Dossier thématique

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Dossier thématique
Mise au point
Obésité
Presse Med. 2010; 39: 960–968
ß 2010 Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.
en ligne sur / on line on
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www.sciencedirect.com
Dossier thématique
Prise en charge de l’obésité de l’enfant
Béatrice Dubern
Hôpital Armand-Trousseau, service de gastroentérologie et nutrition pédiatriques, 26,
avenue du Dr-Arnold-Netter, 75012 Paris, France
Correspondance :
Disponible sur internet le :
7 juillet 2010
Béatrice Dubern, Hôpital Armand-Trousseau, service de gastroentérologie et
nutrition pédiatriques, 26, avenue du Dr-Arnold-Netter, 75012 Paris, France.
[email protected]
Key points
Management of childhood obesity
Endocrine diseases (hypothyroidism, growth hormon deficiency,
hypercortisolism) are exceptional in obese children and are
searched only in case of short stature.
It is not necessary to test systematically glucose tolerance
(fasting glucose; oral glucose tolerance test) and lipids in order to
look for obesity related comorbidities.
Decreased caloric intake is the main goal for the treatment.
Ways to succeed need to be adapted to each child with pragmatism
and without dogmatism.
Goals for treatment are reasonable (stabilization of weight
excess).
Weight loss surgery in obese children may be discussed in some
cases with multidisciplinary expert team (doctors, surgeons,
psychologist. . .) and close collaboration between adults teams and
paediatricians.
T
Les causes endocriniennes (hypothyroïdie, déficit en hormone de
croissance GH, hypercorticisme) sont exceptionnelles et ne doivent
être cherchées que s’il existe une stagnation de la croissance
staturale.
Aucun examen complémentaire (glycémie à jeun, hyperglycémie
provoquée, bilan lipidique) ne doit être prescrit à titre systématique pour chercher une complication secondaire à l’obésité.
La réduction des calories ingérées est la pierre angulaire du
traitement. Les moyens pour y parvenir doivent être adaptés à
chaque enfant, avec pragmatisme et sans dogmatisme.
Les objectifs thérapeutiques doivent être raisonnables (stabilisation de l’excès pondéral).
L’indication de la chirurgie bariatrique chez l’enfant obèse doit
être discutée au cas par cas par des équipes multidisciplinaires
aguerries et expertes (médecins, chirurgiens, psychologues,
anesthésistes, diététiciens) avec une collaboration étroite entre
équipes adultes et pédiatriques.
et/ou d’une complication) mais aussi évaluation de l’alimentation, de l’activité physique et du profil psychologique afin
d’envisager une prise en charge thérapeutique spécifique et
adaptée à l’enfant.
960
out enfant qui vient consulter pour obésité doit bénéficier
d’une évaluation précise et méthodique. Celle-ci comprend
plusieurs étapes successives : évaluation clinique de l’obésité
(antécédents et histoire de l’obésité, recherche d’une cause
Points essentiels
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tome 39 > n89 > septembre 2010
doi: 10.1016/j.lpm.2010.04.017
Prise en charge de l’obésité de l’enfant
Évaluation clinique de l’obésité
chez l’enfant
Antécédents et histoire de l’obésité
L’existence d’une obésité familiale est un des premiers
éléments à recueillir à l’interrogatoire (poids et taille des deux
parents). De même, le poids maximum atteint antérieurement
ou les régimes alimentaires éventuellement suivis font partie
des questions à poser, car certains parents anciennement
obèses n’en parlent pas spontanément. La présence dans la
famille d’autres facteurs de risque vasculaire potentiellement
transmissibles doit également être notée (diabète, dyslipidémie, hypertension artérielle ou coronaropathie). Leur existence
majore le risque vasculaire ultérieur chez l’enfant et conduit de
ce fait à atteindre de meilleurs résultats thérapeutiques. Enfin,
les milieux socioéconomique et culturel doivent être précisés.
