ERF de Passy- Annonciation - Notre

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ERF de Passy- Annonciation - Notre
ERF de Passy- Annonciation- Paroisse Notre Dame de Grâce de Passy.
Soirée débat le 19 décembre 2012 :
« Comment réussir sa mort : catholiques et protestants face à l’euthanasie. »
Nadine Davous.
Associer la mort réussie à l’euthanasie! Même si le titre de cette soirée est un brin
provocateur, le propos n’est pas nouveau, et il a été reformulé par le candidat François
Hollande, lors de sa campagne électorale ; parmi ses « 60 engagements », le 21e dit ceci :
« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie
incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut
être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une
assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Les termes « mort » et
« euthanasie » (comprise comme « la mort provoquée dans le dessein d’abréger les
souffrances d’un incurable ») ne sont pas écrits… mais le débat est lancé!
Dans son discours à la maison médicale Notre dame du Lac, le 17 juillet 2012, le président élu
a cette fois évoqué le respect et l’accompagnement de la vie digne jusqu’au bout, jusqu’au
dernier moment, sans prononcer une fois le mot « mort »… Il a appelé à entendre le « souhait
de mourir », sans reconnaître à la collectivité le droit d’en décider ; il a mis en évidence
l’intérêt humain et économique des soins palliatifs ; le mot « euthanasie » n‘est pas prononcé;
mais il évoque « un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie »,
alternative à l’abstention thérapeutique en cas de douleur irréversible… et le débat, qu‘il
souhaitait digne et serein, fait rage… ce qui me semble en fin de compte plutôt rassurant, dans
un état de droit : quelle formidable occasion sociétale d’échanger, dialoguer, réfléchir autour
de la vie, et de sa fin, de lever le tabou de la mort ! Et ce qui ressort en première lecture nous
dit Didier Sicard, envoyé en mission sur la fin de vie, c’est une certaine insatisfaction des
citoyens français vis-à-vis de la fin de vie, un sentiment que la société est peu à l’écoute de la
souffrance, avec pour corollaire de cette indifférence des demandes de « bienmourir »…Nous sommes donc loin d’ honorer les directives du Code de la santé publique :
« Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des
soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du
malade et réconforter son entourage. »
Le propos de cette rencontre œcuménique ce soir sera donc de discerner les enjeux, les
questions soulevées, et afin de clarifier le sujet, je distinguerai 4 types de repères, de niveaux
de réflexion:
- anthropologique.
- éthique
- moral et sociétal
- spirituel et religieux.
Puis MP Perrin, médecin à la maison médicale Jeanne Garnier, pionnière en soins palliatifs,
nous emmènera jusqu ‘aux frontières des soins palliatifs et C.Wieder, onco- psychologue, aux
limites de la parole : « peut- on tout dire ? »
1- REPERES ANTHROPOLOGIQUES : Réussir sa mort ?
Cela n’est une surprise pour personne: le vivant biologique est défini par une naissance, une
vie et une mort…
- On ne choisit pas de naître, la vie nous est donnée; c’est la parentalité qui peut être
choisie, les diverses formes de conjugalité et les méthodes de procréation assistée en ont
bouleversé la règle classique… (ce pourrait être l’objet d’une autre rencontre!) Mais nul ne
peut « réussir » sa naissance.
- Au cours de leur vie, si beaucoup connaissent de grandes joies, des réussites, la
plupart des individus rencontrent et combattent plus qu’ils ne choisissent, la maladie, la
pauvreté, les difficultés professionnelles, familiales, sociales, la violence sous toutes ses
formes. Connaître la vieillesse atteste que beaucoup de ces écueils ont été évités ou
surmontées, et l’allongement de la durée de la vie est une manifestation du progrès… Ce
progrès irait- il jusqu’au fantasme d’invulnérabilité, de toute puissance de l‘homme et de ses
choix sur la vie? Ferait-il oublier que la dépendance, notamment en fin de vie, est une
manifestation même de l’humanité, et non une perte ?
- La mort n’est pas un choix, elle est inéluctable: nous sommes par définition mortels!
