Quelques textes sur les "mots anglais"

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Quelques textes sur les "mots anglais"
Quelques textes sur les "mots anglais"
Pour faire plaisir au gouvernement, ne dites plus "smiley"
mais "frimousse"
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Depuis des années, les internautes sont encouragés à remplacer les mots anglais du numérique par
des équivalents français. Peine perdue ?
Il paraît que la langue française est menacée par un jeune impertinent, et au passage par des
millions de Français qui lui sont accros : Internet. Dans un article relayé mercredi sur son compte
Twitter à l’occasion du forum économique de la francophonie, le gouvernement français accourt à
son chevet et propose de remplacer dix mots populaires en ligne par des expressions francophones.
Une fois passés à la moulinette du Journal officiel, le "smiley" devient une "frimousse" et le "spam"
un "arrosage". Certains changements tiennent plus de l’opinion que de la traduction littérale. Le
"hacker" est un "fouineur" et le "pop-up" devient une "fenêtre intruse".
Le gouvernement s’échine depuis des années à rectifier le langage des internautes. Déjà en 2008,
il avait lancé le site France Terme (à ne pas confondre avec "France Terne"), chargé de répertorier les
termes recommandés par le Journal officiel. Il conseille par exemple de remplacer le "smartphone" par
"ordiphone" ou le "joystick" par un "manche à balai", plongeant ainsi dans la panique toute une
génération d’adolescents plus doués pour les jeux vidéo que pour le ménage.
La langue française est belle, et bien vivante. On ne remplace toutefois pas mécaniquement vingt
ans de culture Web et d’influence anglo-saxonne dans le numérique en dix expressions plus ou moins
adroites. Certains mots bien pensés sont entrés dans le quotidien, comme le navigateur, le logiciel, le
forum, le fournisseur d’accès, l’hébergeur. D’autres résistent à cette adaptation française. On proposerait bien, au passage, de renommer l’initiative "French Tech" du gouvernement en une "Technologie
Française". C’est plus chic.
Le gouvernement affirme aussi qu’« une langue doit être en mesure d’exprimer le monde moderne
dans lequel elle évolue ». La bonne nouvelle est que les internautes français se chargent souvent euxmêmes de cette évolution. Je "chatte", tu "followes", il "snappe", nous "retweetons", vous "likez",
ils "hackent". Les Français s’approprient ces mots qui sont autant les leurs que ceux des internautes
anglophones et peuvent même y ajouter d’autres expressions bien de chez nous, mais étrangement
boudées par l’Académie française. Jdçjdr.
http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/10/28/
32001-20151028ARTFIG00100-pour-faire-plaisir-au-gouvernement-ne-dites-plus-smiley-mais-frimousse.
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Abuse-t-on du franglais ?
De plus en plus de mots anglais se retrouvent dans la langue française, et les journalistes sont les premiers à les utiliser. Un problème, car le Français moyen ne parle pas
forcément anglais et ne comprend donc pas toujours de quoi il s’agit.
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- Atlantico : Les anglicismes sont fréquents dans la langue française comme dans d’autres langues
étrangères. Pour vous, que révèle cette forte présence de mots provenant de la langue de Shakespeare ?
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- François Appert : Pour moi, c’est du snobisme, les gens jargonnent simplement parce
qu’ils veulent montrer qu’ils sont "in". Les journalistes notamment vont préférer employer des
termes comme "fact checking" ou "management". Cela fait quatre ans que je fais une revue de presse
quotidienne de 15 titres et l’utilisation de mots anglais dans la presse française s’est particulièrement
accélérée depuis un an. On utilise des mots anglais à tout propos et j’ai constaté un accroissement de ce
type de pratiques depuis à peu près un an. Il s’agit d’une pratique très fréquente chez les journalistes,
bien que cela se retrouve dans d’autres professions.
Les journalistes vont essayer de rendre un titre intéressant en y insérant un mot anglais, parce
que c’est plus accrocheur. Ce qui me gêne le plus c’est que le Français moyen ne parle pas
forcément anglais et donc ne comprennent pas toujours de quoi il s’agit. Je ne sais pas si
cela donne aux journalistes l’impression d’être importants. Par exemple, dans le cas de l’affaire DSK,
les journalistes ont employé le terme "escort girl" à tout va, alors que le mot "prostituée" aurait
très bien pu faire l’affaire.
Pour moi qui ai fait des études techniques et me suis cultivé à travers les journaux, aujourd’hui je
me demande quelle est la culture encore diffusée par la presse.
