La Politique Agricole Commune: Problèmes et

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La Politique Agricole Commune: Problèmes et
Santé. Solidarité. Démocratie.
La Politique Agricole Commune:
Problèmes et alternatives
Qu’est ce que la Politique
Agricole Commune (PAC)?
Cinq ans seulement après la signature du traité
de Rome en 1957, qui fonda la Communauté
Européenne, l’agriculture devint une compétence de
la Communauté Européenne: La Politique Agricole
Commune était née.
Dès ses débuts, la PAC a quatre objectifs
principaux:
• Accroître la productivité de l’agriculture;
• Garantir la sécurité alimentaire pour tous les
Européens;
• Soutenir les revenus agricoles pour permettre
l’amélioration du niveau de vie des agriculteurs
et les aider à investir sur leur exploitation ;
• Offrir aux consommateurs des produits
alimentaires de bonne qualité à des prix
raisonnables.
La PAC de 1962 est fondée sur le principe de
préférence communautaire, c’est à dire que la
priorité doit être donnée aux produits issus de
l’agriculture européenne plutôt qu’aux importations.
Ce principe est réalisé via des tarifs douaniers
relativement élevés et un système de quotas
d’importation pour les produits issus de pays tiers ; à
l’intérieur de la Communauté, les produits agricoles
circulent librement. De plus, chaque secteur de
production est régulé par une Organisation
Commune de Marché (OCM).
L’intervention publique est très limitée pour
certaines OCM (notamment pour les produits issus
du Sud de l’Europe et pour les secteurs dont la
production était déjà très soutenue dans les années
1960, comme les fruits et légumes, le porc, les oeufs,
la volaille). Au contraire, d’autres produits
considérés comme stratégiques reçoivent un soutien
public plus fort (céréales, lait, viande bovine,
sucre,...) .
Le « soutien à l’agriculture » utilise les
instruments suivants:
• des prix garantis
• une intervention publique sur les marchés
lorsque les prix passaient en dessous du seuil du
prix garanti
• des aides à l’exportation
La PAC de 1962 exclut cependant une
catégorie de produits de la préférence
communautaire : l’alimentation animale1. Les
aliments destinés aux animaux d’élevage sont
autorisés depuis 1962 à entrer sur le marché
européen sans aucune taxe douanière ni quota
d’importation. Cette décision est le résultat des
pressions combinées du gouvernement américain de
l’époque (les Etats-Unis étaient le premier
producteur d’alimentation animale) et des firmes qui
en Europe s’occupaient du commerce de
l’alimentation animale.
ans une période où la production européenne
ne couvrait pas encore tous les besoins
alimentaires de la population, une telle mesure
pouvait également permettre d’augmenter la
production de céréales et de produits animaux en
libérant des terres et en offrant un
approvisionnement bon marché aux élevages.
D
Mais les conséquences de cette mesure
dépassèrent les attentes et furent à l’origine de
nouveaux déséquilibres: dès les années 1970, la
Communauté Européenne devait écouler des
surplus énormes de viande de bœuf, de porc, de lait,
de sucre, de céréales et de poulets. Dans le même
temps, la dépendance de la Communauté vis à vis de
l’alimentation animale s’aggravait1. Les régions
traditionnelles d’élevage virent les exploitations se
déplacer vers les environs des ports, pour se
rapprocher des lieux d’approvisionnement, créant
ainsi des zones entières d’élevage intensif.
La surproduction tirant les prix vers le bas, la
Communauté Européenne devait intervenir
massivement sur le marché pour maintenir les prix à
un niveau acceptable. La Communauté, ne sachant
que faire de ces stocks alimentaires qui minaient le
marché agricole, préféra vendre ces produits à prix
cassés sur les marchés extérieurs. Les subventions à
l’exportation jouèrent donc un élément clé de ce
système. A la fin des années 1980, les déséquilibres
de la Politique Agricole Communes étaient devenus
criants.
