Samson, David, Jonas, conclusion

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Samson, David, Jonas, conclusion
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Samson tue les Philistins avec une mâchoire d’âne.
SAMSON
Un élu trop humain, ou le jouet de Dieu ?
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METHODOLOGIE
Nous avons commencé il y a environ une semaine à travailler sur le
dossier. A notre décharge, nous avons
expression au deuxièm
changé de groupe de culture
-
e se mestre. Nous avons cherché tous les
renseignement utiles à la bibliothèque de la Part-Dieu, pe ndant une journée
entière. Nos recherches ont été asse z limitées. Comme nous avons travaillé
ensemble la m ise en comm un a été autom atique et systém atique. Nous
n'avons rencontré aucun problèm e particul ier et avons apprécié l' intérêt de
cette recherche.
Ce chapitre est le résultat d’une s ynthèse entre le dossier de Déborah
Colloc et Marie-Amélie Frère et le texte d’exposé de David Ruby.
PLAN
I- Un héros populaire élu par Dieu.
A) La naissance de Samson.
B) Le symbolisme de la chevelure.
C) Les démonstrations de force de Samson.
II- Un homme faible face à la perfidie des femmes.
A) Les trahisons féminines dans le récit biblique.
B) Interprétations de la trahison de Dalila.
III- L’instrument de la vengeance divine.
A) Péché et repentir.
B) Machination divine.
C) Renversement de situation.
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INTRODUCTION
Les origines du récit biblique sur S amson, inséré dans le Livre des
Juges, sont sans doute à chercher dans un conte populaire. Le héros fait
théoriquement partie des grands juges 1 d'Israël, comme l’indiquent XV, 20
et XVI, 31, m ais hormis ces deux allu sions rien ne m ontre que Sam son
assume une fonction de juge, c’est-à- dire de chef politique q ui gouverne le
peuple israélite et s’efforce d ’en réu nir les tribu s. Au contr aire m ême, les
hommes de la tribu de J uda, des Israél ites donc, le livrent aux Philistins . Il
serait plutôt un héros local agissant pour son propre com pte contre les
ennemis de son peuple, dont on se
raconte les exploits éclatants et
légendaires en les embellissant au fil des siècles. Samson appartient en effet
à un type de personnages que l’on trouve dans toutes les mythologies : c’est
un surhomme, comme Achille, Hercule ou Superm an, et il a comm e eux un
point faible.
Le mythe de la f orce invincible liée à une faiblesse, qui perm et aux
hommes de rêver m ais aussi de s’iden tifier au héros, a été superposé aux
impératifs bibliques déf inissant l’élu, ce qui donne une cu rieuse histoire,
construite en sept épiso des success ifs liés entre eux par des échos et des
effets d’annonce — par exemple entre l’énigme du mariage de Samson et la
trahison de Dalila, entre le s dif férentes m anifestations d e puissan ce de
Samson pour son compte et la révélation finale de sa puissance au service de
Dieu —, s’ouvrant et se fermant sur les manifestations de la grâce divine.
Samson a été consacré à Dieu dès sa conception et doté par Lui d'une
force exceptionnelle. Pourtant, bien que choisi pour être nazir (cf. infra) et
juge, Sam son ne s' est pas toujours rendu digne de ce choix. Sa principale
faiblesse est son attirance pour les femmes enne mies de son peuple, qui, par
trois f ois, le trah iront. On peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit
Yahvé à choisir un homme qui semble manquer de volonté et d’intelligence.
Pourquoi Samson, si fort, élu par Dieu pour sauver son peuple, devient-il si
faible lorsqu'il est aux prises avec une femme ? Samson déçoit-il Dieu d ans
ses attentes, ou bien ses faiblesses sont-elles utilisées par la puissance divine
à des fins supérieures ? On se demandera dans quelle mesure la composante
légendaire du récit conduit à infléchir la figure divine.
Nous tenterons d'éclairer ces problèmes à travers l'étude des actes de
ont données les artis tes (peinture,
Samson et les interprétations qu’en
littérature, musique). A près avoir anal ysé la réputation de héros populaire
qui a rendu Sa mson cé lèbre, nous ve rrons comment, m algré son élection
divine, son hum anité prédom ine, à mo ins que ce ne soit l’injustice d’un
Dieu tiraillé entre la Bible et la légende.
1
Yahvé a su scité des Juges pour éloigner les Israélites d es faux-dieux et les rem ettre dans
le droit chemin. Le Juge sauve ses compatriotes de la colère de Dieu.
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I-UN HEROS POPULAIRE ELU DE DIEU.
A-La naissance de Samson.
Samson naquit après quarante années d' occupation de son peuple par
les Philistins ; en ef fet les Isr aélites avaient déçu Yahvé qui les ava it punis
en envoyant contre eux leurs plus pr
oches ennem is. Alors que sa m ère
n’était pas en m esure d’enfanter, un ange vint lui annoncer la naissance
prochaine d’un fils, m arqué d’un signe di vin, et sa destinée de libérateur.
Elle décida de l' appeler Sa mson ( Shimston, dérivé de
Shemesh, sole il).
L'ange de Yahvé exigea d' elle pendant sa g rossesse et surtout d e so n fils
ensuite l' ascétisme du nazir : d' après le Dictionnaire de La Bible, le n azir
était une personne qui se consacrait à Yahvé par un vœu, pour une période
donnée — dans le cas de Sam
son, c’est un naziréat im posé dès avant la
naissance et définitif. L e naziréat, réaction con tre le relâchement religieux,
était très réglem enté et im posait d ifférentes s ortes d' abstinence : il était
notamment interdit au nazir de consomme r de l’alcool ou des produits de la
vigne ainsi que de couper ses chev
eux, qui appartenaient à Dieu. La
légendaire force surnatu relle de Sam son, qu’il possède seul dans le peuple
d’Israël, résidait ainsi moins dans sa
chevelu re que dans l' état de nazir
qu'elle indiquait : « la consécration était sur sa tête ».
Cette préface fait entrer le récit folklorique dans le domaine biblique
par l’annonce de l’ange à la m ère stérile, qui inscrit Sam son dans la lignée
des élus de Dieu. Dans la Bible, les exemples de femmes stériles qui on t un
enfant grâce à l' action de Dieu ne sont pas rares : suite à l’annonce divine,
Sara, femme d’Abraham, conçoit un fils alors qu' elle est déjà très âgée. De
même Rébecca, la femm e d' Isaac, elle au ssi s térile, se verra confier p ar
Yahvé lui- m ême qu'elle enfantera des jumeaux ; citons encore la m ère de
Samuel. Dans le Nouveau Testament, le récit de l’Annonciation relate que la
cousine de Marie, Elisabeth, bien qu’âgée et stérile, enfantera Jean-Baptiste.
Mais, contrairement aux autres enfants choisis par Dieu, Sam son n’aura pas
un rôle de m eneur d’hommes, de chef d’armée ou de prophète, c’est par le
biais d’actions motivées par des fins pe rsonnelles que Dieu se servira de lui
comme instrum ent de vengeance pour
son peuple. Mis à part sa force
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exceptionnelle, Samson ne jouit d’aucun pr ivilège terrestre pa rticulier et ne
semble pas avoir de « consignes » célestes. Il semblerait que Dieu ne lui ait
donné que la force, sans le discerne ment ou la conscience d’une m ission
plus haute : c’est un des grands paradoxes de ce héros.
Samson, plus qu’aucun autre élu, illu
stre la liberté souveraine du
Tout-Puissant, qui choisit des hommes comme les autres, avec leurs défauts,
peut-être ici dans l’intention pédagogi que de montrer à travers l’exemple de
Samson qu’un homme sans volonté est
faible m ême s’il est doué d’une
force physique herculéenne, que la véritable force n’est pas dans les muscles
mais dans la foi.
B- Le symbolisme de la chevelure.
D'après le livre Les allusions bibliques, la pilosité était ressentie dans
les an ciennes civ ilisations comm e un cr itère essentiel de distinction e ntre
l'animal et l' homme. Ce qu' il y a d' animal en l’h omme, notamment la force
brutale par oppositio n à l’in telligence, était sy mbolisé par les ch eveux, la
barbe, la toison, ce qu’exprime de nos jours encore l’adage « cheveux longs,
idées courtes ». Etre rasé ou tondu
signifiait renoncer à ses instincts
primitifs, à sa sensu alité débr idée — la p erte des chev eux de Sam son m et
fin à sa liaison avec Dalila —, sym bolique qui est toujours d’actualité : que
l’on songe au châtim ent infligé aprè s la Seconde Guerre Mondiale aux
femmes qui étaient sup posées avo ir eu des relations sexuelles avec des
Allemands, dans lequel l’hum iliation d’une perte sym bolique de puissan ce
s’ajoute à la marque d’infamie.
On voit par ce glissement que la
force v itale sym bolisée par une
chevelure abondante n’est pas seulem ent connotée négativem ent : elle peut
être source de fierté pour celui qui la porte. Dans la Bible, on trouve à la fois
l’exemple d’Absalom que sa chevelure orgueilleuse conduit à sa perte et
celui de Sam son chez qui elle est le s igne de la puissance divine sur lui.
L'interdiction faite à Samson de se couper les cheveux peut être vue comme
le renoncement de l'homme de Dieu à la civilisation de son tem ps : secouer
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les colonnes du tem ple, symboles des in stitutions, des valeurs m orales, des
fondements matériels ou spirituels de la société des Philistins, c'est briser les
conventions et les habitudes pour fonder un ordre nouveau, celui du Dieu de
la Terre Promise.
C-Les démonstrations de force de Samson.
Par son naziréat, Sam son acquiert une force hors du comm un qui lui
sera utile po ur combattre les Philistins. Homme à l’âm e simple et naïve, il
est app récié par le p euple tant que ses actes n’ont pas de conséquences
désastreuses.
Il existe dans La Bible plusieurs passages sur cette force su rhumaine
dont le prem ier est son
combat avec le lion (
Juges XIV, 5-18). Les
commentateurs du Moy en-Age et n otamment l'auteur anon yme de la Glose
ordinaire ont reconnu dans ce premier exploit de Samson la préfiguration du
Christ aux Limbes, vainqueur de Satan.
Cette interprétation explique la f réquence du sujet dans l'art chrétien
dès le XII e siècle. Dans l' iconographie trad itionnelle, Sam son est presque
toujours rep résenté che vauchant le f auve et lu i renv ersant la tête pou r lu i
écarteler les mâchoires de ses deux m ains désarmées. Au XV e siècle, Dürer
le représente assis sur la croupe de l'animal. Samson le terrasse en lui brisant
l'encolure avec sa jam be droite repliée. Le m ême épisode est rep ris par
Rubens au XVII e siècle, mais la mise en scène diffère quelque peu : Samson
écarte les m âchoires du lion qu' il vient de tuer et un essaim
s'échappe de sa gueule, ces abeilles
d' abeilles
rappelant la phrase de l’énigm e de
Samson : «de celui qui m ange est s orti ce qui se m ange, du fort est sorti le
doux ». Ce dessin est à la gloire du pa
pe Urbain, les trois abeilles qui se
détachent s ur le ro cher (sym bole d e la papau té) form ent l' emblème de sa
famille ; la lyre qui se trouve à droite est une allusion au talent poétiqu e du
pape (voir l'annexe).