- Pourquoi combattre cette tendance, ne faut-il pas s’en réjouir ? Certains mots provenant de l’anglais ont intégré le dictionnaire, les langues ne s’enrichissent-elles pas mutuellement ?
Dans ce cas pourquoi n’empruntons-nous que des mots anglais et pas allemands par
exemple ? Je ne pense pas que les Anglais le fassent. Nous leur avons donné beaucoup de mots venus
du français, mais aujourd’hui les Anglais n’empruntent plus de mots à notre langue. Mais que l’on
ne s’y méprenne pas, j’aime l’anglais. Simplement, je n’aime pas le franglais. Le franglais ce
n’est pas beau.
- Selon vous peut-on trouver un équivalent français pour tous les mots provenant de la langue
française ? Comment traduire "buzz" par exemple ?
Bien sûr, je pense que l’on peut trouver un équivalent français pour la plupart des
mots provenant de l’anglais. Par exemple, le mot "buzz" a été traduit en français par "ramdam",
malheureusement cette traduction étant apparue un peu trop tard, elle n’est pas utilisée.
D’autres termes comme "podcaster" ou "week-end", ne me choquent pas. Traduire "week-end"
par "fin de semaine" représente pour moi un combat d’arrière-garde. Il faut vivre avec son temps !
Néanmoins, les mots issus de l’anglais utilisés dans la langue française doivent rester
dans des proportions raisonnables.
Mais pour des termes comme "business plan", j’estime que l’on peut dire "plan de financement".
Le magazine Elle est un bon exemple de ce genre de pratiques. On ne parle plus de "maquillage" mais
de "make up". Quand les articles sont intelligents, ils sont en français, pour le reste c’est
du franglais.
- La langue française n’est-elle pas trop figée ? Ne nous oblige-t-elle pas à emprunter des mots à
l’anglais, notamment en ce qui concerne les mots relatifs aux nouvelles technologies ?
Les gens utilisent l’anglais dans leurs relations professionnelles, mais je pense que l’on peut très
bien remplacer think-tank par les termes "groupement d’experts". Certains journaux utilisent des
mots anglais dans leur titre et je ne sais même pas ce que cela veut dire, alors que je parle anglais
correctement. Quand à 8h30 du matin sur France Inter vous entendez parler d’ "understatement",
et qu’il faut aller chercher dans le dictionnaire pour comprendre que l’on parlait d’un euphémisme,
c’est un peu dur ! Je pense que la langue française est suffisamment riche pour ne pas
constamment emprunter des mots à l’anglais.
http://www.atlantico.fr/decryptage/abuse-t-on-franglais-francois-appert-527977.html
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Annick Girardin : "On appauvrit la langue française et on
mutile l’anglais"
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Annick Girardin, secrétaire d’Etat au Développement et à la Francophonie, a fait un
effort pour compiler un maximum d’anglicismes dans une lettre au monde économique. . .
pour la défense du français. Pourtant, l’élue originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon n’est
pas adepte de ces emprunts à la langue de Shakespeare. Mais à l’occasion de la semaine
de la langue française et de la francophonie, elle lance une appel à la réflexion sur un ton
humoristique.
- Pourquoi cette lettre ?
Aujourd’hui, la dérive vers le franglais n’est pas toujours compréhensible et parfois ridicule. Est-ce
qu’on gagne en efficacité, en compréhension ? Au contraire, on exclut ceux qui ont appris notre langue.
On appauvrit la langue française et on mutile l’anglais.
- Pourquoi est-ce si important qu’on dise "pourriel" pour "spam" ou "courrier électronique"
pour "mail" ?
Aujourd’hui la francophonie est un vrai marché, c’est 80 pays. Si on ne prend pas cette chance
qu’est la francophonie, on passe à côté de quelque chose au niveau économique et culturel.
- N’est-ce pas un peu superfétatoire comme combat ?
Je ne suis pas là pour mettre le français sous cloche. Mais à force, notre langue peut être en danger.
Quand je rencontre des dirigeants, on me répète : « Vous les Français, vous n’aimez pas véritablement
votre langue car vous ne la défendez pas. » Et cela a un impact. Certains pays francophones en voie
de développement, qui n’ont pas toujours les moyens d’avoir un bataillon d’interprètes, sont exclus de
négociations internationales. C’est une question de justice et d’équité. Si la France ne se rebelle pas,
qui va le faire ? On compte bien être attentif à ça dans le cadre des réunions de la COP21 en décembre.