Jusqu’à la génération précédente, on peut dire qu’elle représentait un phénomène « normal »,
attendu, de la fin d’une vie, quel que soit son accomplissement. Avec l’incroyable avancée
des sciences de la vie, des technologies, la mort est de plus en plus repoussée, de plus en plus
occultée, absente du langage quotidien (sauf en cas de catastrophe, alors surmédiatisée
suscitant une émotion collective d’autant plus intense et fugace qu’elle se passe à distance du
«spectateur »…). Même si on peut être amené à penser qu’elle peut être une délivrance,
bénéfique, la mort reste un scandale, elle est redoutée, celle de l’autre d’abord qui nous fait
voir par anticipation la nôtre (dont nous n’aurons pas l’expérience …) génératrice d e peur
(de la déchéance, de la souffrance) ; et cette peur en miroir , cette angoisse de la fin, de
l’agonie, est souvent le motif de demande pour l’autre d’une aide médicalisée à mourir ; peur
aussi de l’au-delà, car enfin, personne n’a jamais pu nous dire ce qui se passait ensuite! Alors,
comment savoir si vous avez « réussi votre mort »??? Et comment la négocier?
Salvador Dali, grand angoissé, l’exprime ainsi: « Je réclame une vie dans l’au-delà, avec
persistance de la mémoire; je veux bien renoncer aux béatitudes éternelles, pourvu que dans
l’éternité je me souvienne de tout… »
Et puis on pleure ses morts, on les enterre, on fait son deuil…
L’être humain est ainsi fait, qui le différencie de l’animal ; les mythes antiques, les religions,
sont tous bâtis sur cette réalité humaine : mystère de la vie, de la mort…crainte de la mort,
rites autour du défunt.
- Dans ce contexte, demander à mourir, ou mettre un terme volontairement à sa propre
vie, ne va pas dans cette visée anthropologique: le suicide, le suicide assisté, la demande
d’euthanasie active, vont à l’encontre du processus « normal » de préservation de sa vie.
Chercher à « provoquer la mort » reviendrait-il en quelque sorte à outre passer ce qui définit
l’humain? L’homme désire vivre et mourir avec le minimum de douleur, paisiblement,
dignement ; ceci nous amène au 2ème repère.
2- REPERES ETHIQUES : qu’est- ce que « vivre bien » ?
Ils sont de l’ordre de l’in- quiétude et du questionnement (cf Paul Ricoeur : « l’éthique, un
questionnement qui précède l’introduction d e l’idée de morale, avec la visée d’une vie bonne,
avec et pour les autres dans des institutions justes… »)
Quels seraient donc les principes éthiques, qui s’inscrivent dans la catégorie du désir et de la
recherche de la « bonne vie », et qui pourraient infléchir ce cours anthropologique de la vie?
Sur quelles valeurs fonder la personne? Quel sens donner à la vie d’un individu, pour qu’il
soit possible ou non d’y attenter, pour autoriser un droit à mourir, opposable au non désir de
vivre?
- Que signifie vivre dignement jusqu’au bout ? Aborder la question de la dignité,
c’est affirmer le respect dû à tout individu, à sa vie, quel que soit son état,
physique, psychique, social… « en tant que » personne humaine : il n’y a pas de
dignitomètre, la dignité est « inaltérable ». Elle ne peut se confondre avec un
sentiment de fierté ou la perception d’une déchéance.
- De même, l’autonomie, la capacité d’auto détermination, à la base de la notion
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de consentement, ne sauraient suffire à définir une personne ; sa dignité n’en
dépend donc pas.
La liberté, l’auto- détermination, n’ont- elles comme limite que celle de l’autre ?
Respecter la volonté d’une personne qui demande la mort menace
fondamentalement la représentation que l’on peut se faire de l’être humain :
donner la mort est indigne de l’homme, quand bien même il y consentirait. Donner
la mort à un sujet autonome et qui la réclame, parce qu’il est en fin de vie d’une
maladie incurable, et souffre malgré des soins proportionnés, respecte- t- il sa
dignité, sa vulnérabilité ? Et la dignité et la liberté du soignant ? C’est la question
posée par le suicide assisté (absorber un médicament réclamé à dose létale,
prescrit par un médecin consentant, en présence ou avec l’assistance d’un tiers).
Dignité et autonomie ne peuvent se concevoir sans l’intrinsèque vulnérabilité de
l’Homme. Or le malade incurable, le grand vieillard dépendant, le nouveau- né, le
handicapé, ne sont- ils pas les plus vulnérables, physiquement, psychiquement,
économiquement, car leur vie a un coût… ?