Comme nous l' apprend le liv re des
Symboles dans La Bible,
lorsqu'un être hum ain rem porte un com bat contre un lion, c' est un héros
historique qui a le dessus sur un anim
al réel, il n' y a pas de portée
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symbolique, cette victoire est le sim ple signe de la «dextérité», de la force
musculaire et de la bénédiction divine.
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Samson combattant le lion, A. Dürer, 1497-1498, bois 38, 2x27, 8 cm.
135
Samson et le lion, Rubens, 1633-1634, dessin à la plume et à la craie noire, 17, 9x13, 8 cm.
Un autre é pisode c élèbre de la
force de Sam son est celui de la
«mâchoire d'âne» (Juges XV, 15-16) : armé d'une mâchoire d'âne, Sa mson
abat m ille Philis tins venus le chercher pour «
le traiter comm e il [les a]
traités ». Ce passage est imm édiatement suivi de l’ épisode des portes de
Gaza (Juges XVI, 4) : Samson, recherché, s’enfuit en arrachant les portes de
la ville et les dépose au somm et d’ une collin e en face d’Hébron. Il laisse
ainsi la ville sans défense et hum
iliée. Ces épisodes, bien que sûrem
exagérés, illustrent la force phénoménale du nazir.
ent
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Le quatrième et dernier épisode célèbre de la force de Sam son, celui
du tem ple des Philistins ( Juges XVII, 28-3 0), est celu i qui exp licite s a
mission d’élu et lui perm et de mettre directement sa force a u service de son
peuple et de son Dieu. Samson, qui a été trahi par Dalila, est emprisonné par
ses ennemis et tourné en dérision lors d'une fête religieuse consacrée à leur
dieu Dagon. Sa force, qui l' avait abandonné quand Dalila par traîtrise lui
avait fait couper les cheveux, revient pe u à peu en m ême temps que ceux-ci
repoussent. Prétextant de la fatigue
, il dem ande à s' appuyer contre les
colonnes centrales de l' édifice. Il adre sse au S eigneur une prière : «Yahvé,
daigne te souvenir de moi et m
e re ndre plus fort ». S’arc-boutant sur
chacune des colonnes, il retrouve la grâce de Yahvé et sa force : le temple
s'écroule, ensevelissant le héro s et se s ennemis : « les morts qu'il fit mourir
par sa m ort furent plus nom breux que ceux qu'il avait fait mourir durant sa
vie ». Dieu avait-il prém édité sa faib lesse av ec Dalila po ur susc iter chez
Samson le désir de vengeance — c’
psychologique constant de notre héros
Samson et son repentir qui le condui
est le m ode de fonctionnem ent
—, ou bien est-ce la prière de
sirent à rendre sa f
orce au nazir
pardonné ? Quoi qu’il en soit, Samson fait preuve dans cette fin épique d’un
courage nouveau : il ne s’agit plus seulement d’un exploit physique qu’il est
sûr de pouvoir accom plir, m ais d’un act e de foi en sa force revenue, d’où
l’ampleur spectaculaire de son exploit et son insertion dans la Bible.
II-UN HOMME FAIBLE FACE A LA PERFIDIE DES FEMMES.
On peut se dem ander pourquoi il a
fallu tant de péripéties pour
parvenir à l’épisode du Tem ple, qui donne son sens biblique à l’histoire de
Samson. C’est que le héros a un point
faible : l’homm e le plus fort du
monde ne sait pas résister aux fe mmes. Elu, nazir, juge : il est homme avant
tout, influençable comme Adam face à Eve lors du péché origin el ; il a un
point faible comme tous les héros « invincibles ».
137
A- Les trahisons féminines dans le récit biblique.
Par trois fois, Samson sera victime des femmes.
La prem ière fois, celle qui est devenue sa femme lui extorque la
réponse de l' énigme qu'il avait pro posée et la donne à ses com
pagnons
philistins : s 'en suivront des repré sailles jusqu' au f ameux épisode de «la
mâchoire d'âne». Si Eve se laisse conva incre par le serpent par curiosité, la
première "femme" de Sam son, elle, ne liv re la clef de l’énigm e de Sa mson
aux Philistins que parce qu’ils font peser sur elle une menace. Ainsi ne peuton la taxer de traîtrise gratuite, pui
sque c’est par peur des représailles
qu’elle trahit Samson. La deuxième fois, même si le texte biblique n’est pas
explicite à ce sujet, on p eut supposer qu’une pros tituée de Gaza le dénonce,
là encore sans doute par crainte. Enfin, la troisième fois, la plus célèbre de
toutes, Dalila le livre aux Philistins.
Dalila est une femme, probablement philistine, dont s'éprend Samson
pour sa perte. Elle se fait acheter par les chefs de son peuple pour leur livrer
ce héros qui les terrorise et les em pêche d'opprimer les Israélites, et finit par
lui arracher le secret de sa force prodigieuse. Dalila fait donc raser Samson
pendant son somm eil, afin de le priver de sa force et de l' assistance divine
dont il s' est rendu indigne en exposant à des mains étrangères ce qui était
voué à Dieu. Puis elle appelle les Philis tins qui le captu rent. La trahison de
Dalila es t b eaucoup plu s condam nable que celle des deux autres femmes.
C’est la cu pidité qui la m otive, m ais surtou t Dalila inc arne la f orce de
persuasion des femmes, thème biblique s’il en est — la Bible tente en effet à
maintes reprises de démontrer la fa iblesse des h ommes face aux femmes,
justifiant par là-même la classification des femmes dans le dom aine du mal,
du péché. Elle use de tous ses pouvoirs pour convaincre Samson de lui livrer
le secret de sa force, avec au poi
nt culm inant l’a rgument f éminin " par
excellence", la m ise en doute de l’am
our que lui porte Sam
son : elle
reproche à ce dernier de ne pas lui a ccorder sa confiance et donc de ne pas
l’aimer.
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B- Interprétations de la trahison de Dalila.
De nom breux artistes se sont in spirés de ce tte c élèbre trah ison,
éludant pour la plupart la partie de l’histoire qui lui est antérieure, aussi bien
musiciens ( par exem ple Cam ille Saint-Sa ëns dans son opéra
Samson et
Dalila en 1877) qu'écrivains.
Milton, dans
The reason of church Government urg'd against
Prelaty (1641) développe une ample
image fondée sur l'
histoire du
champion hébreu : Milton y com pare à Sam son, qui succom ba sous les
flatteries d'une courtisane, les rois qui cèdent aux tentations de l'absolutisme
et aux conseils pernicieux des prélats, ceux-ci ayant tôt fait de les dépouiller
de leur juste pouvoir.
Alfred de Vigny écrit dans les Destinées un poème intitulé La Colère
de Samson qui illustre bien
l’idée de la p erfidie des fe mmes. Œuvre
empreinte du ressentim ent de l’am ant orgueilleux et bafoué — Vigny vient
de rompre avec Marie D orval —, comme en témoigne la prem ière personne
du pluriel au dernier quat rain, le poèm e condense le récit biblique pour se
centrer sur la trahison, pour Vigny emblématique d’une lutte sans merci que
se livrent « la bonté d’Homm e » e t « la ruse de Femme ». La bêtise de
Samson qui transparaît dans le récit biblique est ici gommée au profit de sa
grandeur d’âm e : Sa mson fait de son dernier aveu un c
hoix librement
consenti et suicidaire — ce qui aurait été inadmissible dans la Bible pour un
élu de Dieu —, pour préserver sa libert é digne d’Homme dans la mort. Il ne
cède pas par faiblesse aux fourbes cajol
eries de la femme, m ais c’es t en
toute lucidité qu’il voit sa dépendance comm
l’homme dè s la petite enfance et d
e une fat alité inscrite en
écide d’y m ettre un term e. Tout son
comportement est excusé par la fatalité
: les homm es sont physiquement
dépendants des femmes et il leur est impossible de vivre sans elles, même si
elles sont fondam entalement mauvaises et perverties. Le poète fait de
Samson trahi par Dalila un martyr de la « cause masculine ».
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La Colère de Samson, in Les destinées, A. de Vigny, publié à titre posthume
en 1864, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, p. 140-142.
Le désert est muet, la tente est solitaire.
Quel Pasteur coura geux la dress a sur la
terre
Du sable et des lions ? — La nuit n’a pas
calmé
La fo urnaise du jour dont l ’air est
enflammé.
Un vent léger s’élève à l’horizon et ride
Les fl ots de l a po ussière ai nsi qu ’un l ac
limpide.
Le lin b lanc d e la ten te est b ercé
mollement ;
L’œuf d ’autruche allu mé v eille
paisiblement,
Des voyageurs voilés intérieure étoile,
Et jet te l onguement deu x o mbres sur l a
toile.
L’une est grande et superbe, et l’autre est
à ses pieds :
C’est Dalila, l’esclav e, et ses b ras son t
liés
Aux ge noux r éunis du m aître je une et
grave
Dont la force divine obéit à l’esclave.
Comme u n doux léop ard elle est soup le,
et répand
Ses cheveux dén oués aux pi eds de son
amant.
Ses grands y eux, e ntr’ouverts com me
s’ouvre l’amande,
Sont br ûlants du plaisir que son re gard
demande,
Et j ettent, par éclats, leu rs m obiles
lueurs.
Ses b ras fin s to ut m ouillés d e tièd es
sueurs,
Ses pi eds voluptueux qui s ont c roisés
sous elle,
Ses flancs pl us élancés que ceux de la
gazelle,
Pressés de bracelets, d’a
nneaux, de
boucles d’or,
Sont bru ns ; et , co mme il sie d au x filles
de Hatsor,
Ses de ux sei ns, t out c hargés d’amulettes
anciennes,
Sont cha stement pres sés d ’étoffes
syriennes.
Les ge noux de Sam son f ortement so nt
unis
Comme les deux genoux d u co losse
Anubis.
Elle s’endort sans force et riante et
bercée
Par la puissante main sous sa tête placée.
Lui, m urmure ce cha nt funè bre et
douloureux
Prononcé dans la go rge av ec d es m ots
Hébreux.
Elle ne comprend pas la parole étrangère,
Mais le chant verse un somme en sa tête
légère.
*
« Une lu tte ét ernelle en t out te mps, en
tout lieu,
Se livre sur la terre, en présence de Dieu,
Entre l a bonté d’ Homme et l a ruse de
Femme.
Car la Femme est un être impur de corps
et d’âme.
« L’Homme a to ujours besoin de caresse
et d’amour,
Sa mère l’en abre uve alors qu’il vient au
jour,
Et ce b ras le p remier l’en gourdit, le
balance
Et lu i do nne un d ésir d’amour et
d’indolence.
— Troublé dans l’action, troublé dans le
dessein,
Il rêvera partout à la chaleur du sein,
Aux c hansons de l a nuit, au x bai sers de
l’aurore,
A la lèvre de feu que sa lèvre dévore,
Aux cheveux dénoués qui roulent sur son
front,
Et les reg rets d u lit, en march ant, le
suivront.
Il ira dans la ville, et là les vierges folles
Le pr endront d ans leu rs lacs aux
premières paroles.
Plus fort il sera né, mieux il sera vaincu,
Car plus le fleuve est grand et plus il est
ému.
Quand le combat que Dieu fit pour la
créature
Et cont re s on sem blable et contre la
Nature
Force l’Hom me à cherc her un sein où
reposer,
Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut
un baiser.
