COMMENT EXPLORER UNE DYSTONIE

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COMMENT EXPLORER UNE DYSTONIE
3e RENCONTRES DE NEUROLOGIES
COMMENT EXPLORER
UNE DYSTONIE
Chez l’enfant, l’adulte et la personne âgée
Trois éléments doivent être pris en compte pour l'évaluation d'une dystonie : l’âge de survenue, le
contexte clinique et les données de l’imagerie cérébrale par résonance magnétique.
Laurent Vercueil*
L’
exploration d’une dystonie est
un exercice difficile. Le phénomène appelé “dystonie”,
défini par la survenue de contractions
musculaires involontaires et prolongées à l’origine de mouvements répétitifs à type de torsion et/ou de prise de
postures, réunit une variété importante
de présentations cliniques, et renvoie
à de nombreuses étiologies.
Les examens complémentaires sont
parfois difficiles d’accès, coûteux ou
invasifs (requerrant par exemple une
anesthésie générale pour l’imagerie), et
une attitude systématique est certainement injustifiée compte tenu des
connaissances actuelles.
Deux revues récentes et très complètes
de la stratégie diagnostique devant une
dystonie ont été publiées (1, 2), dont une
concerne plus spécifiquement l’enfant
(2), et le lecteur souhaitant approfondir la question est invité à s’y reporter.
L’objet de cet article est de fournir trois
axes principaux permettant d’orienter
cette stratégie : l’âge de survenue de la
dystonie, le contexte clinique de la dystonie et les données de l’imagerie cérébrale par résonance magnétique. Le
détail des affections causales ne sera pas
abordé directement car leur simple
énumération demanderait plus d’espace.
CLASSIFICATION ÉTIOLOGIQUE
ACTUELLE : PRÉSENTATION
CRITIQUE
Depuis 1998, les étiologies des dystonies sont classées en quatre groupes :
• les dystonies primaires,
• les dystonies “plus”,
• les dystonies secondaires,
• les dystonies hérédodégénératives.
Les principes qui sous-tendent cette
classification sont complexes.
TABLEAU 1 - LA CLASSIFICATION ACTUELLE AU CRIBLE DE LA CLINIQUE.
Bilan étiologique
négatif et aucune
cause évidente n’est
apparente
La dystonie est isolée
cliniquement
La dystonie s’associe
à d’autres signes
neurologiques
* Département de Neurologie, CHU, Grenoble
Neurologies - Novembre 2002 - Vol. 5
• Les dystonies primaires font appel
à deux notions : la dystonie est isolée
cliniquement et le bilan complémentaire
ne montre pas de cause évidente. On sait
à présent que deux groupes principaux
de patients appartiennent à cette classe
étiologique : les dystonies focales du sujet
adulte (crampe de l’écrivain, dystonie
cervicale, blépharospasme…) et la dystonie DYT1 débutant avant 26 ans. Cette
dernière explique plus de 60 % des dystonies débutant au niveau d’un membre
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Bilan étiologique
positif ou anamnèse
faisant apparaître un
facteur causal
Dystonie primaire
Dystonie secondaire
Exemples :
dystonie DYT1 débutant
avant 26 ans, crampe de
l’écrivain,
blépharospasme,
torticolis…
Exemples : dystonie
induite par les
neuroleptiques (aiguë,
tardive), dystonie postanoxique, post-accident
vasculaire cérébral…
Dystonie "plus"
Dystonie
hérédodégénérative
Exemples avec syndrome
parkinsonien : dystonie
dopasensible (mutation
dominante de la GTP-CH,
récessive de la TH),
dystonie myoclonique
sensible à l’alcool (DYT1)
Exemples : syndrome de
Leigh, Lesch-Nyhan,
Gangliosidoses, Wilson,
Huntington, Atrophie
cortico-basale, NBIA1…
NB : Présence possible de
signes extra-neurologiques
• L’identification des dystonies “plus”
repose sur l’association d’un autre signe
clinique à la dystonie (d’où la notion de
“plus”) et, à nouveau, l’absence de cause
évidente. Dystonie primaire et dystonie
“plus” reposent donc ensemble sur la
notion physiopathologique d’une absence
de lésion structurelle (acquise fixée ou
évolutive), et sur l’idée de pathologies
“fonctionnelles”. Au sein des dystonies
“plus”, sont rangées les dystonies dopasensibles et les dystonies myocloniques
avec sensibilité à l’alcool. Ces entités sont
rarement rencontrées, mais elles représentent des causes accessibles à un
traitement curatif, ce qui incite à les rechercher systématiquement, au moins par
l’essai d’un traitement par la lévodopa
chez tout sujet jeune débutant une dystonie au niveau d’un membre.