Encore une inquiétude : même écouté, entendu, comment savoir, comprendre, ce
que souffre l’autre, dans son absolue altérité ? Comment savoir ce qui est bon et le
meilleur pour l’autre ?
Comment les 3 principes d’une action éthique : recherche de bienfaisance, nonmalfaisance, et équité- justice sont-ils analysés et respectés quand on envisage de
donner la mort pour soulager ? Quelles seraient les alternatives ? quelle est au pire
la solution du moindre mal ???
La réflexion éthique ne va pas sans une décision, une action, dont je vais avoir à
répondre ; pour Levinas, cette responsabilité est première, elle me rend comme
otage du visage de l’autre…bien avant d’en rendre compte à la société ; elle a pour
corollaire la sollicitude, le souci de l’autre.
3- REPERES MORAUX : quelle société voulons- nous ?
Parler et débattre sur la mort est le fait d’une société riche, industrialisée, techniquement
évoluée, où la recherche et le progrès médical, amplifiés par les médias, font redouter
l’accident ou l’acharnement thérapeutique, la toute puissance de l’homme ; la mort est
reléguée dans le champ du déni, du silence, du non- dit, de l’échec… il faut vaincre la maladie
(le cancer, le SIDA, la mucoviscidose…) à tout prix, prévenir les épidémies mortelles, cacher
la déchéance, la vieillesse et la mort dans les établissements spécialisés… Didier Sicard a
rappelé que « le progrès d’une société aujourd’hui … se mesure à sa capacité à développer la
solidarité en protégeant le plus faible, et non à faciliter leur disparition… »
- Maîtrise, toute puissance qui doit donc être encadrée: tout ce qui est possible n’est
pas faisable! C’est le rôle de la loi: dire le devoir, le bien et le mal, le permis et l’interdit,
protéger le plus grand nombre, le plus vulnérable, punir celui qui transgresse: l’un des
interdits fondateurs de notre société (Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Code de
Nuremberg, Constitution française et européenne, Code de Déontologie médicale, Code la
Santé publique) reprennent cet interdit fondamental pour l’Homme : « tu ne tueras pas », et
affirment d’abord l’égale dignité de la personne, l’inviolabilité de son corps, le droit au
respect de sa vie…La loi défend la vie, et aucune loi ne lui est opposable : il n’y a pas un
« droit à » mourir…
Dans le contexte actuel de vieillissement de la population, de plus grandes vulnérabilités, de
crise financière et du système de santé, elle est un rempart contre la tentation de choix
utilitaristes (de la personne comme de son entourage !)…la demande d’une personne âgée « à
en finir », ne signifie pas toujours qu’elle souhaite mettre fin à sa vie, mais simplement
qu’elle se sent un fardeau pour son entourage !
- En France, le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique), les CPP (comités de
protection des personnes) s’assurent que ces droits sont respectés dans le domaine biomédical,
et donnent leur avis dans les situations encore inédites; l’avis 63 du CCNE, en 2000,
concernant la fin de vie en est un exemple ( même s’il évoque pour la première fois la
dépénalisation de l’exception d’euthanasie dans un contexte compassionnel extrême).
Aristote: "le droit est une manière de réaliser l'éthique, il doit se référer à l'éthique, et en ce
sens se faire le prolongement de l'éthique" : la loi laisse libre notre jugement en conscience,
ne dicte pas nos actes, mais en dit les limites.