Mais il n’a pa s encor fini toute sa tâche.
—
Vient un autre combat plus secret, traître
et lâche ;
Sous s on bras, so us s on c œur se l ivre
celui-là,
Et p lus ou m oins la Femm e est to ujours
Dalila.
140
« Elle rit et trio mphe ; en sa fro ideur
savante,
Au m ilieu d e ses sœu rs elle atten d et se
vante
De ne rien éprouver des atteintes du feu.
A sa plus belle amie elle en a fait l’aveu :
" Elle se fait ai mer san s ai mer ellemême.
Un Maître l ui fait p eur. C ’est le p laisir
qu’elle aime,
L’Homme est r ude et l e prend sa ns
savoir le donner.
Un sacrifice illustre et fait pour étonner
Rehausse m ieux qu e l’o r, au x yeux d e
ses pareilles,
La beaut é q ui pro duit t ant d’ét ranges
merveilles
Et d’un sa ng précie ux sait arrose r ses
pas.
« Donc ce q ue j’ai voulu, Sei gneur,
n’existe pas. —
Celle à qui va l ’amour et de qui vient la
vie,
Celle-là, p ar Orgu eil, se fait n
otre
ennemie.
La Femme est, à prése nt, pi re que da ns
ces temps
Où, voyant les Hu mains, Dieu dit : " Je
me repens ! "
Bientôt, se r etirant da ns un hi deux
royaume,
La F emme au ra Go morrhe et l’ Homme
aura Sodôme,
Et, se jetant, de loin, un regard irrité,
Les deux s exes m ourront c hacun de s on
côté.
« Eternel ! Di eu des fo rts ! vous savez
que mon âme
N’avait pou r ali ment q ue l ’amour d’ une
femme,
Puisant da ns l ’amour se ul plus de sai nte
vigueur
Que m es cheveux di vins n’en donnaient
à mon cœur.
— Jugez-nous. — La voilà sur mes pieds
endormie.
Trois fois elle a ve ndu mes secrets et m a
vie,
Et trois fois a versé des pleurs fallacieux
Qui n’ont pu me cacher la rage de ses
yeux ;
Honteuse qu’elle était
plus e ncor
qu’étonnée
De se voir découverte en semble et
pardonnée.
Car la Bonté de l’Homm e est forte et sa
douceur
Ecrase, en l’ab solvant, l’être faib le et
menteur.
Mais en fin j e suis las. — J’ai l’â me si
pesante,
Que m on c orps gi gantesque et ma t ête
puissante
Qui so utiennent le p oids des co lonnes
d’airain
Ne l a peu vent po rter a vec t out so n
chagrin.
Toujours voir serpenter la vipère dorée
Qui se traî ne en sa fa nge et s’y croit
ignorée ;
Toujours ce co mpagnon don t le cœu r
n’est pas sûr,
La Fe mme, en fant m alade et douze fois
impur !
Toujours m ettre sa force à gar der sa
colère
Dans son c œur offensé, c omme en un
sanctuaire
D’où l e fe u s’écha ppant i rait t out
dévorer ;
Interdire à ses yeux de voir ou de pleurer,
C’est t rop ! — Di eu s’i l l e veut peut
balayer ma cendre.
J’ai don né mo n secret ; Dalila v a le
vendre.
— Qu’ils seront beaux, les pieds de celui
qui viendra
Pour m’annoncer la mort ! — Ce qui sera
sera ! »
Il d it et s’endo rmit p rès d’elle j usqu’à
l’heure
Où les guerriers tremblants d’être dans sa
demeure,
Payant au poids de l ’or c hacun de ses
cheveux,
Attachèrent se s mains et brûlère nt ses
yeux,
Le t raînèrent san glant et chargé d ’une
chaîne
Que douze grands taurea ux ne tiraient
qu’avec peine,
Le placèrent debout, silencieusement,
Devant Da gon l eur Di eu qui gémit
sourdement
Et de ux f ois, en t ournant, recula s ur sa
base
Et fi t pâl ir deux fois ses prêt res e n
extase ;
Allumèrent l ’encens ; dressèrent un
festin
Dont le bruit s’entendait du mont le plus
lointain,
Et près de l a géni sse a ux pieds d u Di eu
tuée
Placèrent Dalila, pâle prostituée,
Couronnée, adorée et reine du repas,
141
Mais tremblante et disant : il ne me verra
pas !
*
Terre et Ci
el ! av ez-vous tressailli
d’allégresse
Lorsque vous avez vu la m enteuse
maîtresse
Suivre d’un œ il hagar d l es yeux t achés
de sang
Qui ch erchaient le so leil d ’un reg ard
impuissant,
Et qua nd en fin Sam son, s ecouant l es
colonnes
Qui faisaien t le so utien des i mmenses
Pylônes,
Des peintres aussi ont été inspir
Ecrasa d’un s eul co up s ous l es dé bris
mortels
Ses t rois m ille ennem is, l eurs Di eux et
leurs autels ?
Terre et Ciel ! punissez pa r de telles
justices
La trahison ourdie en des amours factices
Et le délation du secret de nos cœurs
Arraché dans nos bras par des bai sers
menteurs !
Ecrit à Shavington, Angleterre, 7 avril
1839.
és par cet épisode biblique. Un
tableau de Rubens (vers 1625) nous rela te la tonte de Sam son. Tandis qu' il
est endormi sur les genoux de Dalila, un valet s' approche de lui et lui cou pe
les cheveux . L' action est éclairée par
une vieille fe mme qui surve ille la
scène. Dalila sem ble s' abandonner com plètement ; elle regarde Sam son et
son visage est paisible. Au fond de la scène, en haut à dr oite, l'on aperçoit
l'armée des Philis tins qu i attend à la porte. Ces deux scènes sont éclairé es
par des bougies qui m ettent en relief l'abandon total de Sam son, le point
central du tableau étant par ailleurs la musculature puissante de son dos. On
peut noter le contraste entre cette expression de force physique et la position
presque fœtale du héros. Les deux pers onnages principaux se laissent faire
et ce sont les personnages secondaires
qui agissent. Rubens est toutefois
plus indulgent à l'égard de Dalila que ne le sera Rembrandt. Ici, la traîtresse
est tout aussi passive que son amant.
142
Samson et Dalila, Sir Anthony van Dyck, v. 1630, Dulwich Picture Gallery, Londres.
143
Samson et Dalila, Rubens, XVIIe s, Londres.
Si l’on considère L'aveuglement de Samson de Re mbrandt (1636),
« dans la pénombre, Dalila, tenant la chevelure coupée de Sam son, s'enfuit :
le héros étant ainsi réduit à l' impuissance, les P hilistins s'emparent de lui et
lui cr èvent les yeux. La trahiso n, l' horrible m utilation du héros, sont
exprimées avec force par la puissance et le choc de la coul eur qui n'est plus
utilisée pour sa facilité de reproduire la réalité mais se voit conférer de façon
inattendue ici un véritable rôle de porte-parole du
drame. Sans doute, le
peintre n'a-t-il voulu, tout d' abord, que fuir la réalité de la scène et rendre la
lumière qui pénètre par l'ouverture de la sombre draperie.
Dans le co ntre-jour, le s Philistin s aler tés p ar Dalila enc haînent
Samson et l' aveuglent. Un éclairage dram atique tom be de l' ouverture par
laquelle Dalila s' enfuit. Sa m ain, tena nt les ciseaux, est le point le plus
éclairé du tableau. Se détach ant sur le bleu pâle, le jaune citron, les gris de
l'arrière-plan lumineux, le formidable pied de Samson ne peut plus atteindre
celle qui l’a trahi. Les couleurs brillantes des vêtem
ents du héros, le gris
terne et la suavité du jaune for ment un contraste angoissant avec le rouge
144
profond du guerrier, à gauche. Cette fo
is encore, Rem brandt utilise en
contrepoint la struc ture linéaire et la composition colorée po ur accentuer la
vie de l' ensemble. Dalila tr iomphante f orme le sommet de la com position
pyramidale dont Sam son aveugle constitu e la base. Grâce à ses couleurs
singulières, ce dernier constitu
e un véritab le centre secondaire de la
composition. » (Rembrandt de L. Munz et B. Haack).
Aveuglement de Samson, Rembrandt, 1636, huile sur toile, 236x306 cm.
III- L’INSTRUMENT DE LA VENGEANCE DIVINE.
Dans le poèm e de Vigny se dessin e toutefois une interprétation qui
va au-delà de la lam entation sur la pe rfidie fém inine. En effet, c’est dans
l’ordre du monde créé par Dieu que
caresses de leurs m
les hommes sont dépendants des
ères puis de leurs am
antes : comm ent peut-on
comprendre le rôle de Dieu dans l’histoire de Samson ?
145
A- Péché et repentir de Samson.
On peut comprendre que Sam son a déçu les attentes de Dieu sur lui.
C’est ainsi que Milton, dans
Samson Agonistes, insiste su r la culpab ilité
personnelle de Sam son, ouvrant su r une approche psychologique du
personnage que la Bible ne perm ettait pa s. Il décrit la lu tte intérieure de
l'homme, il veut représenter la vie et le caractère de Samson, sa régénération
par le repentir et la foi. Samson a failli à la mission qui lui avait été confiée.
Devant l' énormité de son crim
e « indigne d' un homm e, ignom inieux,
infâme », il s' est abîmé dans le désespoir. Au centre d e ce d rame lyrique se
trouvent le péché et les ravages qu'
il produit dans la conscience, puis la
purification et la ré conciliation av ec Dieu par la souf france et le rep entir.
Milton m odifie le personnage de
d'esprit, et de tem
La Bible qui est naïf, presque simple
pérament surtou t em porté, pour lui attribuer de la
puissance, de la dignité et m
ême, co mme dira le chœur, «
un héroïque
génie ». Le poète exagère aussi la dése spérance tragique, le dégoût de vivre
qui caractérise Sam son. Milton fait de l’histoire de Sa
mson une légende
archétypique : une femme maléfique arrache par perfidie le secret sa force à
un homme et le voue à l'humiliation publique puis par extension à la mort.
SAMSON AGONISTES, MILTON, 1671
l'Allégro, Il penseroso et Samson Agonistes,
Milton, coll. Bilingue, Montaigne, Paris, p. 128-129.
O impotence of mind, in body strong !
But wh at is streng th without a do uble
share
Of wisdom, vast, unwieldy, burdensom,
Proudly secure, yet liable to fall
By weakest suttleties, not made to rule,
But to subserve where
wisdom bears
command.
God, when he gave me strength, to shew
withal
How sligh t the g ift was, hun g it in my
Hair.
60 But peace, I must not quarrel with the
will
Of highest dispensation, which herein
Happ'ly had ends above
my reach to
know :
Suffices that to me strength is my bane,
And pr oves th e so urse o f all
my
miseries ;
So many, and so huge, that each apart
Would ask a life to wail, but chief of all,
O loss of sight, of thee I most complain !
Blind am ong ennemies, O wo rse t hen
chains,
Dungeon, or beggery, or decrepit age !
