il n’a certes pas causée lui-m ême, il sait imm édiatement orchestrer sa douleur, faisant preuve d’une éto nnante présence d’esprit : il apparaît vraiment peiné, déchire ses vêtem ents, et pour ne pas sem bler heureux à l’annonce d’un décès qui lui ouvre les portes de la royau té — comme l’écrit J. -P. Bonnes, « la mort de Saül et Jonathan a été la plus grande chance politique de David » —, il exécute sur-le-cham p le m essager qui s’attendait à être réco mpensé. Ensuite, d ans le Chant de l’Arc, il passe du lyrique à l’épique. Sa douleu r a-t-elle été pur e comédie ? La sincérité a-t-elle coïnci dé avec une habileté politique exceptionnelle ? Le m eurtre du m essager est-il l’ex pression d’une douleur folle, ou bien un moyen de réserver l’avenir en face de la dynastie saü lide ? On retrouve ce m élange a mbigu de m otivations af fectives et p olitiques lors de l’exécution des Saülides, que David livre m ais à qui il fai t donner une sépulture royale. Dans les Mémoires du roi David de C. Coccioli, la m ême problématique est soule vée : Abigaïl ose dire nettem ent au roi qu’il y a en lui deux David qui ne sont pas nécessairem ent des ennem is : le David « impulsion », « coup de foudre » et le David « raisonnement », « calcul ». David lui-m ême se rend com pte que la raison angélique et l’instinct an imal se disputent s on cœur. Ainsi, il ne sem ble pas nécessaire de trancher entre le calcul politique et la sincérité du cœur : le protagoniste est double et le sait. 3) Un caractère complexe à l’origine de la réussite de David. On peut tenter une analyse psychologique du personnage en s’appuyant sur la caractérologie d’esprit Heymansien (ou Le Sennien), méthode qui cherche à évaluer da ns un caractère le rapport de l’émotivité, de l’activité et de la prom ptitude des réactions, souvent corrigé par le degré de largeur du champ de conscience. Chez David, on retrouve un peu d’émotivité, mais surtout l’activité, la « primarité » (des réactions rapides) et le sens des ensembles, la souplesse politique et la patience qui suppo sent un large cham p de conscience, illustrés par exem ple par le double-jeu qu’i l mène avec les Philistins. La spontanéité agissante l’em porte la rgement sur l’ém otivité. Dès qu’il agit, David est étrangem ent m aître de ses nerfs et de sa sensibilité. 165 Que l’on songe par exemple à sa ré action à la mort d’Absa lom, dans laquelle l’émotivité ne l’emporte qu’un moment. Son caractère justifie ses qualités de grand dip lomate, d’homme politique raffiné, d’homme ayant un sens esth étique de la vie (ces trois points pr oviennent de la patience), d ’homme d' action (asp ect résultant d e son tem pérament), mais perm et égalem ent de com prendre ses réactions de colère et ses tentations charnelles. En dépit de la difficulté surhum aine de sa tâche, David l' accomplit avec aisance et élégan ce et s ait tirer par ti de se s f aiblesses. En ef fet, comme l’écrit J. -P. Bonnes, « sauver le peuple de Moïse en abolissant, après Saül, le régim e de Grandes Judicatores que M oïse avait institué, c’était op érer une redoutable ré volution, c’était assumer une écrasante responsabilité ». La ré alisation de cette tâche est donc l’œuvre d’un novateur audacieux qu i suppose un héroïque effacem ent de l’intérêt personnel devant les fins divines. David identifie le bien avec la volonté de Dieu. Le poli tique se confond donc ici avec le Saint. Pa r un sim ple renvers ement du signe de ses puissances intérieures, le sanguin le plus géni al politiquem ent est aussi le plus apte à devenir un « mystique ». Le protagoniste se caractérise ég alement selon Pascal par un vide intérieur où s’engouffre Dieu. Comm e nous l’avons déjà énoncé plus haut, David est un homm e pieux : il n’a pas honte de danser devant l’arche, il fait le vœu de construction du temple (on le considère même comme le père de l’art sacré judéo-chrétien). 