Les lois de 2002 sur le consentement aux soins, et d’avril 2005, dite Loi Leonetti, sur la fin de
en sont un bon exemple. En 2000, elle se fonde sur la notion d’autonomie, d’autodétermination, de liberté, pour promouvoir la notion de consentement aux soins, de personne
de confiance, de directives anticipées… et la loi Leonetti d’avril 2005 ajoute à ces valeurs
celles de responsabilité et de sollicitude, en permettant le refus de traitement jugé
déraisonnable ou disproportionné, le respect des directives anticipées, le possible arrêt ou
limitation des traitements, avec comme alternative les soins palliatifs, le traitement efficace de
la douleur, en assumant son possible double effet, jusqu’à la sédation . La délibération et la
collégialité sont une obligation …
Cependant, aucune loi ne permet de faire face à toutes les situations, et la terminologie ellemême a ses limites : par exemple, dans le dilemme éthique, « faire mourir/ laisser mourir, il
est vrai que le traitement palliatif autorisé par la loi peut accélérer le processus final de la
maladie. Je laisse nos 2 autres oratrices développer ce sujet. (la question des directives
anticipées, de l’obstination déraisonnable, de la définition de la fin de vie, par exemple dans la
maladie d’Alzheimer, de la souffrance psychique insupportable, de la distinction des pb
éthiques du faire et laisser mourir…)…
- Dans notre société à la fois soucieuse du respect de la dignité et de l’autonomie, si le
débat sur la fin de vie évoluait vers un assouplissement des pratiques dans les cas extrêmes,
sous forme par exemple « d’exception d’euthanasie », « d’euthanasie palliative », il
conviendrait de conserver la notion d’intentionnalité, d’acte assumé « en conscience », (et
aussi de liberté de refuser « en conscience », de transgression de la loi fondamentale… et ne
pas légiférer l’exception ! Nous sommes donc loin des idéologies…
4- REPERES SPIRITUELS : quels chrétiens sommes- nous ?
- Répondre aux besoins spirituels des patients en quête de sens face à cette
interrogation essentielle, existentielle, de la vie, de la mort ; éprouvant colère, désarroi,
solitude face à la maladie, par l’écoute, la parole et le regard, destinés aussi aux proches,
souvent en grande souffrance. « Etre consolé par la seule présence de Dieu, irruption
inespérée de sens qui déchire l’abîme du mal… », nous dit la théologienne Lytta Basset.
- Accompagner la vie (c’est la devise des Diaconnesses…), la fin de toute vie, dans le
respect du chemin suivi par cet autre, ce prochain, celui qui s’en va : pas toujours le chemin
que l’on aurait choisi, mais pourquoi pas un peu plus loin que prévu ? A condition de garder
sa liberté de soignant, d’aidant, dans le dialogue, la confiance, le respect mutuel, et pourquoi
pas la réciprocité… l’autre vous accompagne aussi sur ce bout de chemin ! La souffrance
n’est ni expiatoire ni rédemptrice : il convient donc de la soulager, par tous les moyens en
assumant le risque de double effet, en dépit du respect de la vie.
- Des questions pour nous, chrétiens : quel sens donner à l’autonomie, la dignité, la
responsabilité devant la création ? Que signifie l’homme créé à l’image de Dieu ? Comment
se dit la Parole ? Peut- on décider de manière « responsable », devant Dieu, de notre mort ?
- Des questions pour nous protestants : qu’est- ce que la résurrection et la vie
éternelle, pour que nous souhaitions réussir notre mort plutôt que répondre devant Dieu de
notre vie, de la grâce qui nous est faite ? « D’abord se vider de tout souci de son propre
salut », nous dit Calvin ! C’est ce que P. Ricoeur évoque dans ses derniers écrits : réussir sa
mort est avant tout vivre sa vie jusqu’au bout, « être vivant jusqu’à la mort », « oscillant entre
lutte, appétit de vivre, et grâce de l’insouciance », ce qu’il nomme la « gaîté » !
Mais allons plus loin: sommes- nous capables de transgression, exceptionnellement, en
conscience, en assumant la faute, s’il s’agit d’un geste de compassion extrême ? Parce qu’il
s’agit de rester humble et vulnérable devant celui qui souffre, une « grâce qui coûte », nous dit
le théologien D.Bonhoeffer…
- En tant que médecin protestant, je pense souvent au reniement de Pierre : c’est en
ayant compris sa propre lâcheté, vulnérabilité, ses propres limites et son incapacité à
accompagner la souffrance du Christ dans ses dernières heures, qu’il parvient, enfin, à le
suivre vraiment… sur un chemin qu’il n’avait pas prévu ! Abandonner le visage qui nous
interpelle quand tout va mal, ne plus se sentir « responsable » de sa vie, m’évoque le
reniement de Pierre. La tentation de l’euthanasie ne serait- elle pas de cet ordre là ?
L’abandon spirituel du patient, dont la vie ne serait plus qu’immanence, de valeur
contingente, voire utilitariste, de l’homme ? Et sa demande alors d’en finir ne ressemble-t-elle
pas à la parole empreinte de tristesse du Christ abandonné au Mont des Oliviers « Ainsi, vous
n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi… »
…
« J’ai mis devant toi la vie et la mort, choisis la vie ! »