Light t he prime wor k o f Go d t o m e i s
extinct,
And all her various objects of delight
Annull'd, whi ch m ight i n part my gri ef
have eas'd,
Inferiour to the vilest now become
Of m an o r worm ; th e v ilest h ere ex cel
me,
They cree p, yet see, I dark in light
expos'd
To daily fraud, contem pt, abuse and
wrong,
Within doors, or without, still as a fool,
In power of others, never in my own ;
Scarce hal f I seem to live, dead m ore
then half.
146
il fau drait un e v ie d e larm es. Mais c'es t
toi avant tout,
ô pe rte de m a vue , que je dépl ore l e
plus !
Etre av eugle au m ilieu d 'ennemis, ô
chose plus affreuse
que l es fers, l e cachot , l a pauvreté ou l a
décrépitude !
La lumière, l'œuvre première de Dieu, est
éteinte pour moi ;
tous les obj ets, tou tes les joies qu'elle
illumine
sont ab olis, qui e ussent p u en pa rtie
alléger ma douleur.
Je suis tombé plus bas que le plus vil des
hommes
ou q ue l e v er de t erre ; oui l e pl us vil
l'emporte ici sur moi :
il rampe, mais il v oit. Pour moi, entouré
d'ombre au sei n de la lum ière, je suis en
butte
chaque jour à la trom perie, a u m épris, à
l'insulte, à l'injustice,
en ma demeure ou au dehors ; ainsi qu'un
homme privé de sa raison, toujours
je suis à la m erci d'autrui, et ne suis plus
mon maître ;
à peine suis -je encore à de mi vivant,
semble-t-il, et pl us q u'à dem i-mort.
traduction :
Faiblesse de l 'esprit da ns un cor ps pl ein
de force !
Mais qu' est-ce que l a fo rce sans u ne
double part
de sa gesse ? Sa g randeur même et son
poids vous accablent ;
si sû re d 'elle en son orgueil, elle est
prompte pourtant
à succomber aux ruses les pl us grosses ;
elle n'est point faite pour commander,
mais pou r ser vir so us l e g ouvernement
de la sagesse.
Lorsque Dieu m'accorda la force, pour
bien montrer
combien frag ile était ce d on, il la p laça
dans mes cheveux.
Mais, silen ce ! Oserais-j e m'insurger
contre la volonté
du suprême Dispensateur qui en ceci
poursuivait qu elque fi n, peut-être, qui
échappe à mon esprit ?
qu'il m e suffi se q ue m a for ce est m on
malheur,
et qu' elle est devenue l a so urce de m es
maux,
si nombreux, et si vastes aussi, que p our
les pleurer un à un
B- Machination divine.
Mais on p eut également lire l’
histoire de Sa mson comme la
complexe m achination d’un Dieu aux voi es im pénétrables, qui se serait
servi de la faiblesse de Sa mson enve rs les femmes pour lui faire prendre
conscience de sa mission et préférer la gloire de Dieu à sa propre survie.
On peut trouver les logiques des vengeances de Sa mson quelque peu
contraires à l’idée de la Justic
e di vine. L’énigm e que Sa mson pose aux
jeunes Philistins est tota lement indéchiffrable à qui n’est pas Sam
puisque lui seul sait qu’il a tué un lion et qu’il a
son,
plus tard trouvé du m iel
dans la carcasse de l’anim al : elle ne fait appel à aucun e sprit de déduction.
La conséquence ne se fait pas atte
ndre : pour trouve r la réponse, les
Philistins "trichent". Et Sa mson, pour se venger de leur tricherie, tu e trente
hommes pour donner leurs vêtem ents aux tricheurs … Lorsque Samson
retourne peu après chercher sa femme, le père de cette dernière, pensant —
logiquement — que Sam son ne l’aim ait plus, l’a donnée à un autre. Alors
147
Samson, pour se venger, brûle les cham
ps de blé … des Philistins. En
conséquence, les Philistins brûlent vifs le père et sa f ille. Alors Samson leur
dit : « Puisque vous vous conduisez de
la sorte, je ne me tiendrai pas
tranquille tant que je ne me serai pas vengé de vous ». Cette réaction peut
paraître effarante puisque ce sont sa conduite et la démesure de ses réactions
qui ont tout causé.
Or c’est Dieu qui dirige le bras de Samson, comme le dit le texte en
XIV, 4 : « … le Seign eur lu i-même avait in spiré c e dés ir à leur f ils p our
avoir un e o ccasion de s’en prendre a ux Philis tins ». Ce Dieu para ît bien
injuste, poussant Sam son vers son des tin pour m ieux défaire les Philistins,
lui inspirant des vengeances illogiques et excessives, punissant d’ailleurs les
Philistins pour un crime qu’ils n’ont pas commis puisque c’est lui-même, le
Dieu des Israélites, qui avait livré so n peuple au joug des Philistins pour lui
faire payer le non-respect de ses lois.
C- Renversement de situation.
Le Samson de Bernstein, pièce de théâ
tre écrite en 1907, file la
métaphore en la personne de Jacques, un industriel nouvellement enrichi qui
accède à la haute société en contractant un m ariage avec Anne-Marie, fille
d’une grande famille noble mais désargentée. S a belle-famille et sa f ille le
méprisent mais l’acceptent en raison de sa richesse. Tout s’écroule quand il
fait f aillite, m ais Anne-Mar ie lui dit qu’ elle l’aim e enf in . Il ref use cet
amour et dans la tou te fin se com pare à Sam son et com pare sa fem me à
Dalila. Les humiliations et les rem arques perfides que sa belle-f amille lui a
fait subir sont analogues au supplice
infligé à Sa mson par les Philistins.
Cette analogie avec le héros biblique nous fait pressentir un retournem ent
soudain de situation de la part du protagoniste.
C’est cette derniè re interprétation qu’il f audrait retenir entr e toutes :
la possibilité que chacun a de se racheter, qu’il soit fort ou faible, d’avoir
une seconde chance, d’apprendre par ses erreurs et de revenir encore plus
fort.
148
H. BERNSTEIN, Samson, Acte IV, scène 5, 1907 (édition
du Rocher, 1997, p. 169).
Anne-Marie — C'est tout ?
Jacques — Oh ! non ! … Fichtre non ! … Mais ne me soyez pas injuste !
ce n'est déjà pas mal… L'amour humilié de ce gosse des rues … La survie
d'un songe …Ce mirage … Et l'homme ensuite qui amasse des millions et
des millions, et qui grimpe sur ce tas d'or pour dénicher tout en haut de la
tour féodale la petite bonne femme de son rêve ! … Allons ! Allons ! c'est
assez bien … et vous n'en disconvenez pas. Nous avons mieux ! Depuis
quelques heures, nous avons mieux. (Un silence. Jacques porte une main
à son front, fait effort, et continue.) Une histoire aujourd'hui me trotte par
la tête … Une b elle h istoire … Une b elle lég ende … la p lus b elle…
Samson …
Anne-Marie, souriant. — Samson et Dalila ?
Jacques — N' est-ce pas qu'elle est splendide ? … C e pauvre grand mâle
de Sam son, priso nnier des Philistins, qu i lu i on t crev é l es yeu x, qui l e
réduisent à t ourner l a m eule d' un moulin … Et l e géant déch u se pl ie,
s'accoutume à son ass ervissement … M ais les vai nqueurs i nventent u ne
dérision plus c ruelle … Il s c élèbrent l a ho nte de l eur ca ptif, et l 'homme
assiste à cette fête … Le gueux, il dut e n avaler de féroces ! … Je pense
que les conv ives insultaient à son malheur, à tous ses m alheurs … Alors,
d'affreux so uvenirs se rallu mèrent en lui. Une ra ge d' autrefois tor dit ce
cœur dégradé … Sam son c omprend qu'il est rede venu Sa mson … Il ne
laisse rien p araître, il est malin, il sait … Mais ses mains tatô nnantes,
caressent, m esurent les deux piliers qui supportent le temple … Et
soudain sur les buveurs, sur les noceurs, c'est un fracas !…
CONCLUSION
Samson, bien qu' il ne puisse pas êt re considéré comm e un sauveur
d'Israël, ses attaqu es contre les Philistins étant tr op individuelles et isolées,
est toutefois un modèle pour le peuple hébreu, qui a pu se reconnaître en lui
avec ses forces et ses faiblesses. Ma
is la confrontation dans une mêm
e
histoire d’élém ents relevant du conte populaire et de la théologie biblique
permet d’éclairer sous un jour nouv
eau la problém atique de l’élection :
Samson perd le don divin qui lui a été accordé, comme ces héros de légende
à qui un pouvoir conditionnel a été rem
is par une puissance supérieure ;
mais son él ection ne peut disparaître, et l’épisode final nous le m
restauré d ans sa force. Est-ce l’effe t de son repentir et
ontre
de sa prise de
conscience, comme voudrait le m ontrer un texte exaltant la m iséricorde
divine répondant à la foi, ou un épisode de plus dans le jeu d’un Dieu toutpuissant qui aurait manipulé Samson depuis le début ?
BIBLIOGRAPHIE
La Bible de Jérusalem, Desclée de Brouwer, 1964, p. 337-343.
149
DICTIONNAIRES
Dictionnaire des noms propres de la Bible, J. O delain et Séguineau, CerfDesclée, 1978, p. 331.
Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Maredsous, Brepols, 1987, p.
1164.
Dictionnaire de la Bible, A. M Gérard, coll. «Bouquins», Laffont, 1989, p.
1238-1241.
Dictionnaire Culturel de la Bible, Cerf-Nathan, 1990, p. 260.
Encyclopédie Encarta, Microsoft, 1999.
«MYTHES» ET SYMBOLES BIBLIQUES
Les allusions bibliques, Jean-Claude Bologne, coll. «Le souffle des m ots»,
Larousse, 1991, p. 219-221.
Les symboles dans la Bible, M. Girard, Cerf, 1991, p. 800.
Les grandes figures de la Bible, F. Com te, coll. «Les com pacts», Bord as,
Paris, 1992, p. 224-226.
CRITIQUES ET INTERPRETATIONS
Introduction critique à l'Ancien Testament, Tome 2. H. Cazelle, Desclée et
Compagnie, 1973.
LIVRES D'ART
Rubens, C. Scribner III, Cercle d'art, 1993, p. 162.
Albrecht Dürer, œuvres gravées, Paris-Musées, 1990, p. 145.
Rembrandt, L. Münz et B. Haack, Cercle d'art, 1994.
150
Samson terrasse un lion.
151
Samson enlève les portes de Gaza.
Mort de Samson.
152
Le Roi David (tapisserie d'Ecouen, 1510-1520).
LE ROI DAVID.
153
SOMMAIRE
Protocole de travail
Introduction
I- David, un roi presque parfait.
1) David, préfiguration du Messie
2) Un modèle de roi chrétien
II- David, un homme ambivalent
1) Similitudes de David avec Saül
2) Motivations affectives et politiques du comportement de
David
3) Un caractère complexe à l’origine de la réussite de David
4) La vie amoureuse de David : illustration de l’ambivalence.
Conclusion
Bibliographie
PROTOCOLE DE TRAVAIL
L’élaboration de ce dos sier sur David, r oi d’Is raël, n ’a pas ét é de t out repos ,
notamment à cause de problèmes d’ organisation. M a col lègue de binôme a arrêt é
l'université avant le commencement des recherches. Le travail en solitaire a présenté
quelques avantages (inutile de trouver des heures libres communes, pas de désaccord
sur la présentation, sur le contenu…) mais surtout des inconvénients (personne pour
discuter des i dées, p our ai der à l ire l es doc uments, po ur t aper à l ’ordinateur…), a
fortiori à l’approche de la date-limite.