- Quelles peuvent être les dérives ?
Nous avons la chance de pouvoir changer des petits automatismes pour réutiliser "calendrier" au
lieu de "timing", en mer au lieu d’offshore, indépendant au lieu de freelance, travail collectif
au lieu de work in progress. Je comprends qu’on utilise un anglicisme quand on n’a pas un mot
français équivalent. Mais en général, on trouve des équivalences. Personnellement, j’utilise très peu
d’anglicismes. . . si ce n’est "leadership" ! Certaines entreprises appellent leurs ouvriers "associates",
donc associés. L’idée c’est de faire moderne, de faire "in" ? Non seulement c’est ridicule, mais c’est
pervers. Les mots ont un sens. De même, certains se sentent à l’aise avec le mot "lobbying", pas avec
l’expression "réseaux d’influence". Est-ce qu’on cherche alors des termes anglais pour amoindrir le
sens d’un mot ou pour en donner un autre ?
- Que proposez-vous pour promouvoir le français en entreprise ?
Je souhaite avoir des échanges avec le monde de l’entreprise, les universités, les grandes écoles, les
salariés pour voir comment mieux former, mieux communiquer. Le Medef semblait à l’écoute lors de
premières rencontres.
- Pourquoi à votre avis les Québécois sont-ils plus inventifs que les Français quand il s’agit de
traduire ?
Ce n’est pas uniquement une question que de créativité. Le Québécois, Saint-pierre-et-miquelonais
ou l’Acadien, il se bat pour que sa langue survive.
- Est-ce que vous souhaitez revoir la loi Toubon relative à l’emploi de la langue française ?
Je ne crois pas que la réponse sera apportée par une loi ou des moyens répressifs. Mais par une prise
de conscience que cette responsabilité, nous la partageons. Parce que nous devons ensemble retrouver
cette passion du français.
- L’anglicisme qui vous agace le plus ?
Brainstorming. On mène une réflexion collective ! Ce n’est pas beaucoup plus long. . .
http://www.20minutes.fr/politique/
1564807-20150317-annick-girardin-appauvrit-langue-francaise-mutile-anglais
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Semaine de la francophonie
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Débat sur l’anglais à l’université
Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur l’enseignement supérieur
facilite l’emploi de l’anglais à l’université. La polémique qu’il suscite relève-t-elle d’un folklore français ?
Jean-Marie Rouart : La France est un pays d’idées. Et les idées ont toujours été explosives.
Quant à la langue française, elle est dans une situation effroyable. D’autant plus effroyable que les
gouvernants et les Français ne s’en rendent pas compte.
Cette loi touche à l’être même du pays : la France est une idée. Et cette idée sans mots, eh bien,
elle n’est plus rien ! Faut-il rappeler qu’il y a cinquante ans Emile Cioran, un Roumain, a lancé cet
appel désespéré : « Aujourd’hui que cette langue est en plein déclin, ce qui m’attriste le plus, c’est de
constater que les Français n’ont pas l’air d’en souffrir. Et c’est moi, rebut des Balkans, qui me désole
de la voir sombrer. Eh bien, je coulerai inconsolable avec elle ! »
Je ne suis pas contre l’anglais ! Je suis pour son apprentissage. Cependant, l’anglais dégrade le
français. Et cela ne nous choque même plus. C’est lamentable. Les formes passives, empruntées à l’anglais, se multiplient. Exemple : "Vous êtes demandé au téléphone", au lieu de "On vous demande
au téléphone". La langue française ne sera bientôt plus une langue authentique, mais une sorte de
pidgin.
Là est le plus grave. Le problème n’est pas celui des anglicismes, c’est-à-dire du vocabulaire. Nous
utilisons beaucoup de mots anglais, et cela peut être acceptable. Même si un snobisme fait rage, celui
de créer des mots pseudo-anglais qui, dans cette langue, ne veulent rien dire.
Luc Ferry : Il y a une passion pour la langue française, et je la partage. Les fautes sont de
plus en plus fréquentes. Nos hommes politiques les plus éminents n’y échappent pas : "Nous avons
convenu...", "Vous vous en rappelez...", "La décision que j’ai pris", etc. Ce déclin m’est
extraordinairement pénible. La langue, c’est un patrimoine et un espace de pensée communs. Mais ce
phénomène n’a aucun rapport avec l’enseignement en anglais. Parler mal l’anglais n’est pas un gage
de parfaite maîtrise du français. Le triste état de notre langue s’explique par deux grandes causes :
derrière la prédominance de l’anglo-américain, il y a le fait que la culture contemporaine est devenue,
pour l’essentiel, et pour son malheur, une culture scientifique et commerciale. Or, dans ce domaine,
l’anglo-américain est dominant.