L’histoire de l’obésité de l’enfant doit ensuite être analysée
rétrospectivement. L’âge de rebond de l’indice de masse
corporelle (IMC) correspond à l’âge où il a été le plus bas avant
son ascension jusqu’à l’âge actuel (figure 1). Survenant normalement vers l’âge de 6 ans, ce rebond est souvent plus
précoce en cas d’obésité, s’amorçant habituellement vers l’âge
de 3 ans. Il n’est pas toujours très aisé de le situer avec précision
a posteriori. Il peut même être absent dans certaines obésités
morbides, l’IMC s’accroissant sans discontinuer depuis la naissance.
Le changement de couloir de la courbe d’IMC vers le haut est
souvent plus facile à détecter (figure 1). Il traduit une accélération de la prise pondérale qui, s’il survient avant l’âge de 6 ans,
correspond en fait au rebond précoce de l’IMC. Mais il peut
également succéder à un rebond précoce et se manifeste alors
par un décrochage vers le haut de la courbe. Dans ce dernier
cas, il s’agit de l’aggravation d’une surcharge pondérale préexistante qui peut coïncider avec un évènement particulier de
la vie de l’enfant.
La survenue d’une maladie pouvant avoir influé sur le développement ou l’aggravation de cette obésité, directement ou
par son traitement, est donc importante à connaître [maladies
réduisant l’activité physique telles que neuropathies, maladies
orthopédiques chroniques, etc., alitement prolongé ou utilisation de certains médicaments orexigènes tels que corticoïdes,
kétotifène (ZaditenW), anti-histaminiques, etc.]. Les facteurs
déclenchants ou aggravants contemporains de l’accélération de
la prise pondérale sont souvent incriminés par l’enfant et/ou sa
famille : divorce des parents, naissance dans la famille, décès,
stress émotionnel, etc. L’analyse de la courbe d’IMC permet
donc souvent de resituer à leur juste place des évènements
accusés d’avoir été responsables de la surcharge pondérale et
qui s’avèrent en fait ne pas coïncider avec celle-ci. Elle peut
également montrer qu’un incident désigné comme facteur
causal n’est en fait simplement qu’un élément aggravant
lorsqu’un rebond précoce (début véritable de la surcharge
pondérale) a précédé le décrochage de la courbe vers le haut
contemporain de l’évènement en question.
Enfin, le délai entre le début de la surcharge pondérale et la
consultation doit également être calculé. Il a une importance
pronostique car les résultats thérapeutiques sont d’autant
moins bons que l’obésité est ancienne.
Mise au point
Obésité
Évaluation du degré d’obésité
Le report de l’IMC sur les courbes de percentiles présentes dans
tous les carnets de santé, permet d’évaluer le degré d’obésité.
Il permet de distinguer les enfants en surpoids de ceux qui sont
obèses, selon que l’IMC soit en dessous ou au-dessus de la
courbe International Obesity TaskForce (IOTF) 30 [1]. Les calculs
du rapport du poids mesuré sur le poids attendu pour la taille et
du z-score de l’IMC sont deux autres méthodes utilisables. Le
poids attendu pour la taille correspondant au poids moyen
pour l’âge statural est cherché à l’aide des courbes de
croissance staturopondérale de Sempé et Pédron ou en utilisant les abaques qui les fournissent. Une fois cette valeur
trouvée, le rapport poids de l’enfant / poids attendu pour la
taille donne en pourcentage l’excédent pondéral pour la
taille. Le 97e percentile de l’IMC correspond approximativement à un rapport de 120 %. La méthode du z-score consiste à
ajuster la valeur de l’IMC à l’âge et au sexe. Elle permet une
quantification précise de l’excès pondéral, indépendamment
de l’âge et du sexe [2]. Le degré de surcharge pondérale est
d’autant plus important que le z-score est élevé. Le 97e
percentile de l’IMC correspond à un z-score de + 2 DS. Le
z-score est la méthode de référence utilisée dans les travaux
scientifiques pour évaluer le degré de surcharge pondérale.
Son utilisation est cependant de maniement plus difficile en
pratique courante.