J'ai commencé mes recherches à la Biblio thèque Universitaire de Bron mais je
n’y ai pas t rouvé beaucoup de re nseignements. E nsuite, enco re pleine d’espoir, je
me suis rendue à La Part -Dieu et là, la panique s’est emparée de m oi ! Après a voir
identifié la mu ltitude de livres disponibles sur le suj et, j e ne savais plus p ar où
commencer ni comm ent m’y pr endre. C ’est do nc s urtout à ce m oment-là que j ’ai
pris du retard puis qu’il a fa llu lire, com parer, t rier, et tout ceci sur place car la
plupart des documents ne pouvaient être empruntés.
Au bout de deux semaines, après avoir passé de très longues heures assise à une
table d e la b ibliothèque, les idées et le p lan étaient prêts. En quelques jours, j’ai
rédigé le dossier, un peu frustrée de ne pas pouvoir accomplir quelque chose de plus
complet, faut e de t emps. Si l ’ordinateur n’a vait pas eu une pa nne, i l aurai t ét é
possible de t erminer au b on m oment et d’évi ter u n su rplus de st ress ! C ’est d onc
avec une semaine de retard que j’ai pu rendre ce travail, lequel a été effectué avec un
grand intérêt.
154
INTRODUCTION
David, figure royale de l’Ancien Te stament, l’ « aimé de Dieu », a
connu une grande renommée dans divers dom aines culturels tels que
la musique, la littérature, le théâtre.
Alors qu’il n’est encore qu’un jeun e berger, D avid est choisi par
Yahvé pour devenir le successeu r du roi Saül. Fort d e la protection
divine, il entre à la cour de Saül, selon les versions grâce à ses talents
de m usicien ou grâce à son combat
v ictorieux contre Goliath le
Philistin, et s’y lie d’amitié avec le prince Jonathan. Son ascension est
alors fulgurante. Malgré l’hostilité de Saül, jaloux des succès de ce
nouvel élu de Dieu qui rem porte victoire sur victoire à la tête de ses
armées, Da vid parviendra sur le trône d’Israël à la m
ort de Saül.
Faisant preuve de ruse et de vaillan ce, David devient le roi « parfait »,
invincible, juste, bon. La grandeur de son règne est cependant ternie
par une faute personnelle, l’adultère avec Bethsa bée et le m eurtre de
son m ari Urie, et p ar de s épisodes m ilitaires dif ficiles à la f in de sa
vie.
La tradition m onothéiste donne de David l’im age d’un roi idéal,
mais le t exte biblique suggère des nuances dans la façon
d’appréhender le personnage. Oi nt du Seigneur, David dem
eure
cependant u n homme à la p ersonnalité ch angeante, su sceptible de
pécher même s’il témoigne toujours d’un repentir sincère. Ne pourraiton pas le qualifier d’ambivalent ?
Nous verrons dans un prem ier temps comm ent David a pu être
sublimé dans les traditions religieuses juive et chrétienne, notamment
dans le contexte de la monarchie de droit divin, puis exam inerons des
interprétations plus m odernes qu i insis tent s ur la com plexité de
l’homme.
155
I- DAVID, UN ROI PRESQUE PARFAIT.
1) David, préfiguration du Messie.
David doit conserver pour la postérité l’im age du roi parfait. Il est
intéressant d’exam iner comm ent la tradition
kabbalistiq ue 2 s’es t
efforcée d’atténu er sa faute vis-à-vis d’Urie et de Bethsabée en
recourant à l’idée de pré destination des élus (cf. R. Gikatila, Le secret
du mariage de David et Bethsabée).
D’après une tradition rapportée dans le
Talmud, Bethsabée
appartenait à David bien avant qu’Urie ne l’épouse : « Bethsabée était
destinée à David depuis les six jours de la Genèse
», les â mes des
deux partenaires du couple ne faisai ent qu’un e à l’or igine. Gikatila
explique longuement les raisons pour lesquelles les deux am ants ne se
sont pas rencontrés dès le départ et pourquoi Ur ie ne m éritait pas sa
femme. Per sonnellement, je trouve cette théorie de l’androgynie des
âmes un pe u hypocrite — m ême si l’ idée selon laquelle chaque être
humain peut trouv
er sa «
moitié » parf aite est s
éduisante —
puisqu’elle permet d’accepter, d’excuser l’adultère et m ême de ne pas
le reconnaître comme une faute.
Dès lors en effet, la « faute » de David ne consiste pas à avoir pris
ce qui de toute f
açon lui r evenait, m ais à l’avo ir pr is trop tô t,
précipitant un dénouement inéluctable. David re produit ainsi la faute
du prem ier homm e qui, selon la Kabbale, n’aurait pas fauté en
consommant de l’arbre de la connaissance du bien et du m al, mais en
consommant trop tôt de son fruit, avant que le tem ps du « prépuce »
des arbres n’ait été écoulé (cf.
Lévitique XIX, 23). Bethsabée est
encore dans le dom aine du bien et
2
du m al, sous la coupe de la
Kabbale : interprétation juive ésotérique et symbolique du texte de la Bib le, dont le liv re
principal est le Zohar ou Livre de la splendeur.
156
« coquille » et du « prépuce » représentés par Urie, quand le roi
David, pressé par le « dur penchant » qu’il a hérité d’Adam, la reprend
prématurément.
Dans la conception théosophique
Malkhout, la royauté divine, celle que
3
, Bethsabée est la
Sephira
David devrait pleinem
ent
recevoir pour faire de son règne le règne messianique et établir ici-bas
le Royaum e des Cieux. Mais, depuis le péché d’Adam
, la Sefira
Malkhout, symbolisée par l’arbre de la connaissance, demeure dans la
prison du Serpent et elle attend l’he ure où elle sera totalem ent purgée
du domm age qu’Adam lui a inflig é en la rendant im pure. Bethsabée
allait ê tre p urifiée e t ré parée e t il n e lui re stait qu’un bref mom ent à
passer dans la geôle du Serpent-Urie . Mais David prit les devants et
s’unit à e lle avant qu ’elle n e soit totalem ent d étachée du dom aine
impur. A c ause de cela, il ne put réparer complètem
ent le péché
d’Adam et son règne ne fut pas ce lui du Messie. A cause de sa hâte
excessive pour s’unir à Bethsabée, il perdit la royauté pour un tem ps
et le premier fils qui naquit de leur union mourut.
3
théosophie : doctrine fondée sur la th éorie de la sag esse divine, selon laquelle celle-ci es t
omniprésente dans l’univers et dans l’homme.
157
David, Miniature grecque, VIe siècle.
2) Un modèle de roi chrétien.
1- Humble serviteur de Dieu.
David est au début du récit un sim
ple berger, m ais c’est
paradoxalement cette hum ble co ndition qui lui donne la puissan ce
divine. Du Bellay, dans son poème épique intitulé
Monomachie de
David et Goliath et sans doute adressé au
défunt roi Henri II,
développe le motif de l’ « humilité efficace ». La victoire de l’hum ble
berger hébreu sur le pu issant mais trop ar rogant guerrier philistin est
présentée c omme l’illu stration d e la m axime évangé lique « Qui
s’exalte sera abaissé, qui s’abai
sse sera exalté ». Rapportée aux
événements contem porains de la rédaction du poè me, elle préfigure
les succès que sa sage politique a va lu à Henri II face aux Anglais et à
l’orgueilleux Charles Quint, aprè s les rever s que la France avait
essuyés et qui avaient suscité, comme pour David et les Hébreux,
l’aide divine.
La monomachie de David et Goliath
Non autrement, par une longue
entorce (v. 189)
Ce caut berger guignant à teste
basse
Contregardoit son impareille force
Contre l'horreur de la pesante
masse.
Le grand guerrier à tour et à
travers
Menoit les bras d'une force
incroyable,
Et fendant l'air par un sifflant
revers
Alloit finir ce combat pitoyable ;
Quant du Seigneur la bonté
secourable
Trompa le coup de la cruelle
dextre,
Qui lourdement foudroyant sur le
sable,
Raza les pieds du berger plus
adextre.
Finablement courbé sur les
genous,
Panché à droit, d'un pié ferme il
se fonde :
Ainsi que Dieu, lors qu'il darde
sur nous
Le feu vengeur des offenses du
monde.
Ce fort Hèbrieu rouant ainsi sa
fonde
Deux fois, trois fois, assez loing
de sa teste,
Avec un bruit, qui en fendant l'air
gronde,
Fit descocher le traict de sa
tempeste.
Droit sur le front, où le coup fut
donné,
Se va planter la fureur de la
pierre.
Le grand Colosse à ce coup
estonné
D'un sault horrible alla bruncher
par terre.
Son harnois tonne, et le vainqueur
le serre :
Puis le cyant mesmes de son
espée,
Entortilla, pour le pris de sa
guerre,
Autour du bras la grand'teste
coupée.
Lors Israël, que la peur du danger
Suyvoit encor' en sa victoire
mesme,
Sort de son camp, et du vainqueur
Berger
Envoye au ciel la louange
supreme.
Le Philistin palle de peur extreme
Monstre le doz, d'une fuyte
vilaine :
Abandonnant le grand tronc froid,
et blesme,
Qui gist sans nom sur la deserte
plaine.
159
160
Dans le Saül d’André Gide, le jeune m usicien David insiste à
plusieurs reprises sur le fait qu’il
ne souhaite pas devenir roi. Il
explique à Jonathan qu e s’il décid e de devenir chef des Philis tins,
c’est pour empêcher une nouvelle attaque de leur part face à l’inertie
de Saül, et ensuite pour donner le pouvoir au fils du roi. Dans cette
pièce de th éâtre transp araît la piété du jeune souverain d’Israël,
puisque, de nom breuses fois, après le com bat contre Goliath par
exemple, il précis e qu’il a vaincu gr âce à l’aide de Dieu et qu’il ne
mérite pas qu’on l’appelle « seigneur » ou « prince » alors qu’il n’est
que simple berger. Il ajoute ég alement que « [son] courage n’est pas
plus grand que [sa] foi ».
2- Roi légitime, élu par Dieu.
Parce qu' il est élu par Dieu pour son peuple, David devient un
grand roi : c’est le choix divin qui légitim e son pouvoir. A ce titre,
David a toujours constitué un m odèle pour justifier la m onarchie de
droit divin et l’autorité que les rois tirent, par la volonté divine, de leur
seule naissance.
On raconte sa geste, à l’instar de celle des hu it autres p reux ; elle
est souvent traduite en tapisserie au Moyen-Age et à la Renaissance.
On peut en particulier citer la
tapisserie d’Ecouen, l’une des plus
belles du monde par ses dim
ensions, l’intérêt des scènes qu’elle
représente, la perfection du dessin et la splendeur des coloris, même si
elle a été longtem ps m éconnue. L’ar tiste y a ajouté quelques scènes
absentes du texte biblique : l’adieu d’Urie à son épouse, ou encore une
nouvelle représentation de Bethsab ée après la mort de son m ari où,
enceinte, elle supplie le roi de pr endre sous sa protection l’enfant
qu’elle porte (cf. F. Salet, David et Bethsabée).
3- Roi pieux et repentant.