Deuxième cause, le français est mal parlé, parce qu’il est mal appris. L’impérialisme de l’anglais
n’y est pour rien. Près de 35% des enfants qui entrent en 6e rencontrent de grandes difficultés en
lecture et en écriture. Ils ne liront jamais un livre en entier. C’est l’urgence absolue.
Par ailleurs, ni vous ni moi n’avons inventé le français. Tout comme la civilité (ou la politesse),
il constitue un patrimoine héréditaire. Hélas, ils sont tous les deux en perdition sous les effets de
l’immense mouvement de déconstruction des traditions et des patrimoines qui a caractérisé le xxe
siècle.
Pour en revenir au projet du gouvernement, ne fallait-il pas adapter le droit à la réalité, l’emploi
répandu de l’anglais dans l’enseignement supérieur ?
J.-M. R. : Les Français réclamaient-ils vraiment que l’anglais fût introduit à l’université ? Non.
Ce n’était pas un besoin. Les responsables des établissements de l’enseignement supérieur pensent
autrement, car ils suivent une voie de marchandisation. On veut vendre la France par appartements...
Le vrai problème, c’est une université sinistrée, un collège dans lequel on n’apprend plus les rudiments
de la langue. L’inculture littéraire et historique est générale. Il y a un mois, je suis intervenu dans
une classe de 3e. J’ai demandé : « Connaissez-vous Flaubert ? » « Non », « Chateaubriand ? »
« Non », « Corneille ? » « Oui, c’est un chanteur ! » Là est l’urgence. Un ancien ministre de l’éducation nationale devrait être désespéré de ce que l’on est obligé de donner des leçons d’orthographe à
l’université.
Autre problème, ce texte détricote la loi Toubon, seul geste d’indignation pour essayer de protéger
la langue française. [Adoptée en 1994, elle vise à en protéger l’usage, notamment dans l’enseignement
supérieur.]
L. F. : Elle a été calamiteuse.
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J.-M. R. : Nous sommes peut-être gaullistes tous les deux, mais nous n’avons pas la même
conception du gaullisme. La loi Toubon a été excellente, car elle constitue une prise de conscience.
Si elle n’a pas été respectée, c’est la faute des pouvoirs publics.
L. F. : C’est la loi la plus absurde que l’on ait adoptée concernant l’université depuis que celle-ci
existe ! Pourquoi, d’ailleurs, l’Académie française ne s’est-elle pas mobilisée lorsque les grandes écoles
ont commencé à donner des cours en anglais ?
Si l’on veut attirer des étudiants non francophones venant du Brésil, de l’Inde, de la Russie ou de
la Chine, on doit leur offrir quelques cours dans lesquels ils ne seront pas totalement perdus. Si nous
ne le faisons pas, nous aurons uniquement des étudiants issus de nos anciennes colonies. Or, notre
intérêt aujourd’hui est d’élargir le vivier des étudiants étrangers, car ils reviendront chez eux avec un
bout de France accroché à leur cartable.
De même, pour défendre la culture française, il faut pouvoir organiser des cours, des colloques,
des conférences en anglais. En outre, la maîtrise de l’anglais est indispensable pour nos enfants. Or,
personne n’a jamais appris une langue en classe ! L’immersion est bien plus efficace. Les écoles bilingues
et les grandes écoles l’ont bien compris. L’université doit pouvoir en faire autant.
- L’usage de l’anglais ne risque-t-il pas de se généraliser peu à peu, comme cela s’est vu dans le
nord de l’Europe ?
L. F. : Le gouvernement assure qu’il n’y aura que 1% de cours en anglais. Il n’y a donc pas de
risque de généralisation.
J.-M. R. : Jusqu’à présent, l’utilisation de l’anglais était une tolérance. C’est pour cela que cette
loi n’était pas nécessaire et qu’elle est grave. On se retrouve dans la situation où l’on ajoute des lois sur
des lois. Je suis étonné qu’un philosophe considère qu’autoriser 1% de cours en anglais à l’université,
ce n’est pas toucher à un principe. Cette loi est anticonstitutionnelle, car la Constitution dispose que
le français est la langue de la République.