Évaluation de la répartition de la masse grasse
HGPO
hyperglycémie provoquée par voie
orale
IMC
indice de masse corporelle
IOTF
International Obesity TaskForce
NCEP ATP III National Cholesterol Education
Program Adult Treatment Panel III
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Glossaire
La mesure du tour de taille est en pratique clinique le moyen le
plus simple pour évaluer la répartition de la masse grasse. Chez
l’adulte, un tour de taille supérieur à 102 cm chez l’homme et à
88 cm chez la femme selon le National Cholesterol Education
Program Adult Treatment Panel III (NCEP ATP III) indique une
répartition androïde de la masse grasse avec une augmentation
du risque cardiovasulaire. Chez l’enfant, les valeurs limites du
tour de taille au-delà desquelles la masse grasse abdominale
B Dubern
[(Figure_1)TD$IG]
Figure 1
Courbe d’indice de masse
corporelle (IMC) chez un
enfant obèse
L’histoire de l’obésité de l’enfant doit
être systématiquement reconstituée
grâce au tracé de la courbe
d’évolution de l’IMC, réalisé à l’aide
des poids et tailles recueillis dans le
carnet de santé. Cela permet alors de
situer le début de la prise pondérale
en déterminant soit l’âge de rebond
de l’IMC, soit un changement de
couloir vers le haut de la courbe.
L’âge de rebond de l’IMC correspond
à l’âge où il a été le plus bas avant
son ascension jusqu’à l’âge actuel.
Survenant normalement vers l’âge
de 6 ans, ce rebond est souvent plus
précoce en cas d’obésité, s’amorçant
habituellement vers l’âge de 3 ans.
L’âge de début de l’obésité
correspond à l’âge auquel l’IMC
passe au dessus du 97e percentile de
la courbe. IOTF : International Obesity
TaskForce.
doit être considérée comme excédentaire ont également été
définies et varient en fonction de l’âge et du sexe (tableau I)
[3]. En fait, comme pour la masse grasse totale, l’intérêt
principal en pratique courante de l’évaluation de la répartition
de la graisse est le suivi d’un patient traité. La diminution du
tour de taille, et donc de la masse grasse abdominale, est un
résultat thérapeutique favorable.
Quand chercher une cause à l’obésité ?
Quelles sont les complications à chercher ?
Complications métaboliques
Les complications métaboliques connues chez l’adulte obèse
sont aussi décrites chez l’enfant obèse mais ont des particularités à prendre en compte [5]. L’insulinorésistance est fréquente
puisqu’elle atteint environ la moitié des enfants obèses
(tableau II). Elle peut être responsable d’un acanthosis nigricans
caractérisé par une peau rugueuse, épaissie et quadrillée,
962
Les endocrinopathies (hypercorticismes, déficit en hormone de
croissance, hypothyroïdie) ne sont qu’exceptionnellement
révélées par une obésité. Elles ont toutes en commun de
s’accompagner d’un ralentissement de la croissance staturale
(figure 2), alors que celle-ci est parfois accélérée en cas
d’obésité commune.
Les causes génétiques s’intégrant dans un syndrome
(Prader-Willi, Bardet-Biedl, etc.) sont elles aussi très rares. Elles
ne doivent être évoquées que s’il existe des antécédents
d’hypotonie néonatale (Prader-Willi), un retard mental, statural
ou pubertaire, ou une dysmorphie. Un diagnostic moléculaire
est alors possible pour les plus fréquentes [4].
Les obésités monogéniques dues à des mutations dans des
gènes impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire sont
exceptionnelles. Elles peuvent être évoquées devant une obésité précoce et sévère apparaissant durant les premiers mois de
vie avec impulsivité alimentaire et absence de rebond d’adiposité. Les autres signes évocateurs sont l’existence d’une
consanguinité parentale et/ou d’anomalies endocriniennes
et/ou d’anomalies de la pigmentation. Cependant, ces formes
exceptionnelles d’obésité n’aboutissent pour l’instant à aucune
thérapeutique spécifique en dehors des exceptionnels déficits
en leptine et ne nécessitent donc pas de les chercher de façon
systématique [4].