166 David musicien, Ecole française, XIIe siècle. 4) La vie amoureuse de David : illustration de l'ambivalence de son caractère. e La sexualité de David, analysée par les auteurs du XX siècle, reflète égalem ent l’am bivalence du personnage. Si le texte biblique reste elliptique et am bigu, les inte rprétations m odernes adm ettent souvent la bisexualité de David, co mme nous pouvons le voir dans les deux œuvres présentées ci-dessous , ou encore dans le nom d’une association d’homosexuels chrétiens, « David et Jonathan ». André GIDE, dans Saül (1898) imagine un drame de la pédérastie à partir du prem ier livre de Sam uel : un jeune et beau berger, Daoud (David) aim e Jonathan, fils du roi Saül, qui, lui-m ême séduit par la grâce de David, cède à ses propres démons. Dans cette pièce, Jonathan a pparaît comm e un jeune ho mme excessivement fragile et faible , qui s’évanouit à la m oindre contrariété. Il sourit pour la première fois lorsqu’il fait la connaissance de David. Dès cette rencontre ini tiale, tous les deux s’entendent à merveille. Plusieurs répliques illustrent leur amitié ambiguë : « J’aime 167 Jonathan plus que m oi-même », « Je ne sais si c’est ou de joie, ou de froid, ou d’angoisse de fièvre, ou d’ amour, voici que m aintenant je frissonne dans m a seule tunique de lin ». Ils apparaissent très complices, un peu comm e deux enfants qui s’amusent innocemm ent, ce qui crée une équivoque pour le lecteur. Saül tombe aussi am oureux de David, m ais rien ne se passe entre eux. Le vieux roi cache ses sentim ents. Tout au long de l’œuvre, on le sent pris d’une sensation de malaise. Il aime le jeune musicien, mais il sait qu’il montera sur son trône : « Je voudrais tant savoir que ce n’est pas David que je dois craindre ! Je ne peux pas…je ne peux pas le détester ! Je veux lui plaire ». On remarque également que Saül essaie de se rajeunir — il se fait couper la barbe — pour séduire. Dans le rom an de Heym, Mical dépeint le jeu ne roi comm e une personne pourvue d’un charm e na turel, qui gagnait les cœurs en quelques mots, un regard, un geste de la m ain, comme quelqu’un qui semblait sincère et chaleureux. Elle affir me la bisexualité de David. Selon elle, David a d’a bord conquis le cœur de Saül : « Dès la nuit même où sa m usique avait chassé l’es prit mauvais il partagea le lit de mon père le roi Saül…Abner ben Ner, qui commandait l’arm ée du temps de mon père, alla jusqu'à prétendre que c’était moins la musique de David que son cul qui avait apporté soulagem ent au roi ». Puis il a entretenu u ne liaison avec Jonatha n. En ce qui la concerne, Mical affirme : « De nous tous, je fus celle qui lui résista le plus longtemps ». 168 David roi, graduel grégorien, Monza. CONCLUSION Précurseur de Jésus, m ême s’il a « manqué » sa m essianité, protégé de Dieu, David apparaît avan t tout, avec son am biguïté et ses contrastes, comme un être humain pris dans les circonstances concrètes de l’exercice du pouvoir r oyal. La com plexité m ême du personnage explique l’engouement qu’il a suscité au cours des siècles chez les artistes les p lus divers (les pe intres, les rom anciers, les historiens, les poètes, les m usiciens, les sculpteurs. . .), intéressés par l’ambiguïté sexuelle, l’adultère , les effets du pouvoir sur l’âm e humaine, mais auss i pa r la m iséricorde divine, la piété de David ou encore ses talents artistiques ou ses qualités politiques. 