LES AVENTURES DE LA GIRAFE NOIRE - nam-silim

Transcription

LES AVENTURES DE LA GIRAFE NOIRE - nam-silim
LES AVENTURES
DE
LA GIRAFE NOIRE
A rpèges au C uivre de la M élancolie
nam-silim.fr
Sirupeuse et pugnace au vent, la girafe noire
se fredonne sur l’air de La Californie de Julien Clerc.
Même rime, même nombre de pieds mais échec au
cœur, elle n’ondoie guère dans les palétuviers.
Fardée de khôl et bilieuse, gisante au narguilé,
la girafe noire écume habituellement les rates
engorgées et détrousse la joie de vivre ; car
naufragée des Rivières Pourpres, elle ruissèle
d’amertume dès que la confiance et l’estime
s’invitent1. Avachie ou pleureuse, elle tergiverse
d’autorité, ce qui rend fou son congénère hépatique
lumineux : tout à se ronger les sangs, la girafe
noire au regard wilsonien envenime les circuits du
Foie, lobe en lobe, les étouffant d’une inquiétude
électrique ardente qui maquille ses yeux2 !
Aujourd’hui le moral en berne, elle affrète en
mode mineur la hertz-box de ce conducteur
esseulé, avide d’aventure au bout de la route, livrant
de ville en ville des cartons de manuels hitlériens.
Majeure, elle vibre en boucle quand il suffit
d’appuyer sur « repeat » et s’harmonise en double
hélice charriée par les artères denses du voyageur.
La Mélancooliie, la mélancooliie…
Lasse au détour d’un vertige, le manque de
carburant survient, la girafe noire s’extirpe du poste
et vient pulser dans le crâne d’un pompiste solitaire.
Nauséeux usé d’attendre le client et la dernière
goutte, celui-ci transpire en sursaut cette humeur
crasse, saisonnière ; entonnant le refrain californien
débridé et si sonore, que des hurlements trépignant
se suspendent à son larynx ivre de vapeurs.
Complice, le conducteur sifflote. Hagard, le pompiste
jaunit. Et La Californie réintègre l’habitacle, le vent
s’infiltre au radiateur et ronronne sous la calandre.
Le livreur à l’ire cachée – führer, fureur - reprend la
route. La girafe noire vorace reprend le la et déploie
son ombre geignarde vers l’ouest.
Aigrettes
des
talus
fuyants,
quelques
graminées nostalgiques égrènent « la cannelle fauve
embaume ton temps » tandis que des trompettes
invisibles tutoient le ciel et soutiennent :
La Mélancooliie, la mélancooliie…
Au soir, quand dans l’encre de sa chair, le
conducteur navré implore ses organes de ne point
culpabiliser à livrer de telles sornettes, il humecte sa
lèvre supérieure, dissolvant l’aura du vent malin et
se pourlèche de son dernier gain. Il rejoint sa
couche hôtelière un buvard à la main, au cas où la
satanée bouillasse ne l’étreigne comme un masque
anti-rides.
Sirupeuse et salace, la girafe noire se love
lentement le long des grands dorsaux du voyageur
et cliquète jusqu’à ses opposants du pouce, maîtres
acérés du volant. De muscle en muscle, la sombre
mélasse lèche l’homme qui s’assoupit et, au train
d’une dynamique sourde et guerrière, elle inonde sa
face. Au fil de la nuit, l’étang cérébral du
conducteur miroite peu à peu l’abandon, infini.
Demain il livrera, aveugle, d’autres manuels.
La Mélancooliie, la mélancooliie…
Puis le jour insolent se lève. Colère et
faignasse, l’éternelle musicienne de soucis engouffre
en son for toutes les mémoires tristes d’esprits
rageurs qui ont rôdé la nuit durant. La girafe noire
a du pain sur la planche et dans le coffre avec des
monceaux
de
livres
à
livrer,
encore
des
3
constellations d’informations à gober, encore des
jours et des lunes à se mortifier, répandre au mieux
sa bile noire dans toute chair (pan-creas) et sauter
à pieds joints sur le toit de la 4L… à moins que ce
ne soit une AMI8.
Le conducteur esseulé conduit au vent
mauvais, ahanant l’air de la mer qui se prénomme
ce matin Santa Barbara et qu’il se traduit
intérieurement par « ça te barbera ! » quand il
aimerait disparaître, devenir un gaz, une onde en
suspens, à jeun et neutre à l’envi.
Les kilomètres défilent, les trémolos bavassent
dans la voix du chanteur qui regarde droit devant
lui, la girafe noire fiévreuse compte les heures et
ravie, rêve d’un monde thrombosé où tout serait
sombre, noir, poisseux tel un abysse magnétique où
le repos des âmes4 serait interdit ; les soucis c’est
tellement beau !
La Mélancooliie, la mélancooliie…
La girafe noire n’aime pas le soleil qui frange les
tongs en doigts de pieds bronzés, elle déteste le
surf et les pailles géantes dans un gobelet où
s’aventurent des liquides très colorés, elle évince
l’avant-garde artistique, elle crache sur la promotion
des intellectuels qui réfléchissent sous les orangers
et elle se dispense bien de cultiver des radis rose au
cœur tendre. Les noirs, c’est tellement mieux et bien
pire.
Sale trogne vaporisée à l’aigreur et au chagrin
indélébile, la girafe noire n’a plus qu’à se coudre un
doudou fermenté à l’orage et ressasser les
secousses dues à la conduite hasardeuse du livreur
sur les routes de compagne oubliée. La cadence lui
imprime un rythme canin sur la plage arrière et, en
digne tête de mort, la noiraude pourrait glisser sur
le siège passager, devant la boîte à gants. Le
silence sidéral s’y glisserait et la happerait vers un
ailleurs, peut-être l’Etoile du Grand Chien5 car à flipflap la girafe, l’ironie répond : paf le chien !
La Californie, la Californie…
1 L’énergie de la Rate dispense la confiance en soi et l’estime
de soi.
2 Héréditaire, la maladie de Wilson témoigne d’une
accumulation toxique du Cuivre dans le Foie et n’est pas
éliminée dans la bile et l’urine. Lorsque le Foie atteint sa
capacité de stockage, l’excès de Cuivre peut se déplacer sous
une forme libre et se manifester au niveau de la cornée ;
l’iris est alors cerclé de brun (anneaux de Kayser-Fleischer).
La Rate, support énergétique de la mélancolie, augmente de
volume. Fatigue et fièvre en sont d’autres symptômes.
3 Le sang est supporté par
l’information et de l’affectivité.
le
protéion,
organe
de
4 En électricité, le Cuivre est surnommé « l’âme » car
conducteur d’énergie. Dans la fertilité, il favorise (biogène) ou
annihile l’énergie vitale (biocide – stérilet).
5 Equivalente de Sirius A de la Constellation du Grand Chien
(Canis major), étoile liée à Isis la « faiseuse de vie » dans
l’Egypte ancienne.