L`analyse d`une photo - Raymond Depardon.pub

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L`analyse d`une photo - Raymond Depardon.pub
L’analyse d’une photographie : Raymond Depardon
Aujourd’hui je vais vous présenter une analyse photographique
moins technique qu’à l’habitude et orientée sur des réactions
relevées sur internet suite à la diffusion du portrait officiel de
François Hollande.
Le Président de la République a fait appel au monument du
documentaire, Raymond Depardon, pour réaliser son portrait officiel
fin mai 2012. Le fondateur de l’agence Gamma, aujourd’hui membre
de Magnum, a décidé de sortir le président de son bureau, pour se
démarquer du style de son prédécesseur. Pour préparer le shooting,
Depardon a utilisé un appareil réflex numérique dans des conditions
d'éclairage à la lumière naturelle. Pour éclairer de façon homogène
son sujet, le photographe a utilisé un panneau réflecteur, preuve
qu'il a eu besoin de lumière supplémentaire. Le portrait officiel, lui, a
été réalisé avec un Rolleiflex datant de 1962, appareil moyen format
argentique 6 x 6. Après Jacques Chirac, François Hollande est le
second président à choisir un portrait en extérieur. Contrairement à
ses prédécesseurs, Depardon, à la manière d'un reporter, réalise ce
François Hollande 2012 © Raymond Depardon
portrait à main levée en laissant son sujet avancer vers lui.
Raymond Depardon connaît bien François Hollande car il l'a déjà photographié en 2005 sur ses terres en Corrèze, à Tulle mais en noir et
blanc cette fois. Sur l’image qui sera finalement retenue Hollande se trouve en extérieur, semble assez détendu, en mouvement, l’angle et la
focale rendent le sujet assez fluet, les drapeaux sont clairement en arrière plan et le format est un carré. D’un point de vue photo et
symbolique, nous sommes donc en rupture avec le portrait de Nicolas Sarkozy, plus solennel, et plus proche de celui de Jacques Chirac
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immortalisé en 1995 par Bettina Rheims. Notons que Raymond Depardon a renoncé
à ses droits d’auteur au profit de la Documentation Française, qui a cependant été
prise par surprise par les fuites de la photo officielle sur Twitter.
Rarement une photo a suscité autant de critiques et d’analyses. Certainement
parce qu’il s’agit d’une des photographies les plus attendues, et par là, l’une des
plus symboliques pour notre pays. Je me suis amusé à relever diverses réactions
sur la toile la plupart étant émises par des portraitistes renommés. Compliqué me
direz-vous de critiquer le grand Raymond, et pourtant vous allez le voir, certains ne
se gênent pas. Ce portrait est depuis toujours très controversé, il y a au-delà de
l’image parfois un conflit de positionnement politique qui fait qu’on ne peut trouver
bien ce qui concerne la partie adverse. D’autres font abstraction de leurs
convictions politiques et analysent sincèrement le travail du photographe et le
message…
Mon analyse :
Personnellement, et sans considérations politiques, mais uniquement esthétiques,
ce carré me plait assez pour sa simplicité et le sentiment de proximité qu’il dégage.
Pourtant deux choses me gênent un peu. D’abord le clair-obscur un peu trop
Jacques Chirac 1995 © Bettina Rheims
présent à mon goût, avec en première partie une ombre prononcée et en arrière plan une surexposition assez vive qui compliquent la lecture
de l’image. Ensuite, le détail le plus gênant selon moi est l’orientation du drapeau français fait penser à celui des Pays-Bas. Vu l’orientation
du drapeau Européen, je ne m’explique pas pourquoi les bandes tricolores sont verticales et non horizontales. Ce détail est sans doute une
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affaire « hollandaise » me direz-vous (Rires). Par contre je remarque que l’idée du drapeau Européen, dont la présence à côté du drapeau
national a été instaurée pour la première fois par Nicolas Sarkozy, est reprise pour la seconde fois.