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Prise en charge de l’obésité de l’enfant
Tableau I
Tableau II
Valeurs limites du tour de taille au-delà de laquelle la masse
grasse abdominale est considérée comme excédentaire d’après
[3].
Fréquence des facteurs de risque vasculaire au sein d’une cohorte
de 384 enfants obèses âgés en moyenne de 12,1 ans [5].
Facteurs de risque vasculaire
Garçons (cm)
Filles (cm)
%
Insulinorésistance
60,2
3
50,3
53,1
Intolérance au glucose
13,6
4
53,3
55,6
Diabète
0,5
5
56,3
58,0
Cholestérol total > 95e percentile
5,7
6
59,2
60,4
Low-density lipoprotein (LDL)-cholestérol > 95e percentile
8,8
7
62,0
62,9
High-density lipoprotein (HDL-cholestérol) < 5e percentile
13,0
8
64,7
65,3
Triglycéridémie > 95e percentile
7,8
9
67,3
67,7
Au moins une dyslipidémie
23,6
10
69,6
70,1
Hypertension artérielle
1,8
11
71,8
72,4
12
73,8
74,7
13
75,6
76,9
14
77,0
79,0
15
78,3
81,1
16
79,1
83,1
17
79,8
84,9
18
80,1
86,7
19
80,1
88,4
souvent recouverte d’une pigmentation noirâtre et localisée
principalement aux aisselles et au cou. Malgré cette fréquence
élevée, il est inutile de la chercher en pratique courante car elle
n’occasionne aucune mesure thérapeutique particulière. L’intolérance au glucose est beaucoup moins fréquente, se trouvant chez
seulement 10 à 15 % des enfants obèses [6]. En pratique
clinique, sa recherche ne devient utile que s’il est démontré
que la mise en route d’un traitement spécifique diminue les
risques ultérieurs de diabète ou de complications cardiovasculaires. Une telle attitude thérapeutique n’étant pas recommandée pour l’instant, il n’est pas justifié de la chercher
systématiquement chez les enfants obèses.
Le diabète de type 2 est en revanche tout à fait exceptionnel. En
effet, seuls les enfants ayant une forte prédisposition
génétique au diabète (enfants d’origine asiatique et, à un
moindre degré, ceux génétiquement issus d’Afrique noire)
peuvent révéler cette maladie s’ils deviennent obèses [6].
Chez les enfants d’origine européenne ou maghrébine, l’obésité ne se complique pas de diabète avant l’âge adulte [6].
Aussi, la recherche d’un diabète (glycémie à jeun supérieure à
7 mmol/L ou glycémie 120 min. après ingestion de glucose
supérieure à 11,1 mmol/L au cours de l’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) n’est donc nécessaire que chez
les enfants obèses à risque. De plus, en raison de sa grande
rareté, la découverte d’un diabète chez un enfant obèse doit
donc toujours conduire à la recherche d’une autre cause que
l’obésité [maturity onset diabetes of the young (MODY),
diabète auto-immun] ou de conditions de mesure incorrectes,
tout particulièrement chez ceux ne faisant pas partie des
groupes ethniques prédisposés [6].
Une dyslipidémie se rencontre chez environ un enfant obèse
sur 5. Sa recherche systématique n’est cependant pas justifiée
car les mesures diététiques qu’elle impose sont pratiquement
les mêmes que celles proposées à tous les enfants obèses. En
revanche, s’il existe une dyslipidémie familiale, il est indispensable de vérifier si l’enfant obèse en a hérité car certaines
d’entre elles nécessitent un traitement médicamenteux [7].
L’hypertension artérielle est rare. Les pressions artérielles
systolique et diastolique de repos sont en effet souvent augmentées chez l’enfant obèse, mais elles dépassent rarement
les limites physiologiques. En pratique, il n’est pas rare qu’une
hypertension artérielle soit trouvée lors d’une première
consultation mais pas lors des suivantes.