L’Organisation Mondiale
du Commerce entre
dans la ronde . . .
Le Cycle de l’Uruguay de l’Accord Général sur
les Tarifs et le Commerce (GATT) – l’ancêtre de
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) – fut
lancé en 1986. Pour la première fois, les
négociations commerciales touchaient directement le
secteur agricole.
Comme nous l’avons dit, il ne fait pas de
doutes que la PAC devaient être réformée pour
répondre aux besoins nouveaux des sociétés
européennes. Le dumping notamment devait cesser.
Certains instruments ont été mis en place dans les
années 1980 pour tenter de maîtriser la production,
par exemple pour le lait (quotas laitiers établis en
1984) et les céréales (prix d’intervention garanti
seulement jusqu’à un certain niveau de production),
et sont parvenus à maintenir les prix à un niveau
acceptable pour les producteurs.
Cependant, l’industrie agro-alimentaire et la
grande distribution, qui profitent en premier lieu de
la baisse des prix agricoles (elles peuvent acheter
leurs « matières premières » à prix cassés tout en
continuant à vendre leurs produits finis au même
prix, et donc accroître leurs marges) étaient très
opposées à ces mesures.
Par ailleurs, les firmes multinationales faisaient
fortement pour la libéralisation des échanges
internationaux, car elle leur permet de gagner des
marchés au détriment des producteurs et des
commerçants locaux.
L’avènement de l’Organisation Mondiale du
Commerce, qui a pour rôle principal l’ouverture des
marchés, a largement contribué à faire triompher
leurs vues : à partir du début des années 1990, les
politiques agricoles sont de plus en plus déterminées
par les règles du commerce international et non plus
selon l’intérêt des populations.
La PAC n’a pas fait exception : les réformes de
1992 et de 2003 ont pour but principal d’
« encourager la compétitivité de l’agriculture
européenne pour gagner des marchés à l’étranger. »
La réforme de 1992:
s’adapter aux règles du
commerce international
La première réforme importante de la PAC est
adoptée en mai 1992, et ouvre la voie, quelques mois
plus tard, à l’Accord de Blair House entre l’Union
européenne et les Etats-Unis, suivi de l’Accord de
Marrakech2 par lequel l’Organisation Mondiale du
Commerce est créée.
La nouvelle PAC est basée sur un mécanisme
simple: remplacer les aides à l’exportation par des
paiements directs pour continuer à exporter les
produits agricoles européens en dessous des prix des
productions.
vant 1992, les prix au sein de l’Union
Européenne étaient soutenus grâce aux tarifs
douaniers et au mécanisme d’intervention sur le
marché. Les produits européens étaient vendus à des
prix beaucoup bas sur les marchés extérieurs, la
différence étant couverte par les aides à
l’exportation.
Après 1992, il s’agit de diminuer les prix à
l’intérieur de l’UE de façon à ce qu’ils rejoignent
progressivement les prix mondiaux. Pour maintenir
le niveau de revenu des paysans, des paiements
directs sont établis. Les aides à l’exportation restent
très importantes.
Ce système est très proche de celui qui prévaut
aux Etats-Unis ave les “deficiency payments”. Les
prix agricoles ont dégringolé après le démantèlement
de l’intervention publique et des barrières
A
douanières. Pour préserver une production agricole,
le gouvernement a mis en place des « aides de
compensation » qui couvrent la différence entre les
coûts de production réels et les prix, beaucoup trop
bas. De plus, les Etats-Unis offrent des prêts très
avantageux aux acheteurs des produits agricoles à
l’étranger. Ces prêts agissent de la même façon que
des aides à l’exportation.