169 David et Bethsabée, Heures de Notre-Dame, XVe siècle. BIBLIOGRAPHIE J. P. Bonnes , David et les psaumes, 1957 (source de la plupart des documents iconographiques). J. Cazeaux, L’impossible David : critique de la royauté dans « Samuel » et « Rois », 1988. C. Coccioli, Mémoires du Roi David, 1976. J. Gikatila, Le secret du mariage de David et Bethsabée, 1994. F. Salet, David et Bethsabée, 1980. 170 Affiche de Jean Morax pour la première représentation du Roi David à Mézières, collection Pascale Honegger. 171 172 QUELQUES INDICATIONS SUR JONAS. SOURCES : La Bible, traduction œcuménique, édition intégrale. Le Coran, traduction Kasimirski, Flammarion, 1970. Encyclopédie des Symboles, La Pochotèque. Dictionnaire Encyclopédique de la Bible. André Chouraqui, Univers de la Bible, tome V. André Paul, La Bible, histoire, textes et interprétation, Nathan. I- LE LIVRE DE JONAS. Dans les écrits bibliques figure un recueil de « douze petits prophètes », considéré comm e un livre uni que. Ce sont des textes souvent brefs, isolés à l'origine, qui s’échelonnent entre le VIIIe siècle et le IIIe siècle avant J. -C. Dans la Bible hébra ïque, ils son t d ans l’o rdre suivant : Osée, Joël, Am os, Abdias, Jonas, Mich ée, Nahum , Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie. Date et formation. La rédaction du Livre de Jonas est habituellement située ap rès l'exil de Babylone, vers 400 pour beauc oup de commentateurs, ou plus tard encore, entre 400 et 200 (A. W eiser), vers 300 (H. W . Wolff). La limite est fixée par le Siracide : vers 180, ce t auteur connaît « douze prophètes » (Livre de Ben Sirach, 49, 10), ce qui suppose l’existence du livre de Jonas. L'unité du livre est généralem ent admise, seul le psaum e du chapitre II, qui correspond assez m al à la situation de Jonas, passe pour être une pièce rapportée plus tardive, insérée par l’auteur lui-même ou par un rédacteur. 173 Genre littéraire et sources. Depuis l'Antiquité, les auteurs juifs et chrétiens se sont prononcés en faveur du caractère historique du r écit, accroché à un personnage ayant historiquement existé ( 2Rois XIV, 25), pour m ontrer qu' il s 'agit de l'expérience réelle des prophètes. Mais les modern es voient dans Jonas un conte religieux développé comme une histoire merveilleuse, pleine d'images en vue d'une meilleure assimilation pédagogique, un peu à la m anière d'une parabole. L e langage et le style sont m anifestement postérieurs à l' époque classique de la langue hébraique ; de plus, la m anière de réfléchir sur le ministère prophétique suppose du recul pa r rapport à l' exercice de celui-ci, tel que l'a vécu notamment Jérém ie. L'humour un peu grinça nt du récit fait penser qu' il pourrait s' agir d' une so rte de pamphlet adressé au courant judaïque, trop replié sur lui-m ême à l'époque d' Esdras. Il était facile d'attribuer au nom de Jonas des aventu res f ictives destiné es à illustrer une théologie. Le livre veut donc proposer une doctrine, celle de l'universalité du salut. Quant aux source s de cette f iction pieus e, elles son t m ultiples. On reconnaît "à la base de Jonas un élém ent folklo rique présent dans divers peuples : l'histoire de l' homme avalé par un m onstre et ram ené à l' air libre "(M. Delcor). Il est aussi facile de reconnaître dans ce livre la reprise d' un thème biblique, celui du prophète désobé issant et récalcitrant à l' égard de Yahvé, illustré par Balaam (Nombres XXII-XXIV) et surtout par Elie, dont l'histoire est parfois parallèle à celle de Jonas et qui tient les m êmes propos que lui (1Rois XIX, 4 et Jonas IV, 3), et enfin par Moïse ( Exode IV, 10-14) et par Jérémie (Jérémie I, 6) ; mais ce livre est aussi la reprise de plusieurs développements, conten us dans les livres de Jérém ie et d’Ezéchiel. Selon