La stéatose hépatique ne doit pas être systématiquement
cherchée. Une stéatose hépatique est rencontrée chez 10 à
20 % des enfants obèses [8]. Elle s’exprime principalement par
une augmentation modérée des transaminases à 1,5–3 fois la
normale, une élévation plus importante doit faire chercher une
autre cause. Dans la mesure où elle ne nécessite aucune prise
en charge spécifique et que son évolution est presque toujours
bénigne à moyen terme, il est inutile de la chercher à titre
systématique chez l’enfant obèse.
Autres complications à chercher systématiquement
Les complications orthopédiques doivent être connues et notamment l’épiphysiolyse de hanche, qui entraîne un glissement
de la tête fémorale sur la métaphyse. Observée lors de la
poussée de croissance pubertaire, elle se manifeste par des
douleurs chroniques de la hanche ou du genou qui entraînent
une boiterie à la fatigue. L’examen clinique en décubitus dorsal
montre une limitation de la rotation interne du membre atteint.
Après confirmation radiologique du diagnostic, un traitement
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Âge (ans)
Mise au point
Obésité
B Dubern
[(Figure_2)TD$IG]
Figure 2
Exemple de courbe de
croissance staturopondérale
devant faire suspecter une
endocrinopathie à l’origine
de l’obésité
Les endocrinopathies
(hypercorticismes, déficit en
hormone de croissance,
hypothyroïdie) ne sont
qu’exceptionnellement révélées par
une obésité. Elles ont toutes en
commun de s’accompagner d’un
ralentissement de la croissance
staturale, alors que celle-ci est
parfois accélérée en cas d’obésité
commune.
avant d’attribuer ces difficultés à la simple surcharge pondérale. Une fois dépisté, l’asthme doit être efficacement traité
pour faciliter l’application des consignes thérapeutiques portant
sur l’accroissement de l’activité physique. Les apnées du sommeil sont une complication potentiellement grave qui atteint
surtout les enfants souffrant d’une obésité sévère [11]. Une
polysomnographie du sommeil doit être demandée lorsqu’un
enfant a une obésité sévère et se plaint de l’un des symptômes
suivants : somnolence diurne active (sieste) ou passive (endormissement en position assise), ronflements nocturnes importants avec reprises inspiratoires bruyantes ou respiration
saccadée, cauchemars ou agitation nocturne inhabituels, réveils
964
chirurgical (fixation in situ par vissage) doit être institué en
urgence pour éviter l’aggravation du glissement de la tête
fémorale, source de nécrose de la tête fémorale et de coxarthrose précoce [9].
Les complications respiratoires doivent systématiquement être
cherchées à l’interrogatoire. L’asthme est plus fréquent chez
l’enfant obèse [10]. Il est indispensable d’interroger systématiquement les enfants obèses à la recherche d’une dyspnée
inhabituelle lors des activités physiques et surtout une toux à
l’effort. Dans la mesure où la mauvaise tolérance de l’effort
physique est une plainte fréquente de l’enfant obèse, il faut
toujours évoquer une maladie asthmatique révélée par l’effort
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Prise en charge de l’obésité de l’enfant
Prise en charge thérapeutique de l’enfant
obèse
Réduire les ingesta spontanés
Les enfants obèses ont des ingesta spontanés quantitativement
augmentés lorsqu’ils ne se restreignent pas [14]. Plusieurs
entretiens sont souvent nécessaires pour le démontrer car ils
ont tendance à sous-estimer leurs ingesta. L’étude qualitative
du comportement alimentaire des enfants obèses a peu
d’intérêt car quelles que soient la proportion relative de chaque
nutriment ou la répartition des calories ingérées dans la
journée, seul un excès énergétique global permet de maintenir
ou d’aggraver la surcharge pondérale [14].
L’objectif de la prise en charge diététique est de diminuer les
apports énergétiques au-dessous du niveau des dépenses
énergétiques. Elle nécessite donc une restriction énergétique
qui est d’autant plus importante que l’activité physique est
faible. Dans la mesure où la réduction des ingesta entraîne une
stimulation de l’appétit [14], le maintien de la restriction
énergétique requiert une motivation solide et constante pour
ne pas céder à cette faim permanente. On comprend ainsi
qu’une quelconque perturbation psychologique, susceptible de
détourner la volonté de l’enfant à maigrir, puisse provoquer
une reprise pondérale rapide.