M. Ferry affirme que les étudiants étrangers emporteront un morceau de la France dans leur
cartable même s’ils reçoivent leur enseignement en anglais. Cela me paraît une bien étrange conception
de la langue française et donc de la France. Comme l’a dit Ernest Renan, on ne peut pas prendre
l’histoire de France en morceaux.
On touche ici à l’idée de la France, et c’est ce qui déchaîne les passions. La langue française porte
quelque chose de plus grand qu’elle-même, quelque chose de généreux que n’a pas l’anglais. L’anglais
porte avec lui le commerce.
L. F. : La constitutionnalité de cette loi ne fait aucun doute. Je me suis intéressé aux écoles bilingues lorsque j’étais ministre de l’éducation nationale. Elles ont le droit d’utiliser l’allemand, l’italien,
aussi bien que l’anglais, pourvu que cela ne dépasse pas un certain pourcentage. Elles n’enfreignent
aucun principe constitutionnel.
J.-M.R. : Il est affligeant de constater l’absence de politique de la francophonie. Si l’on souhaite
attirer des étudiants étrangers, que l’on commence par cela. Les pays francophones sont navrés de voir
à quel point nous sommes laxistes, à quel point nous ne défendons pas notre langue. Les étudiants
francophones préféreraient entendre cette langue, qui reste un chef-d’oeuvre. Ils ont l’impression que
l’on met un drugstore dans la cathédrale de Chartres. D’ailleurs, beaucoup d’étrangers se sont convertis
à notre langue : Eugène Ionesco, Romain Gary et bien d’autres. Descartes ne doit pas son succès
au fait qu’il écrivait en latin. Montaigne et Rousseau n’ont-ils pas eu une égale renommée alors
qu’ils écrivaient en français ?
L. F. : Si Spinoza, Leibniz et Descartes ont pu lire les ouvrages les uns des autres, c’est parce
qu’ils s’exprimaient en latin, car la langue maternelle de Leibniz était l’allemand, celle de Spinoza
le hollandais, et celle de Descartes le français. La langue commune était alors le latin. Aujourd’hui,
c’est une position occupée par l’anglais. M. Rouart et moi-même nous entendons pour défendre le
français. Ce qui nous différencie, c’est la question de la finalité de la loi sur l’enseignement supérieur.
La question de la langue touche à des passions démocratiques qui sont extrêmement puissantes.
Mais croire que nous sommes en train d’abdiquer devant l’impérialisme américain me paraît abusif.
L’extrême gauche et la droite souverainiste se rejoignent soudainement.
- Ce débat ne montre-t-il pas le malaise de la France dans la mondialisation ?
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L. F. : Evidemment. Ce qui est compréhensible, car on vit dans une mondialisation qui est
culturellement anglo-saxonne. La France se sent menacée à juste titre, je n’ironise absolument pas làdessus. La culture anglo-saxonne est fondamentalement libérale : elle va du particulier vers l’universel,
de la société civile vers l’Etat, qui a pour modèle politique la jurisprudence.
Nous avons une tradition jacobine qui s’est incarnée à gauche, même chez les communistes, autant
qu’à droite chez les gaullistes — si tant est que l’on puisse considérer que le gaullisme est de droite.
Cette tradition est présente dans le code Napoléon : le droit va de l’Etat vers la société civile. Il faut
rappeler que la France est le plus vieil Etat-nation du monde.
Cette opposition culturelle explique que la France se sente menacée par la mondialisation. Cette
crainte du déclin fait de l’enseignement en anglais à l’université un sujet explosif. Gardons les pieds
sur terre ! Il s’agit seulement d’autoriser quelques cours en anglais. Et si je le dis aussi fort, c’est que
ce débat occulte les vraies raisons du déclin du français.
J.-M. R. : La mondialisation est une catastrophe.
L. F. : Pas du tout.
J.-M. R. : Elle est une forme de barbarie qui détruit et aplanit toutes les identités. Elle est
destructrice sur le plan économique, écologique, politique. Avant d’être anglo-saxonne, c’est une énorme
machine commerçante. Je suis pour l’universalisme, son contraire. La mondialisation emploie certes la
langue anglaise, mais sous une forme médiocre. Le français résiste davantage à la médiocrité.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/06/03/
l-anglais-chance-ou-danger-pour-le-francais_3422969_3232.html
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