Hollande prend clairement un contre pied délibérément par rapport à la posture de
Sarkozy, en choisissant l’extérieur plutôt que l’intérieur, et une attitude animée et
décontractée plutôt qu’une position figée et rigide. En même temps sur cette image
l’actuel Président apparaît aussi comme l'anti-Chirac, si on laisse de côté le point
commun d’être le seul avant lui à avoir pris la pose dans le jardin de l’Élysée. La
pose pour Chirac était mains derrière le dos dans un immobilisme absolu, sauf la
tête légèrement penchée amenant une forme d’atténuation à la rigidité de la
posture. Cette position de Chirac pouvait traduire pour certains, l’image d’un esprit
conservateur, alors que Hollande est lui aussi dans le jardin, mais en mouvement.
Le seul problème induit par ce choix est celui des mains, dont on voit bien qu'il ne
sait quoi en faire. Le choix de poser dans le jardin explique sans doute cette
situation, les placer derrière soi ou dans une poche, c'était apparaître immobile, or
le choix de la pose, suggérant un mouvement obligeait le modèle à se présenter
mains apparentes.
Les critiques positives :
« Ce portrait est l’antithèse de celui de Nicolas Sarkozy réalisé par Philippe Warrin,
photographe officiel de la Star Academy. On est en extérieur avec un arrière-plan
dégagé, des tons plutôt neutres, des ombres atténuées et les drapeaux de la
Nicolas Sarkozy 2007 © Philippe Warrin
République et de l’Union européenne, tout au fond, font de la figuration. Le corps
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est centré dans un carré, tourné vers la gauche. L’homme est souriant mais d’un sourire bienveillant et presque surpris de se voir ici, avec
une main droite un peu gauche. Mais, il ne faut pas s’y tromper, dans ce léger flottement, le costume tranche nettement avec le cadre plutôt
bucolique, la tête est haute et le regard bien en face, un regard qui s’affirme. De nos jours, avoir de la simplicité est aussi une très grande
audace... même en photographie. »
« Ce qui me frappe le plus dans cette image, c’est l’impression de mouvement. C’est un Président qui vient vers nous. François Hollande ne
regarde pas le fond de l’objectif pour avoir le regard plus profond. Il regarde Raymond. Ce n’est pas un regard de communicant, mais un
regard qui s’intéresse à l’autre. »
« C’est une image carrée et cadrée ; sincère et rassembleuse. »
« Cette rencontre photographique avec notre président normal est en totale conformité avec les messages de simplicité, d’humilité mis en
avant en ce début de quinquennat et l’expression parfaitement
maîtrisée d’une communication. »
« Je la trouve pas mal. C’est un portrait moins posé, moins
académique que les précédents. En cela il me rappelle la photo de
Valéry Giscard d'Estaing prise en 1974 par Jacques-Henri Lartigue.
Il est assez efficace, avec un format carré qui revient en force, très
à la mode. C’est une image élégante qui tient beaucoup aux mains
du président. »
« On est loin de la bibliothèque, référence empirique. Ici, le petit
vent parisien du 8ème arrondissement invite au casse-dalle
champêtre. Au final, la légèreté présente dans ce portrait
quinquennal est un parti pris assez perspicace. En cette période de
tension étouffante, on a tous besoin d’un bon grand bol d’oxygène
pour respirer. »
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Valéry Giscard d'Estaing 1974 © Jacques-Henri Lartigue
L’analyse d’une photographie : Raymond Depardon
« François Hollande semble proche de son peuple sur cette image.