Même pécheur, David reste un modèle car il se repent.
L’intérêt particulier que porte le Moyen-Age à l’histoire de David
et Bethsabée s’explique sans doute par la passion du sym bolisme et la
force de la tradition selo n laque lle, si David était la préfiguration du
Christ, Beth sabée était celle de l’ Eglise et Urie celle du peuple juif.
161
Mais le récit du Livre de Samuel est surtout riche en enseignements : il
affirme la nécessité de la pénitenc e après la faute. David a g ravement
péché contre son Dieu, il s’est enfo ncé dans l’ignom inie ; sa conduite
scandaleuse a « fait mépriser Yahvé par ses ennem is ». Mais il a payé
par la m ort de l’enfant le prix du rachat, il l’a accepté aus sitôt et un
repentir s incère l’a réconcilié av ec Dieu, au point qu’il a eu de
nouveau le pouvoir de conduire le destin victorieux d’Israël ; c’est de
Bethsabée que David a engendré Salom on, par qui vont s’accom plir
les desseins victorieux de l’Eternel. La pénitence après la faute permet
le rachat.
On comprend donc, comme l’exprime F. Salet, qu’une civilisation
pétrie des vérités chrétiennes ait vu dans cette histoire illustrant en fait
la m iséricorde divine, tout spécialem ent à l 'égard du roi, autre chose
qu’un fait divers scabreux et que les grands de ce monde aient accepté
de se voir rappeler, par le truchem ent de la tapisserie, une doctrine si
consolante.
David et Bethsabée, Tapisserie d'Ecouen, 1510-1520.
162
David, en tant qu’élu, n’agit pas
selon sa propre volonté m ais
selon celle de Dieu. T out ce qu i lui a rrive s’ inscrit dans un plan
préétabli. L orsqu’Etân, le rédacteur m is en scène par Stefan Heym
dans son rom an La Chronique du Roi David, essaie de tran cher entre
réalité et tradition pour rendre compte de l’histoire de David, Salomon
et son entourage insistent pour qu’il conserve le cas échéant plusieurs
versions des événem ents : David est introduit auprès de Saül en tant
que musicien et en tant que guerrier vi ctorieux, le dédoublem ent des
épisodes souligne la volonté divine que Saül et David se rencontrent.
David préfigure par ailleurs le Me ssie et donc le Christ dans la
tradition ch rétienne, c e qui exp lique la p lace centrale qu ’il occupe
dans l’iconographie de cette dernière. Selon J. Cazeaux dans
L’Impossible David, David est trop haut pour la politiqu e et trop pur
pour l’Histoire. Il joue le rôle d’un écho, étant comme l’ombre portée
de l’idée ambiguë de la Royauté de Yahvé. Le roi est sublim
é, on
l’exalte en gommant ses fautes.
David et Bethsabée, Madrid, Palacio Real.
II- DAVID, UN HOMME AMBIVALENT.
Les inte rprétations m odernes en m arge des trad itions religieuses
ne cherchent pas à id éaliser David, mais à comprendre la complexité
du personnage.
163
1) Similitudes de David avec Saül.
L’élection de David ne le m et pas pour autant à l’abri des tentations de
violence, et s’il se définit au début du récit biblique comme le roi-berger à
venir, antithèse du roi-guerrier qu’e
st Saü l, il conn aîtra m algré des
circonstances plus favor ables la m ême tenta tion du glaive que son
prédécesseur. Stefan Heym brosse le por trait d’un « tyran » qui n’hésite pas
à m archer sur des cadavres pour arriver au pouvoir et à commettre des
crimes pour le conserver. C’est l’exercice du pouvoir qui conduit David à se
transformer, ce qui fait dire à Cazeau x que le système royal en lui-même est
vengeance, ruine et m ort de ce qu ’il devait conserver à la vie ; m ais la
nature de D avid n’a pas su em pêcher cette corruption occasionnée par le
système.
Dans Chronique du Roi David de Stefan Heym et Mémoires du Roi
David de C. Coccioli, on peut voir un Da vid qui fait preuve de violence
également en privé. Mical, interview ée par le chroniqueur Etân dans le
roman de Heym , té moigne par exemple en ce s term es : « Cette nu it-là, il
vint à m oi avec le fouet, je m ’étendis devant lui, il m e corrigea et je m e
laissai f aire. » Cette violence f ait écho à celle du Saül de Gide, qui, se
rendant compte que sa f emme, mère de Jonathan, le faisait surveiller, la tue
à coups de javelot.
Coccioli rapproche explicitement les deux rois. Le jeune David se plaint
du com portement changeant de Saül qui tantôt l’appelle « mon fils » et
tantôt le po urchasse av ec un acharnem ent qui n’a plus rien de logique ni
d’humain. Mais il pourra observer chez lui le m ême type d’am bivalence.
Abigaïl arrive à introduire la peur et le doute chez David à propos de son
onction, en lui rappelant que Saül aussi était l’oint de l’Eternel.
2) Motivations affectives et politiques du comportement de
David.
Comme le montre J.-P. Bonnes dans son ouvrage
David et les
psaumes (Seuil, coll. « Maîtres spirituels », 1957), David présente une
ambivalence visible tout au long de son histoire. Dans de nombreuses
circonstances, il est diffici le de dire si David se com porte en grand
stratège politique ou en artiste sensible et d élicat, qui possède un sens
164
prodigieux de la sty lisation dramatique. Souvent ces deux facettes d e
sa personnalité interfèrent.
Par exemple, lors de la mort de Saül et de Jonathan qu’il n’a certes
pas causée lui-m ême, il sait imm édiatement orchestrer sa douleur,
faisant preuve d’une éto nnante présence d’esprit : il apparaît vraiment
peiné, déchire ses vêtem ents, et pour ne pas sem
bler heureux à
l’annonce d’un décès qui lui ouvre les portes de la royau té — comme
l’écrit J. -P. Bonnes, « la mort de Saül et Jonathan a été la plus grande
chance politique de David » —, il exécute sur-le-cham p le m essager
qui s’attendait à être réco mpensé. Ensuite, d ans le Chant de l’Arc, il
passe du lyrique à l’épique. Sa douleu r a-t-elle été pur e comédie ? La
sincérité a-t-elle coïnci dé avec une habileté politique exceptionnelle ?
Le m eurtre du m essager est-il l’ex pression d’une douleur folle, ou
bien un moyen de réserver l’avenir en face de la dynastie saü lide ? On
retrouve ce m élange a mbigu de m otivations af fectives et p olitiques
lors de l’exécution des Saülides, que David livre m ais à qui il fai t
donner une sépulture royale.
Dans les Mémoires du roi David de C. Coccioli, la
m ême
problématique est soule vée : Abigaïl ose dire nettem ent au roi qu’il y
a en lui deux David qui ne sont pas nécessairem ent des ennem is : le
David « impulsion », « coup de foudre » et le David « raisonnement »,
« calcul ». David lui-m ême se rend com pte que la raison angélique et
l’instinct an imal se disputent s on cœur. Ainsi, il ne sem
ble pas
nécessaire de trancher entre le calcul politique et la sincérité du cœur :
le protagoniste est double et le sait.
3) Un caractère complexe à l’origine de la réussite de David.
On peut tenter une analyse psychologique du personnage en
s’appuyant sur la caractérologie d’esprit Heymansien (ou Le Sennien),
méthode qui cherche à évaluer da
ns un caractère le rapport de
l’émotivité, de l’activité et de la prom ptitude des réactions, souvent
corrigé par le degré de largeur du champ de conscience. Chez David,
on retrouve un peu d’émotivité, mais surtout l’activité, la « primarité »
(des réactions rapides) et le sens des ensembles, la souplesse politique
et la patience qui suppo sent un large cham p de conscience, illustrés
par exem ple par le double-jeu qu’i l mène avec les Philistins. La
spontanéité agissante l’em porte la rgement sur l’ém otivité. Dès qu’il
agit, David est étrangem ent m aître de ses nerfs et de sa sensibilité.
165
Que l’on songe par exemple à sa ré action à la mort d’Absa lom, dans
laquelle l’émotivité ne l’emporte qu’un moment. Son caractère justifie
ses qualités de grand dip lomate, d’homme politique raffiné, d’homme
ayant un sens esth étique de la vie (ces trois points pr oviennent de la
patience), d ’homme d' action (asp ect résultant d e son tem pérament),
mais perm et égalem ent de com prendre ses réactions de colère et ses
tentations charnelles.
En dépit de la difficulté surhum aine de sa tâche, David l' accomplit
avec aisance et élégan ce et s ait tirer par ti de se s f aiblesses. En ef fet,
comme l’écrit J. -P. Bonnes, «
sauver le peuple de Moïse en
abolissant, après Saül, le régim e de Grandes Judicatores que M oïse
avait institué, c’était op érer une redoutable ré volution, c’était assumer
une écrasante responsabilité ». La ré alisation de cette tâche est donc
l’œuvre d’un novateur audacieux qu i suppose un héroïque effacem ent
de l’intérêt personnel devant les fins divines. David identifie le bien
avec la volonté de Dieu. Le poli tique se confond donc ici avec le
Saint. Pa r un sim ple renvers ement du signe de ses puissances
intérieures, le sanguin le plus géni al politiquem ent est aussi le plus
apte à devenir un « mystique ».
Le protagoniste se caractérise ég alement selon Pascal par un vide
intérieur où s’engouffre Dieu. Comm e nous l’avons déjà énoncé plus
haut, David est un homm e pieux : il n’a pas honte de danser devant
l’arche, il fait le vœu de construction du temple (on le considère même
comme le père de l’art sacré judéo-chrétien).
166
David musicien, Ecole française, XIIe siècle.
4) La vie amoureuse de David : illustration de l'ambivalence de
son caractère.
e
La sexualité de David, analysée par les auteurs du XX
siècle,
reflète égalem ent l’am bivalence du personnage. Si le texte biblique
reste elliptique et am bigu, les inte rprétations m odernes adm ettent
souvent la bisexualité de David, co mme nous pouvons le voir dans les
deux œuvres présentées ci-dessous , ou encore dans le nom
d’une
association d’homosexuels chrétiens, « David et Jonathan ».
André GIDE, dans Saül (1898) imagine un drame de la pédérastie
à partir du prem ier livre de Sam uel : un jeune et beau berger, Daoud
(David) aim e Jonathan, fils du roi Saül, qui, lui-m ême séduit par la
grâce de David, cède à ses propres démons.
Dans cette pièce, Jonathan a pparaît comm e un jeune ho mme
excessivement fragile et faible
, qui s’évanouit
à la m oindre
contrariété. Il sourit pour la première fois lorsqu’il fait la connaissance
de David. Dès cette rencontre ini tiale, tous les deux s’entendent à
merveille. Plusieurs répliques illustrent leur amitié ambiguë : « J’aime
167
Jonathan plus que m oi-même », « Je ne sais si c’est ou de joie, ou de
froid, ou d’angoisse de fièvre, ou d’ amour, voici que m aintenant je
frissonne dans m a seule tunique
de lin ». Ils apparaissent très
complices, un peu comm e deux enfants qui s’amusent innocemm ent,
ce qui crée une équivoque pour le lecteur.