En pratique, les conseils diététiques doivent être réalistes,
pragmatiques, progressifs et surtout individualisés, tenant
compte des goûts de l’enfant et des habitudes culinaires de
la famille. Au début, la réduction des aliments à forte densité
énergétique, notamment des produits gras, la limitation du
grignotage et la diminution des boissons sucrées si elles étaient
consommées en excès, suffisent à diminuer les calories ingérées [15]. Dans un second temps, une réduction de plus en plus
importante des quantités ingérées devient nécessaire pour
obtenir une poursuite de la réduction pondérale. Aucun aliment
ni aucune boisson ne doit être interdit, il faut juste apprendre à
la famille que pour maintenir un niveau d’apports énergétiques
bas, les volumes ingérés d’un aliment sont d’autant plus faibles
que sa densité énergétique est importante. Il est également
important de respecter les habitudes de l’enfant en matière de
répartition des repas. Ainsi, il est inutile d’imposer un petitdéjeuner à un adolescent qui n’a pas l’habitude d’en prendre
car il n’a jamais été démontré que l’absence de petit-déjeuner
hypothéquait les chances de succès thérapeutique !
Augmenter l’activité physique
Il faut avant tout encourager la marche en s’appuyant sur des
activités quotidiennes inévitables comme le trajet vers l’école
ou la promenade du chien, ceci afin d’assurer une compliance
correcte. Il est également justifié de persuader l’enfant de
pratiquer une activité sportive régulière. Il n’y a pas de sport
idéal à recommander, l’important est que l’enfant choisisse luimême celui qu’il apprécie. Enfin, la réduction des loisirs sédentaires demande un remplacement de ceux-ci par une autre
activité et non leur interdiction abrupte qui est souvent
inefficace et propice au grignotage [16].
Assurer un soutien psychologique permanent
Le soutien psychologique des enfants obèses a une véritable
action thérapeutique et constitue même parfois l’objectif
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nocturnes fréquents, énurésie, céphalées matinales. Il convient
aussi, d’écarter une hypertrophie amygdalienne dont la correction chirurgicale permet le plus souvent de faire disparaître les
apnées. Elles entravent fortement la qualité de vie, notamment
en raison de la somnolence qu’elles entraînent, et réduisent les
capacités d’apprentissage et de mémorisation avec des troubles
de concentration à l’école. Une ventilation nasale en pression
positive continue est indiquée dans les formes graves.
Les complications endocriniennes peuvent entraîner une souffrance psychologique. Chez les filles, la puberté est avancée
(apparition des caractères sexuels secondaires avant 10 ans)
dans 10 à 20 % des cas [12]. Les troubles des règles (spanioménorrhée) et le syndrome des ovaires polykystiques,
relativement fréquents chez l’adulte, sont cependant rares
chez l’adolescente. Chez les garçons, l’âge de la puberté est
peu ou pas influencé par l’obésité. En revanche, il n’est pas rare
de voir un pseudohypogénitalisme se traduisant par une verge
enfouie dans la masse graisseuse hypogastrique et paraissant
donc minuscule. Bien que peu d’enfants l’expriment, ce
problème est souvent la source d’une souffrance psychologique
importante. L’adipogynécomastie conduit également à une
gêne physique majeure. Il s’agit d’une accumulation de graisse
au niveau de la région mammaire simulant le développement
de seins. Une chirurgie reconstructrice doit être proposée dans
les cas les plus mal tolérés.
Les principales complications sont en fait d’ordre psychologique. La surcharge pondérale entraîne chez presque tous les
enfants des perturbations psychologiques dont l’intensité et le
vécu sont variables selon la robustesse psychique de chaque
individu, mais également l’attitude de l’entourage familial
(parents, fratrie) et médical [13]. La souffrance psychologique
qu’entraîne l’obésité peut s’exprimer par une perte de l’estime
de soi, la peur du regard des autres, la douleur d’être différent,
ou encore la tristesse de ne pouvoir bouger ou s’habiller comme
on le souhaiterait. La discrimination sociale dont sont victimes
les enfants obèses, et ceci quel que soit leur âge, explique
en grande partie la souffrance psychologique qui en résulte.