Feuillet, « c'est une dépendance litté raire et théologique qui rattache Jonas IV, 3 à Jérémie III, 8 » (cf. Jr XVIII, 7-12, Jr XXV ; Jon I, 3-10 « fuir loin de la face de Yahvé » inverse la form ule de Jr XV, 1-19 ; XVIII, 20 « se tenir devant la face. . . »). Composition. Le livre de Jonas est inséré dans les livres prophétiques, mais il ne se présente pas à première vue comme eux. Au lieu d'être une série d'oracles, il 174 est bâti comme un ré cit suivi, com posé de trois scènes où le prophète semble tenir une place de second plan. Les deux prem ières le présente taciturne et solitaire, après qu' une parole de Dieu lui a été ad ressée. Pendant ce temps au contraire, s es interlocuteurs, marins d'abord, Ninivites ensuite, s'affairent et se m ontrent les plus religieux des homm es, invitant ainsi le lecteur du livre à se rec onnaître en eux et à les im iter. Dans la troisième scène, Jonas est seul face à Dieu, c'est là qu' est le somm et du livre : « La prière la plus importante du prophète et la révélation la plus grande de Dieu sur son ministère ». II- LE PROPHETE JONAS. Naissance et jeunesse de Jonas. Le nom de Jonas vient de l’hébreu Yonah, "colom be". Jonas, « fils d'Amittai » (Jon I, 1) vécut au tem ps de Jéroboam II (783-743). Il prédit l' expansion du royaum e du Nord "Assyrie" ( 2Rois 14, 25), il était originaire de Gat-H épher en Zabulon ( Jos XIX, 13) actuellem ent El-Mesed à 4km au nord-est de Nazareth. Le Iona-ben Amittai de la Bible est a ppelé Jonas f ils de Matta i ( Yùnùs ibn mattai) par les commentateurs du Coran et les Histoires des prophètes. Au sujet du nom de Mattai, le s avis sont partagé s : s'agit-il de la m ère du héros ? Si l’on estim e qu' il s' agit de sa mère, on ajoute que deux seulem ent parmi les prophètes sont désignés du no m de leur m ère : Jonas fils de Mattai et Jésus fils de Marie ; on ajoute aussi une anecdote détaillée, d'un style populaire caractéristique, rela tant sa naissance miraculeuse, son esprit de justice dans sa jeunesse, ainsi que son élection. La mission imposée à Jonas. Dans la Bib le, Ninive est m enacée de destruction à caus e des péchés de ses habitants et de leur roi ( Jon I, 1-3). La m ission de Jonas est une réponse à la cruauté du ro i de Ninive qui persécute les Hébreux. Il est difficile de connaître quelle est l’origine de cette version m ais on y retrouve sans aucun doute la trace des récits 175 bibliques concernant Nabuchodonosor ( 2Rois XXIV-XXV). Jonas commence par refuser cette m ission ( Jon I, 3-4). Mais pour quelle raison Jonas a-t-il refusé de prêcher texte biblique, la cause n’est pas les Ninivites ? Certes, dans le mentionnée, m ais dans la version d’Al-Kissai (savant m usulman), ce ref us est justif ié par le p oids des obligations familiales qui pèsent sur le héros : « (Dieu) lui dit : va là où je te l’ordonne et ne m e sois pas rebelle. Jonas partit avec sa femme et ses enfants et se rendit sur la rive du Tigre. Il prit son fils aîné, lui f it trave rser le f leuve et le laiss a su r l’autre berge. Il revin t ensuite prendre son plus jeune fi ls, et noya tous ses biens (qui tombèrent dans l’eau). Puis un loup vint s’em parer de son fils aîné. Il se mit à courir après le loup, qui se tourna vers lui et lui dit dans une langue parfaite : « O Jonas, laisse-m oi car j’ai reçu l’ordre d’agir ainsi ». Jonas revint attristé sur la berge du Tigre, et n’y trouva plus sa femme. Dieu se révéla alors à lu i en disant : « Tu t’es plaint du poids de ta fam ille, c’es t pourquoi je te libère d ’elle. Va donc mainten ant comme je te l’ai ordonné, et je te rend rai ens uite ta f amille et te s biens ». Dans le texte biblique, J onas s’embarque après