Son attitude est moins sophistiquée que celle observée sur les
précédents portraits officiels. Il pourrait presque être en train de
marcher vers nous, juste un instant arrêté pour les besoins d’une
photo furtive. Cette image me raconte une histoire assez douce,
rassurante, humaine, sincère. »
« C’est une commande, un président normal se doit d’avoir une
photographie humaniste et amoureux de la France rurale. Avant
d'être une image, cette photographie de François Hollande est un
outil. »
« C’est moins posé que dans le passé. Elle est simple, voire
apaisante. Cela fait du bien d’avoir de l’air autour du Président, on
respire. Je lui trouve quelque chose de simple et d’efficace. Le
format carré marche très bien. C’est sûrement pour cela qu’elle est
autant reprise sur Internet. Les gens se l’approprient car c’est un
Shooting : Raymond Depardon avec un reflex numérique © Magnum photos
format utilisé sur plein de téléphones portables grâce à certaines
applications. »
Les critiques négatives :
« La seule chose à retenir, c'est le drapeau européen qui me semble symboliser quelque chose d'important pour l'avenir. C'est compliqué de
faire une photo officielle. La seule réussie, c'était celle de Valéry Giscard d'Estaing par Jacques-Henri Lartigue, qui témoignait, alors, d'une
certaine modernité. »
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L’analyse d’une photographie : Raymond Depardon
« Hollande, comme beaucoup de personnes dont on réalise le portrait, ne sait pas quoi faire de ses mains. Ici, les yeux ne regardent pas
franchement le photographe, on a donc droit à un regard un peu off, hors-champ. Les mains sont là, maladroites, comme celles d’un petit
garçon qui n’est pas à sa place. Aussi son costume plisse car il est peut-être très légèrement trop court pour lui. Enfin, les deux pieds ne
sont pas au même niveau, comme s’il était sur un dénivelé. Résultat : les épaules, les bras et donc les mains contribuent à cette posture
inhabituelle pour un chef d’Etat. »
« Cette image est surprenante : bras un peu ballants, un peu
maladroits, mains relâchées, position du corps atypique et pas
forcément adaptée aux valeurs que véhicule la fonction de
Président. »
« C’est à coup sûr le portrait officiel le moins solennel de tous les
présidents : une posture un peu empruntée, les bras ballants avec
un léger déséquilibre, un décor quasi champêtre, le palais de
l’Elysée à distance, un costume pas tout à fait ajusté avec quelques
plis apparents... »
« Le fond surexposé et désaturé ressemble à un papier peint, à une
belle perspective à plat pleine de symboles malgré la pelouse non
tondue. »
« C’est un carré complexe avec les ombres de la pelouse
légèrement envahissantes, la ligne d’horizon assez haute, les lignes
de fuite diverses, le placent au centre d’un équilibre compliqué. »
Shooting : Raymond Depardon avec le réflecteur © Magnum photos
« Le cadre de la photo reste bien trop classique et fait penser à une
photo de mariage, il manque juste la mariée à ses côtés. »
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L’analyse d’une photographie : Raymond Depardon
Les critiques mitigées :
« Les portraits de Chirac et Hollande les montrent dans le
cadre verdoyant du jardin, mais cette fois le plan est plus
large et le sol très présent, moins gazon que pâturage, on
s’attendrait presque à voir apparaître une vache. »
« Une des qualités principales de Raymond Depardon, est
de ne pas se complaire dans sa photographie. Il a donc
tenté le mouvement, quitte à départir un peu l’homme
d’Etat de sa stature. François Hollande est là, dans les
jardins de l’Elysée, content mais presque surpris luimême. En arrière-plan, l’Elysée est cramé de soleil.
François Hollande est dans l’ombre, c’est le choix d’une
lumière compliquée qui détache l’homme des attributs de
son exercice. La promenade est sûrement douce pour cet
homme tellement normal qu’on se demande si c’est
Shooting : Raymond Depardon avec son Rolleiflex © Magnum photos
réellement là qu’est sa place. »
« Pour ce portrait, les photographes semblent avoir le choix entre la bibliothèque et le jardin. Seul Jacques-Henri Lartigue a pu sortir de
cette règle pour Valéry Giscard d’Estaing. Le plus curieux, c’est que Giscard avait commandé à Depardon un film sur sa campagne et en
avait ensuite bloqué la diffusion, tellement l’image que lui renvoyait Depardon lui était pénible. »
Squal
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