La prise en charge thérapeutique peut également aggraver
ces troubles en raison de l’écartèlement mental auquel
est confronté l’enfant en permanence entre d’une part le
sentiment d’être dans l’incapacité de continuer à supporter
la frustration qu’entraîne la restriction énergétique et d’autre
part la crainte de rester gros s’il succombe à cette sensation
physiologique de faim.
Mise au point
Obésité
B Dubern
prioritaire du projet thérapeutique. Il doit à la fois stimuler en
permanence la motivation de l’enfant et l’aider à maîtriser les
sentiments de frustration qu’entraînent les modifications de
comportement préconisées [13].
Les encouragements continus, les compliments soutenus lorsque les conseils ont bien été suivis et la mise en valeur des
résultats positifs sont primordiaux pour espérer motiver efficacement l’enfant. En revanche, une manifestation patente de
découragement, des réprimandes culpabilisantes en cas d’évolution défavorable ou l’exigence d’objectifs thérapeutiques
déraisonnables ne peuvent qu’être délétères à plus ou moins
long terme, même s’ils sont parfois efficaces pendant quelque
temps chez certains enfants. La stigmatisation des risques
somatiques potentiels liés à l’obésité est également contreproductive car elle peut accroître l’angoisse de la famille et
n’est jamais source de motivation pour l’enfant.
Objectifs thérapeutiques
Les objectifs thérapeutiques doivent être raisonnables. Deux
niveaux de succès thérapeutique peuvent schématiquement
être définis (figure 3). Le premier niveau est d’obtenir une
stabilisation de l’excès pondéral, c’est-à-dire le maintien d’une
courbe d’IMC parallèle à celle du 97e percentile (figure 3a). Il
faut noter que l’IMC en valeur absolue continue à augmenter.
Ce résultat est toutefois souvent vécu comme un échec par
l’enfant et sa famille, il est donc nécessaire d’apporter des
explications claires et encourageantes en traçant et commentant la courbe d’IMC. Le second niveau est de parvenir à une
réduction de l’excès pondéral se traduisant par un IMC qui se
rapproche du 97e percentile (figure 3b). L’IMC en valeur absolue
peut également continuer à augmenter, mais avec une pente
de croissance inférieure à celle du 97e percentile.
La disparition totale de la surcharge pondérale ne doit pas
représenter un résultat à atteindre à tout prix. En effet, pour la
majorité des enfants obèses la stabilisation ou la réduction de
l’excès pondéral restent l’objectif principal à atteindre, même
s’il peut paraître insuffisant pour la famille. Ainsi, lorsqu’il est
atteint, il faut le valoriser, expliquer aux parents qu’il s’agit d’un
véritable succès thérapeutique, et assurer sa pérennisation.
Place des médicaments
Aucun médicament destiné à traiter l’obésité n’a pour l’instant
d’autorisation de mise sur le marché chez l’enfant de moins de
15 ans en France. Parmi les médicaments dont l’efficacité a été
démontrée chez l’adulte obèse, seuls la sibutramine (non
disponible en France) et l’orlistat (AlliW, XenicalW) ont été
étudiés en pédiatrie. Leur tolérance et leur efficacité sont
similaires à celles retrouvées chez l’adulte [17].
Place de la chirurgie bariatrique
Place des centres de moyen séjour pour enfants
obèses
La prise en charge de l’enfant obèse peut être assurée sauf cas
extrêmes, par le médecin de ville (médecin généraliste ou
pédiatre) en collaboration avec d’autres professionnels (diététicienne, psychologue, médecin du sport, éducateur sportif. . .).
Le recours aux centres de référence hospitaliers est justifié en
cas d’obésité massive avec ou sans complications et en cas
d’échec de la prise en charge en ville. Dans certaines situations
et dans le cadre d’un projet thérapeutique cohérent, la prise en
charge dans un centre de moyen séjour pour enfants obèses
peut être nécessaire.