l’ordre divin qu’il n’a pas exécuté. C ependant, en a llant à T arsis (Tarshish est une colonie phénicienne en Espagne ou en Sardaigne. Elle apparaissait comme le bout du m onde, ville lointa ine au-delà des m ers, difficile à identifier), surpris par une violente tempête, les passagers soupçonnent la présence à bord d’un homme coupable contre lequel s’est déchaînée la colère de Dieu . Le sort accus e Jonas qui demande lui -m ême à être jeté à la mer ; la tempête s’apaise (I, 1-16). Un grand poisson avale Jonas ; dans le ventre du poisson, Jonas récite un psaume ; après trois jours il es t rejeté sur le rivage (II, 1-10). C’est seulem ent après avoir consent à se rendre à Ninive sur été rejeté par le poisson qu’il l’ordre de Dieu et y prononce sa prophétie. L es habitants de la ville commencent par se m prophète et se refusent à l’écouter oquer du , adoptant une attitude de rejet, évoquée par d’autres peuples de l’ Antiquité qui ont été châtiés pour avoir refusé d’entendre leurs prophètes. L e châtim ent est de commander à l’ange de l’enfer de jeter sur la ville une étincelle du feu 176 infernal. Mais Ninive est sauvée in extremis grâce à son roi : quand celui-ci voit déferler le f eu qui envahit le ciel de la cité sous la forme d’un lourd nuage, il se revêt de sacs et de cendres et ordonne à son peuple de faire comm e lui. Tous ensemble manifesten t à Dieu un repentir complet, aussi il leur pardonne et épargne la ville (III, 3-10). La miséricorde divine. On sait que le livre de Jonas se term ine par l’épisode du ricin, qui vient enseigner que tout se trouv e soumis à la m iséricorde divine. Cet enseignem ent m oral trouve une expression détaillée dans les derniers ver sets du livr e. Pour illustrer ce tte idé e, Al-Kissai présente une série d’anecdotes évoquant la délivrance de Jonas du ventre du poisson : « Jonas sortit du ventre du poisson comme un oisillon sans plumes. Il n’avait pas la force de se tenir debout ou de s’asseoir et il avait aussi perdu la lum ière de ses yeux. Dieu fit alors pousser audessus de lui l’arbre Kissouth (le ricin), doté de quatre branches. Gabriel v int à lui, pass a la m ain puis il lui r endit la lum ière de ses yeux. Dieu envoya une biche pour l’al laiter, comme une mère allaite son enfant. Une source coulait sous l’arbre, où Jonas se purifiait (pour la prière selon le rite islam ique). Il buvait de son eau. Cette situation dura 40 jours puis Jonas s’endorm it et s’éveilla et v it que l’arbre était desséché et que la biche avait dis paru. Il se m it à pleurer, Dieu se révela alors à lui en disant : « O Jonas, tu pleures un ricin et une biche, et tu n’as pas pleuré sur cent mille de mes serviteurs ? » But/Théologie Que déduire de cela ? que ce liv re a en vue de qu'est l' expérience intérieure de m ontrer ce tout prophète. Il est un homm e convaincu (IV, 2) m ais il doit ha bituellement dans son m inistère commencer par prononcer des paroles qui dénoncent le m al, ce qui, le faisant aller à contre-courant de ses contemporains, est éprouvant pour lui et l'isole. Pourtant, même quand il ose parl er aux hommes (I, 1-16), il le fait en n'étant qu'un prédicateur résigné (III, 1-10). La parole peut être 177 efficace m algré lui. Par sa s imple présence, puisqu' il ne peut s' en débarrasser, cette p arole rem ue to ut le m onde, anim aux et nature compris. Le deuxièm e enseignem ent est donné par le contenu de la parole que Dieu dem ande de proc lamer et par la qualité de ses destinataires. Le Dieu q ui s' est révé lé pou r I sraël Dieu bie nveillant (Exode VI-VII), c’est-à-dire bon et sauveur, d éclare qu' il l' est aussi pour les Ninivites, ces étrangers dont la ville et le nom bre sont décrits