Lorsqu`on réfléchit quant à notre condition en tant qu`artiste

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Lorsqu`on réfléchit quant à notre condition en tant qu`artiste
Lorsqu’on réfléchit quant à notre condition en tant qu’artiste, plusieurs questions existentielles nous viennent en tête. La scolarité nous permet d’explorer ces interrogations dans les conditions d’un cocon idéal : une réflexion non biaisée par la réalité du milieu, carrière, copinage, argent ou encore « politique ». Cette réflexion est basée, en théorie tout du moins, sur la création artistique en tant que telle, comme un laboratoire d’expériences à emmagasiner avant « d’affronter » le monde réel. Ces questionnements sont les suivants : Qui suis-­‐je ? Quel artiste, quel comédien suis-­‐je ? Quelle est ou doit être ma position, mon intégrité en tant qu’artiste ? Quelles est ma responsabilité de monter sur scène ? Qu’est-­‐ce que je défends ? (TRES IMPORTANT). Quel théâtre fais-­‐je, et quel théâtre veux-­‐je et vais-­‐je faire ? Comment vais-­‐je m’y prendre ? Bien d’autres questions pourraient être formulées, mais contentons-­‐nous de celles-­‐là pour l’instant, il y a déjà beaucoup de travail. D’ailleurs nous ne reprendrons pas ces questions. Déjà parce que je pense qu’il n’y a pas de réponse, mais surtout parce que le fait de les poser est déjà suffisant. Prendre conscience de ces questionnements, et trouver grâce à l’environnement que nous propose une école, des pistes, des chemins, sans y répondre. Cette recherche et ce questionnement en soi nous permet d’avancer, de nous remettre en question, de reculer, de comprendre des choses, d’en désapprendre d’autres. En somme, de BOUGER. Il faut bouger pour s’améliorer que ce soit dans une réflexion aussi intellectuello-­‐métaphysique que concrètement dans un mot d’une phrase, d’une réplique, d’une scène, d’une pièce : il faut bouger. Le pluralité des enseignements et des rencontres, que ce soit humainement ou artistiquement, entre élèves (je n’aime pas le terme d’élèves, il me ramène trop au lycée), disons « artistes en devenir ». Entre artistes en devenir ou intervenants, nous oblige à bouger, à admettre la différence, et à comprendre les lacunes que nous pouvons avoir, nos gouffres à travailler. Tout l’intérêt d’une école est là, créer un lexique commun, un groupe qui avance comme un rouleau compresseur, qui se forge de par ses unités individuelles et son énergie de troupe, de collectif, de famille. On apprend à se connaître dans nos qualités comme dans nos défauts, et on se porte mutuellement pour grandir ensemble. Et pour cela, il ne faut pas égoïstement demander et prendre au groupe, il faut lui apporter, il faut lui donner, tout en respectant chacun. Il faut donc vivre en dehors du groupe et ne pas en être aveuglément dépendant. Il est difficile, comme dans une relation amoureuse, de trouver sa place sans marcher sur l’autre, tout en gardant une indépendance. Pour revenir sur la question de la nécessité de monter au plateau, je pense qu’elle est centrale dans notre formation, mais aussi dans l’ensemble de notre vie artistique. On entend souvent « faire comme si c’était ta dernière phrase avant de mourir ». Le problème est que si on prend cette vérité à la lettre on peut se faire mal, mais aussi si c’était mon dernier acte sur cette planète, il ne serait pas sur un plateau, ou s’il l’était, ce serait le plateau du théâtre de la vie. Trouver sa nécessité donc. Quel feu bout en moi pour que je sois obligé de dire ça maintenant ? pour la partie artistique. Pour la partie politique maintenant : quel est mon désir, mon devoir à faire passer quand je joue devant une salle pleine ? Quel est mon rôle dans l’histoire du théâtre et de l’humanité lorsque j’arrive sur ces planches ? Pas de réponse bien sûr. Des pistes évidemment, mais pas de réponse. Ce serait triste s’il y en avait une. Une question qui m’est apparue durant le phalanstère est celle des limites. Est-­‐il toujours bon de faire bouger, au risque de mal faire bouger ? Et si, à cette occasion, j’aurais préféré ne pas bouger ? Y a-­‐t-­‐il des limites à ne pas franchir au nom de l’art ou de l’expérience ? Je pense qu’elles sont propres à chacun et qu’elles évoluent tout au long de notre vie. Attention donc, à ne pas violenter autrui : « La liberté s’arrête là où commence celle des autres ». Un nouveau questionnement est apparu au cours de la résidence à la Chartreuse : comment ce que je fais sur scène peut faire bouger des choses concrètement ? Est-­‐ce d’ailleurs son but au fond ? Par rapport à l’actualité par exemple. Comment un artiste peut changer les choses, peut-­‐il ? Est-­‐ce encore possible aujourd’hui ? De quelle manière ? Quel est mon combat ? Comment faire entendre la voix de ma génération aussi ? Quelle est-­‐elle d’ailleurs cette voix ? Comment faire pour que ceux qui entendent cette voix ne soient pas que des habitués qui fréquentent cyniquement les salles sans réellement même écouter le fond de ce qui peut leur être dit ? Oui, ça fait une tonne de questions sans réponse, mais je pense que le fait même de les énoncer est un début de réflexion. ATTENTION justement aussi à ne pas trop réfléchir. Il y a un temps pour se poser des questions, et un autre pour aller chercher ses tripes, et les deux ne sont pas compatibles. En tout cas pas simultanément. C’est d’ailleurs à cela que nous servent les cours de technique. Connaître notre instrument pour savoir quoi convoquer ou où aller chercher pour être dans tel état. L’école est donc une sorte de marmite bouillonnante dans laquelle on jette et saupoudre plein d’éléments pour se construire notre soupe d’acteur. Il faut être conscient également que les graines (innombrables) que nous plantons maintenant sont parfois récoltables immédiatement, mais elles mettent parfois plusieurs années à germer, et parfois elles ne germent jamais. Mais il ne faut pas être impatient de voir des résultats automatiques. Il faut voir à long terme. Pas facile.