De nombreux centres de moyen séjour spécialisés dans la prise
en charge thérapeutique des enfants obèses existent en France.
Ils ont l’avantage d’offrir une solution dans les cas d’obésité
morbide résistant aux mesures thérapeutiques habituelles ou
lorsqu’une rupture avec le milieu familial semble nécessaire.
Les durées du séjour varient d’un seul mois d’été à une année
scolaire complète et dans la quasi-totalité des cas un amaigrissement, souvent conséquent, est obtenu.
Deux problèmes majeurs restreignent cependant l’intérêt de
ces centres. Le premier est celui de l’inéluctable reprise pondérale après le retour dans le milieu familial. Celle-ci est plus ou
966
L’augmentation rapide de la prévalence des formes extrêmes
d’obésité infantile pose la question de l’indication de la chi-
rurgie bariatrique en raison de l’efficacité décevante des autres
prises en charge. Depuis les années 1990, plus de 200 cas de
chirurgie bariatrique en pédiatrie ont été décrits, utilisant
principalement deux techniques (gastroplastie par anneau
ajustable, by-pass gastrique) [18]. Les complications décrites
sont identiques à celles chez l’adulte et tout aussi fréquentes.
Les recommandations actuelles en pédiatrie (âge inférieur à
18 ans) sont donc les suivantes : les situations cliniques
extrêmes avec IMC > à 40 kg/m2 avec ou sans comorbidités
associées et après échec des prises en charge classiques, mais
aussi les situations avec IMC > 35 kg/m2 et une ou plusieurs
comorbidités potentiellement sévères à court terme (diabète,
syndrome d’apnées du sommeil sévère. . .)[19]. Les critères
d’exclusion sont quant à eux un développement pubertaire
inachevé et un âge statural en dessous de la taille adulte.
Cependant, les limites évidentes sont l’effet potentiellement
délétère des carences nutritionnelles induites par la chirurgie
bariatrique sur la croissance et l’aspect psychologique d’une
telle prise en charge dans ces classes d’âge en raison de
l’impact des gestes chirurgicaux sur « l’activité de penser
des enfants ». Aussi une prise en charge globale (médicale,
psychologique et diététique) en amont pendant une durée d’au
moins 6 mois voire 12 afin de préparer l’enfant et sa famille est
indispensable. De plus, cette discussion doit être effectuée au
cas par cas par des équipes multidisciplinaires aguerries et
expertes (médecins, chirurgiens, psychologues, anesthésistes,
diététiticiens) avec une collaboration étroite entre équipes
adultes et pédiatriques.
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tome 39 > n89 > septembre 2010
Prise en charge de l’obésité de l’enfant
tome 39 > n89 > septembre 2010
Figure 3
Les objectifs thérapeutiques : stabilisation ou réduction de l’excès pondéral
A : La stabilisation de l’excès pondéral, c’est-à-dire le maintien d’une courbe d’IMC parallèle à celle du 97e percentile. Il faut noter que l’IMC en valeur absolue continue à augmenter. B : La réduction de l’excès pondéral se
traduisant par un IMC qui se rapproche du 97e percentile. L’IMC en valeur absolue peut également continuer à augmenter, mais avec une pente de croissance inférieure à celle du 97e percentile. PEC : début de la prise en charge.
Obésité
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Mise au point
B Dubern
moins rapide et complète, mais à moyen terme beaucoup
d’enfants retrouvent le même degré d’excès pondéral que
celui qu’ils avaient antérieurement. Cela a pour conséquence
d’entraîner un phénomène de « yo-yo » du poids dont on connaît
les effets délétères chez l’adulte [20]. Le second problème
concerne les conduites déviantes de type psychopathique
observées après amaigrissement massif et contraint chez les
enfants ayant une personnalité névrotique ou déficitaire [13].
Cela souligne la nécessité d’une évaluation psychologique
préalable à tout séjour en centre.
Conflits d’intérêts : aucun.
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