avec des chiffres ronds à valeur s symbolique (trois jours : Jon III, 3 ; 120, 000 habitants : Jon IV, 11) pour signifier la portée universelle de la révélation. Certes, les Israélites des tem ps post-exiliques sont conscients de ce que les nations n' ont pas toutes subi la destruction annoncée par les oracles prophétiques lancés c ontre elles : Tyr a résisté à Nabuchodonosor (Ez XXVI, 28 ; XXIX, 18-20), Cyrus a épargné Babylone (Jr L-LI ; Is XIII, 14-47 ; Ammon, Moab, Edom subsistent encore, pour le plus grand dommage de la com munauté des rapatriés et malgré Ez XXV, 1-14. Ces Israélites at tendent donc avec ferveur le jour de Yahvé qui réalisera enfin le châtim ent annoncé (Ab, Ml I, 2-4, Jl IV, 19). Bien convaincu de bénéficier de la m iséricorde divine, ils n'envisagent en aucune m anière que les nations puissent en être également bénéficiaires (le salut universel). Les prophètes s' étaient rebellés contre la m ission que Dieu le ur confiait et Israël n' avait p as compris le r ôle de témoin universel que l' exil l'amenait à ass umer (Is XLIII, 8-13 ). Jonas finalem ent doit se soum ettre, il assis te donc au salut de Ninive, m anifestation de miséricorde de Yahvé envers tous les homm es. Avec Jonas, le p rophétisme accueille un sen s de Dieu original (IV , 4), venu de la liturg ie e t sp écialement de celle de l'alliance (Ex XXXIV, 6 ; Nb XIV, 18. . . etc), ainsi que des milieux de sagesse, depuis toujours ouverts à l'universel. 178 III- JONAS DANS LES EVANGILES. Jésus parle de Jonas et interpr ète ainsi lui-même le réc it : face aux incrédules qui lui dem andent des miracles et des p rodiges, Jésus répond par un refus et renvoie au « signe de Jonas ». Il veut dire que la signification de ses m iracles est d' abord de réaliser la parole qui les accompagne (Mt XVI, 4 ; Lc XI, 29-30) et qui invite à la conversion. Après la résurrection, la portée du signe de Jonas a été encore mieux comprise, comm e en témoigne le développem ent propre au premier éva ngéliste ( Mt XII, 40 ). Il est po ssible égalem ent que l'expression de la foi la plus anci enne, « il est r essuscité le trois ième jour selon les Ecritures » (1Co XV, 4), se réfère à ce signe. Jésus indique enfin que Jonas est signe de la portée universelle de son évangile ( Mt XII, 41-42). Les qualités hum oristiques de Jonas n'ont cessé d' inspirer sculpteurs et peintres chrétiens au cours de l'histoire. De nos jours, ce person nage attire toujours autant de sympathie, mais plus encore que pour son genre savoureux, c'est peutêtre pour son m essage : ce qu' il dit sur Dieu, son a mour universel et bouleversant. La résurrection de Jésus. De même que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant « trois jou rs et tro is nu its », c’est-à-dire dans le tom beau ou dans le séjour des morts qu' on situait sous la terre, Jésus ne ressuscita qu’après « trois jours et trois nuits » (Matthieu XII, 40). Ce verset, que certains es timent ajouté tardivem ent au texte d e Matth ieu, parlerait clairement ou de m anière voilé e du signe que constitue ra la résurrection de Jésus. Mais alors pourquoi est-ce le séjour sous la terre et non la délivrance qui est mentionnée en ce verset ? Le retour de Jésus comme juge Cette opinion se fonde sur le futur de Matthieu XII, 39, le verset 40 est alors considéré com me verset ajouté postérieurem ent, déformant l' intention p remière de Jésus. Cette in contestable. terprétation es t 179 La mort de Jésus. Ce qui caractérise très particuliè rement la destinée de Jonas et plus tard celle de Jésus, c'est l'engloutissement dans la m ort, le verset 40 serait une annonce voilée de la passion. A la dem ande de merveilleux, d'extraordinaire contraignant, Jésus ne répond q ue par le contre-signe de sa m ort procha ine ; m ort qui se ra interprété e différemment par ceux qui ont accueilli sa prédication et croiront en sa résurrection et par ceux qui ont re fusé la conversion. Lors du jugement, ces derniers seront condam nés par l es Ninivites convertis par Jonas ( Matthieu XII, 41). Vu la différence de présentation entre Matthieu e t Luc, il se rait in téressant de savo ir laquelle des deux versions est la plus ancienne, la question reste à discuter. 