Saül tombe aussi am oureux de David, m ais rien ne se passe entre
eux. Le vieux roi cache ses sentim ents. Tout au long de l’œuvre, on le
sent pris d’une sensation de malaise. Il aime le jeune musicien, mais il
sait qu’il montera sur son trône : « Je voudrais tant savoir que ce n’est
pas David que je dois craindre ! Je ne peux pas…je ne peux pas le
détester ! Je veux lui plaire ». On remarque également que Saül essaie
de se rajeunir — il se fait couper la barbe — pour séduire.
Dans le rom an de Heym, Mical dépeint le jeu ne roi comm e une
personne pourvue d’un charm e na turel, qui gagnait les cœurs en
quelques mots, un regard, un geste de la m ain, comme quelqu’un qui
semblait sincère et chaleureux. Elle affir me la bisexualité de David.
Selon elle, David a d’a bord conquis le cœur de Saül : « Dès la nuit
même où sa m usique avait chassé l’es prit mauvais il partagea le lit de
mon père le roi Saül…Abner ben Ner, qui commandait l’arm
ée du
temps de mon père, alla jusqu'à prétendre que c’était moins la musique
de David que son cul qui avait apporté soulagem ent au roi ». Puis il a
entretenu u ne liaison avec Jonatha n. En ce qui la concerne, Mical
affirme : « De nous tous, je fus celle qui lui résista le plus
longtemps ».
168
David roi, graduel grégorien, Monza.
CONCLUSION
Précurseur de Jésus, m ême s’il a « manqué » sa m essianité,
protégé de Dieu, David apparaît avan t tout, avec son am biguïté et ses
contrastes, comme un être humain
pris dans les circonstances
concrètes de l’exercice du pouvoir r oyal. La com plexité m ême du
personnage explique l’engouement qu’il a suscité au cours des siècles
chez les artistes les p lus divers (les pe intres, les rom anciers, les
historiens, les poètes, les m usiciens, les sculpteurs. . .), intéressés par
l’ambiguïté sexuelle, l’adultère , les effets du pouvoir sur l’âm
e
humaine, mais auss i pa r la m iséricorde divine, la piété de David ou
encore ses talents artistiques ou ses qualités politiques.
169
David et Bethsabée, Heures de Notre-Dame, XVe siècle.
BIBLIOGRAPHIE
J. P. Bonnes , David et les psaumes, 1957 (source de la plupart des
documents iconographiques).
J. Cazeaux, L’impossible David : critique de la royauté dans
« Samuel » et « Rois », 1988.
C. Coccioli, Mémoires du Roi David, 1976.
J. Gikatila, Le secret du mariage de David et Bethsabée, 1994.
F. Salet, David et Bethsabée, 1980.
170
Affiche de Jean Morax pour la première représentation du Roi David à Mézières,
collection Pascale Honegger.
171
172
QUELQUES INDICATIONS SUR JONAS.
SOURCES :
La Bible, traduction œcuménique, édition intégrale.
Le Coran, traduction Kasimirski, Flammarion, 1970.
Encyclopédie des Symboles, La Pochotèque.
Dictionnaire Encyclopédique de la Bible.
André Chouraqui, Univers de la Bible, tome V.
André Paul, La Bible, histoire, textes et interprétation, Nathan.
I- LE LIVRE DE JONAS.
Dans les écrits bibliques figure un recueil de «
douze petits
prophètes », considéré comm e un livre uni que. Ce sont des textes souvent
brefs, isolés à l'origine, qui s’échelonnent entre le VIIIe siècle et le IIIe siècle
avant J. -C. Dans la Bible hébra ïque, ils son t d ans l’o rdre suivant : Osée,
Joël, Am os, Abdias, Jonas, Mich ée, Nahum , Habaquq, Sophonie, Aggée,
Zacharie, Malachie.
Date et formation.
La rédaction du Livre de Jonas est habituellement située ap rès l'exil
de Babylone, vers 400 pour beauc
oup de commentateurs, ou plus tard
encore, entre 400 et 200 (A. W eiser), vers 300 (H. W . Wolff). La limite est
fixée par le Siracide
: vers 180, ce t auteur connaît «
douze prophètes »
(Livre de Ben Sirach, 49, 10), ce qui suppose l’existence du livre de Jonas.
L'unité du livre est généralem ent admise, seul le psaum e du chapitre II, qui
correspond assez m al à la situation de
Jonas, passe pour être une pièce
rapportée plus tardive, insérée par l’auteur lui-même ou par un rédacteur.
173
Genre littéraire et sources.
Depuis l'Antiquité, les auteurs juifs et chrétiens se sont prononcés en
faveur du caractère historique du r
écit, accroché à un personnage ayant
historiquement existé ( 2Rois XIV, 25), pour m
ontrer qu' il s 'agit de
l'expérience réelle des prophètes. Mais les modern es voient dans Jonas un
conte religieux développé comme une histoire merveilleuse, pleine d'images
en vue d'une meilleure assimilation pédagogique, un peu à la m anière d'une
parabole. L e langage et le style sont m anifestement postérieurs à l' époque
classique de la langue hébraique ; de plus, la m anière de réfléchir sur le
ministère prophétique suppose du recul pa r rapport à l' exercice de celui-ci,
tel que l'a vécu notamment Jérém ie. L'humour un peu grinça nt du récit fait
penser qu' il pourrait s' agir d' une so rte de pamphlet adressé au courant
judaïque, trop replié sur lui-m
ême à l'époque d' Esdras. Il était facile
d'attribuer au nom de Jonas des aventu res f ictives destiné es à illustrer une
théologie. Le livre veut donc proposer une doctrine, celle de l'universalité du
salut. Quant aux source s de cette f iction pieus e, elles son t m ultiples. On
reconnaît "à la base de Jonas un élém ent folklo rique présent dans divers
peuples : l'histoire de l' homme avalé par un m onstre et ram ené à l' air libre
"(M. Delcor). Il est aussi facile de reconnaître dans ce livre la reprise d' un
thème biblique, celui du prophète désobé issant et récalcitrant à l' égard de
Yahvé, illustré par Balaam (Nombres XXII-XXIV) et surtout par Elie, dont
l'histoire est parfois parallèle à celle de Jonas et qui tient les m êmes propos
que lui (1Rois XIX, 4 et Jonas IV, 3), et enfin par Moïse ( Exode IV, 10-14)
et par Jérémie (Jérémie I, 6) ; mais ce livre est aussi la reprise de plusieurs
développements, conten us dans les livres de Jérém ie et d’Ezéchiel. Selon
Feuillet, « c'est une dépendance litté raire et théologique qui rattache Jonas
IV, 3 à Jérémie III, 8 » (cf. Jr XVIII, 7-12, Jr XXV ; Jon I, 3-10 « fuir loin
de la face de Yahvé » inverse la form ule de Jr XV, 1-19 ; XVIII, 20 « se
tenir devant la face. . . »).
Composition.
Le livre de Jonas est inséré dans les livres prophétiques, mais il ne se
présente pas à première vue comme eux. Au lieu d'être une série d'oracles, il
174
est bâti comme un ré
cit suivi, com posé de trois scènes où le prophète
semble tenir une place de second plan. Les deux prem
ières le présente
taciturne et solitaire, après qu' une parole de Dieu lui a été ad ressée. Pendant
ce temps au contraire, s es interlocuteurs, marins d'abord, Ninivites ensuite,
s'affairent et se m ontrent les plus religieux des homm es, invitant ainsi le
lecteur du livre à se rec onnaître en eux et à les im iter. Dans la troisième
scène, Jonas est seul face à Dieu, c'est là qu' est le somm et du livre : « La
prière la plus importante du prophète et la révélation la plus grande de Dieu
sur son ministère ».
II- LE PROPHETE JONAS.
Naissance et jeunesse de Jonas.
Le nom de Jonas vient de l’hébreu Yonah, "colom be". Jonas,
« fils d'Amittai » (Jon I, 1) vécut au tem ps de Jéroboam II (783-743).
Il prédit l' expansion du royaum e du Nord "Assyrie" ( 2Rois 14, 25), il
était originaire de Gat-H épher en Zabulon ( Jos XIX, 13) actuellem ent
El-Mesed à 4km au nord-est de Nazareth. Le Iona-ben Amittai de la
Bible est a ppelé Jonas f ils de Matta i ( Yùnùs ibn mattai) par les
commentateurs du Coran et les Histoires des prophètes. Au sujet du
nom de Mattai, le s avis sont partagé s : s'agit-il de la m ère du héros ?
Si l’on estim e qu' il s' agit de sa mère, on ajoute que deux seulem
ent
parmi les prophètes sont désignés du no m de leur m ère : Jonas fils de
Mattai et Jésus fils de Marie ; on ajoute aussi une anecdote détaillée,
d'un style populaire caractéristique, rela tant sa naissance miraculeuse,
son esprit de justice dans sa jeunesse, ainsi que son élection.
La mission imposée à Jonas.
Dans la Bib le, Ninive est m enacée de destruction à caus e des
péchés de ses habitants et de leur roi ( Jon I, 1-3). La m ission de Jonas
est une réponse à la cruauté du ro
i de Ninive qui persécute les
Hébreux. Il est difficile de connaître quelle est l’origine de cette
version m ais on y retrouve sans aucun doute la trace des récits
175
bibliques concernant Nabuchodonosor (
2Rois XXIV-XXV). Jonas
commence par refuser cette m ission ( Jon I, 3-4). Mais pour quelle
raison Jonas a-t-il refusé de prêcher
texte biblique, la cause n’est pas
les Ninivites ? Certes, dans le
mentionnée, m ais dans la version
d’Al-Kissai (savant m usulman), ce ref us est justif ié par le p oids des
obligations familiales qui pèsent sur le héros : « (Dieu) lui dit : va là
où je te l’ordonne et ne m
e sois pas rebelle. Jonas partit avec sa
femme et ses enfants et se rendit sur
la rive du Tigre. Il prit son fils
aîné, lui f it trave rser le f leuve et le laiss a su r l’autre berge. Il revin t
ensuite prendre son plus jeune fi
ls, et noya tous ses biens (qui
tombèrent dans l’eau). Puis un loup vint s’em parer de son fils aîné. Il
se mit à courir après le loup, qui se tourna vers lui et lui dit dans une
langue parfaite : « O Jonas, laisse-m oi car j’ai reçu l’ordre d’agir
ainsi ». Jonas revint attristé sur la berge du Tigre, et n’y trouva plus sa
femme. Dieu se révéla alors à lu i en disant : « Tu t’es plaint du poids
de ta fam ille, c’es t pourquoi je te libère d ’elle. Va donc mainten ant
comme je te l’ai ordonné, et je te
rend rai ens uite ta f amille et te s
biens ». Dans le texte biblique, J onas s’embarque après l’ordre divin
qu’il n’a pas exécuté. C ependant, en a llant à T arsis (Tarshish est une
colonie phénicienne en Espagne ou
en Sardaigne. Elle apparaissait
comme le bout du m onde, ville lointa ine au-delà des m ers, difficile à
identifier), surpris par une violente tempête, les passagers soupçonnent
la présence à bord d’un homme coupable contre lequel s’est déchaînée
la colère de Dieu . Le sort accus e Jonas qui demande lui -m ême à être
jeté à la mer ; la tempête s’apaise (I, 1-16).
