L`envie de mourir, l`envie de vivre – Un autre regard sur les

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L`envie de mourir, l`envie de vivre – Un autre regard sur les
L’Encéphale (2013) 39, 454
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
NOUS AVONS LU POUR VOUS
L’envie de mourir, l’envie de vivre — un autre
regard sur les adolescents suicidants, P. Alvin.
Éditions Doin (2011)
Tout médecin de l’adolescent s’est un jour retrouvé, du
fait de l’inquiétude d’un tiers, de la sienne propre ou de
celle même de son jeune patient, devant l’obligation de
mesurer un risque suicidaire. Face à la réalité si mouvante,
si complexe et parfois si inconfortable d’un sujet en train
de se construire, tenter de saisir les facteurs d’une possible
bascule vers la détresse, cela a toujours quelque chose de
vertigineux.
Le livre de Patrick Alvin est traversé de cette tension
entre ce qu’il est possible de penser collectivement du
suicide des adolescents et la nécessité de réaffirmer la singularité de chaque histoire. Il n’en veut pas plus que cela
aux statistiques. Elles ne sont qu’une tentative imparfaite
de mettre en ordre l’impensable, de limiter l’effet de chaos
que soulève l’envie de mourir chez ceux qui semblent encore
avoir si peu vécu. Au passage, toutefois, le chapitre qu’il
leur consacre, l’auteur tord le cou à bon nombre d’entre
elles : on ne se suicide pas plus à l’adolescence que plus tard
dans la vie, pas plus qu’il y a 30 ans, plutôt moins, et surtout,
thème fondamental dans son livre, le passage à l’acte est
rarement significatif d’une entrée dans la maladie mentale.
D’ailleurs, il exprime nettement la grande difficulté à
présenter un panorama univoque des tentatives de suicide
des adolescents et sa méfiance vis-à-vis des réponses trop
hâtive de ceux qui « ne supportent pas l’énigme ». Citant
André Haim, il écrit : Aucun facteur ne pouvant être la cause
de tous les suicides, la tentation est grande d’ériger au rang
de cause, l’adolescence elle-même1 .
Et malgré la fréquence de thématiques familiales pour le
moins troublées, ce ne saurait être un facteur prédictif.
Alors, si les statistiques sont menteuses, la clinique incertaine, que reste-t-il ? Il reste la pratique. Et c’est tout
l’intérêt de la seconde partie de son ouvrage : inciter chacun
de nous, plutôt qu’à chercher un hypothétique axe unique,
à considérer quelles sont les conditions nécessaires pour
qu’une parole adolescente se déploie, pour que cette histoire, un instant figée dans un acte si scandalisant, puisse
se remettre en mouvement. S’il est hasardeux de réduire le
suicide à une typologie des facteurs de risque, il reste néan-
1 Haim A. Les suicides d’adolescents. Paris: Payot, coll. « science
de l’homme », 1969: p. 246.
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http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.02.005
moins vital d’offrir un cadre où celui-ci pourra être abordé
de façon résolument soignante.
Affaire de spécialiste ? Pas sûr. L’auteur, tout en faisant
une large place au bilan du service de médecine pour adolescents de Bicêtre, plaide pour que chacun de nous se saisisse
de la prévention et de l’accompagnement. Il insiste sur la
place que peut prendre, parmi tous les acteurs, ce généraliste d’enfance qu’est le pédiatre, du fait de la fréquence
corporelle des plaintes entourant les dispositions suicidaires
à cet âge. Le recours immédiat à la pédopsychiatrie, ou
pire, au traitement médicamenteux d’emblée, a pour revers
considérable de signifier à l’adolescent qu’il est malade de
ses affects et au médecin qu’il n’aurait rien à faire avec les
sentiments de ses patients.
À la lumière de son expérience, Patrick Alvin nous
invite à considérer qu’à peine 10 % d’adolescents suicidants souffrent de réelle pathologie psychiatrique et que
les autres sont surtout en attente d’une rencontre. Face
à la riche palette d’histoires présentées dans l’ouvrage,
l’auteur plaide pour que les réponses proviennent de multiples horizons, chaque pratique offrant une opportunité de
faire pierre de résilience. D’autant que peu d’adolescents
honorent les rendez-vous que l’on a fixés pour eux auprès
d’un psychiatre.
S’il n’y a pas à proprement parler de recettes pour
prendre en charge un adolescent suicidant, il y a néanmoins
des préalables indispensables : oser poser sans ambages,
sans passion, mais avec intérêt la question de l’idée suicidaire et poser des contrats clairs avec nos jeunes patients.
Ce livre déconcertera sans doute le praticien habitué aux
protocoles. Mais c’est bien toute la valeur de cet ouvrage
que de rappeler qu’en matière de souffrance psychique,
il n’y a pas d’autre recette réellement thérapeutique que
d’accepter de se laisser déconcerter. C’est le prix à payer
pour pouvoir, un temps, accompagner les adolescents vers
une autre issue que le suicide.
Un appel à la maïeutique, bien au-delà de la prescription.
E. Pino
Éducation nationale, 29120 Pont l’Abbé, France
Adresse e-mail : [email protected]
Disponible sur Internet le 27 juin 2013

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