180 181 CONCLUSION Au début de l’année, nous avons éprouvé quelques réticences à l’idée de travailler sur la Bible : no us n’avions pas c hoisi ce thèm e — il serait bon que les étudiants puissent savoir avant de s’inscrire sur quel thème chaque enseignant de « culture et expression » travaille —, les cours d’introduction étaient plutôt rebutant s par la m asse de connaissances nouvelles qu’ils apportaient, et nous ne voyions pas très bien pourquoi étudier la Bible. Lorsque nous avons commencé à travailler par nous-mêmes cependant, nous avons été beaucoup plus intéressés et avons pris plaisir à réaliser ce recueil. Ce travail nous a perm is de nous initier à la recherche docum entaire autonome e n bibliothèque, ainsi qu’à l’ utilisation de l’outil inform atique. Souvent effrayés au début de nos inve stigations par la m asse de docum ents à considérer, nous nous sommes m algré tout efforcé de réaliser des synthèses et avons a mélioré notre m éthode, mêm e si bien sûr il reste beaucoup à apprendre en ce dom aine. Les joies et les difficultés du travail en binômes ainsi que le recours à l’e- mail nous ont perm is de réfléchir aux façons de comm uniquer nos recherches et de les faire progresser par le dialogue. Au fil des cours, nous avons pu préciser l’idée que nous nous faisions du texte biblique, très floue au départ pour la majorité d’entre nous ; nous avons aussi découvert com bien le s références à la Bible étaient multiples, c ombien aussi les m odalités d’in spiration de la Bible éta ient variées, et pris conscience de la néce ssité de connaître mieux cet ouvrage de référence, dans le cadre de nos études de lettres et tout simplem ent pour développer notre culture générale. Nous avons particulièrement apprécié les approches pa r le bi ais de l a li ttérature, de la peinture, du ciném a ou de la psychanalyse — ces trois derniers do maines étant trop rarem ent abordés dans le cadre universitaire des études de lettres, m algré leur étr oite connexion à la littérature — ; les analyses exégétiques du texte biblique luimême étaient souvent trop ardues et éloignées de no s préoccupations présentes. Au-delà de l’intérêt cult urel, nous avons pu constater que les questions soulevées par les textes bibliques ont bi en souvent un retentissement universel, et qu’elles nous concernent aujourd’hui encore : l’origine du m al, le sen s de l’ « élection », l’ injustice et la m iséricorde… Nous aurions souhaité avoir p lus d’occasions pour discuter de ces th èmes à bâtons rompus. Au terme de l’année, nous souha iterions pouvoir poursuivre l’étude de la Bible, ou bien aborder celle du Coran et des autres grands textes sacrés ou mythes religieux du monde, dans le cadre de nos études. Il nous paraît en effet important qu’une initiation au fa it religieux soit donné e dans le cadre de l’enseignem ent laïque, car elle nous ouvrirait des perspectives jusqu’alors tout à fait insoupçonnées sur notre environnement culturel. Les chapitres que vous venez de lire sont bien sûr largem ent perfectibles, mais nous espérons qu’ils auront été une invitation à partir à la découverte du texte biblique, par l’un ou l’autre des chemins suggérés. 182