• Les dystonies secondaires sont liées
à un facteur exogène clairement identifié : prise de médicaments (neuroleptiques…), lésion intracrânienne acquise
(post-anoxique, post-traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral…).
• Enfin, les dystonies hérédodégénératives renvoient à la notion d’un processus évolutif neurodégénératif et il est
rare que la dystonie y soit isolée.
Cette classification est parfaitement
contre-intuitive. Distinguer les dystonies
primaires et secondaires d’autres types
de dystonie (qui ne sont donc ni primaire,
ni secondaire !) revient à effectuer une
acrobatie sémantique audacieuse. Un
des défauts principaux est d’injecter
dans une classification qui se voudrait
clinique des notions physiopathologiques. A travers le tableau 1, cette classification est reprise dans une présentation qui privilégie l’axe clinique.
TABLEAU 2 - RÉPARTITION DES CLASSES ÉTIOLOGIQUES
EN FONCTION DE L’ÂGE DE SURVENUE
Début avant 3 ans
Début de 3 à 26 ans
Début après 26 ans
Dystonie
primaire
Rare
++
(recherche DYT1)
++
(dystonies focales)
Dystonie
"plus"
Rare
(mutation TH)
+
(recherche
systématique de la
dystonie
dopasensible)
?
Dystonie
secondaire
Rare
(l’expression est
souvent différée
à la catégorie
d’âge suivant)
+
(dystonie
post-anoxique,
ou aiguë aux
neuroleptiques)
++
(dystonie tardive
aux neuroleptiques,
dystonie
post-accident
vasculaire
cérébrale)
Dystonie
hérédodégénérative
++
(erreurs du
métabolisme,
mitochondriopathies…)
+
(NBIA1, Wilson…)
++
(pathologie
dégénérative
liée à l’âge)
Gageons que la classification étiologique actuelle sera amenée à évoluer
profondément.
PREMIER AXE :
L’ÂGE DE SURVENUE
La répartition des étiologies dépend en
priorité de l’âge de survenue, comme
le laisse entendre le titre de cette présentation. La difficulté reste de placer
correctement les césures aux âges
pivots, en particulier en raison de la rareté
des études épidémiologiques conduites
au sein de cette population.
Le tableau 2 propose trois grandes catégories d’âge, basées sur les connaissances issues en particulier des études
génétiques (3).
• Rapidement, on peut considérer
qu’une dystonie débutant avant l’âge de
3 ans, intéressant le nourrisson, est
rarement isolée, et incite à la recherche
d’une étiologie hérédodégénérative,
une fois la piste secondaire exclue par
l’interrogatoire des parents.
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• De 3 à 26 ans, une dystonie peut rester pure, connaît une tendance nette à
se généraliser, et peut trouver une explication génétique (dans un contexte
autosomique dominant), liée à la mutation du gène DYT1, ou à l’une parmi celles
(nombreuses et impossible à détecter
en routine) du gène de la GTP cyclohydrolase I, responsable d’une dystonie
dopasensible (DYT5). Les dystonies
secondaires (post-anoxiques principalement) et hérédodégénératives (Maladie de Wilson par exemple) peuvent
encore se rencontrer à cet âge.
• Après 26 ans, les dystonies sont soit
focales (crampes de l’écrivain, blépharospasme, dystonie cervicale) ou segmentaires (crâniocervicales), et pourront
être primaires ou secondaires (neuroleptiques, post-accident vasculaire cérébral), soit s’associent à des tableaux neurologiques plus complexes et peuvent
alors connaître des diffusions plus étendues dans le cadre d’étiologies hérédodégénératives (maladie de Huntington, MSA,
PSP, atrophie cortico-basale, maladie de
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chez l’enfant (et plus de 90 % dans la
population d’origine juive ashkénaze)
et son identification est aisée car une
seule mutation (délétion d’un triplet
GAG en 9q34 dans le gène codant pour
la TorsinA) a été retrouvée.