Les conséquences
de la nouvelle PAC
Pour les paysans dans les pays tiers: Les pays
tiers critiquaient à raison la PAC, du fait des aides à
l’exportation qui entraînait le dumping des produits
agricoles européens sur leur marché3. Ils
demandaient que ce dumping, c’est à dire la vente
d’un produit un prix inférieur au coût de
production, cesse. Or, les paiements directs, en
entraînant la baisse des prix agricoles européens sous
les coûts de production, ne règlent en rien le
problème. De plus, la baisse des prix au niveau
mondial touche durement les petits producteurs du
Sud, aggravant la pauvreté rurale.
Pour les paysans européens: Les plus grosses
exploitations reçoivent 80% des subsides agricoles.
Les petites fermes sont elles durement touchée par la
baisse des prix, alors qu’elles ne reçoivent que très
peu d’aides. Beaucoup de petits paysans jettent
l’éponge et la concentration s’accélère dans le secteur
agricole, laissant un nombre croissant de personnes
sans emploi et aggravant la désertification rurale.
Pour les consommateurs: La baisse des prix
agricoles ne bénéficie en rien aux consommateurs.
Par exemple, alors qu’entre 1992 et 2002, le prix du
blé a été divisé par deux, le prix du pain a continué à
augmenter. De plus, avec la mondialisation du
commerce agricole, il devient de plus en plus difficile
pour les consommateurs de savoir d’où viennent les
aliments et dans quelles conditions ils ont été
produits.
Pour l’environnement: L’ouverture des
marchés a entraîné le développement des
monocultures au détriment de la biodiversité. La
mondialisation de l’approvisionnement alimentaire
augmente le transport des denrées, et donc le
gaspillage énergétique et les rejets de gaz carbonique.
L’industrialisation de l’agriculture signifie plus de
pesticides, plus de nitrates et des conditions pires
pour les animaux d’élevage.
Pour les firmes multinationales: Les firmes
multinationales agroalimentaires et de distribution
sont les principales bénéficiaires de la réforme de la
PAC. Elles achètent leurs « matières premières » à
prix cassés et peuvent ainsi augmenter leurs profits.
L’ouverture des marchés leur permet de délocaliser
la production dans des pays où les conditions
sociales et environnementales sont moins
contraignantes, pour ensuite réexporter leurs
produits vers les pays riches.
Par exemple, les firmes de poulet industriel
délocalisent vers le Brésil; ces poulets sont revendus
en Europe à des prix qui ne permettent pas aux
éleveurs européens de résister.
La réforme PAC de 2003
Pendant le cycle de Doha de l’OMC, la stratégie
de l’Union Européenne est de prétendre faire des
concessions dans le secteur agricole pour obtenir des
pays du Sud des concessions « similaires » dans les
secteurs des services et de l’industrie. Ce n’est donc
pas une surprise que la PAC ait été réformé juste
quelques mois avant le sommet de l’OMC de
Cancun en septembre 2003.
Le “découplage des paiements” est au cœur de
cette réforme. Les partenaires commerciaux de
l’Union Européenne critiquaient à juste titre les
paiements directs comme facteur de dumping et
d’injustice sur les marchés internationaux.
epuis 1992, les paiements directs étaient
calculés en fonction du niveau de production
de chaque agriculteur. Avec le découplage, les
paiements ne seront plus liés au niveau de
production mais à des références historiques.
Autrement dit, un agriculteur qui ne produit plus
rien en 2005 peut encore recevoir les même
paiements qu’en 2002.
La Commission européenne prétend que les
paiements découplés n’ont pas d’effets sur les
marchés et sur les prix. Cependant, un agriculteur
gardant la même activité continuera à recevoir le
même montant d’aide et pourra don continuer à
vendre ses produits sous les coûts de production.
Cette nouvelle réforme pose plusieurs
problèmes. Tout d’abord, elle gèle les inégalités dans
la distribution des paiements directs. Ensuite, elle
diminue la légitimité de l’intervention publique dans
l’agriculture : pourquoi certaines catégories
professionnelles devraient-elles recevoir des « aides »
alors qu’elles n’ont rien à faire en retour ? Enfin,
D
pour beaucoup de producteurs dont les coûts de
production sont supérieurs aux prix agricoles, il n’y a
plus aucun intérêt à produire.