Un grand poisson avale Jonas
; dans le ventre du poisson,
Jonas récite un psaume ; après trois jours il es t rejeté sur le rivage (II,
1-10). C’est seulem ent après avoir
consent à se rendre à Ninive sur
été rejeté par le poisson qu’il
l’ordre de Dieu et y prononce sa
prophétie. L es habitants de la ville commencent par se m
prophète et se refusent à l’écouter
oquer du
, adoptant une attitude de rejet,
évoquée par d’autres peuples de l’ Antiquité qui ont été châtiés pour
avoir refusé d’entendre leurs prophètes. L
e châtim ent est de
commander à l’ange de l’enfer de jeter sur la ville une étincelle du feu
176
infernal. Mais Ninive est sauvée in extremis grâce à son roi : quand
celui-ci voit déferler le f eu qui envahit le ciel de la cité sous la forme
d’un lourd nuage, il se revêt de sacs
et de cendres et ordonne à son
peuple de faire comm e lui. Tous ensemble manifesten t à Dieu un
repentir complet, aussi il leur pardonne et épargne la ville (III, 3-10).
La miséricorde divine.
On sait que le livre de Jonas se term ine par l’épisode du ricin,
qui vient enseigner que tout se trouv e soumis à la m iséricorde divine.
Cet enseignem ent m oral trouve une
expression détaillée dans les
derniers ver sets du livr e. Pour illustrer ce tte idé e, Al-Kissai présente
une série d’anecdotes évoquant la
délivrance de Jonas du ventre du
poisson : « Jonas sortit du ventre du poisson comme un oisillon sans
plumes. Il n’avait pas la force de se tenir debout ou de s’asseoir et il
avait aussi perdu la lum ière de ses yeux. Dieu fit alors pousser audessus de lui l’arbre Kissouth (le
ricin), doté de quatre branches.
Gabriel v int à lui, pass a la m ain puis il lui r endit la lum ière de ses
yeux. Dieu envoya une biche pour l’al laiter, comme une mère allaite
son enfant. Une source coulait sous l’arbre, où Jonas se purifiait (pour
la prière selon le rite islam ique). Il buvait de son eau. Cette situation
dura 40 jours puis Jonas s’endorm it et s’éveilla et v it que l’arbre était
desséché et que la biche avait dis
paru. Il se m it à pleurer, Dieu se
révela alors à lui en disant : « O Jonas, tu pleures un ricin et une biche,
et tu n’as pas pleuré sur cent mille de mes serviteurs ? »
But/Théologie
Que déduire de cela ? que ce liv re a en vue de
qu'est l' expérience intérieure de
m ontrer ce
tout prophète. Il est un homm
e
convaincu (IV, 2) m ais il doit ha bituellement dans son m inistère
commencer par prononcer des paroles qui dénoncent le m al, ce qui, le
faisant aller à contre-courant de ses contemporains, est éprouvant pour
lui et l'isole.
Pourtant, même quand il ose parl er aux hommes (I, 1-16), il le
fait en n'étant qu'un prédicateur résigné (III, 1-10). La parole peut être
177
efficace m algré lui. Par sa s imple présence, puisqu' il ne peut s' en
débarrasser, cette p arole rem ue to ut le m onde, anim aux et nature
compris.
Le deuxièm e enseignem ent est donné par le contenu de la
parole que Dieu dem ande de proc lamer et par la qualité de ses
destinataires. Le Dieu q ui s' est révé lé pou r I sraël Dieu bie nveillant
(Exode VI-VII), c’est-à-dire bon et sauveur, d
éclare qu' il l' est aussi
pour les Ninivites, ces étrangers dont la ville et le nom bre sont décrits
avec des chiffres ronds à valeur s symbolique (trois jours : Jon III, 3 ;
120, 000 habitants : Jon IV, 11) pour signifier la portée universelle de
la révélation.
Certes, les Israélites des tem ps post-exiliques sont conscients
de ce que les nations n' ont pas toutes subi la destruction annoncée par
les oracles prophétiques lancés c
ontre elles : Tyr a résisté à
Nabuchodonosor (Ez XXVI, 28
; XXIX, 18-20), Cyrus a épargné
Babylone (Jr L-LI ; Is XIII, 14-47 ; Ammon, Moab, Edom subsistent
encore, pour le plus grand dommage de la com munauté des rapatriés
et malgré Ez XXV, 1-14. Ces Israélites at tendent donc avec ferveur le
jour de Yahvé qui réalisera enfin le châtim ent annoncé (Ab, Ml I, 2-4,
Jl IV, 19).
Bien convaincu de bénéficier
de la m iséricorde divine, ils
n'envisagent en aucune m anière que les nations puissent en être
également bénéficiaires (le salut
universel). Les prophètes s' étaient
rebellés contre la m ission que Dieu le ur confiait et Israël n' avait p as
compris le r ôle de témoin universel que l' exil l'amenait à ass umer (Is
XLIII, 8-13 ). Jonas finalem ent doit se soum ettre, il assis te donc au
salut de Ninive, m anifestation de miséricorde de Yahvé envers tous
les homm es. Avec Jonas, le p rophétisme accueille un sen s de Dieu
original (IV , 4), venu
de la liturg ie e t sp écialement de celle de
l'alliance (Ex XXXIV, 6 ; Nb XIV, 18. . . etc), ainsi que des milieux de
sagesse, depuis toujours ouverts à l'universel.
178
III- JONAS DANS LES EVANGILES.
Jésus parle de Jonas et interpr ète ainsi lui-même le réc it : face
aux incrédules qui lui dem andent des miracles et des p rodiges, Jésus
répond par un refus et renvoie au « signe de Jonas ». Il veut dire que la
signification de ses m iracles est d' abord de réaliser la parole qui les
accompagne (Mt XVI, 4 ; Lc XI, 29-30) et qui invite à la conversion.
Après la résurrection, la portée du signe de Jonas a été encore
mieux comprise, comm e en témoigne le développem ent propre au
premier éva ngéliste ( Mt XII, 40 ). Il est po
ssible égalem ent que
l'expression de la foi la plus anci enne, « il est r essuscité le trois ième
jour selon les Ecritures » (1Co XV, 4), se réfère à ce signe.
Jésus indique enfin que Jonas est signe de la portée universelle
de son évangile ( Mt XII, 41-42). Les qualités hum oristiques de Jonas
n'ont cessé d' inspirer sculpteurs et peintres chrétiens au cours de
l'histoire. De nos jours, ce person
nage attire toujours autant de
sympathie, mais plus encore que pour son genre savoureux, c'est peutêtre pour son m essage : ce qu' il dit sur Dieu, son a mour universel et
bouleversant.
La résurrection de Jésus.
De même que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant
« trois jou rs et tro is nu its », c’est-à-dire dans le tom beau ou dans le
séjour des morts qu'
on situait sous la terre, Jésus ne ressuscita
qu’après « trois jours et trois nuits » (Matthieu XII, 40). Ce verset, que
certains es timent ajouté tardivem ent au texte d e Matth ieu, parlerait
clairement ou de m
anière voilé e du signe que constitue
ra la
résurrection de Jésus. Mais alors pourquoi est-ce le séjour sous la terre
et non la délivrance qui est mentionnée en ce verset ?
Le retour de Jésus comme juge
Cette opinion se fonde sur le futur de
Matthieu XII, 39, le
verset 40 est alors considéré com me verset ajouté postérieurem ent,
déformant l' intention p remière de Jésus. Cette in
contestable.
terprétation es t
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La mort de Jésus.
Ce qui caractérise très particuliè rement la destinée de Jonas et
plus tard celle de Jésus, c'est l'engloutissement dans la m ort, le verset
40 serait une annonce voilée de la passion. A la dem
ande de
merveilleux, d'extraordinaire contraignant, Jésus ne répond q ue par le
contre-signe de sa m
ort procha ine ; m ort qui se
ra interprété e
différemment par ceux qui ont accueilli sa prédication et croiront en sa
résurrection et par ceux qui ont re
fusé la conversion. Lors du
jugement, ces derniers seront condam nés par l es Ninivites convertis
par Jonas ( Matthieu XII, 41). Vu la différence de présentation entre
Matthieu e t Luc, il se rait in téressant de savo ir laquelle des deux
versions est la plus ancienne, la question reste à discuter.
180
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CONCLUSION
Au début de l’année, nous avons éprouvé quelques réticences à
l’idée de travailler sur la Bible : no us n’avions pas c hoisi ce thèm e — il
serait bon que les étudiants puissent
savoir avant de s’inscrire sur quel
thème chaque enseignant de « culture et expression » travaille —, les cours
d’introduction étaient plutôt rebutant s par la m asse de connaissances
nouvelles qu’ils apportaient, et nous ne voyions pas très bien pourquoi
étudier la Bible. Lorsque nous avons commencé à travailler par nous-mêmes
cependant, nous avons été beaucoup plus intéressés et avons pris plaisir à
réaliser ce recueil.
Ce travail nous a perm is de nous initier à la recherche docum entaire
autonome e n bibliothèque, ainsi qu’à l’ utilisation de l’outil inform atique.
Souvent effrayés au début de nos inve stigations par la m asse de docum ents
à considérer, nous nous sommes
m algré tout efforcé de réaliser des
synthèses et avons a mélioré notre m éthode, mêm e si bien sûr il reste
beaucoup à apprendre en ce dom aine. Les joies et les difficultés du travail
en binômes ainsi que le recours à l’e- mail nous ont perm is de réfléchir aux
façons de comm uniquer nos recherches et de les faire progresser par le
dialogue.
Au fil des cours, nous avons pu préciser l’idée que nous nous
faisions du texte biblique, très floue au départ pour la majorité d’entre nous ;
nous avons aussi découvert com bien le s références à la Bible étaient
multiples, c ombien aussi les m odalités d’in spiration de la Bible éta ient
variées, et pris conscience de la néce ssité de connaître mieux cet ouvrage de
référence, dans le cadre de nos études de lettres et tout simplem ent pour
développer notre culture générale. Nous avons particulièrement apprécié les
approches pa r le bi ais de l a li ttérature, de la peinture, du ciném a ou de la
psychanalyse — ces trois derniers do maines étant trop rarem ent abordés
dans le cadre universitaire des études
de lettres, m algré leur étr oite
connexion à la littérature — ; les analyses exégétiques du texte biblique luimême étaient souvent trop ardues et
éloignées de no s préoccupations
présentes. Au-delà de l’intérêt cult urel, nous avons pu constater que les
questions soulevées par les textes
bibliques ont bi
en souvent un
retentissement universel, et qu’elles nous concernent aujourd’hui encore :
l’origine du m al, le sen s de l’ « élection », l’ injustice et la m iséricorde…
Nous aurions souhaité avoir p lus d’occasions pour discuter de ces th èmes à
bâtons rompus.
Au terme de l’année, nous souha iterions pouvoir poursuivre l’étude
de la Bible, ou bien aborder celle du Coran et des autres grands textes sacrés
ou mythes religieux du monde, dans le cadre de nos études. Il nous paraît en
effet important qu’une initiation au fa it religieux soit donné e dans le cadre
de l’enseignem ent laïque, car elle
nous ouvrirait des perspectives
jusqu’alors tout à fait insoupçonnées sur notre environnement culturel.
Les chapitres que vous venez de
lire sont bien sûr largem ent
perfectibles, mais nous espérons qu’ils auront été une invitation à partir à la
découverte du texte biblique, par l’un ou l’autre des chemins suggérés.
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