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TABLEAU 3 - CRITÈRES DE DIAGNOSTIC RÉTROSPECTIFS D’UNE
ASPHYXIE NÉONATALE (ADAPTÉ DE SAINT-HILAIRE ET COLL., 1991).
Une dystonie peut être attribuée à un événement asphyxique périnatal si les
critères suivants sont réunis : A ou B + C obligatoire.
A - Présence de 1 critère parmi les suivants
• Apgar < 3 à 1 minute
• Réanimation ayant duré plus de 5 minutes
B - Présence d’au moins 2 critères parmi les suivants (dont obligatoirement un
parmi les 3 premiers)
• Cyanose à la naissance
• Décélération cardiaque fœtale
• Liquide amniotique teinté par le méconium
• Apnée récurrente
• Crises néonatales
• Hypotonie
• Trouble de l’alimentation (diminution du réflexe de succion)
C - Les deux critères suivants doivent être respectés
• Absence de progression d’autres signes neurologiques en dehors de
la dystonie
• Pas d’autre cause mise en évidence (en particulier d’exposition aux
neuroleptiques)
NB : la normalité de l’IRM n’exclut pas le diagnostic
Parkinson, etc.). Les demandes d’examens complémentaires vont suivre cette
logique, en s’appuyant sur les deux axes
exposés ci-après.
DEUXIÈME AXE : LE CONTEXTE
CLINIQUE DE SURVENUE
C’est une évidence qui peut être précisée.
Deux contributions majeures doivent
être effectivement soulignées :
1- l’identification des antécédents significatifs (prise de neuroleptique, accident
anoxique, asphyxie néonatale, contexte
familial),
2- la recherche de signes cliniques évocateurs d’étiologies précises.
Concernant la recherche des antécédents par l’interrogatoire, elle peut
s’avérer rapidement positive (dystonie
aiguës aux neuroleptiques cachés,
comme le métoclopramide chez une
jeune adolescente) mais peut soulever
aussi des questions de résolution plus
difficile. La moindre n’est pas celle-ci :
un sujet dystonique a-t-il présenté un
syndrome asphyxique périnatal ? La
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famille peut rapporter spontanément un
syndrome dystonique à un accouchement
par le siège, une circulaire du cordon,
un enfant bleu, mou, ou toute autre
anomalie qui aura pris, avec le temps
l’importance d’un accident très sévère.
Certaines équipes ont développé des critères rétrospectifs soutenant la possibilité d’une asphyxie périnatale (4).
Ces critères sont présentés, légèrement
adaptés, sur le tableau 3.
L’examen clinique est attentif. Un syndrome parkinsonien est parfois difficile
à distinguer de ce qui revient à la gêne
motrice liée à la dystonie. Un déficit
moteur frustre, des signes pyramidaux
avec une hypertonie spastique peuvent
également être masqués.
Enfin, certains signes évocateurs d’étiologies précises doivent être recherchés
avec assiduité : une atteinte neurologique
périphérique avec une abolition des
réflexes ostéo-tendineux, des anomalies
oculaires (cornéennes, ou lors de l’exa-
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men du fond d’œil) et oculomotrices, des
signes cérébelleux, une détérioration
intellectuelle, ou une organomégalie.
Le tableau 4 présente les orientations
principales à partir de ces “drapeaux
rouges”, qui doivent attirer l’attention
lorsqu’elles s’associent à une dystonie,
et leur valeur diagnostique en fonction
de l’âge de début.
TROISIÈME AXE :
LA CONTRIBUTION DE
L’IMAGERIE CÉRÉBRALE
L’apport de l’IRM cérébral à l’orientation
diagnostique peut être considérable.
Les critères de l’indication d’un examen
IRM devant un syndrome dystonique sont
présentés sur le tableau 5, où il apparaît qu’il concerne la majorité des
patients. Une réserve concerne le tout
petit enfant avant deux ans, chez lequel
la myélinisation incomplète ne permet
pas d’écarter des anomalies futures sur
un résultat a priori normal. Dans ce
cas, il sera utile de le répéter.