Seules les unités qui produisent à des coûts
minimaux – parce que leurs conditions sociales et
environnementales sont aussi minimales – pourront
résister, accélérant la tendance à l’industrialisation et
à la concentration agricole. Cette réforme mène
donc à moins d’emplois agricoles et à une
désertification rurale accrue.
L’Europe a besoin d’une
autre politique agricole
Un nombre de plus en plus important de
citoyens européens s’inquiètent de l’évolution de
l’agriculture et de la qualité de l’alimentation. Les
maladies de la vache folle et de la fièvre aphteuse ont
fait prendre conscience aux consommateurs des
risques d’une production alimentaire basée sur le
modèle industrielle de la compression des coûts. Les
gens ont dors et déjà connaissance des conséquences
pour l’environnement d’une agriculture
productiviste.
La PAC est donc sous le feu des critiques.
Certains dirigeants politiques en viennent même à
proposer le démantèlement complet de la Politique
agricole commune et affirment que « le libre-marché
doit guider la production agricole ». Ce serait bien
sûr la pire solution tant en terme d’emploi,
d’environnement que de développement rural.
es politiques agricoles doivent changer pour
s’adapter aux attentes nouvelles des sociétés
européennes, pas pour répondre aux « besoins » d’un
supposé marché mondial. Le dumping doit cesser
pour que notre agriculture ne soit plus synonyme de
ruine pour nos voisins.
Pour toutes ces raisons, les politiques agricoles
en Europe devaient fonder sur le respect du droit de
souveraineté alimentaire.
Pour cela, il est nécessaire de:
• Maîtriser la production – les niveaux de
production doivent correspondre aux besoins
de la population européenne;
• Cesser toutes les aides à l’exportation;
• Intervenir sur les marchés de façon à ce que
les prix agricoles correspondent aux coûts de
production moyens en Europe;
• Mettre en place des politiques qui empêchent
la concentration agricole;
L
• Réguler les importations – Le marché
européen doit pouvoir être protégé des
importations agricoles à bas prix;
• Des subsides doivent être maintenus pour
aider les agriculteurs à mettre aux normes
environnementales leur exploitation, pour aider
les jeunes à s’installer et pour soutenir les
exploitants dans les régions défavorisées. A
partir du moment où l’UE abandonne son
orientation agro-exportatrice, les subsides
agricoles n’ont plus pour conséquence de
vendre les produits agricoles à prix de dumping.
Ils retrouvent une forte légitimité sociale et
environnementale.
Vous pouvez agir!
• Contacter les députés européens de votre
région et demander-leur de prendre position an
faveur de la souveraineté alimentaire en
Europe;
• Ecrivez à la commissaire à l’agriculture
Mariann Fischer Boel pour demander à la
Commission de réformer la PAC en accord
avec la souveraineté alimentaire;
• Soutenez l’agriculture paysanne. Par
exemple, vous pouvez acheter vos aliments
directement chez le producteur ou sur un
marché fermier.
Références
1
CPE, Alimentation animale: un problème central de
la politique agricole commune, Mars 2003,
www.cpefarmers.org
2
L’Accord de Marrakech est l’accord commercial
multilatéral qui clôt le Cycle de l’Uruguay. L’Accord
Général sur les Tarifs et le Commerce (GATT en anglais)
est remplacé par l’Organisation Mondiale du Commerce
(OMC).
3 Les aides à l’exportation sont des subventions
payées par l’Etat, ou dans le cas présent l’Union
Européenne, pour les produits exportés. Elles ont pour
conséquence que le produit est vendu moins cher que
le prix réel, et souvent moins cher que le coût de
production. De cette façon, les aides à l’exportation
créent du dumping.
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