Les anomalies mises en évidence par
l’IRM sont de trois grand types :
1- des anomalies focales, intéressant les
ganglions de la base ou le thalamus, et
rendant compte d’une majorité des dystonies secondaires non iatrogènes ;
2- des lésions systématisées touchant
les ganglions de la base et relevant des
dystonies hérédodégénératives, avec
les hypersignaux en T2 du putamen
au cours des mitochondriopathies, de
la maladie de Wilson, le signe des “yeux
de tigres” pallidaux de la NBIA1 (anciennement maladie de Hallervordern et
Spatz), ou des séquelles d’un accident
anoxique ;
3- les lésions plus diffuses, pouvant
intéresser la substance blanche, des
maladies péroxysomiales, lysosomiales
appartenant au registre des dystonies
hérédodégénératives.
Bien qu’une IRM normale n’exclut pas
la possibilité d’une dystonie post-
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TABLEAU 4 - LES “DRAPEAUX ROUGES” DE LA DYSTONIE :
ORIENTATION DIAGNOSTIQUE (LES TESTS DIAGNOSTIQUES NE SONT
PAS MENTIONNÉS, SE REPORTER AUX RÉFÉRENCES 1 ET 2).
Signes
cliniques
Petit enfant
Syndrome
parkinsonien
Abolition
des ROT
Gangliosidose
GM2
Mitochondriopathies
Anomalies
cornéennes
Enfant, adulte jeune
Adulte âgé
Dystonie dopasensible
Parkinson juvénile
(Parkine)
Anoxie
Huntington
NBIA1
SCA 3
Wilson
Acanthocytose
Fahr
Maladie de
Parkinson
Atrophie
cortico-basale
PSP
MSA
1- Installation rapide (en l’absence
de prise de neuroleptique)
2- Distribution hémicorporelle
stricte
3- Sujet jeune (en l’absence de prise
de neuroleptique)
4- Association à d’autres signes
neurologiques
Acanthocytose
Gangliosidose GM2
Ataxie télangiectasie
SCA2,3
Leucodystrophie
métachromatique
Mitochondriopathies
Maladie de Wilson
Ataxie télangiectasie
Troubles
oculomoteurs
Mitochondriopathies
Maladie de
Gaucher type III
Ataxie télangiectasie
Niemann Pick C
Mitochondriopathies
SCA1, 2, 3
Maladie de Huntington
Anomalies
rétiniennes
(atrophie,
tache rouge
cerise, rétinite
pigmentaire)
Gangliosidoses
GM1, GM2
Mitochondriopathies
Céroïdolipofuscinose
Mitochondriopathies
Leucodystrophie
métachromatique
NBIA1 (ancienne
Hallervorden-Spatz)
Ataxie
cérébelleuse
Mitochondriopathies
Hartnup
Mitochondriopathies
SCA 1, 2, 3
Wilson
Acanthocytose
Niemman Pick C
Céroïde-lipofuscinose
MSAc
(ancienne AOPC
sporadique)
Céroïde
Lipofuscinose
Niemann Pick C
Leucodystrophie
métachromatique
Huntington
ACB
PSP
Troubles
intellectuels
TABLEAU 5 - INDICATIONS
DE L’IRM CÉRÉBRALE
DEVANT UNE DYSTONIE.
Lesch-Nyhan
Mitochondriopathie
Acidurie
glutarique 1
MOTS-CLÉS
anoxique, ou d’une étiologie hérédodégénérative, elle incite à la réalisation d’une recherche de la mutation du
gène DYT1 chez tout sujet dont la dystonie a débuté avant 26 ans.
CONCLUSION
Bien que les progrès récents, en particulier issus des travaux génétiques,
aient permis d’augmenter le rendement diagnostique de l’exploration
d’une dystonie, il n’est pas rare que
Neurologies - Novembre 2002 - Vol. 5
Atrophie
cortico-basale
Paralysie
supranucléaire
DYSTONIE,
PATHOLOGIE DU MOUVEMENT,
PÉDIATRIE,
GÉNÉTIQUE, IRM
BIBLIOGRAPHIE
celle-ci s’avère décevante. Il y a quelques
années, Marsden considérait qu’une
étiologie pouvait être retrouvée pour 40 %
des enfants explorés. Une exploration
négative doit également faire remettre
en doute le diagnostic clinique de dystonie et incite à traquer les “pseudodystonies” au cours desquelles des
prises de posture anormale d’origines
diverses (ostéo-ligamentaires, stiffman…) peuvent en imposer pour une dys■
tonie.
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1. Vidailhet M. Dystonies secondaires.
Analyse sémiologique et démarche
diagnostique. Mouvements 2000 ; 3 :
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